Retour l Or Norme #48

Page 1

LE MAGAZINE

D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG

b GRAND ENTRETIEN

DANIEL COHEN

« Il nous faudra par-dessus tout échapper à la solitude... »

Page 8

c DOSSIER

SNCF REME

L’incroyable fiasco

Page 16

№48 MARS 2023 RETOUR

a ACTUALITÉ RECOR

CŒUR BATTANT

Le centre qui rassure

Page 44

c CULTURE CENTRE POMPIDOU METZ Retour vers le futur

Page 90

Retour
CHÈRE AMIE BRASSERIE DE L’HÔTEL DES POSTES JE T’ÉCRIS CES QUELQUES LIGNES MA CHÈRE AMIE , POUR PARTAGER AVEC TOI LA JOIE VIVE QUI M’HABITE À L’IDÉE DE NOUS VOIR BIENTÔT À LA TABLE DE NOS CONFIDENCES. À TRÈS VITE ! 5 AV. DE LA MARSEILLAISE STRASBOURG - NEUSTADT 03 67 68 70 70 - CHERE-AMIE.FR
Salle
des colis - Hôtel des Postes - image d’archive issue de l’ouvrage : Post und Telegraphie in Strassburg (Els.) - Novembre 1899. Druck von der Elsässichschen druckerei & verlaganstalt (vorm G. Fishbach)

RETOUR

HERMANN HESSE,

Retour sur Ibn Khaldoun. On devrait toujours relire les Anciens.

Ibn Khaldoun (1332–1406), fut historien, philosophe, homme d’État, démographe et précurseur de la sociologie. Il vécut une période particulièrement troublée et il analysa son époque, mais aussi l’Histoire universelle et fut sans doute le premier historien à livrer une vision claire du processus qui mène un empire de sa naissance à sa chute.

Sa vie, son expérience et son érudition lui firent écrire : « Les temps difficiles créent des hommes forts. Les hommes forts créent les périodes de paix. Les périodes de paix créent les hommes faibles. Les hommes faibles créent les temps difficiles. »

Le désenchantement du monde d’aujourd’hui, le vide abyssal créé par le trop-plein des réseaux sociaux, les individualismes communautaristes, le mépris des traditions comme celui de valeurs pourtant construites sur des millénaires, la négation même de certaines lois naturelles, autant par les transhumanistes que par les Ayatollahs de l’indifférenciation des sexes, tout cela contribue inexorablement à un retour nécessaire vers ce qui devrait être ce que l’Homme, dans l’Histoire, a su lentement, construire en termes de valeurs éthiques et humanistes.

Malheureusement, ce retour qui devrait toujours être un renouveau, comme celui annoncé par les oiseaux de retour au printemps, est souvent détourné

par certains pour nous renvoyer vers de vieilles lunes rétrogrades, qui oublient le progrès social et l’égalité entre les hommes et les femmes, pour nous servir des discours au relent d’autoritarisme et de fascisme.

Ce que nous ne devons pas manquer, c’est le retour au vrai débat d’idées et à la communication, à l’éducation et la culture partagées, à l’éthique (différencier ce qui est juste d’injuste) plutôt qu’à la morale (ce qui est bien ou mal).

Chez les juifs le mot Retour se dit « Techouva » et il signifie avant tout un retour vers soi avant d’être un retour vers Dieu.

C’est peut-être vers ce retour-là qu’avant tout, il faudrait savoir aller.

« Pour chacun de nous existent de multiples chemins, de multiples possibilités, celles de la naissance, de la transformation, du retour. »
ÉDITO 4 №48 — Mars 2023 — Retour
écrivain (Prix Nobel de littérature 1946) (1877-1962)
UNE AUTRE EXPÉRIENCE DE LA BANQUE PRIVÉE MILLEIS BANQUE - SA au capital de 135 300 001,66 euros - Siège social : 2 avenue Hoche - 75008 Paris - Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 344 748 041. Espace Patrimonial de Strasbourg 10 Place Kléber 03 88 37 66 50 milleis.fr

b Grand entretien Daniel Cohen

8-15

16-37 c Dossier L’incroyable fiasco du REME

20

Alain Jund

28

32

a Culture

François Giordani

36

Elle se tait, la SNCF... (↓)

E Société

Q Or Champ

142

S Actualités 38 Société Le choc des générations 44 Recor, cœur battant Le centre qui rassure (↑) 52 Reconversion Trois ans après le « Big Quit », des Strasbourgeois témoignent 58 Un fonctionnement novateur Hara Solidarity Consulting 62 Mamies gâteaux Retraite active 64 Hommage Christian Bobin 114 Jeff Bezos Terminus, les étoiles 118 Mari in Borderland Moutons explosifs 120 Le parti-pris de Thierry Jobard Rituel beauté 124 Chronique Moi, Jaja… 128 Regard Jak Krok’ l’actu
68 Rencontres tous publics Le festival Arsmondo 72 Nomination Anna Sailer 76 Art et informatique Alessia Sanna (↓) 78 Musique d’aujourd’hui Bruno Montovani 80 Galerie de l’Estampe Christophe Wehrung 82 Saga Victor Weinsanto 86 Expo Hervé Bohnert 90 Centre Pompidou Metz Retour vers le futur 94 Portfolio Estelle Lagarde 104 Poésie La frontière 106 Voix de Stras’ Catherine Bolzinger 108 Le jour où Johann Knauth 112 Late-show Sùnndi’s Kàter 134 Musique The Fireman, Strawberries Oceans Ships Forest 136 Sélections Exposition, festival, livres
Ganimat Zahid La guerre en Ukraine, un an après
Défilé de saisons
de la lenteur
130
L’éloge
« Dans la civilisation qui vient, il nous faudra par dessus tout échapper à la solitude. »
SOMMAIRE
2023
MARS
Autopsie
d’un raté Thibaud Philipps
Côté
Grand Est,
usagers
usagers TER
Le ras-le-bol des
Côté usagers
Commentaire Et la SNCF ?
6 №48 — Mars 2023 — Retour
JUSQU’À 63 000 € DE RÉDUCTION D’IMPÔT GRÂCE AU DISPOSITIF PINEL+ immoval.com • 03 88 22 88 22 * OPTEZ POUR L’IMMOBILIER NEUF ! Dispositif Pinel+ pour une défiscalisation plafonnée à 300 000 € et un engagement maximum sur 12 ans. Des questions ? Un projet ? Discutons-en !

Daniel Cohen

la civilisation qui vient, il nous faudra par-dessus tout échapper à la solitude… »

Il est sans doute le plus suivi des économistes français. D’une voix toujours très calme, privilégiant les plateaux où on lui donne le temps de développer son propos, Daniel Cohen analyse sans relâche l’époque que nous vivons. En ce début 2023 où se multiplient les lourds nuages noirs qui planent au-dessus de nous avec la guerre en Europe, l’inflation qui galope et, en France, l’improbable mise au calendrier d’une énième réforme des retraites très combattue, voilà une rencontre pleine d’enseignements avec celui qui professe l’économie à l’École d’Économie de Paris et qui vient de publier Homo Numericus, la « civilisation » qui vient, un ouvrage où les mises en perspective ne manquent pas de pragmatisme et éclairent quelque peu les enjeux contemporains…

« Dans
b GRAND ENTRETIEN b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen 9 №48 — Mars 2023 — Retour

Il y a une dizaine d’années, vous aviez publié Homo Economicus, ce livre où vous démontriez que l’être humain était en train de perdre tous les repères que la société industrielle lui avait légués depuis un siècle et demi. Dix ans plus tard, dans Homo Numericus , vous décrivez l’avènement d’une nouvelle société et vous n’êtes manifestement pas très optimiste…

Ce n’est pas tellement une question d’être ou non optimiste. À l’époque, je faisais le constat de la remise en cause des liens sociaux qui avaient vu le jour et pu exister durant la période antérieure, grosso modo des années cinquante/soixante jusqu’au début des années quatre-vingt où est apparu un début de délitement de tous les collectifs qui construisaient la société, à commencer par les entreprises, les syndicats et puis, progressivement ensuite, beaucoup d’autres formes d’appartenances comme les partis politiques, par exemple.

La promesse principale de la société numérique que j’essaie de décrire dans mon livre d’aujourd’hui est qu’elle serait capable de se substituer à ce déficit d’institutions propres à la socialisation des individus qu’on observe depuis maintenant quatre décennies. Elle prétend compenser ce qui existait antérieurement avec des entreprises en ligne, une société qui s’exprime via les réseaux sociaux, avec l’émergence d’une prétendue nouvelle intelligence collective

et d’une nouvelle façon de faire de la politique… C’est en cela que le constat de mon dernier livre est en effet assez pessimiste : cette idée qui voudrait qu’on puisse reconstituer les formes de la vie sociale à travers la vie en ligne représente une attente qui est manifestement déçue, c’est un peu le fil de ces déceptions, entre les attentes et la réalité de ce qui s’est produit depuis, dont j’essaie de faire le récit dans le livre.

Dans Homo Economicus, vous évoquiez « l’effilochage » de ce qui constituait les acquis de la société industrielle. Aujourd’hui, dans Homo Numericus , vous parlez de désintégration… Dans le domaine strictement économique, c’est antérieurement à la société numérique que les économistes ont parlé de désintégration verticale de la chaîne de valeur pour caractériser cette nouvelle façon d’organiser la société qui consiste à faire éclater ce qui, autrefois, se jouait à l’intérieur de la vie de l’entreprise pour, en le disant rapidement, substituer à ce qui était auparavant un rapport de subordination, un rapport direct complètement nouveau qui se situe entre le donneur d’ordre et le sous-traitant. C’est en cela que l’on peut parler de désintégration des liens sociaux tels qu’ils s’étaient progressivement constitués au sein de l’image un peu archétypique de la grande entreprise industrielle. C’est ce processus-là qui va toujours plus loin grâce

à la société numérique et dont le télétravail est un des derniers rebondissements, qui distend le lien organique qui pouvait exister entre un salarié et son entreprise. Sa forme la plus caricaturale est l’uberisation, l’entreprise n’existant dès lors plus que sous la forme d’un algorithme…

Quelle déception quand on songe qu’il y a dix ans et même un peu plus, on espérait encore que le web allait bouleverser positivement le monde, qu’on allait pouvoir avoir accès à une connaissance infinie et mieux coopérer tous ensemble…

On va dire que, dès lors que la mondialisation bat son plein, à partir de la seconde moitié des années 90, l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce –  ndlr) est créée, la Chine s’ouvre au commerce international, on pouvait penser que cette libéralisation économique allait constituer, de façon endogène, un contre-pouvoir, une société civile mondiale qui serait capable de réagir aux excès de la mondialisation : c’est le moment des sommets antilibéraux des organisations altermondialistes comme Porto Allegre. On pouvait alors penser qu’Internet était la promesse de constitution de réseaux non marchands capables de modérer les excès de cette société néolibérale planétaire. Au fond, c’est la naissance de l’iPhone qui démocratise radicalement l’accès permanent aux réseaux sociaux,

10 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen

qui montre qu’une société civile mondiale est en train de se constituer et qu’on peut avoir l’espoir d’une sorte d’agora planétaire qui va être capable de permettre à quiconque, quel que soit son rang dans l’espace social et sa position, de s’exprimer et de faire entendre son point de vue.

