Pourquoi m'as tu abandonné...

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Pourquoi m’as tu abandonné?

E.J

PAUL

Illustrateurs: Lili et Arthur Snoeck


I )Tulum: presqu’île du Yucatan. L’averse tropicale venait de tomber à pleins seaux, lessivant tout sur son passage ,donnant à la nature cette teinte vert vernissé caractéristique de ces lieux. Le soleil aussitôt fit son apparition ,transformant le secteur en une gigantesque étuve. L’humidité de la pluie récente ajoutait des nappes de brume aux formes enchanteresses et vaporeuses.Le paysage grandiose était d’une beauté à couper le souffle. Au milieu d’une épaisse jungle où se côtoient acajous, santal ,coprah et chicozapotes, le cénote Escondido avait un air de petit paradis perdu. Une immense bouche aux lèvres croulantes et cariées s’ouvrait sur un puits vertical de forme plus ou moins cylindrique, aux pans abrupts, de couleur noire . Au fur et à mesure que l’ œil descendait, on mesurait l'à pic des parois s'élargissant vers la base pour plonger dans une magnifique nappe d’eau vert émeraude trônant placide et magnifique au centre de l’aven. Il se disait qu’après de fortes pluies, le bassin central prenait des


teintes rougeâtres donnant à l’ensemble une tonalité lugubre et maléfique. Restée longtemps silencieuse la nature se déchaîna. A travers la jungle les oiseaux tropicaux se répondaient sur fond de cacophonie d’insectes stridulant à intervalles réguliers ou émettant en continu des bruits de sirène suraigus. Pendus aux lianes qui tapissaient les parois du cénote Des bandes de singes faisaient entendre d’ inquiétants hurlements gutturaux . Pour ne pas être en reste les crapauds peuplant le fond venaient se joindre à cet incroyable concerto. Pour couronner le tout,terrible présage,un aigle tournoyait lentement dans le ciel au milieu du vrombissement de centaines de bestioles volantes noires. L’endroit était aussi magique qu’ensorcelant. La quiétude du lieu, son atmosphère, remuaient l’âme et le cœur. C’était comme si la Nature avait trouvé ici l’équation originelle. Lorsqu’ils étaient les maîtres des lieux, les anciens Mayas considéraient ce puits comme un moyen de communication avec les dieux de l'infra-monde, ils l’ utilisaient comme lieu de culte dans lesquels étaient jetées offrandes ou victimes sacrificielles.


II ) Pale Rider…

Quatre voies commandaient l’accès au site. Fièrement campé au milieu de la route Sud se tenait un cavalier monté sur un cheval blanc. Droit sur ses étriers, il paradait prêt à écarter tout éventuel gêneur. A sa selle pendait un arc et un carquois abondamment rempli de flèches acérées. En toute simplicité, cet impressionnant personnage se faisait appeler “Conquête”. La deuxième voie était tenue par un triste sire chevauchant une monture rousse. Éternellement couvert de sang, il ne détestait rien moins que la paix. Le spectacle d’hommes s’étripant le mettait en joie. A son poing brillait une grande épée.“Guerre” était son nom. Tapi dans les buissons bordant le chemin Nord, planquait un chevalier tout de noir vêtu, il tenait par les


rênes une cavale d’un noir de jais. Il fallait se méfier de ce personnage, c’était un sournois, partout où il passait, il semait la désolation, les bêtes et les hommes dépérissaient et mourraient. Son nom était “Famine”. Plus à l’Ouest sur le passage le plus fréquenté , immobile, hiératique, silencieux, on vit paraître un cheval de couleur pâle, celui qui était monté dessus se nommait ”Mort” et... l’Enfer le suivait . Pas de doute, tout était en place, les “Cavaliers de l’Apocalypse” avaient reçu pour mission de sécuriser la réunion.


