En attendant Fid Ho.

En attendant Fid-Ho.

E.J PAUL

Chronique romancée de deux destins qui se croisent…

Récit tiré d’une histoire vraie.

Et Toc! Voilà bien deux ans que j’ai quitté mon emploi d’enseignant, je n’en pouvais plus, je n’étais vraiment pas fait pour ça, mes élèves l’avaient senti, je n’avais sur eux aucune autorité.

Dépressif, au bord du burn out, j’ai démissionné et j’ai bien fait...

Face à ma fenêtre (fantastique poste d’observation), s’alignent, campés au milieu d’un sol aride, une trentaine d’oliviers qui ondulent au vent du nord. Ces arbres, symboles de la méditerranée tournent vers moi leurs troncs noueux, à l’écorce brune et crevassée. Cette vision éminemment esthétique est un peu gâchée par la route parfaitement goudronnée qui a remplacé l’ancien minuscule chemin de terre.

Depuis ces transformations, ma vie a complètement changé ,elle est devenue trépidante: Quotidiennement , j’assiste au retour de promenade de Raymond et son chien: un Jack Russel à ce qu’il me semble. Les jours de classe, je vois collégiens et lycéens se rendre à l'arrêt de bus tout proche.

Quand il fait beau, les mamans suantes et soufflantes remontent la côte tractant avec peine leur poussette-canne.

Comme vous voyez, mon existence est terriblement animée.

12 H 10 , posté derrière ma fenêtre, je guette sa venue, elle ne va pas tarder.

Elle, c’est Fid- Ho, la femme de ma vie. Plus que quelques minutes avant l’arrivée du bus qu’elle emprunte tous les jours ouvrables et je partirai au boulot...

Mauvais choix Au cours de l’année 39, dans cet espace prétendument «barbare», vierge de toute civilisation aux yeux des colonisateurs français, la famille, le clan devrais je dire, Do du nord s’unit à la lignée Nguyen du sud. Ho épouse Đào.

Ho, intellectuel nationaliste, travaille comme traducteur dans les locaux du renseignement français et, particulièrement zélé, n’hésite pas à mettre la “main à la pâte”. Dans son quartier, lorsqu’il a le dos tourné, on le surnomme “le rouge” sans doute pas à cause de ses opinions politiques.

Entre les indépendantistes qui commencent à se structurer dans ce Tonkin rebelle et les colons français qui occupent et exploitent le pays, Ho a choisi son camp. En septembre 1940, l'Empire du Japon en pleine expansion envahit l'Indochine française. Tout en reconnaissant la souveraineté française, il fait du pays une base arrière pour ses troupes durant tout le reste de la Seconde Guerre mondiale.

Profitant de l'affaiblissement des Français, le Viet Minh s'organise et étend son contrôle et son emprise sur les régions isolées du pays. Lors de la déroute Japonaise, les communistes lancent une insurrection dans l'ensemble du pays. En 46 alors que les troupes de la République de Chine, alliées des communistes locaux,

investissent le Tonkin, les Do, sentant le vent tourner et craignant pour leur fille unique Dac, l’envoient se mettre à l’abri dans le sud beaucoup plus calme auprès de la branche Nguyen de la famille.

Ba Dans leur lutte contre le Việt Minh, les colonisateurs, menant un drôle de jeu, s’appuient sur les antagonismes ethniques, religieux et politiques déchaînant la violence entre les indigènes eux-mêmes.

Les Do font partie de la bonne bourgeoisie de la ville qui profite de la présence des Européens pour asseoir sa domination sur les paysans peu éduqués vivant dans les campagnes environnantes. Dans un quartier huppé de Hanoï, ils occupent une grande belle maison de type colonial. Đào n’a jamais travaillé; elle n’en a pas besoin, le salaire (et les dessous de table) rapportés par son mari leur confèrent une aisance que leurs voisins leur envie.

Pour ce qui est de l’entretien de la maison et des travaux domestiques, elle est assistée d’une troupe de “boyesses” zélées chichement payées qui ne s’adressent à elle qu’en l’appelant: Ba (madame).

Depuis le début des troubles, les gens sont tendus.

L’employeur, le commerçant au coin de la rue, le voisin tout un chacun est objet de suspicion, les thèses Viet

Minh font leur chemin dans les cerveaux, les communistes sont partout.

Un jour de juin, Ho ne rentre pas chez lui, Ba ,préoccupée, envoie une employée de confiance à sa recherche; rien, personne ne peut ou ne veut donner de renseignements.

Une semaine plus tard, de plus en plus inquiète, elle missionne des informateurs les poches remplies de billets auprès de la police locale; toujours rien. Personne ne sait où il se trouve, cependant, tous s’accordent à dire qu’il ne reviendra pas. Đào qui jusqu’à ce jour a plutôt fait preuve d’indolence, se laissant facilement mener par un mari autoritaire, va dans ces circonstances dramatiques faire preuve d’esprit de décision et d’une volonté de fer. Elle va, sans s’en ouvrir à qui que ce soit, prendre seule la route de l’exil.

En pleine mousson, au prix de nombreuses précautions, elle quitte le Nord communiste pour le Sud nationaliste se lançant dans un périple incroyable de mille sept cents kilomètres.

Avec sa valise bourrée d’habits, de bijoux et de piastres elle va entreprendre dans l’inconnu un long voyage pour retrouver sa fille et sa famille.

Un matin, elle affrète un taxi, et sans tambour ni trompette, emprunte la célèbre route coloniale cinq qui va la conduire au port de Haïphong. A petite vitesse, le véhicule d’un modèle déjà ancien traverse la plaine

tonkinoise couverte de champs et de rizières, bordée de collines et de sommets boisés. Au port, elle prend son billet pour Hué où doit la conduire un bateau bourré de réfugiés.

A Hué, capitale de L’Annam, les pluies diluviennes ont inondé la ville. Le riz a atteint des prix tels que la population pauvre a du mal à se nourrir. A pied, puisque l’eau a coupé les routes principales, elle va au milieu d’un flot de réfugiés se diriger vers Da Nang.

Où vont ils? Ils ne savent pas, ils se sauvent. C’est pathétique un peuple qui fuit!

La région qu’ils traversent est peuplée de “Moïs” et d’Annamites, deux peuples différents qui ne se mêlent pas. Les premiers cultivent le riz en rays, à flanc de coteau, leurs femmes potelées déambulent seins nus.

Ba découvre avec effroi que la plupart sont repoussantes de saleté et couvertes de gales.

Elle n’apprécie pas non plus les Nha Qué annamites qu’elle juge, préjugé de classe, sans les connaître et sans les fréquenter: trop peu industrieux et paresseux.

Au cours de leur marche dans la forêt, la longue file de fuyards rencontre de petits édifices semblables à des pagodes où sont disposés comme offrande des bols de riz. Les habitants du lieu qui vénèrent leurs ancêtres croient en l’immortalité de l’âme avec une forte tendance à la métempsycose.

La nuit, incommodés par l’odeur putride de la végétation, les réfugiés s'arrêtent sur le chemin, en

pleine forêt, au milieu d’une humidité ahurissante qui goutte de feuilles en feuilles, les glaçant jusqu’aux os.

Da Nang!

