LE MAGAZINE
DâUN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG
b GRAND ENTRETIEN
DANIEL COHEN
«âIl nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă la solitude...â»
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c DOSSIER
SNCF REME
Lâincroyable fiasco
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â48 MARS 2023 RETOUR
a ACTUALITĂ RECOR
CĆUR BATTANT
Le centre qui rassure
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c CULTURE CENTRE POMPIDOU METZ Retour vers le futur
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Retour
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RETOUR
Par Patrick Adler, directeur de publication
HERMANN HESSE,
Retour sur Ibn Khaldoun. On devrait toujours relire les Anciens.
Ibn Khaldoun (1332â1406), fut historien, philosophe, homme dâĂtat, dĂ©mographe et prĂ©curseur de la sociologie. Il vĂ©cut une pĂ©riode particuliĂšrement troublĂ©e et il analysa son Ă©poque, mais aussi lâHistoire universelle et fut sans doute le premier historien Ă livrer une vision claire du processus qui mĂšne un empire de sa naissance Ă sa chute.
Sa vie, son expĂ©rience et son Ă©rudition lui firent Ă©crireâ: «âLes temps difficiles crĂ©ent des hommes forts. Les hommes forts crĂ©ent les pĂ©riodes de paix. Les pĂ©riodes de paix crĂ©ent les hommes faibles. Les hommes faibles crĂ©ent les temps difficiles.â»
Le dĂ©senchantement du monde dâaujourdâhui, le vide abyssal créé par le trop-plein des rĂ©seaux sociaux, les individualismes communautaristes, le mĂ©pris des traditions comme celui de valeurs pourtant construites sur des millĂ©naires, la nĂ©gation mĂȘme de certaines lois naturelles, autant par les transhumanistes que par les Ayatollahs de lâindiffĂ©renciation des sexes, tout cela contribue inexorablement Ă un retour nĂ©cessaire vers ce qui devrait ĂȘtre ce que lâHomme, dans lâHistoire, a su lentement, construire en termes de valeurs Ă©thiques et humanistes.
Malheureusement, ce retour qui devrait toujours ĂȘtre un renouveau, comme celui annoncĂ© par les oiseaux de retour au printemps, est souvent dĂ©tournĂ©
par certains pour nous renvoyer vers de vieilles lunes rĂ©trogrades, qui oublient le progrĂšs social et lâĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes, pour nous servir des discours au relent dâautoritarisme et de fascisme.
Ce que nous ne devons pas manquer, câest le retour au vrai dĂ©bat dâidĂ©es et Ă la communication, Ă lâĂ©ducation et la culture partagĂ©es, Ă lâĂ©thique (diffĂ©rencier ce qui est juste dâinjuste) plutĂŽt quâĂ la morale (ce qui est bien ou mal).
Chez les juifs le mot Retour se dit «âTechouvaâ» et il signifie avant tout un retour vers soi avant dâĂȘtre un retour vers Dieu.
Câest peut-ĂȘtre vers ce retour-lĂ quâavant tout, il faudrait savoir aller.
«âPour chacun de nous existent de multiples chemins, de multiples possibilitĂ©s, celles de la naissance, de la transformation, du retour.â»
ĂDITO 4 â48 â Mars 2023 â Retour
écrivain (Prix Nobel de littérature 1946) (1877-1962)
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b Grand entretien Daniel Cohen
8-15
16-37 c Dossier Lâincroyable fiasco du REME
20
Alain Jund
28
32
a Culture
François Giordani
36
Elle se tait, la SNCF... (â)
E Société
Q Or Champ
142
S ActualitĂ©s 38 SociĂ©tĂ© Le choc des gĂ©nĂ©rations 44 Recor, cĆur battant Le centre qui rassure (â) 52 Reconversion Trois ans aprĂšs le «âBig Quitâ», des Strasbourgeois tĂ©moignent 58 Un fonctionnement novateur Hara Solidarity Consulting 62 Mamies gĂąteaux Retraite active 64 Hommage Christian Bobin 114 Jeff Bezos Terminus, les Ă©toiles 118 Mari in Borderland Moutons explosifs 120 Le parti-pris de Thierry Jobard Rituel beautĂ© 124 Chronique Moi, Jaja⊠128 Regard Jak Krokâ lâactu
68 Rencontres tous publics Le festival Arsmondo 72 Nomination Anna Sailer 76 Art et informatique Alessia Sanna (â) 78 Musique dâaujourdâhui Bruno Montovani 80 Galerie de lâEstampe Christophe Wehrung 82 Saga Victor Weinsanto 86 Expo HervĂ© Bohnert 90 Centre Pompidou Metz Retour vers le futur 94 Portfolio Estelle Lagarde 104 PoĂ©sie La frontiĂšre 106 Voix de Strasâ Catherine Bolzinger 108 Le jour oĂč Johann Knauth 112 Late-show SĂčnndiâs KĂ ter 134 Musique The Fireman, Strawberries Oceans Ships Forest 136 SĂ©lections Exposition, festival, livres
Ganimat Zahid La guerre en Ukraine, un an aprĂšs
Défilé de saisons
de la lenteur
130
LâĂ©loge
«âDans la civilisation qui vient, il nous faudra par dessus tout Ă©chapper Ă la solitude.â»
SOMMAIRE
2023
MARS
Autopsie
dâun ratĂ© Thibaud Philipps
CÎté
Grand Est,
usagers
usagers TER
Le ras-le-bol des
CÎté usagers
Commentaire Et la SNCFâ?
6 â48 â Mars 2023 â Retour
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Jean-Luc Fournier Yann Lévy
Daniel Cohen
la civilisation qui vient, il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă la solitudeâŠâ»
Il est sans doute le plus suivi des Ă©conomistes français. Dâune voix toujours trĂšs calme, privilĂ©giant les plateaux oĂč on lui donne le temps de dĂ©velopper son propos, Daniel Cohen analyse sans relĂąche lâĂ©poque que nous vivons. En ce dĂ©but 2023 oĂč se multiplient les lourds nuages noirs qui planent au-dessus de nous avec la guerre en Europe, lâinflation qui galope et, en France, lâimprobable mise au calendrier dâune Ă©niĂšme rĂ©forme des retraites trĂšs combattue, voilĂ une rencontre pleine dâenseignements avec celui qui professe lâĂ©conomie Ă lâĂcole dâĂconomie de Paris et qui vient de publier Homo Numericus, la «âcivilisationâ» qui vient, un ouvrage oĂč les mises en perspective ne manquent pas de pragmatisme et Ă©clairent quelque peu les enjeux contemporainsâŠ
«âDans
b GRAND ENTRETIEN b GRAND ENTRETIEN â Daniel Cohen 9 â48 â Mars 2023 â Retour
Il y a une dizaine dâannĂ©es, vous aviez publiĂ© Homo Economicus, ce livre oĂč vous dĂ©montriez que lâĂȘtre humain Ă©tait en train de perdre tous les repĂšres que la sociĂ©tĂ© industrielle lui avait lĂ©guĂ©s depuis un siĂšcle et demi. Dix ans plus tard, dans Homo Numericus , vous dĂ©crivez lâavĂšnement dâune nouvelle sociĂ©tĂ© et vous nâĂȘtes manifestement pas trĂšs optimisteâŠ
Ce nâest pas tellement une question dâĂȘtre ou non optimiste. Ă lâĂ©poque, je faisais le constat de la remise en cause des liens sociaux qui avaient vu le jour et pu exister durant la pĂ©riode antĂ©rieure, grosso modo des annĂ©es cinquante/soixante jusquâau dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt oĂč est apparu un dĂ©but de dĂ©litement de tous les collectifs qui construisaient la sociĂ©tĂ©, Ă commencer par les entreprises, les syndicats et puis, progressivement ensuite, beaucoup dâautres formes dâappartenances comme les partis politiques, par exemple.
La promesse principale de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique que jâessaie de dĂ©crire dans mon livre dâaujourdâhui est quâelle serait capable de se substituer Ă ce dĂ©ficit dâinstitutions propres Ă la socialisation des individus quâon observe depuis maintenant quatre dĂ©cennies. Elle prĂ©tend compenser ce qui existait antĂ©rieurement avec des entreprises en ligne, une sociĂ©tĂ© qui sâexprime via les rĂ©seaux sociaux, avec lâĂ©mergence dâune prĂ©tendue nouvelle intelligence collective
et dâune nouvelle façon de faire de la politique⊠Câest en cela que le constat de mon dernier livre est en effet assez pessimisteâ: cette idĂ©e qui voudrait quâon puisse reconstituer les formes de la vie sociale Ă travers la vie en ligne reprĂ©sente une attente qui est manifestement déçue, câest un peu le fil de ces dĂ©ceptions, entre les attentes et la rĂ©alitĂ© de ce qui sâest produit depuis, dont jâessaie de faire le rĂ©cit dans le livre.
Dans Homo Economicus, vous Ă©voquiez «âlâeffilochageâ» de ce qui constituait les acquis de la sociĂ©tĂ© industrielle. Aujourdâhui, dans Homo Numericus , vous parlez de dĂ©sintĂ©gration⊠Dans le domaine strictement Ă©conomique, câest antĂ©rieurement Ă la sociĂ©tĂ© numĂ©rique que les Ă©conomistes ont parlĂ© de dĂ©sintĂ©gration verticale de la chaĂźne de valeur pour caractĂ©riser cette nouvelle façon dâorganiser la sociĂ©tĂ© qui consiste Ă faire Ă©clater ce qui, autrefois, se jouait Ă lâintĂ©rieur de la vie de lâentreprise pour, en le disant rapidement, substituer Ă ce qui Ă©tait auparavant un rapport de subordination, un rapport direct complĂštement nouveau qui se situe entre le donneur dâordre et le sous-traitant. Câest en cela que lâon peut parler de dĂ©sintĂ©gration des liens sociaux tels quâils sâĂ©taient progressivement constituĂ©s au sein de lâimage un peu archĂ©typique de la grande entreprise industrielle. Câest ce processus-lĂ qui va toujours plus loin grĂące
Ă la sociĂ©tĂ© numĂ©rique et dont le tĂ©lĂ©travail est un des derniers rebondissements, qui distend le lien organique qui pouvait exister entre un salariĂ© et son entreprise. Sa forme la plus caricaturale est lâuberisation, lâentreprise nâexistant dĂšs lors plus que sous la forme dâun algorithmeâŠ
Quelle dĂ©ception quand on songe quâil y a dix ans et mĂȘme un peu plus, on espĂ©rait encore que le web allait bouleverser positivement le monde, quâon allait pouvoir avoir accĂšs Ă une connaissance infinie et mieux coopĂ©rer tous ensembleâŠ
On va dire que, dĂšs lors que la mondialisation bat son plein, Ă partir de la seconde moitiĂ© des annĂ©es 90, lâOMC (lâOrganisation Mondiale du Commerce â ndlr) est créée, la Chine sâouvre au commerce international, on pouvait penser que cette libĂ©ralisation Ă©conomique allait constituer, de façon endogĂšne, un contre-pouvoir, une sociĂ©tĂ© civile mondiale qui serait capable de rĂ©agir aux excĂšs de la mondialisationâ: câest le moment des sommets antilibĂ©raux des organisations altermondialistes comme Porto Allegre. On pouvait alors penser quâInternet Ă©tait la promesse de constitution de rĂ©seaux non marchands capables de modĂ©rer les excĂšs de cette sociĂ©tĂ© nĂ©olibĂ©rale planĂ©taire. Au fond, câest la naissance de lâiPhone qui dĂ©mocratise radicalement lâaccĂšs permanent aux rĂ©seaux sociaux,
10 â48 â Mars 2023 â Retour b GRAND ENTRETIEN â Daniel Cohen
qui montre quâune sociĂ©tĂ© civile mondiale est en train de se constituer et quâon peut avoir lâespoir dâune sorte dâagora planĂ©taire qui va ĂȘtre capable de permettre Ă quiconque, quel que soit son rang dans lâespace social et sa position, de sâexprimer et de faire entendre son point de vue.
Dans le livre, je fais le lien entre cette promesse et les mouvements de contestation des annĂ©es 60 qui ont fait surgir une remise en cause radicale du monde ancien, tout en verticalitĂ©, qui rĂ©gissait non seulement le monde de lâentreprise, mais aussi la famille avec ce patriarcat qui Ă©tait encore trĂšs fort et qui a soudain volĂ© en Ă©clats en mai 1968, tout comme le mandarinat dans les universitĂ©s, dâailleurs. Lâobjectif de la rĂ©volution informatique des annĂ©es 70 a ensuite Ă©tĂ© dâessayer de donner Ă cette contestation les moyens de sâexprimer, comme une promesse de sociĂ©tĂ© en horizontalitĂ© qui viendrait se substituer au monde ancien.
Aujourdâhui, la dĂ©ception quâon est obligĂ© de constater câest que cette parole libĂ©rĂ©e via les rĂ©seaux sociaux nâest Ă©videmment pas lâexpression dâune intelligence collective nouvelle telle quâon lâaurait souhaitĂ©e, mĂȘme sâil y a bien sĂ»r Wikipedia ou des boucles qui se constituent et qui permettent Ă des militants ou des savants de sâorganiser. Des mouvements comme le Printemps arabe, Metoo ou encore Black Lives Matter doivent beaucoup Ă cette
capacitĂ© quâont les rĂ©seaux sociaux de mettre en rĂ©sonance une protestation des faibles vis-Ă -vis des forts, pour le rĂ©sumer trĂšs simplement. Tout cela nâest pas nĂ©gligeable, mais on est obligĂ© de voir aussi que face ou en parallĂšle Ă cette promesse, il y a une grande et pesante part dâombreâ: les rĂ©seaux sociaux sont devenus un univers oĂč prospĂšrent les fake news, les contre-vĂ©ritĂ©s, le complotisme et donc finalement, Ă tout prendre, on est lĂ face Ă un monde haineux et pas un monde de conversation possible sur le modĂšle que lâon avait pu espĂ©rerâŠ
Tout cela nâa-t-il pas au fond Ă©tĂ© rendu possible par un trop grand laisser-faire, tel que les ultra-libĂ©raux de la Silicon Valley lâadorent, au dĂ©triment dâune rĂ©gulation capable de modĂ©rer les excĂšs des nouveaux outils dĂ©ployĂ©s par les rĂ©seaux sociauxâ?
Oui, câest certainement ça, mais il y a encore plus subtil. Il faut vraiment comprendre lâĂ©poque actuelle comme lâhĂ©ritiĂšre de deux moments trĂšs lourds de notre histoireâ: la rĂ©volution culturelle des annĂ©es 60, profondĂ©ment anti-systĂšme et la rĂ©volution conservatrice qui a dĂ©butĂ© dans les annĂ©es 80, trĂšs libĂ©rale au niveau Ă©conomique, mais profondĂ©ment conservatrice au niveau des valeurs. Aujourdâhui, lâhomo numericus tel que je le dĂ©cris est profondĂ©ment libertaire, il est Ă la fois anti systĂšme, il ne supporte pas les autoritĂ©s de
toutes sortes, mais il est en mĂȘme temps libĂ©ral. Câest cette conjonction Ă©trange dont il est la synthĂšse, dans un certain sens. En rĂ©alitĂ©, cette horizontalitĂ© tellement souhaitĂ©e dans les annĂ©es 60 se traduit aujourdâhui par la mise en compĂ©tition gĂ©nĂ©rale de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre, qui est bien sĂ»r une situation trĂšs Ă©loignĂ©e des idĂ©es des soixante-huitards. Mme Tatcher disaitâ: «âLa sociĂ©tĂ©, ça nâexiste pasâŠâ» Pour elle, il nâexistait que des individus qui signent un pacte pour vivre les uns avec les autres. Le problĂšme tout entier est lĂ . Quand on a des individus isolĂ©s et que la seule façon quâon a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via lâordinateur, et bien ça ne fonctionne pas. Ăa dĂ©veloppe mĂȘme une sociĂ©tĂ© ultra-libĂ©rale câest-Ă -dire une sociĂ©tĂ© oĂč chacun est en concurrence permanente avec tous les autres, y compris quand il sâagit de se faire entendre. Si vous voulez que votre message soit entendu via internet, il faut crier plus fort que les autres, il faut rouler des mĂ©caniques, il faut hurler. Ăa fait partie des pathologies quâon dĂ©couvre aujourdâhuiâŠ
Un peu plus de vingt ans aprĂšs lâavĂšnement des outils qui vont propulser la sociĂ©tĂ© numĂ©rique, on en arrive maintenant Ă lâirruption de lâintelligence artificielle. On se pose dĂ©jĂ la question de savoir si les algorithmes vont dominer le monde. Le sous-titre que vous avez choisi pour Homo Numericus, câest la «âcivilisationâ» qui vient, et il y a des guillemets autour du mot civilisation⊠Ăa sâannonce vraiment en effet comme une civilisation, câest-Ă -dire un systĂšme plein, dans lequel on explique aux gens comment aimer, comment travailler ou comment rĂȘver, câest-Ă -dire comment faire sociĂ©tĂ©, en rĂ©alitĂ©. Tout ça est retravaillĂ© en profondeur par la sociĂ©tĂ© numĂ©rique. Par exemple la maniĂšre dâaimer dont je parle dans le livreâ: jâĂ©voque Tinder, câest peutĂȘtre un peu anecdotique, mais la sexualitĂ© en ligne est en train de gravement perturber la sexualitĂ© des jeunes par le biais dâun rapport Ă autrui qui est bien loin de lâamour tel quâon est habituĂ© Ă le penser. Il en va de mĂȘme pour le rapport au travail, il est en train de diamĂ©tralement changer, non seulement le travail quâon fait, mais jusquâĂ la maniĂšre dont on le fait. Câest bien sĂ»r lâavĂšnement du tĂ©lĂ©travailâ: une Ă©tude qui va sortir bientĂŽt fait apparaĂźtre quâun peu de tĂ©lĂ©travail câest bien parce que ça donne de la libertĂ© et ça offre des moments oĂč on peut se ressourcer, mais quand câest trop de tĂ©lĂ©travail, alors ça ne
b GRAND ENTRETIEN â Daniel Cohen 11 â48 â Mars 2023 â Retour
«âQuand on a des individus isolĂ©s et que la seule façon quâon a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via lâordinateur, et bien ça ne fonctionne pas.â»
va plus du toutâ: on perd alors le rapport aux autres et Ă ses collĂšgues, on se sent trĂšs seul. On retombe toujours sur cette interrogationâ: comment une sociĂ©tĂ© se pense-telle comme un collectifâ? Câest cela qui est perverti aujourdâhui par la maniĂšre dont la vie politique se joue Ă travers les rĂ©seaux sociaux. Pour aller vite, une civilisation, câest un peu lâensemble de ces trois Ă©lĂ©mentsâ: comment noue-t-on des rapports interpersonnels, quel est notre rapport au monde du travail et quel est notre imaginaire politiqueâ? Ces trois termes sont aujourdâhui pervertis par lâavĂšnement de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique.
Il faut prendre trĂšs au sĂ©rieux lâavĂšnement de lâintelligence artificielle. Câest une nouvelle Ă©tape fondamentale de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique, comparable sans doute, mais en sens inverse au niveau des bienfaits, Ă lâinvention de lâimprimerie.
LâavĂšnement de lâIA est un choc. Il faut dâabord comprendre Ă quoi ça sert. Il sâagit bien de gĂ©nĂ©rer des gains de productivitĂ© dans une sociĂ©tĂ© de services qui, traditionnellement, met en vis-Ă -vis un humain face Ă un autre. En matiĂšre Ă©conomique, ce qui se cherche, ce sont des maniĂšres de rĂ©duire le coĂ»t de ces interactions. Pour rĂ©duire ce coĂ»t, on se voit et on se parle en ligne via Zoom ou Teams, plus
besoin de prendre le train ou lâavion et de rĂ©server une chambre dâhĂŽtel. On rĂ©duit considĂ©rablement les coĂ»ts en offrant aux consommateurs des algorithmes qui vont lui permettre lui-mĂȘme de faire tout seul les transactions qui auparavant nĂ©cessitaient un autre humain face Ă soiâ: ainsi, je rĂ©serve tout seul un billet de train ou dâavion, je gĂšre mes comptes bancaires tout seul puisquâon me donne les moyens que me fournissait jadis un employĂ© de ma banque. On voit bien quâil sâagit lĂ de la productivitĂ© pure, au sens traditionnel et Ă©conomique du terme. Câest dans cet espace-lĂ que se situe lâintelligence artificielle, lĂ oĂč lâhumain qui reste encore est dĂ©finitivement remplacĂ© par une machine. Au vingtiĂšme siĂšcle, on demandait Ă lâhomme de se comporter comme une machine, câĂ©tait le principe du travail Ă la chaĂźne. Aujourdâhui, câest la sociĂ©tĂ© de services, on demande aux machines de se comporter comme un humain. Ăa ne me gĂšne pas plus que ça pour tout ce qui englobe les tĂąches purement administratives, le back office comme on ditâ: prenez le cas des chercheurs dont je connais bien les contraintesâ: ils passent la moitiĂ© de leur temps Ă rĂ©gler des tĂąches administratives, alors si lâIA peut les aider Ă les assumer, ça ne me paraĂźt pas du tout gĂȘnant.
Ce qui sera problĂ©matique, câest lorsque la ligne blanche du cĆur mĂȘme de la relation de lâhumain Ă lâhumain sera franchie. La santĂ© offre de bons exemplesâ: vous ĂȘtes malade et vous avez besoin de voir un humain pour vous soigner. Va-t-on savoir sâarrĂȘter Ă temps dans ce domaine ou va-t-on en arriver Ă ce moment oĂč on va vous dire quâil nây a pas de mĂ©decin pour vous examiner et quâil va falloir vous faire vous-mĂȘme un scanner et quâon vous enverra ensuite un diagnosticâ? Seul, vous seriez alors confrontĂ© Ă un intense trouble existentiel, nonâ?
On voit bien que dans cette sociĂ©tĂ©-lĂ , il y a plein de trucs qui ne marchent pas du tout. Les cours en ligne sont un Ă©chec, entre autres exemples. Toute la difficultĂ©, câest de dĂ©celer la frontiĂšre Ă ne pas franchir pour que ces technologies restent des technologies au service des humains et leur donnent du temps pour quâils sâoccupent mieux de lâhumain, justement. Et non pas des instruments qui viendraient se substituer Ă lâessence de la relation interpersonnelle. Le point fondamental est lĂ . Et câest pour ça quâil faut prendre lâIA trĂšs au sĂ©rieuxâ: elle rĂ©alisera des choses pour lâheure inaccessibles Ă la machine, mais il faudra donc ĂȘtre extrĂȘmement attentif au fait quâelle ne vienne pas nous animaliser, en quelque sorte, quâelle ne vienne pas nous dĂ©possĂ©der de ce qui fait notre sensibilitĂ© humaine.
Le danger paraĂźt bien rĂ©el quand on voit dâoĂč naissent ces technologies, de laboratoires de ces multinationales californiennes qui paraissent quand mĂȘme hors-solâŠ
Si je dis ça, en effet, câest parce que je pense que pour lâinstant, nous sommes sur la mauvaise voieâ: on laisse en effet ces innovations jaillir de lieux hors-sol, comme vous dites. Il y a comme ça des jeunes gens, qui Ă©taient il nây a pas si longtemps dans un garage et qui inventent des trucs pour se soigner, pour sâĂ©duquer, pour rĂ©server un taxi, un hĂŽtel, etc. Si je dis que ces jeunes gens raisonnent hors-sol, câest pour faire comprendre quâils ne cherchent pas Ă amĂ©liorer par exemple la relation entre un mĂ©decin et un hĂŽpital. En rĂ©alitĂ©, ils cherchent Ă se substituer Ă cette relationâ: alors, ils vont crĂ©er une montre bourrĂ©e de technologies qui va vous indiquer instantanĂ©ment votre pulsation cardiaque, entre plein dâautres fonctions devenues soudain accessibles Ă tout moment. Et lĂ , on en revient au projet nĂ©o-libĂ©ral que vous Ă©voquiezâ: vous allez avoir le fantasme de pouvoir vous soigner tout seul. Idem pour vous Ă©duquer, etc., etc.
12 â48 â Mars 2023 â Retour b GRAND ENTRETIEN â Daniel Cohen
«âCâest dans cet espace-lĂ que se situe lâintelligence artificielle, lĂ oĂč lâhumain qui reste encore est dĂ©finitivement remplacĂ© par une machine.â»
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Avec lâidĂ©e quâon pourra maĂźtriser les choses alors quâen fait, non, on aura toujours besoin de gens autour de nousâŠ
Bien sĂ»r et il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă la solitude. MĂȘme si le diagnostic que jâĂ©voquais se rĂ©vĂ©lait juste, il faudra toujours un mĂ©decin pour lâĂ©valuer, car une erreur pourra toujours se prĂ©senter, pour le filtrer et, tout simplement, pour avoir une relation Ă©troite avec vous. Quelles que soient les nouvelles technologies qui vont ĂȘtre mises en Ćuvre dans lâunivers de la santĂ©, et pas question une seule seconde de leur dĂ©nier leur efficacitĂ© et leur utilitĂ©, il faudra toujours des humains qui les mettent en Ćuvre et les contrĂŽlent. Idem pour les Ă©lĂšves avec leurs profs.
Et si on parle de la vie politique, ce fil humain reste indispensable. Il nây a pas si longtemps, elle Ă©tait rythmĂ©e par des partis composĂ©s de gens qui avaient un ancrage dans leur territoire et tout cela parvenait Ă percoler dans la sociĂ©tĂ©. Ce nâest plus du coup le cas aujourdâhui, ce sont les rĂ©seaux sociaux qui vĂ©hiculent des pensĂ©es gĂ©nĂ©ralement articulĂ©es autour dâun chef politique qui est censĂ© rĂ©gler toutes les contradictions. Ăa fait quâaujourdâhui, on est pour ou contre, il nây a plus aucune subtilitĂ© possible, il nây a plus de terrain dâĂ©laboration comme avant, quand tout Ă©tait affaire de compromis pour atteindre la barre des 51 % et parvenir Ă gouverner. Aujourdâhui, lâambition est de sâamĂ©nager un socle de 25 % de gens qui vous sont fidĂšles et dâaffronter dans le cadre du deuxiĂšme tour un autre Ă©tant parvenu au mĂȘme score. Ce qui veut dire quâau soir dâune Ă©lection, auparavant, il y avait au moins 51 % de gens heureux et la minoritĂ© pouvait toujours rĂȘver du coup dâaprĂšs. LĂ , maintenant, il y a 75 % de gens insatisfaits et qui ne se reconnaissent pas dans lâĂ©lu⊠Il y a beaucoup dâabstentions, les gens votent contre lâautre candidat parce quâils le dĂ©testent plus que celui pour lequel ils vont voter et le miracle de la vie dĂ©mocratique, qui est dâenchanter les cĆurs au soir dâune Ă©lection, nâa plus lieu. Câest toute la promesse dĂ©mocratique qui est perdueâŠ
Et il nây a pas que la France qui se retrouve avec ce problĂšme. On est dans une Ăšre nouvelle oĂč tous les pouvoirs sont faibles, tous. Les dĂ©mocraties sont faibles, car elles sont minĂ©es par le populisme qui est profondĂ©ment anti-systĂšme et qui conteste les formes de la lĂ©gitimitĂ© la plus Ă©vidente, comme le rĂŽle du Parlement, celui des partis politiques. Les rĂ©gimes non dĂ©mocratiques, illibĂ©raux comme on les appelle quelquefois, sont trĂšs faibles aussi. Le rĂ©gime des mollahs est trĂšs fragilisĂ©, on le voit, il est aujourdâhui profondĂ©ment contestĂ© de lâintĂ©rieur. La Russie
nâest plus la puissance forte comme elle a pu se rĂȘver lâĂȘtre Ă un moment donnĂ©, elle bombarde en ce moment des gens, mais lâassise du pouvoir poutinien est beaucoup plus fragile que Poutine lui-mĂȘme ne le croit⊠La Chine aussi est trĂšs fragilisĂ©e comme lâa montrĂ© la contestation contre le rĂ©gime Covid qui a obligĂ© le pouvoir Ă reculer, en rĂ©alitĂ©. Donc, mĂȘme les pouvoirs rĂ©putĂ©s les plus forts sont faibles et il y a une raison dont on parlait dĂ©jĂ tout Ă lâheureâ: partout, les fondements de la sociĂ©tĂ© se sont distendus. La sociĂ©tĂ© numĂ©rique est une sociĂ©tĂ© aux rĂ©seaux faibles, câest une sociĂ©tĂ© qui a beaucoup de difficultĂ©s Ă se penser en tant que sociĂ©tĂ©. Et a fortiori Ă se doter dâinstitutions mĂ©diatrices qui soient capables dâagrĂ©ger les individus Ă un niveau supĂ©rieur Ă celui de leur conscience individuelle propreâŠ
Si je devais faire un diagnostic de la situation de la France, ce serait pour dire que comme partout ailleurs, le pouvoir macroniste est trĂšs faible, en rĂ©alitĂ©. Cela devrait nous inciter tous Ă ĂȘtre trĂšs attentifs Ă la qualitĂ© de la vie de nos institutions. Or lĂ , la fragilitĂ© de la situation politique pour la majoritĂ©, câest quâelle a rĂ©ussi Ă constituer un front syndical uni contre elle alors quâon sait que ce front syndical, au fond, nâest pas si uni que ça. Câest en cela que la situation est trĂšs marquante aujourdâhuiâ: en fait, la crise actuelle risque de ne pas vivifier assez la dĂ©mocratie sociale, alors quâon en a tellement besoin.
Il faut se souvenir que dĂšs son Ă©lection en 2017, le prĂ©sident actuel Ă©voquait dĂ©jĂ lâidĂ©e de se passer des corps
intermĂ©diaires, ces fameuses institutions que vous Ă©voquez en permanence⊠Je crois que lâerreur profonde de diagnostic sâest en effet rĂ©vĂ©lĂ©e Ă ce moment-lĂ . On a vraiment besoin de renforcer ces institutions. Au sens large, bien sĂ»r, on ne va pas renouer avec lâĂ©poque de lâĂglise Catholique et du Parti Communiste, mais on a besoin dâuniversitĂ©s fortes pour que les Ă©tudiants bĂ©nĂ©ficient dâune institution qui les protĂšge, les hĂ©berge et leur donne les moyens de se former. On a besoin dâhĂŽpitaux forts qui soient capables de penser une nouvelle politique de la santĂ©, car ce nâest pas le ministre qui peut tout Ă ce niveau, alors câest donc bien une institution forte qui doit avoir la capacitĂ© de proposer des solutions fortes. Et câest exactement la mĂȘme chose pour lâĂ©ducation. On a besoin aussi de services publics renforcĂ©s qui nâabandonnent pas Ă leur sort tant de gens sur des territoires immensesâŠ
Et, si lâon parle du monde du travail, la sociĂ©tĂ© a quoi quâil en soit besoin de syndicats qui jouent un rĂŽle essentiel, câest fondamental. Câest ça que fait apparaĂźtre cette rĂ©forme sur les retraites, quelles que soient ses motivations profondes. Elle va rendre trĂšs difficile lâexercice de la dĂ©mocratie sociale. La rĂ©forme va sans doute ĂȘtre votĂ©e, mais il y aura une profonde amertume ensuite et elle va perdurer. Dâautant quâelle arrive Ă un moment oĂč les Français sâinterrogent profondĂ©ment sur leur rapport au travail. Je pense quâon est lĂ dans une situation trĂšs intĂ©ressante Ă Ă©valuer et câest pourquoi je trouve bien dommage que la nĂ©gociation sociale soit tant gĂąchĂ©eâŠÂ b
14 â48 â Mars 2023 â Retour b GRAND ENTRETIEN â Daniel Cohen
Lâincroyable fiasco du REME
Un dĂ©sastre. DĂšs les premiĂšres heures de sa mise en service, le 11 dĂ©cembre dernier, le RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en de Strasbourg a multipliĂ© les crashesâ: suppressions de trains, retards, plans de rattrapages non respectĂ©s et on en passe⊠des milliers dâusagers ont Ă©tĂ© Ă la torture quotidienne et, dans de nombreux cas, contraints Ă dâinvraisemblables stratĂ©gies pour espĂ©rer pouvoir se dĂ©placer. Retour sur ces semaines dĂ©lĂ©tĂšres avec les Ă©lus en charge des Transports, les usagers et leurs reprĂ©sentants, mais⊠sans la SNCF qui a prĂ©fĂ©rĂ© se murer dans son silenceâŠ
c DOSSIER â LE REME c DOSSIER â Le REME 17
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs â Dom Renckel
Des usagers en galÚre et méprisés
« c DOSSIER â Le REME 18 â48 â Mars 2023 â Retour
Des attentes interminables et mĂȘme quelquefois vaines, des entassements invraisemblables dans les quelques trains qui roulaient, des ratĂ©s, des suppressions, depuis le 11 dĂ©cembre dernier, les clients alsaciens de la SNCF ont vĂ©cu maints calvaires quotidiensâŠ
c DOSSIER â Le REME 19 â48 â Mars 2023 â Retour
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs â Dom Renckel
Autopsie dâun ratĂ©
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est
Avant de parler du vĂ©ritable fiasco quâa Ă©tĂ© son lancement dĂ©but dĂ©cembre dernier, peut-on tout dâabord vous demander de nous rappeler lâhistorique complet du projet de RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, le REMEâ?
Vice-prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est, le maire dâIllkirchGraffenstaden a hĂ©ritĂ© en novembre dernier de la responsabilitĂ© du «âtransport et des mobilitĂ©s durablesâ» (sa dĂ©lĂ©gation officielle) des portes de la Champagne prĂšs de Paris jusquâaux rives du Rhin. Et câest bien sĂ»r le dossier catastrophique du REME bas-rhinois qui a mobilisĂ© lâessentiel de son temps ces derniers moisâŠ
Tout a Ă©tĂ© initiĂ© lors du Grenelle des MobilitĂ©s en 2018. Cette initiative est nĂ©e des idĂ©es conjuguĂ©es de deux prĂ©sidents de CollectivitĂ©s publiques, Jean Rottner pour la RĂ©gion Grand Est et Robert Hermann pour lâEuromĂ©tropole de Strasbourg. Beaucoup de propositions en matiĂšre de transport rĂ©gional avaient Ă©mergĂ© de cette initiative, mais câest bien le RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, le REME, qui Ă©tait la plus ambitieuse pour rĂ©pondre Ă lâensemble des difficultĂ©s rencontrĂ©es sur lâagglomĂ©ration de Strasbourg. On avait alors constatĂ© quâil y avait sur lâensemble de la mĂ©tropole beaucoup de gares qui pouvaient ĂȘtre rĂ©activĂ©es pour parvenir Ă un rĂ©seau express semblable Ă lâesprit du RER parisien, câest-Ă -dire un trafic Ă une frĂ©quence trĂšs rĂ©guliĂšre permettant Ă lâusager de ne plus trop se soucier de lâhoraire de son prochain train puisquâil sait quâil sera automatiquement dans le prochain quart dâheure, du moins est-ce lâobjectif que nous visions. Le tout sur une amplitude allant de 5 heures du matin Ă 23 heures et qui concerne aussi le samedi et le dimanche. Le grand plus du systĂšme imaginĂ© depuis 2018 Ă©tait aussi la mise en place de trains «âdiamĂ©tralisĂ©sâ» comme les spĂ©cialistes les appellent et qui, dans le cas du REME, peut sâillustrer par le cas dâun train partant de Saverne et se rendant Ă SĂ©lestat, et inversement, sans aucune rupture de charge en gare de Strasbourg. Plus besoin de changer de train dans la capitale alsacienne⊠à cette ligne directe pourraient sâen ajouter dâautres pour, quâĂ terme, la gare de Strasbourg ne soit plus quâun point dâarrĂȘt comme un autre et non un terminus comme cela a toujours Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment le cas. Tout pour faciliter le voyage, donc⊠DĂšs lâĂ©laboration de ce projet global ambitieux, tout un travail a Ă©tĂ© menĂ© entre la RĂ©gion, lâEuromĂ©tropole et la SNCF, qui Ă©tait lâopĂ©rateur unique. Les deux filiales sĂ©parĂ©es, SNCF Voyageurs et SNCF RĂ©seau Ă©taient dans le tour de table. Il en Ă©tait de mĂȘme pour une troisiĂšme filiale, SNCF Gares et Connexions, car il fallait bien sĂ»r gĂ©rer les escales et le trafic, notamment concernant le nĆud essentiel quâest celui de la gare de Strasbourg. La SNCF sâest donc engagĂ©e formellement auprĂšs des
c DOSSIER â LâINCROYABLE FIASCO DU REME
«âLa confiance de la population en la SNCF sâest brisĂ©eâŠâ»
c DOSSIER â Le REME 20 â48 â Mars 2023 â Retour
diffĂ©rentes collectivitĂ©s pour rendre ce projet possible, moyennant Ă©videmment le montant de la convention financiĂšre qui nous lie et qui reprĂ©sente Ă ce stade pas moins de 14 millions dâeuros supplĂ©mentaires chaque annĂ©e par rapport Ă lâinvestissement dĂ©jĂ consenti par la RĂ©gion Grand EstâŠ
On imagine que la RĂ©gion Grand Est et lâEuromĂ©tropole de Strasbourg ont acquis au cours de ces derniers temps toutes les garanties nĂ©cessaires auprĂšs de la SNCFâŠ
Ă lâĂ©vidence. Pour ne parler que de cette derniĂšre annĂ©e, du mois de mai 2022 jusquâau lancement du REME en dĂ©cembre dernier, nous avons reçu plusieurs courriers cosignĂ©s par les deux principales filiales de la SNCF nous disant quâil nây aurait aucun souci, quâelles seraient capables de tenir leurs engagements. Et parmi ces engagements, il y avait un point capitalâ: depuis lâorigine, la SNCF nous avait projetĂ©s dans cette idĂ©e que le REME pourrait bĂ©nĂ©ficier de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine. Si la SNCF nâavait pas proposĂ© ce chiffre, il me semble que nous nous serions parfaitement contentĂ©s de 300 ou 400 trains supplĂ©mentaires, quitte Ă rĂ©partir autrement les choses en les expliquant aux gensâŠ
Aujourdâhui, il pourra peut-ĂȘtre sembler facile dâexprimer cette remarque, mais la vĂ©ritĂ© pousse Ă dire que beaucoup trouvaient ce chiffre de 800 trains supplĂ©mentaires presque «âtrop beau pour ĂȘtre vraiâ» comme le dit la sagesse populaireâŠ
Personnellement, le vrai doute que jâai eu dĂšs que jâai hĂ©ritĂ© de mon poste de viceprĂ©sident en novembre, et je me suis alors posĂ© une kyrielle de questions Ă ce sujet, a Ă©tĂ© de rĂ©aliser tout de suite que sur un plan de transport adaptĂ© qui Ă©tait celui de 2022, câest-Ă -dire sans le REME, nous Ă©tions dĂ©jĂ quotidiennement en dessous de lâoffre nominale que devait assurer la SNCF. En novembre, les grĂšves perlĂ©es chez les agents de la sociĂ©tĂ© ont entraĂźnĂ© nombre de retards importants et de suppressions de trains. Nombre dâassociations dâusagers et de syndicats avaient alors fait part de leurs doutes concernant le bon fonctionnement du REME Ă compter du 11 dĂ©cembre. Je pense que la SNCF a mis ensuite les bouchĂ©es doubles, car le jour du lancement, le dimanche, ça a globalement trĂšs bien fonctionnĂ©. De mĂȘme le lundi. Le mardi, Ă part lâerreur humaine qui a provoquĂ© lâincident dâun train trop long pour le quai dâaccueil qui lui avait Ă©tĂ© attribuĂ© en gare de Strasbourg, et qui a donc dĂ©clenchĂ© le systĂšme dâalarme avec une belle pagaille Ă la clĂ©, on a bien compris quâon restait dans le globalement satisfaisant.