Dans le livre, je fais le lien entre cette promesse et les mouvements de contestation des années 60 qui ont fait surgir une remise en cause radicale du monde ancien, tout en verticalité, qui régissait non seulement le monde de l’entreprise, mais aussi la famille avec ce patriarcat qui était encore très fort et qui a soudain volé en éclats en mai 1968, tout comme le mandarinat dans les universités, d’ailleurs. L’objectif de la révolution informatique des années 70 a ensuite été d’essayer de donner à cette contestation les moyens de s’exprimer, comme une promesse de société en horizontalité qui viendrait se substituer au monde ancien.

Aujourd’hui, la déception qu’on est obligé de constater c’est que cette parole libérée via les réseaux sociaux n’est évidemment pas l’expression d’une intelligence collective nouvelle telle qu’on l’aurait souhaitée, même s’il y a bien sûr Wikipedia ou des boucles qui se constituent et qui permettent à des militants ou des savants de s’organiser. Des mouvements comme le Printemps arabe, Metoo ou encore Black Lives Matter doivent beaucoup à cette

capacité qu’ont les réseaux sociaux de mettre en résonance une protestation des faibles vis-à-vis des forts, pour le résumer très simplement. Tout cela n’est pas négligeable, mais on est obligé de voir aussi que face ou en parallèle à cette promesse, il y a une grande et pesante part d’ombre : les réseaux sociaux sont devenus un univers où prospèrent les fake news, les contre-vérités, le complotisme et donc finalement, à tout prendre, on est là face à un monde haineux et pas un monde de conversation possible sur le modèle que l’on avait pu espérer…

Tout cela n’a-t-il pas au fond été rendu possible par un trop grand laisser-faire, tel que les ultra-libéraux de la Silicon Valley l’adorent, au détriment d’une régulation capable de modérer les excès des nouveaux outils déployés par les réseaux sociaux ?

Oui, c’est certainement ça, mais il y a encore plus subtil. Il faut vraiment comprendre l’époque actuelle comme l’héritière de deux moments très lourds de notre histoire : la révolution culturelle des années 60, profondément anti-système et la révolution conservatrice qui a débuté dans les années 80, très libérale au niveau économique, mais profondément conservatrice au niveau des valeurs. Aujourd’hui, l’homo numericus tel que je le décris est profondément libertaire, il est à la fois anti système, il ne supporte pas les autorités de

toutes sortes, mais il est en même temps libéral. C’est cette conjonction étrange dont il est la synthèse, dans un certain sens. En réalité, cette horizontalité tellement souhaitée dans les années 60 se traduit aujourd’hui par la mise en compétition générale de la société tout entière, qui est bien sûr une situation très éloignée des idées des soixante-huitards. Mme Tatcher disait : « La société, ça n’existe pas… » Pour elle, il n’existait que des individus qui signent un pacte pour vivre les uns avec les autres. Le problème tout entier est là. Quand on a des individus isolés et que la seule façon qu’on a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via l’ordinateur, et bien ça ne fonctionne pas. Ça développe même une société ultra-libérale c’est-à-dire une société où chacun est en concurrence permanente avec tous les autres, y compris quand il s’agit de se faire entendre. Si vous voulez que votre message soit entendu via internet, il faut crier plus fort que les autres, il faut rouler des mécaniques, il faut hurler. Ça fait partie des pathologies qu’on découvre aujourd’hui…

Un peu plus de vingt ans après l’avènement des outils qui vont propulser la société numérique, on en arrive maintenant à l’irruption de l’intelligence artificielle. On se pose déjà la question de savoir si les algorithmes vont dominer le monde. Le sous-titre que vous avez choisi pour Homo Numericus, c’est la « civilisation » qui vient, et il y a des guillemets autour du mot civilisation… Ça s’annonce vraiment en effet comme une civilisation, c’est-à-dire un système plein, dans lequel on explique aux gens comment aimer, comment travailler ou comment rêver, c’est-à-dire comment faire société, en réalité. Tout ça est retravaillé en profondeur par la société numérique. Par exemple la manière d’aimer dont je parle dans le livre : j’évoque Tinder, c’est peutêtre un peu anecdotique, mais la sexualité en ligne est en train de gravement perturber la sexualité des jeunes par le biais d’un rapport à autrui qui est bien loin de l’amour tel qu’on est habitué à le penser. Il en va de même pour le rapport au travail, il est en train de diamétralement changer, non seulement le travail qu’on fait, mais jusqu’à la manière dont on le fait. C’est bien sûr l’avènement du télétravail : une étude qui va sortir bientôt fait apparaître qu’un peu de télétravail c’est bien parce que ça donne de la liberté et ça offre des moments où on peut se ressourcer, mais quand c’est trop de télétravail, alors ça ne

b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen 11 №48 — Mars 2023 — Retour
« Quand on a des individus isolés et que la seule façon qu’on a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via l’ordinateur, et bien ça ne fonctionne pas. »

va plus du tout : on perd alors le rapport aux autres et à ses collègues, on se sent très seul. On retombe toujours sur cette interrogation : comment une société se pense-telle comme un collectif ? C’est cela qui est perverti aujourd’hui par la manière dont la vie politique se joue à travers les réseaux sociaux. Pour aller vite, une civilisation, c’est un peu l’ensemble de ces trois éléments : comment noue-t-on des rapports interpersonnels, quel est notre rapport au monde du travail et quel est notre imaginaire politique ? Ces trois termes sont aujourd’hui pervertis par l’avènement de la société numérique.

Il faut prendre très au sérieux l’avènement de l’intelligence artificielle. C’est une nouvelle étape fondamentale de la société numérique, comparable sans doute, mais en sens inverse au niveau des bienfaits, à l’invention de l’imprimerie.

L’avènement de l’IA est un choc. Il faut d’abord comprendre à quoi ça sert. Il s’agit bien de générer des gains de productivité dans une société de services qui, traditionnellement, met en vis-à-vis un humain face à un autre. En matière économique, ce qui se cherche, ce sont des manières de réduire le coût de ces interactions. Pour réduire ce coût, on se voit et on se parle en ligne via Zoom ou Teams, plus

besoin de prendre le train ou l’avion et de réserver une chambre d’hôtel. On réduit considérablement les coûts en offrant aux consommateurs des algorithmes qui vont lui permettre lui-même de faire tout seul les transactions qui auparavant nécessitaient un autre humain face à soi : ainsi, je réserve tout seul un billet de train ou d’avion, je gère mes comptes bancaires tout seul puisqu’on me donne les moyens que me fournissait jadis un employé de ma banque. On voit bien qu’il s’agit là de la productivité pure, au sens traditionnel et économique du terme. C’est dans cet espace-là que se situe l’intelligence artificielle, là où l’humain qui reste encore est définitivement remplacé par une machine. Au vingtième siècle, on demandait à l’homme de se comporter comme une machine, c’était le principe du travail à la chaîne. Aujourd’hui, c’est la société de services, on demande aux machines de se comporter comme un humain. Ça ne me gène pas plus que ça pour tout ce qui englobe les tâches purement administratives, le back office comme on dit : prenez le cas des chercheurs dont je connais bien les contraintes : ils passent la moitié de leur temps à régler des tâches administratives, alors si l’IA peut les aider à les assumer, ça ne me paraît pas du tout gênant.

Ce qui sera problématique, c’est lorsque la ligne blanche du cœur même de la relation de l’humain à l’humain sera franchie. La santé offre de bons exemples : vous êtes malade et vous avez besoin de voir un humain pour vous soigner. Va-t-on savoir s’arrêter à temps dans ce domaine ou va-t-on en arriver à ce moment où on va vous dire qu’il n’y a pas de médecin pour vous examiner et qu’il va falloir vous faire vous-même un scanner et qu’on vous enverra ensuite un diagnostic ? Seul, vous seriez alors confronté à un intense trouble existentiel, non ?

On voit bien que dans cette société-là, il y a plein de trucs qui ne marchent pas du tout. Les cours en ligne sont un échec, entre autres exemples. Toute la difficulté, c’est de déceler la frontière à ne pas franchir pour que ces technologies restent des technologies au service des humains et leur donnent du temps pour qu’ils s’occupent mieux de l’humain, justement. Et non pas des instruments qui viendraient se substituer à l’essence de la relation interpersonnelle. Le point fondamental est là. Et c’est pour ça qu’il faut prendre l’IA très au sérieux : elle réalisera des choses pour l’heure inaccessibles à la machine, mais il faudra donc être extrêmement attentif au fait qu’elle ne vienne pas nous animaliser, en quelque sorte, qu’elle ne vienne pas nous déposséder de ce qui fait notre sensibilité humaine.

Le danger paraît bien réel quand on voit d’où naissent ces technologies, de laboratoires de ces multinationales californiennes qui paraissent quand même hors-sol…

Si je dis ça, en effet, c’est parce que je pense que pour l’instant, nous sommes sur la mauvaise voie : on laisse en effet ces innovations jaillir de lieux hors-sol, comme vous dites. Il y a comme ça des jeunes gens, qui étaient il n’y a pas si longtemps dans un garage et qui inventent des trucs pour se soigner, pour s’éduquer, pour réserver un taxi, un hôtel, etc. Si je dis que ces jeunes gens raisonnent hors-sol, c’est pour faire comprendre qu’ils ne cherchent pas à améliorer par exemple la relation entre un médecin et un hôpital. En réalité, ils cherchent à se substituer à cette relation : alors, ils vont créer une montre bourrée de technologies qui va vous indiquer instantanément votre pulsation cardiaque, entre plein d’autres fonctions devenues soudain accessibles à tout moment. Et là, on en revient au projet néo-libéral que vous évoquiez : vous allez avoir le fantasme de pouvoir vous soigner tout seul. Idem pour vous éduquer, etc., etc.

