Je ne cheminerai jamais seul.

Je ne cheminerai jamais seul.

E.J PAUL

La solitude que l’on désire parfois, pour réfléchir, prendre du recul, faciliter la prise de décisions, est nécessaire à n’importe quel être humain.

Malgré ce, que ce soit en ville en pleine nature aussi bien que dans les lieux les plus improbables, les plus reculés, la solitude existe mais on n’est jamais seul : tout près de vous, des personnes, des plantes des objets, parfois même des êtres immatériels vous observent, vous épient et s'intéressent à vous .

Miguel Assis derrière l’arbre, c’est moi, Miguel , les gens racontent que je suis gentil, un vrai gentil. Dans la vie, quels que soient les événements, je reste toujours positif,même que parfois j’agace un peu, je me fais souvent rudoyer mais je sais que malgré tout, on m’aime bien.

Mon thérapeute dit de moi que je suis un ado-adulte, il a raison, je fais très ado,surtout quand je marche dans la rue les bras le long du corps.

Je suis assis là, sur ce banc froid, face au lac.

Dans un premier sac, j’ai apporté mes jumelles et un carnet de terrain sur lequel, je note tout scrupuleusement; (J’adore la précision et déteste l’à peu près.) dans l’autre, bien rangé, (j‘aime que tout soit bien à sa place.) se trouve mon repas.

Récemment, pour rencontrer des amis, je me suis rendu à une réunion Tupperware, j’ai adoré leurs produits.

L’organisatrice, dame charmante au demeurant, m’a vendu: un récipient dans lequel j’ai placé ma salade,

une burette qui ne fuit pas pour ma vinaigrette, une géniale boîte triangulaire pour mon sandwich et, cerise sur le gâteau (cela va bien épater mes nouveaux amis), un coffret “ spécial banane” pour mon goûter.

Je suis là, au bord de ce plan d’eau car, sur les réseaux sociaux, j’ai organisé une sortie. Je l’ai intitulée: Comptage des oiseaux sur l’étang de l’Arnel .

Sur la page d'accueil, je me suis présenté, bien sûr, j’ai raconté avec force détails ma passion pour l'ornithologie le tout agrémenté de moultes références.

(Je vous l’ai dit, j’aime la précision.)

Mes nouveaux amis ne sont pas encore arrivés, ils ne devraient plus tarder.

C’est dommage, je vois déjà s’approcher du bord une colonie de Tadornes. (Tadornes de Belon devrais - je dire.) Ces animaux très sociaux sont vraiment faciles à approcher. Derrière les roseaux,on entend le grognement rauque des fuligules femelles (aythya fuligula) auquel les mâles répondent par de petits sifflements. Même sans les jumelles, on distingue sur un grand arbre au loin une grande quantité de nids d’aigrettes garzettes qui adorent vivre les unes à côté des autres…

Quel dommage que mes amis ne soient pas arrivés, ils vont tout rater!

Tout est de ma faute, je n’ai pas été assez clair pour indiquer notre lieu de rendez-vous.

Peut être ne viendront-ils jamais…

-------------------------------------------------Je suis l'arbre.​ ​J'ai abrité Angelo l'autre jour.

Aujourd'hui c'est Miguel. Je lui parle. Je lui fais signe de toutes mes jeunes feuilles… Mais il ne répond pas! Lui non plus! Et je me demande pourquoi. Pourquoi suis je si seul ? Plus seul qu’Angelo ou Miguel.

Je dois être … transparent.

Solitude du coureur de fond.

Petit tour de chauffe dans le village Applaudissements Flonflons Rayon de soleil Attaque du raide chemin Marche rapide plus que course Bien entraîné Monotrace Piaffer Chemin s’élargit Doubler ceux qui sont en surchauffe Trottiner de temps en temps, Premier col, Deuxième souffle Doubler toute une file Sauter de rocher en rocher Bien placé à la sortie du col Poursuis mon effort Passer près d’un petit ruisseau Laper

Repartir dans la côte Beaucoup moins facile N’en ai plus pour trop longtemps Souffle régulier derrière moi, Un autre revient sur mes talons Ne pas se crisper Se relâcher Route goudronnée Dernier effort, Souffle dans mon dos Va me passer Serrer les dents Tenter un coup de bluff Légère accélération Il suit Est plus fort Passe Dommage Restait plus grand chose Passer la ligne Stopper mon chrono S’abriter du froid derrière l’observatoire Se précipiter dans le bus Redescendre à Valleraugues ---------------------------------------------Concurrent n° 542 Je suis dans son sillage depuis le col, je sens bien qu’ il a nettement baissé d’intensité.

Il tente une accélération, c’est du bluff, je recolle sans difficulté, il est “cramé” , j’en suis sûr.

Personne derrière nous, je vais rester à l’abri jusqu’à la route goudronnée. C’est la troisième fois que je fais cette course, je connais le parcours par coeur.

J’attends un peu et je vais me l’aligner dans les derniers cents mètres ça va faire une belle photo.

Et le ciel, lentement se décolora.

A la fin de cette magnifique journée estivale, le soir tombe lentement, je vais enfin goûter un peu de tranquillité.

Il ne s’est pas passé une heure sans qu’un, deux ou trois types (ou femmes) ne me sautent sur le dos, c’est toujours le même scénario, ils se cramponnent à moi, me sanglent comme Mister Grey dans un “mamy porn” pour, après discussion animée voire dispute féroce, m’entourer d’une corde qui va me frictionner l’écorce.

Dire que je pensais être peinard, moi, le seul pin arolle posé au milieu de cette face granitique!

Il a suffit qu’un “zozo” ouvre une voie sur l’arête voisine. Depuis, c’est le défilé. Pourtant, sur le topo, il est bien précisé: ne pas relayer sur l’arbre ! Malgré ce, ils y viennent tous. Il faut dire que le père Cambon, (rédacteur dudit fascicule) n’a pas le compas dans l’œil, la fameuse chaîne du relais officiel pendouille à une bonne dizaine de mètres sur ma gauche. Je comprends les

“gus” qui n’ont pas envie de penduler pour s’y accrocher avec tout ce vide dessous. Ils atterrissent sur mon dos et, ce n’est que partie remise, devront se balancer plein gaz pour atteindre le nouveau relais cinquante mètres plus bas.

Pendant ces manœuvres, leurs cordes me raclent la couenne à tel point que mon écorce est toute zébrée de cicatrices.