Les grosses difficultĂ©s ont commencĂ© dĂšs le mercredi, annulations, suppressions de train, dâimportants retards un peu partout⊠La SNCF a expliquĂ© ça par lâĂ©pisode neigeux de ce jour-lĂ , tous les transports scolaires ayant Ă©tĂ© supprimĂ©s sur le pĂ©rimĂštre rĂ©gional. Ăa pouvait alors paraĂźtre comme une explication sĂ©rieuse sauf que la neige nâa pas tenu. La semaine suivante, en pleine sĂ©ance plĂ©niĂšre du Conseil rĂ©gional consacrĂ©e au vote du budget, la SNCF nous a prĂ©venus quâelle ne parviendrait pas Ă rĂ©tablir lâoffre prĂ©vue et quâelle proposait
donc de mettre en place un plan de transport adaptĂ© pour les deux semaines de vacances. Avec le prĂ©sident Rottner, on nâĂ©tait bien sĂ»r pas du tout favorable Ă cette notion de plan de transport adaptĂ©, on nous avait fait une promesse, on avait signĂ© un contrat avec une convention financiĂšre oĂč on garantissait lâinjection dâune trĂšs importante somme dâargent public Ă paritĂ© avec lâEuromĂ©tropole de Strasbourg. On a donc refusĂ© la proposition de la SNCF, mais dĂšs le lundi suivant, on a pu constater quâelle nây arrivait pas.
Nous Ă©tions donc placĂ©s devant le fait accompli. La veille du Nouvel An, aprĂšs que nous ayons participĂ© Ă une confĂ©rence en visio avec tous les acteurs de la SNCF, cette derniĂšre nous a alors annoncĂ© que ce plan de transport adaptĂ© allait ĂȘtre prolongĂ© jusquâen fĂ©vrier 2023. Nous nâavons bien sĂ»r rien validĂ©, en accord avec nos principes largement exprimĂ©s dâautant que nous avions alors bien compris que leur nouveau plan de transport comportait la suppression de tous les trains omnibus desservant les petites gares pour permettre aux usagers de rejoindre Strasbourg, afin Ă©videmment de privilĂ©gier les trains directs ou semi-directs. Une vĂ©ritable aberration puisque lâengagement principal de nos deux collectivitĂ©s portait justement sur une meilleure desserte des petites garesâ! Nous avions retenu ce principe de base du RER parisien qui fait des trains directs une exception et la desserte de toutes les gares sur le parcours un postulat de base.
Avec Alain Jund au titre de lâEuromĂ©tropole, nous avons alors formellement convoquĂ© la SNCF le 17 janvier dernier pour quâelle nous fasse un vĂ©ritable rapport
«âDepuis lâorigine, la SNCF nous avait projetĂ©s dans cette idĂ©e que le REME pourrait bĂ©nĂ©ficier de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine.â»
c DOSSIER â Le REME 21 â48 â Mars 2023 â Retour
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est.
ne connaĂźt que le logo SNCF, mais en fait, ses diffĂ©rentes entitĂ©s ne communiquent pas toujours efficacement entre elles.â»
exhaustif dâanalyse de la situation et de lâensemble des dysfonctionnements avec, Ă la clĂ©, un plan dâaction concret. Notre souhait a Ă©tĂ© aussi quâon rapproche la communication des difficultĂ©s du terrain, on Ă©tait dĂ©jĂ loin de la confĂ©rence de presse idyllique annonçant le lancement du REME. Je voulais donc que les usagers rĂ©alisent que leurs Ă©lus Ă©taient au plus proches des immenses difficultĂ©s quâils rencontraient⊠Câest lors de cette rĂ©union que les deux directrices de la SNCF, StĂ©phanie Dommange, directrice TER Grand Est et Laurence Berrut, directrice territoriale RĂ©seau Grand Est nous ont prĂ©sentĂ© leur plan dâaction en 46 points qui faisait nettement apparaĂźtre les carences de lâopĂ©rateur en matiĂšre dâorganisation, carences que nos deux interlocutrices ont assumĂ©es. Nous nous sommes dit, avec Alain Jund, que nous nâavions enfin plus en face de nous des gens qui nous assuraient que tout allait bien se passer et que la SNCF allait parfaitement tenir ses engagements. Leur discours du 17 janvier a Ă©tĂ© une reconnaissance dâune mauvaise anticipation des problĂ©matiques Ă cause de la prise en compte dâune notion de simple «âTER augmenté⻠alors que la SNCF aurait
dĂ» manifestement sâinspirer dĂšs le dĂ©part du rĂ©seau RER parisien. Pour cela, il aurait donc fallu mettre Ă la disponibilitĂ© de notre projet des spĂ©cialistes du TransilienâŠ
On touche lĂ Ă un point qui interroge, concernant la SNCF. Cette sociĂ©tĂ© estelle encore en contact avec les vĂ©ritables rĂ©alitĂ©s du terrainâ? En un mot, la technostructure qui la dirige Ă©tait-elle Ă mĂȘme de relever le dĂ©fi de la mise en Ćuvre du REME et de rĂ©pondre efficacement Ă son cahier des chargesâ?
Le problĂšme de la SNCF est dans sa segmentation trĂšs forte. Le grand public ne connaĂźt que le logo SNCF, mais en fait, ses diffĂ©rentes entitĂ©s ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. Elles ne font pas le mĂȘme mĂ©tier et ça se sent, y compris dans la gestion opĂ©rationnelle au quotidien. Câest pour ça que nous avons fini, avec Alain Jund, par taper du poing sur la table. Et, ils ont enfin fait venir ces vĂ©ritables spĂ©cialistes du Transilien que jâĂ©voquais prĂ©cĂ©demment. Ces gens sont dĂ©sormais en train de travailler sur la remontĂ©e en charge par rapport aux objectifs prĂ©vus, ils rĂ©analysent les choses avec
une vision qui nâest plus celle du simple TER traditionnel. On est arrivĂ©s Ă une situation extrĂȘme pour la gare de Strasbourg oĂč, toutes les trente secondes, il y a une arrivĂ©e ou un dĂ©part de train. Ce que nous vivons depuis des semaines prouve que si la SNCF sait bien faire son mĂ©tier quand on est sur un systĂšme trĂšs stable, Ă©prouvĂ© depuis longtemps parce quâon nâa pas trop changĂ© les mĂ©thodologies, elle nâest en revanche pas du tout prĂȘte pour affronter un choc de cette nature-lĂ . En ce qui nous concerne, Ă la RĂ©gion Grand Est, nous avons fait tous les achats de matĂ©riels roulants nĂ©cessaires. De son cĂŽtĂ©, la SNCF sâest focalisĂ©e sur le volet ressources humaines, elle a globalement fait une grande partie des embauches qui Ă©taient nĂ©cessaires. Mais elle a pĂȘchĂ© au niveau de lâorganisation et on sâest bien rendu compte que câĂ©tait le Centre opĂ©rationnel qui dysfonctionnait. Le nombre de personnes nĂ©cessaires a Ă©tĂ© largement sous-estimĂ©. Certains jours, on sâest retrouvĂ© dans la situation dâun aĂ©roport oĂč on avait tous les avions, les pistes, les personnels de bord pour fonctionner, mais pas assez de contrĂŽleurs aĂ©riens dans la tour pour assurer le trafic. Face Ă cette
«âLe grand public
c DOSSIER â Le REME 22 â48 â Mars 2023 â Retour
situation, la SNCF nâa cessĂ© de supprimer des trains et tout particuliĂšrement les omnibus qui, avec leurs arrĂȘts frĂ©quents, mobilisent Ă©videmment beaucoup plus de gens au Centre opĂ©rationnel que les trains directs. Câest ainsi quâon en est arrivĂ© Ă ce paradoxe vertigineux dâun rĂ©seau Ă lâantithĂšse du RER parisien que nous avions comme rĂ©fĂ©rence dont la norme est bien la desserte de toutes les garesâŠ
Toutes ces carences que vous Ă©voquez vont-elles faire lâobjet dâune demande dâindemnisation de la part de la RĂ©gion et de lâEuromĂ©tropoleâ?
La premiĂšre de ces indemnisations concrĂštes a bien sĂ»r Ă©tĂ© de rembourser les abonnements et les 500â000 billets dits «âpetits prixâ». CâĂ©tait bien sĂ»r le minimum et câest bien la SNCF qui va payer ça de sa poche. Elle sait aussi depuis le dĂ©part que ce geste commercial se poursuivra tant quâon ne sera pas parvenu Ă un service correct. Ensuite, on sera certainement amenĂ©s Ă une minoration de notre part dâinvestissements dans le futur et la SNCF devra compenser. On est dâailleurs en train de nĂ©gocier le prochain contrat TER rĂ©gional.
Et bien, en ce qui me concerne, je souhaite quây figurent des pĂ©nalitĂ©s automatiques en cas de mouvements sociaux ou de suppressions de trains. Plus de nĂ©gociations donc, mais des sanctions financiĂšres automatiques, comme câest dĂ©jĂ le cas pour cet autre volet dont jâai la responsabilitĂ©, les transports par cars.
DerniĂšre questionâ: quand les usagers vont-ils effectivement pouvoir compter sur une parfaite organisation avec, notamment, ces fameux 800 trains supplĂ©mentaires qui Ă©taient promisâ?
La SNCF Ă©voque le mois dâavril. Moi, je suis devenu trĂšs, trĂšs prudent. Pour la RĂ©gion, jâai dit que ce nâĂ©tait plus un objectif dâavoir une date fatidique qui nous mettrait une pression dâenfer. Je prĂ©fĂšre quâon y aille Ă©tape par Ă©tape et ça vaut aussi pour cette autre marche prĂ©vue au mois dâaoĂ»t prochain, le passage Ă 1â000 trains supplĂ©mentaires. En fait, tous ces Ă©vĂ©nements valident une intuition que jâai depuis un certain tempsâ: pour rĂ©ussir un projet de cette envergure, pour quâil soit absorbĂ© parfaitement en termes dâorganisation, il faut bien compter un an de travail. Lâerreur a Ă©tĂ© de
proclamer quâon allait assister Ă une rĂ©volution des mobilitĂ©s. En fait, ce quâon a vu, câest que ça a Ă©tĂ© pire quâavant. La vie des gens a Ă©tĂ© rendue impossible et jâai bien conscience que le traumatisme a Ă©tĂ© trĂšs violent. Câest bien pour ça que, personnellement, je me suis excusĂ© durant la confĂ©rence de presse commune avec Alain Jund. Mais câest certain que la confiance de la population en la SNCF sâest brisĂ©e, car le train est devenu depuis trois mois un enfer pour les gens alors quâil est en fait le mode de transport idĂ©al pour parvenir Ă la dĂ©carbonation des mobilitĂ©s. Ce qui est en outre terrible pour nous, au niveau de la RĂ©gion, câest de rĂ©aliser quâon a investi quasiment 700 millions dâeuros pour la quatriĂšme voie et ces innombrables amĂ©nagements, lâachat de matĂ©riels neufs, sans compter ce qui est prĂ©vu pour le nouvel atelier de maintenance en gare de Strasbourg ou les trains transfrontaliers, la ligne de Lauterbourg et jâen passe. Câest dur de faire ce constat. Si encore on pouvait se dire quâon est face Ă un problĂšme de manque de moyens financiers, mais nonâ: on a mis tout ce quâon pouvait, mais ce nâest pas nous qui conduisons les trains et qui gĂ©rons le systĂšmeâ!â» c
c DOSSIER â Le REME 23 â48 â Mars 2023 â Retour
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs â Dom Renckel
Autopsie dâun ratĂ©
Alain Jund, vice-prĂ©sident de lâEuromĂ©tropole de Strasbourg
baisser les brasâŠ
Avec Thibaud Philipps, Alain Jund forme un duo qui a su dĂ©passer les clivages politiques traditionnels pour se consacrer corps et Ăąme Ă lâavĂšnement de ce REME aujourdâhui si controversĂ© aprĂšs ses dĂ©buts calamiteux. Lui non plus ne cache pas sa colĂšre envers la SNCF, mais ne veut pas perdre foi en lâavenirâŠ
Vous partagez bien sĂ»r la narration de lâhistorique de ce projet du REME strasbourgeois avec Thibaud Philipps. En partagez-vous les leçons quâil en tire, pour lâessentiel un projet trop ambitieux, non phasĂ© et dont la faisabilitĂ© a Ă©tĂ© mal Ă©valuĂ©e par la SNCF qui aurait agi en le considĂ©rant comme une sorte de super TER lĂ oĂč une logique de RER Transilien aurait dĂ» ĂȘtre de mise dĂšs le dĂ©partâ?
Personnellement, je suivais ce dossier depuis deux ans dans le cadre dâune construction commune avec la RĂ©gion Grand Est aux cĂŽtĂ©s de David Valence (le maire de Saint-DiĂ©, devenu aujourdâhui dĂ©putĂ© â ndlr) auquel Thibaud Philipp a succĂ©dĂ©, brillamment, je tiens Ă le souligner. DĂšs 2020, donc, nous savions que nous Ă©tions dans une logique qui dĂ©passe de loin lâĂ©chelle de la ville et lâagglomĂ©ration de Strasbourg. La logique a donc Ă©tĂ© la mise en place dâun rĂ©seau express mĂ©tropolitain qui puisse permettre aux gens qui habitent Ă vingt, trente ou quarante kilomĂštres de rejoindre la capitale alsacienne, mais aussi, et ça on lâoublie quelquefois, aux autres usagers de se rendre dans les autres villes du Bas-Rhin. Câest sur ces
bases que le projet sâest progressivement concrĂ©tisĂ© et si nous en sommes arrivĂ©s Ă ce nombre de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine, câest bel et bien quâil a Ă©tĂ© proposĂ© par la SNCF, sur la base de sa propre expertise. Je me souviens parfaitement dâune rĂ©union qui date de juillet dernier oĂč siĂ©geaient la PrĂ©fĂšte de rĂ©gion, Jean Rottner le prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est, les deux directrices opĂ©rationnelles de la SNCF, Mmes Dommange et Berrut, rĂ©union oĂč je reprĂ©sentais Pia Imbs⊠à un certain moment, la PrĂ©fĂšte a formellement demandĂ© aux reprĂ©sentantes de la SNCF si leur sociĂ©tĂ© allait pouvoir relever le dĂ©fi. La rĂ©ponse a Ă©tĂ© claire et limpideâ: «âPas de problĂšme, on sây engageâŠâ» Cet engagement a mĂȘme Ă©tĂ© confirmĂ© par Ă©crit. En ce qui me concerne personnellement, jâavais bien sĂ»r entendu les avis des syndicats du ferroviaire qui nâhĂ©sitaient pas Ă Ă©voquer leur scepticisme, mais dans la mesure oĂč la directrice rĂ©gionale ainsi que le prĂ©sident de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, Ă©taient formels, nous nâavions pas de raisons particuliĂšres de nous inquiĂ©ter mĂȘme si, bien sĂ»r, nous savions que ce dĂ©fi Ă©tait important Ă relever pour
c DOSSIER â LâINCROYABLE FIASCO DU REME
«âIl nâest pas question de
c DOSSIER â Le REME 24 â48 â Mars 2023 â Retour
la sociĂ©tĂ© nationale. Dâautant que nous savions aussi que la SNCF avait un grand besoin de prouver une fois de plus au gouvernement et aux collectivitĂ©s quâelle Ă©tait le principal opĂ©rateur ferroviaire en France, dans le contexte de lâouverture Ă la concurrence qui se profile. De plus, le prĂ©sident Macron, au dĂ©tour dâun dimanche soir, avait dĂ©clarĂ© sa volontĂ© de voir naĂźtre une vingtaine de projets similaires dans les grandes agglomĂ©rations de France. Alors, il nous paraissait Ă©vident que la SNCF ne pouvait pas se permettre un Ă©chec sur le REME strasbourgeois. Un objectif de 120 trains supplĂ©mentaires par jour ne paraissait pas dĂ©mesurĂ© Ă atteindre. Et ce projet, pour Strasbourg, mais aussi pour toutes les communes de la mĂ©tropole et mĂȘme au-delĂ qui Ă©taient concernĂ©es, Ă©tait la rĂ©ponse idĂ©ale pour faire face aux enjeux climatiques, notamment, dâautant plus que la ZFE se mettait en place au 1er janvier dernier pour restreindre le nombre de voitures pouvant pĂ©nĂ©trer dans lâEuromĂ©tropole. Bref, si nous nâĂ©tions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pariâŠ
Aujourdâhui, avec deux mois de recul puisque nous nous rencontrons ce 13 fĂ©vrier, une semaine avant le bouclage du prĂ©sent numĂ©ro, un manque de confiance flagrant envers la SNCF sâest installĂ© au niveau des usagers. On peut mĂȘme parler de colĂšreâŠ
Câest flagrant, en effet et câest justifiĂ©. La dĂ©fiance et le mĂ©contentement sont partoutâ: chez les usagers dâavant le 11 dĂ©cembre, premier jour de mise en place du REMEâ: ceux-ci ont carrĂ©ment perdu des trains parmi ceux quâils affectionnaient, jâen connais personnellement un certain nombre, dans la vallĂ©e de la Bruche ou Ă Limersheim par exemple⊠Beaucoup ont perdu de saines habitudesâ: «âAuparavant je descendais de ma vallĂ©e vosgienne, je stationnais ma voiture Ă SĂ©lestat et je prenais le trainâ» mâa dit lâun dâentre eux, un retraitĂ© actif qui vient chaque semaine Ă Strasbourg. «âEt bien, dĂ©sormais, je viendrai en voiture dans la capitale rĂ©gionaleâŠâ» mâa-t-il avouĂ© dâun air dĂ©semparĂ©. Mais la dĂ©fiance est Ă©galement prĂ©sente chez les potentiels nouveaux passagers quâun REME fonctionnant normalement aurait immanquablement
«âSi nous nâĂ©tions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pariâŠâ»
c DOSSIER â Le REME 25 â48 â Mars 2023 â Retour
Alain Jund, vice-prĂ©sident de lâEuromĂ©tropole de Strasbourg
attirĂ©s vers le trainâ: il va ĂȘtre compliquĂ© de les rĂ©activer, ceux-là ⊠Et, pour finir de brosser ce tableau de la dĂ©fiance, il y a immanquablement un manque de confiance qui sâest installĂ© entre les collectivitĂ©s et la SNCF. Et ce ne sont pas les derniĂšres rĂ©unions qui vont nous rendre optimistesâ: lors de ces rĂ©unions, ils nous ont dit que ce nâĂ©tait pas liĂ© Ă un manque de personnels, que ce nâĂ©tait pas un problĂšme de matĂ©riels roulants. CâĂ©tait selon eux un problĂšme dâorganisation. Je ne suis pas intimement convaincu que ce ne soit que ça, mais bon, lâorganisation, câest pleinement la prĂ©rogative de la SNCF. Le week-end du 11 fĂ©vrier dernier, selon leur propre plan de transport adaptĂ©, il devait y avoir une augmentation de lâoffre. Et bien, la veille mĂȘme de ce week-end, le vendredi 10 fĂ©vrier prĂ©cisĂ©ment, ils nous ont annoncĂ© quâils nây arriveraient pas⊠RĂ©sultatâ: les usagers restent furieux, rien nâavance. Et câest pareil pour nos collĂšgues Ă©lus des petites villesâ: le maire de HĆrdt, qui est un copain du temps de la Fac, ne sait plus quoi rĂ©pondre Ă ses concitoyens, lui qui sâest basĂ© sur nos promesses, celles de la RĂ©gion et de lâEuromĂ©tropoleâŠ
On a quand mĂȘme le net sentiment que tout le monde est dans le brouillardâŠ
Câest le mot, câest exactement ça. Cette rupture de confiance pour les usagers et les collectivitĂ©s nous fait nous demander si dâici la fin 2023, on parviendra Ă mettre efficacement en Ćuvre ce qui devait ĂȘtre rĂ©alisĂ© le 11 dĂ©cembre dernier. Un courrier vient de partir Ă lâattention de ClĂ©ment Beaune (le ministre dĂ©lĂ©guĂ© chargĂ© des Transports ândlr) et Jean-Pierre Farandou, le prĂ©sident de la SNCF. Il est signĂ© conjointement par le prĂ©sident de la RĂ©gion et par la prĂ©sidente de lâEuromĂ©tropole et il interpelle ces deux personnalitĂ©s sur leurs responsabilitĂ©s visĂ -vis de la situation. En ce qui me concerne au niveau de mes responsabilitĂ©s Ă lâEuromĂ©tropole, nous avons cessĂ© Ă la fin janvier dernier de payer notre part du montant de la subvention amenĂ©e par les collectivitĂ©s. Car le service escomptĂ© nâest pas rendu.
Ceci dit, il nâest pas question pour autant de baisser les bras. Câest pourquoi Thibaud Philipps et moi avons prĂ©vu dĂ©sormais de rencontrer la SNCF tous les quinze jours pour acter dâune façon extrĂȘmement prĂ©cise lâĂ©tat dâavancement du redressement attendu. Et rappeler sans cesse, si
nĂ©cessaire, quâon nâest pas seulement dans la volontĂ© de faire un beau REME et que les enjeux vont infiniment plus loinâ: il y a lâurgence climatique, lâessence qui en est Ă deux euros le litre, il y a un problĂšme sanitaire souvent aigu avec la qualitĂ© de lâair⊠En outre, le REME strasbourgeois est observĂ© Ă la loupe par une bonne quinzaine dâagglomĂ©rations, Lyon, Bordeaux, Nantes, GrenobleâŠ, toutes prĂȘtes Ă sâengouffrer dans la brĂšche que le rĂ©seau strasbourgeois aurait ouverte. Aujourdâhui, ce caractĂšre exemplaire est devenu plus que chaotique et il faut aussi que la SNCF se rende bien compte de lâaltĂ©ration de son image au moment oĂč la concurrence sâannonce sur certaines lignes. Les autoritĂ©s de transport ne vont-elles pas sâintĂ©resser encore plus Ă ce que propose le privĂ©â? En un mot, le scepticisme envers la SNCF sâest accru, indiscutablement⊠Ici, cet accident industriel a mis en doute les capacitĂ©s dâune grande entreprise comme la SNCF Ă assumer les missions qui lui incombent.
SincĂšrement, ce fiasco est-il rattrapable Ă terme, câest Ă dire dâici la fin de lâannĂ©e si je suis votre argumentâ?
c DOSSIER â Le REME 26 â48 â Mars 2023 â Retour
«âJe ne peux pas imaginer quâau niveau du ministre et mĂȘme de la prĂ©sidence de la RĂ©publique, il ne se passe rien dans un futur proche.â»
On lâespĂšre vraiment. Pour nous, RĂ©gion et EuromĂ©tropole, il est Ă©vident que dâici la fin de cette annĂ©e, il faut parvenir Ă mettre parfaitement en Ćuvre ce qui Ă©tait prĂ©vu Ă partir du 11 dĂ©cembre dernier. Certaines lignes vont ensuite ĂȘtre mises en concurrenceâ: celles vers Lauterbourg, celle de la vallĂ©e de la Bruche et la liaison transfrontaliĂšre entre Strasbourg et Offenbourg. Je pense que la SNCF a encore le temps et la capacitĂ© de se rattraper, mais il y a quand mĂȘme pĂ©ril en la demeure, câest certainâŠ
La capacitĂ© technique et logistique, pourquoi pas, mais a-t-elle la capacitĂ© financiĂšre pour opĂ©rer ce redressementâ?
Il est vrai que depuis des dĂ©cennies, de gros investissements ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sur les trains Ă grande vitesse et que le train du quotidien, comme je lâappelle, a pris beaucoup de retard. LâĂtat devrait beaucoup plus se mobiliser pour doter la SNCF des budgets dont elle a besoin. Un simple exemple, mais il est rĂ©vĂ©lateurâ: en huit mois, lâĂtat a mis 7,5 milliards dâeuros sur la table pour les aides Ă la pompe. En mĂȘme temps, il a mis 300 millions dâeuros pour aider les diffĂ©rentes autoritĂ©s de transport dans leurs
projets, 200 millions pour lâIle-de-France et 100 millions pour le reste du pays. Cela a des consĂ©quences directes sur le REMEâ: quand on voit lâĂ©tat dĂ©labrĂ© du rĂ©seau entre Strasbourg et Lauterbourg, par exemple.
Câest simple, il nâest pas question dâaugmenter le cadencement sur cette ligne, câest impossible, techniquement. On ne peut en vouloir ni Ă la SNCF ni Ă la RĂ©gion, mais Ă ces politiques publiques qui ont fait que le train du quotidien a Ă©tĂ© dĂ©laissĂ© et est devenu comme anecdotique. Un peu partout, il a fallu se battre pour que certaines lignes ne ferment pasâŠ
Une derniĂšre question. Pensez-vous rĂ©ellement et en toute franchise quâĂ la fin de la prĂ©sente annĂ©e, le REME strasbourgeois sera activĂ© pleinement comme il devait lâĂȘtre il y a trois moisâ?
Oui, je le pense intimement. Je pense que la SNCF va se mobiliser dĂ©sormais beaucoup plus pleinement et je ne peux pas imaginer quâau niveau du ministre et mĂȘme de la prĂ©sidence de la RĂ©publique, il ne se passe rien dans un futur proche. Les enjeux sont tellement gigantesquesâ: les transports reprĂ©sentent Ă eux seuls le
tiers des Ă©missions de gaz Ă effet de serre. On ne peut pas de permettre de laisser filer, comme on dit. Le dĂ©veloppement du train du quotidien est aussi une rĂ©ponse Ă des enjeux liĂ©s Ă lâamĂ©nagement du territoire. Et cet enjeu transgresse les options politiques des uns et des autres, ce qui est un atout aussiâŠâ» c
c DOSSIER â Le REME 27 â48 â Mars 2023 â Retour
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs
CÎté usagers
Vanessa Mikuczanis, 51 ans, est secrĂ©taire Ă Strasbourg. Chaque matin, elle part de la petite gare de Soultzen-ForĂȘts, Ă 40 km au nord de Strasbourg, et y revient en dĂ©but de soirĂ©e. Sa gare se situe sur la ligne Strasbourg â Haguenau âWissembourg, Ă environ 45 minutes de la capitale alsacienne. Cette ligne Ă©tait bien sĂ»r (et reste) un des grands axes concernĂ©s par le REME.
du REME
Ă lâĂ©poque des rĂ©seaux sociaux, le citoyen possĂšde au fond de sa poche lâarme ultimeâ: son tĂ©lĂ©phone mobile. Alors, coincĂ©s dans des trains surbondĂ©s ou amassĂ©s sur des quais de gares Ă scruter dĂ©sespĂ©rĂ©ment les Ă©crans dâinformation de la SNCF, les usagers ont Ă©tĂ© des milliers Ă publier des photos de leurs galĂšres et Ă Ă©crire des lignes oĂč la colĂšre se mĂȘlait au dĂ©sabusement. PrĂšs de 1â500 dâentre eux se sont fĂ©dĂ©rĂ©s via un groupe FacebookâŠ
«âBeaucoup sâimaginent que jâai créé le groupe âTER Grand Est âLe ras-le-bol des usagersâ quand la grande pagaille du REME sâest dĂ©clenchĂ©e, mais nonâŠâ» prĂ©cise dâentrĂ©e Vanessa. «âJâai créé ce groupe dĂ©but novembre, un peu plus dâun mois avant le lancement du REME, car jâĂ©tais trĂšs excĂ©dĂ©e par les retards et les suppressions de trains qui Ă©taient dĂ©jĂ trĂšs nombreux. On se rendait bien compte que la SNCF nâavait pas assez de moyens humains et matĂ©riels. Dans mon esprit, ce groupe devait servir Ă discuter entre les usagers de cette ligne, notamment pour recenser lâensemble des problĂšmes quâils rencontraient quasi quotidiennement, alors. Ă un mois du lancement du REME, je me souviens que nous Ă©tions tous trĂšs positifs, nous pensions que les 800 trains supplĂ©mentaires par semaine et leur cadencement toutes les demi-heures tels que câĂ©tait annoncĂ© allaient rĂ©gler tous les problĂšmes.
Et la catastrophe est arrivĂ©e. DĂ©cembre et janvier ont Ă©tĂ© un cauchemar. TrĂšs vite, jâai mis une pĂ©tition en ligne, nous en sommes Ă ce jour (le 10 fĂ©vrier dernier) Ă quasiment 2â800 signatures, je nâaurais jamais pensĂ© quâelle rencontrerait un tel succĂšs. Jâai Ă©galement Ă©crit Ă tous les Ă©lus de la Commission des Transports de la RĂ©gion Grand Est et bien sĂ»r Ă Mme Dommange, la directrice de TER Grand Est. Dans ces courriers, jâĂ©voquais bien sĂ»r la catastrophe des innombrables retards et suppressions, mais aussi, forte des tĂ©moignages des usagers de ce groupe, la question des horaires qui chamboulent tout dans la plupart des petites gares desservies via les omnibus. La plupart du temps, les gens sâĂ©taient dĂ©jĂ rĂ©solus Ă rejoindre une gare plus grande que celle qui Ă©tait Ă proximitĂ© pour que leurs enfants accĂšdent Ă leur Ă©tablissement scolaire Ă des horaires normauxâŠâ»
On lui pose bien Ă©videmment la question qui nous brĂ»le les lĂšvres sur les suites donnĂ©es Ă ses courriers, mais aussitĂŽt, Vanessa nous livre sans surprise la rĂ©ponseâ: «âBien Ă©videmment, personne ne mâa rĂ©pondu.
c DOSSIER â LâINCROYABLE FIASCO DU REME
Le groupe Facebook
«âTER Grand Est â Le ras-le-bol des usagersâ» a recueilli des milliers de tĂ©moignages de voyageurs Ă©cĆurĂ©s par le fiasco
c DOSSIER â Le REME 28 â48 â Mars 2023 â Retour
Mais je sais trĂšs bien quâils surveillent de prĂšs nos publications sur Facebook. On a quand mĂȘme obtenu 50 % de rĂ©duction sur nos coĂ»ts dâabonnement pour fĂ©vriermars-avril, alors quâon avait demandĂ© un remboursement depuis dĂ©cembre. Alors aujourdâhui, on se doute bien que le bazar va durer au moins jusquâen avril. Ce dĂ©dommagement est loin dâĂȘtre suffisant, les gens sont contraints de prendre leur voiture ou de faire du covoiturage et ils continuent quand mĂȘme Ă prendre leur abonnement pour pouvoir profiter des trains qui roulent normalement. DĂ©jĂ que beaucoup dâentre nous ont dĂ» nĂ©gocier des changements dâhoraires de travail pour pouvoir coller aux nouveaux horairesâŠâ»
De sa position de gestionnaire du groupe Facebook quâelle a initiĂ©, Vanessa se dit non surprise par la colĂšre des gensâ: «âJe les comprends parfaitement. En ce qui me concerne, je suis dĂ©jĂ excĂ©dĂ©e, mais je reconnais que les problĂšmes sur ma ligne sont bien mineurs comparĂ©s Ă ceux rencontrĂ©s un peu partout ailleurs. Certains usagers sont dans une grande colĂšre et il y a de quoi. Jâai des tĂ©moignages incroyablesâ: cette dame, par exemple, qui est au chĂŽmage et qui mâa avouĂ© quâelle a renoncĂ© Ă chercher du travail, car elle ne peut plus compter sur le train. Elle sait trĂšs bien quâelle sera systĂ©matiquement en retard et quâelle ne pourra pas conserver longtemps un Ă©ventuel job. Câest arrivĂ© Ă une autre personne qui me lâa Ă©critâ: CDD non renouvelĂ© Ă cause des retards trop systĂ©matiques. Un autre mâa dit songer Ă changer de boulot
pour ne plus avoir Ă prendre le train. Ăa va loin quand mĂȘme, câest incroyable, nonâ?â» Et quand on revient sur la perception fine que devraient avoir les dĂ©cideurs de la SNCF sur ce que Vanessa appellera Ă plusieurs reprises le «âgrand bazarâ», elle laisse tomberâ: «âPardon dâĂȘtre vulgaire, mais je crois quâils sâen foutent. Heureusement, ce nâest pas le cas de la RĂ©gion, je dois mĂȘme dire que je suis agrĂ©ablement surprise par le fait que M. Thibaud Philipps se dĂ©mĂšne un max pour allĂ©ger nos difficultĂ©s. De lâavis gĂ©nĂ©ral, rien ne bouge. On attendait une mise en place efficace du REME au mois de janvier, aprĂšs la catastrophe de son premier mois dâouverture. Janvier devait donc ĂȘtre un mois de rodage, Ă Ă©couter la SNCF. Fin janvier, toujours le mĂȘme bazar. Depuis le dĂ©but fĂ©vrier, il parle dâun trafic normal pour la fin avril, mais tous les jours, vous entendez bien, tous les jours, le bazar continue. Preuve en est avec les omnibus dont la suppression handicape lourdement des milliers de gensâ: ils devaient ĂȘtre rĂ©tablis aprĂšs le 6 fĂ©vrier. Et bien, Ă part un arrĂȘt qui a Ă©tĂ© rĂ©tabli Ă Limersheim oĂč les gens avaient pĂ©titionnĂ© en masse, rien, alors que nous sommes aujourdâhui le 10âŠâ»
Le groupe Facebook initiĂ© par Vanessa Mikuczanis est dĂ©sormais tellement frĂ©quentĂ© quâelle songe sĂ©rieusement Ă sâadjoindre quelquâun qui lâaidera Ă rĂ©pondre aux interrogations et sollicitations de ses adhĂ©rents. «âCâest devenu lourd tout ça. Et jâai dĂ» aussi rĂ©pondre aux questions de beaucoup de journalistes que le sujet du fiasco du REME intĂ©ressait. Je suis devenue bien
Vanessa Mikuczanis a mis en ligne la page Facebook TER Grand Est âLe rasle-bol des usagers
malgrĂ© moi un peu experte en la matiĂšreâ» rajoute-t-elle en maniant une autodĂ©rision assumĂ©eâ:â«âJâexplique comme personne les galĂšres des usagers, ces petits-matins sur le quai de la gare quand, ne voyant rien venir, on sâaccroche quand mĂȘme Ă une appli pas toujours fiable qui nous a indiquĂ© une heure et demie auparavant que le train allait circuler. Retards, suppressions intempestives, excuses bidons que je pourrais vous rĂ©citer par cĆurâ: dĂ©faillance de matĂ©riel, indisponibilitĂ© du matĂ©riel, indisponibilitĂ© du personnel et celle-lĂ , la fameuse ârĂ©gulation du traficâ, Ă la tĂȘte du hit-parade et qui revient si souvent. Si jâai bien compris, câest Ă cause de la gare de Strasbourg qui est engorgĂ©e et qui reçoit en prioritĂ© les TGV et les autres trains grandes lignes et internationaux. Nous, on vient de notre petit coin entre Haguenau et Wissembourg, alors on est bons pour attendre, dix, quinze, quelquefois vingt minutes dans le train. On attend, on attend, on attend⊠Tous les jours, aux heures de pointe, on a droit Ă cette folie super stressanteâ!â» Il faudrait aussi parler des nouveaux horaires du REME qui ont Ă©tĂ© Ă©tablis sans toujours tenir compte des correspondancesâ: «âJe viens de recevoir un courrier dâun voyageur qui, chaque jour, part de Hoerdt en direction dâune gare sur la ligne StrasbourgBĂąle. Quand son train arrive Ă Strasbourg, il nâa quâune minute pour galoper et sauter dans son deuxiĂšme trainâ! Câest pas du nâimporte quoi çaâ?â» interroge-t-elle dans un sursaut de colĂšre avant de conclure, ahurieâ: «âEt dire quâon nous incite aujourdâhui Ă prendre les transports en commun pour lutter contre le rĂ©chauffement climatiqueâŠâ» c
«âĂ un mois du lancement du REME, je me souviens que nous Ă©tions tous trĂšs positifs.â»
c DOSSIER â Le REME 29 â48 â Mars 2023 â Retour
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs
CÎté usagers
La FNAUT est la principale association nationale qui dĂ©fend les usagers des transports. Elle fĂ©dĂšre prĂšs de 160 associations sur le territoire. Ancien magistrat et fils de cheminot, le prĂ©sident de la FNAUT Grand Est, François Giordani, impliquĂ© trĂšs tĂŽt sur le dossier du REME, commente la saga qui a conduit au fiasco de dĂ©cembre dernierâŠ
c DOSSIER â LâINCROYABLE FIASCO DU REME
François Giordani, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale des associations dâusagers des transports (FNAUT) Grand Estâ:
«âOn avait prĂ©venuâŠâ»
DĂšs 2016, vous avez Ă©tĂ© impliquĂ© sur ces problĂ©matiques dâĂ©volution du TER AlsaceâŠ
En quelque sorte, oui. Câest en effet en 2016 quâau sein dâune de nos associations, ASTUS, implantĂ©e Ă Strasbourg, nous avions participĂ© aux travaux dâun Ă©tudiant en gĂ©ographie qui avait entrepris une Ă©tude de faisabilitĂ© dâun projet tel que celui du REME. On y proposait mĂȘme trois lignes traversantes, telles que celle de la seule ligne traversante du projet REME, Saverne-SĂ©lestat. Assez rapidement ensuite, on a su que la RĂ©gion Grand Est et lâEuromĂ©tropole de Strasbourg sâĂ©tait mises dâaccord pour faire naĂźtre le REME. Nous avons Ă©tĂ© ravis dâĂȘtre associĂ©s Ă ce projet. Mais dĂšs novembre 2021, nous avons commencĂ© Ă dĂ©chanter quand on a pu constater que la SNCF avait du mal Ă respecter ses horaires. Les retards qui existaient dĂ©jĂ auparavant se sont aggravĂ©s, un plan de transport adaptĂ© a dâailleurs Ă©tĂ© mis en place de janvier Ă juillet de lâan passĂ©, mais il nâa jamais Ă©tĂ© vraiment respectĂ©, les suppressions intempestives sâaccumulant, pour toutes sortes de motifs, tous expliquĂ©s trĂšs technocratiquementâ: manque
de personnels suite au Covid, manque de matĂ©riels suite au Covid lĂ aussi, des piĂšces dont la SNCF avait du mal Ă sâapprovisionner. On a mĂȘme eu droit, toujours Ă cause du Covid, Ă des trains qui heurtaient de plus en plus les animaux, eux-mĂȘmes de mois en moins chassĂ©s en raison des suites de la pandĂ©mie, nous disait-on sans rire. Puis il y a eu les difficultĂ©s dâembauche, suite au changement de statut en 2018⊠Bref, dĂšs le dĂ©but de lâautomne dernier, on a Ă©tĂ© amenĂ© Ă faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs confĂ©rences de presse. Je ne vous raconte mĂȘme pas certains mails quâon a reçus alorsâ: «âvous ĂȘtes aigris, vous ĂȘtes des mauvais coucheursâŠÂ ». Jusquâau bout, en novembre dernier, Mme Dommange, la directrice du TER Grand Est, a soutenu que la SNCF ne raterait pas ce rendez-vous. M. Philipps, le vice-prĂ©sident de la RĂ©gion en charge du dossier nous a mĂȘme appris avoir reçu une lettre officielle allant dans ce sens. Apparemment, tant la RĂ©gion que lâEuromĂ©tropole ont cru la SNCF sur parole, mais nous qui les frĂ©quentions depuis longtemps, on ne leur a fait que trĂšs moyennement confiance.
