On y entendait le rire des enfants.

On y entendait le cri des enfants.

A et L Snoeck-T Tingaud- EJ PAUL

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“Depuis ce jour funeste d'août 92, j’ai marché, guidé par le destin, vers un lieu et des personnes qui m’attendaient peut-être. Je suis persuadé que les coïncidences n’existent pas !”

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Chapitre 1 * *

*

Publicité mensongère.

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Si on m'avait demandé pourquoi je m’étais inscrit auprès de cette agence de voyage plutôt glauque, pourquoi j’avais souhaité me rendre dans ce type d'endroit, je crois que j’aurais eu du mal à répondre.

Un peu mal à l’aise avec ma conscience, je me disais que ce genre de tourisme, qualifié de noir, était un phénomène qui existait depuis déjà longtemps.

Ne visitons nous pas Pompéï sans nous poser la moindre question?

Je me sentais attiré par ces lieux de désolation sans que je puisse avec certitude en donner la raison.

Aux Etats Unis je m’étais rendu à La Nouvelle-Orléans ravagée par l'ouragan Katrina, je m’étais ensuite délecté de la visite des villes fantômes abandonnées après la ruée vers l’or.

Avant de quitter New York je n’avais pas manqué Ground zero site des attentats du 11 septembre 2001.

Particulièrement fasciné par la deuxième guerre mondiale, je m’étais rendu au camp d'Auschwitz et avais passé un week end

complet à

photographier les ruines du village-martyr d'Oradour-sur-Glane, Sans chercher à me justifier sur cette passion malsaine, je me disais que ces excursions sur les lieux où la cruauté humaine avait été à son paroxysme me permettaient sans doute d’approcher ce qui m’inquiétait le plus, que je redoutais, que je comprenais le moins: la mort. ***** 4

“Chauffeur qualifié et véhicule confortable (climatisation, wifi, TV).”

Telle était l’annonce parue sur le net.

Sur le parking du Dnipro Hotel, la réalité était toute autre: un fourgon russe UAZ-452 était garé en épi.

Ce van militaire et civil produit depuis 1965 dans l’ex URSS était réputé indestructible, infatigable, immortel même.

Confortable, fallait voir !

Vu les prix imbattables proposés pour cette visite insolite, j’aurais dû me méfier. ***** Battant la semelle, un petit groupe patientait près de cette vénérable antiquité.

Quatre personnages, tous vêtus de vestes à manches longues, de pantalons d’inspiration militaire serrés aux chevilles et de chaussures de marche montantes, s’étaient pliés aux règles vestimentaires imposées, l’air morose, ils n’attendaient plus que moi.

Voulant briser la glace, je m’avançais, main tendue.

- Moi, c’est Viktor. Viktor avec un K, je trouve ça plus classe.”

- Goran! Me dit le plus âgé du groupe.

C'était un homme d’une soixantaine d’années, bâti en athlète. Son regard gris acier vous transperçait jusqu’au tréfond de l'âme, un rictus amer plissait sa bouche ourlée de lèvres fines. Sous son battle dress, sa chemise noire était munie d’un col romain: attribut étrange pour un homme qu’on imaginait sans trop d’efforts sur un champ de bataille.

- Je suis Irina et mon compagnon c’est Igor!

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Presque timidement un petit homme à la poignée de main molle s’approcha: - Sergueï! Je suis Ukrainien.

- Je vois que le groupe est complet! Moi, c’est Anton, votre guide.

Le français impeccable et le ton enjoué de notre mentor gommaient un peu l’impression détestable laissée par la découverte du véhicule à notre disposition.

- Chers amis, je vais vous demander vos passeports. Ils vous seront restitués à la fin de la visite.

Irina! Comme prévu vous me donnerez aussi l’autorisation nécessaire à l'utilisation de votre drone.

Installez vous dans mon carrosse et en route pour la zone d’exclusion!

D’autorité Goran prit place devant à côté du chauffeur pendant que nos russes s’assirent derrière sur la banquette. Ne restaient pour Serguei et moi que les inconfortables strapontins du fond.

Sitôt la dernière portière claquée, le véhicule pétarada, toussota et s’élança sur la route bitumée au milieu d’un épais nuage de fumée.

Irina ne fut pas longue à ouvrir son petit sac de sport et entreprit impudiquement de se changer dans le van. Elle remplaça veste, pantalons et gros godillots par une mini-jupe plissée et un top du meilleur effet; gaina ses longues jambes de bas noirs et pour parachever l’ensemble enfila une paire de ballerines à talons plats.

Dans l’habitacle, on aurait entendu une mouche voler.

Notre guide chargé par l’administration ukrainienne de faire respecter l’orthodoxie vestimentaire n’avait rien vu et … ne verrait rien, Igor venait

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de lui glisser dans la poche de poitrine un “petit” billet de cent dollars plié en quatre.

Je devais faire une drôle de tête car tout sourire dehors, la belle m’interpella : - Ne sois pas étonné, français! je mets ma tenue de scène.

C’est ainsi que, passé cet interlude, notre groupe hétéroclite prit la direction de la ville fantôme de Pripiat, évacuée en 1986 au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl.

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Chapitre 2 * *

*

Tcherno Land.

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Il n’avait pas fallu deux heures à notre vénérable fourgon (une véritable bête de course!) pour parvenir au point de contrôle Dytiatky: entrée principale de la zone.

Des deux côtés de la route ce n’étaient que troncs de hêtres centenaires calcinés, pins brûlés et abattus. La nature qui tentait désespérément de renaître de la catastrophe déployait ses fougères vert émeraude autour des squelettes d’arbres noircis.

Selon Kiev, le désastre n’avait pas provoqué de hausse de la radioactivité.

Malgré ces optimistes déclarations gouvernementales, le compteur Geiger posé sur le siège passager s’affola, bipant à tout va.

Anton coupa le son du détecteur et détourna l’attention en racontant l’accident de Tchernobyl.

Il hurlait pour couvrir le bruit du moteur, évoquant: la mauvaise manipulation, l’explosion du réacteur n°4, l’épais nuage radioactif qui s’était propagé dans le ciel.