Je goûtais donc enfin un peu de vespérale zénitude quand j’ai senti une présence légère; c’était une femme. Elle devait aimer mes semblables car elle s’est extasiée devant ma beauté, a reniflé mes feuilles, caressé mon tronc. Une fois vachée, elle a poussé un cri qui m’aurait percé le tympan si j’en avais eu un. Très rapidement, une espèce de barbu est arrivé à son tour, et s’est mis à m’admirer. Cela devenait gênant mais tout de même très agréable et ... flatteur. Il m’a nommé “père des arbres” et sur mes racines surchauffées, pour mon plus grand bonheur, a vidé sa gourde.

Je les aurais bien hébergés pour la nuit ces deux là mais ils avaient l’air pressés.

Rapidement, ils se sont organisés et ont plongé dans le vide.

Je ne les ai jamais revus.

Ghost. ​ Quoi de plus gratuit et romantique que d’assister au lever du soleil… Être au premières loges pour voir apparaître le flamboyant disque pourpre me semblait un projet pour lequel j’étais prêt à sacrifier quelques heures de paresse matinale. ​

Autant faire les choses correctemen; j’allais me poster derrière une des fenêtres du château de Roquefeuil en ruine et assister à l'avènement de l’astre de vie au dessus du Pic . (Ce qui, reconnaissons le, aurait un cachet et une classe certains.)

Laissant ma voiture au parking, j’attaquais à la nuit noire et sans lampe la tranquille montée qui mène à la ruine médiévale. Passé la porte principale, je pénétrais dans la cour à la recherche de l’ouverture qui me permettrait une observation optimale.

Une fenêtre cathèdre, aux pierres polies par les milliers de derrières qui en avaient testé le confort, correspondait parfaitement à mes attentes. En face, se dressait le Pic St Loup.

Il ne me restait plus qu’à attendre, l’esprit en repos. Je goûtais le silence de ce moment, juste avant l’aube, où la nature se tait, retient son souffle. Où les oiseaux tôt éveillés n’attendent que le signal de l’aube pour se lancer dans leur assourdissant concert.

Voilà maintenant un moment que j’attends le merveilleux spectacle, il fait jour depuis près d’une heure et toujours pas de lever de soleil. L’astre de lumière doit se faire une petite sieste ?

-------------------------------Calé contre un pilastre, le fantôme de Dame Irène observe. Voilà plus de huit cents ans qu’elle hante (discrètement ) son ancien manoir . Elle en a vu passer des promeneurs, des chercheurs de trésors qui

retournent toutes les pierres , des gros dégoûtants qui , leur casse-croûte avalé, laissent sur place plastiques et papiers gras.

- Celui là transi par la fraîcheur du petit matin, il me fait de la peine, ce benêt devrait savoir que cette fenêtre est orientée plein sud et que le soleil se lève à l’Est. -------------------------------Sur le trajet du retour, donc, cheminant vers l’Est j’ai enfin vu, face à moi, la chose, toute chaude, brillante, éclairant la terre de mille feux….

Un coin de garrigue.

Si tu peux , jambes nues traverser Argelas et salsepareille Sans jamais crier,hurler ou te plaindre.

Si tu subis sans protester le vent fou Qui assèche,dessèche,érode; courbant Les arbres à tout jamais.

Si ta rétine supporte sans broncher Le bleu lumineux du ciel rehaussé par l'albâtre Du calcaire surchauffé.

Si après l’orage, ton nez peut avec sûreté

Différencier les odeurs de thym,ciste ou aspic.

Tu auras alors compris La sauvage beauté De ce milieu si particulier Nommé garrigue.

------------------------------------Et vas-y que ça se la pète! Non mais écoutez moi ce “Kipling du pauvre”.

Malgré son style tout à fait déplorable, il n’a pas tout à fait tort le “félibre de l’arrière pays”.

Surtout quand il parle de mes horribles voisines, les épineuses: cette sournoise de salsepareille qui rampe vers toi, t’enlace et tente de t’étouffer perfidement ou ce grand prétentieux qui se fait appeler “genêt Espagne”.

Genêt scorpion! Oui! Quand notre écrivaillon évoque le vent du nord, il est aussi dans le vrai, le “Cers” qui souffle sans mollir , m’oblige à me faire toute petite, à m’abriter derrière la “garouille” bienveillante.

Autour de moi,les couleurs ne font pas, il est vrai, dans la nuance, blanc immaculé de la roche, rouge sanguin de la bauxite, bleu azur d’un ciel sans nuages…

Pour ce qui est des odeurs,mes voisines sentent bon et je dois avouer,en toute modestie, que mon parfum à nul

autre pareil symbolise à lui seul la nature méditerranéenne.

Oui, c’est moi: la touffe de thym!

J’ai eu la malencontreuse idée de pousser ici, loin de tout, au bord d’un minuscule sentier de garrigue.

Je pensais vivre tranquillement, en ermite, mais non: les promeneurs, sans vergogne, me piétinent joyeusement. Les moutons à chaque nouveau passage, broutent mes jeunes pousses, je ne parle pas de ces malappris de lapins qui grattent mon pied maculant mes abords de leurs pétoules fétides.

Je me plains moi? Ne vous y trompez pas, c’est de pure forme, ma vie ici est plus qu’agréable.

Ce doit être l’isolement qui me rend ronchon.

A chaque sommet on est au bord du précipice.

On n'a pas à se plaindre, on est plutôt bien entretenus: footing cinq fois par semaine, pas de cigarette ni de fumée, vélo quotidien, vie au grand air; nous les poumons (droit et gauche) devrions être comblés et pourtant...

Quand on le voit lire attentivement ses topos, préparer un sac bourré de matériel et de victuailles pour deux jours, on sait qu'on ne va pas être à la fête.

C'était prévisible: jour n°1 marche d'approche interminable sans véritable repos, courte nuit pas vraiment

réparatrice pour se refaire. Deuxième jour, départ à la nuit noire, débauche d'énergie pour atteindre le sommet et là, à peine arrivés, pause minimale. (Il parait qu'il faut être revenu au pied de la montagne avant que le soleil ne chauffe trop la neige.)

Descente vertigineuse à grande vitesse, sauts de rochers en rochers, lacets coupés, crissement de cailloux, randonneurs bousculés, folle cavalcade.

C'est toujours comme ça que ça se passe.