«âDĂšs le dĂ©but de lâautomne dernier, on a Ă©tĂ© amenĂ© Ă faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs confĂ©rences de presse.â»
c DOSSIER â Le REME 33 â48 â Mars 2023 â Retour
François Giordani, président de la FNAUT Grand Est
On a donc tout fait pour attirer lâattention des dĂ©cideurs sur ce risque de carence de lâopĂ©rateur national. On avait prĂ©venuâŠ
Et dĂšs lâouverture du REME le 11 dĂ©cembre dernier, vous avez Ă©tĂ© amenĂ© Ă constater nombre de graves dĂ©faillancesâŠ
Oui, câest exact. DĂšs le lundi matin du 12 dĂ©cembre dernier, nous Ă©tions en place un peu partout dans les gares du rĂ©seau REME. Notre premiĂšre surprise a Ă©tĂ© de constater quâil nây avait pas une seule information sur la prĂ©sence du REME Ă disposition du public. Rien sur lâensemble des panneaux Ă©lectroniques des gares et des quais. Le REME, connais pasâ! Personnellement, jâĂ©tais en gare de Geispolsheim. Des gens qui se rendaient Ă leur travail Ă Vendenheim ont appris par ma bouche quâils pouvaient dĂ©sormais rester dans le mĂȘme train pour se rendre Ă la gare de Vendenheim. Aucune information, pas la moindre communicationâ!
DĂšs la fin de lâaprĂšs-midi de ce mĂȘme lundi, tout a commencĂ© Ă dĂ©railler, sans jeu de mots. Et tout sâest amplifiĂ©, de jour en jour. Ce qui a amenĂ© la SNCF Ă mettre en place leur fameux plan de transport adaptĂ© pour les quinze jours de vacances de NoĂ«l, sur la base dâune offre diminuĂ©e dâun quart. Ce plan a Ă©tĂ© prolongĂ© par un deuxiĂšme plan du mĂȘme type dĂšs le 3 janvier, avec, notamment sur la ligne de Molsheim, une suppression de la moitiĂ© des omnibus. Ă notre Ă©niĂšme demande dâexplications, lâopĂ©rateur national a sorti une nouveautĂ© jamais entendue jusquâalorsâ: il nâavait pas anticipĂ© les difficultĂ©s dâexploitation en gare de Strasbourg. Notamment
un argument assez stupĂ©fiantâ: les trains allaient plus souvent faire le plein en gare basse et devaient donc de façon plus nombreuse «âcisaillerâ» les voies pour ravitailler. Occasionnant ainsi des perturbations plus nombreuses elles aussi sur le trafic entrant et sortant de la gare de Strasbourg. Apparemment, personne nâavait anticipĂ© le fait que si on utilisait beaucoup plus de trains, il y aurait automatiquement beaucoup plus de mouvements pour quâils se ravitaillentâ! Pour Ă©viter de commenter de façon excessive ce sujet, je voudrais dire quâĂ la lecture du dernier plan en 46 points transmis par Mme Dommange, il nâĂ©tait pas la peine dâĂȘtre un expert pour sâapercevoir que la quasi-totalitĂ© de ces points aurait largement pu ĂȘtre anticipĂ©e bien en amont. Il y a quand mĂȘme assez dâingĂ©nieurs des Mines ou de Polytechnique Ă la SNCF pour gĂ©rer tout ça, nonâ?
Au fond, que nous dit ce fiascoâ?
Il nous dit dâabord, Ă mon avis, que les Ă©lus de la RĂ©gion et de lâEuromĂ©tropole ont voulu Ă tout prix que le REME dĂ©marre trĂšs vite et que ça marche. En fait, les techniciens de la RĂ©gion Grand Est nous avaient dâailleurs fait part de leur pessimisme sur la mise en place des fameux 800 trains supplĂ©mentaires chaque semaine.
Ce fiasco nous dit aussi que la SNCF sâest peut-ĂȘtre retrouvĂ©e coincĂ©e par la proximitĂ© de lâouverture de certaines lignes Ă la concurrence (ces lignes concernent la vallĂ©e de la Bruche et le transfrontalier vers Offenbourg â ndlr). Ce nâĂ©tait peutĂȘtre pas le moment pour elle dâavouer
quâelle ne pouvait pas tenir ses engagements⊠Ce fiasco rĂ©vĂšle aussi des carences flagrantes en termes dâorganisation, ce qui nous fait nous demander sâil nây a pas partout Ă la SNCF un savoir-faire et beaucoup de compĂ©tences qui se seraient perdus durant toutes ces derniĂšres dĂ©cennies⊠Enfin, ce que nous vivons chez nous, en Alsace, avec cette triste expĂ©rience fournit une preuve Ă©clatante qui en dit long sur ce qui sâest passĂ© depuis trĂšs longtemps maintenantâ: les rĂ©seaux rĂ©gionaux ont Ă©tĂ© dĂ©laissĂ©s par la SNCF, on a tout mis sur le TGV. Il aurait fallu Ă©quilibrer un peu plus les investissementsâŠ
Sous la pression de la RĂ©gion, la remise en circulation des omnibus a Ă©tĂ© exigĂ©e. Ăa vient de se passer Ă Limersheim oĂč ne sâarrĂȘtait plus le seul train du dĂ©but de matinĂ©e que les lycĂ©ens et les gens qui allaient bosser pouvaient prendreâ!
On est trĂšs au fait de tous ces manquements. DĂšs le dĂ©but dĂ©cembre, on a mis en service avec lâaide dâun informaticien un logiciel qui nous permet dâaccĂ©der Ă toutes les open datas (les sources dâinformation ouvertes au public â ndlr) de la SNCF. On recense ainsi en temps quasi rĂ©el toutes les suppressions, mais aussi les retards de moins de quinze minutes ainsi que ceux de moins de trente minutes, y compris sur les lignes de lâĂ©toile ferroviaire de Strasbourg non concernĂ©es par le REME. Ce tableur est dĂ©sormais actualisĂ© chaque soir.
Et au niveau des usagers, comment se manifestent-ilsâ?
Inutile de vous dire quâils sont trĂšs remontĂ©s. Depuis que je suis devenu prĂ©sident de la FNAUT Grand Est en 2017, on nâavait jamais eu autant de mails, SMS, courriers ou dâappels tĂ©lĂ©phoniques. Tout y passe, y compris les demandes portant sur les premiĂšres semaines de dĂ©cembre janvier qui ne seront pas indemnisĂ©es dans le cadre de la rĂ©duction du montant des abonnements portant sur fĂ©vriermars-avril. Si la SNCF refuse de prendre en charge les indemnitĂ©s demandĂ©es pour les pĂ©riodes de dĂ©cembre-janvier, nous avons promis de saisir le mĂ©diateur des transports sur les demandes de ces usagers. Les situations que nous dĂ©crivent les gens sont quelquefois cauchemardesques. On ne compte plus ceux qui ont Ă©tĂ© licenciĂ©s Ă cause de leurs trop nombreux retards, les gens en rade sur les quais de gare et jâen passeâŠ
Jamais je nâai autant rĂ©pondu Ă des demandes dâinterview venant de la presse nationale et rĂ©gionale. Câest assez incroyableâŠâ» c
c DOSSIER â Le REME 34 â48 â Mars 2023 â Retour
Espace EuropĂ©en de lâentreprise - BĂątiment MIKADO - Schiltigheim
Et la SNCFâ? Elle se tait, la SNCFâŠ
Et la SNCFâ? Que pense-t-elle de ce fiasco, oĂč Ubu est au coude Ă coude avec une flopĂ©e de technocrates pour tenter dâĂ©teindre les feux de ce lamentable accident industrielâ?
En ce qui nous concerne, nous avons trĂšs tĂŽt souhaitĂ© rencontrer StĂ©phanie Dommange, la directrice TER Grand Est, et avons effectuĂ© la demande dâentretien usuelle par mail dĂšs le 26 janvier dernier.
Sept jours plus tard, sans rĂ©ponse, nous avons rĂ©insistĂ© auprĂšs de Alice Cocatre, la responsable du PĂŽle Communication externe. Le mĂȘme jour, nous recevions de sa part les mots suivantsâ: «âNous ne pouvons pas rĂ©pondre favorablement Ă votre demande, car lâagenda de Madame Dommange ne nous permet pas Ă lâheure actuelle de rĂ©server un crĂ©neau pour rĂ©pondre Ă une interview.â»
Suivaient «âquelques Ă©lĂ©ments de contexteâ» (sic) sans grand intĂ©rĂȘt, qui nâĂ©taient quâun simple rappel de ce que nous savions dĂ©jĂ dĂ©but fĂ©vrier, date de rĂ©ception de ce mail.
Dans la foulĂ©e, nous avons rĂ©itĂ©rĂ© notre demande dans un mail oĂč nous expliquions «âquâil serait quand mĂȘme assez incroyable que soient interviewĂ©s dans notre magazine les usagers ou leurs reprĂ©sentants, ainsi que les responsables politiques en charge du dossier et que nous soyions contraints de signifier Ă nos lecteurs que malgrĂ© notre insistance, la directrice du rĂ©seau TER a refusĂ© de nous accorder un entretienâŠâ»
Correspondance close dans la foulĂ©e par la rĂ©ception (sĂšche) de ces motsâ: «âJe vous confirme quâil nâest pas possible de donner une suite positive Ă votre sollicitation.â»
Durant les semaines oĂč nous avons travaillĂ© sur ce dossier, les stupĂ©factions se sont enchaĂźnĂ©es, et il suffit de lire les dĂ©clarations des uns ou des autres dans les pages qui prĂ©cĂšdent pour rĂ©aliser lâampleur du fiasco de la mise en service du REME strasbourgeois.
Mais le refus de StĂ©phanie Dommange de rĂ©pondre Ă nos questions fut la «âcerise sur le gĂąteauâ».
Nous rappellerons donc nous aussi ici quelques Ă©lĂ©ments de contexteâ: dans cette affaire, il sâagit, dâun bout Ă lâautre de la chaĂźne, dâun dossier vital sur bien des plans, et entiĂšrement financĂ© par de lâargent public câest-Ă -dire notre argent Ă tous. Ne pas perdre de vue cet aspect des choses aurait dĂ» largement suffire pour que la responsable en charge de ce projet trouve une quarantaine de minutes dans son agenda pour faire connaĂźtre au public les explications de lâopĂ©rateur national unique quâelle reprĂ©sente.
Peut-ĂȘtre mĂȘme aurait-elle pu profiter de cet entretien pour faire valoir quelques aspects des choses sous-estimĂ©s par nos interlocuteurs oĂč par nous-mĂȘmes, susceptibles dâapporter un Ă©clairage complĂ©mentaire sur le rĂ©cit des faits et les commentaires des usagers et dĂ©cideurs politiques que nous avons livrĂ©s Ă nos lecteursâŠ
Ăa doit ĂȘtre ça ce que lâon appelle la communicationâŠ
Ce silence forcenĂ© de la SNCF ne sera pas tenable trĂšs longtemps. Car tant Thibaud Philipps, vice-prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est que Alain Jund, vice-prĂ©sident de lâEuromĂ©tropole de Strasbourg, sâils parviennent encore aujourdâhui Ă contenir la colĂšre froide quâils ressentent, ne vont pas mettre des mois Ă rappeler publiquement les Ă©chĂ©ances et risquent un jour ou lâautre de violemment taper le poing sur la table.
En ligne de mire, il y a la prochaine mise en concurrence sur la ligne de la vallée de la Bruche, la ligne transfrontaliÚre vers Offenbourg et celle vers Lauterbourg.
Quelle image sera celle de la SNCF quand elle se prĂ©sentera aux auditions devant lâautoritĂ© rĂ©gionale de transport, câest-Ă -dire la RĂ©gion Grand Estâ?
Plus gĂ©nĂ©ralement (et câest le plus important), combien faudra-t-il de temps pour que lâimage de la SNCF se restaure ne serait-ce quâun petit peu auprĂšs de nous tous, le grand public, qui mettons tant de fois la main Ă la pocheâ: une premiĂšre fois, via nos impĂŽts depuis des dĂ©cennies et des dĂ©cennies pour la pĂ©rennitĂ© de ce vĂ©ritable bien national, une seconde fois quasiment chaque annĂ©e, et depuis longtemps, pour Ă©ponger une grande part de son dĂ©ficit dâexploitation (le cas Ă©chĂ©ant), une troisiĂšme fois au niveau rĂ©gional (câest le cas pour le REME) pour financer ses projets. Et une quatriĂšme fois, bien sĂ»r, pour acheter nos titres de transport quand nous utilisons ses servicesâŠ
Mâest avis que le service communication de la vieille dame ferait bien dâagir avec discernement sur le territoire alsacien lors de sa prochaine grande campagne nationale du style «âĂ la SNCF, câest possibleâ» ou «âĂ nous de vous faire prĂ©fĂ©rer le trainâ».
Il lui sera peut-ĂȘtre plus prudent dâĂ©viter dâafficher ses slogans multicolores dans le Bas-Rhin⊠c
Jean-Luc Fournier.
Commentaire
c DOSSIER â LE REME c DOSSIER â Le REME 36 â48 â Mars 2023 â Retour
Eleina Angelowski
«âOn fâra passer les histoiresâ»
Le choc des générations
«âChaque gĂ©nĂ©ration, sans doute, se croit vouĂ©e Ă refaire le monde. La mienne sait pourtant quâelle ne le refera pas.
Mais sa tĂąche est peut-ĂȘtre plus grande. Elle consiste Ă empĂȘcher que le monde se dĂ©fasse.â»
Albert Camus
S ACTUALITĂ â SOCIĂTĂ
39 S ACTUALITĂ
En 2023, plus de soixante ans aprĂšs ce constat fait par Camus Ă lâoccasion de sa rĂ©ception du prix Nobel en 1957, les gĂ©nĂ©rations qui lui ont succĂ©dĂ© se sentent plongĂ©es dans les eaux troubles, post-vĂ©ritĂ© oblige, dâun monde qui se dĂ©fait Ă une vitesse digne des ordinateurs quantiques. Lâintelligence artificielle et les catastrophes naturelles se font concurrence pour se dĂ©barrasser de lâhumain producteur et consommateur de biens et de services des annĂ©es fastes du capitalisme en Occident. Des croyances en tout genre fragmentent les sociĂ©tĂ©s jadis homogĂšnes. Et alors que Pasolini regrettait dans les annĂ©es 70, au sens propre et figurĂ©, la disparition des lucioles dans sa campagne natale, aujourdâhui, le capitalisme dans sa phase
de prĂ©dation finale tend Ă dĂ©truire ses propres ressources de productionâ: la planĂšte et lâhumanitĂ©.
Sans confiance en lâavenir, dans un quotidien dĂ©barrassĂ© du temps lent et contemplatif, grands-parents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du «âprĂ©cieux hĂ©ritageâ». Se produit alors «âle choc des gĂ©nĂ©rationsâ» sur fond de sidĂ©ration et de perte de repĂšres anthropologiques. Wokes de la gĂ©nĂ©ration Z contre grands-parents baby-boomers rĂ©acâ! Le match est annoncĂ© et le terrain est surtout celui des classes dĂ©favorisĂ©es, mais pas que⊠Sans prĂ©tention dâanalyse sociologique, prĂȘtons lâoreille Ă quelques histoires strasbourgeoises, contĂ©es ou Ă©crites. On sâapercevra peutĂȘtre que le tableau reflĂšte plus que cinquante nuances de grisâŠ
TâES UN MONSTRE, PAPIâ!
«âJe nâavais quâune petite fille, maintenant je nâai que⊠je ne sais quoi, le mot nâexiste sĂ»rement pas dans le Larousseâ», raconte R.B., lâair accablĂ© et confus.
Il ne veut surtout pas que son nom paraisse dans le journal. La honteâ? AccoudĂ© Ă une de ses tables prĂ©fĂ©rĂ©es au snack Michel, il roule nerveusement entre ses doigts jaunis par le tabac une Marlboro quâil ne peut plus fumer Ă lâintĂ©rieur depuis des lustres, mais le rĂ©flexe y est encoreâ! Puis, il lĂšve enfin le regard. «âElle nâest pas vraiment devenue un garçon, tu sais. Câest quâon lui a tournĂ© la tĂȘte, voilĂ ce que je pense, moi. Ă la fin du lycĂ©e, ça a commencĂ© dĂ©jĂ Ă disjoncter, puis quand elle est allĂ©e Ă la fac de socio, en plein Covid, on ne pouvait plus Ă©changer sans que ça dĂ©rape. Sa mĂšre mâa fait comprendre quâelle sâĂ©tait fait agressĂ©e sexuellement ou quoi⊠Sa mĂšre, ma fille, est divorcĂ©e, mais elle a une bonne situation. Avec ma femme, emportĂ©e par le cancer il y a dix ans, on avait tout fait pour que notre unique progĂ©niture sâen sorte mieux que nous. Prof de Français au lycĂ©e, lâabondance nây est pas, mais ça te met bien Ă lâabri. Le pĂšre de ma petite fille, lui, a foutu le camp Ă Paris et nâen a rien Ă cirer de sa famille⊠De toute façon la famille, câest du passĂ©, bienvenue dans les mondes des aliĂ©nĂ©s de tout genreâ!â»
R.B. avale sa gorgĂ©e de biĂšreâ: «âOn ne sây reconnaĂźt plus en rien, face Ă tous ces miroirs dĂ©formĂ©s. Ă la sortie du Covid, lâan dernier jâai revu ma petite fille pour PĂąques, mĂ©connaissableâ: fringuĂ©e
40 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
comme un mec, tatouĂ©e de partout, piercings et compagnie. Moi aussi, jâai des tatouages, mais je suis un vieux con. Je lui ai ditâ:
â Quâest-ce qui tâarrive, tâas perdu la bouleâ? Tâas lâair de vouloir te faire passer pour un mecâ!
â Ăa te dĂ©rangeâ? quâelle me rĂ©pond, effrontĂ©e comme jamais.
â Bah, oui, tâes ma petite fille. Elle mâa sorti ensuite tout un discours sur les victimes de la domination mĂąle et lâapocalypse Ă©cologique imminente, comme si tout Ă©tait de ma faute.
â Je nâai pas compris, puisque tout est la faute des mĂąles blancs, pourquoi tâes en train de te transformer en garçon ? Tu veux faire partie de ces mecs qui tombent enceintsâ? Tâas vu passer sur Facebook les affiches du planning familial cet Ă©tĂ©â?
â Non, je nâai pas de Facebook, câest ringard. Tu nâas toujours rien compris, Papi, comme dâhabâ. Je ne suis pas un garçon, ni une fille, et ce nâest ni mon vagin, ni mes fringues qui peuvent mâobliger Ă mây soumettreâŠ
â Enfin, tu ne peux pas comparer ton⊠sexe de femme Ă nâimporte quel autre accessoire que tu changes comme ça te chanteâ! Câest irrĂ©el, du pur dĂ©lire tout çaâ!
â Ce qui est rĂ©el ou pas câest Ă moi dâen dĂ©cider Papi, mais en ce qui concerne de tomber enceint·e, ne compte pas sur moi. On est dĂ©jĂ trop nombreux sur terre.
â Je vois ça, tu es bien partie pour te faire berner par ces nantis qui veulent faire partie dâune caste dâimmortels rĂ©duisant le reste de la population en compost bioâŠ
Bon, aprĂšs elle mâa traitĂ© dâivrogne complotiste, de monstre⊠ma petite fille qui adorait grimper sur mon dos quand on se baladait dans les VosgesâŠâ»
DU GRAND-PĂRE ZOOM Ă LA MAMIE SPORTIVE
Ailleurs, sous dâautres toits strasbourgeois des histoires plus romantiques, mais tout aussi rĂ©vĂ©latrices se font conter. Ă lâinitiative de deux grand-mĂšres Ă©mancipĂ©es et modernes â lâĂ©crivaine et comĂ©dienne Astrid Ruff et la professeure linguiste Christine HĂ©lot â le Verger Ă©diteur publiait lâan dernier le recueil collectif Histoires de grands-parents 1. Du grand-pĂšre zoom Jack Donovan Ă la mamie sportive Astrid, tous adoptent avec plaisir le concept de «âgrand-merdageâ» de lâĂ©crivaine Susie Morgenstern. Affranchis «âdes carcans statutairesâ», ils semblent «âentrer de plain-pied dans des relations modernes, plus librement choisiesâ» avec
leurs petits-enfants. PrĂ©cision de tailleâ: leurs «âangesâ» sont encore Ă la maternelle ou Ă lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaireâ!
NâempĂȘche que RĂ©gine et Ăric Delamotte font dĂ©jĂ face à «âla fabrication du genreâ» chez leurs hĂ©ritiers constatant que «âla peur de la fille garçon-manquĂ©, ou du garçon effĂ©minĂ©, semble avoir perdu de son intensitĂ©.â» Ils remarquent que leur petite fille Olga, attirĂ©e plus par le personnage de Mulan que celui de Blanche Neige, se passionne davantage pour les jeux de billes Ă la rĂ©crĂ©ation, tandis que leurs petits fils Niels et Ulysse ne se prĂ©cipiteront pas vers les poupĂ©es ou le saut Ă la corde.
«âUlysse, qui vient dâavoir trois ans, dĂ©clareâ:
Moi, je ne suis pas une fille.
â Oui, on le sait, disent les grandsparents, tu es un garçon.
Visage butĂ©â:
â Non, je ne suis pas un garçon, moi. Ce que je suis, peu importe, mais une chose est sĂ»reâ: depuis que je vais Ă lâĂ©cole, je sais que je ne suis pas une filleâ!â»
Tu vois cher R.B., tu as raison dâattirer lâattention de ta petite fille sur la paradoxale dĂ©faite du fĂ©minismeâ!
LE CHOIX EST ROI
On comprend, tout est devenu une question de «âlibreâ» choix, Ă commencer par la nourritureâ: «âDans le temps, nos grands-parents mettaient la table et ne demandaient pas ce que lâon aime
ou nâaime pas. CâĂ©tait le mĂȘme plat pour tousâ», remarque lâĂ©crivain strasbourgeois Pierre Kretz, auteur de cinq petits enfants avec Astrid Ruff.
«âQuand les petits arrivent chez nous Ă midi, reprend mamie Ruff, câest toute de suite "âJâaime pas les brocolis, ni les haricots, ni les carottesâ"⊠Et ça commence, la distribution selon les choix et les dĂ©sirs particuliers des uns et des autres. Il faut savoir que nos deux fils ont des habitudes alimentaires trĂšs diffĂ©rentes, le grand Ă©tant retournĂ© Ă une stricte obĂ©dience du rite juif et le cadet Ă©tant plutĂŽt agnostique et vĂ©gan. Leurs petits ont ainsi des usages alimentaires et vestimentaires trĂšs diffĂ©rents, par exemple les filles de mon grand ne portent jamais de pantalonsâŠâ» Alors çaâ! Mamie Astrid, elle en porte Ă volontĂ© des pantalons et cela fait partie de son image de mamie moderne. «âMamie, elle est comme la grand-mĂšre dans La valise rose de Susie Morgensternâ: elle fait des cadeaux bizarres, elle est sportive, elle a les cheveux courtsâ», remarquent ses petits-enfants.
Florence Hugodot nâest pas prĂȘte, elle non plus, Ă se transformer en grandmĂšre Ă temps pleinâ: «âquâest-ce que ça va ĂȘtre casse-pied⊠Et dur, dur, de remettre Ă plus tard toutes ces petites obligations quotidiennes qui me tiennent en vieâ: gym, chorale, cours dâanglais, exercices de mĂ©moire, thĂ©s de dames, permanence sociale, cycle de confĂ©rences sur le prĂ©-classicisme nĂ©o-baroque en BohĂšme-MoravieâŠâ»
«âSans confiance en lâavenir, dans un quotidien dĂ©barrassĂ© du temps lent et contemplatif, grandsparents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du âprĂ©cieux hĂ©ritageâ.â»
â
41 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
donc Ă leurs enfants et leurs petits enfants de âcorriger le tirâ, mais Ă leur maniĂšre.â»
Ah, les mamies modernesâ! Le choc des gĂ©nĂ©rations se prĂ©pare donc bien avant lâarrivĂ©e des Wokes. Et si on interrogeait ces grands-parents 2.0 sur le souvenir de leurs ancĂȘtresâ? On sâaperçoit que la petite Astrid Ruff ne pouvait pas communiquer en allemand avec sa mamie car celle-ci ne parlait pas le français, que la barbe de jeunesse de François Kahn imitait celle de Che Guevara plutĂŽt que celle du rabbin, que Pierre Kretz a reniĂ© les rites catholiques de ses aĂŻeux. Ne sont-ce pas dâailleurs les grands-parents dâaujourdâhui qui ont profitĂ© de la pilule et de la libĂ©ration des mĆursâ? Participant Ă la dĂ©construction des modes de vie traditionnels, ils ont foncĂ© tĂȘte en avant dans lâindividualisme matĂ©rialiste. Câest donc Ă leurs enfants et leurs petits enfants de «âcorriger le tirâ», mais Ă leur maniĂšre.
LA ROUE DE SAMSARAâ: LES PETITS VENGENT LEURS ARRIĂRES GRANDS-PARENTSâ?
Nâest-ce pas curieux ce retour au canon religieux chez les nouvelles gĂ©nĂ©rations de la communautĂ© juive de Strasbourg et dâailleursâ? Et aussi paradoxal que cela puisse sembler, «âla religion wokeâ» nâexprime-t-elle pas le mĂȘme besoin de sortie du dĂ©terminisme matĂ©rialiste et des valeurs progressistes de la modernitĂ©â?
«âIl nây a plus ni Juif, ni Grec, il nây a plus esclave, ni homme libre, il nây a plus
ni homme, ni femme, car vous ĂȘtes tous un en JĂ©sus-Christâ», lit-on dans lâEpitre aux Galates, 3,28 de Saint-Paul, devenu lâinspiration dâune nouvelle gnose du militantisme de gauche2. Les athĂ©es dâhier adoptent les stratĂ©gies dâun apĂŽtre chrĂ©tienâ! Face aux pressions dâune sociĂ©tĂ© de plus en plus rĂ©gulĂ©e, le libre choix du genre prĂŽnĂ© par les Wokes est vĂ©cu comme une forme dâĂ©mancipation. On y propose de transformer le rĂ©el, considĂ©rĂ© pure illusion, un peu Ă lâimage du samsara bouddhiste⊠Tout serait parfait si le fanatisme nâĂ©tait pas aux aguets. Religieux ou woke, les petits enfants tendent parfois vers un obscurantisme digne des endoctrinements idĂ©ologiques de leurs aĂŻeux, tout au nom de LA «âvĂ©ritĂ©â».
«âNous participons dâune chaĂźne vivante qui se poursuit bien aprĂšs nous, dans les perspectives sombres de bouleversements climatiques encore inconnus, rappelle IrĂšne Fenoglio. GrĂące aux petits-enfants, nous prenons notre juste place â avec un amont et un aval â dans cet univers vertigineux dont nous ne connaissons pas la finâ»⊠R.B. se sent reniĂ© par sa petite fille transgenre, mais il lui a sĂ»rement transmis, Ă son insu, une part de lui qui continuera Ă se transformer et changer le monde bien aprĂšs son passage sur Terre.
«âMamina, tu peux mettre du rap françaisâ?â» dit Ă sa grand-mĂšre, Malia encore Ă la maternelle. IrĂšne Feroglio sâexĂ©cute «âtrĂšs obĂ©issante, mettant la radio que tonton Mahdi lui a indiquĂ©eâŠâ»
Et câest peut-ĂȘtre la chanson dâOrelsan, une des stars du rap français.
âŠ
Mes grands-parents croient en lâĂ©vangile
Leurs enfants ont dĂ©cidĂ© dâlaisser JĂ©sus tranquille
Mon grand-pÚre utilise le mot pédé pour dire pédophile
Il sâendort entre les plats comme sâil Ă©tait sous Lexomil
Mes grands-parents ont lâdisque-dur qui commence Ă ramer
On fâra passer les histoires, laissera pas la mĂ©moire sâeffacer S
«âCâest
1- Astrid Ruff et Christine Hélot, Histoires de grands-parents, Le Verger éditeur 2022
42 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
2- Alain Badiou, Saint-Paul. La fondation de lâuniversalisme, PUF, 2015
S ACTUALITĂ â LE CENTRE QUI RASSURE
CĆur battant RECOR C
Sur trois Ă©tages, immĂ©diatement voisin de la Clinique de lâOrangerie Ă laquelle il appartient et dont il dĂ©pend directement, le centre RECOR du 23 de lâAllĂ©e de la Robertsau affiche clairement sa nature juste sous son acronymeâ: Centre de rĂ©adaptation Cardiaque de lâOrangerie. Ici sont accueillis toutes celles et ceux qui ont Ă©tĂ© victimes dâun accident cardiaque et câest une prise en charge diablement professionnelle qui les attendâŠ
es patients ont tous vĂ©cu, quelquefois trĂšs soudainement, un problĂšme avec leur cĆur. Cela va du rĂ©trĂ©cissement dâune artĂšre coronaire rapidement et efficacement «ârĂ©glé⻠par la pose dâun stent (une intervention quasi routiniĂšre aujourdâhui) Ă lâopĂ©ration Ă cĆur ouvert des valves cardiaques en passant par un pontage plus ou moins compliquĂ©. Quelquefois aussi, câest lâinfarctus qui sâest invitĂ©, brutal et redoutĂ©, et on y a survĂ©cuâŠ
Dans tous les cas, il faut impĂ©rativement rĂ©apprendre Ă vivre avec les consĂ©quences de la maladie, voire mĂȘme prĂ©venir dâautres Ă©pisodes pouvant sâavĂ©rer bien plus graves encore.
Câest gĂ©nĂ©ralement le cardiologue ou le mĂ©decin traitant qui parlent les premiers de RECOR et qui invite le patient Ă pousser la porte du 23 de lâAllĂ©e de la Robertsau.
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs â Gilles Schacherer â DR
44 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Une partie de lâĂ©quipe du Centre RECOR
AprĂšs un check-up complet (dont un Ă©lectrocardiogramme), le feu vert donnĂ©, chaque patient Ă©tablit avec une cardiologue le dĂ©but de son planning personnel. Vingt sĂ©ances sont ensuite programmĂ©es (dix autres peuvent sây ajouter, Ă lâissue du programme, si le patient en ressent la nĂ©cessitĂ©âŠ)
UN PROGRAMME TRĂS ĂTUDIĂ
Trois Ă©tages donc, et autant de modules invariables, chacun sâĂ©talant sur 45 minutes soit le matin soit lâaprĂšs-midi.
Les deux premiers sont affaire de condition physique. Les 45 premiĂšres minutes se passent sur un vĂ©lo ou un tapis de marche (il existe mĂȘme un rameur). Sous surveillance constante par monitoring, on y travaille lâendurance et la cardio en respectant scrupuleusement les programmations fixĂ©es, surveillĂ©s par un staff de trois infirmiĂšres spĂ©cialisĂ©es en permanence sur place.
Un quart dâheure de rĂ©cupĂ©ration et de dĂ©tente puis on entame ensuite 45 minutes de gymnastique. Six patients par groupe sont pris en charge par un des deux enseignants en Ă©ducation physique adaptĂ©e. Tout le corps est peu Ă peu sollicitĂ©, le thorax, les bras, les jambes, les articulations par le biais dâexercices collectifs rythmĂ©s par une discrĂšte musique entraĂźnante. Les trois quarts dâheure se concluent immuablement par lâincontournable sĂ©ance dâĂ©tirements qui Ă©vite les courbatures du lendemain. Bien sĂ»r, dans cet atelier, les enseignants respectent le rythme et lâĂąge de chacunâŠ
La demi-journĂ©e se termine par un atelier aux thĂ©matiques trĂšs variĂ©es dit «âdâĂ©ducation thĂ©rapeutiqueâ»â: animĂ© par des praticiens spĂ©cialistes, on y parle de diĂ©tĂ©tique, dâĂ©quilibre alimentaire, de gestion du stress, de relaxation, de bonnes pratiques en matiĂšre dâactivitĂ© physique, etc. sans oublier une information complĂšte sur les types de mĂ©dicaments assez nombreux lors de la prise en charge de ces pathologies.
Le programme RECOR est bien sĂ»r entiĂšrement pris en charge par lâAssurance Maladieâ; mieux mĂȘme, si le patient en ressent le besoin et en manifeste un intĂ©rĂȘt Ă©vident, vingt autres sĂ©ances peuvent automatiquement se mettre en place lors de chaque annĂ©e civile. S
Ce consultant-formateur spĂ©cialisĂ© en intelligence collective vient de passer le cap de la soixantaine. LâĂ©tĂ© dernier, il a rĂ©alisĂ© une performance assez rare avec sa grande traversĂ©e des Alpes quâil avait prĂ©vu de rĂ©aliser en 2020⊠juste avant que son cardiologue ne dĂ©cĂšle ses problĂšmes cardiaques. Il raconteâŠ
« J e pratique la randonnĂ©e depuis pas mal de tempsâ» Ă©voque Gilles. Dâailleurs, un an avant la grande traversĂ©e des Alpes telle quâelle Ă©tait prĂ©vue initialement, jâavais effectuĂ© la traversĂ©e des Vosges, de Wissembourg jusquâĂ Thann, soit 410 kilomĂštres environ.
Pour me prĂ©parer, je marchais quasiment chaque week-end et je me sentais toujours bien en rando. Depuis une dizaine dâannĂ©es, jâavais rectifiĂ© de moimĂȘme pas mal de choses concernant ma santĂ©â: arrĂȘt du tabac, perte de poids, une quinzaine de kilos, quand mĂȘme. Bref, je me sentais donc parfaitement capable de relever ce dĂ©fi un peu fou de traverser les Alpes du nord au sud. Et comme jâavais dĂ©cidĂ© de dormir en refuge, jâavais dĂ©jĂ tracĂ© mon parcours, effectuĂ© mes trente rĂ©servations et je me prĂ©parais donc en prĂ©vision de cette rando dâexception.
Ma fille aĂźnĂ©e, Mathilde, est hĂ©matologue-rĂ©animatrice et, dans les mois prĂ©cĂ©dents, elle mâa pris littĂ©ralement
«âAu centre RECOR, on te responsabilise en faisant appel Ă ton intelligence de la situationâ»
Un patient, Gilles Schacherer
45 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
le chouâ: «âPapa, tu ne vas quand mĂȘme pas te lancer dans ce projet sans aller voir un toubibâŠâ» Elle a insistĂ© si fort que jâai fini par prendre un rendez-vous avec un gĂ©nĂ©raliste, le premier depuis des annĂ©esâ! Il constate un peu dâhypertension, il mâausculte et finit par me direâ: «âBon, ce serait quand mĂȘme bien de voir un cardiologueâŠâ»
Ă lâexamen, ce dernier souhaite que je fasse un test dâeffort un peu plus poussĂ©, accompagnĂ© dâune coronarographie exploratoire. Nous sommes alors en mars, cinq mois avant le dĂ©part prĂ©vu de la traversĂ©e et le diagnostic tombeâ: rĂ©trĂ©cissement coronaire, il faut poser deux stents, et rapidement de plus. Ce qui sera fait trois semaines plus tard, aprĂšs que jâaie annulĂ© ma rando. Je vous laisse le soin dâimaginer alors ma dĂ©ception, elle a Ă©tĂ© Ă©norme. Tellement passionnĂ©, jâai quand mĂȘme fait une toute petite rando de cinq kilomĂštres, fin avril, huit jours aprĂšs lâintervention. Le dĂ©nivelĂ© Ă©tait ridicule, 150 mĂštres, et bien jâĂ©tais au bout de ma vieâ! Ensuite, jâai bossĂ© normalement et, malgrĂ© tout, lâĂ©tĂ© suivant, jâai quand mĂȘme fait 550 kilomĂštres sur le chemin Stevenson et retour, dans le Massif Central, qui est assez connu (le film Antoinette dans les CĂ©vennes a Ă©tĂ© en grande partie tournĂ© sur ce chemin â ndlr), un circuit que jâavais suivi parce que câĂ©tait nettement plus plat que les Vosges et, a fortiori, les AlpesâŠâ»
Un an plus tard, Gilles Schacherer, obstinĂ©, entamera donc la traversĂ©e des Alpes (lire lâencadrĂ© ci-contre).
DE PRĂCIEUX REPĂRESâŠ
Câest son cardiologue qui attirera son attention sur le centre RECOR. DĂšs la pose des deux stents rĂ©alisĂ©e, le spĂ©cialiste avait insistĂ© sur le fait que ce serait intelligent dâentamer une rééducation cardiaque. «âCe nâĂ©tait pas un besoin absoluâ» se souvient Gilles Schacherer «âmais comme je ne cessais de lui parler de mes projets de randos, il a jugĂ© cela trĂšs pertinent. Donc, je me suis engagĂ© dans ce parcours que jâai rĂ©alisĂ© en deux parties, avant la rando dans le Massif Central et juste aprĂšs. Les deux premiers mois ont dâailleurs servi en partie de prĂ©paration, mĂȘme si aucun effort dĂ©mentiel nâest bien sĂ»r jamais demandĂ© durant le programme RECOR. Ce programme
mâa quand mĂȘme beaucoup aidĂ©, car il comporte aussi cette phase trĂšs intĂ©ressante de conseils et de recommandations concernant la diĂ©tĂ©tique, lâhygiĂšne de vieâŠ
Pour la petite histoire, une fois le programme achevĂ©, en octobre, mon cardio nâĂ©tait toujours pas trĂšs chaud pour que je parte sur la traversĂ©e des Alpes. Du coup, je me suis inscrit dans une salle de sports oĂč jâai pas mal travaillĂ© la cardio sur le tapis et le vĂ©lo. Je lâai fait seul, mais en fait je me suis alors rendu compte que RECOR mâavait permis de prendre de prĂ©cieux repĂšres qui mâont permis dâaugmenter peu Ă peu lâintensitĂ© des efforts. Le tout, complĂ©tĂ© par les randos du week-end, mâa bien permis de retrouver ma forme dâauparavant. Puis de lâamĂ©liorer encore. En fait, je savais ce que je faisais. La rando de 550 km dans le Massif Central, câĂ©tait un cumul de 17â000 mĂštres de dĂ©nivelĂ© positif. Je nâai cependant jamais perdu de vue la traversĂ©e des Alpes, qui reprĂ©sentait la mĂȘme distance, mais avec un cumul de 36â000 mĂštres de dĂ©nivelĂ©âŠâ»
En se rappelant de son parcours dans le centre de lâAllĂ©e de la Robertsau, Gilles se souvient quâil a eu le sentiment de gĂ©rer son ambition dans la transparence. «âĂ mon arrivĂ©e Ă RECOR, jâai tout de suite prĂ©venu que mon objectif restait de rĂ©aliser avec succĂšs cette traversĂ©e des Alpes. Mon cardio Ă©tant donc parfaitement au courant lui aussi, on a Ă©tĂ© trois Ă gĂ©rer cette situation. Avec lui, on sâĂ©tait assez tĂŽt fixĂ© la date de mars 2022 pour quâun nouveau test dâeffort couplĂ© avec une Ă©chographie simultanĂ©e vienne confirmer que je pouvais entreprendre ce projet sans souci. Ce qui fut fait avec, au terme, le feu vert espĂ©rĂ©â!