Il prenait un malin plaisir à critiquer la gestion de l’accident par l’URSS, l’évacuation tardive de la zone et la lenteur de réaction des autorités de l’époque.

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Arrivé devant un foisonnement d’immenses antennes métalliques, rouillées et délabrées, notre guide coupa le contact et nous invita à descendre. A quelques centaines de mètres, au milieu d’une clairière, s’érigeait une étrange construction , nous suivîmes Aton, foulant le tapis de feuilles mortes de nos gros godillots. Irina, légère et court vêtue, fermait la marche, pensive.

Prenant des airs de comploteur, notre accompagnateur baissa la voix comme s’il voulait révéler un secret.

— Vous êtes devant le "Pic-vert russe": l'antenne militaire secrète Duga-1.

Ce bouclier antimissile était destiné à détecter une éventuelle attaque américaine mais aussi à brouiller les émissions des stations radios européennes.

Une petite armée d'agents, à la demande d’un pouvoir paranoïaque, écoutait, bloquait et censurait à longueur de journée ce qui pouvait se dire en occident.

Dans le bunker souterrain que nous ne visiterons pas, des militaires se tenaient prêts à riposter aux attaques que les salauds de capitalistes ne manqueraient pas de déclencher contre l’Union.

Goran dubitatif marmonnait dans sa barbe: il était question de guerre froide, bloc de l’Est, chute du mur...

Sergueï l’ukrainien, mutique, le visage ravagé, contemplait mélancolique les vestiges rouillés de cette époque révolue.

Le couple russe n’avait visiblement que faire des explications du guide, ils faisaient partie de cette génération capable de se faire photographier 10

tout sourire dehors à l’entrée d’un camp de concentration ou de prendre des poses alanguies sur le pont de Vukovar.

Sans prévenir Irina s’était élancée, souple, aérienne, insensible au vide et au vertige elle avait, sans la moindre protection, escaladé la plus haute des antennes mitraillée par son compagnon admiratif.

Peu affectée par la hauteur elle marquait parfois l'arrêt prenant des poses, il faut bien l’avouer artistiques et terriblement photogéniques.

Nous avions repris notre périple à travers les artères désertes de la ville.

Au hasard des rues… et du parcours concocté par Anton, nous marchions au milieu des ruines et gravats, vestiges de la peur panique provoquée par l’évacuation brutale des lieux.

Parmi les décombres beaucoup d’objets improbables avaient été abandonnés, laissés dans la précipitation.

Un ours en peluche déchiqueté, équipé d’un masque à gaz trônait à l’entrée d’une crèche désaffectée.

- “Mise en scène macabre” me soufflait mon mauvais esprit!

A l’écart du groupe, Serguei effondré pleurait à chaudes larmes.

— Et maintenant, le clou de la visite, le symbole de la ville de Pripiat, la grande Grande roue et son parc d’attraction. Le spectacle de ce manège au milieu des immeubles éventrés vaut assurément la photo.

Igor! Vous pouvez lancer votre drone.

Comme on pouvait s’y attendre, sa compagne a gravi l’attraction à la force des poignets, filmée à bout touchant par l’appareil vrombissant.

Elle évoluait au milieu de ce mélange de ferraille et de plexiglass, céleste et éthérée comme une elfe dans sa forêt magique.

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En équilibre sur une traverse métallique, suspendue dans le vide par un bras ou accrochée sous une nacelle du manège, elle adoptait des positions et attitudes particulièrement affectées.

- Были выключены! Вы можете вернуться! (On file! Tu peux redescendre!)

Alors qu’elle s’approchait du sol, une prise, misérable bout de fer rouillé, cassa. Étonnamment rapide pour un homme de son âge, Goran se mit en parade lui évitant une brutale arrivée au sol.

- Mille mercis, mon père!

Je peux vous dire mon père n’est ce pas?

Dès notre prise de contact, j’ai été intriguée par ce col romain visible sous votre veste, c’est assez peu courant par ici. Nous serions à Rome cela ne m’aurait pas interpellée mais avouez que ce type de signe religieux est ici particulièrement improbable.

Ceci dit, vous ne manquez pas de réflexes.

Je me garderai de vous questionner sur votre présence ici mais permettez moi de m’interroger sur votre personnage.

— Faites chère amie.

— Vous êtes catholique? Sans doute Croate d’origine?

— Vous êtes vraiment perspicace.

— Votre tatouage!

Je n’imaginais pas que l’église de Rome permettait à ses prêtres d’exhiber sur leurs mains ce genre de signes.

Goran esquissa un sourire équivoque et ne répondit pas.

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Cette petite sous ses airs de fille superficielle était vraiment une “fine mouche”.

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Chapitre 3 * *

*

Putain de camion!

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Les avenues désolées, les immeubles aux murs effondrés, tout ce chaos donnait une idée assez précise de l’ampleur du désastre.

Nous marchions en silence au milieu de meubles disloqués, de matelas éventrés.

Pénétrant dans une ancienne salle de classe aux vitres éclatées, je tombais sur un tag “no future” tracé à la bombe sur le vénérable tableau noir.

Perdus dans nos pensées nous ne voyions pas le temps passer, le décor dans lequel nous cheminions nous faisait remonter dans le temps; le temps béni de l’Ex URSS. Il y avait maintenant plus de 30 ans que le réacteur n°4 de la centrale nucléaire, devenu incontrôlable, avait déclenché la catastrophe.

Les habitants avaient évacué la ville, emmenant avec eux le minimum, ils pensaient qu'ils reviendraient dans quelques jours.

Malgré le passage des pillards, nombre d'objets témoignaient encore de la vie d’ autrefois, ces lieux étaient restés incroyablement figés dans le temps. Les secteurs que nous parcourions, abandonnés du jour au lendemain, étaient dans un état de délabrement avancé, certains au bord de l'effondrement.

En l'absence de toute activité humaine, la nature avait repris ses droits et la végétation s'était étendue à travers les structures abandonnées.

Dans le lointain, une sirène retentit.

- Le checkpoint ferme dans une heure, il ne faut plus s’attarder dit notre guide en se retournant.

Moi seul était sur ses basques.

Où étaient-ils donc passés?

Tout près d’ici, assis sur un tas de gravats, le regard fixé sur une maison des plus banales, Sergueï semblait au bord du désespoir.