III) L’axe du mal. Les méchants, que certains nommaient ironiquement les “Crapulets”, arrivés en avance prirent place autour du gouffre. Satan leur leader avait, durant tout le trajet insisté sur les fondamentaux: cohésion, solidarité , esprit de groupe, discipline et professionnalisme. Leur arrivée anticipé devait assurément leur permettre de prendre la température du lieu, humer l’ambiance et mettre au point une stratégie. Au milieu de ce groupe homogène se tenait donc Satan: maître incontesté du royaume du Mal, prince des Ténèbres. Pour cette évènement spécial, il avait soigné sa présentation. Sa chevelure habituellement hirsute avait été nattée. Sur le haut de son front pointaient des cornes qu’il avait pris soin, avant de venir, de faire lustrer par ses diablotins. Sa barbe soigneusement taillée en pointe lui conférait un air ...diabolique. De ses


grandes ailes noires de chauve souris, il cachait son corps marqué à tout jamais par la foudre divine. A sa droite, siégeait Seth, Dieu belliqueux de la Violence et du Mal. Son corps presque humain était surmonté d’une tête d’animal indéfinissable, sorte de chien à museau allongé aux oreilles dressées. Dans son dos battait une horrible queue fourchue. Son pagne plissé masquait les conséquences de son combat avec Horus lors duquel il avait perdu une jambe et les testicules. A sa gauche (direction du séjour des morts), se prélassait Huitzilopochtli le local de l’étape, divinité aztèque de la Guerre et du Soleil, son nom difficilement prononçable venait de uitzilin, « oiseau-mouche », et de opochtli, « de gauche ». Les membres du gang préféraient en privé le nommer Huitzil. Le haut de son visage grimaçant était caché par un masque noir serti de coquillages. Son corps badigeonné de peinture bleue et jaune était drapé dans une cape faite des plumes d’oiseaux les plus rares et les plus colorés. De sa main, il brandissait tel un sceptre menaçant, un propulseur en forme de serpent. Collé contre le démon, véritable éminence grise, plastronnait Moloch à la sinistre réputation. Il se disait que jadis, à l’intérieur de ses statues, on allumait de grand feux pour y sacrifier les enfants. Prince du pays


des larmes, membre du conseil infernal, c’était un démon affreux et terrible doté d’une tête de veau surmontée d’une couronne royale. En retrait, air revêche, bouche tordue par un rictus permanent se pavanait Eris: déesse de la discorde. Mère d’une nombreuse famille d’enfants, tous méchants et malfaisants moins recommandables les uns que les autres à savoir : Ponos (la Peine), Léthé (l'Oubli), Limos (la Faim), Phonoi (le Meurtre ), Algea (les Douleurs), Neikea (les Querelles), Amphilogiai (les Disputes), Pseudologoi (les Mensonges), elle savait comme personne mettre de l’huile sur le feu et compliquer les négociations.


IV) Peace and love.

Chef charismatique des “Monjésus”, JC fit une apparition théâtrale qui n'impressionna pas une assistance en ayant vu bien d’autres. Drapé dans un suaire immaculé, couronne d’épines parfaitement centrée, attitude christique très étudiée, Jésus entra dans un silence glacial. Sa chevelure et sa barbe mettant en valeur ses magnifiques yeux “blue lagon” avaient été bien taillées. Son coiffeur pour la circonstance lui avait fait quelques mèches du meilleur effet. Comme à son habitude,il cabotinait : Ses “Je suis le bon berger et autres” laissaient les Crapulets de marbre. Tous savaient que sous ses airs sympa, ses postures, c’était un personnage sec, hautain, orgueilleux et souvent désagréable. Intelligent, il pouvait quand cela l’arrangeait se montrer magouilleur et sans scrupule. C’était l’instigateur de cette réunion. Furtivement,il jetait un oeil sur le soleil qui montait, exaspéré par le retard