Un an aprĂšs, le consultant dresse un bilan Ă©logieux de RECOR. « En tout premier lieu » se souvient-il, « on te responsabilise en faisant appel Ă ton intelligence de la situation. LâidĂ©e de fond est de te permettre de prendre toi-mĂȘme ta maladie en charge de façon trĂšs autonome. Ce point-lĂ mâa paru dĂ©jĂ plus quâintĂ©ressant, dâemblĂ©e. Le parcours brasse tout ce que tu dois prendre en compteâ: lâactivitĂ© sportive, bien sĂ»r, mais aussi toute la partie accompagnement sur tous les autres aspects de ton quotidien comme la gestion du stress, la qualitĂ© et la diversitĂ© de ton alimentation, la comprĂ©hension des mĂ©dicaments par exempleâŠâ» S
La traversée des Alpes
«âUn des grands voyages de ma vieâ!â»
Dix-sept mois aprĂšs la pose de ses deux stents, Gilles Schacherer a donc bouclĂ© cette fameuse traversĂ©e. «âJe ne veux pas vous abreuver de chiffresâ» dit-il, «âmais, pour faire court, le parcours câest 595 km en 33 journĂ©es de marche, 35â570 mĂštres de dĂ©nivelĂ© positif, 35â940 mĂštres de dĂ©nivelĂ© nĂ©gatif. Le tout reprĂ©sente 1â040â000 pas et tout ça pour descendre de 372 mĂštres, câest-Ă -dire la diffĂ©rence dâaltitude entre le lac LĂ©man, au dĂ©part, et les plages de la MĂ©diterranĂ©e Ă Menton, Ă lâarrivĂ©e. Faut ĂȘtre fĂȘlĂ©, nonâ?â» rigole-t-il de façon tout Ă fait dĂ©complexĂ©eâŠ
46 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
«âTous les jours, tu te disâ: mais pourquoi tu te fais mal comme çaâ? Mais quâest-ce que tu es venu foutre lĂ â?
Pour simplifier, la premiĂšre semaine tu en chies vraiment, parce que les Alpes, ça nâa vraiment rien Ă voir avec ce que je connaissais auparavant, comme les Vosges par exemple. Dans nos montagnes, il y a aussi des endroits raides Ă monter, mais câest sur un kilomĂštre ou Ă peine plus. LĂ -bas, ça dure pendant huit kilomĂštresâ!
Quand tu te tapes les 1â200 mĂštres de dĂ©nivelĂ© du BrĂ©vent qui se dresse dâun coup au-dessus de Chamonix, sous lâorage, tu surmontes un dĂ©fi mental diaboliqueâŠ
Cette premiĂšre semaine est dâautant plus infernale que le GR accumule beaucoup, vraiment beaucoup de dĂ©nivelĂ©, et ce, dĂšs la premiĂšre Ă©tape.
La deuxiĂšme semaine, physiquement tu tâes un peu habituĂ©, mais câest alors le mental qui te travaille. En permanence, tu te demandes vraiment le sens de ce que tu es en train de vivre.
Mais Ă partir de la troisiĂšme semaine, tu finis par trouver bien anormal de ne pas marcher. Et mĂȘme durant les jours de repos, tu marches quand mĂȘme un peuâŠ
Sur la fin, dans le Mercantour, jâai vraiment rĂ©alisĂ© lâextrĂȘme difficultĂ© de cette randonnĂ©e. On frĂŽle en permanence la frontiĂšre italienne, ça monte vraiment trĂšs raide et on est en permanence dans les Ă©boulis. Je me souviendrai longtemps de la vallĂ©e de la Roya, dĂ©vastĂ©e Ă lâautomne 2021 par les gigantesques torrents dâeau et de boue. On dĂ©couvre toujours des paysages de guerre, lĂ -basâŠ
Et câest le dernier jour, celui de lâarrivĂ©e Ă Menton. Tous les randonneurs au long cours te le diront, câest le jour que tu nâas jamais cessĂ© dâespĂ©rer atteindre depuis le dĂ©but et pourtant, pour moi ça a Ă©tĂ© le jour le plus dĂ©cevant. Bon, Menton, câest mignon, mais voilĂ , tu retrouves de nouveau les bagnoles et tout le reste, tu vis un peu le syndrome de tout qui sâĂ©croule autour de toi.
En fait, jâai rĂ©alisĂ© lĂ un des grands voyages de ma vie. Câest un profond voyage en soi, bien sĂ»r, mais aussi un voyage en plein cĆur des problĂšmes du mondeâ: en traversant les Alpes, tu es confrontĂ© Ă la sĂ©cheresse et pas quâun peu, il y a plusieurs refuges oĂč je nâai pas pu prendre de douche, par exemple⊠Certains autres Ă©taient mĂȘme fermĂ©s, ce qui nâĂ©tait jamais arrivĂ© dans lâhistoire. Et dans certains lacs, il nây avait plus dâeauâŠ
Partout, la biodiversitĂ© est en grand danger, quand tu croises des gardes et que tu discutes un peu avec eux, ils te le confirment tristement. Tu entends aussi beaucoup parler de la gestion de la prĂ©sence du loup et sa cohabitation avec la vie pastorale. Câest trĂšs compliquĂ©. Je me suis fait attaquer par des bergers dâAnatolie, des chiens de berger qui ressemblent Ă des patous, mais qui sont beaucoup plus agressifs.
Et puis, tu te frottes aussi au problĂšme du tourisme de masse, comme durant ces deux jours qui ont suivi mon Ă©tape Ă Chamonix, sur ce qui sâappelle le tour du Mont-Blanc. Ils sont en grappes, ça vient des USA, de CorĂ©e et ça arrive lĂ par bus entiers. Au-dessus de toi il y a les hĂ©licos qui, toute la journĂ©e, dĂ©posent les gens pour faire des courses en montagne. Et puis, durant les derniers kilomĂštres oĂč tu longes quasiment en permanence la frontiĂšre italienne, tu rĂ©alises les problĂšmes de lâimmigrationâ: les migrants sont partout sur les quarante derniers kilomĂštres. Partoutâ! Les relais des passeurs et les planques abondentâŠâ»
Revenant a posteriori sur «âce coup de bambouâ» que fut lâirruption de la maladie dans sa vie sans que jamais le moindre symptĂŽme ne se soit prĂ©sentĂ© en amont, et fort de sa belle expĂ©rience lâĂ©tĂ© dernier, Gilles Schacherer confirme quâil nâoublie cependant pas pour autant ce qui sâest passĂ© en mars 2020, ne serait-ce que parce quâil doit «âprendre dĂ©sormais un traitement mĂ©dical chaque matinâ»âŠ
«âMais je suis dĂ©jĂ en train de rĂ©flĂ©chir oĂč je vais aller marcher cet Ă©tĂ©. JâhĂ©site entre la grande traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es, câest encore le cran au-dessus avec ses 800 km, mais lĂ , comme je rentre du Maroc oĂč jâai fait un trek dans les dĂ©serts du grand sud, un guide mâa proposĂ© la traversĂ©e de lâAtlas en dix-sept jours via deux sommets de 4000 mĂštres. Du coup, jâhĂ©siteâŠâ» avoue-t-il.â»
47 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Le programme RECOR
Adopter les bons comportements aprĂšs le problĂšme cardiaqueâŠ
La cardiologue Marie LĂ©vy est en poste au centre RECOR depuis trois ans. En tant que responsable de ce service intĂ©grĂ© au sein de la Clinique de lâOrangerie, elle coordonne lâactivitĂ© de plusieurs infirmiĂšres et spĂ©cialistes de la santĂ© ainsi que des deux enseignants en activitĂ© physique adaptĂ©e qui offrent aux patients de RECOR un programme complet de rĂ©adaptation cardiaqueâŠ
La premiĂšre question quâon a envie de poser concerne tous ces patients qui suivent ce programme. Comment arrivent-ils iciâ?
Il y a ici deux sortes de populations. Il y a les patients qui ont eu un problĂšme cardiaque et qui ont Ă©tĂ© hospitalisĂ©s Ă lâissue dâun infarctus ou pour la pose dâun stent qui a Ă©tĂ© programmĂ©e aprĂšs des explorations demandĂ©es par leur cardiologue. Ces patients arrivent ici pour quâon les aide Ă reprendre leur vie dâavant tout en surveillant quâil nây ait pas de limites particuliĂšres Ă leur fixer et en leur donnant toutes sortes de conseils et dâexplications en matiĂšre diĂ©tĂ©tique, qualitĂ© de vie, sportive ou relative Ă la gestion du stress, entre autres⊠Le point-clĂ© est dâĂ©viter les rĂ©cidives et de permettre aux patients de reprendre une vie la plus normale possibleâŠ
Il y aussi ceux qui viennent dans le cadre de ce que nous appelons la prĂ©vention primaire. Ils nâont jamais eu le moindre problĂšme cardiaque, mais leur cardiologue ou leur mĂ©decin traitant les ont identifiĂ©s «âĂ risqueâ» dans ce domaine. GĂ©nĂ©ralement, le but est de modifier leur mode de vie en gĂ©nĂ©ral, lâalimentation, le poids, lâactivitĂ© physique rĂ©guliĂšre. Ă notre niveau, nous essayons donc de corriger ce qui peut lâĂȘtre afin dâĂ©viter quâun Ă©vĂ©nement cardiaque survienneâŠ
Le programme est-il le mĂȘme pour tousâ?
On essaie de lâadapter au cas par cas, mais, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on propose une vingtaine de sĂ©ances sur un crĂ©neau de trois heures pour chacune dâentre elles, les deux tiers Ă©tant consacrĂ©s Ă une activitĂ© physique et le troisiĂšme tiers Ă©tant dĂ©volu Ă ce que nous appelons lâĂ©ducation thĂ©rapeutique et ses nombreux ateliers comme la diĂ©tĂ©tique, la maladie, les mĂ©dicaments, entre autres⊠Quand il y a eu une hospitalisation pour un problĂšme cardiaque, on dose Ă©videmment lâendurance en fonction du profil de chaque patient et, petit Ă petit, sĂ©ance aprĂšs sĂ©ance, on augmente un peu lâintensitĂ©. Ă la fin des vingt sĂ©ances de base, si les gens sentent quâils peuvent encore sâamĂ©liorer sur le plan de lâactivitĂ© physique, on peut prolonger le programme avec dix autres sĂ©ances supplĂ©mentaires. Nous adaptons en permanence ce programme en tenant compte de tous les profils des gens qui viennent le suivre iciâŠ
J
48 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Marie Lévy, cardiologue, dirige le Centre Recor
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Quel est le profil de vos collĂšgues qui travaillent dans ce serviceâ?
Nous sommes tous salariĂ©s de la Clinique de lâOrangerie et nous avons tous auparavant ĆuvrĂ© au sein de services de soins hospitaliers classiques. Nous avons tous Ă©tĂ© affectĂ©s ici sur la base du volontariat. Du coup, il y a une belle osmose dans cette Ă©quipe et ce service est rĂ©putĂ© comme Ă©tant agrĂ©able pour y travailler. Je crois que ceci provient du fait que les patients qui sont ici y arrivent volontairement et quâils sont partants pour suivre ce programme. Dans un service hospitalier classique, on est bien sĂ»r contraint dâĂȘtre lĂ et on nâa quâune hĂąte, le quitter le plus vite possible. Globalement, il y a donc une trĂšs bonne entente entre nous tous et les quelques petits problĂšmes qui surviennent sont rares dâune part, et vite solutionnĂ©s ensuite⊠Cela vaut aussi pour les deux enseignants en activitĂ© physique adaptĂ©e qui prennent en charge le module de gymnastique, ils sont eux aussi intĂ©grĂ©s Ă plein temps au sein de lâĂ©quipe du centre RECORâŠ
Vous-mĂȘme, comment avez-vous intĂ©grĂ© ce serviceâ?
AprÚs mes études de médecine et mon internat de cardiologie à Strasbourg, mon
premier poste a Ă©tĂ© Ă lâInstitut universitaire de RĂ©adaptation cardiaque ClĂ©menceau situĂ© sur le site dâIllkirch-Graffenstaden qui venait dâouvrir et qui cherchait des cardiologues. Je crois que ce qui mâa attirĂ© sur ce poste Ă©tait le cĂŽtĂ© Ă©change avec les gens, loin des choses un peu plus stressantes, agressives ou invasives quâon connaĂźt dans nos mĂ©tiers, Ă lâhĂŽpital. Jâai adorĂ© ce premier poste et Ă lâĂ©tĂ© 2019, jâai Ă©tĂ© contactĂ©e par lâancienne cheffe de service dâici qui partait Ă Colmar. Jâadorais tellement mon Ă©quipe Ă Illkirch que la dĂ©cision a Ă©tĂ© un peu difficile Ă prendre, mais je nâai rien regrettĂ© ensuite, car ici, jâai retrouvĂ© la mĂȘme ambiance et ce mĂȘme travail que jâaimais.
Peut-on faire un bilan de lâaction de ce service depuis ses deux dĂ©cennies dâexistenceâ?
Oui, mais il faut distinguer deux Ă©poques diffĂ©rentes, car, Ă ses dĂ©buts, ce centre ne sâoccupait que de rĂ©adaptation nutritive et de prĂ©vention primaire. Aujourdâhui, nous devons fournir Ă lâARS (lâAgence RĂ©gionale de SantĂ© â ndlr) le nombre de patients pris en charge et leurs spĂ©cificitĂ©s comme lâĂąge, la ou les pathologies, le nombre de sĂ©ances suivies, etc. En fait, pour que nous puissions mesurer plus
parfaitement lâimpact de RECOR, il faudrait que soit mise en place une consultation de rappel un an aprĂšs la fin du suivi de notre programme. Le retour de nos confrĂšres cardiologues est prĂ©cieux et ils nous font volontiers part des bienfaits de RECOR sur les gens quâils nous envoient.
Un point important, nous sommes toujours ravis de revoir nos patients aprĂšs un an. Ils nous reviennent gĂ©nĂ©ralement, car la SĂ©curitĂ© sociale, Ă lâinstar des cures thermales par exemple, autorise la prise en charge de vingt sĂ©ances annuelles pour les gens qui ont eu recours au programme de base. Nous fonctionnons alors un peu comme une salle de gym, mais nous ne proposons que du sport santĂ©â: on est loin du sport esthĂ©tique ou du sportperformance. En tout cas, on est vraiment heureux dâaider les gens Ă sortir de leur sĂ©dentaritĂ© plus ou moins prononcĂ©e et Ă les ramener vers une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre qui leur fait du bien. Dâailleurs, Ă leur entretien de sortie du programme, je leur dis systĂ©matiquement que plus tard, il ne leur faudra pas hĂ©siter Ă repousser notre porte sâils sentent quâils doivent ĂȘtre aidĂ©s pour conserver les bonnes habitudes quâils avaient acquises aprĂšs le programme initial. Beaucoup nous reviennent rĂ©guliĂšrement dans ce cadreâŠâ» S
J 50 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
«âOn est vraiment heureux dâaider les gens Ă sortir de leur sĂ©dentaritĂ© plus ou moins prononcĂ©e et Ă les ramener vers une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre qui leur fait du bien.â»
La Terre demande toute notre attention
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La Terre demande toute notre attention, est lâengagement de chacun dâentre nous Ă ĂȘtre, chaque jour, totalement impliquĂ© Ă atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, Ă©thiques et pragmatiques, pour lâenvironnement.
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Barbara Romero Nicolas RosĂšs â DR
Trois ans aprĂšs le «âBig Quitâ»
Des Strasbourgeois témoignent...
Le double effet kiss cool de la crise sanitaireâ? La quĂȘte de sens professionnel. En 2021, six salariĂ©s et huit chĂŽmeurs sur dix envisageaient une reconversion selon le dernier baromĂštre de lâUnedic Ă travers demandes de formation, changement dâemployeur ou crĂ©ation dâentreprise. Comment ont-ils fait le grand sautâ? Quel regard portent-t-ils sur leur dĂ©cisionâ? TĂ©moignages.
Anticipation dâun licenciement Ă©conomique. VolontĂ©, au contraire pour les freelances de retrouver la sĂ©curitĂ© dâun groupe. OpportunitĂ© de crĂ©er sa boĂźte. Souci de trouver un meilleur Ă©quilibre vie entre la vie professionnelle et la vie personnelle⊠Le COVID a suscitĂ© pas mal de remue-mĂ©nage dans lâesprit des actifs ou demandeurs dâemploi.
Selon une enquĂȘte BVA rĂ©alisĂ©e en fĂ©vrier 2022 pour France CompĂ©tences, la «âperte de sensâ» est la raison la plus partagĂ©e (27 %) par les actifs en reconversion, qui Ă©voquent aussi «âlâinsatisfactionâ» due aux conditions de travail (23 %), Ă la rĂ©munĂ©ration (22 %), ou une pression trop importante (20 %).
Si la France nâa pas connu le «âBig quitâ» ou «âgrande dĂ©missionâ» des Ătats-Unis âplus de 4,3 millions de dĂ©missions rien quâen aoĂ»t 2021, tout de mĂȘme â 58% des Français en emploi envisageaient une reconversion professionnelle en dĂ©cembre 2021.
Les milieux les plus touchĂ©s sont sans surprise lâhĂŽtellerie-restauration, la grande distribution ou lâaide Ă la personne. Ă titre dâexemple, lâOrdre national des infirmiers a rĂ©vĂ©lĂ© que 40% des infirmiers interrogĂ©s au printemps 2021 envisageaient une reconversionâŠ
Ă lâheure oĂč nous sortons ce quarante-huitiĂšme numĂ©ro de Or Norme, le premier confinement «âfĂȘteâ» ses trois ans. Nous avons souhaitĂ© aller Ă la rencontre dâactifs qui ont profitĂ© du COVID pour entamer leur reconversion. Histoire de mieux comprendre quels peuvent ĂȘtre les Ă©lĂ©ments dĂ©clencheurs faisant tourner une page de plusieurs dĂ©cennies dans une mĂȘme activitĂ© ou sociĂ©té⊠S
S ACTUALITĂ â RECONVERSION
52 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Caroline Schwob
Directrice marketing et communication dâune multinationale amĂ©ricaine, Caroline Schwob craque peu de temps avant le confinement. Une pause salutaire qui a permis Ă lâhyperactive dâoser rĂ©aliser un rĂȘve quâelle pensait inaccessibleâ: ĂȘtre Ă son compte et entrevoir de faire de sa passion, la cuisine, un mĂ©tier.
temps thĂ©rapeutique Ă sa boĂźte. «âJâai renoncĂ© en octobre. Je subissais Ă nouveau le harcĂšlement de mon N+1, jâai alors rĂ©alisĂ© que je nâĂ©tais plus Ă©quipĂ©e pour une telle pression.â»
Son anti-stressâ? La cuisine. Elle commence Ă dĂ©velopper son blog de recettes cĂ©togĂšnes, son Instagram (elle compte plus de 20â000 followers aujourdâhui). «âJe suis gourmande, mais jâai dĂ©couvert il y a quelques annĂ©es mon intolĂ©rance au gluten doublĂ©e dâune candidose. Je me suis mise au rĂ©gime keto et Ă force de recherches, jâai dĂ©veloppĂ© tout un tas de recettes faciles et gourmandes.â»
Son mari la pousse à lancer son blog. Grùce à lui, elle se lance, propose une maquette à Larousse qui lui répond favorablement. Son premier livre Débuter le régime keto sort le 1er février 2022, le deuxiÚme Je mange keto au quotidien pile un an plus tard.
En mai 2022, elle dĂ©missionne. «âCâest une dĂ©cision mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. Jâaime toujours mon mĂ©tier de communicante, mais je ne me vois plus le faire en entreprise. Je suis trĂšs prudente, jâai des clients rĂ©guliers en tant que consultante pour garder un certain niveau de vie et avoir la libertĂ© dâĂ©crire.â»
Avec cette nouvelle vie dâindĂ©pendante aux multiples projets, Caroline dĂ©couvre lâharmonie. «âAvec le COVID, jâai compris que lâon pouvait trouver un Ă©quilibre entre vie professionnelle, personnelle et nourrir sa passion, confie-t-elle. JâĂ©tais tout le temps entre deux voyages Ă travers le monde, jâai mĂȘme manquĂ© la rentrĂ©e en maternelle de mon fils. Aujourdâhui, jâapprĂ©cie dâĂȘtre dĂ©lĂ©guĂ©e de sa classe.â»
L
e COVID mâa apaisĂ©e.â» En burnout depuis dĂ©cembre 2019, Caroline Schwob, 46 ans, prend le temps de la pandĂ©mie pour se retrouver. «âLe confinement nâa pas Ă©tĂ© le dĂ©clencheur de mon changement professionnel, mais plutĂŽt une remise en question de mon rapport Ă la pression, Ă ce besoin de toujours mieux faire, de rĂ©pondre positivement aux sollicitations. Depuis un moment, jâĂ©tais en mode pilote automatique, je nâĂ©tais plus au bon endroit, au bon moment.⻫ (Haut potentiel intellectuel), avec un haut potentiel Ă©motionnel (HPE). Si cela mâa fait sourire dâĂȘtre dĂ©finie « adulte prĂ©coce » Ă 46 piges, cela mâa fait comprendre pourquoi je prenais les choses trop Ă cĆur, pourquoi je ne savais pas prendre de reculâŠâ» Cette analyse couplĂ©e Ă un bilan de compĂ©tences rĂ©vĂšle aussi son «âsyndrome de lâimposteurâ»â: «âMa coach mâa fait rĂ©aliser que je ne postulais quâĂ des postes en dessous de mes compĂ©tences. Elle mâa dit quâelle me voyait bien Ă mon compte, mais pour moi, câĂ©tait « No way, jâen suis incapableâ! » Il fallait que jâentame un vrai travail personnel de fond.â»
Si cette parenthĂšse aurait pu ĂȘtre catastrophique pour elle qui ne tient pas en place, elle lâa mise Ă profit. «âPour la premiĂšre fois de ma vie, jâai consultĂ© un psy. Jâai dĂ©couvert Ă 46 ans que jâĂ©tais HPI
Mais Caroline tourne en rond. En avril 2021 elle craque, et demande un mi-
53 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Du burn-out Ă la Popote de Potine lapopotedepotine.com
A-t-elle quelques regrets de sa vie dans le top 3 du comitĂ© de direction dâune multinationaleâ? «âĂtre manager, câest 80% dâhumain, et 20% de tĂąches, je mâinvestissais beaucoup, ça mâa brĂ»lĂ©. Ok, je nâai plus de voiture de sociĂ©tĂ©, mais jâai le tramâ! Je nâai plus de cadeaux du comitĂ© dâentreprise, mais je mâen fousâ! Je nâai plus mes collĂšgues, mais une vie professionnelle riche en contacts, sans le collĂšgue qui se plaint de ne pas avoir reçu son doc Ă temps, sans pression ni harcĂšlement moral.â» Et avec du temps pour partager sa popote qui a soignĂ© autant son corps que son esprit. S
«
Mathilde Pessard
Devenir hypnothĂ©rapeute ne nĂ©cessite pas cinq annĂ©es dâĂ©tudes. Sa directrice des ressources humaines lâencourage Ă se lancer. «âJe me dĂ©cide Ă prendre le plan de dĂ©part volontaire que je vendais toute la journĂ©e Ă mes collĂšgues. Jâai rĂ©alisĂ© quâil Ă©tait super intĂ©ressant, alors pourquoi pas moiâ!â». Les conditions sont idĂ©ales. Dix mois de congĂ©s de reclassement, une formation et une compensation financiĂšre Ă la crĂ©ation dâentreprise⊠«âJe ne remercierais jamais assez Air France, insiste la jeune femme. Quand tu es salariĂ©e pendant 22 ans dâune entreprise comme celle-ci, oĂč lâon te fait tout, cela demande quelques ajustements pour avoir le mindset entrepreneurâ!â»
Q
EmbarquĂ©e chez Air France Ă 19 ans en contrat de qualification, Mathilde Pessard sâĂ©panouit dans ses diffĂ©rents jobs jusquâau jour oĂč elle ne trouve plus de sens Ă ses tĂąches. On est en pleine crise sanitaireâ: elle dĂ©cide de prendre le plan de dĂ©part de la compagnie en 2021 pour une nouvelle aventure professionnelle.
Services passagers, enregistrements, accueils, Mathilde passe des annĂ©es en horaires dĂ©calĂ©s. «âOn Ă©tait 350 Ă lâaĂ©roport de Strasbourg, il y avait par moment un vol toutes les 40 minutes pour Paris. Ă partir de 2007, avec lâarrivĂ©e du TGV, les choses ont changĂ©. On pense quâon va pouvoir rester dans la compagnie toute sa vie, et puis on commence Ă comprendre quâelle aura besoin de moins de monde. Aujourdâhui ils ne sont plus que 25 chez Air France Ă lâaĂ©roport.â»
Mathilde intĂšgre en 2012 le service planning, puis celui des ressources humaines, Ă la direction rĂ©gionale dâIllkirch. Elle valide ses acquis et dĂ©croche une licence en ressources humaines.
uand tu intĂšgres une entreprise comme Air France, tu te dis que câest pour la vie.â» Mathilde adore ses diffĂ©rents postes au sein de la compagnie aĂ©rienne quâelle rejoint par hasard Ă 19 ans, en contrat de qualification.«âCela a durĂ© huit ans, câĂ©tait vraiment passionnant, jusquâĂ ce quâil nây ait plus de sens. Câest ce que le COVID mâa rĂ©vĂ©lĂ©. Je me suis retrouvĂ©e en tĂ©lĂ©travail, Ă gĂ©rer les conditions de travail de tout le monde, un peu la panique Ă bordâ! Je commence alors Ă me poser des questionsâ: Ă quoi sert ce que je faisâ? Un an aprĂšs le dĂ©but du COVID, je reviens trĂšs peu au bureau, câest glauque. Mais jâai peurâ! Je me dis, tu as un boulot, tu adores ta boĂźte, tu as un salaire tous les mois⊠Et puis dâun coup, je me mets Ă avoir davantage peur Ă lâidĂ©e de rester quâĂ partir.â»
Mais pour quoi faire quand on Ă©volue depuis 22 ans dans la mĂȘme entrepriseâ?
«âJâai beau rĂ©flĂ©chir, rĂ©flĂ©chir, ça ne vient pas. Et puis un jour, en faisant du jardinage, je dĂ©connecte mon mental et lâidĂ©e me vientâ: ce sera lâhypnoseâ! Mais instantanĂ©ment, je me dis que je suis folle.â» Et puis tout sâaligne.
En septembre 2021, Mathilde dĂ©marre sa formation Ă lâhypnose, Ă Paris. Une rĂ©vĂ©lation. «âMes filles sont ados, je peux me permettre de partir quatre fois huit jours. Câest tellement gĂ©nial dâapprendre, je me sens vivante. Câest Ă©puisant aussi, car tu travailles beaucoup sur toi, tu vas voir ce quâil y a sous le tapis. Et puis tu rĂ©alises aussi que la connaissance du fonctionnement humain, câest le travail dâune vie. Je sors de lâĂ©cole avec âle syndrome de lâimposteurâ, envahissant, mais important, sinon tu es sans filtre.â»
AccompagnĂ©e, «âje monte ma boĂźte⊠Et quel bonheur de la crĂ©er Ă mon imageâ! Je choisis un cabinet comptable, un webdesigner, je dĂ©couvre la stratĂ©gie marketing⊠TrĂšs vite viennent les premiĂšres inquiĂ©tudes. La premiĂšreâ: rĂ©aliser que tu vas avoir des clientsâ!â»
Le 1er juin, elle termine son congĂ© de reclassement et sâinstalle dans un cabinet, Ă HĆnheim, puis grĂące Ă un client, elle trouve deux autres crĂ©neaux Ă la Robertsau. «âJe me suis payĂ©e un coaching de six mois avec une communautĂ© de femmes en reconversion professionnelle pour nous aider Ă lever les freins, les peursâŠâ»
54 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
AprĂšs 22 ans chez Air France, cap sur lâhypnothĂ©rapie mp-hypnose.fr
Mathilde travaille dix fois plus quâavant. Jamais elle nâa regrettĂ© sa dĂ©cision, mĂȘme dans les moments de doutes. «âMoi qui recherchais du sens, lĂ cela a du sens dâaccompagner quelquâun dans son dĂ©sir de changementâ», sourit-elle. Le tout sans se mettre une pression dingue. «âJe ne le vis pas comme la dĂ©cision dâune vie, je me dis juste que tout est possible. Quand tu enlĂšves cette pression, câest plus agrĂ©able.â» S
STRASBOURG 2 rue Emile Mathis 03 88 753 753 HAGUENAU 110 route de Strasbourg 03 88 06 17 17 OBERNAI 1 rue des Ateliers 03 88 338 338 www. lespaceh .fr
L
En parallĂšle, il collabore Ă Passion vins, aux Ă©ditions de la NuĂ©e-Bleue, ou dans la presse viticole. Sans jamais quitter son agence oĂč il gravit les Ă©chelons.
Lors du premier confinement, Olivier se retrouve en télétravail comme beaucoup.
Dans son esprit, il nâest pas encore question de reconversion professionnelle. «âJâĂ©tais trop pris par mon boulot, avec ni lâĂ©nergie, ni le temps de rĂ©flĂ©chir, mĂȘme si monter ma boĂźte trottait dans ma tĂȘte depuis longtemps.â»
Olivier quitte nĂ©anmoins Plurimedia oĂč il a passĂ© 21 ans de sa carriĂšre pour
Olivier Métral
Chef de service chez Plurimedia, Olivier MĂ©tral claque la porte en juillet 2020, au bord du burn-out. Il enchaĂźne avec une annĂ©e en tant que chargĂ© de communication du Struthof, avant de rĂ©aliser une idĂ©e qui lui trottait Ă lâesprit depuis des annĂ©esâ: lancer sa boĂźte de communication Ă destination des acteurs du vignoble alsacien.
a boucle est bouclĂ©e est-on tentĂ© dâĂ©crire, mĂȘme si Olivier MĂ©tral parle dâun «âparcours un peu tortueux, mais nĂ©anmoins salvateur, depuis lâarrivĂ©e du COVID.â» Sa passion pour le vin date de 1999, quand ce Grenoblois dâorigine est arrivĂ© en Alsace pour suivre son Ă©pouse. «âJâai dĂ©couvert la rĂ©gion, les cĂ©pages, au point que jâai lancĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000, alors que les ventes sur internet dĂ©marraient Ă peine, le site 20dalsace.com, mĂ©lange dâactus, dâinfos et de ventes pour une vingtaine de vignerons. Ma relation avec les vignerons a changĂ©, je nâĂ©tais plus un simple client lambda, jâai pu dĂ©couvrir les coulisses, mâimprĂ©gner de cet univers et crĂ©er un joli petit rĂ©seau.â»devenir chargĂ© de communication du Struthof, en septembre 2021. «âMais un mois aprĂšs, on Ă©tait reconfinĂ©, ce qui signifiait zĂ©ro visiteur⊠Mon travail Ă©tait intĂ©ressant, mais câĂ©tait un peu glauque sans presque personne.â»
Il met Ă profit ses longs trajets quotidiens pour faire un point sur sa carriĂšre. «âLe COVID a contribuĂ© Ă ce que je me pose des questions, câest lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur.â» Durant cet entre-deux, le vigneron Marc TempĂ© fait appel Ă ses services pour communiquer sur les 25 ans de son domaine. «âCâest lui qui mâa mis le pied Ă lâĂ©trier, reconnaĂźt-il. Jâai rĂ©alisĂ© que beaucoup de vignerons nâavaient pas le temps de communiquer.â»
Il dĂ©cide de quitter le Struthof en septembre 2022 et ouvre sa boĂźte dans la foulĂ©e, Terroir dâexpressions . En peu de temps, une dizaine de vignerons le rejoignent. Ă 50 ans, il sâautoforme au mĂ©tier de vidĂ©aste, Ă la prise dâimages, au montage. Dans la continuitĂ© de sa passion pour le vin dâAlsace, il veut monter des circuits oenotouristiques⊠Mais pas Ă la one-again â! Olivier a en effet suivi une formation de 140 heures pour devenir transporteur routier de personnes. «âTu ne trimballes pas des personnes comme çaâ!â», rappelle-t-il. Son projetâ: faire dĂ©couvrir les vignes des
grands crus alsaciens in situ, dégustations à la clé.
Un an et demi aprĂšs sa renaissance, Olivier ressent un «âgrand sentiment de libertĂ©. Câest quand mĂȘme un truc de devenir son propre patron, dâorganiser ses journĂ©es, de faire des choses qui te plaisent.â» Le tout non sans quelques petites angoissesâ: sâil se diversifie, câest par peur de demain aussi. «âĂ 53 piges, il faut tenir encore une douzaine dâannĂ©es, jâai quand mĂȘme cette angoisse que tout sâarrĂȘte, confie-t-il. Jâai deux enfants Ă©tudiants Ă loger Ă Besançon et Ă Strasbourg, forcĂ©ment on y pense quand on quitte le salariat. Mais jâespĂšre tenir comme ça jusquâĂ la fin de ma carriĂšreâŠâ»
56 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Du journalisme au terroir (viticole) dâexpressions terroirdexpressions.net
Parce que se lever chaque matin avec la banane, en avoir fini avec la boule au ventre du dimanche soir, cela nâa pas de prix. «âQuand jâentends des salariĂ©s autour de moi raconter les histoires de leur boĂźte, je me dis quâil vaut mieux ĂȘtre tout seul Ă la maisonâ!â» Dâautant quâil nâest pas vraiment seul Olivier, entre ses reportages, ses cours, ses missions Ă droite Ă gauche, et une passion qui lâanime. S
Le mécénat de compétences en entreprise
Hara Solidarity Consulting aux cÎtés de la sphÚre associative locale
S ACTUALITĂ â UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
Marine Dumény Nicolas RosÚs
58 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Bruno Malvy et Laurence Ă EmmaĂŒs Connect
Le mĂ©cĂ©nat dâentreprise, vous connaissezâ? Il sâagit dâun soutien matĂ©riel ou financier apportĂ© par une entreprise Ă un organisme sans but lucratif pour lâexercice dâactivitĂ©s prĂ©sentant un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Encore peu dĂ©veloppĂ© (par 5,5% des entreprises du Grand Est, sourceâ: IFOP), le mĂ©cĂ©nat est souvent pratiquĂ© par le biais de dons, dĂ©fiscalisĂ©s, numĂ©raires ou en nature.
Bruno Malvy a 26 ans. Il est entrĂ© Ă HARA en aoĂ»t 2022, soit un an aprĂšs la crĂ©ation de lâentreprise. Quand, Ă la recherche dâun nouvel emploi, il est contactĂ© par Geoffrey JaeglĂ©, fondateur et prĂ©sident de HARA, son parcours atypique et son investissement associatif passĂ© convainquent surle-champ. Une fois intĂ©grĂ© Ă lâĂ©quipe, câest avec Suzanne Legrand, la responsable RH, quâil fait le tour des associations partenaires du groupe. Son choix se porte sur EmmaĂŒs Connect, dont le partenariat est alors tout rĂ©cent.
INGĂNIEUR ET LUTTE POUR LâINCLUSION NUMĂRIQUEâ: DES COMPĂTENCES HUMAINES
PrĂ©sent dans les locaux colorĂ©s et joyeusement dĂ©corĂ©s de lâassociation, rue Kageneck, pour son second jour de mĂ©cĂ©nat de compĂ©tence de lâannĂ©e, le jeune ingĂ©nieur vient aujourdâhui en aide Ă Laurence. Celle-ci rencontre un problĂšme avec le fonctionnement tactile de son ordinateur portable, vendu Ă prix rĂ©duit par lâassociation. Quelques manipulations
â48 â Mars 2023 â Retour
et mises Ă jour plus tard, Bruno permet Ă Laurence de passer cette difficultĂ©. Vient ensuite la prise en main de cette nouvelle machineâ: «âPeut-on mettre ce raccourci sur la barre en basâ? Et pour mes applications courantes, je peux tout tĂ©lĂ©charger dâiciâ?â»
En recherche dâemploi, et entre deux Ăąges, Laurence «âne connaĂźt rien Ă lâinformatiqueâ». Et sâen trouve desservie. MotivĂ©e et attentive, elle participe rĂ©guliĂšrement aux ateliers de groupe ou individualisĂ©s, afin de gagner en compĂ©tences. Une fois satisfaite de lâaccompagnement effectuĂ© par Bruno, et avec plĂ©thores de nouvelles informations Ă digĂ©rer, Laurence remercie chaleureusement le jeune homme. Dâailleurs, avant de quitter la salle, elle lui demande un nouveau rendez-vousâŠ
Pendant quelques dizaines de minutes, Bruno aura rĂ©pondu patiemment et prĂ©cisĂ©ment Ă ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques â et de fait plus encore Ă un ingĂ©nieur informatique â sont pourtant symptomatiques de lâexclusion numĂ©rique sur le territoire français. «âCâest tout un exercice que de se mettre
au niveau de personnes sans aucune formation informatique, et câest un bon exerciceâ!â» dĂ©clare le jeune ingĂ©nieur en revenant sur son accompagnement. «âLes conditions Ă HARA (ainsi quâĂ EmmaĂŒs Connect pour le mĂ©cĂ©nat) et le mode de fonctionnement novateur sont une source dâĂ©panouissement autant personnel que professionnelâ», rĂ©sume-t-il. Par «âmode de fonctionnement novateurâ», outre lâaspect solidaire mis en exergue par plusieurs actions dont fait partie cette organisation du mĂ©cĂ©nat de compĂ©tences, il faut Ă©galement comprendre «âparticipatifâ».
UN «âPLUSâ» POUR LâASSOCIATION PARTENAIRE
Et câest Suzanne Legrand qui nous lâexpliqueâ: «âChez HARA, et pour Geoffrey JaeglĂ©, le fondateur, il est important que la sociĂ©tĂ© continue Ă se construire et Ă se dĂ©velopper. Notamment sur les 17 objectifs du dĂ©veloppement durable, dans la dĂ©marche RSE, que nous prenons en compte dans notre stratĂ©gie de sĂ©lection
de nos associations partenaires. Ainsi, si un de nos employĂ©s a une idĂ©e, il peut tout Ă fait la soumettre et nous en dĂ©battronsâ: notre modĂšle est en gouvernance participative.â»
Pour EmmaĂŒs Connect, reprĂ©sentĂ© par Benjamin Rafali, responsable du territoire strasbourgeois, câest un rĂ©el «âplusâ». «âAvec HARA, les jours de dĂ©tachement font vraiment partie de lâorganisation, ce qui facilite grandement les chosesâ» pour une association qui a besoin -comme toute autre- de nouveaux bĂ©nĂ©voles. «âCe partenariat conventionnĂ© permet aussi dâenvisager dâautres projets comme des activitĂ©s quotidiennes ou de la remise en Ă©tat dâun parc informatiqueâ», appuie-t-il.
Verdict de ces premiers moisâ? «âNous sommes ravisâ!â», conclut Benjamin, rĂ©sumant ainsi lâĂ©tat dâesprit de ses rĂ©cents collaborateurs dâHARA. S
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«âBruno aura rĂ©pondu patiemment et prĂ©cisĂ©ment Ă ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques â et de fait plus encore Ă un ingĂ©nieur informatique â sont pourtant symptomatiques de lâexclusion numĂ©rique sur le territoire français.â»
60 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Barbara Roméro Nicolas RosÚs
Retraite active
Chez Mamies gĂąteauxâ!
Lâambiance est joyeuse en ce mercredi hivernal plutĂŽt plombant. Au programme, câest CrĂȘpes party avec Rose-Marie et Michelle, les super mamies du groupe, des petits gars et petites filles dâune dizaine dâannĂ©es, impatients de goĂ»ter leurs crĂ©ations, et des parents venus accompagnĂ©s leur progĂ©niture. Tous encadrĂ©s par Tina, la chef pĂątissiĂšre embauchĂ©e en dĂ©cembre par Mamies gĂąteaux, et Yann et Cassandre, en service civique solidaritĂ© senior.