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Quelques rues plus loin, un bourdonnement régulier nous apprit que les deux russes se trouvaient à proximité: il suffisait de lever la tête, la jeune athlète devait traîner sur les toits.

A genoux devant l’entrée de l’ancien stade, Goran priait, chargé de toute la misère du monde.

- Rassemblement! Sbor! Rassemblement! brailla Anton à pleins poumons.

Enfin réunis, nous nous entassâmes dans le UAZ .

Notre guide mit le contact.

La radio inonda instantanément l’habitacle d’une musique sirupeuse. Les voyants clignotèrent.

Il tourna la clé.

Rien…

Gêné il se tourna vers nous: - Petit incident, rien de grave.

Il descendit, ouvrit le capot, brancha et rebrancha quelques fils.

Sûr de lui, il reprit sa place au volant.

Toujours rien...

La sirène plus puissante cette fois ulula à nouveau: c’était le dernier appel avant la fermeture du point de contrôle.

- Le poste va fermer, nous n’avons plus le choix, il faut rester ici.

Il semblait prendre la chose avec philosophie. Était-il coutumier du fait?

Son véhicule hors d'âge lui avait-il déjà fait faux bond?

Mes compagnons de voyage restèrent de marbre, ne laissant transparaître aucun sentiment.

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Fataliste, je me disais que cet imprévu ne pouvait que m'être favorable.

N’étais je pas venu en ces lieux à la recherche de sensations fortes.

- Installons nous dans la piscine municipale, ce n’est pas le lieu le plus glamour pour une nuit en Ukraine mais nous y serons à l’abri.

Venez m’aider, j’ai dans le coffre tout un kit de survie: couverture, vivres, pharmacie, lampe de tempête et … valise de secours.

- Tu veux dire: balise.

- Non, rétorqua t il hilare en ouvrant une “samsonite” qui avait connu des jours meilleurs: la valise de taille respectable était remplie de bouteilles: Nastoiki, Gorilka et surtout vodka aux herbes des steppes.

- Il parait que c’est radical contre les radiations.

J’aménage le campement, visitez les lieux, les bassins, le grand plongeoir, vous ne manquerez pas d'être surpris…

En peu de temps il construisit un petit nid douillet. Ce guide était vraiment une “perle”.

Pendant qu’Anton s’activait, nous furetions chacun de notre côté à la recherche de vestiges insolites ou d'images spectaculaires.

- Иди скорей! beugla Igor de sa voix de basse. (venez vite!)

Au bord de la ligne de nage, le Russe se tenait à quatre pattes sur le carrelage, il fixait le fond du bassin, vide d’eau depuis des années.

En nous agglutinant derrière lui, nous comprîmes instantanément l’objet de son appel.

Au pied du tremplin, le corps disloqué de Goran gisait dans une mare de sang.

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Chapitre 4 * *

*

Vodka!

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Sonnés, nous nous tenions autour du Russe, les bras ballants,ne sachant que faire devant cette situation pour le moins inattendue. Igor, passé le choc s’était bien ressaisi. A ses côtés, Irina restait impassible, froide comme un nez de chien. Serguei et Anton qui connaissaient parfaitement le pays et les usages locaux pressentaient une foule d’ “emmerdements”, il y aurait enquête, il faudrait se justifier , rendre des comptes et cela allait être, pour tous, une rude épreuve face à la bureaucratie et la police locale.

Je faisais des efforts pour faire bonne figure, prenant un air détaché.

Je fus tout de même le premier à réagir.

— Qu’est ce qu’on fait maintenant criai-je d’une voix suraiguë?

— On n’a pas trop le choix, on laisse le corps dans la piscine, surtout on ne touche à rien, il ne s’échappera pas. Rétorqua Anton toujours très pragmatique.

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Bien que je n’y crois pas, nous risquons de voir arriver une patrouille, étonnée de ne pas nous avoir vu quitter le site.

— Je ne pense pas qu’ils s’en donnent la peine, peu pressés de faire du zèle, les miliciens préfèreront passer la soirée chez eux plutôt que de venir traîner dans cette zone à la recherche de touristes imprudents dont ils se moquent comme d’une guigne.

— Quoiqu’il en soit, demain à l’aube je réparerai le camion et on filera vers le poste de police le plus proche.

Sur ces bonnes paroles, il s’envoya une rasade de vodka capable d’assommer un mammouth et tendit la flasque à sa voisine qui, après l’avoir imité, fit tourner la bouteille.

- Arrêtez de me regarder comme ça larmoya Serguei . C’est vrai que mon attitude depuis ce matin peut vous paraître étrange mais je ne suis pas un assassin et n’ai rien à voir dans cette affaire.

Dans les années 80, je vivais à Pripiat avec ma famille dans un immeuble de l’allée Khreshchatyk, celui devant lequel nous nous sommes arrêtés lors de la visite. C'est la première fois que je reviens ici, depuis la catastrophe nucléaire. Chaque étape de ce pèlerinage a fait remonter en moi les souvenirs de moments de bonheur que je ne connaîtrai plus jamais.

La bouteille était vide, mécaniquement Aton en a puisé une autre dans sa valise pharmacie.

— La forêt que nous avons traversé, c’était celle de mon enfance où le dimanche, en famille, nous nous promenions à la recherche de champignons; le lunapark détruit c’était le chantier que je voyais de la fenêtre de ma chambre.

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Nous avons aussi parcouru ma rue, celle où je jouais en ces temps heureux avec mes camarades.

Vous comprendrez, je l’espère, que je puisse être retourné par mon retour en ces lieux.

Il devenait nécessaire d’ouvrir une autre vodka.

— Mon père travaillait pour le ministère de la défense, au fameux Pic vert que nous avons visité, il a immédiatement été réquisitionné pour faire le pompier, avec ses camarades.

Equipés de protections sommaires, ils devaient nettoyer la zone. Exposé aux intenses radiations, il est mort très rapidement.

Ma mère et moi, avons avec les autres habitants été évacués vers la capitale et logés dans un quartier ouvrier très chaleureux. Les gens étaient très prévenants avec nous, ils nous aidaient.