Da Nang et son chemin de fer, elle va pouvoir reposer ses pieds meurtris par le port de chaussures inadaptées. Elle va, après avoir sacrifié à la coutume locale du pot de vin, obtenir une bonne place dans un train plus que bondé. Entrevoyant le terme de son voyage, elle peut enfin se laisser aller et admirer le paysage bordant la voie qui conduit à Saïgon. Sous ses yeux, défilent: rizières parfaitement alignées, champs de manioc, de tabac ou de patates douces. Les forêts d’hévéas qui n’ont pas encore subi les bombardements, exhibent leurs troncs striés ruisselants de latex.

L’arrivée à Saigon, ville moderne avec: sa gare,son théâtre, son université, sa cathédrale et … son institut pasteur va la laisser pantelante et sans voix.

Un militaire français, muni d’un porte voix, dirige les réfugiés vers un camp de transit où la France généreuse et éternelle fournit: savon, conserves et médicaments.

L’esprit enfin en paix, sur son lit de camp, Đào s’endort en se demandant où peut bien être sa famille.

Nguyen Pour les asiatiques, ce n’est pas la possession de l’argent qui enrichit mais sa circulation. Être pauvre n’est utile à personne, alors que prospérer, profite au plus

grand nombre. les Nguyen sont commerçants, commerçants en tout.

Chez eux, s’assurer une bonne santé financière semble aussi naturel et bénéfique que faire des exercices physiques​.

Dans sa jeunesse, la “Tante” ( soeur de Ba ) qui ne dispose pas de fonds pour ouvrir un magasin, officie comme vendeuse de rue avec sa palanche et ses paniers. Elle transporte jusqu’à la ville, fleurs, boissons, pinces à cheveux, bibelots, vaisselle, linge, vêtements…

Quelques années de cette activité lui permettent d’accumuler un petit pécule et d’ouvrir, grâce à ce “bas de laine”, une minuscule échoppe à Cholon : quartier cosmopolite proche de la capitale.

Les militaires français, attirés par la réputation sulfureuse de ce faubourg avec fumeries d'opium, maisons closes, tripots enfumés et endroits louches, fréquentent sa “caverne d'Ali Baba” où l'on trouve tout ce qu'on cherche: mercerie, droguerie, cartes postales, oeufs, champignons, thé, épices. Vissée à sa caisse d’où elle contrôle une myriade de jeunes parentes, elle règne sur le petit monde qui l’entoure, fait prospérer son commerce et développe ses affaires. Les “nièces”, dès leur plus jeune âge sont éduquées afin d’être au service du client, à l’écouter et apporter une solution à toutes ses demandes. Les affaires prospèrent mais, voulant gagner en respectabilité, elle va inciter sa famille au sens large, à quitter cette ville de perdition.

Le Boulevard Gallieni qui relie Saïgon à Cholon est la grande artère bordée d’échoppes et de commerces. Les boutiques de la Tante sont coincées entre: le «Parc à Buffles», gigantesque bordel entouré de nombreuses paillotes et le«Palais de Jade» et l'«Arc-en-Ciel»: «dance halls » où officient les taxi-girls. Pour cent piastres, le client a droit à une heure de danse et de conversation. Paradoxalement le tour de force de ces «taxi-girls » consiste à être « inaccessibles » et à se présenter comme des modèles de vertu .

Le boulevard se prolonge par un secteur également connue comme la “rue de la médecine”. Ce quartier regorge de centaines de boutiques de pharmacie traditionnelle. Non loin de là, au 11 rue des Marins se trouve le « Grand Monde »: le plus vaste établissement de jeux dans le monde après Macao. Certains réseaux mafieux contrôlent tout : bien évidemment les jeux mais aussi la prostitution, le commerce en gros de la drogue, la contrebande de l'or, des piastres, des cigarettes, la fabrication de faux et la contrefaçon.

L’oncle traine souvent au “Casino”, jouant, au grand dam de la “Tante” l’argent de la famille en d’impitoyables parties de tai-xieu ou de bac-quan. La “Tante” qui a la prétention de diriger une famille respectable où réussir c’est d’abord devenir riche, sait, pouvoir compter sur le soutien de son clan familial où se pratique un système de prêts proche de la « tontine »: les proches mettent

une partie de leur épargne dans une caisse commune où la Tante peut puiser pour développer ses affaires.

Ce système repose sur la confiance et la réciprocité des dons : ceux qui reçoivent doivent eux-mêmes offrir de l’argent aux autres. Il n’y a pas d’intérêts ni même de durée de remboursement fixe.

Sous la direction de son “chef”, le clan envisage donc de quitter ces lieux peu en rapport avec leur aspiration à l’ honorabilité. La restructuration des affaires va donc s’effectuer sur Bien Hoa où, l'afflux de réfugiés du nord et la base aérienne française devraient générer de confortables bénéfices.

Les Nguyen sont très pragmatiques, misant sur l’efficacité, ils vont pour un minimum de coût rentabiliser leur affaire au maximum. Avec constance et application, ils “plument le long nez” ouvrant près de la base française des magasins de mercerie en gros. Forts de leur savoir faire, ils commercent avec ces occidentaux arrogants, têtus, rigides au point de devenir idiots et prêtant plus attention aux apparences qu’aux réalités commerciales .

Elle aussi femme de tête, la soeur Mon: Thi Mon, appelée Simone par les français qui n’aiment pas trop se triturer l’esprit, est chargée de l’approvisionnement à Saïgon auprès des grossistes. Un matin, par le plus pur des hasards, elle tombe nez à nez avec sa soeur Đào

exilée du Nord qui traîne dans la capitale près du “pont Doumer”.

C’est en taxi que Ba soulagée retourne avec sa soeur auprès de sa famille.

Mariage A Bien Hoa, “ l’armée des nièces”, toutes plus belles les unes que les autres, approvisionne l’intendance des colonisateurs en: tissus, savons, produits d’entretien, aiguilles, fils et boutons, fournissant à l’armée française cantonnant près de l’aéroport, un service de blanchisserie terriblement efficace.

Une relation amoureuse avec une « indigène » est en ce temps là plutôt bien vu par les autorités. Cela permet de se familiariser avec la langue, les coutumes, la nourriture et de vivre une vie sexuelle moins risquée que dans les «lupanars ».

Les sous officiers de l’intendance aimeraient bien faire de ces nymphettes leurs congaïs. Malheureusement pour eux, les congaïs qui se prêtent par intérêt financier à la fréquentation d’un Français sont, aux yeux des autochtones de filles de basse extraction et les Ngyen ne sont pas de ces “ niakoués” qui ne réfléchissent pas, qui cherchent un bénéfice immédiat. Chez eux pas de congaï: si on veut une fille de la famille: on se marie.

Le sergent chef Galibert attend impatiemment sa livraison de lacets destinés aux pataugas de la légion: dans les jours qui vont suivre, le 3​e​ Régiment Étranger d'Infanterie part crapahuter près de ​Dong Khe. Dans le chambranle de la porte se découpe une silhouette menue ployant sous le poids de sa đòn gánh:(palanche). Elle est vêtue​ d’un ​« ao dai » tunique noire traditionnelle. De son chapeau conique fait de tiges de bambou et de feuilles de latanier sort une longue tresse de cheveux noirs presques bleus.