BasĂ© Ă Neudorf, Mamies gĂąteaux, câest un tiers-lieu pensĂ© autour de la pĂątisserie pour sortir les personnes ĂągĂ©es de leur isolement, crĂ©er du lien social et arrondir leurs fins de mois. Une belle idĂ©e, portĂ©e avec abnĂ©gation par Vincent Gabbardo qui a dĂ» faire face Ă la crise sanitaire et maintenant Ă la hausse rĂ©cente des matiĂšres premiĂšres et de lâĂ©nergieâŠ
ImaginĂ© par Vincent Gabbardo, ancien ingĂ©nieur en mĂ©canique de retour de Nouvelle CalĂ©donie il y a quatre ans, Mamies gĂąteaux câest un tiers-lieu solidaire pour sortir les personnes ĂągĂ©es de leur isolement Ă travers des ateliers hebdomadaires autour de la pĂątisserie. PĂątisseries et santĂ©, atelier intergĂ©nĂ©rationnel, focus sur le sucre et les fruits de saison⊠Chez Mamies gĂąteaux, on transmet, on dĂ©couvre, on se rĂ©gale. Et on peut mĂȘme gagner quelques euros quand on participe Ă la rĂ©alisation de buffet gourmand comme pour ce colloque de cinq jours au Pavillon JosĂ©phine, dĂ©but mars. «âNotre objectif est de rĂ©munĂ©rer vingt Ă trente personnes ĂągĂ©es par mois, soit deux-trois Ă©quivalents temps-plein, prĂ©cise Vincent. Mais attention, ici, ce nâest pas un travail habituel, lâidĂ©e câest quâelles se sentent bien chez nous, quâelles transmettent leur savoir-faire et quâelles apprennent aussi.â»
IL A EU RAISON DE SâACCROCHER
Vincent, 42 ans, a bataillĂ© dur pour en arriver lĂ , depuis 2019, quand lâidĂ©e a germĂ© de retour de Nouvelle-CalĂ©donie oĂč lâune de ses fonctions Ă©tait de crĂ©er des emplois agroalimentaires dans des zones dĂ©pourvues. «âLe sujet du vieillissement me touche, câĂ©tait violent de voir des retraitĂ©s
S ACTUALITĂ â UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
62 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Vincent Gabbardo, le créateur de Mamies gùteaux.
manifester alors quâhabituellement câest une population silencieuse. Quand jâentends les actifs dire quâils payent pour les personnes ĂągĂ©es, que pendant la pandĂ©mie certains rĂąlaient parce quâil fallait protĂ©ger les plus fragiles⊠Cela me rĂ©volteâ! Alors oui, jâai passĂ© quatre ans sans rĂ©munĂ©ration, le projet ne devait pas ĂȘtre si long Ă voir le jour, mais la phase dâexpĂ©rimentation a Ă©tĂ© stoppĂ©e pendant la pandĂ©mie, et je suis passĂ© dâun budget bouclĂ© de 180â000 ⏠à 20â000 âŹ, car tout a Ă©tĂ© rĂ©affectĂ© Ă la situation dâurgence. Logique.â» Finalement, il a eu raison de sâaccrocherâ: en trois mois dâouverture, Mamies gĂąteaux a dĂ©jĂ accueilli 60 personnes ĂągĂ©es (dont deux hommesâ!), sans trop de communication.
Quand on lâa rencontrĂ©, Vincent attendait toujours de son bailleur les clĂ©s du deuxiĂšme local pour boucler son projet, Ă savoir ouvrir un salon de thĂ© solidaire, ouvert au public. «âNous ne sommes pas concurrents des boulangers, nous sommes une association subventionnĂ©e qui propose Ă travers la pĂątisserie un autre regard sur les seniorsâ», rappelle-t-il.
Sâil doit aujourdâhui faire face Ă la hausse du coĂ»t de lâĂ©nergie et des matiĂšres premiĂšres, Vincent nâest pas du genre Ă baisser les bras. «âOn a trouvĂ© des solutions avec nos partenaires institutionnels et nos mĂ©cĂšnesâ», prĂ©cise-t-il, reconnaissant et prĂȘt Ă lancer la deuxiĂšme Ă©tapeâ: essaimer Mamies gĂąteaux un peu partout en France pour que cette belle idĂ©e sorte un maximum de personnes ĂągĂ©es de leur isolement. S
Mamies gùteaux 142a route du Polygone à Strasbourg Tél. 06 07 13 94 08 mamiesgateaux.fr
â48 â Mars 2023 â Retour
Des ateliers intergénérationnels qui se déroulent tous les mercredis.
Christian Bobin
La si belle histoire de ses adieux
S HOMMAGE â CHRISTIAN BOBIN
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs
64 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Christian Bobin
Câest une de ces histoires incroyables et humaines, si humaine et si touchante, que Christian Bobin, brutalement disparu le 23 novembre dernier, aurait certainement adorĂ© imaginer et raconter. Sauf que cette histoire ne sâest cristallisĂ©e que le jour de ses propres obsĂšques Ă lâĂ©glise Saint-Charles du Creusot, en SaĂŽne-et-Loire, oĂč lâĂ©crivain vivait avec sa compagne, la poĂ©tesse Lydie Dattas. Ce jourlĂ , les Helmstetter, quatre musiciens bas-rhinois, ont jouĂ© pour la famille et les nombreux amis de lâĂ©crivain disparu⊠quâils nâavaient jamais rencontrĂ© auparavant. Et peu de temps aprĂšs, ils Ă©taient de nouveau invitĂ©s Ă Paris, pour lâhommage national organisĂ© par le ministĂšre de la CultureâŠ
Les ingrĂ©dients de cette histoire sont au dĂ©part aussi disparates quâun inventaire Ă la PrĂ©vert. Songez doncâ: un drĂŽle de type, qui adore la musique, mais qui est aussi un touche-Ă tout improbable, un manĂšge sur une place du Creusot qui diffuse une musique de jazz manouche, un Ă©crivain profondĂ©ment attachĂ© Ă sa ville qui a un projet de livre sur la musiqueâŠ
LâĂ©crivain, câest Christian Bobin, bien connu de ses nombreux lecteurs, lui qui ne manquait jamais un passage Ă Strasbourg, Ă la librairie KlĂ©ber ou aux BibliothĂšques idĂ©ales avec, sous le bras, son dernier livre, forcĂ©ment dĂ©bordant de sa si belle humanitĂ© et ses propos souvent ponctuĂ©s par ses lĂ©gendaires et gĂ©nĂ©reux Ă©clats de rire. Lâami Christian, dont lâannonce de sa disparition fin novembre dernier Ă lâĂąge de 71 ans, emportĂ© brutalement par un mal implacable et fulgurant, nous a tous sidĂ©rĂ©s et comme figĂ©s dans un abĂźme de tristesse.
Mais⊠laissons les musiciens raconterâŠ
NOUS NE NOUS SOMMES PAS RENDUS COMPTE DE LA PUISSANCE DE CE LIENâŠ
Nous rencontrons Railo et EngĂ©, les deux cousins, membres dâune immense famille de musiciens de jazz manouche bien connue en Alsace, les Helmstetter. «âLa famille est installĂ©e en Alsace depuis des temps immĂ©moriauxâ» confirme Railo, 35 ans, le plus jeune des deux musiciens. «âLa dynastie a dĂ©butĂ© avec un
arriĂšre-grand-pĂšre violoniste, elle sâest un peu perdue avec la gĂ©nĂ©ration de nos parents et câest notre gĂ©nĂ©ration qui a rĂ©activĂ© cette passion musicale, avec Tchatcho, le frĂšre dâEngĂ© qui est violoniste et sa fille, Tosca, qui chanteâŠâ»
Les quatre musiciens ont donc tout dâabord Ă©tĂ© invitĂ©s au Creusot le 28 novembre dernier pour les obsĂšques de lâĂ©crivain. Câest EngĂ©, 47 ans, qui raconteâ: «âTout a dĂ©butĂ© il y a une dizaine dâannĂ©es, sans mĂȘme quâaucun dâentre nous ne connaisse personnellement Christian Bobin. Je nâavais jamais lu le moindre livre de lui et toi, Railoâ?â» questionne-t-il.
«âJe nâavais lu que Le TrĂšs-Bas, un livre paru dans les annĂ©es 90 puis, plus tard, un recueil de ses poĂ©siesâ» confirme le cousin de EngĂ©. Lequel poursuitâ: «âMais nous avions un ami commun, Martial Spiessert. Martial mâachetait mes disques et il organisait des dĂ©pĂŽts pour leur revente. Lui-mĂȘme installait des manĂšges un peu partout et il y diffusait notre musique. Câest grĂące Ă un de ces manĂšges installĂ© au Creusot que Christian Bobin et sa compagne ont dĂ©couvert notre musique et ils lâont instantanĂ©ment beaucoup aimĂ©e.
Devenu un intime du couple, Martial leur a fait dĂ©couvrir beaucoup de nos autres productions. Ă chaque fois quâon se revoyait, il me parlait dâeux et du coup, jâai commencĂ© Ă mâintĂ©resser aux livres de Christian. SincĂšrement, au dĂ©but de mes lectures, je ne lâabordais que par le biais de ses nombreuses citations et je lâimaginais donc comme un Ă©niĂšme Ă©crivain qui faisait dans le dĂ©veloppement personnel. Et puis, un jour, je me suis dĂ©cidĂ© Ă lire ses
livres en entier et jâai rĂ©alisĂ© Ă quel point je mâĂ©tais trompĂ© sur son compte⊠Pour autant, je ne lâai jamais rencontrĂ© de son vivant et câest pourquoi, tout comme Railo, Tachtcho et Tosca, je suis tombĂ© des nues quand on nous a fait part du souhait de ses intimes de nous voir jouer durant les obsĂšques. Quand nous avons rencontrĂ© Lydie ce jour-lĂ , nous avons tout de suite comprisâ: elle nous appelait spontanĂ©ment par nos prĂ©noms, elle nous considĂ©rait sincĂšrement comme des trĂšs proches. Jâai ensuite eu beaucoup de regrets, je mâen suis beaucoup voulu de ne pas voir fait la dĂ©marche de rencontrer Christianâ: mais, compte tenu des circonstances hautement improbables qui avaient provoquĂ© la rencontre de notre musique avec lâĂ©crivain, nous ne nous sommes pas vraiment rendus compte de lâimportance de tout ça, de la puissance de ce lienâŠ
Au Creusot, dans cette Ă©glise froide, Lydie nous a confiĂ© que Christian avait le projet dâĂ©crire son prochain livre en sâinspirant de la musique. Et il avait lâintention dây faire figurer notre style de musique. Ce qui me fait penser que sâil avait vĂ©cu plus longtemps, nous aurions fini par nous rencontrerâŠâ»
Les quatre artistes alsaciens nâoublieront pas de sitĂŽt lâaccueil plein de chaleur qui leur a Ă©tĂ© rĂ©servĂ© lors des obsĂšques de lâĂ©crivain, cette «âambiance musicale apaisĂ©eâ» que le prĂȘtre les a invitĂ©s Ă mettre en placeâ: «âau lieu de la solennitĂ© traditionnelle dâun hommage, un peu lourde, nous avons atteint lâinverseâ: jâai le sentiment quâon a fait du bien aux gensâ» se souvient EngĂ©, «ânous les avons placĂ©s dans
65 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
une petite cĂ©lĂ©bration intime de consolationâ», dit-il joliment. «âPour la sortie du corps, nous avons mĂȘme improvisĂ© comme un moment de fĂȘte, le public tapait dans ses mains, câĂ©tait touchant⊠à un certain moment, je me suis dit que Christian Ă©tait ainsi devenu un personnage dâune de ses histoiresâ: il avait dĂ©couvert notre musique dans un manĂšge, lâavait aimĂ©e et nous, nous Ă©tions lĂ , en train de la jouer, le jour de ses obsĂšquesâŠâ»
PRĂSENTS Ă LâHOMMAGE AU MINISTĂRE DE LA CULTURE
Lâimprobable nâavait pas fini de se manifester. Quelque temps plus tard, ce sont les services de Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, qui cherchent Ă joindre le groupe de musiciens. La ministre a tenu Ă organiser un hommage Ă Christian Bobin. Antoine Gallimard et AndrĂ© Velter, le directeur de la PoĂ©sie de la cĂ©lĂšbre maison dâĂ©dition (et grand ami du disparu), tous deux prĂ©sents au Creusot pour la cĂ©rĂ©monie des obsĂšques, ont pesĂ© pour que les musiciens alsaciens participent Ă lâhommage ministĂ©riel.
«âCette cĂ©rĂ©monie a Ă©tĂ© trĂšs soigneusement organisĂ©e Ă la fois par les gens de
Gallimard et ceux du ministĂšreâŠâ» raconte EngĂ©. «âInitialement, nous devions jouer deux fois quinze minutes, mais AndrĂ© Velter nous a finalement demandĂ© de jouer sur la lecture de son hommage. Au dĂ©but, il nâenvisageait quâun violon, mais mon frĂšre lâa convaincu que nous devions tous les quatre accompagner son hommage. On a essayĂ© rapidement et il a dit oui tout de suiteâŠ
Vous savez, ça nous est arrivĂ© Ă tous, nous autres musiciens, de nous retrouver dans ce type de moments censĂ©s ĂȘtre des hommages, relĂ©guĂ©s dans un coin de la salle Ă jouer entre deux discours, pendant que tout le monde sirote des coupes de champagne. Ce fut lâexact inverse, ce jour-lĂ . Nous avons Ă©tĂ© trĂšs respectĂ©s, nous avons Ă©tĂ© nommĂ©ment valorisĂ©s chacun Ă notre tour par la ministre Ă chaque fois que nous avons jouĂ©. Jâavais eu un peu peur au prĂ©alable de me retrouver dans une ambiance un peu Ă©litiste, mais non, rien de tout çaâ: nous avons croisĂ© lĂ -bas toutes sortes de gens, des plus connus des milieux intellectuels, culturels et mĂ©diatiques jusquâĂ tous les autres et tout le monde Ă©tait rĂ©uni dans la ferveur de la cĂ©lĂ©bration de cet hommage Ă quelquâun dâaussi bienveillant et gĂ©nĂ©reuxâŠâ»
Encore un rien Ă©tonnĂ©s et surpris par leur participation Ă ces Ă©vĂ©nements inattendus («âjâai vĂ©cu tout ça de façon Ă©trangeâ» se souvient Railo, moi qui nâavais lu quâun livre de Christian avant de me retrouver Ă jouer Ă ses obsĂšquesâ»), les deux cousins musiciens ne se sont pas fait prier longtemps pour Ă©voquer un peu plus avant leurs projets sur la base du Quartet YtrĂ©, dĂ©jĂ connu dans le milieu. Railo poursuit son travail dans le jazz moderne, «âdu jazz fusion avec des sons de basse, des batteries, un style moins acoustiqueâ», prĂ©cise-t-il. Lâalbum sortira en novembre prochain et bien sĂ»r, Or Norme en parlera.
«âCe qui nous dĂ©finit par rapport au style musique manouche traditionnelâ», conclut EngĂ©, «âcâest quâon a certes un pied dedans, mais que durant tout notre parcours on a Ă©tĂ© reconnus pour nos propres compositions, une forme de recherche musicale passant par nos racines traditionnelles mĂȘlĂ©es Ă des styles trĂšs actuels. Nous ne nous sentons pas des gardiens dâune tradition, mĂȘme si nous lâaimons beaucoup et la respectons en lâexprimant le plus fidĂšlement possible, mais notre tempĂ©rament artistique nous pousse Ă intĂ©grer toutes les influences qui nous traversent pour crĂ©er et innoverâŠâ» S
66 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Engé (à gauche) et Railo Helmstetter
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LE PRINTEMPS SLAVE DU FESTIVAL ARSMONDO
AprÚs une édition 2022 consacrée aux cultures tsiganes, le festival Arsmondo partira cette année à la découverte des mondes slaves.
Le thĂšme avait Ă©tĂ© choisi bien avant lâagression armĂ©e de la Russie en Ukraineâ», prĂ©cisent Camille de FrĂ©minville et Antonio Cuenca Ruiz, tous deux aux manettes de la programmation artistique de cette manifestation proposĂ©e par lâOpĂ©ra national du Rhin.
«âLa guerre a bien Ă©videmment un impact sur les artistes invitĂ©s et les partenariatsâ», conviennent-ils en soulignant la difficultĂ© que rencontrent certains des nombreux artistes ukrainiens programmĂ©s Ă sâafficher dans un festival oĂč figurent des Ćuvres du patrimoine russe.
Mais ils se refusent Ă baisser les brasâ: «âil faut se montrer Ă lâĂ©coute, crĂ©er les meilleures conditions possibles afin de rendre compte de ces questionnements auprĂšs des publics et permettre aux artistes de sâexprimerâ».
«âLâOpĂ©ra ne vit pas dans un monde Ă partâ», insiste Alain Perroux, directeur de lâinstitution.
«âIl est normal que le festival soit rattrapĂ© par lâactualitĂ© mais sa force est de prendre le temps de la rĂ©flexion, de crĂ©er lâespace dâun Ă©change et de le faire dans
a CULTURE â RENCONTRE TOUS PUBLICS «
68 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Véronique Leblanc Alban Hefti
diffĂ©rents lieux de la ville, par le biais de multiples disciplinesâ».
«âSans compter, ajoute Antonio, quâArsmondo nous permet dâinscrire la gĂ©opolitique dans un horizon culturel beaucoup plus profond, de rĂ©vĂ©ler un imaginaire lointain.â»
Car la culture est en elle-mĂȘme tĂ©moignage, comme en atteste le travail de la chorĂ©graphe ukrainienne Olga Dukhovnaya, qui proposera une performance inspirĂ©e par le Lac des cygnes de TchaĂŻkovsky. Avec une jouissive libertĂ©, lâartiste condense tous les rĂŽles du ballet en un seul et croise son histoire personnelle Ă la grande Histoire, celle de lâespace soviĂ©tique, celle qui se joue actuellement.
DE MULTIPLES PARTENAIRES ET LIEUX DâANCRAGE
OpĂ©ra, musĂ©es, universitĂ©, cinĂ©mas, Espace Django, galerie Apollonia, lycĂ©e des Pontonniers ou bien encore lieu dâEurope, les points dâancrage de Arsmondo seront nombreux cette annĂ©e encore et
reprĂ©sentent autant de partenaires «âporteurs dâune grande force de propositionsâ», relĂšvent Camille et Antonio.
Ils citent aussi la LICRA Bas-Rhin, le Conseil de lâEurope et la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme dont deux juges donneront une confĂ©rence illustrĂ©e en direct par un dessinateur de presse. Les droits fondamentaux en mots en images au prisme du monde slave, vous en rĂȘviezâ?
Arsmondo lâa faitâ!
Durant les trois semaines de festival, lâONR proposera diffĂ©rents concerts mettant Ă lâhonneur des compositeurs et compositrices originaires de Pologne, BiĂ©lorussie, SlovĂ©nie, Croatie, Serbie, RĂ©publique TchĂšque ou encore Bulgarie. La scĂšne accueillera quant Ă elle Le Conte du Tsar Saltane du 5 au 13 mai.
Cet opĂ©ra de Rimski-Korsakov dâaprĂšs Pouchkine est avant tout «âun spectacle qui Ă©voque les liens familiauxâ», prĂ©cise Alain Perroux, «âun spectacle qui sâadresse Ă tout un chacun, qui parle Ă des ĂȘtres humains et non pas Ă des peuples enserrĂ©s dans des frontiĂšresâ». Câest lĂ toute la philosophie dâArsmondo.
De gauche Ă droiteâ: Alain Perroux, Camille de FrĂ©minville et Antonio Cuenca Ruiz
69 â48 â Mars 2023 â Retour a CULTURE
«âARSMONDO NOUS PERMET DâINSCRIRE LA GĂOPOLITIQUE DANS UN HORIZON CULTUREL BEAUCOUP PLUS PROFOND, DE RĂVĂLER UN IMAGINAIRE LOINTAIN.â»
«âNotre but est de crĂ©er des rencontres avec tous les publicsâ», confirme Antonio, «âet dâexplorer en compagnie dâartistes et dâintervenants les cultures slaves en nous Ă©cartant des dĂ©finitions simplistes ou univoques qui peuvent en ĂȘtre faites pour servir, par exemple, des projets nationalistes.â»
DES RĂALITĂS SINGULIĂRES ET COMPLEXES
«âSpectacles, concerts, projections, rencontres et Ă©changes permettront dâapprocher lâespace culturel slave dans toute sa multiplicitĂ©.â»
Avec Ă chaque fois, la dĂ©couverte de «ârĂ©alitĂ©s singuliĂšres et complexesâ» qui
Ă©clairent dans la nuance notre rapport au monde, aux ĂȘtres et Ă la culture dans ce quâelle a de plus essentiel.
Lâinauguration du festival se tiendra le 21 avril Ă la galerie Apollonia (23 rue Boecklin) dans le cadre de lâexposition Ă lâimage et Ă la dissemblance, oĂč seront rassemblĂ©es jusquâau 14 juin des Ćuvres photos et vidĂ©os qui explorent de maniĂšre paradoxale le thĂšme du portrait. Toutes créées par dâartistes dâorigine slave, elles tĂ©moignent de lâADN de cette galerie qui fĂȘte cette annĂ©e ses 25 ans.
Arsmondo cultures slaves se terminera le 14 mai, sa programmation dĂ©finitive sera disponible sur le site de lâOpĂ©ra fin mars. a
SLAVE
70 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
«âSPECTACLES, CONCERTS, PROJECTIONS, RENCONTRES ET ĂCHANGES PERMETTRONT DâAPPROCHER LâESPACE CULTUREL
DANS TOUTE SA MULTIPLICITĂ.â»
Gries Jean-François Badias
ANNA SAILER «âNE PAS SĂPARER LâILLUSTRATION DES BEAUX-ARTS ET DE LA LITTĂRATUREâ»
Tout juste arrivĂ©e de Francfort, Anna Sailer est la nouvelle conservatrice du musĂ©e Tomi Ungerer, oĂč elle pourra mettre en Ćuvre ses connaissances du monde de lâart et son expĂ©rience du milieu du livre.
La rencontre a lieu par Ă©crans interposĂ©sâ: au moment de notre bouclage, Anna Sailer Ă©tait encore occupĂ©e Ă clore ses projets au Museum fĂŒr Moderne Kunst (MMK) de Francfort, dont elle Ă©tait directrice adjointe depuis 2018. Depuis le 1er mars, elle est devenue conservatrice responsable du musĂ©e Tomi Ungerer (MTU) et câest dans un français parfait quâelle nous fait part de son enthousiasme Ă rejoindre cette institution singuliĂšre dans le paysage musĂ©al strasbourgeois.
a CULTURE â NOMINATION
J
Lisette
72 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
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LES BODINS SAM 08 & DIM 09 AVRIL INFAMOUS FESTIVAL SAM 13 MAI STROMAE MER 22 MARS IRISH CELTIC MAR 28 MARS REDOUANE BOUGHERABA JEU 30 MARS STARS 80 VEN 31 MARS SOPRANO SAM 01 & DIM 02 AVRIL FLORENCE FORESTI MER 05 AVRIL SO FLOYD JEU 06 AVRIL LES HARLEM GLOBETROTTERS JEU 13 AVRIL LOMEPAL VEN 14 AVRIL SALON MER ET VIGNE 21-22-23-24 AVRIL GHOST DIM 28 MAI JAPAN ADDICT Z SAM 03 & DIM 04 JUIN MICHEL POLNAREFF DIM 18 JUIN LORD OF THE DANCE VEN 06 OCT CHRISTOPHE MAĂ VEN 13 OCT M.POKORA SAM 14 & DIM 15 OCT MAXIME GASTEUIL MER 18 OCT LE SEIGNEUR DES ANNEAUX 3 VEN 20 OCT BIGFLO ET OLI VEN 03 NOV IBRAHIM MAALOUF MAR 07 NOV STROMAE JEU 09 NOV PASCAL OBISPO VEN 17 NOV DAGRĂ | RCS 390 920 411
«âIL ME SEMBLE INTĂRESSANT DE RENFORCER LâENTITĂ
CENTRE INTERNATIONAL DE LâILLUSTRATION AVEC DES ARTISTES JEUNES, INTERNATIONAUX ET FĂMININS.â»
JVous succĂ©dez Ă ThĂ©rĂšse Willer Ă la tĂȘte du musĂ©e Tomi-UngererâŠ
«âJâai beaucoup dâadmiration pour ce quâa rĂ©alisĂ© ThĂ©rĂšse Willer. Monter une institution, un musĂ©e, câest quelque chose qui demande beaucoup de force. Nous nous sommes rencontrĂ©es et elle mâa fait une visite guidĂ©e de la superbe exposition IllustrAlice, dont elle est commissaire.
Comment ce poste au MTU sâinscrit-il dans votre parcoursâ?
Le projet du musĂ©e Tomi Ungerer permet Ă mes deux passions de se rencontrer. Jâai suivi des Ă©tudes de littĂ©rature comparĂ©e, avant de travailler dans une maison dâĂ©dition en Allemagne qui publiait notamment des philosophes français, comme Jean-Luc Nancy. Je suis arrivĂ©e dans le monde de lâart contemporain en tant que responsable de publications. Lorsque jâai commencĂ© Ă installer des Ćuvres, jâai dĂ©couvert le travail dans lâespace, qui
combine un volet intellectuel et une veine sensible, voire sensorielle. Comment les visiteurs se dĂ©placent-ilsâ? Comment se confrontent-ils Ă lâĆuvre dâartâ? Avec un catalogue, ou un livre illustrĂ©, on est dans une forme dâintimitĂ©, de face-Ă -face, alors que dans une exposition, lâexpĂ©rience est partagĂ©e, plus large.
Le MMK de Francfort a un ancrage fort dans la crĂ©ation contemporaine. Comptez-vous continuer Ă nourrir ces liens au sein du MTUâ?
Il me semble en effet intĂ©ressant de renforcer lâentitĂ© Centre international de lâillustration avec des artistes jeunes, internationaux et fĂ©minins. Cet angle peut permettre de dĂ©couvrir des aspects nouveaux dans lâĆuvre de Tomi Ungerer, en la mettant en dialogue avec des crĂ©ations plus actuelles. Lui-mĂȘme Ă©tait animĂ© par une vision forte et ses Ćuvres sont des commentaires politiques et sociaux sur
le monde. Il est donc cohĂ©rent de monter des expositions qui abordent les thĂšmes qui traversent notre Ă©poque. Tomi Ungerer Ă©tait un artiste protĂ©iforme et je pense que cela donne aussi la latitude pour comprendre lâillustration dans toute sa richesse, sans la mettre Ă part des beauxarts ou de la littĂ©rature.
Vous parlez français et anglais, en plus de lâallemand, et ces langues sont aussi celles de Tomi UngererâŠ
Oui, il a mĂȘme Ă©crit des lettres Ă son Ă©diteur oĂč il passe de lâune Ă lâautreâ! Au musĂ©e, il nây a pas de hiĂ©rarchie entre les trois langues sur les cartels ou sur les textes des salles. Penser entre les langues, câest une richesse pour une ville europĂ©enne comme Strasbourg. Il y a un esprit de transversalitĂ©, que lâon retrouve aussi au sein du rĂ©seau des musĂ©es et qui recĂšle un formidable potentiel pour imaginer des projets.â» a
74 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
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ALESSIA SANNA VISUALISER LA DONNĂE Ă TRAVERS LâART
Un appartement-atelier, des bacs transparents remplis de cubes de plĂątre, une projection de pixels de couleurs au plafond, et une artiste chercheuse pĂ©tillante dâintelligence. Si vous avez manquĂ© lâexposition Screen City, au 5e Lieu, en octobre 2022, il vous reste Ă dĂ©couvrir lâartiste derriĂšre cette curieuse reprĂ©sentation de Strasbourg. Alessia Sanna, 27 ans, nous accueille pour livrer â avec son partenaire de travail et de cĆur, Alexandre Weisser â la genĂšse de son projet Screen City, et lâessence de son travail.
Alessia, vous ĂȘtes «âartiste chercheuseâ». Quâest-ce qui se cache derriĂšre ce terme, comment se traduit-il dans votre travailâ? Je poursuis un doctorat Ă lâuniversitĂ© de Paris I-PanthĂ©on-Sorbonne en collaboration avec lâentreprise Hopscotch. Il sâagit dâune entreprise de relations publiques. Elle a la particularitĂ© de dĂ©velopper un concept qui est le «âcapital relationnelâ»â: une idĂ©e basĂ©e sur les travaux de Maurice Obadia, sur lâĂ©conomie de la relation. Mon rĂŽle, chez eux, est de dĂ©velopper les possibles en matiĂšre de modĂ©lisation â et de visualisation in fine â Ă partir de mesures, de lâimpact des relations dans un Ă©cosystĂšme entrepreneurial. Il y a deux pĂŽlesâ: un sur le spectre de lâimmatĂ©riel (mon sujet de recherche)â: comme les relations, impalpables, et un autre sur les donnĂ©es, plus tangibles. Les deux forment une balance. En crĂ©ationrecherche, on part dâune production artistique pour dĂ©velopper une recherche thĂ©orique. Il en dĂ©coule que le fondement de mon travail de recherche est cette pratique exploratoire, expĂ©rimentale, et hybride. Screen City sâinscrivait lĂ , pour une recherche plus thĂ©orique autour de lâimmatĂ©riel et de cet aspect incommensurable qui entoure les donnĂ©es issues de la Data.
Screen City, votre projet le plus prĂ©gnant, sâest exposĂ© au 5e Lieu. Le projet mĂȘle art et informatique. Dâailleurs, vous nâavez pas travaillĂ© seule, et de nombreux acteurs, comme lâEuromĂ©tropole
a CULTURE â ART ET INFORMATIQUE
â48 â Mars 2023 â Retour 76 a CULTURE
Marine Dumény Nicolas RosÚs
sont intervenus. Quelle est donc lâhistoire derriĂšre ces cubes de plĂątres sur lesquels Ă©taient projetĂ©es des donnĂ©esâ?
Nous sommes dans une citĂ© Ă©tudiante, au fin fond du Neudorf. Je moule du plĂątre dans des bacs Ă glaçons en forme de Tetris. Voici le point de dĂ©part. Au dĂ©but, jâai neuf piĂšces, puis je dĂ©cide dâacheter des bacs supplĂ©mentaires, et je me retrouve avec trois cents piĂšces dans 9 m2. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais je vois une sculpture qui se dĂ©ploie. Sur ces premiers moulages, je teste quelque chose qui mâa toujours intĂ©ressĂ©â: le mapping vidĂ©o. Avec un vidĂ©oprojecteur, je commence Ă projeter des fractales sur mes piĂšces.
LĂ , il y a un imaginaire. Des graphes, des Ă©crans publicitaires⊠Je pose tout cela au sol et un paysage de ville, vu â peut-ĂȘtre âpar un satellite, se dessine. Ă moi dâinjecter du sens. Si je travaille sur une ville, il me faut une carte. Je passe des fractales, et le mouvement de la lumiĂšre est intĂ©ressant. Je commence Ă chercher des morphologies de ville et affine mon visuel comme ça. Ă ce stade, je trouve des cartes du rĂ©seau internet, donc jâhybride des visuels. Cette construction est exposĂ©e pour un prix qui sâappelle le Prix AMMA PanthĂ©on Sorbonne pour lâArt Contemporain. Elle y reçoit alors une premiĂšre rĂ©compense.
Mais, je rĂ©flĂ©chis toujours Ă ces visuels, qui ne sont pour moi quâune maquette. Je vois une ville intelligente, internet, une activitĂ© urbaine⊠Ce projet va ĂȘtre exposĂ© Ă la galerie Aedaen.
De lĂ , le projet est incubĂ© via le Shadok Ă Fluxus. Vous travaillez aussi avec Alexandre Weisser, qui est votre compagnon, et dĂ©veloppeur en informatique. Et les donnĂ©es vont prendre une grande importance dans le projetâŠ
Avec Alexandre, je commence Ă prendre rendez-vous auprĂšs de lâEMS, je rencontre Olivier Banaszak (gĂ©omaticien et responsable du service de gĂ©omĂ©trie â ndlr) et je me rends compte que je vais pouvoir travailler avec de vraies donnĂ©es, que cette activitĂ© urbaine que je suis en train de mimer Ă travers un mapping qui est dans cet Ă©tat bricolĂ© pour le moment va pouvoir trouver du sens Ă travers des donnĂ©es concrĂštes. Olivier me propose de travailler sur les donnĂ©es du RIL (rĂ©pertoire dâimmeubles localisĂ©s â ndlr). Ce sont des donnĂ©es publiques, mais non commercialisables donc Alexandre doit adapter sa façon de travailler dessus.
Lorsquâon arrive sur cette question des points, pour reprĂ©senter ces immeubles,
et du bleu aussi (en rĂ©fĂ©rence Ă Yves Klein et au Blue Screen de Windows), on a donc cette esthĂ©tique qui va se mettre en route Ă partir de ce moment-lĂ et câest aussi avec les apports techniques dâAlexandre que je vais pouvoir construire ces nouveaux visuels.
Vous choisissez de rester sur quelque chose de brut avec ces cubes de plĂątre et ces points bleu Klein.
La 3D, câest non. Et je ne veux pas faire du spectaculaire. Je suis vraiment dans une dĂ©marche oĂč les visuels, la sculpture et le mapping doivent aller Ă lâessentiel. Donc, rester dans le brut, lâessentiel, car Ă travers cette simplicitĂ© de la forme, le cube, le carrĂ©, le rond, la sphĂšre, on va dĂ©velopper une complexitĂ© Ă travers la simplicitĂ© des formes. Et câest vraiment dans cet Ă©purement de la forme quâon va construire le rĂ©cit de lâĆuvre. Et, dans tous mes projets, il y a un rapport au jeu, il y a toujours cette envie de manipuler.
ConcrĂštement, quâest-ce quâon voit sur ce projetâ? Et de quoi est-il faitâ?
Sur mes piĂšces de plĂątre se pose un mapping du RIL, en en exploitant les diffĂ©rentes dimensions. Il y a aussi les limites de la ville et le carroyage de densitĂ© de populationâ: une couleur correspond Ă une hauteur et câest par rapport à ça quâon sait quelle piĂšce placer au sol (les donnĂ©es sont de lâINSEE â ndlr). Sur cette projection, il y a un son. Il accompagne lâĆuvre, et joue sur la sensibilitĂ© du spectateur. Il entre dans cette dĂ©marche
du minimaliste. Nul besoin de croiser dix jeux de donnĂ©esâ: on part de 1850 jusquâen 2100, avec dix boucles de scĂ©narios, et on va avoir cette extrapolation qui sera faite avec une aggravation de 10 % entre chaque boucle donc plus de points lumineux qui apparaissent entre chaque groupe. Ce qui crĂ©e une diffĂ©rence entre la premiĂšre itĂ©ration et la derniĂšre. On parvient Ă une sorte de monochrome bleu qui traduit cette saturation et ce sentiment dâinquiĂ©tude, qui devient de plus en plus palpable au fur et Ă mesure du scĂ©nario. Le motif sonore qui vient en arriĂšre-plan est de StĂ©phane Clor, un artiste sonore. Il y a eu un travail de collecte depuis la plateforme de la cathĂ©drale pour enregistrer le paysage de Strasbourg. Et avec le logiciel Pure Data, Alexandre et lui ont fait «âglitcherâ».
Cette projection, elle donne le sentiment de voir une pollution lumineuse. Alertet-elle sur les enjeux de la ville de demainâ?
La projection des donnĂ©es, sous forme de points, va crĂ©er de la pollution lumineuse. Câest un moyen dĂ©tournĂ© dâutiliser le point lumineux et la lumiĂšre comme un indicateur. Pour en fait montrer comment est habitĂ©e la ville. De fait, les jeux de donnĂ©es ne sont pas utilisĂ©s bruts. Nous les avons extrapolĂ©s, et créés des scĂ©narios prospectifs oĂč on imagine la ville et lâexpansion urbaine, dâici 2100. Ce qui est traduit nâest pas forcĂ©ment une rĂ©alitĂ©. Câest un scĂ©nario parmi tant dâautres. Et il traduit une inquiĂ©tude de surpopulation Ă venir. Et donc lâenjeu environnemental.â» a
77 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Véronique Leblanc Alban Hefti
BRUNO MANTOVANI «âNOUS NâAVONS PAS LE DROIT DE NOUS AUTOCENSURERâ»
Figure emblĂ©matique de la gĂ©nĂ©ration actuelle de compositeurs, Bruno Mantovani est actuellement, et pour deux saisons, en rĂ©sidence Ă lâOrchestre philharmonique de Strasbourg (OPS).
Il fait partie de ceux qui mâont incitĂ© Ă me renouveler. Câest aussi Ă Strasbourg, en 2006, que jâai créé avec lâOPS mon premier opĂ©ra, Lâautre CĂŽtĂ©, Ă lâOpĂ©ra du Rhin alors dirigĂ© par Nicolas Snowman. Et jâai retrouvĂ© lâOPS en 2010, lors dâune tournĂ©e du festival Musica oĂč je dirigeais la Nuit transfigurĂ©e dâArnold Schoenberg.
Quel est votre regard sur la villeâ?
La tradition musicale y est trĂšs forte et sa culture franco-allemande se ressent jusque dans lâOrchestre. Si jây reviens avec autant de plaisir, câest aussi pour Marie Linden, qui le dirige actuellement. Marie est une amie trĂšs proche avec qui jâai notamment eu le plaisir de travailler au Conservatoire de Paris dont jâai Ă©tĂ© directeur entre 2010 et 2019. Elle fait partie de ma «âfamille de pensĂ©eâ», nous partageons un mĂȘme regard sur la politique et la modernitĂ©.
Ă©coute, oĂč on parle, oĂč on sâinterrompt et oĂč surtout on rĂ©agit Ă partir dâĆuvres qui enracinent la musique contemporaine.
Câest ce que nous ferons Ă lâOPS, pour tous les publics.
Comment dĂ©finir la musique contemporaineâ?
Jâai un problĂšme avec cette expression qui ne veut pas dire grand-chose. La premiĂšre sonate de Boulez est antĂ©rieure de deux ans aux derniers lieder de Strauss⊠La date ne signifie rien, elle ne fait pas une Ćuvre contemporaine. Aujourdâhui, il y a trop de diversitĂ© pour parler de musique contemporaine, je prĂ©fĂšre musique dâaujourdâhui, musique de notre temps sachant que plus on avance, plus les langages sont individuels.
Quelle est votre inspirationâ?
En avril, il y crĂ©era Memoria, sous la baguette du directeur artistique et musical de lâOrchestre, Aziz Shokhakimov. Câest une Ćuvre artistique et politique, Ă lâimage de lâengagement de ce musicien actuellement directeur du Conservatoire Ă rayonnement rĂ©gional de Saint-Maur-des-FossĂ©s, directeur artistique et musical de lâEnsemble Orchestral Contemporain et directeur artistique du festival du Printemps des arts de Monte-Carlo.
Comment se sont nouĂ©s vos liens avec Strasbourgâ?
Jâai connu Strasbourg par le biais du festival Musicaâ en 2001. Jean-Dominique Marco qui le dirigeait mâa fait confiance dĂšs ma sortie du Conservatoire de Paris.
Câest-Ă -direâ?
Depuis les attentats de Charlie Hebdo qui ont marquĂ© la fin dâun monde, nous traversons une Ă©poque relativement pauvre en pensĂ©e oĂč les idĂ©ologues et les gestionnaires ont pris la main.