Quelques mois après notre installation, ma mère a été emportée par une leucémie foudroyante.

Les cadavres de bouteilles commençaient à s’amonceler sur le sol.

— J’ai eu de la chance dans mon malheur: adopté par une riche famille, j’ai été envoyé à Paris pour changer d’air et faire mes études. Revenu au pays j’ai obtenu un poste à l’université de Kiev.

Lui pourtant très réservé haussa le ton: Ce n’est pas parce que je passe mon temps à ruminer ma nostalgie que je ne regarde pas autour de moi, depuis le début, je vous épie tous et c’est très instructif.

Au pied de la roue, Irina, tu as parlé à celui qui repose maintenant sur le fond de la piscine.

Tu avais l’air de le connaître.

Peut-être partagiez vous ensemble un secret?

— Détrompe toi cher professeur, je ne l’avais jamais vu jusqu’à ce jour mais je suis moi aussi très observatrice.

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J’avais comme vous tous remarqué son col de prêtre catholique. Comme il avait un nom courant dans les Balkans, j’en ai conclu qu’il était Croate.

D’autant plus que ses mains étaient couvertes de tatouages de grenades stylisées, emblème des oustachis. Je me suis donc contentée de lui signaler que ce genre d’usage n’était pas très courant chez les curés.

Voilà l’explication de ce qui semble te chagriner.

Un puissant ronflement interrompit sa démonstration.

Serguei épuisé par sa confession s’était assoupi, Igor qui semblait pourtant coutumier de soirées alcoolisées, dodelinait.

Il était temps de dormir, de mettre fin à cette terrible journée et de plonger dans un sommeil sans rêves à proximité du corps froid de Goran.

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Chapitre 5 * *

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Skywalking.

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Matin glauque, matin lugubre, matin de lendemain de cuite.

Les mines étaient sombres, les yeux bouffis, les bouches sèches et les haleines chargées.

Anton, muni d’un tournevis et d’une clé anglaise était parti plein de certitudes réparer le van.

- Je n’en ai pas pour longtemps! Avait-il crié à la cantonade.

Sans remettre en cause ses compétences mécaniques, nous commençions à fortement douter de sa capacité à réparer son engin en fin de vie. Évitant le bassin et son hôte. Nous nous activâmes: il fallait trouver un endroit retiré pour satisfaire nos besoins naturels, faire une toilette sommaire avec l’eau des jerricans que nous n’avions pas entamée la veille et tenter de confectionner un mauvais café sur le réchaud de camping de notre guide.

Quelques heures plus tard, nous n’avions toujours pas de nouvelles de notre optimiste mécanicien et de sa réparation.

En cette heure avancée de la matinée, notre absence au checkpoint n’avait intrigué personne, aucune patrouille n’avait montré le bout de son nez; à croire que notre absence n’avait déclenché ni interrogation ni inquiétude chez ceux qui géraient la sécurité de la zone .

Irina, sa toilette terminée, avait sorti, pour passer, le temps une série de ses meilleurs clichés, ceux qui avaient fait sa réputation sur la toile.

Nous avions parmi nous une star des réseaux sociaux.

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Irina Shapochnikova n’était pas une fille comme les autres, nous avions pu le constater de nos propres yeux.

Elle s’était spécialisée dans les clichés hors normes d’équilibres sur les tabliers de ponts, de figures acrobatiques aux sommets de gratte-ciels.

Ses poses esthétiques en haut de grues ou ses selfies sur l’épaule de statue ravissant ses followers.

Sur les photos qu’elle étalait avec complaisance sur le carrelage de l’ex piscine olympique, on la voyait jouer avec les lois de la gravité et affronter le vide sans la moindre protection. Ces incroyables photos vertigineuses, preuves d’un narcissisme certain, la mettaient en scène depuis les plus hauts édifices du monde Igor débarqua l’air contrarié, la mine mauvaise. Ce matin, rien ne tournait rond, il s’était réveillé avec une magistrale gueule de bois, n’avait pas trouvé suffisamment d’eau pour sa toilette et comble du comble les batteries de son drone étaient toutes déchargées.

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Chapitre 6 * *

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Violente dispute.

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C’est bien connu, les soirées de beuverie soudent les groupes et resserrent les liens, la fraternité de la cuite n’est pas une légende.

Irina en veine de confidence, le regard perdu nous a alors raconté Igor.

- Mon ami et protecteur est un novaritch.

C’est ainsi que l’on nomme les nouveaux riches de l’ex-Union soviétique et leur fortune rapide.

Dans les années 90, son père a racheté des parts d’entreprises pétrolières d'État en Russie.

Ces nouvelles sociétés privatisées, ont prospéré.

Amoureux de la France, il a investi massivement sur la Côte d'Azur, un des lieux dans le monde où les milliardaires doivent se montrer.

Cet oligarque très complexé, comme tous ceux qui

ont souffert des

frustrations du communisme, a d’abord acquis une belle propriété, entre les trois Caps (Antibes, Ferrat, Martin) puis investi dans l’immobilier sur la french Riviera.

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Je ne vous cache pas que des soupçons de blanchiment d’argent planent autour de ces affaires.

Igor, avec qui je réside, a repris la suite des activités de son paternel.

En France, il fréquente la communauté russe se déplaçant de Courchevel au Cap Martin où, pour frimer, ils déversent à la pelle leur argent facilement obtenu.

Avec moi, mon amoureux sait se montrer délicat, raffiné et prévenant mais c’est un être excessif qui, quand il a bu, peut se révéler brutal et grossier.

Igor qui n’avait pas saisi toute la conversation s’approcha.

— Все хорошо мой ангел? (Tout va bien mon ange? ) — Показываю им наши фото. (Je leur montre nos photos.)

— Это мой голубчик. (C’est bien ma petite colombe. ) Se montrant très affectueux —Ты такая красивая! (Que tu es belle! ) Il a observé, les clichés d’un air amoureux, énumérant les lieux des prises de vues: la Tour de la Défense, Kuala Lumpur, Singapour... Irina rêveuse acquiescait... que de bons souvenirs.