de sa bande de bras cassés; il avait du mal à cacher son agacement. Dans un tourbillon de plumes, Quetzalcoatl entra. Il était à la bourre comme à son habitude. Il ne devait sa présence à cette réunion qu’aux liens qui l’unissaient au propriétaire du site. Il avait obtenu au prix d'âpres négociations la location à un bon prix de ce lieu. JC tenait beaucoup au côté symbolique de l’endroit. Cette divinité très couleur locale était un gentil, un pacifique un peu baba. Manipulable et consensuel le cousin d’Amérique des “Monjésus” prit place à son tour à l’emplacement qui lui était attribué. Le boss ne put s'empêcher de le rembarrer devant tout le monde. “Jésus a bien changé” se dit le “Serpent à plumes”. - “Tiens! Balder! On a failli attendre!” Moulé dans un cache-sexe très près du corps, le beau gosse du Walhalla débarqua à son tour. Très coquet, soignant son look, il avait un peu trainé dans sa salle de bain. En équilibre au bord du gouffre, il se la “pétait”, prenait des poses avant de prendre sa place. Membre du clan des gentils, il était un peu mou, je m'en foutiste et détestait prendre des initiatives. De bonne composition, il s’entendait bien avec tout le monde … sauf ,étrangement avec Christ qu’il trouvait trop cassant et imbu de sa personne. Déhanchement étudié, démarche chaloupée, sûre d’elle et de ses charmes, Isis fit enfin une irruption remarquée. Classe, charme et distinction étaient ses maîtres mots.


Elle adressa au passage un petit geste mutin en direction des vilains, ce qui eut le don d’horripiler ce psychorigide de Jésus. - “Quelle gourde celle là !” Son corps de rêve était mis en valeur par une courte tunique de lin translucide. Méfiance, sous ses airs de bimbo, la belle égyptienne était fine psychologue, elle possédait une intelligence aiguë et savait attirer l’empathie, captant ainsi les confidences les plus secrètes. Après une dernière minauderie,Isis tapota le coussin spécialement réquisitionné pour elle et s’assit ,croisant sensuellement des jambes taillées pour la tentation. Jésus pouvait ouvrir la réunion: - “Chers ennemis intimes,malgré nos dissensions et nos différents, je tiens à vous rappeler nous avons des intérêts communs.”


V) Un vide “béant”? Jésus se leva, s’éclaircit la voix et prit la parole. - Je vais être direct, nul besoin de finasser et de prendre des gants avec vous. Depuis peu, Dieu notre maître à tous, a disparu sans laisser de traces. Alors que je lui rendais visite dans ses appartements du paradis, je ne l’ai pas trouvé. A l’intérieur, rien, tout était en place. J’ai alors interrogé personnellement les saints, malgré l’utilisation de techniques pas toujours très catholiques, aucun n’a parlé, ils ne savaient rien. J’ai mis sur d’éventuelles pistes des chiens au flair exceptionnel, rien, ils ont tourné en rond . J’ai prévenu mon état major ici présent et après mûre réflexion, nous en sommes venus à la conclusion que c’était vous les coupables . Comme à son habitude, Huitzil ricana.


Moloch nullement déstabilisé rota (sans doute un nourrisson mal digéré). Seth mutique battit de la queue. Eris se renfrogna. Seul Satan restait impassible. Un long silence se fit puis un gloussement naquit dans la gorge de Huitzil : - Dieu a été enlevé ! Il s’étranglait maintenant de rire. - Satan dis leur que nous n’y sommes pour rien ! Les démons de toute évidence étaient surpris; mais pouvait on se fier à ces princes de la manipulation. Le Maître des enfers parla : - Vous avez remarqué que malgré cette absence, le monde continue de tourner, et que, personne, à part notre cher Messie n’avait rien remarqué. Christ rouge de colère, explosa: - Rendez le nous sinon ça vous coûtera cher! Quel est votre but ? Quel est votre prix ? Moloch de sa voix de stentor coupa cours à la crise d’hystérie du leader des gentils : - Puisqu’on te dit qu’on n’y est pour rien! Huitzil qui ne riant plus gargouilla: - Tu as ma parole! C’était maintenant Seth qui ricanait: - Quoi que nous disions, ils ne nous croiront pas, quittons ces lieux immédiatement et laissons les se débrouiller tout seuls.