Elle pénètre dans la pièce, ses beaux yeux bridés, pudiquement baissés éclairent un visage expressif à la peau claire préservée des ardeurs du soleil. Ce qui plus que tout capte son attention, c’est ce petit nez à l'arête légèrement prononcée semblable à un petit bec d’épervier. Elle bredouille quelques mots où il est question de commande, de lacets et de facture dans un français approximatif tellement charmant.

Quels est le nom, la vie, la fonction de cette apparition ?

De son côté, elle sent se poser sur elle le regard de cet européen et cela ne lui déplait pas, elle aime ces cheveux clairs, légèrement crantés, gominés et ces yeux d’un bleu électrique qu’on ne voit pas par ici. Ce nez si caractéristique des blancs est pour elle une nouveauté, elle n’est pas non plus insensible au prestige de l’uniforme dans lequel cet homme jeune est sanglé.

Guy et Dac se sont revus, ont parlé, se sont vus à nouveau de manière moins innocente tellement qu’un jour...

Un jour les amis du fiancé, ont apporté des cadeaux à la maison de la fiancée et ont été accueillis par la famille de celle-ci. Ils ont demandé la main de Dac. Les Nguyen ont accepté gracieusement les cadeaux et le couple a prié devant l'autel des ancêtres pour leur demander leur approbation.

Le jour du mariage, les témoins du marié et ce dernier vont chez la famille de la mariée et apportent des cadeaux,des feuilles de bétel et des noix d'arec, du vin, des fruits, des gâteaux, du thé emballés dans du papier rouge .

Le couple entre dans la maison portant un plateau avec des tasses remplies de vin et invite Ba à en prendre une gorgée. En acceptant de boire, elle accepte de faire rentrer la famille du garçon chez eux. La cérémonie de mariage peut commencer. Le couple s'agenouille et prie, demandant à leurs ancêtres la permission et leur bénédiction. Ils font ensuite demi-tour et s'inclinent devant leurs parents pour les remercier de les avoir élevés et protégés jusqu'à aujourd'hui. Le marié et la mariée s'échangent alors les alliances.

L’officier d’état civil français invité pour la cérémonie a dû jongler, faire cadrer âge réel et âge légal, renommer la mariée Odette mais le bakchich alloué a eu raison de ses scrupules.

A la fin de la journée, la Tante et ses soeurs pouvaient se frotter les mains: avoir une fille mariée au fourrier de la base, c’est bon pour les affaires et ça place la famille en position de quasi monopole.

1954 La pluie qui tombe sans discontinuer transforme la cuvette en bourbier. L’humidité est partout rongeant à petit feu matériel et moral des troupes. Un brouillard quasi permanent stagne sur la vallée de Dien Bien Phu traversée par la rivière Nam Youm. Seules les collines environnantes émergent de la brume. A presque trois cents kilomètres de Hanoi, à la frontière du Laos. Les Français ont bâti un véritable camp retranché protégé par des batteries d’artillerie entourées de plusieurs rangées de fils de fer barbelés; les petites éminences qui entourent le village ont été fortifiées et reliées entre elles par un réseau de communication en partie enterré.

De jour comme de nuit, canons et mortiers tonnent, ponctuants les attaques et contre-attaques qui se succèdent sans discontinuer .

Près de 10 000 hommes pataugent dans cette fange .

Dès que les conditions le permettent des renforts parachutistes se posent sur les aires d’atterrissage. A

partir de fin mars, l’eau du ciel qui tombe à seaux ainsi que l’efficacité de l’artillerie adverse interdisent décollages et parachutages. Coincés dans le camp retranché, les assiégés ne sont plus relevés. Comme abandonnés après l’échec des tentatives de désengorgement par des colonnes de secours, six bataillons (légionnaires, coloniaux, vietnamiens,tirailleurs algériens ainsi que deux compagnies thaïes ) défendent le camp. Les blessés sont soignés sur place. Le ravitaillement du camp est rendu de plus en plus difficile A la mi-mars 1954, malgré quelques actions héroïques des légionnaires et des tirailleurs algériens, l’étau se resserre sur les assiégés pilonnés en permanence par l'artillerie ennemie installée dans des positions dissimulées aux alentours.

Soixante dix mille soldats Viêt-minh, ravitaillés en permanence par autant de “fourmis” s’emparent des positions françaises. La réussite d’une contre attaque menée par les parachutistes et les légionnaires redonne un peu d'espoir à la garnison mais, le 1er mai, après une importante préparation d'artillerie, le Viêt-minh lance son offensive générale qui submerge les derniers défenseurs de Dien Bien Phu. Seuls 3 300 soldats sont rendus à leurs familles. Les autres perdent la vie sur les routes qui les conduisent dans les camps de

rééducation du Viêt-minh.

Rapatriement.

Après la signature des accords de Genève en juillet 1954, les Français cèdent la place aux Américains et, piteusement, quittent l’indochine. Il faudra presque deux ans pour organiser le retour des soldats et de leur éventuelle famille.

La hiérarchie, aidée par les aumôniers militaires, va entreprendre auprès de chaque militaire un travail de sape visant à lui faire abandonner sur place, épouses, concubines indigènes et progéniture.

Pourtant d’un naturel pusillanime, Guy faisant preuve de courage, sans doute pour la seule fois de sa vie, tient bon, il va rapatrier sa petite famille au complet.

Sa femme, depuis leur mariage, n’est elle pas française devant la loi? Il faut pour cela modifier quelques détails sur les passeports: prénom, date de naissance …

Cela ne pose aucun problème dans le Saïgon de cette époque où la création de faux papiers, plus vrais que les officiels est un jeu d’enfant.

Donc un matin, typiquement indochinois, où un ciel

dégagé fait suite à la douche tropicale qui vous cloue sur place une petite heure, les rues se sont animées, les derniers contingents français quittent l’Indochine.

Une courte cérémonie est organisée ce jour-là, avec dépôt de gerbe au monument aux morts, suivi d’un famélique défilé de troupes à pied: ultime manifestation de la présence française en Extrême-Orient.

Le sergent chef Galibert, son épouse et ses deux enfants prennent place ainsi que trente autres passagers dans Le Constellation de la compagnie Air France.

Le voyage est tout sauf direct, les escales sont fréquentes: Jodpur, Karachi, Benares, Beyrouth .

Beyrouth où pour la première fois, la petite Fid, déjà “grandette” va prendre un biberon de lait de vache. Le voyage par les airs touche à sa fin. Après avoir survolé la baie de Naples, l’avion se pose près du port où les “Galibert” totalement perdus embarquent avec leurs maigres bagages sur le bateau qui les conduira à Marseille.

Un autre monde Salon de Provence dans un café du centre ville...

Marius pour l’occasion a revêtu le costume sombre de son mariage. La légion d’honneur acquise à Verdun rehausse le revers de sa veste d’une touche écarlate. A côté de lui, silencieuse et soumise se tient sa femme coiffée d’un petit bibi agrémenté d’une voilette. Ils serrent longuement leur fils dans leurs bras et l’embrassent avec effusion, il y a tellement longtemps qu’il a quitté la métropole, c’est maintenant un homme .

Dac avec les enfants se tient en retrait tous s’assoient et commandent des consommations.

“Mon père, zézaie la jeune femme dans un français hésitant, se m'appelle Dac”. Guy géné prend la parole avec brusquerie. “Depuis que nous sommes mariés, elle se nomme Odette, c’est marqué sur ses papiers!” “ Odette comme ta mère! C’est bien ça.