12 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen
« C’est dans cet espace-là que se situe l’intelligence artificielle, là où l’humain qui reste encore est définitivement remplacé par une machine. »
SNORTNOCNERN O U S * RENCONTRONS-NOUS * RENC O N SUON-SNORT * Les RENDEZ-VOUS de L’ÉPARGNE Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe, Banque coopérative régie par les articles L.512-85 et suivants du Code Monétaire et Financier, société anonyme à Directoire et Conseil d’Orientation et de Surveillance au capital de 681.876.700 euros - siège social à STRASBOURG (67100), 1, avenue du Rhin - 775 618 622 RCS STRASBOURG - immatriculée à l’ORIAS sous le n° 07 004 738 - Crédit photo : ©Nomad_Soul - stock.adobe.com • 03/2023 Communication à caractère publicitaire et sans valeur contractuelle.
l’un de nos 1 500 Experts Epargne
faire de vos
réalité. Avec
Rencontrez
pour
projets une
son épargne, Lucie va faire de sa passion son métier.

Avec l’idée qu’on pourra maîtriser les choses alors qu’en fait, non, on aura toujours besoin de gens autour de nous…

Bien sûr et il nous faudra par-dessus tout échapper à la solitude. Même si le diagnostic que j’évoquais se révélait juste, il faudra toujours un médecin pour l’évaluer, car une erreur pourra toujours se présenter, pour le filtrer et, tout simplement, pour avoir une relation étroite avec vous. Quelles que soient les nouvelles technologies qui vont être mises en œuvre dans l’univers de la santé, et pas question une seule seconde de leur dénier leur efficacité et leur utilité, il faudra toujours des humains qui les mettent en œuvre et les contrôlent. Idem pour les élèves avec leurs profs.

Et si on parle de la vie politique, ce fil humain reste indispensable. Il n’y a pas si longtemps, elle était rythmée par des partis composés de gens qui avaient un ancrage dans leur territoire et tout cela parvenait à percoler dans la société. Ce n’est plus du coup le cas aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui véhiculent des pensées généralement articulées autour d’un chef politique qui est censé régler toutes les contradictions. Ça fait qu’aujourd’hui, on est pour ou contre, il n’y a plus aucune subtilité possible, il n’y a plus de terrain d’élaboration comme avant, quand tout était affaire de compromis pour atteindre la barre des 51 % et parvenir à gouverner. Aujourd’hui, l’ambition est de s’aménager un socle de 25 % de gens qui vous sont fidèles et d’affronter dans le cadre du deuxième tour un autre étant parvenu au même score. Ce qui veut dire qu’au soir d’une élection, auparavant, il y avait au moins 51 % de gens heureux et la minorité pouvait toujours rêver du coup d’après. Là, maintenant, il y a 75 % de gens insatisfaits et qui ne se reconnaissent pas dans l’élu… Il y a beaucoup d’abstentions, les gens votent contre l’autre candidat parce qu’ils le détestent plus que celui pour lequel ils vont voter et le miracle de la vie démocratique, qui est d’enchanter les cœurs au soir d’une élection, n’a plus lieu. C’est toute la promesse démocratique qui est perdue…

Et il n’y a pas que la France qui se retrouve avec ce problème. On est dans une ère nouvelle où tous les pouvoirs sont faibles, tous. Les démocraties sont faibles, car elles sont minées par le populisme qui est profondément anti-système et qui conteste les formes de la légitimité la plus évidente, comme le rôle du Parlement, celui des partis politiques. Les régimes non démocratiques, illibéraux comme on les appelle quelquefois, sont très faibles aussi. Le régime des mollahs est très fragilisé, on le voit, il est aujourd’hui profondément contesté de l’intérieur. La Russie

n’est plus la puissance forte comme elle a pu se rêver l’être à un moment donné, elle bombarde en ce moment des gens, mais l’assise du pouvoir poutinien est beaucoup plus fragile que Poutine lui-même ne le croit… La Chine aussi est très fragilisée comme l’a montré la contestation contre le régime Covid qui a obligé le pouvoir à reculer, en réalité. Donc, même les pouvoirs réputés les plus forts sont faibles et il y a une raison dont on parlait déjà tout à l’heure : partout, les fondements de la société se sont distendus. La société numérique est une société aux réseaux faibles, c’est une société qui a beaucoup de difficultés à se penser en tant que société. Et a fortiori à se doter d’institutions médiatrices qui soient capables d’agréger les individus à un niveau supérieur à celui de leur conscience individuelle propre…

Si je devais faire un diagnostic de la situation de la France, ce serait pour dire que comme partout ailleurs, le pouvoir macroniste est très faible, en réalité. Cela devrait nous inciter tous à être très attentifs à la qualité de la vie de nos institutions. Or là, la fragilité de la situation politique pour la majorité, c’est qu’elle a réussi à constituer un front syndical uni contre elle alors qu’on sait que ce front syndical, au fond, n’est pas si uni que ça. C’est en cela que la situation est très marquante aujourd’hui : en fait, la crise actuelle risque de ne pas vivifier assez la démocratie sociale, alors qu’on en a tellement besoin.

Il faut se souvenir que dès son élection en 2017, le président actuel évoquait déjà l’idée de se passer des corps

intermédiaires, ces fameuses institutions que vous évoquez en permanence… Je crois que l’erreur profonde de diagnostic s’est en effet révélée à ce moment-là. On a vraiment besoin de renforcer ces institutions. Au sens large, bien sûr, on ne va pas renouer avec l’époque de l’Église Catholique et du Parti Communiste, mais on a besoin d’universités fortes pour que les étudiants bénéficient d’une institution qui les protège, les héberge et leur donne les moyens de se former. On a besoin d’hôpitaux forts qui soient capables de penser une nouvelle politique de la santé, car ce n’est pas le ministre qui peut tout à ce niveau, alors c’est donc bien une institution forte qui doit avoir la capacité de proposer des solutions fortes. Et c’est exactement la même chose pour l’éducation. On a besoin aussi de services publics renforcés qui n’abandonnent pas à leur sort tant de gens sur des territoires immenses…

Et, si l’on parle du monde du travail, la société a quoi qu’il en soit besoin de syndicats qui jouent un rôle essentiel, c’est fondamental. C’est ça que fait apparaître cette réforme sur les retraites, quelles que soient ses motivations profondes. Elle va rendre très difficile l’exercice de la démocratie sociale. La réforme va sans doute être votée, mais il y aura une profonde amertume ensuite et elle va perdurer. D’autant qu’elle arrive à un moment où les Français s’interrogent profondément sur leur rapport au travail. Je pense qu’on est là dans une situation très intéressante à évaluer et c’est pourquoi je trouve bien dommage que la négociation sociale soit tant gâchée…  b

14 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen

L’incroyable fiasco du REME

Un désastre. Dès les premières heures de sa mise en service, le 11 décembre dernier, le Réseau Express Métropolitain Européen de Strasbourg a multiplié les crashes : suppressions de trains, retards, plans de rattrapages non respectés et on en passe… des milliers d’usagers ont été à la torture quotidienne et, dans de nombreux cas, contraints à d’invraisemblables stratégies pour espérer pouvoir se déplacer. Retour sur ces semaines délétères avec les élus en charge des Transports, les usagers et leurs représentants, mais… sans la SNCF qui a préféré se murer dans son silence…

c DOSSIER — LE REME c DOSSIER — Le REME 17
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès – Dom Renckel

Des usagers en galère et méprisés

« c DOSSIER — Le REME 18 №48 — Mars 2023 — Retour

Des attentes interminables et même quelquefois vaines, des entassements invraisemblables dans les quelques trains qui roulaient, des ratés, des suppressions, depuis le 11 décembre dernier, les clients alsaciens de la SNCF ont vécu maints calvaires quotidiens…

c DOSSIER — Le REME 19 №48 — Mars 2023 — Retour

Autopsie d’un raté

Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est

Avant de parler du véritable fiasco qu’a été son lancement début décembre dernier, peut-on tout d’abord vous demander de nous rappeler l’historique complet du projet de Réseau Express Métropolitain Européen, le REME ?

Vice-président de la Région Grand Est, le maire d’IllkirchGraffenstaden a hérité en novembre dernier de la responsabilité du « transport et des mobilités durables » (sa délégation officielle) des portes de la Champagne près de Paris jusqu’aux rives du Rhin. Et c’est bien sûr le dossier catastrophique du REME bas-rhinois qui a mobilisé l’essentiel de son temps ces derniers mois…

Tout a été initié lors du Grenelle des Mobilités en 2018. Cette initiative est née des idées conjuguées de deux présidents de Collectivités publiques, Jean Rottner pour la Région Grand Est et Robert Hermann pour l’Eurométropole de Strasbourg. Beaucoup de propositions en matière de transport régional avaient émergé de cette initiative, mais c’est bien le Réseau Express Métropolitain Européen, le REME, qui était la plus ambitieuse pour répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées sur l’agglomération de Strasbourg. On avait alors constaté qu’il y avait sur l’ensemble de la métropole beaucoup de gares qui pouvaient être réactivées pour parvenir à un réseau express semblable à l’esprit du RER parisien, c’est-à-dire un trafic à une fréquence très régulière permettant à l’usager de ne plus trop se soucier de l’horaire de son prochain train puisqu’il sait qu’il sera automatiquement dans le prochain quart d’heure, du moins est-ce l’objectif que nous visions. Le tout sur une amplitude allant de 5 heures du matin à 23 heures et qui concerne aussi le samedi et le dimanche. Le grand plus du système imaginé depuis 2018 était aussi la mise en place de trains « diamétralisés » comme les spécialistes les appellent et qui, dans le cas du REME, peut s’illustrer par le cas d’un train partant de Saverne et se rendant à Sélestat, et inversement, sans aucune rupture de charge en gare de Strasbourg. Plus besoin de changer de train dans la capitale alsacienne… À cette ligne directe pourraient s’en ajouter d’autres pour, qu’à terme, la gare de Strasbourg ne soit plus qu’un point d’arrêt comme un autre et non un terminus comme cela a toujours été précédemment le cas. Tout pour faciliter le voyage, donc… Dès l’élaboration de ce projet global ambitieux, tout un travail a été mené entre la Région, l’Eurométropole et la SNCF, qui était l’opérateur unique. Les deux filiales séparées, SNCF Voyageurs et SNCF Réseau étaient dans le tour de table. Il en était de même pour une troisième filiale, SNCF Gares et Connexions, car il fallait bien sûr gérer les escales et le trafic, notamment concernant le nœud essentiel qu’est celui de la gare de Strasbourg. La SNCF s’est donc engagée formellement auprès des