C’est alors qu’​Eris, d’une voix sépulcrale, parla: - Il y a quelques jours,déguisée en angelot, je planquais dans les escaliers du paradis, on apprend beaucoup de choses en traînant dans les couloirs. Satan, assis sur un vieux tronc moussu, était visiblement mal à l’aise


VI) ​ ​Satan:père du mensonge. - J’étais donc tapie dans la montée qui mène en droite ligne au paradis terrestre quand le sol s’est mis à vibrer sous la cadence d’ enjambées régulières, le martèlement de pas se faisait de plus en plus proche, cela ressemblait au bruit des Uruk Haïs en route vers le gouffre de Helm. J’ai alors vu de mes yeux vu, Astaroth , l'âme damnée du Maître des enfers qui marchait d’une allure décidée à la tête des légions des Enfers. Les démons qui défilaient devant moi étaient de grands guerriers aux yeux bridés bien campés sur leurs jambes épaisses. Ils marchaient au pas cadencé tenant dans leurs larges mains courtes: épées ,piques et arbalètes. Une sorte de cotte de maille couvrait leur torse, certains portaient même une armure sommaire. Leurs lourds heaumes de fer portaient le signe de


Satan. Six cents soixante six voltigeurs précédaient le reste de la troupe. Un palanquin porté par quatre démons monstrueux se balançait au milieu du reste de l’armée. - Eris tais toi ! éructa Satan qui, perdant son sang froid, se transforma en un énorme serpent. - Vade retro ! Continue,Eris, nous sommes tous concernés! Visiblement la déesse de la discorde goûtait cette situation même si cela desservait son camp. - Je n’ai pas besoin de préciser qui, assis dans la chaise à porteurs, partait à l’assaut du paradis. Des cris montèrent du camp des gentils . - Ordure! - Sournois! - Salaud! En face, les Crapulets déploraient: - Tu aurais pu nous prévenir! - Je n’ai pas pour autant quitté mon poste d’observation continua Eris. Au bout d’un temps plutôt court, (demi-heure tout au plus), dans un bruit d’armures qui s’entrechoquaient, j’ai vu revenir les légions au pas de course, derrière ces guerriers en


pleine débandade claudiquait Astaroth. Le palanquin au milieu de cette troupe, rideaux tirés était ballotté en tous sens. Un grand silence s’est fait. Le tumulte passé, j’ai vu apparaître à son tour le Grand Satan, il descendait les marches tranquillement, l’air dubitatif, à sa démarche on voyait qu’il était sonné. - Tu l’as tué? questionna Moloch. - C’était notre ennemi juré mais cela ne se fait pas. - C’est vraiment n’importe quoi, Dieu mort, nous n’aurons plus de raison d’être, si le Bien n’existe plus, le Mal va à son tour disparaître. - Je n’ai pas tué Dieu dit le Malin. - Alors tu l’as enlevé susurra Isis ! - Dans quel but? - Qu’attends tu de nous ? - Arrêtez de piailler comme des volailles stupides! Je vais tout vous dire.Comme vous le savez tous ,il existe une règle tacite qui veut qu’Enfer et Paradis soient des Zones neutres, qu’il y a sur ce sujet un pacte de non agression.J’avais décidé de passer outre. Dans le plus grand secret, j’ai préparé mes légions pour une attaque éclair et décisive. La