Les enfants se sont serrés contre leur mère.

Et toi, petite fille comment t’appelles tu ? “ Fid Ho!” “ Ce n’est pas un nom français, un nom du calendrier.

On te nommera Danièle ou Simone ou... Marie. C’est ça, tu seras : Danièle.” “ Le petit garçon sur les genoux de sa mère c’est Serge” s’empresse de dire Guy. Pas franchement ravis que leur fils bien aimé leur ramène une “indigène”, ils devisent surtout avec leur rejeton s’adressant parfois à la jeune femme en “petit nègre”.

A cette époque, les préjugés sur les belles asiatiques sont tenaces. Marius ne trouve rien de mieux que, sans penser à mal, fredonner “Ma tonkinoise”: chanson à la mode du moment.

Maintenant que le fils prodigue est revenu, ils ne vont plus le lâcher et s’installent près de lui, près de Salon.

Ils vont ensuite déménager à chaque mutation , pérégrinations qui les mèneront à Marguerites, Aniane, Valras et enfin à Béziers.

Ils vont par la force des choses s’approprier un peu les enfants, en faire de bons gaulois, ne s’adressant à eux qu'en français.

Chez les grands parents, aucun effort n’est fait pour intégrer Dac. Personne n’essaie d’apprendre ne serait ce que quelques mots de vietnamien. Personne ne parle jamais de l’Indochine. Les enfants ainsi acculturés ne manifestent plus le moindre intérêt pour la langue et la vie antérieure de leur mère.

Valras Deux enfants, Michel pour l’état civil (mais dans les faits Guy ou Guytou parce que son père se nomme ainsi) et Janine (comme une ancienne connaissance d’avant l’Indo), naissent de ces année françaises.

Guy (le père), sans doute oppressé par la présence pesante de ses parents, demande sur un coup de tête sa mutation pour l’Afrique. A aucun moment il n’a réfléchi aux conséquences de sa décision: vie de famille, nouveau déracinement, bien être de son épouse, éducation des enfants ...

Alors qu’il reçoit son ordre de mission pour Bouaké, il se pose (enfin) la question. Qui va t il emmener avec lui ?

Une fois encore son père va avoir le dernier mot: “Je viens d’acheter un salon de coiffure à Valras, puisque tu nous abandonnes à nouveau, je garde les deux grands. Au moins, ils iront à l’école en France, c’est mieux pour eux. On vieillit ta mère et moi on ne veut pas se retrouver seuls. Ne nous les enlève pas après les sacrifices qu’on a fait, on les a élevés jusqu’à présent: ils restent avec nous.” C’était ferme, définitif et n’ouvrait la porte à aucune discussion.

Une fois de plus,par pusillanimité, ne voulant pas passer pour un mauvais fils au yeux de ce père autoritaire, Guy

a acquiescé.

Valras est un village de pêcheurs replié sur lui même, un milieu fermé où, l’hiver, les habitants vivent en vase clos n’ayant d’autres activités que leur dur labeur et la diffusion de cancans sur les un ou les autres. L’été, la présence d’estivants de l'arrière pays, apporte aux lieux un peu d’ouverture d’esprit, une touche plus joyeuse et festive.

Dans les années soixante, en ces temps de décolonisation, on assiste au retour des appelés ayant fait leur service en Algérie et à l’installation des rapatriés “pieds noirs” avec tout ce que cela comporte de défiance de l’autre et de racisme au quotidien. Danièle et Serge n’y échappent pas: aux yeux des enfants du village (et de leurs parents), ils sont: les chinois.

Danièle en souffre, tente de lutter contre cet état de fait, se bat avec les garçons mais rien ne peut faire évoluer ces mentalités étriquées. Serge plus fataliste s’accommode de cet état de fait, prêt à tout pour se faire accepter par les autres.

Au “Gourg Salat”, la vie est paisible, calme sans surprise.Les grand parents, très vieille France, subviennent aux besoins des deux enfants, les élevant de façon traditionnelle et rigide, leur donnant des valeurs et un cadre éducatif simple et clair.

Rien de fantastique: l’école, les repas à heures régulières, peu de sorties, peu de loisirs; Marius psychorigide remplit son rôle de grand père protecteur

pendant qu’Odette, sourde comme un pot mais aimante vit dans l’ombre du héros de Quatorze.

La petite Daniele va être inscrite à l’école de filles. École républicaine dirigée par Mme Turco, femme du maire communiste très influent dans la région.

Très vite, elle se montre bonne élève, calme, disciplinée, studieuse, travailleuse, douée en maths mais aussi dans les autres matières. Daniele, naïve, ignore les codes de la vie en groupe, les chipies de la classe en profitent un peu, d’autant plus qu’elle hérite du surnom de “chouchou de la maîtresse”: Mme Turco l’ayant prise sous son aile. Elle se montre sans problème meilleure que Marlène: la star du village avec qui elle va devenir amie. L’amitié n’exclut pas une petite pointe de jalousie de la part de la vedette locale, mais Marlène sait se mettre en valeur, Danièle non. Son “amie” est donc rassurée, elle conserve le leadership sur l’ensemble des filles du village.

Valras au mois d’Août.

Après le repas de midi qui a du être bien arrosé, une bruyante armada de locaux de l’arrière pays débarque sur la plage, devant le “club Mickey” où ne sont admis que les gosses de riches de la ville. Ce n’est pas l’endroit le plus joli de la côte

mais les “radicaux” qu’ils sont entendent bien montrer à ces bourgeois que la plage est à tout le monde.

Les “Marcels” plantent les parasols et installent pliants et sacs de plages sous les indications de leurs “Ginettes”.

Pendant que posés à l’ombre, les copains de toujours se racontent pour la énième fois leurs histoires de “martelet”, de fin d’étude ou les baignades à poil dans les gorges du Drac, les femmes tricotent, critiquant leurs voisines de plage qui se trouvent être, à la mer, leurs voisines de location et qui sont aussi, au village, leurs voisines de quartier.

Les enfants qui ont enfin terminé leur digestion sont préposés à la collecte de couteaux ou de tellines qui feront l’apéro du soir.

Avec ma bande: “Géo” le conteur d’histoire pétochard, “l’Obus” et le “Grand Popeye”, équipés de masques et de tubas, nous nous activons à ratisser la zone de sable située à une cinquantaine de mètres du bord.

Chaque fois que je sors de l’eau chargé de ma récolte que je vide dans le seau à vendange posé à proximité de mes parents, je passe à côté d’une très jolie petite fille, aux cheveux de jais coupés au carré. La “chinoise” posée

placidement sur le sable depuis le début de l'après midi s’applique à faire un pâté de sable.Très concentrée, elle tapote le seau, renforce les parties fragiles, lisse la base évaluant l’équilibre de son “oeuvre”.

Lors d’un premier passage, d’un gros orteil sournois, je balance du sable en direction de son édifice.Elle ne bronche pas.

C’est mon dernier passage; pour faire le malin aux yeux de ma bande, je piétine sauvagement et gratuitement son pâté.

Furieuse, la “sale bête” se rebiffe, me lance du sable dans les yeux et s’enfuit sous le parasol de ses grands parents. Je la pourchasse pour la “rouster”, c’est ainsi, je crois, qui faut faire avec les filles.