La crĂ©ation artistique apparaĂźt dĂ©sormais comme Ă©litiste et semble relever du «âmonde dâavantâ» alors quâelle tient de lâexploration de territoires nouveaux, de surprises et de dĂ©couvertes.
Ă mon sens, lâaccĂšs aux plus grandes Ćuvres passent, non par la baisse de niveau et de lâexigence comme il est de bon ton de le penser aujourdâhui, mais par lâĂ©ducation.
Je crois Ă la mĂ©diation, au fait de parler pour proposer dâautres chosesâ: des rĂ©pĂ©titions publiques, des salons oĂč on
La musique elle-mĂȘme, celle du passĂ©, celle qui sâautogĂ©nĂšre par ses propres lois. Ses relations avec dâautres formes dâart me passionnent, le roman et la charge des mots, la danse, jusquâaux arts culinaires. Et bien sĂ»r la peinture dont lâĂ©nergie est souvent impressionnante.
Comment qualifierez-vous Memoria , lâĆuvre que vous allez crĂ©er Ă Strasbourg en avrilâ?
Il sâagit dâune Ćuvre politique dĂ©diĂ©e Ă quatre Ă©tudiants de lâuniversitĂ© française dâArmĂ©nie tuĂ©s en 2020 lors de la guerre du Haut-Karabagh. Mes trois opĂ©ras (le prochain sera créé en 2024) sont aussi fondĂ©s sur des arguments politiques. La relation entre crĂ©ation et pouvoir totalitaire me passionne. La crĂ©ation est un acte militant, nous nâavons pas le droit de nous autocensurer. a
a CULTURE â MUSIQUE DâAUJOURDâHUI
78 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Isabelle Baladine Howald Pascal Bastien
CHRISTOPHE WEHRUNG «âJE PEINS POUR APPRENDRE Ă PEINDREâ»
Dans de vieux ateliers encombrĂ©s de tubes et de pinceaux, de bouquets fanĂ©s et dâobjets hĂ©tĂ©roclites travaillent les peintres loin du bruit et de la fureur. Il y en a plusieurs Ă Strasbourg. Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s chez Christophe Wehrung, dâabord Ă sa Galerie de lâEstampe, la plus ancienne de Strasbourg, saisis par ses toiles intensĂ©ment lumineuses, oĂč un jaune dâor explose au milieu des paysages toujours dâĂ©tĂ©, sereins et emplis de plĂ©nitude.
Un chemin parcourt ces vastes paysages, oĂč lâon voit loin, parfois entourĂ©s dâombres ciselĂ©es de branches et de feuilles ou de troncs fins qui sâĂ©lancent. Les couleurs sont vives, ici une petite Ă©chelle ou une barriĂšre de jardin suggĂšre une prĂ©sence humaine, jamais figurĂ©e par des personnages.
Pourtant rien de froid, tout au contraire. Essentiellement travaillĂ©es Ă lâhuile, les toiles sont assez grandes, donnent une impression de profondeur, y compris sur les paysages dâeau, oĂč la transparence est parcourue de miroitements. Miracle de la main du peintre pour rendre limpides ces bleus si beaux, les lentilles sur lâeau, et les ombres sous la surface ou celles des arbres au-dessus dâelleâŠ
LâODEUR DE LA «âMAYONNAISEâ»
Christophe Wehrung est connu des strasbourgeois pour son énorme ours dans la façade du Printemps, rue du Noyer, son funambule accroché au Ciarus, ou son bateau ivre, sculpture flottante un
moment sur lâIll. Ce qui frappe câest comme un Ă©lancement, des Ă©quilibres qui se font naturellement dans quelques tableaux-doubles qui fonctionnent si bien ensemble bien quâils soient diffĂ©rents, ou les triptyques liĂ©s et dĂ©liĂ©s⊠Une recherche sans tourments apparents, un peintre qui vous accueille avec un grand sourire, sans aucune posture de maĂźtre («âJe peins pour apprendre Ă peindreâ» est sa devise), tout au contraire, une impression de recherche tranquille. Un travail rĂ©tinien dâobservation pure, dit-il, ou, quand on sâĂ©tonne de la qualitĂ© de son jaune, dit que câest grĂące au tubeâ! Le premier plan donne le ton, mais plus encore, ce quâil y a au fond, voire au loin, est ce qui importe.
On y monte ou on y descend dans le chemin devinĂ©, comme lors dâune promenade oĂč on ne sait pas vraiment oĂč lâon vaâŠ
Les teintes sont vives sans ĂȘtre surnaturelles, quelque chose de mordorĂ© bouge dans les arbres ou les Ă©tangs, sujets simples, mais intemporels. Christophe Wehrung parle de son tra -
vail de traces, il indique sans imposer, il propose sans imposer. Autres teintes, celles des portraits, tellement ressemblants, car y apparaĂźt la vĂ©ritĂ© dâune personne et pas seulement son apparence, dans des teintes trĂšs diffĂ©rentes, plus sombres, comme Ă©galement, dans la nature morte ce velours presque noir â une couleur quâil dit ne jamais employer â du rouge des roses sĂ©chĂ©es.
On quitte Ă regret cet atelier chaleureux oĂč un jeune garçon pianote sur un Ă©cran en attendant son pĂšre assis sur une vieille chaise. On quitte lâodeur de la mayonnaise (ce sont ses mots et il nous fait sentir cette odeur comme sâil sâagissait du fumet dâun petit plat) que fabrique Christophe Wehrung pour lâalchimie dâun travail silencieux et si lumineux. a
a CULTURE â GALERIE DE LâESTAMPE GaleriedelâEstampepourdestoiles exposĂ©esenpermanence 31QuaidesateliersâStrasbourg www.christophewehrung.com
80 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
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VICTOR WEINSANTO LE JEUNE PRODIGE HORS-NORME DE LA MODE STRASBOURGEOISE
«âJeune prodige de la modeâ» pour le ToutParis, le styliste Victor Weinsanto a grandi Ă Strasbourg. Loin de renier ses origines, le gĂ©nie fashion ose dĂ©tourner le folklore alsacien, aime casser les codes et apporter une bonne dose de second degrĂ© et de couleur Ă ses crĂ©ations. Rencontre avec un artiste accessible et les pieds bien sur terre.
a CULTURE â SAGA 82 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Barbara Romero François Quillacq
il prĂ©fĂšre se dire «âdĂ©calé⻠plutĂŽt quâhors-norme, «âparce quâaprĂšs tout, câest quoi la normeâ?â», rappelle-t-il, de notre avis, Victor Weinsanto est totalement hors-norme. Un jeune prodige de la mode qui a lancĂ© sa marque une semaine avant le premier confinement, dont lâaudace et le gĂ©nie ont tapĂ© dans lâĆil dâAdrian Joffe, le fondateur de Comme des garçons. Un styliste qui sĂ©duit par son style dĂ©calĂ© justement, trĂšs second degrĂ©, frais, enchanteur, extravagant, mais aussi hyper facile Ă vivre.
«âTout est portable, moi-mĂȘme aujourdâhui je suis habillĂ© simplement avec un tee-shirt et un pantalon noir, je ne porte pas mes grands chapeaux dans la rue tous les jours, commente-t-il avec malice. Câest une marque qui fait un tout, des piĂšces un peu hors-normes, câest vrai, opulentes, extravagantes, mais aussi des piĂšces que ma mĂšre porteâ!â» Ce qui sĂ©duit justement, câest son identitĂ© visuelle singuliĂšreâ: «âOn aime ou on dĂ©teste. Mais cela provoque une Ă©motion, câest cela qui fait sens selon moi.â»
«âMa collection dĂ©tournant le folklore alsacien est celle que je prĂ©fĂšre pour ce quâelle reprĂ©senteâ» confiet-il. On a une image datĂ©e de lâAlsace, alors que le folklore nâest pas ringard.â» Quand il imagine cette collection, Victor se plonge dans ses racines, dĂ©cortique de vieilles photos, retrace des traditions oubliĂ©es. «âJe suis trĂšs attachĂ© Ă mes origines alsaciennes, je suis plus chauvin aujourdâhui quâavantâ!â»
«âON SE REND TRĂS VITE COMPTE QUE LE CHEMIN EST LONGâ»
Ă Paris aujourdâhui, toutes les portes lui sont ouvertes. «âSur certains aspects, câest plus simple pour trouver une table au resto, sâamuse-t-il. Mais câest aussi plus compliquĂ©, car les gens ont des attentes, une marque reste un business avant tout, on sent la pression de toujours devoir Ă©voluer, grandir.â» Mais le styliste ne manque ni dâenvie, ni dâĂ©nergie. «âDans ce mĂ©tier, il faut ĂȘtre bosseur, la danse mâa appris Ă ĂȘtre rigoureux.â» Car Ă lâorigine, Victor se destinait Ă ĂȘtre danseur professionnel. «âJâai commencĂ© Ă quatre ans, et jâĂ©tais semipro Ă dix ans, sans savoir ce qui mâattendait vraiment. Vers seize ans, jâĂ©tais blasĂ©. Tu vis danse, tu manges, tu dors, tu danses. Je nâen pouvais plusâ! Je nâĂ©tais pas trĂšs bon Ă lâĂ©cole, alors je me suis dit pourquoi pas la mode, jâaime les vĂȘtements, les couleurs, les tissus, et tout sâapprendâ!â»
Quand il intĂšgre lâAtelier Chardon Savard aprĂšs avoir dĂ©crochĂ© son bac littĂ©raire âavec mention tout de mĂȘmeâ! â il dĂ©chante un peu. «âOn arrive avec de grands rĂȘves, mais on se rend trĂšs vite compte que le chemin est long. Ce nâĂ©tait pas aussi glamâ et paillettes que je le pensais, mais pour la premiĂšre fois, jâai fait des Ă©tudes oĂč je prenais 100 % de plaisir.â»
Ă la sortie, il dĂ©croche au culot un stage chez Jean-Paul Gaultier, «âet lĂ jâai enfin pu trouver la vie douce. Câest un crĂ©ateur de gĂ©nie, au grand cĆur, jâavais tellement de chance dâĂȘtre dans une maison oĂč lâon se sent bien. Ce nâest pas le cas dans tous les studiosâŠâ»
Câest un peu par hasard, sur fond dâaudace toujours, quâil lance sa propre
Sâ
«âON A UNE IMAGE DATĂE DE LâALSACE, ALORS QUE LE FOLKLORE NâEST PAS RINGARD.â»
83 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
LâAlsacienne vue par Victor
maison de couture en 2020. Dans les couloirs, se murmurait le dĂ©part Ă la retraite de lâiconique styliste français. «âIl fallait que je prĂ©sente des looks et croquis pour espĂ©rer trouver du travail, souligne Victor, et je me suis dit, autant organiser un petit dĂ©filĂ© Ă la bonne franquette pour me faire connaĂźtre.â»
Et Victor Weinsanto, la marque, est nĂ©e. «âUn ami avait invitĂ© Adrian Joffe, ils Ă©taient tous les deux Ă©mus de voir un petit bĂ©bĂ© faire son crash-test dans le grand aquarium de la modeâ!â» Une semaine aprĂšs ce premier coup de gĂ©nie, câest le confinement. «âAdrian Joffe mâa
alors tendu la main, et mâa proposĂ© de vendre mes crĂ©ations dans son showroom.â» Un deal qui lui facilite la vie et lui offre une belle notoriĂ©tĂ©. «âComme toute jeune marque, on galĂšre, Gaultier aussi a galĂ©rĂ© Ă ses dĂ©buts, rappelle-t-il. Travailler avec Adrian est une chance, car on leur vend notre collection quâils vendent euxmĂȘmes. Câest une livraison, une facture, et on a la chance de bĂ©nĂ©ficier de la renommĂ©e de Comme des garçons.â»
Ă TRAVERS SES SHOWS PSYCHĂSâŠ
Si lâinflation et la crise lâeffraient, dâautant quâen tant quâindĂ©pendant, «âil faut en vendre des tee-shirts pour rembourser tout çaâ!â», Victor reste optimiste, confiant et ingĂ©nieux. «âQuand on me propose un catering Ă 1200âŹ, je prĂ©fĂšre aller chez Lidl et dĂ©penser 100 euros pour acheter de quoi boire et mangerâ!â»
Victor vient aussi dâĂȘtre nommĂ© ambassadeur de Nona Source, la plateforme de revente des tissus dormants du groupe LVMH. «âCela permet Ă de jeunes crĂ©ateurs comme moi de se fournir en tissus de superbe qualitĂ©, prĂ©cise-t-il. Câest une vraie dĂ©marche Ă©co-responsable, car pourquoi produire plus de tissus alors quâil y en a plein de dormantsâ?â» Une belle avancĂ©e pour le crĂ©ateur, qui porte un regard sĂ©vĂšre sur la fast-fashion et les dĂ©gĂąts quâelle engendre. «âVous imaginez que certaines marques produisent 140 collections par an, câest complĂštement ahurissantâ! Quand on achĂšte un tee-shirt Ă 10âŹ, si je fais le calcul du prix de revient, ce nâest que quelques centimes, parce que conçu dans des pays oĂč les conditions humaines ne sont pas respectĂ©es⊠Câest ça qui est grave.â»
Victor Weinsanto plaide pour une mode plus responsable, pour le fameux acheter moins, mais mieux. Et nous offre à travers ses créations colorées et décalées, à travers ses shows psychés mettant en scÚne de vraies personnes, cette part de beauté, de fantaisie, et de je-ne-saisquoi du vrai talent à la française.
Pour ce printemps-Ă©tĂ©, il a imaginĂ© une collection Common Love , un vĂ©ritable hymne Ă lâamitiĂ© et Ă lâamour, dĂ©diĂ© Ă tous ses amis peintres, artistes, photographes, stylistes qui forment avec lui une nouvelle gĂ©nĂ©ration de crĂ©atifs ultra solidaires, «âcontrairement Ă ce que lâon peut direâ», confie le jeune homme qui marche sur les traces dâun autre Strasbourgeois de gĂ©nie, danseur et styliste⊠Thierry Mugler. a
«âADRIAN JOFFE MâA ALORS TENDU LA MAIN, ET MâA PROPOSĂ DE VENDRE MES CRĂATIONS DANS SON SHOW-ROOMâ»
84 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Victor Weinsanto avec Philippine Leroy Beaulieu
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Véronique Leblanc Alban Hefti
HERVĂ BOHNERT Ă LA MORT â à LA VIE
Artiste strasbourgeois dĂ©sormais prĂ©sent dans de grandes collections internationales, HervĂ© Bohnert est aux cimaises de la galerie Ritsch-Fisch jusquâau 14 avril. Sây dĂ©ploie une rĂ©trospective envoĂ»tante oĂč se mĂȘlent sculptures, dessins et photos grattĂ©es dâune grande force plastique, symbolique et poĂ©tique. Un monde oĂč la vie et la mort se tiennent la main. Sans effroi.
Rien de prĂ©somptueux chez HervĂ© Bohnert, rien Ă assĂ©ner, rien Ă dĂ©montrer. Il parle dâune voix douce presque craintive, passant dâĆuvre en Ćuvre juste avant lâinauguration de lâexposition que lui consacre la trĂšs belle galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch
Vingt annĂ©es de crĂ©ation se dĂ©clinent aux cimaises, non pas chronologiquement, mais par affinitĂ©s Ă©lectives. LâĆuvre se dĂ©couvre dans la variĂ©tĂ© de ses techniques et lâomniprĂ©sence dâune thĂ©matiqueâ: celle de la mort qui succĂšde Ă la vie et recĂšle une beautĂ© bien Ă elle. Architecture du squelette, chairs Ă©vidĂ©es pour laisser apparaĂźtre la structure qui les sous-tend, souvenirs dâun ĂȘtre qui fut proche, lâartiste ne cache pas sa fascination pour les Memento Mori et autres rites funĂ©raires dont la modernitĂ© â rĂ©tive aux rites â nous a dĂ©tournĂ©s. «âJâai toujours collectionnĂ© les objets dâavantguerre reliĂ©s Ă cet universâ», confie HervĂ© Bohnert. Photos dâenfants â il en mourait beaucoup jadis â ou de personnes dĂ©cĂ©dĂ©s, souvenirs de communion ou de mariage aux personnages figĂ©s dans un inquiĂ©tant sĂ©rieux, images de danses macabres, objets patinĂ©s par tous ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaĂźtreâŠ
De ce compagnonnage est née une recréation de tous ces objets.
Lâartiste sâen est emparĂ© «âpar nĂ©cessitĂ©â», sans codes prĂ©conçus, sans leçon
a CULTURE â EXPO
86 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Communication Journalisme Web MĂ©tiers du sport Informatique Transition Ă©cologique et solidaire Rendez-vous par tĂ©lĂ©phone au 03 88 36 37 81 ou par mail Ă strasbourg@mediaschool.eu PresquâĂźle Malraux 16, rue du bassin dâAusterlitz 67100 Strasbourg Retrouvez-nous sur les rĂ©seaux MediaSchool.eu/strasbourg
IL NâEFFRAYE PAS, IL INTRIGUE ET INVITE Ă NE
PAS SE DĂTOURNER DES DĂFUNTS POUR LES LAISSER TOMBER DANS UN OUBLI
QUI NE RACONTE QUE NOS PROPRES PEURS.
dâart pĂ©remptoire, juste parce quâil le fallait, rejoignant ainsi lâart brut tel que Jean Dubuffet lâa dĂ©fini en tant quâ«âouvrages exĂ©cutĂ©s par des personnes indemnes de culture artistiqueâ», exempts de poncifs.
«âĂ CHACUN DE LIRE CE QUâIL VEUT LIREâ»
Il a dĂ©licatement dĂ©charnĂ© de gracieuses cariatides en en sculptant le squelette, retrouvĂ© la matiĂšre de bas-reliefs religieux enfouie sous des couches de mĂ©chante peinture et retravailler leurs sujets jusquâĂ lâos, accoler le mort et le vif dans le seul visage dâun christ, dâune madone ou dâune Alsacienne toujours rieuse.
Car le macabre reste alerte sous la gouge ou le pinceau dâHervĂ© Bohnert.
Il nâeffraye pas, il intrigue et invite Ă ne pas se dĂ©tourner des dĂ©funts pour les laisser tomber dans un oubli qui ne raconte que nos propres peurs. Visiteur de catacombes, lâartiste y aime la
familiaritĂ© avec les disparus. «âLa mort et la vie cohabitentâ», rappelle-t-il en Ă©voquant cette rĂ©cente pandĂ©mie qui lui a inspirĂ© le buffet prĂ©sentĂ© actuellement dans la grande exposition sur lâart brut au musĂ©e WĂŒrth dâErstein.
«âLâĂ©poque Covid Ă©tait Ă©trangeâ», ditil, «âmon travail raconte aussi que la mort aura toujours le dernier mot et quâil faut profiter de la vieâ».
Plus quâun Memonto Mori, lâexposition se veut Memento Vivere Elle dit la force de la vie, insuffle de lâĂ©nergie aux souvenirs, revisite les DĂ©sastres de la guerre de Goya ou Les Amants trĂ©passĂ©s du musĂ©e de lâĆuvre Notre-Dame et rend aux objets dĂ©laissĂ©s toute leur raison dâĂȘtre au monde.
Sans jamais heurter ni profaner le religieux, quâil soit chrĂ©tien ou animiste. Aucune Ćuvre nâest datĂ©e ou titrĂ©e. Ce serait trop prescriptif aux yeux dâun artiste jaloux de sa propre libertĂ© et de celle dâautrui. «âĂ chacun de lire ce quâil veut lireâ», dit-il.
«âHervĂ© a un travail Ă cĂŽtĂ© de son artâ», enchaĂźne son galeriste Richard Solti, «âil est artiste par nĂ©cessitĂ© de crĂ©er, pas pour gagner sa vie, plaire ou expliquer quoi que ce soit Ă qui que ce soit. Il est libre et câest une force qui le dispense de dĂ©pendre de tout regard extĂ©rieurâ».
«âCâest vrai que je fais ce que je veuxâ», lui rĂ©pond lâintĂ©ressĂ©. «âJe suis curieux des techniques et je cherche les solutions en autodidacteâ».
Avec la certitude quâ«âil ne faut jamais remettre Ă demainâ». «âQuand une idĂ©e sâimpose, il faut lui obĂ©irâ».
Et sâemparer dâun objet rĂ©cupĂ©rĂ© au hasard de la chine, plus ou moins longtemps cĂŽtoyĂ© dans son atelier afin de lui donner un vie dâentre deux vies. a
GalerieJ-P Ritsch-Fisch 6,ruedesCharpentiersâStrasbourg www.ritschfisch.com
88 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
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CENTRE POMPIDOU METZ RETOUR VERS LE FUTUR
90 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Réédition de lâĆuvre de William Gibson, chantre du cyberpunk, remake du film
Dune par Denis Villeneuve, retour en grĂące du mouvement brutaliste en architecture, confĂ©rences dâAlain Damasio sur le technocapitalisme⊠La science-fiction, vĂ©ritable poil Ă gratter conceptuel, revient bousculer les idĂ©es reçues au moment oĂč lâavenir semble, il faut le dire, un peu bouchĂ© ! Les Portes du possible. Art & science-fiction, la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz ne sây trompe pas, colle Ă lâair du temps, et dispatche sur quelques 2300 m2 des Ćuvres qui interrogent notre prĂ©sent Ă travers le prisme du futur. Voyage en terres post-connues.
Les portes du possible, on les pousse sans trop savoir Ă quoi sâattendre. Ă une Ă©poque oĂč justement, la rĂ©alitĂ© a bel et bien rejoint la fiction, Ă grand renfort de rĂ©alitĂ© virtuelle et dâĂ©quipĂ©e martienne, on a peine Ă imaginer⊠ce que lâon pourrait bien imaginer de neuf ! Et câest lĂ que se situe toute lâintelligence â et la beautĂ© â du paradigme science-fictionnel. La pensĂ©e futuriste ne sâexprime jamais ex nihiloâ: sous couvert dâanticipation, la SF nous parle de nos peurs, de nos fantasmes, de nos erreurs, mais aussi de nos espoirs prĂ©sents. Ainsi,
pour Alexandra MĂŒller, commissaire de lâexposition, la science-fiction nous permet de «âchanger de direction, redĂ©finir notre relation Ă lâenvironnement, dĂ©passer un capitalisme sans borne, réécrire lâHistoire. Pour elle, la force de nos imaginations est un outil capable de rĂ©orienter nos futurs.â»
FUTUR ANTĂRIEUR
Artistes plasticiens, Ă©crivains, mais aussi architectes et cinĂ©astes, lâexposition regroupe pas moins de 200 Ćuvres de
a CULTURE â EXPOSITION
Aurélien Montinari François Quillacq
«âCâest une expĂ©rience trĂšs insolite que dâĂ©crire quelque chose dans un roman, en Ă©tant persuadĂ© que câest une pure fiction, et dâapprendre plus tard â bien des annĂ©es plus tard âquâen fait, câest vrai.ââ»
Philip K. Dick
91 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
la fin des annĂ©es 1960 Ă nos jours, lâoccasion de prendre toute la mesure de la pertinence de certains travaux qui avaient dĂ©jĂ su, il y a plus dâun demi-siĂšcle, anticiper les enjeux de notre Ă©poque.
Le parcours sâarticule autour de cinq espaces reprenant chacun le titre dâun livre phare et dĂ©veloppant une thĂ©matique prĂ©cise. Le meilleur des mondes et ses questions sociĂ©tales, Neuromancien et les technosciences, Les androĂŻdes rĂȘventils de moutons Ă©lectriquesâ? et le cyborgisme, Soleil vert et lâĂ©cologie et, enfin, La parabole du semeur et les nouvelles formes du mythe.
La scĂ©nographie, elle, se veut accidentĂ©e et rĂ©flexive au sens propre, comme au figurĂ©. Murs, sols et plafonds sont brisĂ©s, parfois remplacĂ©s par des miroirs, comme autant dâouvertures vers dâautres mondes et diffractions du rĂ©el. «âLa scĂ©nographie joue sur une ambivalence en crĂ©ant un espace dont on ne sait pas sâil est en cours
de construction ou de destruction. Cette ambiguĂŻtĂ© rĂ©sonne avec lâinsĂ©curitĂ© et la dĂ©sorientation qui rĂšgnent sur notre monde actuel. Il sâagit aussi de dĂ©payser les visiteurs, de les emmener vers un ailleursâ», explique Alexandra MĂŒller.
Loin des clichĂ©s de la pop culture, lâexposition Les portes du possible se penche sur nos prĂ©occupations contemporaines, rĂ©vĂ©lant la puissance critique de la science-fiction, cette forme de pensĂ©e qui nous permet dâenvisager â et de construire â enfin un avenir dĂ©sirable⊠a
LES PORTES DU POSSIBLE
Jusquâau 10 avril 2023
Centre Pompidou Metz
1 Parvis des Droits-de-lâHomme
Tous les jours sauf le mardi de 10h Ă 18h, le week-end jusquâĂ 19h
centrepompidou-metz.fr
«âLA FORCE DE NOS IMAGINATIONS EST UN OUTIL CAPABLE DE RĂORIENTER NOS FUTURS.â»
92 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
T NS Théùtre National de Strasbourg
Les spectacles
Comme tu me veux
Luigi Pirandello | Stéphane Braunschweig 27 fév | 4 mars
Un pas de chat sauvage
CRĂATION AU TNS
Marie NDiaye * | Blandine Savetier * 2 | 10 mars
Grand Palais
Julien Gaillard, Frédéric Vossier | Pascal Kirsch 10 | 16 mars
Mineur non accompagnĂ© en remplacement de Ălots
Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel 17 | 25 mars
Mon absente
Pascal Rambert * 28 mars | 6 avril
Tout mon amour
Laurent Mauvignier | Arnaud Meunier 11 | 15 avril
LâEsthĂ©tique de la rĂ©sistance
CRĂATION AU TNS
Peter Weiss | Sylvain Creuzevault 23 | 27 mai
* Artistes associé·es au TNS
Lâautre saison
Beretta 68
CARTE BLANCHE DE LâĂCOLE DU TNS
Spectacle conçu par 8 Ă©lĂšves du Groupe 47 de lâĂcole du TNS 29 mars | 1er avril | TNS
Intuition, friction, papillon
PRĂSENTATION DâUN ATELIER DE JEU DE LâĂCOLE DU TNS
Marc Proulx | Avec les Ă©lĂšves du Groupe 47 28 et 29 mars | Espace GrĂŒber
Spectacle de la Troupe Avenir #7
IMMERSIONS THĂĂTRALES 16-25 ANS
Iannis Haillet et Florence Albaret
Ven 21 avril | 20 h
Sam 22 avril | 15 h et 20 h
Espace GrĂŒber
Prix des lycéen·nes Bernard Marie-KoltÚs
PRIX DE LITTĂRATURE DRAMATIQUE CONTEMPORAINE
Cérémonie de clÎture
Ven 2 juin | 14 h 30
Espace GrĂŒber
03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2223
Nancy Nkusi, Un pas de chat sauvage © Jean-Louis Fernandez
ESTELLE
LAGARDE LâĂTERNITĂ DE HĂLĂNE
Bataclan. 13 novembre 2015. La barbarie. HĂ©lĂšne meurt sous les balles des terroristes. Le petit Melvin ne reverra plus sa maman. Quelques semaines plus tard, Antoine Leiris, son compagnon et pĂšre de Melvin, Ă©crira Vous nâaurez pas ma haine. La photographe Estelle Lagarde Ă©tait lâamie de la compagne dâAntoine. Elle avait dĂ©jĂ rĂ©uni quelques photos dâHĂ©lĂšne dans un prĂ©cĂ©dent livre, Lâauberge. Elle publie aujourdâhui cet ouvrage prĂ©cieusement rĂ©alisĂ©, sobrement titrĂ© HĂ©lĂšne. «âLa route sinueuse de ses photographies mĂšne Ă lâĂ©ternitĂ© dâHĂšlĂšneâ» Ă©crit superbement Brigitte Patient dans la prĂ©face du livre. Elle ajoute : «âDepuis toujours, Estelle Lagarde travaille le temps. Elle modĂšle dans ses photographies les prĂ©sences, les absences. Les traces laissĂ©es par des vies dans des lieux abandonnĂ©s, oubliĂ©s.â» Tout est dit.
el.estelle.lagarde@protonmail.com
Le livre sera présenté le 25 mars prochain de 15h30 à 18h à la galerie Radial, 11b Quai Turckheim à Strasbourg en présence de la photographe.
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Photos du portfolio des pages suivantes : © Estelle Lagarde â agence rĂ©vĂ©lateur
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a CULTURE â POĂSIE
POĂSIE LA FRONTIĂRE
Le mot frontiĂšre est dâabord un mot merveilleux, car il est polysĂ©mique. Il signifie aussi bien ce qui limite que ce qui laisse passer, ce qui sĂ©pare comme ce qui rĂ©unitâŠ
Couverture du livre La FrontiĂšre (Ed. Gautier-Languereau)
104 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Isabelle Baladine Howald Antoine Guillopé
on origine est dâailleurs plutĂŽt militaireâ: faire front, câest-Ă -dire se mettre en face dâun ennemi potentiel. FrontiĂšres Ă notre Ă©poque est moins synonyme de dĂ©limitations de son propre pays â rien que de trĂšs normal au fond â que de lâinterdire aux autres. BarbelĂ©s, soldats, rien nâest trop meurtrier pour empĂȘcher lâĂ©tranger de passer. Ce nâest sans doute pas toujours injustifiĂ©, mais frontiĂšre ne devrait-elle pas dâabord signifier accueil avant dâĂȘtre interdiction, refoulementâ?
Autrefois nous partions aux confins de lâEst, par exemple. Aujourdâhui lâEst se ferme Ă son voisin de lâEst. Son presque soi est devenu son ennemi, celui quâil veut non seulement dĂ©truire, mais soumettre, lui enlever racines, cultures, et mĂȘme la vie. Les confins nâexistent plus, car vous ĂȘtes arrĂȘtĂ© Ă chaque douane.
La frontiĂšre peut ĂȘtre naturelle comme le Rhin, elle peut ĂȘtre relativement incontrĂŽlĂ©e comme lâespace Schengen, elle peut ĂȘtre une ligne juridiquement dĂ©cidĂ©e ou une zone de no manâs land. Elle peut mĂȘme sĂ©parer le mĂȘme pays Ă lâorigine, voir la CorĂ©e. Elle ne devrait que dĂ©limiter un pays pour quâon puisse franchir (passer la frontiĂšre) le seuil dâun autre pays. Elle devient synonyme de contrĂŽle, de peur, de danger au lieu dâĂȘtre synonyme de dĂ©sir, dâattente et dâespoir.
Les enfants adorent passer les frontiĂšres, câest un petit tremblement de ce que lâon est quand on voyage en sĂ©curitĂ© avec ses parents vers ce petit tremblement quâest en face de nous lâautre, le paysage, les habitudes, au lieu de nâĂȘtre que pertes et craintes quand on passe Ă pied, Ă©puisĂ©, son quant-Ă -soi dans un pauvre sac Ă dos.
BORDERLINE
Câest un sujet qui nâest plus que gĂ©opolitique. Ausweis, no pasaran, les slogans ne manquent pas pour lâouvrir ou la fermerâ: tu passes ou tu ne passes pas. Or on peut ĂȘtre aux frontiĂšres de lâadolescence, de la vieillesse ou de la folie, du rĂȘve ou de la rĂ©alitĂ©, on peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© normal ou borderline, on peut passer comme Modiano du flou Ă lâencore plus flou.
La frontiĂšre permet le transport (y compris amoureux). On rĂȘve dâun pays quand le sien est devenu trop pauvre ou trop dictatorial. Câest une porte virtuelle, une barriĂšre rĂ©elle. Passer sous un camion ou par-dessus une clĂŽture, la frontiĂšre est basse ou haute.
Quel rapport avec la poĂ©sie, me direzvousâ? Paul Eluard a Ă©critâ: «âLe mot frontiĂšre est un mot borgne. Lâhomme a deux yeux pour voir le mondeâ», câest dire que la frontiĂšre risque toujours de fermer quelque chose Ă la vue. Celui qui a Ă©crit LibertĂ© durant ses annĂ©es de rĂ©sistance connaissait cette frontiĂšre intra muros, la fameuse ligne de dĂ©marcation, celle qui sĂ©parait ceux qui Ă©taient encore français et libres et ceux qui passaient sous le joug allemand et nâĂ©taient plus libres. Or le poĂšte a besoin de voir, au-dedans de lui comme au-dehors.
Il y a moins dâun an est venu ce poĂšmeâ:
Il est couchĂ©, sa tĂȘte tout prĂšs des barbelĂ©s, rouleaux dentelĂ©s de pointes dâargent qui dĂ©chirent peaux et vĂȘtements il se photographie
Il se photographie couchĂ© sur le dos, sa tĂȘte tout prĂšs des barbelĂ©s, peut-ĂȘtre photographie-t-il la libertĂ© derriĂšre ou la lisiĂšre de la forĂȘt entre les jambes des soldats
Entre les jambes des soldats brillent les dents dâargent des rouleaux dentelĂ©s la libertĂ© a la couleur de la forĂȘt polonaise il se photographie
La lisiĂšre de la forĂȘt est Ă peu de mĂštres de sa tĂȘte sur le sol froid tout prĂšs des dents dâargent des barbelĂ©s sa tĂȘte il photographie la frontiĂšre. a
S
105 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Véronique Leblanc Alban Hefti
CATHERINE BOLZINGER CHANTER ENSEMBLE CRĂE UNE «âHUMANITĂ AUGMENTĂEâ»
«âLa voix est la musique du corpsâ», confie Catherine Bolzinger, une musique portĂ©e dans «âune espĂšce de fragilité⻠puisque le chanteur nâest pas «âprotĂ©gé⻠par un instrument⊠Câest peut-ĂȘtre cela qui bouleverse autant le public de Voix de Strasâ, le chĆur de femmes quâelle dirige depuis 2014.
Catherine Bolzinger
a CULTURE â VOIX DE STRAâS
106 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Xxxxxxx
Trois Ă©quipes sây sont succĂ©dĂ©. Lâactuelle mĂȘle les timbres de chanteuses originaires dâUruguay, des Ătats-Unis, de Russie, dâArmĂ©nie, de CorĂ©e du Sud et⊠dâAlsace. Toutes professionnelles, toutes singuliĂšres. «âUn groupe pas forcĂ©ment simpleâ» â heureusement, car Catherine nâaime pas le «âlisseâ» â mais⊠«âpassionnantâ».
Sur scĂšne, cette interculturalitĂ© fait merveille lorsquâelle pĂ©tille au contact de lâ«âhumanitĂ© augmentĂ©eâ» qui naĂźt «âlorsque lâon chante avec quelquâunâ».
Ce partage, Voix de Strasâ vient de le dĂ©multiplier au lointain du monde en collaborant avec les chanteuses du chĆur amateur de lâAsian University for Woman de Chittagong au Bangladesh.
Ce projet fou baptisĂ© EVE pour «âEmpower Voice Emancipationâ» est nĂ© en 2022 et il a conduit au bord de lâIll trois Ă©tudiantes de cet Ă©tablissement vouĂ© Ă lâĂ©mancipation des femmes dâAsie.
Easha, Mercy et Azii sont arrivĂ©es en fĂ©vrier pour mĂȘler leurs voix Ă celles des chanteuses de Voix de Strasâ. Leur rĂ©sidence a durĂ© quinze jours avant un dĂ©part pour Paris et un dernier concert sous les ors de la Cour des comptes.
Dans ce spectacle dĂ©jĂ donnĂ© Ă Strasbourg et Breitenbach sâentrelacent chansons du Bangladesh, du Timor oriental, du NĂ©pal, du Sri Lanka, dâInde ou du Cambodge Ă un rĂ©pertoire europĂ©en oĂč lâon reconnaĂźt Zingarelle de Verdi, Il Ă©tait une fois dans lâOuest , Money Money , Lieber Tango de PiazzolaâŠ
CHANTER, CHANTER ENCORE, CHANTER ENSEMBLEâŠâ»
«âUn assemblageâ» tissĂ© par Catherine avec la complicitĂ© du compositeur français Lionel Ginoux qui collabore avec elle depuis 2016.
«âIl a une Ă©criture contemporaine, mais use de schĂ©mas mĂ©lodiques proches des musiques traditionnellesâ», prĂ©cise-t-elle. Lâapproche idĂ©ale pour ce projet nĂ© dâune collecte de chansons populaires auprĂšs des Ă©tudiantes de lâuniversitĂ© de Chittagong. ArrangĂ©es par Lionel Ginoux toutes celles qui ont Ă©tĂ© retenues porte en titre le prĂ©nom de celle qui lâa transmiseâ: Belaâ; Novita, Marjana, Soma, SophornâŠ
VOIX EST LA MUSIQUE DU CORPS.â»
Chanteuse-cueilleuse, Catherine a trouvĂ© dans cette mĂ©thode de la collecte initiĂ©e en 2019 dans le quartier des Ă©crivains de Schiltigheim «âun outil efficaceâ» pour «âaller Ă la rencontre des gens et leur donner une placeâ».
Viennent ensuite le travail dâarrangement et le partage sur scĂšne de tout un patrimoine rĂ©enchantĂ©, devenu universel par la force des voix humaines.
GrĂące Ă Voix de Strasâ, Strasbourg, ville des routes et des carrefours se fait lanceuse de ponts par-delĂ les frontiĂšres. Des concerts sont prĂ©vus en Asie, notamment Ă lâambassade de lâUnion europĂ©enne Ă Dacca, capitale du Bangladesh.
On croise les doigts pour que le rĂȘve se poursuive, mais on sait la masse dâalĂ©as quâil faudra surmonter pour y parvenir.
Une chose est certaine cependant, la chanteuse-cueilleuse poursuivra ses collectes pour le bonheur des rencontres au plus mélodieux de la mémoire et pour le plaisir du partage sur scÚne.
Sans leçon de morale Ă donner, juste parce que cela a un sens et quâil nây a rien de plus beau que chanter, chanter encore, chanter ensemble. a
107 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Xxxxxxx
«âLA
a CULTURE â HISTOIRE
LE JOUR OĂ⊠JOHANN KNAUTH A SAUVĂ LA CATHĂDRALE
Ce jour-lĂ , ce nâĂ©tait pas le jour dont on parle, câen Ă©tait un autre. Ce jour-lĂ Johann Knauth nâĂ©tait plus le sauveur de la cathĂ©drale. Il nâĂ©tait plus cet homme massivement notable devant lequel on enlevait son chapeau, lâarchitecte en chef de la cathĂ©drale de Strasbourg, peut-ĂȘtre le troisiĂšme personnage le plus important de la citĂ© avec le maire et le prĂ©fet, lâĂ©vĂȘque aussi, alors disons le quatriĂšme. Il nâĂ©tait plus quâun boche parmi les autres. SommĂ© comme tous les autres boches de quitter la ville dans les plus brefs dĂ©lais par les nouvelles autoritĂ©s françaises.
Pour que ça aille plus vite, pour quâils Ă©vacuent cette terre qui nâĂ©tait plus la leur on allait les entasser dans des camions et les renvoyer manu militari sur lâautre rive du Rhin. Ă coups de pieds dans le train si besoin, ce nâest pas une image, lâĂ©poque Ă©tait Ă lâĂ©puration.
Les Altdeutsche , les «âVieuxAllemandsâ» Ă©taient devenus indĂ©sirables. Ils Ă©taient environ 180â000 en Alsace, venus de Prusse et des Ătats rhĂ©nans en proportions Ă©gales pendant la pĂ©riode du Reichsland (1871-1918), dont prĂšs de 60â000 rien quâĂ Strasbourg. Sauf Ă ĂȘtre mariĂ© Ă une alsacienne et Ă faire la demande de nationalitĂ© française, ils devaient partir.