Notre oligarque, soudain intrigué, s'arrêta sur une série de photos de sa compagne tout sourire, sur le pont à haubans de Zhivopisny. En plein centre de Moscou, la jeune femme posait allongée à plus de cent mètres au sommet de l’arc tout de poutrelles et de cables. Dans une attitude des 30

plus équivoque, elle tendait lascivement les bras au photographe posté au-dessus d’elle.

— Qui a pris cette photo?

— Le mois dernier, tu passais un week end à Odessa; je n’ai pas pu résister à l’appel du vide, Dimitri m’a suivie et m’a shootée — Tu ne vas pas garder ces photos?

— Bien sûr que oui!

— “Девчонкой!” ( Pétasse!)

— “Повтори это дерьмо про деньги еще разок, дитятко!” (Répète ça couille molle!)

—“Треска́! “ (Morue!)

L’atmosphère devenait électrique Sergueï et moi, gênés, regardions le bout de nos chaussures.

Igor hors de lui amorça une fausse sortie et revint à la charge.

— Tu vas arrêter de voir Dimitri?

Vu le ton de sa voix, il commençait à perdre patience.

Roulant des yeux et des rrr, il insulta à nouveau copieusement sa compagne.

Je n’osais, vu le climat délétère voire siberien qui régnait en ces lieux, leur demander de se calmer; je craignais aussi, je dois bien l’avouer, de prendre un “pain”, vu l’état d’excitation du monsieur.

Lâchement, Sergueï et moi, nous taisions de peur d’assister à un sanglant pugilat.

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Comme une furie il fila vers la sortie — “Дерьмо, которое меня бесит ты забыл истинное петля! “( Merde tu me gonfles) “нам придется переделать вот так чтобы вернуть веревку!” (Je me casse) “ блядь!” (Putain!)

- C'est ça file aider le guide, pour une fois, tu serviras à quelque chose!

Ivre de fureur, pestant et vitupérant après sa compagne et le “fameux” Dimitri, il quitta la pièce à grands pas.

Nous nous remettions à peine de cette scène détestable quand Igor est revenu en trombe, brandissant une énorme clef anglaise dégoulinante de sang.

Hors de lui, les yeux exorbités, il s’avançait vers nous, levant au-dessus de sa tête son arme ensanglantée.

— Il est mort!

Sans nous concerter, dans un même mouvement, nous nous sommes tous trois précipités dans les vestiaires de la piscine pour nous y barricader. Heureusement pour nous la porte était encore solide.

De

l’autre

côté,

le

Russe

tambourinait,

tenant

des

propos

incompréhensibles.

Pris d’une fureur assassine, il s’empara d’un banc qu’il utilisa comme un bélier.

Apeurés dans notre abri précaire, nous ne disions mots.

Sous les coups redoublés du dément, la porte donnait des signes de faiblesse.

Sitôt à l’intérieur de la pièce, ce fou furieux allait nous massacrer l’un après l’autre.

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Coup de frein, crissement de gomme sur l’asphalte, coups de sifflet!

Un bus rempli de miliciens survenait à point nommé.

C’était la fin du cauchemar...

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Chapitre 7 * *

*

Police.

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En hurlant, sifflant, tirant des salves en direction du plafond, la patrouille de policiers déboula en ces lieux.

Cette “légion” de jeunes gens, vêtus de tenues flambant neuves et ressemblant comme deux gouttes d’eau aux flics des séries américaines intervenait vigoureusement.

A la façon de tenir leurs armes à feu, on voyait bien que l’on avait à faire à des novices.

Contents d’eux, ils prenaient des poses, surjouaient outrageusement, se regardaient intervenir, sans doute se prenaient-ils pour les “Experts” ou autres “Flics à Miami”, ce qui, si la situation n’avait pas été aussi tendue, aurait été risible.

Ces forces d’intervention, formées à la va vite, ne s’appelait plus milice mais police. L’institution, de sinistre réputation, s’était réformée: les anciens avaient été obligés de repasser leurs examens, des jeunes avaient été recrutés.

Pourtant, ces nouveaux, certes, inexpérimentés, n’étaient pas dénués de zèle et d’enthousiasme.

Ils se jetèrent sur Igor, coupable plus qu’évident, le menottèrent brutalement et, en matière de préambule, se mirent … à le tabasser.

Lachés sur le Russe comme une meute, ils le frappaient à coups de pieds, de bâtons, le bourraient de coups de poings.

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Tombé à terre, le compagnon d’Irina protesta, supplia, menaça, ils le frappèrent encore plus fort, sur la tête, les membres et sur tout le corps…

Ils ne s'arrêtèrent que lorsque, essouflés, suant sang et eau, ils n’en purent plus.

Igor mis au pas, fiers de leur intervention, ils nous délogèrent, sans ménagement de notre abri et nous entravèrent aussi pour nous conduire à l'extérieur, près du van, nous étions peut être complices du russe.

C’est alors que nous vîmes,au milieu de la rue, à côté du camion, notre guide allongé à même le sol, le crâne méchamment défoncé par un engin contondant.

Deux policiers dévidèrent un rouleau de rubalise pour délimiter la scène du crime.

Ils avaient vu que cela se faisait dans NCIS. Avec enthousiasme, avec leurs “gros sabots”, ils pénétrèrent tous dans la zone ainsi déterminée. À la recherche de preuves, d’indices, de traces… ils piétinèrent l’espace, contaminant la scène de crime.

Aucun ne portait de gants ni de tenue adaptée. (point besoin de s’attarder à ces détails vestimentaires.)

Tout à leur enquête, ils marchaient sur les empreintes, déplaçaient les objets et le cadavre.

Pas un n’eut l’idée de photographier la scène, d’établir un plan précis des lieux.

Prélevant à pleine main un vieil écrou, ce qui était à coup sûr un indice essentiel à la poursuite de l'enquête, le chef du groupe, ne faisant 37

ni une ni deux le déposa dans la poche de poitrine de son uniforme où, selon ses dires, il était bien rangé, en sécurité.

Sortant du véhicule officiel un kit pour mouler les empreintes de pas laissées sur le bas côté de la route, l'enquêteur en chef ne put que constater qu'elles avaient été effacées par les va et vient incessants de son équipe. Était-il vraiment nécessaire de prendre toutes ces précautions? se disaient-ils.