A proximité de son retranchement, je bats prudemment en retraite: il n’a pas l’air commode le grand père avec son air guindé de major de l’armée des Indes.

Planquée derrière un monceau de sacs de plage, elle me nargue la bougresse.

C’est alors que me vient à l’esprit une exclamation lue dans “Buck Dany” lors de la guerre du Pacifique:” Je t’aurai face de citron!”

Mixité.

Après soixante huit, un vent nouveau souffle sur les institutions scolaires. Dans un souci de modernisme, l’équipe dirigeante du lycée Henri IV fait preuve d’audace et décrète qu'à partir de la seconde, les classes deviennent mixtes.

Les parents des filles de la ville ne voient pas cette réforme d’un si bon oeil. Il faut faire le forcing pour attirer les candidates en ces lieux truffés de garçons. Pour ce, une équipe de profs aux idées libérales part faire une série de réunions et de conférences au sein du Lycée de filles voisin. Quelques volontaires issues de famille au idées avancées répondent à l’appel. Quelques dizaines de donzelles sur un peu plus de deux cent cinquante élèves de seconde, c’est nettement insuffisant, il faut ratisser plus large. Un document vantant les mérites du système est donc envoyé personnellement à chaque élève de troisième avec obligation de retourner celui ci en précisant si on est pour ou contre la proposition.

Ses parents n’ayant pas répondu, Danièle, très bonne en maths, rigoureuse et surtout “bosseuse” se retrouve donc en seconde C au milieu d’une bande de gars émoustillés par cet apport en nymphettes, dans le meilleur lycée de la ville.

Mixité Cette année, une petite troupe de fille a intégré le Lycée. Au milieu de cette faune bourrée de testostérone, elles apportent à l’établissement une touche charmante d’autant plus que la mode en ces années post soixante huitardes est à la “mini”.

La petite asiatique avec sa jupe courte a de bien belles jambes, j’en ferai bien mon quatre heures.

Hélas, nous troisièmes, nous devons rester entre “hommes” une année scolaire de plus et dépenser notre trop plein de sève dans les joutes rugbystiques qui nous attendent.

A la rentrée suivante le processus est enclenché, de nouvelles “secondes” filles intègrent maintenant sans problème “Henri IV”. En première, les pionnières de l’année dernière prennent des poses blasées de déjà anciennes. Par contre la petite asiatique a disparu sans laisser de traces.

Dette de vie.

Ah! la fameuse "dette de vie"! Les parents nous ont fait un cadeau inestimable en nous mettant au monde, nous avons des obligations envers eux. Mais est-ce une raison pour leur vouer une reconnaissance éternelle?

“Ils sont de retour s’est exclamé Serge!”

La joie des retrouvailles a été de courte durée. Ils: père, mère, Guytou et Jeanine se sont installés à Valras. Il a fallu apprendre à vivre avec de nouveaux frere et soeur , à supporter les disputes incessantes des parents, les beuglements du père ,les vociférations hystériques de la mère. La maison si calme jusqu'à présent a retenti de pleurs, sanglots, lamentations et récriminations. Au milieu de ce tumulte, de ce tohu bohu permanent, deux nouveaux petits frères font leur apparition. Devant ce désastre, Danièle se sent responsable: de ses parents, de ses grands parents qui lui ont tant donné et bien sûr de ses frères et soeur. N’est ce pas elle l'aînée?

Tentant de détourner sa mère de la dépression, soutenant son père défaillant et prenant soin de sa petite sœur fragile, elle se sacrifie petit à petit pour faire le bonheur des autres. Prise par son rôle de médiateur , de "protecteur" elle se sent coupable d’aller bien et de les voir si mal. D’un naturel obstiné; elle développe l’illusion infantile qu’elle va pouvoir les sauver. Difficile pour une adolescente rongée par la culpabilité de se dire, qu’elle ne peut rendre à ses parents tout ce qu’ils ont fait pour elle. D’autant plus que parents et grands parents ne manquent pas une occasion de lui rappeler à quel point ils se sont sacrifiés pour elle.

Sorties interdites.

Après un an à “bûcher” à “Henri IV”, Danièle, pressée par ses parents qui veulent qu’elle s’oriente vers un métier sûr et vite rémunérateur a passé le concours de Normale. Concours qu’elle a réussi brillamment.

Quatrième sur plus de huit cents candidates, elle a rejoint comme le voulait le règlement, le regroupement de normaliens à l’internat de La Dullague. Interne alors qu’elle habite à deux pas, elle goûte à cette situation qui lui permet de travailler au calme dans une ambiance juvénile pleine de camaraderie. C’est avec un pincement au coeur que le samedi après midi, elle doit rentrer dans sa famille afin de gérer les problèmes matériels, les conflits permanents et sa soeur psychotique. C’est ainsi que le dimanche soir, épuisée et perturbée, elle regagne l’internat où ses copines exaltées parlent de bal du samedi soir, de petits amis forcément beaux ou de sorties en bande au cinéma. Attentive et curieuse elle écoute les autres et rêve de ce monde qu’elle peine à imaginer.

Normalienne.

Sur les conseils de son amie Marlène soit disant délurée et au courant de tout, elle demande à redoubler la seconde alors que son carnet scolaire est brillantissime.

D’après les parents de la dite Marlène, à part que cette

idée étrange vienne d’une lointaine tante particulièrement bien renseignée, les normaliens doivent redoubler leur seconde!!!

Le lycée de la Dullague va donc héberger dans ses murs Trois classes de normaliens: littéraires, scientifiques et matheux.

Personne n’a à se plaindre de cette situation: les surveillants n’ont absolument aucuns problèmes de discipline avec ces groupes de jeunes très mûrs et responsables, les profs de leur côté sont ravis de dispenser leur enseignement à ces groupes homogènes de jeunes brillants et motivés.

A l’internat, vu leur statut un peu particulier, les normaliens bénéficient de règles de vie particulières que pas un ne songe à outrepasser. Après le repas du soir, musiques, chansons, jeux théâtraux égayent les soirées. A l’heure décrétée par l’administration, les garçons regagnent leur dortoir sans rechigner alors que les filles, puissance invitante, après rires et gloussements s’endorment paisiblement pour être en forme au travail le lendemain matin. Danièle adore cette ambiance chaleureuse à des années lumières de ce qu’elle connaît chez elle. Elle va donc, à sa main, passer tranquillement cette nouvelle seconde et en profiter pour s’impliquer dans la vie associative et le club théâtre.

La fin de l’année approche, le travail avance en roue libre. Un jour, ses bonnes copines: la grosse Momo et la

Mouette la prennent à part pour lui faire une révélation: ”Bernard, tu sais, le littéraire qui prend la parole dans les réunions et qui est si amusant, on dit qu’il est amoureux de toi.” Au cours des semaines qui vont suivre, elle va recevoir des lettres enflammées lui demandant si elle partage ses sentiments. Elle ne répond à aucune, ce jeune homme pas particulièrement beau au demeurant ne l’attire pas, par contre, flattée que l’on puisse s'intéresser à elle, elle range précieusement ces missives dans sa petite valise. Un dimanche, alors qu’elle est rentrée chez ses parents, son grand père fouillant dans ses affaires découvrira ces lettres et la poursuivra dans le jardin, la traitant de traînée et de gourgandine.

