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••• « croaa ! croaa ! » au passage de ces corbeaux de retour. A en

croire leurs cibles, les quolibets des vieux mécréants n’ont pas duré, pas plus que les préventions des pratiquants. « L’appréhension s’est dissipée, explique Edouard de Vregille. Les gens nous ont vus courir comme de jeunes chiens. Ils ont apprécié notre énergie, nous ont reconnus comme ce que nous souhaitons être, des prêtres de notre temps. » De fait, une heure auparavant, alors que s’achevait la messe dominicale dans la petite église de Meyzieu, le contact avec les fidèles ne semblait pas souffrir de barrières. Des parents venaient discuter, tandis que leurs rejetons indisciplinés couraient entre les bancs. Puis, en cette veille de Noël, des paroissiens ont ouvert une bouteille de champagne au presbytère. On a trinqué dans le salon orné d’images pieuses et de sculptures religieuses. Des bouteilles d’alcool étaient rangées dans le buffet. Le prêtre a parlé de sa voiture qui lui causait du souci ; un pompier a évoqué son prochain mariage. Conversation ordinaire d’un curé et de ses ouailles.

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ais les plus anciens s’étaient éclipsés discrète-

ment, comme pressés. C’est auprès d’eux que la soutane est le moins bien passée. Pour ces catholiques à tête blanche, cette tenue réveillait des souvenirs douloureux des années 1960, du temps du concile Vatican II. Elle rappelait les querelles schismatiques entre intégristes et modernistes, entre rite de saint Pie X et rénovation de Jean XXIII. Certains pratiquants ont d’ailleurs déserté la paroisse, dans cette commune très empreinte de christianisme social. D’autres sont arrivés de plus loin, des traditionalistes qui se méprenaient sur le sens de la robe et espéraient une messe en latin. Grégoire-Marie Daniault balaie ce qu’il estime d’antiques lunes : « Ce sont des histoires de vieux briscards. Nous, ce que nous souhaitons seulement montrer avec cette soutane, c’est que l’Eglise est là, physiquement présente. » « On a changé de monde, de génération, insiste Edouard de Vregille. Il faut en finir avec les préjugés. Nous voulons qu’on puisse nous identifier clairement dans la société, montrer que nous existons, susciter l’attraction. » « Pour 44

le plus grand nombre, aujourd’hui, la religion est un terrain vierge où tout est à construire », poursuit Grégoire-Marie Daniault. Il faut s’adapter à cette donne. Les prêtres évoquent le prosélytisme des autres croyants, des musulmans, de plus en plus visibles dans la commune, des évangéliques, dont l’exubérance attire. La soutane serait donc une manière de contre-offensive, un biais pour « approcher les gens, les apprivoiser ». Un jour, sur le parking d’un supermarché où il faisait ses courses, GrégoireMarie Daniault a été interpellé par un homme qui avait repéré son habit. « “Vous êtes prêtre ?”, m’a-t-il demandé. Il m’a parlé de ses soucis, je l’ai écouté. J’ai fini par le confesser, là, sur le parking. Jamais cet homme ne serait venu dans une église. » Les trois hommes multiplient les exemples de dialogues suscités par la soutane, dans le train ou dans la rue. D’ailleurs, un homme qui les observait depuis la table voisine se lève et s’approche. « Alors, les enfants du Bon Dieu, il y a des âmes à sauver ? », lance-t-il sans agressivité. La discussion s’engage, se met à rouler sur Jésus et sur le rugby. « Priez pour nous », demande le supporteur avant de partir voir un match. Cet affichage de la religion jusque dans la livrée est la philosophie de la communauté Saint-Martin, à laquelle appartiennent les trois prêtres. Ce mouvement fidèle au pape préconise, pour faire grossier, une affirmation des principes du christianisme dans le monde contemporain, une évangélisation franche, voire démonstrative, en plein espace public et non plus seulement dans l’intimité d’une chapelle. Il réhabilite donc le port de la soutane mais prône aussi un sacerdoce partagé : les prêtres sont envoyés dans une paroisse par groupe de trois au minimum, et n’y restent pas plus de cinq ans. La communauté a été fondée en 1976 par un abbé français, Jean-François Guérin. Elle a longtemps végété, exilée en Italie, à Voltri, une paroisse de Gênes, sous la protection du très conservateur cardinal italien Giuseppe Siri. Revenue en France en 1993, Saint-Martin connaît aujourd’hui une notable expansion, comme si l’époque lui était devenue plus favorable. C’est là un indicateur supplémentaire de l’indéniable retour, qu’il soit loué ou déploré, de l’Eglise dans la société temporelle et même dans la sphère politique, au sens de la vie de la cité. Une

Malgré le rigorisme de la vie à Candé-surBeuvron, près de Blois, les vocations se multiplient. Un succès que Paul Préaux (à gauche), le représentant de la communauté Saint-Martin, attribue à la “quête de sens” dans une société où “la laïcité est stérile”. Issus de familles aisées et pratiquantes, la plupart des 85 séminaristes ont des cursus impressionnants qui leur ouvraient la porte à de brillantes carrières.


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