Rêvons un peu, espérons que demain, il aura les cuisses douloureuses et les mollets en compote.

Nous resterons peinards à "glander" au bord du torrent.

No siesta Un ancien collègue épicurien me l'avait dit: - Le meilleur moment de la retraite, c'est la sieste... à l'heure où les écoles sont en récréation.

Avide de tester ce conseil, j'attends l'heure dite, ouvre grand les fenêtres. Nous sommes en juin, le repas dans le jardin est terminé depuis peu, une légère somnolence s'empare de moi: je suis prêt!

Cris des enfants, hurlements des maîtresses qui tentent de gérer le chaos, tout est en place, un petit vent soufflant de la mer me caresse doucement, délice et volupté, mon mentor avait raison, je m'endors avec application, bavant sur le traversin.

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C'est l'heure, il a pourtant l'air tellement bien et détendu, plus qu'une minute et je vais bipper.

Je suis l'alarme de son réveil et je ne dois pas faire de sentiments.

Il est si béat: à son âge, il dort comme un bébé!

Il faut malgré tout que je le réveille, un vrai crève-cœur.

Il ronfle.

C'est une question d'honnêteté professionnelle, je ne dois pas manquer à mon devoir et me "défiler" : tant pis, je sonne

L’orage rajeunit les fleurs.

Du col du mont Ceint, nous dominons l’ensemble des lacs de Bassies. Ce soir, c’est sûr, nous dormirons dans l’ancienne centrale abandonnée.

Le col n’est qu’une vaste croupe herbeuse, nous progressons rapidement, curieux de voir ce que nous réserve la suite du trajet. Quelques trois cents mètres plus bas scintille un ensemble de quatre lacs bloqués derrière le verrou rocheux que nous devrions franchir vers la fin de l’après midi.

Quelques névés tâchetent la montagne, la fétuque rase nous caresse les mollets. Devant nous aucun obstacle, aucun à pic, le chemin bien dessiné descend régulièrement vers le lac Majeur.

Petite halte au bord du lac, trempette dans l’eau froide et profonde qui nous incite à ne pas trop nous éloigner du bord: Il fait chaud, trop pour ce mois d'août. Hier l’orage est tombé en milieu d'après midi et les nuages qui s’amoncellent font craindre le même scénario. Il ne faut pas traîner, se rhabiller, se rééquiper et surtout, surtout passer le verrou glaciaire qui peut, en cas de pluie violente, devenir problématique.

Le vent tourne, les enfants habituellement insouciants ont compris et pressent le pas. Le tonnerre d’abord lointain se fait entendre, la terre diffuse ses odeurs de terre, mousse et pierre à fusil, les plantes de l’alpage, à l’unisson, exhalent leurs parfums, le vent forcit, enfle, tourbillonne, nous n’y échapperons pas.

Les premières gouttes commencent à ricocher sur le chemin, vive comme… la foudre la “mère” sort un lot de capes de pluie qu’elle tenait en réserve. Des grêlons d’abord légers se mêlent à l’averse qui maintenant nous fouette. Foin d’abri et, vue la tournure que prennent les événements, il est hors de question de s’approcher de la barre rocheuse sporadiquement zébrée par de

violents éclairs, la montagne gronde, vibre, la colère des éléments déchaînés est terrifiante.

Comme une bande de boeufs musqués, nous nous serrons les uns contre les autres, formant le cercle sous les capes.

L’averse forcit sous les bourrasques de vent fou.

L’orage n’en finit pas de gronder. Pour nous donner une contenance et nous persuader que ça va passer, nous comptons, à chaque coup de tonnerre l’écart qui le sépare de l’éclair qui ne manque pas de tomber sur les parois du goulet. Le gros du déluge est sur nous. A peine avons nous le temps de commencer notre décompte que le ciel ténébreux est déchiré d’une puissante zébrure.

Minuscules au milieu de ce tableau dantesque dépassés par la puissance de la nature déchaînée, aucun de nous ne se plaint.

Le rideau de pluie se fait moins dense, la grêle frappe moins durement, les énormes cumulus semblent naviguer vers le fond de la cuvette.

-------------------------------------------------“Ils sont trop craquants comme ça, pelotonnés les uns contre les autres” dit la foudre.

“Avant de partir je vais leur “péter” une dernière fois à ras des chaussures, pas trop près tout de même, ça leur fera des souvenirs inoubliables.”

Sans volonté on reste au pied de la montagne Premier de cordée, ça sonne comme du Frison Roche.

Cette voie nommée par son créateur, (sans doute un admirateur de Dali) ”Persistance de la mémoire”, je ne l’ai jamais faite mais je la connais par coeur, j’ai passé mon hiver à l’étudier: topos détaillés, commentaires de sorties...

La configuration d’après ce que j’en ai lu, me convient parfaitement: 100 à 120 m plutôt difficiles dans le socle, 100 à 200 m de jonction en rocher moyen suivis d’une longue course d'arête: enchaînement de 5 dents (ou doigts) aux difficultés inégales et peu continues.

Au lever du soleil nous voici à l’attaque. A froid, les premières longueurs s’avèrent plus ardues et problématiques que prévu. Mon partenaire surpris par l'austérité du lieu ne cherche pas trop à prendre l’escalade à son compte. Plus familier de ce terrain montagne, je prends les choses en main et la direction des opérations. Ce genre de situation où mon partenaire fléchit, où je dois assumer la responsabilité de la course a le don de me stimuler. Cette première partie très raide, particulièrement technique est bien

heureusement intelligemment et correctement équipée.Ce rocher compact et peu prisu est suivi de couches de gneiss succédant à des strates de schiste.

L’escalade techniquement basique et rendue très aléatoire par la médiocre qualité du caillou. Nous passons cette section passablement tendus et peu rassurés. La chevauchée des arêtes qui fait suite est très agréable, tout à fait dans les cordes de mon partenaire mais, maintenant que nous sommes partis, il faut tenir l’horaire et la moindre hésitation ou reculade peut être rapidement dommageable. C’est pourquoi malgré ses velléités de passer devant, je garde la direction des opérations. Les derniers mètres de grimpe nous amènent à un vague collu. Au col 300m de vide béent en dessous de nous. En bas le chemin serpente vers la vallée.