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
« La confiance de la population en la SNCF s’est brisée… »
c DOSSIER — Le REME 20 №48 — Mars 2023 — Retour

différentes collectivités pour rendre ce projet possible, moyennant évidemment le montant de la convention financière qui nous lie et qui représente à ce stade pas moins de 14 millions d’euros supplémentaires chaque année par rapport à l’investissement déjà consenti par la Région Grand Est…

On imagine que la Région Grand Est et l’Eurométropole de Strasbourg ont acquis au cours de ces derniers temps toutes les garanties nécessaires auprès de la SNCF…

À l’évidence. Pour ne parler que de cette dernière année, du mois de mai 2022 jusqu’au lancement du REME en décembre dernier, nous avons reçu plusieurs courriers cosignés par les deux principales filiales de la SNCF nous disant qu’il n’y aurait aucun souci, qu’elles seraient capables de tenir leurs engagements. Et parmi ces engagements, il y avait un point capital : depuis l’origine, la SNCF nous avait projetés dans cette idée que le REME pourrait bénéficier de 800 trains supplémentaires par semaine. Si la SNCF n’avait pas proposé ce chiffre, il me semble que nous nous serions parfaitement contentés de 300 ou 400 trains supplémentaires, quitte à répartir autrement les choses en les expliquant aux gens…

Aujourd’hui, il pourra peut-être sembler facile d’exprimer cette remarque, mais la vérité pousse à dire que beaucoup trouvaient ce chiffre de 800 trains supplémentaires presque « trop beau pour être vrai » comme le dit la sagesse populaire…

Personnellement, le vrai doute que j’ai eu dès que j’ai hérité de mon poste de viceprésident en novembre, et je me suis alors posé une kyrielle de questions à ce sujet, a été de réaliser tout de suite que sur un plan de transport adapté qui était celui de 2022, c’est-à-dire sans le REME, nous étions déjà quotidiennement en dessous de l’offre nominale que devait assurer la SNCF. En novembre, les grèves perlées chez les agents de la société ont entraîné nombre de retards importants et de suppressions de trains. Nombre d’associations d’usagers et de syndicats avaient alors fait part de leurs doutes concernant le bon fonctionnement du REME à compter du 11 décembre. Je pense que la SNCF a mis ensuite les bouchées doubles, car le jour du lancement, le dimanche, ça a globalement très bien fonctionné. De même le lundi. Le mardi, à part l’erreur humaine qui a provoqué l’incident d’un train trop long pour le quai d’accueil qui lui avait été attribué en gare de Strasbourg, et qui a donc déclenché le système d’alarme avec une belle pagaille à la clé, on a bien compris qu’on restait dans le globalement satisfaisant.

Les grosses difficultés ont commencé dès le mercredi, annulations, suppressions de train, d’importants retards un peu partout… La SNCF a expliqué ça par l’épisode neigeux de ce jour-là, tous les transports scolaires ayant été supprimés sur le périmètre régional. Ça pouvait alors paraître comme une explication sérieuse sauf que la neige n’a pas tenu. La semaine suivante, en pleine séance plénière du Conseil régional consacrée au vote du budget, la SNCF nous a prévenus qu’elle ne parviendrait pas à rétablir l’offre prévue et qu’elle proposait

donc de mettre en place un plan de transport adapté pour les deux semaines de vacances. Avec le président Rottner, on n’était bien sûr pas du tout favorable à cette notion de plan de transport adapté, on nous avait fait une promesse, on avait signé un contrat avec une convention financière où on garantissait l’injection d’une très importante somme d’argent public à parité avec l’Eurométropole de Strasbourg. On a donc refusé la proposition de la SNCF, mais dès le lundi suivant, on a pu constater qu’elle n’y arrivait pas.

Nous étions donc placés devant le fait accompli. La veille du Nouvel An, après que nous ayons participé à une conférence en visio avec tous les acteurs de la SNCF, cette dernière nous a alors annoncé que ce plan de transport adapté allait être prolongé jusqu’en février 2023. Nous n’avons bien sûr rien validé, en accord avec nos principes largement exprimés d’autant que nous avions alors bien compris que leur nouveau plan de transport comportait la suppression de tous les trains omnibus desservant les petites gares pour permettre aux usagers de rejoindre Strasbourg, afin évidemment de privilégier les trains directs ou semi-directs. Une véritable aberration puisque l’engagement principal de nos deux collectivités portait justement sur une meilleure desserte des petites gares ! Nous avions retenu ce principe de base du RER parisien qui fait des trains directs une exception et la desserte de toutes les gares sur le parcours un postulat de base.

Avec Alain Jund au titre de l’Eurométropole, nous avons alors formellement convoqué la SNCF le 17 janvier dernier pour qu’elle nous fasse un véritable rapport

« Depuis l’origine, la SNCF nous avait projetés dans cette idée que le REME pourrait bénéficier de 800 trains supplémentaires par semaine. »
c DOSSIER — Le REME 21 №48 — Mars 2023 — Retour
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est.

ne connaît que le logo SNCF, mais en fait, ses différentes entités ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. »

exhaustif d’analyse de la situation et de l’ensemble des dysfonctionnements avec, à la clé, un plan d’action concret. Notre souhait a été aussi qu’on rapproche la communication des difficultés du terrain, on était déjà loin de la conférence de presse idyllique annonçant le lancement du REME. Je voulais donc que les usagers réalisent que leurs élus étaient au plus proches des immenses difficultés qu’ils rencontraient… C’est lors de cette réunion que les deux directrices de la SNCF, Stéphanie Dommange, directrice TER Grand Est et Laurence Berrut, directrice territoriale Réseau Grand Est nous ont présenté leur plan d’action en 46 points qui faisait nettement apparaître les carences de l’opérateur en matière d’organisation, carences que nos deux interlocutrices ont assumées. Nous nous sommes dit, avec Alain Jund, que nous n’avions enfin plus en face de nous des gens qui nous assuraient que tout allait bien se passer et que la SNCF allait parfaitement tenir ses engagements. Leur discours du 17 janvier a été une reconnaissance d’une mauvaise anticipation des problématiques à cause de la prise en compte d’une notion de simple « TER augmenté » alors que la SNCF aurait

dû manifestement s’inspirer dès le départ du réseau RER parisien. Pour cela, il aurait donc fallu mettre à la disponibilité de notre projet des spécialistes du Transilien…

On touche là à un point qui interroge, concernant la SNCF. Cette société estelle encore en contact avec les véritables réalités du terrain ? En un mot, la technostructure qui la dirige était-elle à même de relever le défi de la mise en œuvre du REME et de répondre efficacement à son cahier des charges ?

Le problème de la SNCF est dans sa segmentation très forte. Le grand public ne connaît que le logo SNCF, mais en fait, ses différentes entités ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. Elles ne font pas le même métier et ça se sent, y compris dans la gestion opérationnelle au quotidien. C’est pour ça que nous avons fini, avec Alain Jund, par taper du poing sur la table. Et, ils ont enfin fait venir ces véritables spécialistes du Transilien que j’évoquais précédemment. Ces gens sont désormais en train de travailler sur la remontée en charge par rapport aux objectifs prévus, ils réanalysent les choses avec

une vision qui n’est plus celle du simple TER traditionnel. On est arrivés à une situation extrême pour la gare de Strasbourg où, toutes les trente secondes, il y a une arrivée ou un départ de train. Ce que nous vivons depuis des semaines prouve que si la SNCF sait bien faire son métier quand on est sur un système très stable, éprouvé depuis longtemps parce qu’on n’a pas trop changé les méthodologies, elle n’est en revanche pas du tout prête pour affronter un choc de cette nature-là. En ce qui nous concerne, à la Région Grand Est, nous avons fait tous les achats de matériels roulants nécessaires. De son côté, la SNCF s’est focalisée sur le volet ressources humaines, elle a globalement fait une grande partie des embauches qui étaient nécessaires. Mais elle a pêché au niveau de l’organisation et on s’est bien rendu compte que c’était le Centre opérationnel qui dysfonctionnait. Le nombre de personnes nécessaires a été largement sous-estimé. Certains jours, on s’est retrouvé dans la situation d’un aéroport où on avait tous les avions, les pistes, les personnels de bord pour fonctionner, mais pas assez de contrôleurs aériens dans la tour pour assurer le trafic. Face à cette

« Le grand public
c DOSSIER — Le REME 22 №48 — Mars 2023 — Retour

situation, la SNCF n’a cessé de supprimer des trains et tout particulièrement les omnibus qui, avec leurs arrêts fréquents, mobilisent évidemment beaucoup plus de gens au Centre opérationnel que les trains directs. C’est ainsi qu’on en est arrivé à ce paradoxe vertigineux d’un réseau à l’antithèse du RER parisien que nous avions comme référence dont la norme est bien la desserte de toutes les gares…

Toutes ces carences que vous évoquez vont-elles faire l’objet d’une demande d’indemnisation de la part de la Région et de l’Eurométropole ?

La première de ces indemnisations concrètes a bien sûr été de rembourser les abonnements et les 500 000 billets dits « petits prix ». C’était bien sûr le minimum et c’est bien la SNCF qui va payer ça de sa poche. Elle sait aussi depuis le départ que ce geste commercial se poursuivra tant qu’on ne sera pas parvenu à un service correct. Ensuite, on sera certainement amenés à une minoration de notre part d’investissements dans le futur et la SNCF devra compenser. On est d’ailleurs en train de négocier le prochain contrat TER régional.

Et bien, en ce qui me concerne, je souhaite qu’y figurent des pénalités automatiques en cas de mouvements sociaux ou de suppressions de trains. Plus de négociations donc, mais des sanctions financières automatiques, comme c’est déjà le cas pour cet autre volet dont j’ai la responsabilité, les transports par cars.

Dernière question : quand les usagers vont-ils effectivement pouvoir compter sur une parfaite organisation avec, notamment, ces fameux 800 trains supplémentaires qui étaient promis ?