Ils avaient sous la main suffisamment de “coupables” qui si on les questionnait “dans les règles” ne manqueraient pas de craquer au cours de l’interrogatoire qu’ils se préparaient à leur faire subir.

Voyant le chef pensif, Sergueï l'interpella.

– Colonel! (Le leader du groupe n’était que sergent, Sergueï l’avait bien vu mais préférait caresser l’homme dans le sens du poil.)

– Colonel! Il y a un autre cadavre dans la piscine!

Nous abandonnant sur place, tous se précipitèrent à l’intérieur où le “colonel” ne put que découvrir un nouveau macchabée.

S’en était trop pour lui et au-dessus de ses compétences.

Il s’empara de son antique téléphone de campagne pour aviser sa hiérarchie de la tournure des évènements.

Le pauvre homme effondré se trouvait avec deux cadavres sur les bras, l’un d’eux était un touriste ce qui compliquait les choses.

L’assassin ne pouvait être qu’un de ceux qui attendait dans la rue menottes aux poignets.

La réponse finit par lui parvenir au bout de longues heures:

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– Il fallait immédiatement incarcérer les suspects dans une des prisons de la capitale.

Pour le deuxième cadavre aucune décision n’était encore prise. Il resterait un jour de plus sur le parquet de sa piscine.

Soulagé d'être couvert par cette réponse téléphonique, le "colonel", sous le crépitement des flashs d’appareils photos hors d'âge des journalistes locaux, ordonna d’embarquer les prisonniers dans le panier à salade.

Ce qui fut, comme vous pouvez l’imaginer, fait sans ménagements.

- Ne faites pas le moindre mouvement suspect dit Sergueï , la police locale est un peu

violente! (Ce que bien entendu, nous avions

remarqué.)

En Ukraine, poursuivit il, la police est capable de tous les excès, le ministre de l’intérieur ne dit il pas: – Ceux qui conduisent en état d’ébriété, doivent être fusillés sur place ou: il faut “buter” les opposants au régime.

Dans le fourgon qui nous conduisait à notre prison, notre Ukrainien pour meubler le temps, racontait à voix basse les aventures ubuesques de la police de Kiev.

Nous l’écoutions d’une oreille distraite.

– Un jour, un groupe de policiers a pris ses collègues pour des criminels et a ouvert le feu.

Ceux-ci ont riposté.

Suite à ce malentendu, 2 policiers, 2 agents de police ont été tués.

Voici un exemple de ce dont ils sont capables.

– Nous sommes dans de beaux draps, prononça Irina désabusée.

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A travers la cloison qui nous séparait de la cabine, le policier aboya: – Voici votre hôtel et ce n’est pas un cinq étoiles!

Seul Sergueï comprit ce qui était censé être un trait d’humour.

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Chapitre 8 * *

*

Garde à vue.

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Une odeur fétide, planait sur notre cellule aux murs décrépits où s'agitaient des cafards.

Un rideau à carreaux isolait le corps de la geôle des toilettes à la turque au carrelage brisé.

Au plafond, une pauvre ampoule déversait sur nous

une lumière

blafarde.

Nous avions, selon nos gardiens, beaucoup de chance, il fallait se montrer prudents et prévenants avec les détenus étrangers: - En général 10 ou 12 prisonniers s’entassaient dans cette cellule prévue pour quatre personnes.

Assise

sur un banc qui en avait vu de toutes les couleurs, Irina

frissonnait dans sa tenue inadaptée à ces lieux.

Elle avait un moment envisagé de se couvrir les épaules avec le plaid fourni par l’administration pénitentiaire, mais elle y avait renoncé: la vermine grouillait sur cette couverture .

Mis à part ce désagréement, la jeune femme demeurait impassible.

Igor se rapprochant, tentait un retour en grâce.

Hautaine, dédaigneuse, l’acrobate lui faisait payer son attitude de la matinée.

Qu’il

puisse

être

l’assassin

ne

semblait

pas la chagriner et

l’impressionner plus que ça.

Fataliste, assis face à eux à même le sol, je me gardais bien de me projeter dans le futur.

— Professeur, que faites-vous ici? Interpella un garde en Ukrainien.

C’était à Sergueï qu’il s’adressait.

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— Bien sûr, vous ne pouvez pas vous souvenir de moi, nous étions si nombreux à assister à vos cours.

Je fréquentais assidûment votre amphi à l’université de Kiev.

Je suis persuadé que votre présence ici est une erreur, nous ne manquerons pas de vous libérer rapidement.

Dans ce commissariat nous sommes nombreux à avoir suivi votre enseignement, ne perdez pas confiance, nous savons que vous n'êtes pour rien dans cette triste histoire.

Désirez- vous un café?

Bien plus tard, le professeur fut convié, pour y être interrogé, dans un bureau d’une grande banalité équipé de meubles vintages en formica.

L’entretien tourna essentiellement sur le lien qui pouvait exister entre les deux cadavres et la disparition du porte documents du guide.

Igor fut à son tour convoqué par l’inspecteur.

Il s’installa face à lui, posément, très sûr de lui, déclina son identité, et rappela qu’en Russie son père était un personnage important. Tout en parlant, il jouait avec un énorme paquet de dollars, le policier blêmit, son regard se fit tout d’abord intéressé puis cupide. Igor sans un mot posa la liasse sur le bureau et désigna sa veste dont les poches débordaient de billets.

— Vous n'êtes soupçonné de rien cher monsieur et je ne peux que vous faire les excuses de mon administration pour le malentendu, dit l'enquêteur en désignant les ecchymoses qui parsemaient le visage du Russe.

Igor se lèva comme si c’était lui qui menait l’entretien.

— Je vous laisse ma veste, ma compagne la récupèrera Au planton qui allait chercher la jeune femme, il signala: 43

— C’est ma femme… soyez correct avec elle, je saurai m’en souvenir.

Irina fut traitée avec courtoisie, c’était une vedette du web, la star de l’Urbex. Après avoir récupéré la veste (délestée de son contenu ), elle dédicaça quelles photos d’elle en pleine action et sortit tranquillement du bureau.