vision du jardin d’Eden en flammes et l’écroulement certain du Royaume des Cieux me mettaient par avance dans un état d’excitation jamais atteint.Le jour J avec ma troupe démoniaque, nous avons monté les étages qui mènent au Ciel. Nous en étions au sixième, donc presque au but quand un vent de panique a soufflé sur mes légions, mes exhortations n’ont rien pu y faire, ils ont fui comme des lâches, Astaroth sur leurs talons.Je me retrouvais donc seul mais déterminé, perdu pour perdu, j’allais faire tout seul le sale boulot.Massacrer les deux anges qui gardaient l’entrée de la tour a été pour moi un jeu d’enfants. Je suis entré alors dans les appartements privés du “Très Haut”. Les lieux étaient déserts, le Tout Puissant avait disparu. Décontenancé, j’ai pris le chemin du retour et n’ai rien dit à personne. Quand j’ai reçu ma convocation pour cette réunion, j’ai aussitôt compris de quoi il retournait. J’ai réalisé que j’avais sans doute été le premier sur les lieux après cette disparition.


Même si c’est difficile à admettre, sachez que je n’ai rien à voir avec la disparition de Yahvé.

VII) Moloch Seth ,Isis et les autres… - Je vois que vous avez tous été prompts à m’accuser mais puisque ce n’est pas moi le coupable, je vais me poser une question qui depuis les débuts de l’humanité permet de confondre les coupables: A qui le crime profite-t-il? Qui avait intérêt à éliminer le Dieu unique ? Les dieux existaient depuis la nuit des temps. Mais la montée en puissance du monothéisme a porté des coups mortels aux panthéons païens qui, depuis,ont perdu leur puissance. Je ne parle pas des Dieux Grecs victimes de la faiblesse de leur économie ou des Dieux Romains empêtrés dans d’éternelles histoires de fesses ou de bunga-bunga. Je parle de vous Moloch, Seth, Eris, Huitzil mais aussi de toi Isis, toi Quetzal ou toi Balder. Vous


avez été rétrogradés au rang de dragons, monstres ou sorcières et dans les textes sacrés avez été exterminés par l'archange Georges. Qui maintenant se souvient de vous a part quelque lettré ou quelque timbré amateur de démonologie? C’est donc, à mon avis, l’un d’entre vous qui a fait le coup, à moins que ce ne soit un complot vous réunissant tous les sept. Balder le premier prit la parole: - Vous me prenez tous pour un être superficiel, un beau gosse un peu imbu de sa personne mais je vais vous rappeler mon histoire en quelques mots. Dans mon domaine des cieux le mal était banni. Par jalousie, le dieu Loki a causé ma mort. Cela a déclenché la bataille prophétique du Ragnarök où sont morts la majorité des dieux. Lorsque le monde a repris son souffle je suis revenu d’entre les morts. Vous m’entendez ? Je suis revenu à la vie. Ça ne vous rappelle rien? Un Dieu unique est venu dans les froides terres du Nord et a supplanté sans coup férir notre mythologie trop complexe. Bien sûr, je lui en ai mortellement voulu. J’aurai pu remâcher une vieille rancune, commettre l’irréparable mais ceux qui me connaissent savent que c’est contraire à mon tempérament, sans lutter, j’ai laissé la place. Je suis donc innocent de ce dont Satan nous accuse.


- Je parlerais au nom des Dieux de Mésoamérique. Dans le monde guerrier de ces régions lointaines, Moi, Huitzilopochtli , le Guerrier Ressuscité je personnifiais le soleil et les victoires dans les combats. Cela demandait beaucoup d’énergie. Les prêtres de l’époque pour me nourrir sacrifiaient de grandes quantités d'êtres humains pour que je puisse luire dans le ciel et leur permettre de triompher de leurs ennemis. C’était aux yeux des nouveaux arrivants espagnols des sacrifices humains à grande échelle. Les conquistadors qui ont déferlé sur notre civilisation n’ont rien compris à nos modes de vie. Pensez vous que les guerres européennes mettant face à face armée contre armée, avec un arsenal incomparablement plus meurtrier que nos pitoyables équipements d'obsidienne ne faisaient pas plus de morts? Chez nous, la Guerre Fleurie, à la manière des rencontres sportives de maintenant, opposait tout au plus une centaine de guerriers représentant leur ville état. Les combats étaient loyaux et très codifiés. Effectivement, les prisonniers m’étaient sacrifiés mais c’était la règle chez nous et celà paradoxalement évitait les tueries de masse telles qu’elles étaient et sont toujours pratiquées ailleurs.