---------------------------------------------------Ouf, on est arrivés, la première partie m’a laminé le moral. Heureusement que dans les arêtes, le rocher était sain et compact. Nous voilà à la fin de la course, il faut rentrer. Six à sept rappels sont prévus plein vide, je vois dans le rocher deux pitons reliés par une sangle. Nous allons les tester et changer la cordelette . Puisqu’il aime, tant passer devant, je vais le laisser commencer les rappels, il éprouvera ainsi la solidité de l’ensemble et cherchera la chaîne suivante. Ce faisant, Il

déroulera correctement la corde, la dénouillera, pendu sur son autobloquant. Quand je serai sûr qu’il a trouvé le relais suivant et que la corde est totalement dévrillée , je n’aurai qu’à me laisser glisser peinard dans le vide.

La nuit a dévoré le monde Un crachin sale et froid tombait sur la ville rendant chaussées et trottoirs humides et glissants.

Il avait laissé son scooter, compagnon de bordées nocturnes, à l’entrée du quartier du Plan Cabane.

Numéro 42! C’était le lieu du rendez vous!

Il était arrivé.

Un SMS reçu la veille lui avait précisé l’adresse où devait se tenir la soirée.

Il poussa la grille donnant accès à une ancienne friche industrielle: ensemble improbable d'entrepôts désaffectés posés au milieu d’une vaste cour.

Qui aurait pu penser qu’à l’intérieur d’un de ces hangars anciennement voué au commerce de bois se jouaient d’intenses parties de poker.

Avant de passer le seuil, il respira un grand coup, retraçant mentalement la journée qui venait de s’écouler.

------------------------------------------------Qu’avait il fait aujourd’hui ?

Levé tôt, sa matinée avait été consacrée au quotidien, à la vie sociale.

A midi moment privilégié partagé avec son épouse, moment d’échange et de connivence, ils avaient, complices, évoqué les enfants, leurs activités respectives, les aléas de la vie.

L’après midi, au stade, il s’était épuisé dans la mise en place matérielle de situations pédagogiques originales qu’il se faisait un plaisir de mettre au point.

En cela son passé d’enseignant, d’ancien sportif, combinés à une connaissance aiguë de la nature humaine lui étaient d’une grande utilité.

Vu de l’extérieur on n’imaginait pas la fatigue induite par la station debout ainsi que la tension intellectuelle générée par ce “travail” sur cet esprit perfectionniste et avide de résultats. Aux yeux des autres, il affichait une impression de facilité, de travail “au pif”, certains raillaient en sous main ses manières de maquignon.

L'âge avait poli son discours et sa pratique mais pas sa motivation, il devait son aisance sur le terrain à une grande vivacité d’esprit, un gros travail de recherche ainsi qu'à une permanente remise en question.

Il se revoyait, passablement entamé, de retour à la maison. Il songeait au début de soirée avec sa femme, qui à fond depuis qu’elle était levée, commençait à lâcher prise. L’heure approchait, il tournait en rond, c’était son soir, son moment de respiration.

Etait il devenu accro?

---------------------------------------------------------​ Assis autour d’une table oblongue, une petite dizaine de joueurs se jaugeaient attendant l’ouverture de cette partie de “cash game”: exercice bien plus excitant qu’un classique tournoi. On pouvait après avoir initialement converti 500€ en jetons se "recaver" entre deux coups, et sortir de l'argent de la poche qui pour notre homme était ce soir là bien pleine.

Pour se donner une contenance, certains soupesaient leurs jetons. D'autres chaussaient des lunettes de soleil ou, à la manière des champions se munissaient d'écouteurs.

C’était lui le dernier arrivé. Le maître des lieux ferma soigneusement la porte à clé derrière lui. L'hôte ne jouait pas mais faisait office de croupier; comme au casino il prélevait un rake de 4%, sur chaque pot et arrondissait ses gains de la soirée en facturant les consommations à un prix prohibitif.

Notre dernier arrivant connaissait la plupart des participants. Cette communauté de gamblers, où le jargon technique obligeait à parler franglais, c'était sa famille.

Dans cet écosystème où l’on croisait toute une confrérie de sans sommeil, les cernes étaient creusées et la peau blanchie par la vie nocturne.

Une célébrité locale du poker invitée par l'organisateur se pavanait sur son fauteuil; à sa gauche se tenait Stéphane: chômeur longue durée qui aimait dire à qui

voulait l’entendre qu’il se faisait avec le jeu jusqu’à 5000 euros par mois.

Deux vieux renards des tripots marquaient leur pré carré: "A table, mon arme, c'est la parole. Ça énerve les autres." Le second, ancien sportif, pérorait sur les liens étroits entre le poker et le sport de haut niveau.

Trois jeunes hommes, ivres ou chargés, venant ici blanchir leur argent sale loin des grandes oreilles des renseignements généraux, trépignaient sur leur siège, piaffant d’impatience à l’approche de la confrontation.

Un peu à part, objet de toutes les interrogations se tenait une glaciale et jolie jeune fille qui attirait les regards concupiscents de cette assemblée très masculine.

Un milieu “sympa” mais qui, dès qu'il y avait de l'argent en jeu, le devenait franchement moins...

-------------------------------------------------------Fatigué, émoussé par le manque de sommeil, il s’était laissé déconcentrer,décontenancer; c’était un mauvais jour. Pensant toujours se refaire,il s’était recavé jusqu’à vider totalement ses poches, dilapidant la somme qu’il s’était fixée en sortant de chez lui. Alors qu’il pensait “marcher sur la table, complètement “rincé” il devait quitter la partie abandonnant piteusement les lieux.

-------------------------------------------------------------Sagement garé sur le trottoir, moi, son scooter, fidèle monture: mélange moderne de Bucéphale et de Rossinante, je l’attends patiemment.

Je le connais par coeur, je sais que dans ces instants où le temps semble ralentir sa course et que les ombres enveloppent peu à peu la cité, il éprouve le sentiment de se retrouver face à un autre monde.

Dans ces moments là, il est heureux, apaisé, dans son élément.

L’interdit, la transgression, le plaisir proscrit, voire la débauche ou la mort exercent sur lui une étrange fascination. La nuit, désirs, fantasmes et peurs s’expriment plus facilement, on peut fuir ses obsessions et en même temps jouer avec.

Il sait qu’à ces heures tardives où “l’honnête” citoyen se prélasse dans les bras de Morphée; il pourrait s’autoriser des conduites, des attitudes, des postures qu’il ne se permettrait pas dans la journée.

Cependant, cela lui suffit.

L’idée que tout est possible le comble plus qu’un réel passage à l’acte.