Bal à Maureilhan.

Fin mai, les programmes sont terminés. Bernard invite les normaliens qui le souhaitent à venir chez lui à Maureilhan pour la fête votive qui doit durer du samedi au dimanche. Danièle curieuse aimerait bien assister à cet évènement, ses copines lui ont parlé avec enthousiasme de ces fêtes de village où l’on tourne de maison en maison, garçons et filles bras dessus bras dessous, de ces manèges étourdissants où les garçons vous font tourner dans les “casseroles”, des barbes à papa qui vous collent au visage et surtout de ces bals le samedi soir, le dimanche après midi et le dimanche soir

jusqu'à l’aube.

L’accord parental pour se rendre à Maureilhan a été arraché de haute lutte grâce à l’intervention de Marlène: Une fille comme il faut, issue d’une honorable famille de commerçants.

- “Dimanche, après le repas de midi, Tu pourras y aller en mobylette accompagnée de tes deux frères et tu devras être impérativement rentrée avant dix neuf heures.”

Même si ces contraintes amputent singulièrement le programme annoncé, Danièle est heureuse, elle va enfin “faire la fête”.

Sur place, ses frères, ravis de pouvoir picoler avec des copains de lycée l’ abandonnent. Elle rejoint donc la bande de La Dullague particulièrement liée et éméchée après une journée de fête. Tout est nouveau pour elle, le muscat qui est généreusement servi aux fêtards, les autos tamponneuses, les stands de tir et la salle de bal bruyante et totalement enfumée. Les garçons prennent le bar d’assaut, les filles qui savent, dansent le rock entre elles. Elle, ne sait pas mais elle regarde cette agitation et tout cela lui plait. “ Réserve toi pour le slow de la danse d’invitation! ” lui a dit Marlène.

Le bal de Maureilhan.

Ce matin dimanche nous avons joué le dernier match de la

saison, nous avons perdu en finale du championnat du Languedoc contre Esperaza mais nous sommes heureux. Les résultats obtenus cette année avec une équipe de bras cassés étaient inespérés. Au coup de sifflet final, la rencontre a fini en “générale” le “Charcut” est parti sur un brancard, nous sommes, j’ai honte de le dire, contents de nous, nous avons montré aux supporters et supportrices du village qui nous accompagnent que nous sommes des hommes, des vrais, virils et tout et tout…

A notre demande, au retour, le bus nous a déposés à Maureilhan où la fête bat son plein. Nous rentrerons chez nous (quatre kilomètres) par nos propres moyens.

Comme une nuée de sauterelles nous nous sommes rués sur le bar de la salle de bal où, nous tombons muscat sur muscat.

Pour évaluer l’ambiance ou saluer un ami sur la piste de danse nous interrompons de temps en temps notre beuverie. je croise au bar Bernard de Maureilhan dit le “Pèque”.

Il a fait venir ici une bande de son lycée. Membre du comité des fêtes, il tient à s’assurer que nous ne ferons pas de grabuge.

Vient enfin le moment incontournable de la soirée que même

un pilier de bar invétéré ne laisserait passer pour rien au monde: la “danse d’invitation”.

Autour de la salle sur les sièges, les filles sont assises pendant que les garçons, tournant tous dans le sens des aiguilles d’une montre, tentent de les convaincre de devenir leur cavalière pour le slow interminable qui se prépare.

N’allez pas croire que tout se passe au hasard. Depuis le début, les garçons ont, du coin de l’oeil, du bar, évalué la marchandise. Les filles pas innocentes du tout ont longuement discuté entre copines pour savoir à qui elles vont accorder cette danse.

Dès les premières notes, j’entreprends ma quête. Tout près de l’orchestre se tiennent mes groupies Vévé, Inca et Annick. Je leur fais un petit signe de main et continue ma tournée, je crois, oh joie! avoir reperé l’ex seconde qui m’avait tant plu à Henri IV l’année précédente , elle est plus belle que dans mes souvenirs avec ses yeux bridés, ses longs cheveux corbeau et ses belles jambes. Elle est encore seule, personne n’ose l’inviter, c’est totalement incompréhensible, il faut profiter de l’occasion, je me lance. A mon: “tu viens danser?” elle a répondu d’un ton glacial “Je ne danse pas!” Douché par tant

de froideur je suis revenu près de l’orchestre et j’ai fini ma soirée avec Inca.

Coco.

Vendredi: Coco est furieuse, elle sort à peine du bureau du directeur où elle s’est fait recadrer. Recadrée est un bien grand mot, le patron, patelin, lui a plutôt fait la leçon ce qui a eu le don de la mettre hors d’elle: un groupe de filles est allé se plaindre de ses activités et de ses méthodes un peu rudes.

Colette, c’est son vrai prénom est gymnaste de formation, très musculeuse et pas le genre à s’économiser, elle ne comprend pas les gens qui ne s'investissent pas dans les ateliers qu’elle s’est ingéniée à mettre en place.

Chargée de la première semaine destinée à harmoniser les disparités au sein du groupe normalien, elle a mis en place des activités “Athlé” sur le stade U. Dès le premier jour, elle déplore le petit niveau de son cheptel que ce soit en matière de sauts, lancers ou sprint. La féministe convaincue qu’elle est se désole de la bande de filles particulièrement feignasses dès que l’on parle de demi fond.

Pour la deuxième journée, elle a fait appel à un de ses amis, inventeur du programme “bébés nageurs” qui doit mettre tout ce beau monde en situation dans la piscine

toute neuve de la Paillade. Le manque de bonne volonté et le peu d’engagement d’une majorité de l’assistance irrite fortement l’intervenant qui, sentant qu’il a été un peu dur et que ses hurlements ont choqué, croit bon de se justifier: une piscine, c’est bruyant, si je crie ce n’est pas pour gueuler, c’est pour que tout le monde entende !

Le lendemain est consacré aux sports co: volley et rugby: garçons et filles mélangés; ainsi qu’aux sports de combat. Très coincées les filles restent sur la réserve sauf la petite “viet” qui par mégarde baisse le survêtement d’un grand dadais forcément géné.

Ce qui a déclenché cette levée de bouclier et la plainte au “patron” est la sortie au pic St Loup. Une rando plutôt débonnaire qui doit leur permettre de découvrir la région....

Elles en veulent de la douceur,et bien, aujourd’hui c’est : expression corporelle: individuellement, en groupes ou en couple. Les échauffements seront doux, ainsi, pas de blessures. Il faudra faire appel à la créativité pas à au physique. Nous finirons tranquillement par des danses folkloriques. Traditionnelles devrais je dire pour ne pas froisser les susceptibilités. La danse, c’est bien connu, c’est bon pour la cohésion.

J’aurai du choisir Mancini…

Sympa cette entrée en matière, la semaine s’ouvre de façon basique par une journée d’athlétisme. L’athlé sport individuel par excellence se prête, hélas, peu aux échanges.

Manquant pour certains d’entre nous de vécu collectif, nous communiquons peu entre nous. Ce qui ne nous empêche pas de constater le peu de motivation sportive d’une grosse partie des participants.

Le lendemain,l’ambiance très bruyante de la piscine n’a pas permis les discussions entre nous. Tous et toutes en maillot, nous nous sommes plutôt attardés sur la plastique de certaines.