- Bien que je ne sois que très rarement en accord avec Huitzil, il a en partie raison, les soldats de Dieu, débarquant sur nos terre, bourrés de certitudes, aidés par une supériorité technologique certaine, des circonstances politiques exceptionnellement favorables, fanatisés par leurs prêtres n’ont pas compris ou pas voulu comprendre notre civilisation. Au nom de Dieu, ils ont pillé, massacré hommes et bêtes et propagé de nombreuses maladies totalement inconnues dans nos contrées. Malgré une méconnaissance flagrante et un mépris envers nos peuples, ils ont joué sur certaines similitudes entre nos deux religions. Cortes sans vergogne s’est fait passer pour moi: Quetzalcoatl le ”serpent à plumes”. Nos “indiens” n’ont pas vu de différence flagrante entre le sacrifice du Christ et les sacrifices humains qu’ils pratiquaient. De même, le culte des saints se rapprochait étrangement de la vénération que les Aztèques portaient à leurs idoles. Le remplacement de la Déesse Mère par la Vierge de Guadalupe a même été vécu comme une sorte de continuité.


L’Eglise,sciemment, pour permettre une vague de conversion, a indianisé les rites et les croyances. La règle qui veut que les peuples vaincus adoptent les dieux de vainqueurs a été respecté, sans aigreur, nous nous sommes effacés. Si vous avez compris ce que nous venons de dire, vous imaginez aisément que nous n’avons rien à voir avec la disparition de Yahvé. - Cher Huitzil, bien que plus ancien que toi, j’ai été moi aussi évincé, pourtant, on parlait de moi dès l’Ancien Testament. Mon culte était ponctué de sacrifices d'enfants par le feu. J’étais une divinité liée au monde des morts. Certains confondaient, dans les débuts, mon culte et celui de Yahvé auquel, à l’origine on sacrifiait des enfants. C’est alors que “Sa Grandeur” s’est acheté une conduite avec le vrai / faux sacrifice d'Isaac. A partir de ce moment, il a tout fait pour m’écarter. Je me suis donc exilé à Carthage où les romains nous ont anéantis, moi et mes adeptes. Il n’y a plus personne aujourd’hui pour s'intéresser à moi. Je ne vois donc vraiment pas ce que la disparition du Dieu unique pourrait m’apporter. Et puis, ma haine envers lui, c’est de l’histoire ancienne.


- Je n’ai pas toujours été dans le camp des réprouvés, à l’origine, dans le monde compliqué des dieux égyptiens j'occupais une place plus qu'honorable. J’étais Seth, le Maître du tonnerre et de la foudre, j'exerçais ma puissance sur les contrées désertiques, j’étais un dieu complexe: trop sans doute pour ceux qui basent leur religion sur l’élimination du mal. Ma puissance contribuait à l'équilibre cosmique car les forces destructrices doivent perpétuellement lutter contre les forces positives. Pour me nuire,on m’a dépeint comme ambitieux, comploteur, manipulateur et l’on n’a vu en moi que l'assassin de mon frère Osiris. Calomnié, vilipendé, j’ai été mis hors jeu. Identifié au monstre du chaos, j’ai été ramené au rang de personnage folklorique. Je ne peux imputer à Yahvé ma disparition du concert des immortels. - Dans l’ombre de mon frère et mari Osiris, puis dans celle de mon fils Horus. On m’a d’abord cantonnée au domaine funéraire. Ca m'agaçait un peu d'être la soeur parfaite, la femme au foyer totalement soumise et la mère au foyer épanouie. Je me suis donc émancipée, j’ai su m’adapter à la complexité des civilisations qui s’étendaient autour de la Méditerranée. Mon culte s’est répandu, un nombre