La SNCF évoque le mois d’avril. Moi, je suis devenu très, très prudent. Pour la Région, j’ai dit que ce n’était plus un objectif d’avoir une date fatidique qui nous mettrait une pression d’enfer. Je préfère qu’on y aille étape par étape et ça vaut aussi pour cette autre marche prévue au mois d’août prochain, le passage à 1 000 trains supplémentaires. En fait, tous ces événements valident une intuition que j’ai depuis un certain temps : pour réussir un projet de cette envergure, pour qu’il soit absorbé parfaitement en termes d’organisation, il faut bien compter un an de travail. L’erreur a été de

proclamer qu’on allait assister à une révolution des mobilités. En fait, ce qu’on a vu, c’est que ça a été pire qu’avant. La vie des gens a été rendue impossible et j’ai bien conscience que le traumatisme a été très violent. C’est bien pour ça que, personnellement, je me suis excusé durant la conférence de presse commune avec Alain Jund. Mais c’est certain que la confiance de la population en la SNCF s’est brisée, car le train est devenu depuis trois mois un enfer pour les gens alors qu’il est en fait le mode de transport idéal pour parvenir à la décarbonation des mobilités. Ce qui est en outre terrible pour nous, au niveau de la Région, c’est de réaliser qu’on a investi quasiment 700 millions d’euros pour la quatrième voie et ces innombrables aménagements, l’achat de matériels neufs, sans compter ce qui est prévu pour le nouvel atelier de maintenance en gare de Strasbourg ou les trains transfrontaliers, la ligne de Lauterbourg et j’en passe. C’est dur de faire ce constat. Si encore on pouvait se dire qu’on est face à un problème de manque de moyens financiers, mais non : on a mis tout ce qu’on pouvait, mais ce n’est pas nous qui conduisons les trains et qui gérons le système ! » c

c DOSSIER — Le REME 23 №48 — Mars 2023 — Retour

Autopsie d’un raté

Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg

baisser les bras…

Avec Thibaud Philipps, Alain Jund forme un duo qui a su dépasser les clivages politiques traditionnels pour se consacrer corps et âme à l’avènement de ce REME aujourd’hui si controversé après ses débuts calamiteux. Lui non plus ne cache pas sa colère envers la SNCF, mais ne veut pas perdre foi en l’avenir…

Vous partagez bien sûr la narration de l’historique de ce projet du REME strasbourgeois avec Thibaud Philipps. En partagez-vous les leçons qu’il en tire, pour l’essentiel un projet trop ambitieux, non phasé et dont la faisabilité a été mal évaluée par la SNCF qui aurait agi en le considérant comme une sorte de super TER là où une logique de RER Transilien aurait dû être de mise dès le départ ?

Personnellement, je suivais ce dossier depuis deux ans dans le cadre d’une construction commune avec la Région Grand Est aux côtés de David Valence (le maire de Saint-Dié, devenu aujourd’hui député – ndlr) auquel Thibaud Philipp a succédé, brillamment, je tiens à le souligner. Dès 2020, donc, nous savions que nous étions dans une logique qui dépasse de loin l’échelle de la ville et l’agglomération de Strasbourg. La logique a donc été la mise en place d’un réseau express métropolitain qui puisse permettre aux gens qui habitent à vingt, trente ou quarante kilomètres de rejoindre la capitale alsacienne, mais aussi, et ça on l’oublie quelquefois, aux autres usagers de se rendre dans les autres villes du Bas-Rhin. C’est sur ces

bases que le projet s’est progressivement concrétisé et si nous en sommes arrivés à ce nombre de 800 trains supplémentaires par semaine, c’est bel et bien qu’il a été proposé par la SNCF, sur la base de sa propre expertise. Je me souviens parfaitement d’une réunion qui date de juillet dernier où siégeaient la Préfète de région, Jean Rottner le président de la Région Grand Est, les deux directrices opérationnelles de la SNCF, Mmes Dommange et Berrut, réunion où je représentais Pia Imbs… À un certain moment, la Préfète a formellement demandé aux représentantes de la SNCF si leur société allait pouvoir relever le défi. La réponse a été claire et limpide : « Pas de problème, on s’y engage… » Cet engagement a même été confirmé par écrit. En ce qui me concerne personnellement, j’avais bien sûr entendu les avis des syndicats du ferroviaire qui n’hésitaient pas à évoquer leur scepticisme, mais dans la mesure où la directrice régionale ainsi que le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, étaient formels, nous n’avions pas de raisons particulières de nous inquiéter même si, bien sûr, nous savions que ce défi était important à relever pour

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
« Il n’est pas question de
c DOSSIER — Le REME 24 №48 — Mars 2023 — Retour

la société nationale. D’autant que nous savions aussi que la SNCF avait un grand besoin de prouver une fois de plus au gouvernement et aux collectivités qu’elle était le principal opérateur ferroviaire en France, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence qui se profile. De plus, le président Macron, au détour d’un dimanche soir, avait déclaré sa volonté de voir naître une vingtaine de projets similaires dans les grandes agglomérations de France. Alors, il nous paraissait évident que la SNCF ne pouvait pas se permettre un échec sur le REME strasbourgeois. Un objectif de 120 trains supplémentaires par jour ne paraissait pas démesuré à atteindre. Et ce projet, pour Strasbourg, mais aussi pour toutes les communes de la métropole et même au-delà qui étaient concernées, était la réponse idéale pour faire face aux enjeux climatiques, notamment, d’autant plus que la ZFE se mettait en place au 1er janvier dernier pour restreindre le nombre de voitures pouvant pénétrer dans l’Eurométropole. Bref, si nous n’étions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pari…

Aujourd’hui, avec deux mois de recul puisque nous nous rencontrons ce 13 février, une semaine avant le bouclage du présent numéro, un manque de confiance flagrant envers la SNCF s’est installé au niveau des usagers. On peut même parler de colère…

C’est flagrant, en effet et c’est justifié. La défiance et le mécontentement sont partout : chez les usagers d’avant le 11 décembre, premier jour de mise en place du REME : ceux-ci ont carrément perdu des trains parmi ceux qu’ils affectionnaient, j’en connais personnellement un certain nombre, dans la vallée de la Bruche ou à Limersheim par exemple… Beaucoup ont perdu de saines habitudes : « Auparavant je descendais de ma vallée vosgienne, je stationnais ma voiture à Sélestat et je prenais le train » m’a dit l’un d’entre eux, un retraité actif qui vient chaque semaine à Strasbourg. « Et bien, désormais, je viendrai en voiture dans la capitale régionale… » m’a-t-il avoué d’un air désemparé. Mais la défiance est également présente chez les potentiels nouveaux passagers qu’un REME fonctionnant normalement aurait immanquablement

« Si nous n’étions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pari… »
c DOSSIER — Le REME 25 №48 — Mars 2023 — Retour
Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg

attirés vers le train : il va être compliqué de les réactiver, ceux-là… Et, pour finir de brosser ce tableau de la défiance, il y a immanquablement un manque de confiance qui s’est installé entre les collectivités et la SNCF. Et ce ne sont pas les dernières réunions qui vont nous rendre optimistes : lors de ces réunions, ils nous ont dit que ce n’était pas lié à un manque de personnels, que ce n’était pas un problème de matériels roulants. C’était selon eux un problème d’organisation. Je ne suis pas intimement convaincu que ce ne soit que ça, mais bon, l’organisation, c’est pleinement la prérogative de la SNCF. Le week-end du 11 février dernier, selon leur propre plan de transport adapté, il devait y avoir une augmentation de l’offre. Et bien, la veille même de ce week-end, le vendredi 10 février précisément, ils nous ont annoncé qu’ils n’y arriveraient pas… Résultat : les usagers restent furieux, rien n’avance. Et c’est pareil pour nos collègues élus des petites villes : le maire de Hœrdt, qui est un copain du temps de la Fac, ne sait plus quoi répondre à ses concitoyens, lui qui s’est basé sur nos promesses, celles de la Région et de l’Eurométropole…

On a quand même le net sentiment que tout le monde est dans le brouillard…

C’est le mot, c’est exactement ça. Cette rupture de confiance pour les usagers et les collectivités nous fait nous demander si d’ici la fin 2023, on parviendra à mettre efficacement en œuvre ce qui devait être réalisé le 11 décembre dernier. Un courrier vient de partir à l’attention de Clément Beaune (le ministre délégué chargé des Transports –ndlr) et Jean-Pierre Farandou, le président de la SNCF. Il est signé conjointement par le président de la Région et par la présidente de l’Eurométropole et il interpelle ces deux personnalités sur leurs responsabilités visà-vis de la situation. En ce qui me concerne au niveau de mes responsabilités à l’Eurométropole, nous avons cessé à la fin janvier dernier de payer notre part du montant de la subvention amenée par les collectivités. Car le service escompté n’est pas rendu.

Ceci dit, il n’est pas question pour autant de baisser les bras. C’est pourquoi Thibaud Philipps et moi avons prévu désormais de rencontrer la SNCF tous les quinze jours pour acter d’une façon extrêmement précise l’état d’avancement du redressement attendu. Et rappeler sans cesse, si

nécessaire, qu’on n’est pas seulement dans la volonté de faire un beau REME et que les enjeux vont infiniment plus loin : il y a l’urgence climatique, l’essence qui en est à deux euros le litre, il y a un problème sanitaire souvent aigu avec la qualité de l’air… En outre, le REME strasbourgeois est observé à la loupe par une bonne quinzaine d’agglomérations, Lyon, Bordeaux, Nantes, Grenoble…, toutes prêtes à s’engouffrer dans la brèche que le réseau strasbourgeois aurait ouverte. Aujourd’hui, ce caractère exemplaire est devenu plus que chaotique et il faut aussi que la SNCF se rende bien compte de l’altération de son image au moment où la concurrence s’annonce sur certaines lignes. Les autorités de transport ne vont-elles pas s’intéresser encore plus à ce que propose le privé ? En un mot, le scepticisme envers la SNCF s’est accru, indiscutablement… Ici, cet accident industriel a mis en doute les capacités d’une grande entreprise comme la SNCF à assumer les missions qui lui incombent.