Johann Knauth aurait pu effectuer cette demande. Il ne lâa pas fait. PeutĂȘtre son Ă©pouse Mathilde Holzmann, fille dâun aubergiste strasbourgeois, lâa-t-elle suppliĂ©e, on nâen sait rien. Toujours est-il
108 a CULTURE â48 â Mars 2023 â Retour
Alain Leroy Fondation de lâĆuvre Notre-Dame â DR
quâil ne lâa pas fait. Par fiertĂ©â? Par tristesseâ? Par bravadeâ? Par rancĆurâ? Un peu de tout ça Ă la fois sans doute. Alors, en ce mois de janvier 1921, quand il franchit le Rhin pour aller sâinstaller dans un modeste logement situĂ© place de lâHĂŽtel de Ville Ă Gengenbach, Ă 37 km trĂšs exactement de Strasbourg, Johann Knauth est un homme brisĂ©. BientĂŽt mort. Trente-sept kilomĂštres ce nâest rien quand on y pense, mais lâexil ne se mesure pas en kilomĂštres quand il est intĂ©rieur.
Il nâa cette annĂ©e-lĂ que 57 ans. Il atteindra tout juste la soixantaine, oubliĂ© de tous ou presque. Ă lâĂ©poque dĂ©jĂ , on dĂ©boulonnait les statues et Johann Knauth avait celle du commandeur. II lâavait Ă©rigĂ©e lui-mĂȘme Ă force de travail et de talent. Et puis lâĂ©poque lâavait jetĂ©e Ă bas et lui avait roulĂ© dessus. Il nâallait pas survivre Ă ses blessures. Elles Ă©taient trop profondes.
CITĂ EST UN IMMENSE CHANTIER Ă CIEL OUVERT. STRASBOURG VA DEVENIR LA VITRINE DU GĂNIE ALLEMAND.â»
Lâhomme quâil Ă©tait en arrivant est alors loin, si on le croisait on ne le reconnaitrait pas. Ce nâest pas si vieux pourtant.
IL EST VENU POUR ELLEâŠ
Janvier 1891. Johann Knauth a 26 ans depuis quelques semaines quand il débarque en gare de Strasbourg, la capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, nouvel eldorado tout prÚs de chez soi quand on est allemand. Une ville en partie détruite aprÚs la guerre de 1870, annexée par le traité de Francfort en 1871 et en pleine ébullition.
La citĂ© est un immense chantier Ă ciel ouvert. Strasbourg va devenir la vitrine du gĂ©nie allemand. En moins de deux dĂ©cennies, sa superficie a triplĂ© de volume. Elle a Ă©tĂ© dotĂ©e du plus beau campus universitaire dâAllemagne et donc dâEurope, de centaines dâappartements modernes
avec «âgaz in allen etageâ», dâune nouvelle gare, dâun palais des fĂȘtes, dâun Ă©tablissement de bains dernier cri, de nouvelles grandes et larges avenues, la liste est sans fin. Et au milieu trĂŽne toujours, fiĂšre et indestructible, sa cathĂ©drale, le plus haut Ă©difice de la chrĂ©tientĂ© jusquâen 1874.
Johann Knauth est venu pour elle aprĂšs avoir travaillĂ© Ă lâachĂšvement de celle de Cologne, sa ville natale. Franz Schmitz, lâarchitecte en chef du chantier colonais, a repĂ©rĂ© cet apprenti attentif, douĂ© et qui ne compte pas ses heures. Alors, quand il est nommĂ© Ă Strasbourg, il lâemmĂšne avec lui et câest une rĂ©vĂ©lation. Dâabord Johann Knauth se fond complĂštement dans cette ville allemande, mais avec un charme diffĂ©rent. Un an et demi aprĂšs son arrivĂ©e, il se marie. Avec Marie, ils auront rapidement deux garçons, Joseph-Heinrich et Jean. Un prĂ©nom allemand et un autre français, voilĂ pour le symbole qui dit beaucoup.
«âLA
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Un chantier titanesque sur le pilier nord de la nef de la cathédrale.
«âDES FISSURES SUR LES VOĂTES LâONT ALERTĂ COMME ELLES AVAIENT ALERTĂ SES PRĂDĂCESSEURS, MAIS PERSONNE NâĂTAIT ALLĂ PLUS LOIN.â»
Sur le plan professionnel, les choses Ă©voluent aussi rapidement pour lui. En 1897, il est nommĂ© conducteur de travaux par Ludwig Arntz, un autre colonais qui a remplacĂ© Schmitz, et est chargĂ© de renforcer les contreforts sud de lâĂ©difice. Une grosse responsabilitĂ© dĂ©jĂ . Mais câest en 1905 que tout basculeâ: Arntz dĂ©missionne avec pertes et fracas. La municipalitĂ© cherche un remplaçant, nâen trouve pas qui lui convient et se dit que finalement il nây a peut-ĂȘtre pas Ă aller chercher bien loinâ: Knauth nâa pas les diplĂŽmes requis dâaccord, mais il est compĂ©tent, extrĂȘmement compĂ©tent. Ni une ni deux, il devient architecte en chef de la cathĂ©drale. Il a 41 ans, il est au sommet, câest sans doute pour ça quâil consolide les fondations.
Ă COURT TERME, LA TOUR VA SâĂCROULERâŠ
AprĂšs avoir rĂ©novĂ© la façade occidentale et restaurĂ© les galeries des apĂŽtres et des anges musiciens, il sâattaque Ă un problĂšme majeur, celui du pilier nord de la nef qui soutient la tour. Des fissures sur les voĂ»tes lâont alertĂ© comme elles avaient alertĂ© ses prĂ©dĂ©cesseurs, mais personne nâĂ©tait allĂ© plus loin. Johann Knauth, lui, veut en avoir le cĆur net. Ce quâil dĂ©couvre est plus quâalarmantâ: le gros pilier de la tour nord, celui qui doit supporter la tour (7500 tonnes tout de mĂȘme) sâenfonce inexorablement dans le sol. Ses piliers dâorme sont extrĂȘmement dĂ©tĂ©riorĂ©s. Ă terme et mĂȘme Ă court terme, la tour va sâĂ©crouler, câest une certitude, regardez, elle sâincline dĂ©jĂ .
Knauth prend donc les choses en mains. Les travaux techniquement audacieux et financiĂšrement extrĂȘmement coĂ»teux dĂ©butent en 1912.
«âDonnez-moi un point fixe et un levier et je soulĂšverai le mondeâ» aurait dit ArchimĂšdeâ? Il applique ce principe Ă la lettreâ: le gros pilier est enserrĂ© dans un corset de ferraille et des vĂ©rins hydrauliques (huit) actionnĂ©s par des pompes Ă bras le soulĂšvent. Et lĂ , il faut aller vite et remplacer les poteaux de bois par des fondations en bĂ©ton sans rompre le fragile Ă©quilibre qui provoquerait la chute du monument. Sueurs froides.
Il suffit de lever la tĂȘte pour comprendre que la manĆuvre a rĂ©ussi. Un siĂšcle plus tard, lâĂ©difice est toujours en place. Plus solide que jamais. Johann Knauth nâaura guĂšre eu le temps dâen profiter. Les travaux se poursuivent, mais la guerre est lĂ . Lui est trop vieux pour combattre, mais ses deux fils non. JosephHeinrich nâa pas 18 ans, câest lui qui succombe le premier le 12 septembre 1917 sur le front de Roumanie. Jean est quant Ă lui prisonnier des Russes quand les armes se taisent enfin. Il nâa pas le temps dâĂȘtre libĂ©rĂ© quâil succombe, Ă 24 ans, au typhus dans un camp de SibĂ©rie.
Johann Knauth ne se relĂšvera jamais de cette double tragĂ©die. Son humeur sâassombrit, ses coups de colĂšre sont nombreux. Alors quâil sâexprimait en alsacien, il ne parle plus quâen allemand sur les chantiers, ses ordres claquent, on renĂącle. Car lâĂ©poque a changĂ©. La plupart des Altdeutsche sont partis, y com-
pris chez les ouvriers, et ceux qui sont restĂ©s font profil bas. Pas Knauth. Le voilĂ accusĂ© de «âpangermanismeâ», lourde accusation en ce temps oĂč on trie les citoyens, ça lui pendait au nez.
Pour lâinstant, son statut le protĂšge, mais il se fissure lui aussi. Lui veut terminer ce chantier qui est celui de sa vie, il nâen dĂ©mord pas. En hauts lieux on hĂ©site, on se divise entre soutiens et dĂ©tracteurs. Si seulement il acceptait de remplir ce formulaire demandant la nationalitĂ© française tout serait rĂ©glĂ©, mais non, il sây refuse, nâest-il pas le sauveur de la cathĂ©draleâ? Ăa ne suffira pas. Le 18 septembre 1920, Gabriel Alapetite, le nouveau commissaire gĂ©nĂ©ral de la RĂ©publique qui remplace Alexandre Millerand, lui fait porter lâacte dâexpulsion de son appartement de fonction. Trois mois plus tard, il est licenciĂ©, privĂ© de revenus et mĂȘme de retraite.
Ce jour-lĂ , il nâĂ©tait plus le sauveur de la cathĂ©drale. Ce jour-lĂ , il nâĂ©tait plus quâun boche parmi les autres qui ne sera Ă©videmment pas invitĂ© Ă la rĂ©ception des travaux, en octobre 1926, puisquâil Ă©tait dĂ©jĂ mort. Il faudra attendre 2014 pour que la Ville lui rende hommage en apposant une plaque sur la façade du bĂątiment qui abritait la Poste, devant la cathĂ©drale.
Elle dit «âĂ Johann Knauth, sauveur de la cathĂ©drale, la Ville de Strasbourg reconnaissante.â» a
Johann Knauth aura fait du sauvetage de la cathĂ©drale le grand Ćuvre de son existence. AdmirĂ© pendant des annĂ©es, il finira sa vie exilĂ© et banni.
La plaque commĂ©morative appliquĂ©e en 2014 sur lâancien bĂątiment qui abritait La Poste, place de la CathĂ©drale.
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Lisette Gries Bartosch Salmanski
SĂNNDIâS KĂTER LE DIALECTE-SHOW Ă SUIVRE
Enfant malicieux du cabaret alsacien et des late-shows amĂ©ricains, lâĂ©mission diffusĂ©e par France 3 et produite par Red Revolver touche Ă la fois le public classique des programmes en langue rĂ©gionale et une audience plus jeune et plus urbaine, grĂące aux replays en ligne â et Ă un habile sous-titrage.
Un canapĂ© gris au coude-Ă -coude avec un grand bureau en bois, une moquette rouge, les bĂątiments emblĂ©matiques de la rĂ©gion sur un Ă©cran en toile de fond, jusquâaux mugs de cafĂ© siglĂ©sâ: tous les ingrĂ©dients dâun late-show sont rĂ©unis sur ce plateau de tournage installĂ© dans lâauditorium de France 3 Grand-Est. Programmes incontournables de la tĂ©lĂ© Ă©tats-unienne, les late-shows animent lĂ -bas les troisiĂšmes parties de soirĂ©e avec une recette qui varie peu. CĂŽtĂ© sofa, une succession dâinvitĂ©s du monde politique, culturel ou mĂ©diatiqueâ; cĂŽtĂ© micro, un prĂ©sentateur qui ne renĂącle pas Ă la facĂ©tie sans pour autant esquiver les questions pertinentes. Des monologues, des sketchs et des parodies ponctuent le tout.
SE RĂAPPROPRIER LA LANGUE
De notre cĂŽtĂ© de lâAtlantique, le modĂšle a du mal Ă se faire une place dans les grilles des chaĂźnes. LâĂ©mission de France 3, une production de la sociĂ©tĂ© strasbourgeoise Red Revolver, en est pourtant Ă sa troisiĂšme saison. Son Ă©pice magiqueâ? Lâalsacienâ! BaptisĂ©e «âSĂčnndiâs KĂ terâ» (la «âgueule de bois du dimancheâ», pour les non-bilingues), elle est entiĂšrement tournĂ©e dans la langue de Germain Muller.
«âLâidĂ©e, câest de se rĂ©approprier lâalsacien, qui est encore souvent associĂ© au folklore, explique Mathieu Winckel, le show-runner. Nous devons parfois inventer des mots pour parler de concepts
a CULTURE â LATE-SHOW
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rĂ©cents.â» Que les dĂ©butants se rassurent, tout est sous-titrĂ© en français (comme sur Netflix, en somme) et les gags sont mĂȘme imaginĂ©s dans les deux langues dĂšs leur Ă©criture pour en prĂ©server la saveur. DeuxiĂšme emprunt aux plateformes, les Ă©pisodes sont tous disponibles en ligne pour ceux qui dorment encore le dimanche Ă 10h, Ă lâheure de la diffusion.
FRAĂCHEUR ET DĂRISION
LâĂ©quipe de Red Revolver exploite aussi une autre spĂ©cialitĂ© locale pour produire ses deux Ă©missions inĂ©dites chaque moisâ: la satire. «âTous les sujets dont on parle sont dâactualitĂ©, mais nous les traitons avec un dĂ©calage que la tradition de lâhumour alsacien nous inspireâ», poursuit Mathieu Winckel.
Dâailleurs, sur le plateau de tournage, le prĂ©sentateur Philippe Sandmann sâemporte contre ValĂ©rie Weber-Schmitt (incarnĂ©e par la comĂ©dienne Laurence Bergmiller), «âune envoyĂ©e spĂ©ciale influençableâ» qui a tournĂ© platisteâ! Les contre-arguments quâil dĂ©roule sont tous
sĂ©rieux, sa vĂ©ritĂ© Ă elle rĂ©sonne avec les Ă©lĂ©ments de langage des vrais convaincus que la Terre est un disque, mais on rit devant la gestuelle, le ping-pong verbal et les exagĂ©rations bien senties. «âNous avons Ă cĆur de garder lâĂ©nergie et la fraĂźcheur qui font la particularitĂ© de ce formatâ», insiste Philippe Sandmann. Son personnage donne le ton de lâĂ©mission. Pas Ă lâabri dâune contradiction entre les valeurs quâil dit dĂ©fendre et son mode de vie, il a le verbe haut et la moquerie facile. Immanquablement affublĂ© dâune cravate de guingois, il assure le lien entre les diffĂ©rentes sĂ©quences. Personnages rĂ©currents, doublages humoristiques de films, parodies et micros-trottoirs passent sur le gril toutes les grandes questions de sociĂ©tĂ© pendant 26 minutes. Si lâon devait donner nos propres favoris, on citerait parmi dâautres le rappeur 50-Pfand et sa version bio du Candy shop de 50-Cents, lâaccent français inimitable de Renaud Lombardi ou encore Cynthia, lâinfluenceuse qui parle peste noire et crimes de guerre pendant ses gommages. Mais le mieux reste de se faire sa propre idĂ©eâ!â» a
france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/ programmes/france-3_grand-est_sunndi-s-kater
«âTOUS LES SUJETS DONT ON PARLE SONT DâACTUALITĂ, MAIS NOUS LES TRAITONS AVEC UN DĂCALAGE QUE LA TRADITION DE LâHUMOUR ALSACIEN NOUS INSPIRE.â»
Philippe Sandmann assure la présentation de ce late-show en alsacien.
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Jeff Bezos
Terminus, les étoiles
Georges Bataille
AprĂšs Mark Zuckerberg et Elon Musk, penchons-nous sur le cas de lâun des pires patrons du monde (il a reçu un prix pour cela), qui a littĂ©ralement rĂ©volutionnĂ© le marchĂ© de la vente et bouleversĂ© nos comportements de consommation Ă grand renfort de rachats et dâexploitations, des employĂ©s comme de nos donnĂ©esâ: jâai nommĂ© Jeff Bezos. Pour lui, «âun point de vue vaut trente points de QIâ»⊠mais que vaut un libĂ©ralisme aveugleâ? Ăclairage de lâempire Amazon, du colis dans votre boĂźte aux lettres aux villes sur la Lune.
Comme toutes les grandes fortunes (la presse a utilisĂ© en 2018, pour la premiĂšre fois, le terme «âhectomilliardaireâ» pour le dĂ©signer), Jeff Bezos fascine. On le qualifie de perfectionniste, de visionnaire, de surdouĂ© Ă lâaudace sidĂ©rante, ce qui nâest somme toute pas fauxâ! NĂ© en 1964 et montrant trĂšs tĂŽt un attrait pour la technologie, le jeune Jeff quitte son Nouveau-Mexique natal pour aller Ă©tudier la physique Ă lâUniversitĂ© de Floride. Il y monte sa toute premiĂšre entreprise, le DREAM Institute et ses cycles de confĂ©rences payantes. Le programme «âmet lâaccent sur de nouvelles façons de penser dans un monde ancien.â»
Disruption et business, les principes de la dynamique bezosienne sont dĂ©jĂ en place. Ă lâĂąge de 22 ans, il sort diplĂŽmĂ© de la prestigieuse UniversitĂ© de Princeton et trouve un emploi en tant quâanalyste financier dans un fonds dâinvestissement new-yorkais, fonds dont il devient le vice-prĂ©sident Ă seulement 26 ans. Bezos saisit alors rapidement le potentiel encore balbutiant dâInternet et y voit lâoccasion de crĂ©er une nouvelle entrepriseâ: «âJâai appris que lâutilisation du web augmentait de 2â300 % par an. Je nâavais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et lâidĂ©e de crĂ©er une librairie en ligne avec des millions de titres â quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique â mâenthousiasmait vraiment.â»
Nous sommes en 1994, Jeff Bezos a 30 ans et Amazon est nĂ©. Commençant par lâobjet livre, le site se diversifie rapidement et devient le leader du commerce en ligne, la concurrence ne fait pas le poids.
GRADATIM FEROCITER
«âPas Ă pas, fĂ©rocementâ», voilĂ le motto de Jeff Bezos, câest ainsi quâil fera ployer tous les acteurs du marchĂ©. Si Amazon mettra six ans Ă ĂȘtre rĂ©ellement rentable, lâentreprise survivra Ă lâĂ©clatement de la bulle technologique de 2000 pour finir furieusement boostĂ©e par la pandĂ©mie du Covid. La recette du succĂšs selon Bezos repose avant tout sur lâĂ©coute du client et sa satisfaction, Ă cela sâajoute une rĂ©duction drastique des coĂ»ts ainsi quâune vĂ©ritable pressurisation des fournisseurs, sommĂ©s dâappliquer des marges toujours plus faibles. Client heureux, rentabilitĂ© maximale mais aussi patience olympienne font dâAmazon un adversaire redoutable. «âNous savons que si nous arrivons Ă obtenir que lâattention de nos concurrents soit concentrĂ©e sur nous pendant que la nĂŽtre
AurĂ©lien Montinari Daniel Oberhaus â NASA â Wikipedia Commons
S ACTUALITĂ â PORTRAIT
114 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
«âLe sacrifice arrache la victime au monde de lâutilitĂ© et la rend Ă celui du caprice inintelligible.â»
est centrĂ©e sur nos clients, en dernier ressort, câest Ă nous que cela profitera.â» Le bonheur du client, quitte Ă pratiquer une concurrence dĂ©loyale (on se souvient de la panique des libraires au dĂ©but des annĂ©es 2000) et Ă exploiter ses employĂ©s. Car Amazon, derriĂšre la vitrine virtuelle et le petit panier en haut Ă droite, câest aussi et surtout une image dâemployeur cynique, qui impose des conditions de travail exĂ©crables dans des entrepĂŽts gigantesques (certains font lâĂ©quivalent de quatorze terrains de football) Ă la surveillance automatisĂ©e impitoyable et aux salaires au rabais. Pour se faire une petite idĂ©e de la notion de rĂ©duction des coĂ»ts selon Amazon, citons lâenquĂȘte du quotidien anglais The Sun rĂ©vĂ©lant que les pauses-pipi trop longues Ă©taient dĂ©comptĂ©es des salaires, obligeant les employĂ©s des entrepĂŽts (aux toilettes parfois Ă©loignĂ©es de dix minutes) Ă se soulager⊠dans des bouteilles en plastiqueâ! On saisit ici la fĂ©rocitĂ© du management.
SON SUCCĂSâ? VOS DONNĂESâ!
Pourtant, Amazon, il faut le savoir, ce ne sont de loin pas que des produits alignĂ©s dans des entrepĂŽts attendant notre commande, ce sont aussi des services avec, par exemple, Amazon Prime, un service de vidĂ©o Ă la demande qui compte 100 millions dâabonnĂ©s, mais aussi Amazon Games qui dĂ©veloppe ses propres jeux vidĂ©o, ou encore Prime Air, le service de livraison par drone encore en phase de test. Câest Ă©galement Amazon Web Services (AWS), la plus grande plateforme de cloud computing, des serveurs informatiques appartenant Ă Amazon qui loue ainsi du stockage Ă dâautres grandes entreprises comme Spotify, Facebook, Netflix ou⊠la CIAâ! Ă ces diversifications sâajoutent les nombreux investissements de Jeff Bezos dans les mĂ©dias (Washington Post), les rĂ©seaux sociaux (Twitch), lâimmobilier (Airbnb), les transports (Uber), la data (IMDB) ou encore la robotique (Kiva Systems devenu depuis Amazon Robotics, pour des employĂ©s sans vessie). La liste est sans fin, Jeff Bezos fait main basse sur tous les domaines.
On en oublierait presque Alexa, lâintelligence artificielle made in Amazon, prĂ©sente dans plus de 20â000 produits connectĂ©s (soit 50 millions dâappareils en service). De la camĂ©ra de surveillance aux serrures de maison en passant par la voiture et toute la batterie Ă©lectromĂ©nagĂšre, lâIA est partout, rĂ©pondant Ă vos dĂ©sirs,
«âLa recette du succĂšs selon Bezos repose avant tout sur lâĂ©coute du client et sa satisfaction, Ă cela sâajoute une rĂ©duction drastique des coĂ»ts ainsi quâune vĂ©ritable pressurisation des fournisseurs.â»
115 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
LâĂ©vĂ©nement, prĂ©vu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas Ă lâagenda officiel du prĂ©sident de la RĂ©publique et nâa Ă©tĂ© suivi dâaucun communiquĂ©. Le 16 fĂ©vrier dernier, au Palais de lâElysĂ©e, alors que les Français manifestaient en nombre contre la rĂ©forme des retraites, Emmanuel Macron dĂ©corait trĂšs discrĂštement Jeff Bezos de la LĂ©gion dâHonneur. (Information parvenue quelques heures avant notre bouclage)
mais glanant Ă©galement au passage des tonnes dâinformations sur vos comportements. Gagnant toujours plus en pertinence et en autonomie, câest sur elle que repose le dĂ©veloppement du systĂšme de commande prĂ©dictive (Alexa sait avant vous ce quâil vous faut) et câest aussi sur elle que compte Jeff Bezos pour Ă©tendre son empire par-delĂ les Ă©toiles.
LIVE LONG AND PROSPER
Comme tout milliardaire mĂ©galomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut Ă©videmment pas se contenter de rĂ©gner sur un empire terrestre, il lui faut Ă©galement dominer lâespace, cette Final Frontier pour reprendre le titre dâun film de la sĂ©rie Star Trek dont Bezos est un grand fan. Pour ce faire, lâentrepreneur a créé en 2000 la sociĂ©tĂ© Blue Origin. Moteurs, fusĂ©es, capsules, atterrisseurs, câest toute une armada de technologies innovantes que dĂ©veloppe la firme Ă la plume bleue, si bien que cette derniĂšre a dĂ©sormais le soutien de la NASAâ! Jeff Bezos a ainsi mis au point des fusĂ©es rĂ©utilisables (afin de rĂ©duire les coĂ»ts)â: New Shepard, qui devrait servir le business du tourisme spatial (comme si lâhumanitĂ© avait besoin de plus de photos prises dâun hublot) et New Glenn, censĂ©e, elle, porter plus loin que la trajectoire suborbitale, direction la Lune (rien que ça) oĂč lâatterrisseur Blue Moon devrait permettre le dĂ©barquement et lâinstallation de matĂ©riel, avec pour objectif dây dĂ©ployer des industries lourdes permettant Ă leur tour des voyages spatiaux vers des destinations
plus lointaines (sous la surveillance bienveillante dâAlexa). MĂȘme ambition quâElon Musk, celle dâune conquĂȘte toujours plus lointaine, marque immuable dâune histoire parallĂšle, qui ne concerne que ces mĂ©galomanes au pouvoir dâachat si extravagant quâils sâoffrent les outils du changement de la condition humaine toute entiĂšre. Jeff Bezos est dâailleurs allĂ© jusquâĂ se payer, lâannĂ©e derniĂšre, un autre rĂȘve de gosse, celui dâenvoyer lui-mĂȘme dans lâespace William Shatner, lâacteur incarnant le capitaine Kirk dans Star Trek (quand on vous dit que Jeff est fanâ!), pauvre papy de 92 ans qui atterrira sain et sauf, mais complĂštement hagard aprĂšs son aller-retour Ă plus de 100 km au-dessus de la Terre, une expĂ©rience quâil qualifiera dâenterrementâ: «âdans lâespace, il nây avait aucun mystĂšre, aucune crainte majestueuse Ă voir⊠tout ce que jâai vu, câest la mort.â» Cette Ă©piphanie sera malheureusement gĂąchĂ©e par un Jeff hystĂ©rique qui arrosera le vieux monsieur de champagne Ă peine sorti de la capsule⊠Le malaise est rĂ©el (la vidĂ©o est accablante) et surtout profond car il exprime lâimmense dĂ©calage entre une humanitĂ© sensible et une minoritĂ© de figures complĂštement dĂ©centrĂ©es, dĂ©lirantes et auto-portĂ©es par lâargent et la mĂ©galomanie.
«âTravaillez dur, amusez-vous, Ă©crivez lâhistoireâ», le slogan dâAmazon sonne plus martial quâinspirant. Qui travaille, et pour quiâ? Quand est-ce que ces travailleurs sâamusentâ? Surtout, qui est en train dâĂ©crire lâHistoire Ă la premiĂšre personne du singulierâ? S
«âComme tout milliardaire mĂ©galomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut Ă©videmment pas se contenter de rĂ©gner sur un empire terrestre, il lui faut Ă©galement dominer lâespace.â»
La fusée New Shepard La capsule New Shepard
â48 â Mars 2023 â Retour 116 S ACTUALITĂ
Maria Pototskaya
Moutons explosifs Mari in Borderland
«âJe suis Kharkivâ», «âZaporijiaâ», «âKyivâ».
Câest ainsi, pour une raison qui mâĂ©chappe encore partiellement, que nous nous sommes prĂ©sentĂ©s quand Dominique et Daniel, nos deux enseignants en langue française du FossĂ© des Treize, nous ont demandĂ© dâinscrire notre nom sur une feuille de papier pliĂ©e en deux, afin de faciliter la communication entre nous. Cette appropriation gĂ©ographique nâaurait sans doute pas dĂ©plu Ă Ălex Pina, le crĂ©ateur de La Casa de Papel et au «âProfessorâ».
Assez rapidement, Saint-PĂ©tersbourg sâest ajoutĂ© au groupe. Serait-il venu nous sauver jusque dans notre ville refugeâ? Non, lâhomme, dâune cinquantaine dâannĂ©es, fuyait simplement la mobilisation, en nous assurant quâil Ă©tait contre la guerre en Ukraine. Câest fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de lâapathie au don de soi. Convaincu, par son dĂ©douanement, dâĂȘtre lâun des nĂŽtres, son naturel reprit toutefois vite le dessus. AprĂšs une ou deux semaines, Saint-PĂ©tersbourg nâhĂ©sitait plus Ă se mouvoir en second sauveur : «âMets-toi avec moiâ! Je peux complĂštement changer ta vieâ!â», sâest-il ainsi approchĂ© de moi avec toute lâĂ©lĂ©gance dâun Russe dĂ©complexĂ©. «âMerci, mais ton pays a dĂ©jĂ complĂštement bouleversĂ© ma vie, le 24 fĂ©vrier 2022â», me suis-je retenue de lui rĂ©pondre. Me voyant deux cours de suite avec le mĂȘme jeans et le mĂȘme pull
bleu, Saint-PĂ©tersbourg ne put non plus sâempĂȘcher de me lancer : «âCe pull, câest ton nouveau chez-toiâ?â» Jâavoueâ: le noyer dans un Borsh mâa dĂ©mangĂ© un instant. Ces anecdotes nâont pas vocation Ă dĂ©nigrer les Russes. Elles existent, câest tout. NĂ©e avant lâindĂ©pendance de lâUkraine, je suis moi-mĂȘme russophone et ai de la famille en Russie. Mais nos deux mondes sont dĂ©sormais devenus parallĂšles. Lâun, pro-EuropĂ©en, dĂ©sireux dâavancer vers la paix et la dĂ©mocratie, malgrĂ© lâhorreur du momentâ; lâautre, inqualifiable quant Ă ses dirigeants, au mieux dĂ©connectĂ© pour ses citoyens.
«âI CANâT RELAX !â»
«âI canât relax!! Te rends-tu compteâ?! Ils nous bombardentâ!â», mâa ainsi confiĂ©, affolĂ©e, les pieds dans lâeau de son hĂŽtel spa de CrimĂ©e occupĂ©e, une amie dâenfance russe. Celle-lĂ mĂȘme
S ACTUALITĂ â COMMUNICATION
118 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Maria Pototskaya est une journaliste ukrainienne réfugiée à Strasbourg à qui Or Norme souhaite la bienvenue dans notre rédaction.
qui me qualifiait dâaffabulatrice quand je lui indiquais, au dĂ©but de la guerre, que son pays nous attaquait. Que ses soldats pillaient, violaient, tuaient des civils. «âCâest horribleâ! Ils ont gĂąchĂ© mes vacancesâ!â» IntĂ©rieurement, jâai ri. Jâen ris dâailleurs encore aujourdâhui, tant cet appel est Ă la fois surrĂ©aliste et significatif de ce que sont devenus nos voisins, jusque dans nos propres familles binationales. «âNe tâinquiĂšte pas. Continue Ă te dĂ©tendre, tout va bien. Tout ceci nâest encore que pure propagande ukrainienneâ», ai-je faussement cherchĂ© Ă la rassurer, avec cet humour noir de survie qui nous caractĂ©rise depuis un an. Se «ârelaxerâ»... Elle, qui ne manque pas dâafficher sa fiertĂ© face Ă lâimpatience quâĂ son Ă©poux Ă rejoindre le front pour nous «âsauverâ»â! Elle, qui mâannonce, tout aussi fiĂšrement, que son propre fils est dĂ©jĂ en route avec son rĂ©giment, et qui sâen remet Ă mes parents, dont les
loisirs se résument désormais à jouer à saute-moutons explosifs, pour veiller sur lui quand il apparaßtra dans les rues de Zaporijia.
VAMPIRE DIARIES
«âMoutonsâ», parce que je ne peux mĂȘme pas/plus prononcer le mot «âbombeâ». Chaque soir, ces moutons, je les compte depuis Strasbourg, avant que ma couette alsacienne ne mâoffre le luxe dâune pause animaliĂšre... lorsque les vibrations de mon smartphone, saturĂ© dâalertes et de vidĂ©os dâamis rĂ©veillĂ©s par le troupeau, ne mâen extirpent. «âMoutonsâ», parce que cela a quelque chose dâun peu plus lĂ©ger, sans pouvoir jamais effacer le poids de notre rĂ©alitĂ©. Un peu Ă lâimage de cette discussion entre deux personnages de la saison 3 de Vampire diariesâ: «âDis-moi que ce nâest pas une bombeâ!â» «âBienâ: ceci est un chaton. Un merveilleux chaton explosifâ»⊠S
«âCâest fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de lâapathie au don de soi.â»
119 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Rituel beauté
Rites, rituels, routine, ces mots sont devenus omniprĂ©sents dans le quotidien. Il y a des rituels pour tout et tout peut devenir rituelâ: rituels Ă©nergĂ©tiques, nouveaux rituels pour une peau fraĂźche, rituels pour accueillir la pleine lune⊠Avec moults conseils de gens avisĂ©s pour nous aider Ă Ă©tablir les nĂŽtres propres. Tout cela a-t-il un sens ou cet article est-il dâune vacuitĂ© insondableâ?
Disons-le dâemblĂ©e, le terme rituel, Ă travers les exemples citĂ©s Ă lâinstant, a Ă©tĂ© Ă©vidĂ© comme bien dâautres de sa substance jusquâĂ ĂȘtre euphĂ©misĂ© dans des gestes qui ne se signalent que par leur rĂ©pĂ©tition. Bien entendu, on glosera sans fin sur les bienfaits inouĂŻs que procurent la mĂ©ditation de pleine conscience ou le fait de se lever une heure plus tĂŽt chaque matin pour se brosser les cheveux (exemples vĂ©rifiĂ©s dans les magazines fĂ©minins les plus sĂ©rieux qui soient). Et puis rituel, ça fait plus chic que manie ou turlutaine. Câest dâailleurs le nom, en version anglaise, dâune enseigne de cosmĂ©tiques et produits raffinĂ©s pour la maison (hanâ! tellement classe) qui vont sublimer votre peau et votre intĂ©rieur. Câest bien connu, ce qui fait du bien Ă lâintĂ©rieur se voit Ă lâextĂ©rieur.
On se rapprocherait un peu du sens initial avec les mirifiques trois, ou cinq, ou sept rituels magiques pour sâinitier Ă la sorcellerie, voire devenir soi-mĂȘme une sorciĂšre, un soir oĂč lâon nâaurait rien dâautre Ă faire.
Mis Ă part ces attrape-couillon·nes qui feraient prendre renard pour martre, il est un autre domaine dans lequel le rituel vient de faire son apparition, celui de lâentreprise. Dans un rĂ©cent ouvrage1, deux auteurs inspirĂ©s entendent «âredonner du sens au collectifâ». Noble projet que je suis le premier Ă applaudir des deux mains. Ils se sont dâailleurs donnĂ© les moyens de bien faire les choses. Une partie sur les rituels et leur importance, une autre sur leur place dans lâentreprise, une Ă©tude de cas et des fiches pratiques (câest bien les fiches pratiques parce que câest pratique). Parmi celles-ci, jâavoue humblement que malgrĂ© tous mes efforts, je nâarrive pas Ă choisir celle qui me plaĂźt le plus. Jugez de ma peine, comment se passer de «âLa mĂ©tĂ©o des Ă©motionsâ», de «âLa vendange des erreursâ» ou de «âLa cabane
S ACTUALITĂ â LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD Thierry Jobard DR
120 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
des partagesâ»â? Sans parler du «âVoyage du hĂ©rosâ», ni du «âPuzzle de la visionâ» ou bien encore du «âMeeting des gratitudesâ» (je lâaime beaucoup celui-lĂ ). Je ne parle mĂȘme pas de «âLâarbre totĂ©miqueâ»⊠Un vrai jardin des dĂ©lices.
Et puis, il faut croire au pouvoir des mots, je trouve que câest important. Et moi il y a des choses qui me touchent, câest ainsi. Je vous cite simplement les premiĂšres phrases, pour le plaisirâ: «âCe livre est un grand sourire. {dĂ©jĂ je fonds} Nous lâavons Ă©crit dans la joie dâapporter une merveilleuse nouvelle Ă lâentreprise. {JĂ©sus revientâ?} Il existe en effet une discipline simple et gĂ©nĂ©reuse capable de transformer la vie de lâentreprise en lui apportant un trĂ©sor de nouvelle valeur. (âŠ)
Il sâagit des rituelsâ». Câest-y pas beautifulâ? Cet Ă©lan, cette conviction, cette gĂ©nĂ©rositĂ©. Câest bien simple, jâen ai les yeux embuĂ©s de larmes. De rire.
SI TOUT EST RITUEL, PLUS RIEN NâEST RITUEL
On reconnaĂźt le ton et les lieux communs du dĂ©veloppement personnel, qui marche main dans la main avec le management. Tous ces bons sentiments qui dĂ©goulinent dans la bienveillance et lâautosatisfaction replĂšte. Ainsi de la fiche pratique dite des «âJardiniers du changementâ» que je ne peux rĂ©sister au plaisir de citer (Ă moins quâil ne sâagisse dâun habile stratagĂšme pour gagner de la place, ce que le rĂ©dacteur en chef dâOr Norme apprĂ©ciera). Ses objectifs sont de «âtravailler la nutrition des idĂ©es en Ă©quipe afin de bien comprendre la diversitĂ© des apports nĂ©cessaires, comme les dimensions cognitive, Ă©motionnelle, etc. dans la qualitĂ© des solutions Ă apporter. Il aide Ă©galement Ă muscler lâĂ©coute sociĂ©tale et le travail des correspondancesâ». Je ne suis pas certain de tout comprendre, sans doute nâai-je pas suffisamment nutritionnĂ© mes idĂ©es...
Nonobstant, on voit que les auteurs se donnent du mal pour bien faire. Et pour cause. Ă travers tout ce fatras, quel est lâenjeuâ? Celui qui turlupine managers, salariĂ©s, leaders (qui se doivent dâavoir des visions, pardon, une vision)â: trouver du sens au travail. Câest Ă cela que ces rituels dâentreprise doivent aussi servir in fine. Mais pas seulement. Avant dâaller plus loin, il importe de dĂ©finir ce quâest un rituel. Longtemps lâapanage des ethnologues qui les observaient au sein des peuples dits «âprimitifsâ», lâĂ©tude des rituels est devenue Ă©galement affaire de sociologues lorsque lâon sâest avisĂ©, Ă la fin du siĂšcle prĂ©cĂ©dent, quâils nous concernaient tout autant. Les mariages ne sont-ils pas des rituelsâ? Mais Ă©galement les commĂ©morations (avec dĂ©pĂŽt de gerbe), les enterrements de vie de jeune fille (dĂ©pĂŽt de gerbe itou), les dimanches dâĂ©lection, ou les matchs de foot pour les supporters, voire le barbecue entre amis. Mais si tout est rituel, plus rien nâest rituel.
Ătymologiquement, dâaprĂšs BenvĂ©niste, rite et ordre partagent la mĂȘme racine indo-europĂ©enneâ: rta , arta , dĂ©signant lâordre du monde et des hommes entre eux. Le latin ritus dit ce qui est ordonnĂ©, ce quâil faut faire, comme le kar du sankritâ: faire. Les rituels servent le rite. Toute la tradition ethnologique et sociologique (Durkheim, Mauss, LĂ©vi-Strauss, Mead, Goffman, Bourdieu) sâest intĂ©ressĂ©e Ă la question rituelle. Avec des variations certes, mais qui peuvent se rĂ©sumer ainsiâ: leur rĂŽle est dâabord social puisquâils vont assurer la cohĂ©sion symbolique et Ă©motionnelle du groupe. Par ailleurs ils rĂ©partissent les rĂŽles sociaux, distribuent les tĂąches entre chacun et contribuent par lĂ mĂȘme Ă gĂ©nĂ©rer une identification et une projection dans lâavenir. Leur fonction est Ă©galement de rĂ©pondre aux grandes questions que se pose tout collectif humain sur la vie, la mort, le passage. Par lĂ mĂȘme,
«âĂ travers tout ce fatras, quel est lâenjeuâ? Celui qui turlupine managers, salariĂ©s, leaders (qui se doivent dâavoir des visions, pardon, une vision)â: trouver du sens au travail.â»
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ils assurent le dĂ©passement des crises et leur donnent du sens. Tout en gardant une marge de changement, ils assurent un rapport avec lâAutre, câest-Ă -dire le sacrĂ©. Par lâexpĂ©rience que vit chacun par et dans le rituel, par la façon dont il se lâapproprie subjectivement, il lui assigne une place au sein de la communautĂ©. Et ceci se fait dâabord par le corps qui respectera une chorĂ©graphie codifiĂ©e.