important de sanctuaires ont été élevés en mon honneur. On voyait en moi: le royaume souterrain mais aussi le retour de la vie au printemps. On me représentait par des statues où, assise sur un trône j'​allait​ais le jeune Horus. On me vénérait, c'était bien agréable. J’étais en ces temps là, une vraie star: la seule déesse allaitante de tout le monde connu. Tout allait bien pour moi quand, en douce, sur la pointe des pieds, une obscure habitante de la province de Judée a tout fait pour m’évincer. Et vas y que je prends des poses avec l’enfant Jésus dans les bras et vas y que je me pavane sur mon trône céleste, que j’allaite impudiquement mon petit lardon. Elle m’imitait en tous points. Elle a réussi dans son entreprise et j’ai disparu totalement du monde antique. Traînée! Poufiasse! Catin! Pour se donner un genre elle se fait appeler Vierge Marie, non mais, qui de nos jours croit encore à ces sornettes. Je la hais, je la déteste. Si je la tenais, je lui crèverais les yeux avec une fourchette à escargots. Comprenez bien, que Dieu, je m’en tape le diadème avec une patte de crocodile du Nil, mais cette sainte Nitouche... A l’évocation de sa concurrente, la belle Isis piqua une crise de nerfs, fondant en larmes , hoquetant et se


lacérant le visage. Offrant alors à toute l’assistance l’apparence d’une horrible harpie. - Pour ma part, dit Eris coupant court à l’accès de rage de sa collègue féminine, il y a bien longtemps que je n’ai pas défrayé la chronique, ma dernière action d’éclat remonte à l’affaire de la “Pomme de la Discorde” qui certes est à l’origine de la Guerre de Troie mais depuis, rien, calme plat. Je ne pense pas que Yahvé soit pour quelque chose dans mon effacement du Panthéon. Et puis, il y a si longtemps, je sais que la vengeance est un plat qui se mange froid, mais je n’avais ni le pouvoir, ni l’envie de supprimer le “Très Haut”. Isis s’était reprise : - Certains d’entre vous pensent toujours que je suis une cruche mais... Vers qui se tourne t-on quand on a un doute, un coup de moins bien, un remord qui nous obsède, un secret qui nous pèse?


VII) Le Fils de l’homme…

- Souviens toi Jésus: tu étais seul, très seul, assis sur le bord du monde, désespéré, tu te remémorais de pauvres histoires, les larmes te montaient aux yeux. Je me suis approchée, et tu m’as ouvert ton coeur. - Je le hais, as tu dis la gorge nouée, jamais un mot d’encouragement, jamais une attention. Il me méprise et fait tout pour m’écraser, je vis dans son ombre, il m’humilie, ce que je fais pour lui n’est jamais assez bien. Il a


toujours été un père absent et pour mon éducation, il a laissé beaucoup trop de place à ma mère! - A ce moment, je l’affirme tu avais vraiment envie de tuer Dieu. - Allons Isis, tu t’es méprise: tuer le père est une expression tirée du domaine de la psychologie. Ce n’était ce jour là qu’une manifestation du complexe d’Œdipe que tout un chacun éprouve un jour ou l’autre. Arrêtez tous de me regarder ainsi, je suis ​Jésus : Fils de Dieu engendré par le Saint-Esprit dans le sein de Marie, la femme de Joseph. Vers l'âge de trente ans, j’ai parcouru le pays en racontant des paraboles sur Dieu et sur ce que doit accomplir l'Homme sur Terre. J’ai même accompli des miracles. Un ricanement éclata dans l’assistance: - Pas de ça entre nous, on connait tous ici les ficelles du métier. Jésus comme s’il n’avait rien entendu ,poursuivit: - J’ai porté la croix jusqu'au lieu de la crucifixion. On m’a supplicié et j’ai ressuscité d’entre les morts. Mes apôtres pourront vous le confirmer. Cette croix est devenue plus tard un symbole de la nouvelle religion. ​Petit à petit, par petites touches j’ai imposé mes vues à Dieu; mes idées, plus modernes, ont été sur le devant de la scène. Son ancien testament