Sincèrement, ce fiasco est-il rattrapable à terme, c’est à dire d’ici la fin de l’année si je suis votre argument ?

c DOSSIER — Le REME 26 №48 — Mars 2023 — Retour

« Je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et même de la présidence de la République, il ne se passe rien dans un futur proche. »

On l’espère vraiment. Pour nous, Région et Eurométropole, il est évident que d’ici la fin de cette année, il faut parvenir à mettre parfaitement en œuvre ce qui était prévu à partir du 11 décembre dernier. Certaines lignes vont ensuite être mises en concurrence : celles vers Lauterbourg, celle de la vallée de la Bruche et la liaison transfrontalière entre Strasbourg et Offenbourg. Je pense que la SNCF a encore le temps et la capacité de se rattraper, mais il y a quand même péril en la demeure, c’est certain…

La capacité technique et logistique, pourquoi pas, mais a-t-elle la capacité financière pour opérer ce redressement ?

Il est vrai que depuis des décennies, de gros investissements ont été réalisés sur les trains à grande vitesse et que le train du quotidien, comme je l’appelle, a pris beaucoup de retard. L’État devrait beaucoup plus se mobiliser pour doter la SNCF des budgets dont elle a besoin. Un simple exemple, mais il est révélateur : en huit mois, l’État a mis 7,5 milliards d’euros sur la table pour les aides à la pompe. En même temps, il a mis 300 millions d’euros pour aider les différentes autorités de transport dans leurs

projets, 200 millions pour l’Ile-de-France et 100 millions pour le reste du pays. Cela a des conséquences directes sur le REME : quand on voit l’état délabré du réseau entre Strasbourg et Lauterbourg, par exemple.

C’est simple, il n’est pas question d’augmenter le cadencement sur cette ligne, c’est impossible, techniquement. On ne peut en vouloir ni à la SNCF ni à la Région, mais à ces politiques publiques qui ont fait que le train du quotidien a été délaissé et est devenu comme anecdotique. Un peu partout, il a fallu se battre pour que certaines lignes ne ferment pas…

Une dernière question. Pensez-vous réellement et en toute franchise qu’à la fin de la présente année, le REME strasbourgeois sera activé pleinement comme il devait l’être il y a trois mois ?

Oui, je le pense intimement. Je pense que la SNCF va se mobiliser désormais beaucoup plus pleinement et je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et même de la présidence de la République, il ne se passe rien dans un futur proche. Les enjeux sont tellement gigantesques : les transports représentent à eux seuls le

tiers des émissions de gaz à effet de serre. On ne peut pas de permettre de laisser filer, comme on dit. Le développement du train du quotidien est aussi une réponse à des enjeux liés à l’aménagement du territoire. Et cet enjeu transgresse les options politiques des uns et des autres, ce qui est un atout aussi… » c

c DOSSIER — Le REME 27 №48 — Mars 2023 — Retour

Côté usagers

Vanessa Mikuczanis, 51 ans, est secrétaire à Strasbourg. Chaque matin, elle part de la petite gare de Soultzen-Forêts, à 40 km au nord de Strasbourg, et y revient en début de soirée. Sa gare se situe sur la ligne Strasbourg – Haguenau –Wissembourg, à environ 45 minutes de la capitale alsacienne. Cette ligne était bien sûr (et reste) un des grands axes concernés par le REME.

du REME

À l’époque des réseaux sociaux, le citoyen possède au fond de sa poche l’arme ultime : son téléphone mobile. Alors, coincés dans des trains surbondés ou amassés sur des quais de gares à scruter désespérément les écrans d’information de la SNCF, les usagers ont été des milliers à publier des photos de leurs galères et à écrire des lignes où la colère se mêlait au désabusement. Près de 1 500 d’entre eux se sont fédérés via un groupe Facebook…

« Beaucoup s’imaginent que j’ai créé le groupe “TER Grand Est –Le ras-le-bol des usagers” quand la grande pagaille du REME s’est déclenchée, mais non… » précise d’entrée Vanessa. « J’ai créé ce groupe début novembre, un peu plus d’un mois avant le lancement du REME, car j’étais très excédée par les retards et les suppressions de trains qui étaient déjà très nombreux. On se rendait bien compte que la SNCF n’avait pas assez de moyens humains et matériels. Dans mon esprit, ce groupe devait servir à discuter entre les usagers de cette ligne, notamment pour recenser l’ensemble des problèmes qu’ils rencontraient quasi quotidiennement, alors. À un mois du lancement du REME, je me souviens que nous étions tous très positifs, nous pensions que les 800 trains supplémentaires par semaine et leur cadencement toutes les demi-heures tels que c’était annoncé allaient régler tous les problèmes.

Et la catastrophe est arrivée. Décembre et janvier ont été un cauchemar. Très vite, j’ai mis une pétition en ligne, nous en sommes à ce jour (le 10 février dernier) à quasiment 2 800 signatures, je n’aurais jamais pensé qu’elle rencontrerait un tel succès. J’ai également écrit à tous les élus de la Commission des Transports de la Région Grand Est et bien sûr à Mme Dommange, la directrice de TER Grand Est. Dans ces courriers, j’évoquais bien sûr la catastrophe des innombrables retards et suppressions, mais aussi, forte des témoignages des usagers de ce groupe, la question des horaires qui chamboulent tout dans la plupart des petites gares desservies via les omnibus. La plupart du temps, les gens s’étaient déjà résolus à rejoindre une gare plus grande que celle qui était à proximité pour que leurs enfants accèdent à leur établissement scolaire à des horaires normaux… »

On lui pose bien évidemment la question qui nous brûle les lèvres sur les suites données à ses courriers, mais aussitôt, Vanessa nous livre sans surprise la réponse : « Bien évidemment, personne ne m’a répondu.

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
Le groupe Facebook
« TER Grand Est – Le ras-le-bol des usagers » a recueilli des milliers de témoignages de voyageurs écœurés par le fiasco
c DOSSIER — Le REME 28 №48 — Mars 2023 — Retour

Mais je sais très bien qu’ils surveillent de près nos publications sur Facebook. On a quand même obtenu 50 % de réduction sur nos coûts d’abonnement pour févriermars-avril, alors qu’on avait demandé un remboursement depuis décembre. Alors aujourd’hui, on se doute bien que le bazar va durer au moins jusqu’en avril. Ce dédommagement est loin d’être suffisant, les gens sont contraints de prendre leur voiture ou de faire du covoiturage et ils continuent quand même à prendre leur abonnement pour pouvoir profiter des trains qui roulent normalement. Déjà que beaucoup d’entre nous ont dû négocier des changements d’horaires de travail pour pouvoir coller aux nouveaux horaires… »

De sa position de gestionnaire du groupe Facebook qu’elle a initié, Vanessa se dit non surprise par la colère des gens : « Je les comprends parfaitement. En ce qui me concerne, je suis déjà excédée, mais je reconnais que les problèmes sur ma ligne sont bien mineurs comparés à ceux rencontrés un peu partout ailleurs. Certains usagers sont dans une grande colère et il y a de quoi. J’ai des témoignages incroyables : cette dame, par exemple, qui est au chômage et qui m’a avoué qu’elle a renoncé à chercher du travail, car elle ne peut plus compter sur le train. Elle sait très bien qu’elle sera systématiquement en retard et qu’elle ne pourra pas conserver longtemps un éventuel job. C’est arrivé à une autre personne qui me l’a écrit : CDD non renouvelé à cause des retards trop systématiques. Un autre m’a dit songer à changer de boulot

pour ne plus avoir à prendre le train. Ça va loin quand même, c’est incroyable, non ? » Et quand on revient sur la perception fine que devraient avoir les décideurs de la SNCF sur ce que Vanessa appellera à plusieurs reprises le « grand bazar », elle laisse tomber : « Pardon d’être vulgaire, mais je crois qu’ils s’en foutent. Heureusement, ce n’est pas le cas de la Région, je dois même dire que je suis agréablement surprise par le fait que M. Thibaud Philipps se démène un max pour alléger nos difficultés. De l’avis général, rien ne bouge. On attendait une mise en place efficace du REME au mois de janvier, après la catastrophe de son premier mois d’ouverture. Janvier devait donc être un mois de rodage, à écouter la SNCF. Fin janvier, toujours le même bazar. Depuis le début février, il parle d’un trafic normal pour la fin avril, mais tous les jours, vous entendez bien, tous les jours, le bazar continue. Preuve en est avec les omnibus dont la suppression handicape lourdement des milliers de gens : ils devaient être rétablis après le 6 février. Et bien, à part un arrêt qui a été rétabli à Limersheim où les gens avaient pétitionné en masse, rien, alors que nous sommes aujourd’hui le 10… »

Le groupe Facebook initié par Vanessa Mikuczanis est désormais tellement fréquenté qu’elle songe sérieusement à s’adjoindre quelqu’un qui l’aidera à répondre aux interrogations et sollicitations de ses adhérents. « C’est devenu lourd tout ça. Et j’ai dû aussi répondre aux questions de beaucoup de journalistes que le sujet du fiasco du REME intéressait. Je suis devenue bien

Vanessa Mikuczanis a mis en ligne la page Facebook TER Grand Est –Le rasle-bol des usagers

malgré moi un peu experte en la matière » rajoute-t-elle en maniant une autodérision assumée : « J’explique comme personne les galères des usagers, ces petits-matins sur le quai de la gare quand, ne voyant rien venir, on s’accroche quand même à une appli pas toujours fiable qui nous a indiqué une heure et demie auparavant que le train allait circuler. Retards, suppressions intempestives, excuses bidons que je pourrais vous réciter par cœur : défaillance de matériel, indisponibilité du matériel, indisponibilité du personnel et celle-là, la fameuse “régulation du trafic”, à la tête du hit-parade et qui revient si souvent. Si j’ai bien compris, c’est à cause de la gare de Strasbourg qui est engorgée et qui reçoit en priorité les TGV et les autres trains grandes lignes et internationaux. Nous, on vient de notre petit coin entre Haguenau et Wissembourg, alors on est bons pour attendre, dix, quinze, quelquefois vingt minutes dans le train. On attend, on attend, on attend… Tous les jours, aux heures de pointe, on a droit à cette folie super stressante ! » Il faudrait aussi parler des nouveaux horaires du REME qui ont été établis sans toujours tenir compte des correspondances : « Je viens de recevoir un courrier d’un voyageur qui, chaque jour, part de Hoerdt en direction d’une gare sur la ligne StrasbourgBâle. Quand son train arrive à Strasbourg, il n’a qu’une minute pour galoper et sauter dans son deuxième train ! C’est pas du n’importe quoi ça ? » interroge-t-elle dans un sursaut de colère avant de conclure, ahurie : « Et dire qu’on nous incite aujourd’hui à prendre les transports en commun pour lutter contre le réchauffement climatique… » c