“Si le sourd n’a pas entendu le tonnerre, il verra bien la pluie.”​…

- Bonjour! Il est passé à côté de nous raide comme la justice . Quel crâneur !

- Vous êtes seul? Il n’a pas répondu.

Il s’est installé à quelques mètres de nous, a ouvert son sac, déballé son matériel, lacé ses chaussons, fixé la corde à son baudrier et s’est élancé dans la paroi.

- Il avait besoin de concentration, c’est pour ça qu’il était dans sa bulle chuchota t elle.

- Pour faire une voie aussi facile, la zenitude ne sert à rien, je l’aurais faite en moonwalk!

Grimpant en parallèle à sa voie, je vois bien qu’il hésite qu’il peine, pas un mot de sa part. Alors qu’il est bloqué dans le “crux” je m’inquiète, je l’interpelle: - Tu veux que je te place le point suivant? Il n’a pas répondu.

- Qu’il aille se faire voir!

------------------------------------Ces deux là, sont bien gentils, je les vois tourner autour de moi depuis tout à l’heure mais comment leur expliquer les mains crispées sur les prises que depuis la naissance, je suis sourd et muet.

Quand tu arrives en haut de la montagne, continue de grimper.

Bâti de pierres sèches, le toit recouvert d’herbe par d’antiques pâtres qui accompagnaient leurs bêtes en estive, je suis encore debout pour quelques siècles.

A plus de 2500m sur un des dernier replat au pied du Moncalm, je me sens seul. Plus de berger depuis des lustres; très peu de randonneurs et de montagnards

depuis que la voie normale du géant de l’Ariège a été abandonnée au profit d’un accès plus moderne, moins austère, passant par un moderne et confortable refuge, la montée jusqu’à moi se fait, il est vrai, au prix d’une longue et belle ascension de moins en moins fréquentée.

A l’abri d’un énorme roc, posé au milieu de “gispet” et de rhododendron, je suis l’ultime gardien de cet accès à la montagne. Je regrette le temps où le berger montait pour l’été, le sac chargé de cochonnaille, où les propriétaires et leurs familles, après la messe dominicale montaient jusqu’ici et faisaient la fête après avoir compté leur cheptel. Je pleure souvent cette époque où la montagne résonnait de tintements de cloches, de bêlements et d’aboiements de chiens infatigables. Je déplore souvent l’absence de braconniers venant en douce tirer leur isard et le redescendant de nuit loin des regards. Je me lamente de la défection des montagnards qui, en route pour le Moncalm passaient la nuit dans mes murs ou s'arrêtaient faire une dernière halte avant d’attaquer les grands couloirs. Nostalgie, quand tu nous tiens!

Malheureusement pour moi les temps ont changé, il faut vivre avec son temps...

Le jour commence à poindre. Sur la sente qui monte vers le replat, j’entends un bruit de pierres. D’un pas

altier, un montagnard s’avance. A son sac est fixée une paire de crampons, en bandoulière, il porte un antique piolet au manche de bois. Il a raison d’arriver ainsi équipé, “le toboggan de Riuffret” est occupé par un névé qui ne voit jamais le soleil.

Je le vois remonter le torrent à la recherche d’un passage, il attaque le dièdre géant relativement facile où il faut néanmoins rester concentré. Plus haut au niveau du minuscule étang sourd, il attaquera le "canalet ": couloir de neige durcie (un véritable “bombecul”), puis repartira vers la pente terminale très raide au départ qui se poursuit par une traversée horizontale conduisant à l'arête, débonnaire jusqu’au sommet.

J’ai peur qu’au retour il ne choisisse la facilité et ne repasse pas par là. J’aimerais tant qu’il redescende par le même itinéraire, pose son sac sur mon seuil, pousse ma porte et fasse un rapide tour du propriétaire, ce serait parfait si pris d’une saine fatigue ou voulant passer une nuit paisible, il s’installait sur mon bat-flanc, cela me ferait pour un instant d’éternité un peu de compagnie…

Je me sens si seul...

L'imprudente voracité du poisson pris à l'hameçon.

La 4L cahotait sur le chemin rempli d’ornières, les phares pourtant peu puissants chassaient devant eux toute une faune d’animaux nocturnes qui se pensaient en sécurité en ces lieux.

Je me garais dans un renforcement tout proche de la rivière à proximité de mon coin de pêche: une tombée de courant s’ouvrant sur de grands fonds sableux. Le poste avait été parfaitement préparé: aménagement de la berge, accoutumance des poissons à ce que j’allais leur fournir le jour J. Je déballais mon attirail, pas forcément fier de moi. Le changement de type de matériel et de mode de pêche m’apparaissait comme une trahison à l’enseignement de mon père qui en la matière m’avait tout appris.

Honte à moi, j’avais troqué mon ancien équipement pourtant fiable et à l’efficacité éprouvée contre le dernier cri de la technologie.

Il faisait encore nuit. Dans la pénombre,je mis en place ma batterie de cannes et fixait les avertisseurs. Le soleil pouvait se lever, la partie de pêche allait commencer.

Les carpes sont des poissons routiniers, la première alarme n’a pas tardé à retentir. Lentement puis, plus rapidement le fil s’est dévidé. Sèchement je suis intervenu. Le poisson ferré devait être de belle taille car il fonçait en force vers un amas de bois situé à une centaine de mètres en aval. Les dix premiers mètres de fil ont été avalés à grande vitesse, il ne fallait pas que ma prise prenne trop confiance. Je durcis le frein. A l’autre bout, la bête continuait son rush mais son élan primitif était stoppé, elle gardait tout de même une sacrée énergie. Le moulinet se vidait à grande vitesse, elle devait sentir la proximité de son refuge, il fallait faire quelque chose, sinon : Adieu la magnifique carpe.

Il fallait la forcer à changer d’orientation, lever le scion et tenter d’imprimer un nouveau mouvement.

La lèvre sans doute lacérée par cet horrible mors, le poisson changea de direction tentant de réduire cette traction qui l’épuisait. Moins sollicitée par le fil qui se détendait, la carpe remontait vers son lieu de départ, donnant çà et là de brutaux coups de tête afin de tester la résistance du mécanisme qui la piégeait.

Le combat avait commencé depuis vingts bonnes minutes, le poisson donnait des signes de faiblesse, il sondait de moins en moins, remontant progressivement entre deux eaux. L’issue de la confrontation approchait.