a été complètement ringardisé par ma vision plus moderne de la marche du monde. J’ai bousculé la vieille religion qui ronronnait dans son coin. Après moi, le nombre des fidèles a crû de façon exponentielle. C’est pourquoi, en vérité, je vous le dis, si on considère que Dieu a disparu, ​je pense être le plus apte à occuper sa place. Partisans et opposants qui avaient jusque là écouté sa péroraison, explosèrent: -

C’est pour ça que tu nous as fait venir ici ! Parricide! Hypocrite! Intrigant! Tu veux qu’on entérine ton nouveau statut! Dire qu’on te faisait confiance! Moi qui te donnais le bon dieu sans confession!

Un grand plouf interrompit ce déballage qui tournait à l’aigre.


VIII) André CS Interloqués, les protagonistes se figèrent. Du fond du cénote, poussé par une créature qui visiblement se croyait seule, monta un chant qui fit dresser l’oreille des “immortels” : - ”Mettez vous à genoux priez et implorez, faites semblant de croire et bientôt vous croirez”. C’était un homme d’un certain âge voire d’un âge certain , il était partiellement chauve, une couronne de cheveux blancs entourait un visage détendu exprimant une grande sérénité. Légèrement bedonnant il ne portait sur lui aucun vêtement. En tenue d’adam, il goûtait à la tiédeur de l’eau et la splendeur des lieux. (Il se croyait seul). Une voix venue des hauteurs du gouffre, tonna! - Qui es tu misérable mortel pour troubler ainsi notre réunion divine !


Pas troublé ni décontenancé le moins du monde; d’une voix forcement moi puissante mais néanmoins assurée: - Je me nomme André ,je suis psychologue clinicien, une sorte de médecin des âmes, on me dit aussi philosophe. - Tu as sans doute remarqué que Dieu avait disparu, tu as l’air perspicace, aurais tu une petite idée sur l'identité de celui qui a fait le coup André se racla la gorge et proclama, plein de certitudes. - Pendant des millénaires, la religion avec ses principes, ses rites, ses valeurs, ses symboles, sa morale, la force de ses traditions ainsi que son côté immuable a donné aux hommes des règles, des exemples, exerçant sur eux une très grande fascination. La religion était acceptée de tous, recherchée même pour son aspect rassurant. Plus le temps passait, plus l'idée de soumission à un Dieu omnipotent posait problème. L’homme devenu de plus en plus individualiste, n’avait plus envie qu’on lui impose une loi, il voulait choisir lui même ses engagements. Après s'être adonné à la course à la réussite, à la performance, à la consommation, il s’est rendu compte qu’il faisait fausse route. Il a exploré les voies de la raison, de la logique, de la science et il en a saisi les limites. Face au mystère angoissant de l'existence, l’homme avait besoin de faire un avec le grand tout, il avait envie


d’absolu, d'infini, de mystère mais d’une spiritualité sans Dieu. "Imaginez que vous avez un caillou dans votre chaussure, vous n'allez pas jeter la chaussure, vous allez juste jeter le caillou. Voilà ce que nous avons fait, Dieu était notre caillou, nous l’avons éliminé. A ces mots cet aréopage tant angélique que démoniaque se volatilisa​ ​dans l’ether .


Mars 2018. A ma Vive, voyageuse infatigable, visiteuse intrĂŠpide du Yucatan et de ses cĂŠnotes.


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