« À un mois du lancement du REME, je me souviens que nous étions tous très positifs. »
c DOSSIER — Le REME 29 №48 — Mars 2023 — Retour

Côté usagers

La FNAUT est la principale association nationale qui défend les usagers des transports. Elle fédère près de 160 associations sur le territoire. Ancien magistrat et fils de cheminot, le président de la FNAUT Grand Est, François Giordani, impliqué très tôt sur le dossier du REME, commente la saga qui a conduit au fiasco de décembre dernier…

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
François Giordani, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) Grand Est :
« On avait prévenu… »

Dès 2016, vous avez été impliqué sur ces problématiques d’évolution du TER Alsace…

En quelque sorte, oui. C’est en effet en 2016 qu’au sein d’une de nos associations, ASTUS, implantée à Strasbourg, nous avions participé aux travaux d’un étudiant en géographie qui avait entrepris une étude de faisabilité d’un projet tel que celui du REME. On y proposait même trois lignes traversantes, telles que celle de la seule ligne traversante du projet REME, Saverne-Sélestat. Assez rapidement ensuite, on a su que la Région Grand Est et l’Eurométropole de Strasbourg s’était mises d’accord pour faire naître le REME. Nous avons été ravis d’être associés à ce projet. Mais dès novembre 2021, nous avons commencé à déchanter quand on a pu constater que la SNCF avait du mal à respecter ses horaires. Les retards qui existaient déjà auparavant se sont aggravés, un plan de transport adapté a d’ailleurs été mis en place de janvier à juillet de l’an passé, mais il n’a jamais été vraiment respecté, les suppressions intempestives s’accumulant, pour toutes sortes de motifs, tous expliqués très technocratiquement : manque

de personnels suite au Covid, manque de matériels suite au Covid là aussi, des pièces dont la SNCF avait du mal à s’approvisionner. On a même eu droit, toujours à cause du Covid, à des trains qui heurtaient de plus en plus les animaux, eux-mêmes de mois en moins chassés en raison des suites de la pandémie, nous disait-on sans rire. Puis il y a eu les difficultés d’embauche, suite au changement de statut en 2018… Bref, dès le début de l’automne dernier, on a été amené à faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs conférences de presse. Je ne vous raconte même pas certains mails qu’on a reçus alors : « vous êtes aigris, vous êtes des mauvais coucheurs… ». Jusqu’au bout, en novembre dernier, Mme Dommange, la directrice du TER Grand Est, a soutenu que la SNCF ne raterait pas ce rendez-vous. M. Philipps, le vice-président de la Région en charge du dossier nous a même appris avoir reçu une lettre officielle allant dans ce sens. Apparemment, tant la Région que l’Eurométropole ont cru la SNCF sur parole, mais nous qui les fréquentions depuis longtemps, on ne leur a fait que très moyennement confiance.

« Dès le début de l’automne dernier, on a été amené à faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs conférences de presse. »
c DOSSIER — Le REME 33 №48 — Mars 2023 — Retour
François Giordani, président de la FNAUT Grand Est

On a donc tout fait pour attirer l’attention des décideurs sur ce risque de carence de l’opérateur national. On avait prévenu…

Et dès l’ouverture du REME le 11 décembre dernier, vous avez été amené à constater nombre de graves défaillances…

Oui, c’est exact. Dès le lundi matin du 12 décembre dernier, nous étions en place un peu partout dans les gares du réseau REME. Notre première surprise a été de constater qu’il n’y avait pas une seule information sur la présence du REME à disposition du public. Rien sur l’ensemble des panneaux électroniques des gares et des quais. Le REME, connais pas ! Personnellement, j’étais en gare de Geispolsheim. Des gens qui se rendaient à leur travail à Vendenheim ont appris par ma bouche qu’ils pouvaient désormais rester dans le même train pour se rendre à la gare de Vendenheim. Aucune information, pas la moindre communication !

Dès la fin de l’après-midi de ce même lundi, tout a commencé à dérailler, sans jeu de mots. Et tout s’est amplifié, de jour en jour. Ce qui a amené la SNCF à mettre en place leur fameux plan de transport adapté pour les quinze jours de vacances de Noël, sur la base d’une offre diminuée d’un quart. Ce plan a été prolongé par un deuxième plan du même type dès le 3 janvier, avec, notamment sur la ligne de Molsheim, une suppression de la moitié des omnibus. À notre énième demande d’explications, l’opérateur national a sorti une nouveauté jamais entendue jusqu’alors : il n’avait pas anticipé les difficultés d’exploitation en gare de Strasbourg. Notamment

un argument assez stupéfiant : les trains allaient plus souvent faire le plein en gare basse et devaient donc de façon plus nombreuse « cisailler » les voies pour ravitailler. Occasionnant ainsi des perturbations plus nombreuses elles aussi sur le trafic entrant et sortant de la gare de Strasbourg. Apparemment, personne n’avait anticipé le fait que si on utilisait beaucoup plus de trains, il y aurait automatiquement beaucoup plus de mouvements pour qu’ils se ravitaillent ! Pour éviter de commenter de façon excessive ce sujet, je voudrais dire qu’à la lecture du dernier plan en 46 points transmis par Mme Dommange, il n’était pas la peine d’être un expert pour s’apercevoir que la quasi-totalité de ces points aurait largement pu être anticipée bien en amont. Il y a quand même assez d’ingénieurs des Mines ou de Polytechnique à la SNCF pour gérer tout ça, non ?

Au fond, que nous dit ce fiasco ?

Il nous dit d’abord, à mon avis, que les élus de la Région et de l’Eurométropole ont voulu à tout prix que le REME démarre très vite et que ça marche. En fait, les techniciens de la Région Grand Est nous avaient d’ailleurs fait part de leur pessimisme sur la mise en place des fameux 800 trains supplémentaires chaque semaine.

Ce fiasco nous dit aussi que la SNCF s’est peut-être retrouvée coincée par la proximité de l’ouverture de certaines lignes à la concurrence (ces lignes concernent la vallée de la Bruche et le transfrontalier vers Offenbourg – ndlr). Ce n’était peutêtre pas le moment pour elle d’avouer

qu’elle ne pouvait pas tenir ses engagements… Ce fiasco révèle aussi des carences flagrantes en termes d’organisation, ce qui nous fait nous demander s’il n’y a pas partout à la SNCF un savoir-faire et beaucoup de compétences qui se seraient perdus durant toutes ces dernières décennies… Enfin, ce que nous vivons chez nous, en Alsace, avec cette triste expérience fournit une preuve éclatante qui en dit long sur ce qui s’est passé depuis très longtemps maintenant : les réseaux régionaux ont été délaissés par la SNCF, on a tout mis sur le TGV. Il aurait fallu équilibrer un peu plus les investissements…

Sous la pression de la Région, la remise en circulation des omnibus a été exigée. Ça vient de se passer à Limersheim où ne s’arrêtait plus le seul train du début de matinée que les lycéens et les gens qui allaient bosser pouvaient prendre !

On est très au fait de tous ces manquements. Dès le début décembre, on a mis en service avec l’aide d’un informaticien un logiciel qui nous permet d’accéder à toutes les open datas (les sources d’information ouvertes au public – ndlr) de la SNCF. On recense ainsi en temps quasi réel toutes les suppressions, mais aussi les retards de moins de quinze minutes ainsi que ceux de moins de trente minutes, y compris sur les lignes de l’étoile ferroviaire de Strasbourg non concernées par le REME. Ce tableur est désormais actualisé chaque soir.

Et au niveau des usagers, comment se manifestent-ils ?

Inutile de vous dire qu’ils sont très remontés. Depuis que je suis devenu président de la FNAUT Grand Est en 2017, on n’avait jamais eu autant de mails, SMS, courriers ou d’appels téléphoniques. Tout y passe, y compris les demandes portant sur les premières semaines de décembre janvier qui ne seront pas indemnisées dans le cadre de la réduction du montant des abonnements portant sur févriermars-avril. Si la SNCF refuse de prendre en charge les indemnités demandées pour les périodes de décembre-janvier, nous avons promis de saisir le médiateur des transports sur les demandes de ces usagers. Les situations que nous décrivent les gens sont quelquefois cauchemardesques. On ne compte plus ceux qui ont été licenciés à cause de leurs trop nombreux retards, les gens en rade sur les quais de gare et j’en passe…

Jamais je n’ai autant répondu à des demandes d’interview venant de la presse nationale et régionale. C’est assez incroyable… » c

c DOSSIER — Le REME 34 №48 — Mars 2023 — Retour
Espace Européen de l’entreprise - Bâtiment MIKADO - Schiltigheim

Et la SNCF ? Elle se tait, la SNCF…

Et la SNCF ? Que pense-t-elle de ce fiasco, où Ubu est au coude à coude avec une flopée de technocrates pour tenter d’éteindre les feux de ce lamentable accident industriel ?

En ce qui nous concerne, nous avons très tôt souhaité rencontrer Stéphanie Dommange, la directrice TER Grand Est, et avons effectué la demande d’entretien usuelle par mail dès le 26 janvier dernier.

Sept jours plus tard, sans réponse, nous avons réinsisté auprès de Alice Cocatre, la responsable du Pôle Communication externe. Le même jour, nous recevions de sa part les mots suivants : « Nous ne pouvons pas répondre favorablement à votre demande, car l’agenda de Madame Dommange ne nous permet pas à l’heure actuelle de réserver un créneau pour répondre à une interview. »

Suivaient « quelques éléments de contexte » (sic) sans grand intérêt, qui n’étaient qu’un simple rappel de ce que nous savions déjà début février, date de réception de ce mail.

Dans la foulée, nous avons réitéré notre demande dans un mail où nous expliquions « qu’il serait quand même assez incroyable que soient interviewés dans notre magazine les usagers ou leurs représentants, ainsi que les responsables politiques en charge du dossier et que nous soyions contraints de signifier à nos lecteurs que malgré notre insistance, la directrice du réseau TER a refusé de nous accorder un entretien… »

Correspondance close dans la foulée par la réception (sèche) de ces mots : « Je vous confirme qu’il n’est pas possible de donner une suite positive à votre sollicitation. »

Durant les semaines où nous avons travaillé sur ce dossier, les stupéfactions se sont enchaînées, et il suffit de lire les déclarations des uns ou des autres dans les pages qui précèdent pour réaliser l’ampleur du fiasco de la mise en service du REME strasbourgeois.