Dans un espèce de borborygme obscène la tête apparut à la surface, il fallait l’approcher du bord et

procéder à l’épuisetage. A quelques encablures de la rive, une carpe, de très belle taille daigna apparaître à la surface, marsouinant sur l’onde.

Fabuleux, c’était une “cuir” espèce rarissime en ces lieux!

A mes pieds,le fond était insuffisant pour un animal de cette hauteur. Il allait falloir se mettre à l’eau.

-------------------------------------------------“La gourmandise est un vilain défaut” ne manqueraient pas de ressasser mes voisines, ces radoteuses de carpes communes qui hantent les lieux. Elles m’avaient prévenue mais je mettais un point d’honneur à ne pas écouter les conseils de ces rombières, “communes” de surcroît.

Depuis quelques jours, à heure fixe, la table était mise, bien garnie: maïs, protéines, graines de chènevis, il suffisait de se promener en aspirant et on se gavait.

D’un naturel un peu boulimique,je m’empiffrais.

Ce matin alors que mon repas ne faisait que commencer, une douleur insupportable a irradié dans ma bouche arrachant mes barbillons. Sans réfléchir, j’ai foncé trouver refuge en direction du gros tronc où nous nous tenions habituellement à l’abri. Les premiers mètres ont été faciles. Transcendée par la douleur, j’ai filé à toute vitesse. La suite a été plus pénible, l'espèce

de lien qui me retenait me ralentissait considérablement. E ​ n surpoids depuis quelques temps, je n’arrivais plus à tenir la distance, j’avais du mal à trouver mon second souffle. Cependant, j’approchais de mon abri où je ne manquerais pas de trouver une arête coupante ou un moyen de me dégager de ce lien.

J’avais trop présumé de mes forces, à l’autre bout du fil,, quelque chose, quelqu’un avait décidé de m’imprimer sa volonté. Il fallait changer de tactique, je devais céder à cette force supérieure à la mienne. Mon souffle se faisait court, je me sentais tirée vers la surface. Mes yeux s’exorbitaient, un air brûlant me traversait les branchies. C’est alors que j’ai vu un bipède que mes collègues appelaient : ”homme”. Il se tenait à l’autre bout du piège. J’étais foutue!

De plus en plus docile, domptée, croyait il, je m’approchais du bord.

A le voir hésiter, saisir le grand filet posé à côté de lui, je compris qu’il ne savait que faire.

Il se hasarda dans la rivière ... Erreur de sa part l’eau, c’est mon élément, il venait sur mon terrain.

Il s’approchait maintenant de moi, glissant sur les galets vaseux, tentant de m’emprisonner dans son épuisette.

L’occasion était inespérée.

Rassemblant mes dernières forces, je pris appui sur la partie métallique de son engin et là, j’ai effectué le saut de ma vie (saut “carpé” comme il se doit). Le fil se détendit, l’hameçon se décrocha. Je me retrouvais libre.

Un peu interloquée, lentement, presque majestueusement, d’un dernier coup de queue forcément moins énergique, je regagnais les grands fonds, plantant là mon pêcheur déconfit et désappointé.

De l’argent dans les cheveux, de l’or dans le coeur.

J’étais allé sur place.

A distance puis au pied du rocher. A la jumelle puis à l’oeil nu, j’avais évalué le “projet”.

Il s’y était rendu tout seul et avait fait de même.

Nous y étions revenus ensemble pour confronter nos idées.

De toute évidence, la paroi comportait trois tronçons distincts. Ça devait passer!

La première partie démarrant par un surplomb au rocher stratifié donnait accès à tout un système de cheminées qui nous permettraient de bien avancer.

La suite présentait une grande dalle compacte zébrée en son milieu par une fissure plus ou moins large qu’il faudrait pitonner.

Pour couronner le tout, une série de toits semblait interdire l’accès au sommet. Ça allait passer !

Matin d’avril, matin glacial, nous laissons la voiture à l’extrémité du chemin, les vignes autour sont couvertes de “blanc”, une bise désagréable souffle dans le vallon, nous n’en avons cure: concentrés sur notre objectif nous ne prêtons aucune attention aux aléas climatiques.

Dans la vigne, menant un cheval attelé à une antique charrue, un ancien trace son sillon. Nous le saluons, échangeons quelques banalités sur le temps qu’il fait, le travail de la terre et dans un cliquetis d’échelles et de pitons reprenons notre chemin.

Dans la broussaille compacte et difficilement pénétrable il a fallu créer notre chemin.

Au pied du rocher, nous nous équipons en silence, agençons le matériel. Nul besoin de disserter sur la conduite à tenir: chacun sait ce qu’il a à faire.

Nous attaquons la voie.

Tout est conforme à ce que nous avons imaginé. Une liaison un peu lisse entre deux cheminées nous demande cependant de nous employer un peu.

Au pied du bouclier de dalles, nous établissons un solide mais très inconfortable relai.

L’heure tourne, nous reviendrons pour la suite mercredi prochain. (Si le temps le permet…)

Quatorze jours plus tard: (il a plu la semaine dernière) Alors! C’est encore vous? Il a plu la semaine dernière.

Vous craignez l’humidité?

Le papé est plus loquace que la fois précédente. De notre côté , nous sommes plus enclins à prendre notre temps.

Grâce au chemin tout neuf, l’accès au rocher est ce coup ci, une formalité.

Nous avalons la première partie; dans le pas clé, le jeté est beaucoup moins aléatoire que la fois précédente.

Dans la grande dalle qui suit, la fissure a tendance à s’évaser et s'avère plus difficile à protéger que prévu.

Cet épisode périlleux va mettre nos nerfs à rude épreuve. Extenués, pendouillants sous les toits, nous remettons la touche finale à une date ultérieure.

---------------------------------Tu vois là haut, ces deux types, mon bon Bijou (Bijou c’est le cheval.) ils s’escriment, jouent à se faire peur: qu’est ce qu’elles leur ont fait les montagnes et puis c’est pas pour dire mais… Y a un chemin derrière!

--------------------------------Dernier assaut! Assaut final?

Le papé qui s'habitue à notre présence est maintenant chaleureux. Eh bien vous sortez aujourd’hui?

Voilà maintenant une bonne heure que nous butons sous ce satané toit.

Tentative à gauche.

Changement de grimpeur.

Exploration à droite, petite chute qui entraîne une montée d’adrénaline.