Enfin des échanges! Aujourd’hui c’est sports co une occasion de se mêler! Quoi que … Les biterrois et assimilés ce sont précipités sur le rugby. C’est culturel! Alors que les Montpelliero Sétois ont optés pour le volley ball. C’est culturel aussi!

Cornaqués par la petite Mancini de Sérignan nous avons pratiqué toute la matinée placages et cadrages débordements, un semblant de cohésion était en train de naître dans le groupe. L’après midi lors des jeux d’opposition

nous avons enfin rompu la glace et avons bien ri lors d’un combat entre la petite “chinoise” et Fendille. Le “narbonnais”, tout confus, s’est retrouvé le pantalon baissé sur les chevilles. Selon toute évidence, l’action de la fille n’avait été ni calculée ni préméditée. La mayonnaise commençait à prendre!

Pour beaucoup d’entre nous, le Pic st loup n’était qu’une silhouette émergeant d’un océan de garrigues. Ce jeudi allait nous permettre de découvrir ce sommet montpelliérain si caractéristique. Cela changeait de notre Caroux tant de fois parcouru. Bien que la structure de cette “montagne” soit beaucoup moins complexe que celle du massif biterrois, certaines filles ont réussi, au grand dam de Coco, hors d’elle pour l’occasion, à se perdre sur les chemins pourtant évidents.

Ce matin la prof n’a pas décoléré, ça se voit, mais elle fait des efforts pour se contenir et rester calme.

Après un échauffement tout en douceur chacun d’entre nous doit faire preuve de créativité en évoluant sur une musique douce, l’exercice doit être poursuivi en couple avec deux

cerceaux pour accessoires. Pour constituer un binôme, j’ai l’embarras du choix, Momo, la soeur de l’intervenant “lancers” de lundi, La “petite” Mancini avec qui j’avais bien accroché en rugby et l’asiatique “baisseuse” de survet .

Spontanément, c’est avec elle que je fais équipe. Momo et Mancini ont donc constitué la dernière paire.

Après une courte préparation, échangeant un minimum de mots, nous avons mis au point une chorégraphie à base de cerceaux, qui, je dois ici l’avouer s’est plutôt bien déroulée .

Sitôt la musique arrêtée, chacun est retourné dans son coin, elle ne m’a plus adressé la parole.

Fin d’année.

Les week ends, alors qu’elle pourrait souffler, elle subit la pression de son père qui souhaite, grâce au salaire de sa fille fonctionnaire et à la paye de son fils, employé dans l’industrie, s’offrir une résidence secondaire dans les hauts cantons. Tout cela aboutira à l’achat d’une ruine qui ne sera jamais redressée.

C’est donc en cette fin d’année bancale que survient la traditionnelle semaine sportive de cohésion où sont proposées deux thèmes.

L’activité canoë recueille le maximum de suffrage

auprès des normaliens. Danièle ne connaît pas du tout l'arrière pays, elle aurait bien aimé passer la semaine avec François et Jean Luc qui l’attirent beaucoup mais elle nage mal et il faut bien le dire a un peu peur de l’eau. Dommage car l’ambiance doit être à coup sûr au rendez vous. Ces animateurs nés ont organisé sur le camp une radio locale sur le modèle de ce que tout un chacun a pu voir dans “Mash”: le film en vogue du moment.

En désespoir de cause elle s’est inscrite en spéléo où un effectif famélique: trois filles et cinq garçons écume grottes et avens qui truffent le causse.

Musc blanc.

J'avais choisi l’activité spéléo: je recherchais avant tout un groupe à effectif réduit, des gens discrets, un peu contemplatifs et surtout un hébergement trois étoiles au pied de la falaise à l’abri des rochers. Je n’allais tout de même pas faire du canoë

pendant sept jours avec une bande de fumistes qui ne pensaient qu’à se prélasser sur les plages du fleuve Hérault.

Elle avait choisi la spéléo. Pourquoi ? Je n’en sais trop rien mais je pense qu’une certaine curiosité pour cette activité mystérieuse ainsi que la paix royale qu’on lui laissait une fois les explorations de cavités effectuées avaient emporté la décision .

Tout au long de ce stage passé en rampings, traversées et passages de chatière j’étais charmé dans le noir par une odeur : mélange de musc et de terre mouillée. Terre mouillée en ces lieux, quoi de plus logique .

- “Tu ne peux pas remonter toute cette glaise sur un aussi long développement. Ce sera épuisant ce surplus de charge sur l’échelle métallique” lui a dit le moniteur.

- “Je remonterai tout ça!” me suis je entendu dire.

Sitôt sortie de l’aven,elle m’avait délesté de mon fardeau et courant presque sur la draille caillouteuse, s’était précipitée vers le bivouac avec l’argile pour...modeler une patte de crocodile.

Un an plus tard dans un couloir j’ai senti derrière moi, une

odeur caractéristique , je me suis retourné. Repliée sur elle même, sans le moindre signe de connivence, elle s’est engouffrée dans la salle où se tenait l’atelier théâtre.

Formation professionnelle Danièle maintenant qu’elle touche un vrai salaire loue un meublé non loin de la gare. Toute sa semaine, contrairement à ses coreligionnaires qui profitent de leur pécule pour sortir et faire la fête, elle partage ses journées entre cours et visite au centre de documentation. Un peu à contre coeur mais rongé par la culpabilité, elle rentre à Béziers tous les week ends.

Ils ont besoin de moi se dit elle à chaque fois !

Là bas, espérant toujours arranger la situation, elle s’interpose entre ses parents, lave et repasse les habits de ses grands frères, gère le travail de ses petits frères qui décrochent scolairement. En petite fille dévouée, elle ne manque pas de passer une partie de la journée avec ses grands parents qui vieillissent et déclinent.

Au fur et à mesure de ses visites elle voit la santé mentale de sa soeur décliner tellement qu’un dimanche soir, elle prend le train avec Janine et l’installe chez elle à Montpellier désespérée de la voir si mal.​ Totalement ingérable Jeanine lui est “confiée” par ses parents qui ne savent comment faire. “ Maintenant que tu es

enseignante, tu sais comment agir!” lui a t il été dit.

C’est la fin de la formation professionnelle, l’année ne se déroule pas bien pour elle, Danièle passe son temps à servir de tuteur, garde malade, je n’ose pas dire garde fou à sa soeur. En permanence, son esprit est monopolisé par la charge de sa cadette.​ ​Les semaines s'enchaînent toutes plus éprouvantes les unes que les autres . Comment concilier une activité qui demande travail et concentration et la gestion d’une soeur schizophrène qui dès qu’elle a le dos tourné fait en ville les quatre cents coups? Danièle n’en peut plus, au bord de la dépression, à moins qu’elle n’y soit en plein dedans, elle ​échoue au CFEN. Elle si brillante, craque à l’ultime échelon. Les profs pourtant au courant de ses difficultés personnelles ne la soutiennent pas. Elle voit les normaliens qu’elle a côtoyés au cours de ces années, partir vers leur poste d’affectation alors qu’elle, sous tutelle pédagogique, doit prolonger sa formation.

Libérée, mais pas apaisée pour autant, par le placement de sa soeur en centre spécialisé, elle remonte un peu la pente jusqu’à obtenir son quitus et obtenir un poste l’année​ qui suit.