PLUS DE NORMES TRANSCENDANTES AU CORPS POLITIQUE
Bien entendu, plus rien de sacrĂ© dans les exemples contemporains que jâai pu citer. Le mariage mĂȘme ne reprĂ©sente plus ce quâil signifiait traditionnellement, Ă savoir lâentrĂ©e dans la vie adulte, le dĂ©but dâune vie sexuelle (morne) et la crĂ©ation dâune famille sous lâĂ©gide du Seigneur. Câest quâil nâest plus que lâĂ©cho, comme la plupart des autres rituels dâaujourdâhui, dâun monde culturel disparu avec la modernitĂ©. Participant du «âdĂ©senchantement du mondeâ»2, le rituel tel quâon lâentendait nâest plus. Il nâest plus puisque le collectif dans lequel il prenait son sens a disparu. Cette disparition est liĂ©e Ă la longue Ă©mergence dâun individualisme qui aujourdâhui a pour valeur cardinale lâautonomie. DĂ©sormais chacun choisit, ou pense choisir, tous les Ă©lĂ©ments de son existence, jusques et y compris ses croyances. Il piochera Ă droite Ă gauche dans ce qui sâoffre Ă lui sur ce marchĂ© (parce quâil y a aussi un marchĂ© des croyances) et combinera selon ses prĂ©fĂ©rencesâ: un peu de yoga (occidentalisĂ©), un peu de JĂ©sus, un peu de rĂ©incarnation. Ce que les sociologues des religions ont dĂ©nommĂ© un «âbricolageâ», Ă la suite de LĂ©vi-Strauss.3 Câest lĂ un effet pervers des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques pour lesquelles il ne doit plus y avoir de normes transcendantes au corps politique lui-mĂȘme.
Ă cela sâajoute la propension gĂ©nĂ©rale Ă la psychologisation sans reste de tous nos rapports sociaux ou politiques.
Qui plus est, ce qui diffĂ©rencie notablement les sociĂ©tĂ©s traditionnelles des sociĂ©tĂ©s modernes ou hypermodernes ou post-modernes, comme on voudra, câest la scission des sphĂšres politiques, sociales, privĂ©es et religieuses. Enfin notre rapport au temps est totalement diffĂ©rent. Les sociĂ©tĂ©s traditionnelles connaissent le changement, mais celui-ci est repris dans un cycle que le rituel doit justement perpĂ©tuer. Rien de semblable pour nous qui vivons dans un temps linĂ©aire et en
constante accĂ©lĂ©ration. 4 Vous le savez bien, on nâa jamais le temps de rien.
CâEST MIGNON, ĂA FAIT DU BIEN, MAIS ĂA NE CHANGE RIEN
Comme lâĂ©crit Danielle Hervieu-LĂ©ger, nos sociĂ©tĂ©s «âfont Ă©merger toutes sortes dâefforts tendant Ă susciter et Ă densifier la reprĂ©sentation rassurante dâun ânousâ dont on expĂ©rimente quâil sâeffiloche de toutes partsâ».5 Et câest ce nous que les rituels en entreprise voudraient rĂ©instaurer. Ce qui nâest pas une mince affaire puisque tout concourt par ailleurs Ă lâĂ©mietter. Le frĂȘle esquif voudrait remonter le puissant courant contraire alors que par ailleurs les carriĂšres sont individualisĂ©es, les salaires Ă©galement (par le biais par exemple des entretiens individuels dâĂ©valuation), et que les collectifs (syndicaux par exemple) sont de moins en moins vaillants. Et puis, tout Ă fait entre nous, nây a-t-il pas quelque chose de tout Ă fait dĂ©sespĂ©rant Ă attendre de lâentreprise quâelle nous explique le sens de la vieâ?
Peu ou prou, chacun considĂšre dĂ©sormais que câest Ă lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines. Ce qui est somme toute logique dans un systĂšme visant Ă installer une concurrence gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Ces simili-rituels ne sont sans doute que cela, la tentative vaine et touchante de vouloir ralentir le rythme de nos vies et de leur donner un petit supplĂ©ment non pas de sacrĂ©, mais, disons, de non-monnayable, ou presque. Câest mignon, ça fait du bien, mais ça ne change rien. Comme si lâon avait oubliĂ© que la libertĂ© se fout bien du confort et quâelle se conjugue dâabord au pluriel. S
1. Les rituels en entreprise, La nouvelle Ă©nergie de transformation, Makeba Chamry et Ădouard Malbois, Ă©ditions Eyrolles
2. ThĂšse de Max Weber, qui parle plus exactement de «âdĂ©magificationâ» du monde, reprise par Marcel Gauchet dans un livre Ă©ponyme.
3. Dans La pensée sauvage
4. Je vous incite dâailleurs, si ce nâest dĂ©jĂ fait, Ă lire AccĂ©lĂ©ration dâHartmut Rosa
5. in La modernitĂ© rituelle, LâHarmattan, 2004
«âPeu ou prou, chacun considĂšre dĂ©sormais que câest Ă lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines.â»
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«âRrrhhhaaaa, âncule un moutonâ» Moi Jaja...
Lui, une crĂȘte de coq façon punk, dressĂ©e sur le crĂąneâ: câest la derniĂšre image que Pouxit mâa offerte de lui en 2022. Ambiance Qatar, au plus prĂšs des oiseauxâ; du moins des gallinacĂ©s, Ă dĂ©faut dâalcidĂ©s â ma famille gĂ©nĂ©tique. Certes, sa crĂȘte nâĂ©tait pas roseâ: plutĂŽt tricolore, rĂ©partie Ă parts Ă©gales entre bleu, blanc, rouge, dans un esprit nihiliste, presque anti-social. Tout Ă revers des cris dâorfraie poussĂ©s par certains quand ils dĂ©couvrirent que confier un gigantesque Ă©vĂ©nement Ă un Ă©mirat peu soucieux des droits sociaux pouvait avoir quelques effets malheureux en termes de mortalitĂ© ouvriĂšre. 6â500â: le nombre de dĂ©cĂšs estimĂ©s «âdans des conditions proches de lâesclavageâ».
Un chiffre repris par Olivier Faure, rĂ©cemment réélu Ă la tĂȘte de la section francophone du musĂ©e des civilisations disparues, oĂč le parti socialiste trĂŽne dĂ©sormais Ă lâombre des sociĂ©tĂ©s Rapa Nui, Minoenne, Anasazis et Caral. Un pied de nez, aussi, Ă Petit Poney Rose qui promettait Ă lâissue du Conseil municipal du 26 septembre, que «âla Ville de Strasbourg ne diffuserait pas la Coupeâ», au motif que notre «âcapitale europĂ©enne ne peut dĂ©cemment cautionner ces maltraitancesâ». Un cri citoyen si bien entendu que, pour ne citer quâelle, la finale de la compĂ©tition a Ă©tĂ© suivie par 1,5 milliard de tĂ©lĂ©spectateurs, dont 24 millions en France, avec une part dâaudience exceptionnelle de 80 %.
Avec Tato, on a fait partie des 24, au moins pour compenser les affres dâune guerre en Ukraine que chacun suit en direct depuis un an, comme lâon regarde une sĂ©rie Netflix. Option pop corn Ă la clĂ©. Compassion, affliction, apprĂ©hension, indignation, indiffĂ©renceâ: toute la panoplie des Ă©motions y est passĂ©e. Loin des commentaires en tout genre, de cette guerre qui a rattrapĂ© mes 25 % dâailes natives, jâen suis arrivĂ© au stade ou je ne retiens avec Tato plus que lâespoir que nos amis et proches encore sur place lui survivent. Et quâun jour nos tĂ©lĂ©phones ne veilleront plus la nuit. Faire partie de ces 24 millions de sportifs en herbe nous a donc â sans pour autant nous dĂ©sintĂ©resser du sort des â Ă©tĂ© partiellement salutaire. Au moins quelques heures par semaine. Et nous a aussi permis de nous intĂ©resser
S ACTUALITĂ â MOI JAJA
124 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
Ă dâautres dĂ©bats de fin dâannĂ©e, parmi lesquels une certaine «âdifficulté⻠des services municipaux Ă lutter contre le «âdĂ©glaçageâ» des voies publiques.
GRAND NETTOYAGE DANS LâHĂMICYCLE
Ă ce propos, Pascale, Ă©pouse de lâun des membres du service de propretĂ© de la Ville, a tentĂ© dâexpliquer les causes de cette hausse subite et contrainte des auditions pour Holiday on Ice, Ă commencer chez les seniors qui avaient eu lâidĂ©e de se dĂ©confiner dâun non confinementâ: «âLa municipalitĂ© attend la derniĂšre minute pour les appelerâ», faisant rĂ©fĂ©rence Ă son Ă©poux. «âPar le passĂ©, dĂšs que le premier flocon apparaissait, tout le monde Ă©tait sur le pied de guerre (y compris certains adjoints). Comment voulez-vous que cela soit fait correctement quand on appelle les Ă©quipes quâĂ partir de 3h/4h du matin alors quâil neige depuis 23h et que tout est dĂ©jĂ gelĂ©â?â» Et Pascale dâappeler Ă un «âgrand nettoyage dans lâhĂ©micycle et/ou Ă apprendre Ă certains Ă©lus non alsaciens comment on gĂšre et vie avec la neige ici, en Alsaceâ». Cherchez quel animal politique dont les enfants aiment peigner la criniĂšre et vous trouverez qui cible Pascale.
Autre polĂ©mique, cette fois de ce dĂ©but dâannĂ©e, lâimpossibilitĂ© exprimĂ©e par plusieurs parents dâaccĂ©der Ă lâĂ©cole de leurs chĂ©rubins, faute de zones de dessertes, comme place du Temple neuf. Avec pour question lancinanteâ: «âIls font comment les gens qui ne vivent pas au centre-ville quand ils doivent rĂ©cupĂ©rer leurs enfants
en classeâ? Ils prennent un abonnement chez Parcusâ? Ils font les trajets en vĂ©lo cargo Ă©colo au lithiumâ?â»
Le Racing, lui, mon «âseul amourâ» aprĂšs tout ce qui vient avant, je me suis promis de ne pas en parler. En passer par le recrutement dâun Corse non insulaire passĂ© par la Moselle pour remplacer le remplaçant dâun Breton pour sauver lâAlsace rĂ©sume en une phrase la dĂ©tresse de mes amis Storcki.
FORMULE «âBIEN-ĂTRE VISUEL ET SĂCURITĂâ»
Par contre, la crainte de plus en plus affichĂ©e de certaines femmes de sortir le soir, depuis que la diminution de lâĂ©clairage public, cumulĂ©e Ă lâExtinction RĂ©bellion des enseignes lumineuses, fait loiâ: parlons-en. Parmi elles, ma propre Tata Anne â Tatanne de son petit nom. Pourtant experte en maniement dĂ©fensif de cadenas en U et, Ă ses heures perdues, cantatrice lyrique auprĂšs dâun public vĂȘtu de guĂȘtres bleues renforcĂ©es, Tatanne ne me cache plus son apprĂ©hension. «âTu vas te foutre de moi, Jaja, mais jâai peurâ». Face Ă son angoisse, je lui ai suggĂ©rĂ© de faire un courrier aux services municipaux. IdĂ©e simpleâ: solliciter une extension gĂ©ographique de la formule «âbien-ĂȘtre visuel et sĂ©curité⻠dont nous bĂ©nĂ©ficions depuis quelques semaines avec Tato, au coin de notre rueâ: le renforcement dâun Ă©clairage public alĂ©atoire par la pose dâun radar pĂ©dagogique lumineux... Ă 15 mĂštres du feu tricolore. Pour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage «âTatanne en dĂ©tresseâ» ne lui a
«âPour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage ne lui a inspirĂ© quâun long fou-rire atterrĂ©.â»
Jaja et les Storcki du Racing
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Jaja et le radar pédagogique lumineux
inspirĂ© quâun long fou-rire atterrĂ©, ponctuĂ© dâun «âtu dĂ©connesâ!? Ils ont vraiment fait çaâ??â» Oui.
LâEFFET DE GREEF
DerniĂšre solution pour se dĂ©placer sur le plan local â voiture, vĂ©lo ou marche nocturne nâoffrant visiblement pas consensusâ: notre RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, quand bien mĂȘme celui-ci ne serait guĂšre dâune grande utilitĂ© Ă Tatanne (notre directeur de la rĂ©daction en parle avec beaucoup de dĂ©tail dans ce numĂ©ro). Mais lâannonce officielle â un rĂ©seau «âlancĂ© sur les bons railsâ», selon les Ă©lus euromĂ©tropolitains et rĂ©gionaux rapidement transformĂ© en un vĂ©ritable «âfiascoâ» pour la presse et les usagers, la moitiĂ© des 810 trains supplĂ©mentaires promis pour le dĂ©but de lâannĂ©e ayant, semble-t-il, suivi le cheminement intellectuel de nombreux appelĂ©s russes Ă combattre sur le front ukrai nienâ: la dĂ©sertion.
La communication, il est vrai, est lâobsession premiĂšre des politiques, mais il est Ă©galement vrai quâelle frise parfois le ridicule, comme Ă lâoccasion de ces deux derniĂšres campagnes qui annonçaient triomphalement une forte hausse de la frĂ©quentation de lâaĂ©roport dâEntzheim ou de celle des Ă©quipements culturels de la Ville de Strasbourg. Dâexcellentes nou velles qui avaient de quoi ragaillardir mes petites ailes roses, avant que Tato ne me murmure sobrementâ: «âPar rapport Ă quelle pĂ©riode, tu saisâ? Parce que sâil sâagit de 2021, je te rappelle que les dĂ©placements Ă©taient restreints et les lieux de culture fermĂ©s au moins les sept premiers moisâ».
Je crois que câest Ă cet instant que mâest revenu ce sketch des Guignols de lâInfo que Tato mâavait prĂ©cĂ©demment partagĂ©â: celui oĂč Alain de Greef, incapable dâexpliquer lâhumour de Canal Plus aux membres du CSA, finissait par lĂącher un «âRrrhhhaaaa..., âncule un moutonââ». En y rĂ©flĂ©chissant bien, jâen arrive au point oĂč je ne serais plus surpris quâĂ dĂ©faut de parvenir Ă nous convaincre quâils ne sont pas depuis passĂ©s du cĂŽtĂ© des saltimbanques, nos Ă©lus et membres de leur(s) administration(s) nâen viennent Ă leur tour par nous lĂącher unâ: «ââncule un moutonââ». S
«âLa communication, il est vrai, est lâobsession premiĂšre des politiques, mais il est Ă©galement vrai quâelle
Jaja et le REME sans train
126 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
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128 S ACTUALITĂ â48 â Mars 2023 â Retour
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Certains marchĂ©s maĂźtrisent le changement avec virtuositĂ©. Lâaspiration Ă y parvenir, aussi. Le bien boire suit le rythme, doucement. Il y a une vingtaine dâannĂ©es, le vin sâachetait comme de la farine. Le consommateur se liait dâamour pour une marque â un domaine â oĂč il faisait bon sâapprovisionner. Aujourdâhui, lâachat dâune bouteille se rattache souvent Ă une consommation rapide, avec une recherche dâexpĂ©rience.
Lâartisan vigneron est un agriculteur qui doit gĂ©rer le travail des terroirs jusquâĂ la vente. Câest un mĂ©tier qui demande une certaine dĂ©votion, et qui apporte beaucoup de pression derriĂšre son bol de Kelloggâs. Lorsquâil crĂ©e une nouvelle cuvĂ©e, celle-ci se dessine avec un lot de rĂ©flexions, dâinvestissements, et un dĂ©filĂ© de saisons. On travaille dans la durĂ©e, affirme Laurent Scheidecker, vigneron Ă Mittelwihr, Ă©lu vigneron de lâannĂ©e en Alsace par le Guide Hachette 2023. Les nouveautĂ©s, ce sont les millĂ©simes. Et heureusementâ! Ce serait tellement triste que tous les millĂ©simes se ressemblent.
En France, lâlnstitut national de lâorigine et de la qualitĂ© (INAO) fixe un cahier des charges pour chaque appellation. On y trouve, entre autres, des rĂšglements associĂ©s Ă lâencĂ©pagement, la vinification, et le vieillissement. Ainsi, les
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Jappellations marquent lâunicitĂ© dâun environnement.
LâAlsace prĂ©sente des vins exotiques Ă son territoire. On valse nĂ©anmoins dans lâincomprĂ©hension au moment oĂč la frontiĂšre entre la nouveautĂ© et lâexcentricitĂ© prend le bord. Lorsquâon joue du coude avec un Riesling qui sent le Muscat. Parce que câest
spĂ©cial. Pendant ce temps, Ă la fromagerie, le ComtĂ© ne fricote pas avec le Beaufort. Le renouvellement et la remise en question sont honorables. La recherche dâune singularité â ou du moins, dâune certaine originalité â lâest tout autant. Mais si une bouteille relĂšve plus de la curiositĂ© que de typicitĂ© vis-Ă -vis son terroir, il serait pertinent dâen faire mention sur lâĂ©tiquette. Parce quâĂ force de chercher lâinsolite, on perd ce qui nous lie. Pendant ce temps, le consommateur nage dans le brouillard et continue de croire que lâAlsace, câest trop compliquĂ©.
Les meilleures bouteilles capturent un temps. Elles reflĂštent la profondeur et le dynamisme dâun lieu. Le vin, câest aussi un Ă©loge de la lenteur, oĂč la culture du changement et la quĂȘte dâamĂ©lioration sont douces. Indissociable de ses madeleines, Proust ajouterait certainement que le plaisir de lâhabitude est souvent plus doux encore que celui de la nouveautĂ©. E
SI UNE BOUTEILLE RELĂVE PLUS DE LA CURIOSITĂ QUE DE TYPICITĂ VIS-Ă-VIS DE SON TERROIR, IL SERAIT PERTINENT DâEN FAIRE MENTION SUR LâĂTIQUETTE.
132 E SOCIĂTĂ â48 â Mars 2023 â Retour
MUSIQUE
Emmanuel
THE FIREMAN Strawberries
Oceans
Ships Forest (techno)
Alors, pourquoi ne pas donner sa chance Ă un duo passĂ© assez inaperçu, en trois albums techno. Albums aujourdâhui quasi introuvables, et qui peuvent valoir une fortuneâ! Surtout que le duo en question a vraiment tentĂ© de faire carriĂšre, bien avant de former The Fireman. Il sâagit de⊠Ne soyez pas impatients, câest lĂ le sel de cette belle histoire⊠de fraises, qui ont leur importance.
Quand Strawberries Oceans Ships Forest est publiĂ© en 1993 on assiste depuis quelques annĂ©es Ă la vague Madchester, aux premiĂšres raves. Et nos deux apprentis DJ, Paul et Martin, prennent le pas du mouvement Ă la modeâ: tenter de mĂ©langer le rock et la musique Ă©lectronique. Ca tombe bien, les deux ont vaguement jouĂ© de la basse auparavant et ont eu lâun ou lâautre petit succĂšs. Paul a mĂȘme chantĂ©. Mais ici, câest la musique instrumentale avant tout. Ambiance 90âs avec tout ce que la dĂ©cennie proposera dâaventures entre la techno et les autres genres (rock, jazz) et de collages de sons. Il faut dire que Martin est un fan de dub, ce courant nĂ© des DJ britanniques qui ont pris lâhabitude, dĂšs la fin des 70âs, de ralentir au maximum et «âsalirâ» le reggae, pour aboutir Ă une musique de transe assez inĂ©dite.
En neuf instrumentaux trĂšs variĂ©s, The Fireman offre un condensĂ© de ce que sont les 90âs. Mais la volontĂ© du duo est vĂ©ritablement dâexplorer et de sâoffrir une bulle dâoxygĂšne. Pour, peut-ĂȘtre rĂ©utiliser ces sonoritĂ©s ailleurs, dans leur autre vie artistique. Ăventuellement pour trouver le succĂšs, enfinâ?
Il est peut-ĂȘtre temps de vous rĂ©vĂ©ler qui sont ces garnements terribles, ces jeunes pompiers (Fireman) du son, ces apprentis sorciers du DJing. Martin, plus connu sous le pseudonyme Youth, est le bassiste du groupe Killing Joke, fondamental depuis la fin des annĂ©es 70 dans la fusion entre rock, metal, punk et musiques Ă©lectroniques. Il a aussi produit quelques piĂšces pour, Dido, Marilyn Manson ou The Verve, ou un album pour Bananarama.
Quant Ă Paul⊠dans les annĂ©es 60, il a tentĂ© de percer avec un groupe de Liverpool, dans une taverne. Mais lâaventure a pris fin sur un toit de Londres. La lĂ©gende dit quâil serait mĂȘme mort avant, puis remplacĂ© par un sosie. Alors, il a dĂ©cidĂ© de vivre et laisser mourir, en ouvrant de nouvelles ailes, avec Linda, son Ă©pouse. Avant, donc, de devenir Dj.
Strawberry Oceans Ships Forest field forever, mister McCartney.
«âDis, on aimerait que tu nous prĂ©sentes des albums Or Norme, soit par leur essence, soit par lâartiste qui en est Ă lâorigineâ». Voici pour le brief de dĂ©part. Le pari, aussi.
The Firemanâ: Paul McCartney et Youth
134 a SĂLECTION â48 â Mars 2023 â Retour
Didierjean DR
FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.
Petite sĂ©lection tout Ă fait partisane de quelques cadeaux Ă faire et Ă se faire (mĂȘme en marsâŠ), juste façon de ne pas perdre nos trĂšs bonnes habitudes culturellesâ!
1KEXPOSITION
Le rire de Cabu
Câ est une superbe exposition qui sâannonce Ă lâAubette, dĂšs le 7 avril prochain. Elle donnera Ă voir une centaine de reproductions des dessins de Cabu, disparu il y a huit ans lors de lâattentat contre la rĂ©daction de Charlie Hebdo.
Avec la libertĂ© dâesprit qui le caractĂ©risait tant et les valeurs humanistes quâil a toujours soutenues, Cabu a portĂ© le dessin de presse au-delĂ de la simple case.
Ses dessins politiques sur tous les sujets Ă©taient les meilleures armes pour toucher les puissants et dĂ©fendre ceux quâils nâĂ©coutent plus.
En prÚs de 65 ans de carriÚre, ses caricatures hors pair ont montré les travers de chacun, illustres ou inconnus, apportant son regard sur la société française via ses
portraits Ă lâhumour corrosif et salutaire. Clou de lâexposition, une sĂ©lection inĂ©dite de dessins pour la section «âLe RĂ©gional de lâĂ©tapeâ». Cabu Ă©tait originaire de ChĂąlonsen-Champagne oĂč la DuduchothĂšque qui accueille ses dessins de jeunesse est installĂ©e depuis 2018.
Cette sĂ©lection prĂ©sentera une vingtaine de dessins de jeunesse et dâautres de lâĂ©poque de Charlie Hebdo, reportages et unes, sans concession sur Strasbourg et sa rĂ©gion. a
ExpositionLERIREDECABU
ouvertetouslesjoursde10hĂ 19h SalledelâAubetteplaceKlĂ©berĂ Strasbourg. Du7 avrilau1er maiprochainsâEntrĂ©egratuite.
a CULTURE â SĂLECTION SPECTACLES
VĂ©ronique Leblanc â Benjamin Thomas â Erika Shelly â Jean-Luc Fournier JoĂ«l Saget / AFP â Nicolas RosĂšs
â48 â Mars 2023 â Retour 136 a SĂLECTION
La derniĂšre carte de presse de Cabu.
du 7 avril au 1er mai 2023
Salle de lâAubette, Strasbourg â leriredecabu.com
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le mini-catalogue exclusif regroupant les meilleurs dessins de Cabu sur le Grand Est.
Partenaire de lâĂ©vĂšnement, le magazine Or Norme a le plaisir de vous partager un indice pour rĂ©ussir lâune des missions du jeu.
RepĂ©rez lâĂ©lĂ©ment qui vous intĂ©resse pour rĂ©aliser votre mission, puis partez sur les traces de Cabu en dĂ©couvrant ses Ćuvres aux 4 coins de Strasbourg !
EXPOSITION © V. Cabut
CABU OFFICIEL â SociĂ©tĂ© par actions simplifiĂ©e Ă associĂ© unique â 17 RUE DUPIN 75006 PARIS â R.C.S. Paris 814 228 300 Conditions et rĂšglement du jeu sur www.leriredecabu.com
EXPOSITION ĂVĂNEMENT CONCERT 1K 3K 2K
Câest un dessin dâune incroyable qualitĂ© que lâarchitecte de la cathĂ©drale Notre-Dame de Strasbourg, Johannes HĂŒltz, aurait rĂ©alisĂ© en 1419. Dâune taille de 2,05 m de long par 54 cm de large, câest le premier croquis connu de la flĂšche de la cathĂ©drale telle que ses anciens bĂątisseurs avaient prĂ©vu de la construire et qui est trĂšs diffĂ©rente de celle finalement Ă©difiĂ©e.
Le dessin a Ă©tĂ© achetĂ© 1,75 million âŹ, grĂące notamment Ă lâimportant mĂ©cĂ©nat du CrĂ©dit Mutuel (1,2 million âŹ), avec Ă©galement des financements de la SociĂ©tĂ© des amis de la cathĂ©drale de Strasbourg (250â000 âŹ), du ministĂšre de la Culture (200â000 âŹ) et de la Ville de Strasbourg (100â000 âŹ), aprĂšs plus de trois ans de nĂ©gociations. a
LedessinestactuellementprĂ©sentĂ© aupublicauMusĂ©edelâĆuvre Notre-Dame,uniquementlessamedi etdimanche,jusquâau23 avril.
En 1963, le GĂ©nĂ©ral de Gaulle et le Chancelier Adenauer signaient un traitĂ© de coopĂ©ration destinĂ© Ă sceller la rĂ©conciliation entre la France et la RĂ©publique FĂ©dĂ©rale dâAllemagne. Pour commĂ©morer cette rĂ©conciliation, Ă Strasbourg, et Ă Stuttgart, le ChĆur philharmonique de Strasbourg et lâOrchesterverein de Stuttgart vont unir leurs forces musicales pour que rĂ©sonne dans nos deux villes jumelĂ©es la priĂšre toujours renouvelĂ©e pour la Paix.
Ces deux ensembles associent dans le mĂȘme Ă©lan la NeuviĂšme symphonie de Ludwig Van Beethoven avec sa cĂ©lĂ©brissime Ode Ă la Joie et Dona nobis pacem du compositeur letton Peteris Vasks, nĂ© en 1945.
La rĂ©union de ces deux ensembles est le fruit de la rencontre de leurs chefsâ: Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger qui se partageront la baguette pour ces deux concerts exceptionnels. a
Une premiĂšre Ă Strasbourgâ! Les «âDĂ©toursâ» des BibliothĂšques IdĂ©ales organisent tout un weekend de rencontres sur le fĂ©minisme, les dĂ©bats quâil suscite dans notre sociĂ©tĂ© et les formes plurielles quâaujourdâhui il revĂȘt. Plus de quinze personnalitĂ©s, venues du journalisme, du monde universitaire, de la littĂ©rature viendront nous Ă©clairer sur ce sujet dĂ©sormais central du dĂ©bat publicâ: Ovidie, Edwy Plenel, Tristane Banon, Sonia Mabrouk, Michelle Perrot, MĂ©mona Hintermann, etc.
Tous les dĂ©bats se dĂ©rouleront Ă lâAubette, place KlĂ©ber. Ce week-end commencera par une rencontre exceptionnelle autour de lâimmense Colette, Ă lâheure oĂč nous cĂ©lĂ©brons le 150e anniversaire de celle qui accorda aux femmes une place inĂ©galĂ©e dans nos panthĂ©ons littĂ©raires comme dans nos imaginaires. a
Strasbourg
Un trĂ©sor national acquis par Strasbourg Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger pour la IXe de Beethoven Ă
et Stuttgart
rencontre
lâAubette
Le temps des féminismes Trois jours de
Ă
ĂStrasbourg,le14 avrilĂ 20h,Ă©gliseSaint-Paul ĂStuttgart,le15 avrilĂ 19h,Liederhalle ChoeurphilharmoniquedeStrasbourg 10rueduHohwald,Strasbourg contact@choeur-strasbourg.eu
SalledelâAubette,placeKlĂ©berĂ Strasbourg Les17,18et19 mars. EntrĂ©elibreetsansrĂ©servation 138 a SĂLECTION â48 â Mars 2023 â Retour
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Câest aussi un rĂȘve qui se rĂ©alise pour le pianiste rag&boogie SĂ©bastien
TroendlĂ© et sa compagne Tiffany Macquart. TrĂšs souvent invitĂ© aux USA pour jouer avec les meilleurs du genre, SĂ©bastien rĂȘvait depuis longtemps dâorganiser enfin Ă Strasbourg un festival qui rendrait hommage aux musiques et aux danses afro-amĂ©ricaines originelles et Ă toutes celles et ceux qui les ont créées en leur donnant vie sur scĂšne.
Deux samedis de masterclasses de piano les 22 et 29 avril et un week-end au programme grandiose les 12, 13 et 14 mai prochains (tremplins Jeunes Talents Ă lâIRCAD â concerts au Point dâEau Ă Ostwald le vendredi et le samedi, concert-brunch au ChĂąteau de PourtalĂšs le dimanche matin). Des artistes de renommĂ©e mondiale sont attendus pour cette premiĂšre Ă©dition. a
LIVRES 5K
Homme attachant et photographe de sport passionnĂ©, le Haguenauvien Karim Chergui a suivi le Racing-Club de Strasbourg et lâĂquipe de France durant trente ans.
«âTrente ans Ă parler foot, Ă vivre foot et Ă dormir footâ» comme il le dit joliment lui-mĂȘme. Il publie ses meilleurs clichĂ©s dans un livre grand format de prĂšs de 180 pages. Ses photos forment le feu dâartifice dâune belle passion. Elles donnent Ă©galement envie de retrouver trĂšs vite leur auteur au bord dâune pelouse ou au cĆur dâun Ă©vĂ©nement sportif⊠a
En 1993, Olivier Claudon avait 22 ans et conduisait un des camions du convoi Alsace-Sarajevo, lâun des plus grands convois humanitaires civils ayant empruntĂ© la route de la Bosnie durant la guerre civile qui faisait rage. La route de Sarajevo nâest pas un essaisouvenir de ce pĂ©riple, mais bel et bien un roman (le troisiĂšme de notre confrĂšre journaliste aux DNA). Et il est beau et passionnant de bout en bout, son roman, comme un road-movie Ă travers lâex-Yougoslavie ravagĂ©e par la guerre oĂč se croisent les miliciens, les civils pris dans lâĂ©tau de la folie humaine, les Casques bleus de lâONU et les humanitaires.
«âQuant Ă demain, il nâexiste plusâŠâ» dit un des personnages du livre. Cette phrase rĂ©sume toutâŠ
Comme toujours dans lâexcellente collection «âLâhistoire et un romanâ», le livre se termine par un Ă©clairage historique, rĂ©digĂ© par Marie Paret, diplomate spĂ©cialiste de lâEurope centrale et orientale. a
annĂ©es foot⊠Karim Chergui La route de Sarajevo Olivier Claudon MesannĂ©esfoot⊠KarimChergui, VADEMECUM Edition 30⏠LaroutedeSarajevo OlivierClaudon ĂditionsLaNuĂ©eBleue 21 âŹ
Mes
On The Mississipi,
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140 a SĂLECTION â48 â Mars 2023 â Retour
un nouveau festival est nĂ©â!
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LĂ oĂč les idĂ©es naissent et les projets grandissent.
Le club des partenaires
Merci aux partenaires Or Norme pour leur soutien.
LA GUERRE EN UKRAINE UN AN APRĂSâŠ
Peu de gens avaient prédit que la guerre russo-ukrainienne durerait aussi longtemps. La majorité des politologues pensaient que la guerre se terminerait à la fin de 2022, au plus tard en mars de cette année.
Les prĂ©dictions sur la fin de la guerre ont Ă©tĂ© faites dans deux directions. Soit une dĂ©faite militaire complĂšte de lâune des parties (une fin militaire), soit des dĂ©sastres politiques dans les pays en guerre (une fin politique).
La «âfin militaireâ» prolongerait la guerre. Parce que les ressources de la Russie, en particulier les ressources humaines, sont Ă©normes. Les autoritĂ©s russes autoritaires nâont aucune difficultĂ© Ă mobiliser les gens et Ă les envoyer au front. Lâapprovisionnement de la guerre en Ukraine dĂ©pend de ce que lâon peut appeler lâassistance illimitĂ©e des pays du bloc de lâOTAN. Sans cette aide, lâUkraine serait bien sĂ»r vaincue, mais lâaide du bloc de lâOTAN nâest pas seulement essentielle Ă la victoire de lâUkraine, câest aussi une question de sĂ©curitĂ© pour lâOccident. Il est donc impossible dâimaginer que cette aide soit supprimĂ©e.
La possibilitĂ© que la guerre prenne fin en raison de facteurs politiques Ă©tait plus probable en Russie. Les experts se sont penchĂ©s sur la santĂ© du prĂ©sident russe Vladimir Poutine, un scĂ©nario possible dâun coup de palais par des oligarques, des Ă©lites politiques ou militaires. Ces versions sont encore considĂ©rĂ©es comme dâactualitĂ© par beaucoup. Le fait est que la sociĂ©tĂ© russe est mĂ©contente de la guerre, et que ce mĂ©contentement ne cesse de croĂźtre. En mars 2022, le pourcentage de citoyens russes qui considĂ©raient quâil Ă©tait important de punir lâUkraine Ă©tait Ă son niveau
le plus Ă©levĂ©. Selon les rĂ©sultats dâun sondage fermĂ© menĂ© par le Kremlin, cet indicateur Ă©tait de 57 % en juillet. En novembre, il est tombĂ© Ă 25 %. 32 % des Russes en juillet et 55 % en novembre considĂ©raient les pourparlers de paix comme importants. Il convient toutefois de garder Ă lâesprit que le rĂ©gime autoritaire en Russie a Ă©tĂ© rendu encore plus strict en temps de guerre, de sorte quâil est peu probable que le mĂ©contentement populaire atteigne le niveau explosif qui pourrait menacer le rĂ©gime Poutine. Comme la plupart de ceux qui ont intĂ©grĂ© lâĂ©lite politique ou militaire ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s «âcriminels militairesâ», il est difficile de prĂ©voir que des rĂ©volutionnaires Ă©mergeront de cette base. Il est intĂ©ressant de noter que peu aprĂšs le dĂ©clenchement des hostilitĂ©s, les politologues russes ont commencĂ© Ă faire des prĂ©dictions selon lesquelles Zelensky serait Ă©vincĂ© du pouvoir en Ukraine, apparemment conformĂ©ment aux instructions du Kremlin. Il est Ă©galement probable que ces prĂ©dictions aient trouvĂ© leur chemin dans la presse europĂ©enne. Certes, au cours des premiers mois de la guerre, cette possibilitĂ© aurait pu ĂȘtre proche de la rĂ©alitĂ©, mais Ă mesure que les opĂ©rations militaires sâĂ©ternisaient, les perspectives dâun coup dâĂtat politique en Ukraine se sont rapidement affaiblies. Il y a plusieurs raisons Ă cela.
Les forces politiques pro-russes en Ukraine ont Ă©tĂ© intensifiĂ©es et neutralisĂ©es. Les saboteurs dĂ©ployĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ© russes sur le territoire ukrainien jusquâau dĂ©but de la guerre ont Ă©tĂ© et sont dĂ©masquĂ©s par les services spĂ©ciaux ukrainiens.
Deux mois seulement aprÚs le début
de la guerre, lâun des plus proches amis de Poutine, Viktor Medvedchuk, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en Ukraine. Il devait ĂȘtre la principale figure et le principal sponsor du chaos politique que le Kremlin pouvait planifier en Ukraine. AprĂšs son arrestation par les services de sĂ©curitĂ© ukrainiens, on peut dire que le plus grand rĂ©seau de sabotage russe sur le territoire de ce pays a Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©. Les faits prouvent que malgrĂ© la guerre prolongĂ©e en Ukraine, la cote du parti au pouvoir et du prĂ©sident Zelensky lui-mĂȘme a atteint des niveaux records. Dans des sondages rĂ©alisĂ©s en novembre 2022, 98 % des Ukrainiens ont dĂ©clarĂ© quâils ne doutaient pas que la guerre se terminerait par une victoire, et 91 % ont soutenu le prĂ©sident Zelensky. Un autre fait intĂ©ressantâ: Dans le sondage dâopinion «â100 Ukrainiensâ» de janvier 2023, le prĂ©sident Zelensky se classe deuxiĂšme, juste derriĂšre Taras Shevchenko (considĂ©rĂ© comme le «âShakespeare ukrainienâ»).
Dans le mĂȘme temps, les autoritĂ©s politiques ukrainiennes et le prĂ©sident Zelensky ont rĂ©ussi Ă obtenir un soutien international considĂ©rable et la sympathie du public.
Par consĂ©quent, il est plus proche de la rĂ©alitĂ© dâattendre uniquement des rĂ©sultats militaires de la guerre russoukrainienne. a
Or Champ est une tribune libre confiĂ©e Ă une personnalitĂ© par la rĂ©daction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle nâengage pas la responsabilitĂ© de la rĂ©daction de la revue mais la seule responsabilitĂ© de son signataire.
OR CHAMP
Par Ganimat Zahid, journaliste et écrivain azerbaïdjanais en exil politique à Strasbourg (lire son interview dans Or Norme n°45 de juin 2022)
143 a OR CHAMP â48 â Mars 2023 â Retour
Directeur de la publication
Patrick Adler 1 patrick@adler.fr
Directeur de la rédaction
Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr
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Jessica Ouellet 12
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MARS 2023
Photographie
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Sophie Dupressoir 16
Zoé Forget
Alban Hefti 17
Yann Levy
Abdesslam Mirdass 18
Vincent Muller 19
Caroline Paulus 20
Nicolas RosĂšs 21
Contactâ: contact@ornorme.fr
Ce numĂ©ro de Or Norme a Ă©tĂ© tirĂ© Ă 15â000 exemplaires
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N°ISSNâ: 2272-9461
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Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com
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BIS 34 RUE THOMANN 67000 STRASBOURG TĂL : 03 90 22 19 23 P R Ă T Ă P O R T E R / C H A U S S U R E S / S A C S F E M M E / H O M M E U L T I M A M O D E C O M G U C C I âą P R A D A âą V A L E N T I N O âą D I O R âą G I V E N C H Y âą C E L I N E âą C H L O Ă âą B A L E N C I A G A âą F E N D I âą S A I N T L A U R E N T âą S T E L L A M C C A R T N E Y âą D O L C E G A B B A N A âą I S A B E L M A R A N T âą B A R B A R A B U I âą I R O âą P A T O U âą K A R L L A G E R F E L D âą M O N C L E R âą D S Q U A R E D 2 âą S T O N E I S L A N D âą M A I S O N K I T S U N Ă âą B L U E S K Y I N N O F F I C I N E G Ă N Ă R A L âą B U R B E R R Y âą Z I M M E R M A N N âą S E R G I O R O S S I âą T H E A T T I C O âą J I M M Y C H O O âą T O D â S âą H O G A N âą S T U A R T W E I T Z M A N âą C A S A D E I âą G I U S E P P E Z A N O T T I âą A S H âą C L E R G E R I E âą U G G
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