Re Tentative à gauche: échec.

A droite c’est sans doute possible et puis, y a une lunule et du pied.

Essai, jeté, “ ptain je vais me la mettre!”, petite écaille (salvatrice?)

Gagner quelques centimètres, bénitier, pose de coinceur … une série de dalles faciles mènent au sommet.

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Regarde “Bijou”! Ils font toujours comme ça, le grand avec l’accent gascon, il avance, réfléchit et quand il bute, il envoie l’autre, le “sanglier” qui va se démener déployer une énergie pas possible et tenter le coup, quand ça marche, ça débloque la situation et ils continuent d’avancer. Tu vois, ils sont arrivés en haut et ne vont pas tarder à repasser par ici.

---------------------------------Vous avez terminé? Alors on se revoit plus? Ca a fait de l’animation pendant quelques jours. Il ne passe pas grand monde par ici. Allez les acrobates, à une autre fois!

A la voiture … Attends je reviens!

Oh! Papé! Vous savez comment on va l’appeler cette voie?

On a pensé à vous et à votre “Bijou”.

L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux... peut être? (Cinéphile l’ancien!)

Murmurait, murmurait, n’exagérons rien.

Plus sobrement ça sera “l'ancêtre” ainsi on pensera à vous.

“La douleur passe, la beauté reste.”

J’étais rentré dans un sale état: deux ans de douleurs continuelles, de jour comme de nuit, je ne pouvais quasiment plus marcher.

L’installation sur la table de radiographie avait été un véritable calvaire.

L’infirmière un peu tendue m’avait préparé: le professeur n’aime pas l’à peu près.

L’interne un peu déçu de ne pas participer à l’opération de demain avait répondu à toutes mes questions et inconsciemment mimé l’intervention à venir.

Dans l’antichambre du bloc, l’ambiance était étrange, certains geignaient, se lamentaient. Je les méprisais un peu, moi qui attendait impatiemment ce moment, bourré de confiance, d'enthousiasme et d’envie.

Un anesthésiste jovial avait eu toutes les peines du monde à m’endormir.

A mon réveil, le professeur était là, attentif, pédagogue.

Il m’a tout expliqué: l’opération bien sûr mais aussi les suites de l’intervention, et l’importance de mon implication pour un retour à une vie normale.

La première chose que j’ai ressenti, c’est que je n’avais plus mal, c'était fabuleux.

Je me retrouvais dans ma chambre avec des perfusions dans les bras, des drains dans la cuisse et un programme de mobilisation de l’articulation dès le premier jour.

L'infirmière chef m’avait installé une PCA (pompe à morphine) que je m’étais promis de ne pas utiliser.

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Avec des clients comme ça, même lorsqu’on est pompe à morphine de haut niveau, on s’endort, on s’amollit ,on s'empâte.

Alors Mani (le petit fils) est arrivé.

Par jeu, il m’a actionné … 13 fois, je n’en pouvais plus, c’était épuisant. Heureusement ce n’était pas dangereux, Ana avait effectué les calculs et la dose demandée était tout à fait acceptable.

Par contre mon patient allait dans les minutes qui allaient suivre, perdre son sommeil, être surexcité comme une puce et accessoirement constipé comme une bête.

Si on arrête de pédaler tout s'arrête et on tombe.

Dans ce paysage semi aride de chênes verts, genêts scorpion et genévriers cades, je détonne un peu avec ma robe acajou foncé aux poils longs et frisés, et mes fines cornes en forme de lyre. Vous m’avez reconnue, je suis une “salers”. J’ai la réputation d’être très rustique, peu exigeante et de m’adapter facilement aux variations de températures: Tout un ensemble de qualités qui explique ma présence en ces terres à moutons.

--------------------------------Montés sur leurs vélos, il faut bien le dire un peu “vintages”, nos deux retraités, pédalant à bonne allure certes mais papotant ,échangeant et refaisant le monde, s’étaient échauffés sur la trentaine de kilomètres qui les menaient au pied du col.

--------------------------------On dit que j’ai l’air d’une vache qui regarde passer le train, c’est très vexant de dire ceci. Oui j’ai un regard bovin, mais si vous étiez à ma place, posée au milieu d’un champ avec pour seule mission de brouter pour s’engraisser, vous feriez quoi? Vous regarderiez devant vous et comme moi vous seriez en contemplation devant la face nord du Pic St Loup qui se dresse de l’autre côté du plateau.

(Je tiens à préciser qu’il ne passe ici ni locomotive ni TGV.) --------------------------------Les quelques kilomètres de côte raide, agrémentés de lacets serrés ont été rudes. Devenus mutiques depuis le début de la montée, nos deux ex-sportifs sont parvenus à leur rythme en haut du col. Sans prendre la moindre pause, ils se lancent dans la pente.

- Putain une vache! Tu as vu comme elle est belle?

--------------------------------Cet espèce de balourd n’évoque malheureusement pas mes mensurations de rêve: un mètre quarante au garrot pour cinq cents kilos de muscles ou mon pelage rouge et frisé bien entretenu. Non, il évalue la viande sur pied. Ce qu’il trouve beau c’est l’idée de tailler sur moi, biftecks, bavettes ou autre jarret.

--------------------------------Plongeant à grande vitesse dans la pente, nos cyclistes sont happés par la beauté du paysage qui s’offre à eux: le Pic avec son éclairage matinal mettant en valeurs éperons et couloirs est magnifique. Le “géant des garrigues” comme ils disent dans les dépliants touristiques émerge d’une légère couche de nuages payant nos retraités des efforts de la montée.

--------------------------------J’aimerais tout de même qu’on m’explique pourquoi, alors qu’ils regardent le même paysage que mézigue avec les yeux de l’amour, on dit d’eux qu’ils ont l’air émerveillés alors qu’on débine sur moi et mon air absent et stupide?

Les oiseaux se cachent pour mourir Il avait laissé sa voiture au “pont des Brebis”, avait vérifié une dernière fois le contenu de son sac à dos

comme s’il voulait gagner du temps. Il était à deux doigts de renoncer. Etait-il capable de se lancer tout seul sur les traces d’un passé récent qui le hantait?

Finalement, il s’était engagé sur le chemin du refuge.

Trois ans déjà, rien n’avait changé.

Jusqu’à 2800 m, facilement, su ​ ivant les lacets, il s’était élevé jusqu'à une zone d'éboulis et de névés. Au delà, tirant vers le SW la pente se redressait progressivement.