La police locale avait été épurée, une nouvelle génération de “chevaliers blancs” tenait maintenant les rênes de l’institution mais les mauvaises habitudes avaient la vie dure.

En toute fin de journée, le factotum m’invita à sortir avec Serguei.

L'enquêteur m’attendait dans son bureau: — Notre administration manque de moyens, nous ne disposons pas d’interprète; acceptez vous que monsieur le professeur ici présent traduise nos échanges .

N’ayant pas le choix, j'acquiesçais et à sa demande me présentais.

— Je me nomme Viktor Slacik, je suis français et réside à Montpellier dans le sud de la France.

Je suis né en 1980 à Knin en Yougoslavie.

Le "commissaire” tiqua et poursuivit — Connaissiez vous l’identité du premier mort?

C’est pour le moment une zone d’ombre, les passeports ont disparu.

Mlle Shapochnikova semble persuadée que le dénommé Goran était Croate.

Nous allons pousser nos investigations dans ce sens là.

Nous avons pris contact avec l'Ambassade française. Dans une journée, voire deux, nous pourrons établir précisément votre identité, nous nous reverrons à ce moment-là.

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Il se lança alors dans une tirade où, nostalgique de l’ancien temps, il regrettait les bons petits interrogatoires à l’ancienne qui auraient permis d’obtenir rapidement la clé de l’énigme.

En aparté, l’inspecteur s’entretint ensuite avec mon interprète de fortune.

Dans le couloir qui nous conduisait à notre cellule, Sergueï me glissa à l'oreille.

— Quelque chose chiffonne l'enquêteur, il trouve vraiment très très fâcheux que tous les passeports aient disparu.

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Chapitre 9 * *

*

Viktor; Viktor avec un K.

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A quelques kilomètres de la ville de Knin, en république de Krajina, ma famille, depuis des temps immémoriaux, cultivait la vigne sur les terrasses qui descendaient graduellement vers la rivière; sur les terres plus grasses vers le cours d’eau, on récoltait le tabac. Nous menions une vie simple et laborieuse dans notre petite ferme.

Mon père et ma mère travaillaient dur, ils s’en sortaient plutôt bien, c'étaient des besogneux, un jardin et un petit élevage nous assuraient une autosuffisance alimentaire.

Grand-père vivait avec nous, se rendant utile autant que son grand âge le lui permettait.

Lorsque je n’avais pas classe, j’apportais ma pierre à l’édifice en mettant la main à la pâte.

Nous faisions partie de la population serbe, enclavée au milieu de terres soi-disant croates.

Les rapports entre les deux communautés, harmonieux du temps de Tito, s’étaient peu à peu tendus. Les voisins Serbes, Croates, Monténégrins, Albanais qui juraient autrefois que jamais rien ne les séparerait, se regardaient en chiens de faïence.

Dans les années 90, chacun, quelle que soit son origine, avait dû prendre parti.

Tout était alors prétexte à affrontements violents.

La guerre avait fait son apparition avec son cortège de destructions, pillages et exactions.

On entendait de plus en plus régulièrement le bruit des canons, on parlait de groupes paramilitaires et de nettoyage ethnique.

La vie cependant continuait malgré la peur qui s'installait.

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Mon père avait une voix qui portait haut et fort pour dénoncer les discriminations dont les Serbes étaient victimes, il était, sans l’avoir vraiment cherché, devenu un des leaders de notre cause. ***************************** En ce matin du mois d'août, je venais d’avoir quinze ans, je palissais les tomates sans grand enthousiasme, Grand père à son rythme cueillait les haricots qui s’amoncelaient dans son panier d’osier.

Le chant de ma mère montait vers le ciel, il y était question de fleurs d’amour et

de bonheur, papa, arc bouté sur sa pompe, faisait le

contrepoint.

Concentrés sur leur tâche, ils arrosaient le jardin grâce à un astucieux système d'irrigation qui faisait leur fierté. L’odeur de terre mouillée prenait peu à peu le pas sur le parfum des plantes aromatiques intercalées entre les rangs de légumes.

Un ciel clair, d’un bleu électrique, laissait présager une journée torride sans doute tempérée par le vent de l’Adriatique porteur d’un air doux et humide.

Mon père, fatigué par ce mouvement répétitif qui lui brisait les reins, a arrêté d’actionner la noria, le dos meurtri, il s’est redressé .

Un bruit sec a traversé l’azur, une étoile écarlate a maculé sa chemise, il est tombé sans un cri, sans une plainte.

********************* 49

Autour de nous, ils étaient une vingtaine, tous des activistes croates, connus dans la région pour leur brutalité.

L’armée de libération qu’ils se faisaient appeler.

C’était une bande de reîtres sans véritables uniformes, équipés de bric et de broc. Les tatouages qui constellaient leurs mains témoignaient de leur appartenance à une même fraternité.

Chauffés à blanc par les orateurs nationalistes, ils terrorisaient les familles comme la notre qui se cramponnaient à leurs terres avec l’énergie du désespoir.

Un prêtre catholique de Knin que j’avais déjà vu plusieurs fois en ville, dirigeait la troupe.

Avec de petits ordres secs, il menait ses hommes, auxiliaires d’un dispositif plus vaste nommé: Opération Tempête.

Ces soudards goguenards ont frappé grand-père à coups de crosse, le vieil homme est tombé, ils se sont acharnés sur lui, insensibles à ses cris de douleur.

Hilares, contents d’eux, ils ont amené maman dans la maison, des hurlements, couvrant les rires des soldats, n’ont pas tardé à retentir.

Le prêtre, véritable force de la nature, m'avait jeté au sol, il me maintenait face contre terre de sa chaussure cloutée appuyée sur mon cou.

Jamais je n'oublierai les cris de ma mère ni la voix inflexible de ce Goran.

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J’ai été “balancé” dans un bus rempli d’enfants qui comme moi étaient déportés vers la Serbie. Assis dans le fond, j’ai vu, en regardant vers l’arrière, les flammes dévorer notre ferme. J'ai alors compris que j’étais seul au monde.

Deux ans plus tard, j’ai pu rejoindre mon oncle dans le Sud de la France.

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Chapitre 10 * *

*

Confession d’un assassin.

