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Autopsie d’un raté
by Or Norme
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est
Avant de parler du véritable fiasco qu’a été son lancement début décembre dernier, peut-on tout d’abord vous demander de nous rappeler l’historique complet du projet de Réseau Express Métropolitain Européen, le REME ?
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Vice-président de la Région Grand Est, le maire d’IllkirchGraffenstaden a hérité en novembre dernier de la responsabilité du « transport et des mobilités durables » (sa délégation officielle) des portes de la Champagne près de Paris jusqu’aux rives du Rhin. Et c’est bien sûr le dossier catastrophique du REME bas-rhinois qui a mobilisé l’essentiel de son temps ces derniers mois…
Tout a été initié lors du Grenelle des Mobilités en 2018. Cette initiative est née des idées conjuguées de deux présidents de Collectivités publiques, Jean Rottner pour la Région Grand Est et Robert Hermann pour l’Eurométropole de Strasbourg. Beaucoup de propositions en matière de transport régional avaient émergé de cette initiative, mais c’est bien le Réseau Express Métropolitain Européen, le REME, qui était la plus ambitieuse pour répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées sur l’agglomération de Strasbourg. On avait alors constaté qu’il y avait sur l’ensemble de la métropole beaucoup de gares qui pouvaient être réactivées pour parvenir à un réseau express semblable à l’esprit du RER parisien, c’est-à-dire un trafic à une fréquence très régulière permettant à l’usager de ne plus trop se soucier de l’horaire de son prochain train puisqu’il sait qu’il sera automatiquement dans le prochain quart d’heure, du moins est-ce l’objectif que nous visions. Le tout sur une amplitude allant de 5 heures du matin à 23 heures et qui concerne aussi le samedi et le dimanche. Le grand plus du système imaginé depuis 2018 était aussi la mise en place de trains « diamétralisés » comme les spécialistes les appellent et qui, dans le cas du REME, peut s’illustrer par le cas d’un train partant de Saverne et se rendant à Sélestat, et inversement, sans aucune rupture de charge en gare de Strasbourg. Plus besoin de changer de train dans la capitale alsacienne… À cette ligne directe pourraient s’en ajouter d’autres pour, qu’à terme, la gare de Strasbourg ne soit plus qu’un point d’arrêt comme un autre et non un terminus comme cela a toujours été précédemment le cas. Tout pour faciliter le voyage, donc… Dès l’élaboration de ce projet global ambitieux, tout un travail a été mené entre la Région, l’Eurométropole et la SNCF, qui était l’opérateur unique. Les deux filiales séparées, SNCF Voyageurs et SNCF Réseau étaient dans le tour de table. Il en était de même pour une troisième filiale, SNCF Gares et Connexions, car il fallait bien sûr gérer les escales et le trafic, notamment concernant le nœud essentiel qu’est celui de la gare de Strasbourg. La SNCF s’est donc engagée formellement auprès des différentes collectivités pour rendre ce projet possible, moyennant évidemment le montant de la convention financière qui nous lie et qui représente à ce stade pas moins de 14 millions d’euros supplémentaires chaque année par rapport à l’investissement déjà consenti par la Région Grand Est…
On imagine que la Région Grand Est et l’Eurométropole de Strasbourg ont acquis au cours de ces derniers temps toutes les garanties nécessaires auprès de la SNCF…
À l’évidence. Pour ne parler que de cette dernière année, du mois de mai 2022 jusqu’au lancement du REME en décembre dernier, nous avons reçu plusieurs courriers cosignés par les deux principales filiales de la SNCF nous disant qu’il n’y aurait aucun souci, qu’elles seraient capables de tenir leurs engagements. Et parmi ces engagements, il y avait un point capital : depuis l’origine, la SNCF nous avait projetés dans cette idée que le REME pourrait bénéficier de 800 trains supplémentaires par semaine. Si la SNCF n’avait pas proposé ce chiffre, il me semble que nous nous serions parfaitement contentés de 300 ou 400 trains supplémentaires, quitte à répartir autrement les choses en les expliquant aux gens…
Aujourd’hui, il pourra peut-être sembler facile d’exprimer cette remarque, mais la vérité pousse à dire que beaucoup trouvaient ce chiffre de 800 trains supplémentaires presque « trop beau pour être vrai » comme le dit la sagesse populaire…
Personnellement, le vrai doute que j’ai eu dès que j’ai hérité de mon poste de viceprésident en novembre, et je me suis alors posé une kyrielle de questions à ce sujet, a été de réaliser tout de suite que sur un plan de transport adapté qui était celui de 2022, c’est-à-dire sans le REME, nous étions déjà quotidiennement en dessous de l’offre nominale que devait assurer la SNCF. En novembre, les grèves perlées chez les agents de la société ont entraîné nombre de retards importants et de suppressions de trains. Nombre d’associations d’usagers et de syndicats avaient alors fait part de leurs doutes concernant le bon fonctionnement du REME à compter du 11 décembre. Je pense que la SNCF a mis ensuite les bouchées doubles, car le jour du lancement, le dimanche, ça a globalement très bien fonctionné. De même le lundi. Le mardi, à part l’erreur humaine qui a provoqué l’incident d’un train trop long pour le quai d’accueil qui lui avait été attribué en gare de Strasbourg, et qui a donc déclenché le système d’alarme avec une belle pagaille à la clé, on a bien compris qu’on restait dans le globalement satisfaisant.
Les grosses difficultés ont commencé dès le mercredi, annulations, suppressions de train, d’importants retards un peu partout… La SNCF a expliqué ça par l’épisode neigeux de ce jour-là, tous les transports scolaires ayant été supprimés sur le périmètre régional. Ça pouvait alors paraître comme une explication sérieuse sauf que la neige n’a pas tenu. La semaine suivante, en pleine séance plénière du Conseil régional consacrée au vote du budget, la SNCF nous a prévenus qu’elle ne parviendrait pas à rétablir l’offre prévue et qu’elle proposait donc de mettre en place un plan de transport adapté pour les deux semaines de vacances. Avec le président Rottner, on n’était bien sûr pas du tout favorable à cette notion de plan de transport adapté, on nous avait fait une promesse, on avait signé un contrat avec une convention financière où on garantissait l’injection d’une très importante somme d’argent public à parité avec l’Eurométropole de Strasbourg. On a donc refusé la proposition de la SNCF, mais dès le lundi suivant, on a pu constater qu’elle n’y arrivait pas.
Nous étions donc placés devant le fait accompli. La veille du Nouvel An, après que nous ayons participé à une conférence en visio avec tous les acteurs de la SNCF, cette dernière nous a alors annoncé que ce plan de transport adapté allait être prolongé jusqu’en février 2023. Nous n’avons bien sûr rien validé, en accord avec nos principes largement exprimés d’autant que nous avions alors bien compris que leur nouveau plan de transport comportait la suppression de tous les trains omnibus desservant les petites gares pour permettre aux usagers de rejoindre Strasbourg, afin évidemment de privilégier les trains directs ou semi-directs. Une véritable aberration puisque l’engagement principal de nos deux collectivités portait justement sur une meilleure desserte des petites gares ! Nous avions retenu ce principe de base du RER parisien qui fait des trains directs une exception et la desserte de toutes les gares sur le parcours un postulat de base.
Avec Alain Jund au titre de l’Eurométropole, nous avons alors formellement convoqué la SNCF le 17 janvier dernier pour qu’elle nous fasse un véritable rapport