Sur un parking de supermarché. la 4l bleu délavée décorée de coccinelles avait toussoté, calé puis redémarré. Sa conductrice soulagée qu’un

grand espace soit libre avait garé son véhicule, ravie de ne pas avoir à faire de créneau ou une quelconque manoeuvre.

Méticuleusement, elle avait coupé le contact, arrangé la ceinture qui à cette époque là ne s’enroulait pas.

Elle était sortie de la voiture, veillant à ne pas rayer l’auto voisine pourtant stationnée à plus d’un mètre de là.

Michèle était une fille organisée, les sacs dans lesquels elle mettrait ses provisions étaient de la même couleur que cageots et glacières, qui à son retour serviraient de réceptacles. Elle s’était dirigée vers le parc à chariots où bataillait une jeune femme de son âge.

— ​Maggy! 10 ans déjà ! Qu’est ce que tu fais par ici? Je croyais que tu étais “sur Frontignan”.

— ​J’ai changé de poste cette année et je suis venue m’installer sur Baillargues — ​Qu’est ce que tu deviens?

— ​Je suis dans une mauvaise passe, mon mari m’a quitté pour une autre, mes enfants ne veulent plus me parler, je suis au fond du seau.

— ​Laisse moi te dérider, tu te souviens de nos premiers jours à l’internat?

Je n’avais jamais laissé ma famille, j’étais très excitée à l’idée de quitter le nid, c’était pour moi un premier pas vers la vie d’adulte! Le jour de l’installation, j’étais en retard de quelques minutes. J'avais un peu honte d'être prise en défaut le jour de la rentrée alors, quand je suis

arrivée, je me suis très vite installée sur le premier lit que j’ai trouvée. C’était il y a fort longtemps… Je me suis sentie à ce moment là complètement perdue comme « en terre inconnue » !

— ​Et oui! Ca a été le début de la vie en communauté. Les chambres n’étaient pas individuelles, on appelait ça des box. En se mettant debout sur nos lits on voyait nos voisines de chambre. L’intimité était un concept très flou. En sortant de la douche en serviette de bain, petite culotte ou pyjama, on se souciait peu du regard des autres: on était comme une sorte de grande famille.

— ​C’était ça aussi l’internat: vivre ensemble, en se confectionnant finalement une famille d’adoption! Les chambres bruissaient de potins, de trucs que certaines savaient avant tout le monde. Les plus curieuses prolongeaient leurs discussions en allant prendre leur douche dans des cabines côte-à-côte.

— ​Le soir, quand on “calait” sur des devoirs à rendre et que l’on n’avait pas fini avant le couvre-feu, on se cachait en petit groupe dans la salle de bains. Les matheux étaient il est vrai souvent sollicités.

— ​Quand j’y repense on était finalement assez sages mais ça nous empêchait pas de beaucoup, beaucoup rigoler. Ce que j’aimais par dessus tout, c’était quand Hélène sortait sa guitare et qu’on chantait à tue tête des chansons de Leforestier, Léonard Cohen ou Graeme Alwright. ​ ​Comment? Tu ne le sais pas... Hélène est morte, il y a —

deux ans. Un cancer! Personne ne l’a su, la famille n’a pas tenu à publier l’avis sur le Midi Libre. Sale affaire!

— ​A part cette triste nouvelle, tu as des news des autres?

— ​Depuis que j’ai quitté l’Ecole Normale, comme je suis sur Frontignan, je ne vois plus grand monde. Si! J’ai été invitée au mariage de Jacqueline, la plus belle fille de la promo, c’était un beau mariage, son époux est prof de tennis, ils forment un couple magnifique et … riche parait il! C’était un mariage select, je n’étais conviée qu’à l’apéro. Il y avait aussi, Dimitri, seul, sans son épouse: ils divorcent. Rien ne laissait prévoir l’affaire, on les voyait toujours se faire des mamours, se dire des mots doux. Comme quoi...

— ​Moi, j’ai quelques nouvelles par le couple Andrieux, qu’on voit quand on va chez Bernard à Maureilhan.

D'après eux, “la Tasque” est toujours aussi planplan, elle finira vieille fille, ils m’ont même dit qu’elle avait pris du poids. Ils nous ont aussi raconté les aventures de Marie Claude, toujours égale à elle même, rappelle toi en FP alors qu’elle était pourtant mariée elle n’hésitait pas à sortir avec tout ce qui lui tombait sous la main. Et bien, là, pendant que son mari est à la chasse ou aux champignons, elle court le guilledoux avec tout ce que St Vital ou Lamalou compte d’infirmiers ou de kinés.

Quel numéro cette Marie Claude!

— ​Si tu écoutes la radio, tu ne peux pas rater les deux compères: François et Jean Luc. Tiens toi bien, François qui se faisait dispenser en permanence et qui

évitait rugby et hand avec les autres garçons, eh bien, je te le donne en mille, il passe pour un expert en sports, il a même sur les ondes une émission dominicale. Et le Jean Luc qui n’était jamais sorti de son trou et n’avait jamais quitté Capestang: il tient une rubrique “voyages”.

Voyant que l’heure tourne et soucieuse de faire ses courses dans le temps qu’elle s’est fixé, Michèle met fin à la conversation qui s’enlise. Maggy aurait bien prolongé cette conversation mais Mimi a l’air pressée…

— ​Attends! un dernier ragot “pour la route”: Dimanche dernier, au marché de Lunel, j’ai rencontré Danièle Galibert. Elle n’a pas changé depuis l’EN, à ce qu’elle m’a raconté, elle traîne toujours sa famille comme un boulet: ils ne lui épargnent rien. Après le CFEN, elle a été bien secouée, a frisé la dépression mais s’est ressaisie. Elle vit depuis quelques années entre Castries et Sommières. Mariée, elle a trois enfants et semble enfin heureuse.

Et Toc! ​suite et fin…

J’ai trouvé depuis peu un nouveau job, un travail passionnant, je suis animateur mascotte … à mi-temps.

Aujourd’hui, on compte sur moi pour l’inauguration du nouveau supermarché, j’y aurai un rôle important à jouer, primordial même. Je serai déguisé en TIC, mon copain Jeannot fera TAC ça va être une belle prestation.

Un dernier coup d’oeil à ma montre, il est l’heure, je dois partir.

Le bus est à l’heure, une silhouette délicieuse fait son apparition, c’est la plus jolie femme qui soit, elle paraît flotter comme si elle marchait sur un nuage.

Elle est exquise, je ne parviens pas à détacher mon regard

d’elle. Sur son visage à l’ovale parfait, brillent de superbes yeux noirs, sa peau est délicatement ocrée et ses cheveux de jais rassemblés en un chignon improbable lui donnent l’allure d’une princesse barbare. Comme je vous l’ai déjà dit, c’est l’amour de ma vie.

Je me précipite vers le portail, la voilà, elle vient vers moi, je souris.

Hiératique, elle passe devant moi sans un mot,sans un sourire...

Voilà maintenant vingt ans que c’est ma voisine.

Après le désastre de Dien Bien Phu, Fid ho, métisse eurasienne, quitte avec sa famille l’Indochine pour s’installer en France.

A de multiples occasions, elle va être amenée à croiser le “prince charmant” .

Arriveront ils à poursuivre ensemble leur chemin de vie?