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Depuis ce jour funeste d'août 92, j’ai senti qu'une partie de moi était morte; une profonde détresse m’accablait, les souvenirs des terribles moments vécus envahissaient et parasitaient mon esprit.

Le soir, je sombrais dans un sommeil peuplé de rêves angoissants.

Je vivais en France chez mon oncle, entouré d’une communauté attentive et bienveillante.

Tous connaissaient mon histoire, aucun n’osait l’évoquer devant moi.

Je n'arrivais pas à nouer avec les autres des relations stables et confiantes ni à fréquenter les filles de mon âge.

Ma vie se résumait au travail: comme je n’avais pas d’attaches, j’acceptais les pires chantiers. Les longues périodes loin de mon nouveau chez moi ne me gênaient absolument pas, j’en faisais toujours plus, demandais les travaux dont personne ne voulait.

Dans mon domaine de compétence, j’étais devenu une référence.

Je gagnais beaucoup d’argent, mais à quoi bon: mon existence s’était arrêtée un matin d'août dans les Balkans .

Depuis ce jour funeste d'août 92, j’éprouvais une fascination pour le mal, pour le morbide, un goût prononcé pour la douleur. Les gens qui me côtoyaient trouvaient vraiment bizarre que je me passionne pour les tueurs en série, les faits divers glauques ou les accidents de voiture.

J’aimais me confronter à l’horreur, au sordide.

Cela me permettait d’extérioriser mes traumatismes, j’avais besoin de me frotter à la mort pour me sentir encore vivant. La vue du malheur me permettait de conjurer mes angoisses. La vision des victimes me rassurait: je n’étais pas parmi elles.

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Ce goût du morbide m’avait attiré vers le tourisme noir, le destin m’y a mis en présence de Goran.

Ce satané destin! Contre toute logique, il mettait entre mes mains le monstre qui avait exterminé ma famille. *************************************

Assis en haut du tremplin qui dominait la piscine vide et dévastée, le prêtre contemplait la salle. Les baies vitrées explosées, les murs tagués au carrelage irrégulier, les casiers éventrés contribuaient à accentuer l’air de désolation qui régnait ici.

Des accessoires: bouées, gilets de sauvetage, planches, anneaux, jonchaient le sol, souvenir de l’activité qui s’était autrefois déroulée en ces lieux.

Les yeux dans le vide, il semblait méditer.

J’ai surgi

silencieusement dans son dos, il n’a même pas sursauté,

l’homme avait des nerfs d’acier.

— Elle a un sacré coup d’oeil la petite — Tu l’as dit et une sacrée plastique aussi n’est ce pas?

Goran essayait d’établir entre nous une virile connivence.

— Tu as l’air bien lubrique pour un curé.

— Être curé ne veut pas dire être aveugle.

— Oui, tu es un prêtre et un affreux salopard.

— Tu devrais modérer tes paroles, on ne se connait pas.

Le croate, peu habitué à se laisser parler ainsi, esquissa un mouvement pour se relever.

— Je vais éclairer ta lanterne, ordure! Milan Slacik ça te dit quelque chose? Et le massacre de sa famille?

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Le prêtre qui semblait réaliser l’incroyable de cette situation a aussitôt réagi.

— Ainsi tu es le fils Slacik?...c’était la guerre, ton père était mon ennemi, je n'éprouve aucun remord.... je vais te dire: je n’ai qu’un seul regret, celui de t’avoir laissé vivre.

Goran me fixait l’air venimeux, presque trente ans après, ce dégénéré n’éprouvait aucun remords.

— La justice ne peut rien contre moi, j’ai été considéré comme un comparse le TPYP* m’a acquitté. *Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie — Je n’ai que faire de la justice.

Goran comprit qu’il n’avait plus face à lui l’ado tremblant qu’il avait maintenu de sa chaussure face contre terre.

Il tenta tout de même de me déstabiliser.

— Tu vas me tuer? Ce n’est pas facile de tuer un homme, tu sais.

Il me narguait et n’a pas esquissé le moindre geste de défense quand je l’ai violemment poussé du haut du tremplin.

Sans un regard pour le cadavre disloqué qui maculait de sang le carrelage défraîchi du bassin, j’ai rejoint les autres, soulagé par ce que je venais d’accomplir.

La vengeance quoi qu'on en dise peut être très douce.

Cette nuit-là , j’ai enfin bien dormi et croyez moi, la vodka n’y était pour rien.

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Les vapeurs d’alcool obscurcissait encore mon cerveau, je suis sorti m'aérer, les cheveux hirsutes, l’œil un peu hagard.

C'était un matin frais.

Malgré le pâle soleil qui perçait les nuages je frissonnais dans ma chemise légère.

Dehors, il n’y avait pas la moindre voiture, la moindre vie, le calme régnait.

Un silence étrange et oppressant pesait sur la ville désertée de ses habitants Une bourrasque de vent froid m’enroba tout entier, je toussais bruyamment.

Alerté, Anton releva la tête, il avait étalé nos papiers sur le siège du passager, visiblement il les avait consultés.

Pressé de quitter ces lieux inhospitaliers, il s’activait sur le camion, naviguant, outils à la main entre moteur et habitacle. Il avait l’air méfiant et terriblement remonté.

— Tu faisais quoi, “français”, hier soir quand on préparait le bivouac, je n’arrive pas à me souvenir où tu étais à ce moment-là?

Pas de réponse Il réfléchissait à haute voix: — C’est bizarre Goran et toi êtes nés au même endroit, dans la même ville, le même pays. Il a un passeport Croate, le tien est Français, c’est bizarre cette coïncidence, je pense que ça intéressera la police.

Je ne répondis rien mais, alors qu’il se penchait sur son moteur, je lui ai asséné un magistral coup de clé anglaise, il s’est relevé incrédule, a titubé. Alors, j’ai frappé, j’ai frappé jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.

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Voilà, vous savez tout, l’assassin c’est moi, sachez que je ne ressens nul remords, je suis un meurtrier, un vengeur, pas un monstre.

Je n’avais rien prémédité.

Un concours de circonstance , un heureux hasard assurément!

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Un petit groupe d’amateurs d’émotions fortes et d’ambiance glauque, pénètre dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.

En sortiront ils intacts?

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