Trois ans déjà ...

En haut de la zone neigeuse plusieurs solutions s’offraient à lui.

Trois ans déjà, c’est là que tout a merdé.

A gauche, s’ouvrait une pente d'éboulis,engageante mais instable.

Trois ans déjà…

Sur la droite, et c’était évident par beau temps, il fallait par quelques pas d’escalade sur l'arête rejoindre le c​hemin à nouveau balisé.

Il le voyait maintenant, vers le col du Bec, ce bâton qui d’après le gardien servait de repère pour atteindre sans encombre​ ​la vire Amieux .

Heureusement pour lui qui craignait le vide, la vire était sèche, un solide câble constituait une rassurante main courante. Tout au bout, le glacier du Bec de l’Homme montait vers le refuge, la trace était bonne, bien

marquée, le glacier s’avérait peu pentu et dépourvu de crevasses. Sans encombre, Il passait maintenant sous le bec de l’Aigle, le refuge lui tendait les bras.

------------------------------Pas grand monde en cette fin de saison!

Calé entre deux cailloux, j’observe à la jumelle un de mes rare client de la journée. Au téléphone, il avait l’air déterminé, mais là, je le trouve particulièrement hésitant, il m’a raconté qu’il venait au refuge comme en pèlerinage mais ne m’en a pas dit plus...

Même si certains considèrent l'accès au refuge comme une petite course, le cheminement est débonnaire jusqu’à l'arête où il faut avoir un peu de sens montagnard pour “sentir” le passage.

Un autre itinéraire est possible, à gauche dans les éboulis mais il se transforme vite en coupe gorge.

D’ailleurs, il y a quelques années, trois ans je crois,trois ans déjà…

Deux montagnards ont eu un accident: le plus vieux d’entre eux, entraîné par le poids de son sac a chuté, ricoché de pierre en pierre sur quelques centaines de mètres.

Quand les secours sont arrivés, il était dans un sale état. Le PGHM n’a rien pu faire, il est mort à l'hôpital ...

Mon client vient de passer l'arête, il ne me semble pas très assuré, il a de la chance que sur la vire, tout ait fondu.

Je vais filer au refuge préparer l’accueil, j’attends aussi une japonaise et mon neveu qui lui sert de guide. Ils viennent de faire la Meije. Demain, lorsqu’ils rejoindront la vallée, je leur demanderai de descendre avec ce “gazier”, ce sera plus sûr, je serai ainsi plus rassuré.

L'indispensable cohésion.

C’est le moment, faut y aller, des bruits froids traversent la nuit. Pas besoin de phrases ni de longs discours.

C’est parti, épaule contre épaule pour se donner du coeur au ventre, même respiration, même pas, même rythme. Malgré tout, je sais que la peur, la trouille malodorante nous envahit. Certains jurent, nous abreuvant d’expressions colorées, d’autres prient, d’autres se taisent, pâles, prêts à vomir.

Surtout, rester froid, ne pas craquer, ça va bien se passer. Je suis prêt et je sais que dès les premiers instants, l’adrénaline libérée me permettra d’oublier ma peur.

Je regarde autour de moi, tous les visages sont fermés, si j’avais été seul, je crois que je me serais enfui comme un lâche.

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Je surveille le nouveau du coin de l’oeil, visiblement c’est son baptême du feu, je me revois dans la même situation, j’avais vomi mes tripes ensuite je m’étais ressaisi et tout s’était bien passé. Bien qu’il soit blanc comme un linge, il a l’air de prendre sur lui, j’espère qu’il ne nous fera pas faux bond.

Je me souviens de ces matins d’hiver.

Bien reposé par un coucher plus que vespéral, je me lève à 4h; la maison plongée dans l’obscurité est silencieuse. L’esprit clair, je me mets au travail. La correction des cahiers me permet d’avoir un retour sur le travail de la veille. Un rapide coup d’oeil sur l’emploi du temps, les progressions et j’entrevois la trame de mon travail quotidien. Un jour de classe est comme un ballet bien réglé. L’introduction bien travaillée va donner le ton de la journée: si le prologue est réussi, tout va s'enchaîner comme prévu, sans anicroche.

Aujourd’hui, l’accent sera mis sur la grammaire: l’attribut du sujet puis sur la géométrie: travail au compas . Dans l’après midi nous lirons un texte mythologique et je ferai porter l’attention des élèves sur les exagérations poétiques: technique qui pourra être réinvestie en expression écrite. Nous finirons par du sport: une série d’éducatif rugby.

Ca va être une suite harmonieuse de belles séquences.

J’ai les idées claires.

Pour la forme (ça me rassure), je couche sur papier les articulations des différentes leçons et les exercices que les élèves vont devoir exécuter.

Je sors prendre la température, un froid sec pique la peau, je rentre prendre ma douche et m’habille en fonction du temps, ce matin, les gants ne seront pas un luxe.

Je bourre cahiers et documents dans mon sac à dos, sors le vélo et me mets en route. Pas de vent, le jour est bien levé, je peux partir.

Petite côte, descente, petite côte, traversée de la route principale de plus en plus fréquentée, faux plat descendant, courte remontée sur le village, descente souvent verglacée, il ne faut pas relâcher l’attention.

Aujourd’hui les bords de fossés sont tapissés de barbaste. C’est fini, je ne vois plus le paysage, je repasse mentalement le programme du jour.

Dans une demi heure le spectacle va commencer, je suis dans la situation d’un acteur qui va monter sur scène, d’un taureau qui va pénétrer dans l'arène ou d’un combattant allant au feu: mélange excitant de trac et de volonté d’en découdre.

Fin du parcours, j’ouvre la lourde porte de l’école, gare mon vélo, ouvre les fenêtres et prépare le tableau: je suis prêt.

Etienne Bailly propriétaire du mas d’Arcay et des plaines qui l’entoure. “ Tiens, le voilà, toujours à l’heure toujours sur son vélo quel que soit le temps. Il a eu mon fils en classe, il a eu aussi le jeune Guilhem qui à quelques centaines de mètres de là, emmitouflé comme un ours polaire taille ses vignes. Maintenant il travaille à St Hilaire où il va finir sa carrière, je suis près de la route, mais il ne m’a pas vu sinon, il m’aurait salué, il a l’air préoccupé, ne regarde pas autour de lui.

Il parle seul.

Il est un peu bizarre le maître.