Mais le refus de Stéphanie Dommange de répondre à nos questions fut la « cerise sur le gâteau ».

Nous rappellerons donc nous aussi ici quelques éléments de contexte : dans cette affaire, il s’agit, d’un bout à l’autre de la chaîne, d’un dossier vital sur bien des plans, et entièrement financé par de l’argent public c’est-à-dire notre argent à tous. Ne pas perdre de vue cet aspect des choses aurait dû largement suffire pour que la responsable en charge de ce projet trouve une quarantaine de minutes dans son agenda pour faire connaître au public les explications de l’opérateur national unique qu’elle représente.

Peut-être même aurait-elle pu profiter de cet entretien pour faire valoir quelques aspects des choses sous-estimés par nos interlocuteurs où par nous-mêmes, susceptibles d’apporter un éclairage complémentaire sur le récit des faits et les commentaires des usagers et décideurs politiques que nous avons livrés à nos lecteurs…

Ça doit être ça ce que l’on appelle la communication…

Ce silence forcené de la SNCF ne sera pas tenable très longtemps. Car tant Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est que Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg, s’ils parviennent encore aujourd’hui à contenir la colère froide qu’ils ressentent, ne vont pas mettre des mois à rappeler publiquement les échéances et risquent un jour ou l’autre de violemment taper le poing sur la table.

En ligne de mire, il y a la prochaine mise en concurrence sur la ligne de la vallée de la Bruche, la ligne transfrontalière vers Offenbourg et celle vers Lauterbourg.

Quelle image sera celle de la SNCF quand elle se présentera aux auditions devant l’autorité régionale de transport, c’est-à-dire la Région Grand Est ?

Plus généralement (et c’est le plus important), combien faudra-t-il de temps pour que l’image de la SNCF se restaure ne serait-ce qu’un petit peu auprès de nous tous, le grand public, qui mettons tant de fois la main à la poche : une première fois, via nos impôts depuis des décennies et des décennies pour la pérennité de ce véritable bien national, une seconde fois quasiment chaque année, et depuis longtemps, pour éponger une grande part de son déficit d’exploitation (le cas échéant), une troisième fois au niveau régional (c’est le cas pour le REME) pour financer ses projets. Et une quatrième fois, bien sûr, pour acheter nos titres de transport quand nous utilisons ses services…

M’est avis que le service communication de la vieille dame ferait bien d’agir avec discernement sur le territoire alsacien lors de sa prochaine grande campagne nationale du style « À la SNCF, c’est possible » ou « À nous de vous faire préférer le train ».

Il lui sera peut-être plus prudent d’éviter d’afficher ses slogans multicolores dans le Bas-Rhin… c

Jean-Luc Fournier.

Commentaire
c DOSSIER — LE REME c DOSSIER — Le REME 36 №48 — Mars 2023 — Retour

« On f’ra passer les histoires »

Le choc des générations

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas.

Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

S ACTUALITÉ — SOCIÉTÉ
39 S ACTUALITÉ

En 2023, plus de soixante ans après ce constat fait par Camus à l’occasion de sa réception du prix Nobel en 1957, les générations qui lui ont succédé se sentent plongées dans les eaux troubles, post-vérité oblige, d’un monde qui se défait à une vitesse digne des ordinateurs quantiques. L’intelligence artificielle et les catastrophes naturelles se font concurrence pour se débarrasser de l’humain producteur et consommateur de biens et de services des années fastes du capitalisme en Occident. Des croyances en tout genre fragmentent les sociétés jadis homogènes. Et alors que Pasolini regrettait dans les années 70, au sens propre et figuré, la disparition des lucioles dans sa campagne natale, aujourd’hui, le capitalisme dans sa phase

de prédation finale tend à détruire ses propres ressources de production : la planète et l’humanité.

Sans confiance en l’avenir, dans un quotidien débarrassé du temps lent et contemplatif, grands-parents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du « précieux héritage ». Se produit alors « le choc des générations » sur fond de sidération et de perte de repères anthropologiques. Wokes de la génération Z contre grands-parents baby-boomers réac ! Le match est annoncé et le terrain est surtout celui des classes défavorisées, mais pas que… Sans prétention d’analyse sociologique, prêtons l’oreille à quelques histoires strasbourgeoises, contées ou écrites. On s’apercevra peutêtre que le tableau reflète plus que cinquante nuances de gris…

T’ES UN MONSTRE, PAPI !

« Je n’avais qu’une petite fille, maintenant je n’ai que… je ne sais quoi, le mot n’existe sûrement pas dans le Larousse », raconte R.B., l’air accablé et confus.

Il ne veut surtout pas que son nom paraisse dans le journal. La honte ? Accoudé à une de ses tables préférées au snack Michel, il roule nerveusement entre ses doigts jaunis par le tabac une Marlboro qu’il ne peut plus fumer à l’intérieur depuis des lustres, mais le réflexe y est encore ! Puis, il lève enfin le regard. « Elle n’est pas vraiment devenue un garçon, tu sais. C’est qu’on lui a tourné la tête, voilà ce que je pense, moi. À la fin du lycée, ça a commencé déjà à disjoncter, puis quand elle est allée à la fac de socio, en plein Covid, on ne pouvait plus échanger sans que ça dérape. Sa mère m’a fait comprendre qu’elle s’était fait agressée sexuellement ou quoi… Sa mère, ma fille, est divorcée, mais elle a une bonne situation. Avec ma femme, emportée par le cancer il y a dix ans, on avait tout fait pour que notre unique progéniture s’en sorte mieux que nous. Prof de Français au lycée, l’abondance n’y est pas, mais ça te met bien à l’abri. Le père de ma petite fille, lui, a foutu le camp à Paris et n’en a rien à cirer de sa famille… De toute façon la famille, c’est du passé, bienvenue dans les mondes des aliénés de tout genre ! »

R.B. avale sa gorgée de bière : « On ne s’y reconnaît plus en rien, face à tous ces miroirs déformés. À la sortie du Covid, l’an dernier j’ai revu ma petite fille pour Pâques, méconnaissable : fringuée

40 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

comme un mec, tatouée de partout, piercings et compagnie. Moi aussi, j’ai des tatouages, mais je suis un vieux con. Je lui ai dit :

– Qu’est-ce qui t’arrive, t’as perdu la boule ? T’as l’air de vouloir te faire passer pour un mec !

– Ça te dérange ? qu’elle me répond, effrontée comme jamais.

– Bah, oui, t’es ma petite fille. Elle m’a sorti ensuite tout un discours sur les victimes de la domination mâle et l’apocalypse écologique imminente, comme si tout était de ma faute.

– Je n’ai pas compris, puisque tout est la faute des mâles blancs, pourquoi t’es en train de te transformer en garçon ? Tu veux faire partie de ces mecs qui tombent enceints ? T’as vu passer sur Facebook les affiches du planning familial cet été ?

– Non, je n’ai pas de Facebook, c’est ringard. Tu n’as toujours rien compris, Papi, comme d’hab’. Je ne suis pas un garçon, ni une fille, et ce n’est ni mon vagin, ni mes fringues qui peuvent m’obliger à m’y soumettre…

– Enfin, tu ne peux pas comparer ton… sexe de femme à n’importe quel autre accessoire que tu changes comme ça te chante ! C’est irréel, du pur délire tout ça !

– Ce qui est réel ou pas c’est à moi d’en décider Papi, mais en ce qui concerne de tomber enceint·e, ne compte pas sur moi. On est déjà trop nombreux sur terre.

– Je vois ça, tu es bien partie pour te faire berner par ces nantis qui veulent faire partie d’une caste d’immortels réduisant le reste de la population en compost bio…

Bon, après elle m’a traité d’ivrogne complotiste, de monstre… ma petite fille qui adorait grimper sur mon dos quand on se baladait dans les Vosges… »

DU GRAND-PÈRE ZOOM À LA MAMIE SPORTIVE

Ailleurs, sous d’autres toits strasbourgeois des histoires plus romantiques, mais tout aussi révélatrices se font conter. À l’initiative de deux grand-mères émancipées et modernes – l’écrivaine et comédienne Astrid Ruff et la professeure linguiste Christine Hélot – le Verger éditeur publiait l’an dernier le recueil collectif Histoires de grands-parents 1. Du grand-père zoom Jack Donovan à la mamie sportive Astrid, tous adoptent avec plaisir le concept de « grand-merdage » de l’écrivaine Susie Morgenstern. Affranchis « des carcans statutaires », ils semblent « entrer de plain-pied dans des relations modernes, plus librement choisies » avec

leurs petits-enfants. Précision de taille : leurs « anges » sont encore à la maternelle ou à l’école élémentaire !

N’empêche que Régine et Éric Delamotte font déjà face à « la fabrication du genre » chez leurs héritiers constatant que « la peur de la fille garçon-manqué, ou du garçon efféminé, semble avoir perdu de son intensité. » Ils remarquent que leur petite fille Olga, attirée plus par le personnage de Mulan que celui de Blanche Neige, se passionne davantage pour les jeux de billes à la récréation, tandis que leurs petits fils Niels et Ulysse ne se précipiteront pas vers les poupées ou le saut à la corde.

« Ulysse, qui vient d’avoir trois ans, déclare :

Moi, je ne suis pas une fille.

– Oui, on le sait, disent les grandsparents, tu es un garçon.

Visage buté :

– Non, je ne suis pas un garçon, moi. Ce que je suis, peu importe, mais une chose est sûre : depuis que je vais à l’école, je sais que je ne suis pas une fille ! »

Tu vois cher R.B., tu as raison d’attirer l’attention de ta petite fille sur la paradoxale défaite du féminisme !

LE CHOIX EST ROI

On comprend, tout est devenu une question de « libre » choix, à commencer par la nourriture : « Dans le temps, nos grands-parents mettaient la table et ne demandaient pas ce que l’on aime

ou n’aime pas. C’était le même plat pour tous », remarque l’écrivain strasbourgeois Pierre Kretz, auteur de cinq petits enfants avec Astrid Ruff.

« Quand les petits arrivent chez nous à midi, reprend mamie Ruff, c’est toute de suite " J’aime pas les brocolis, ni les haricots, ni les carottes "… Et ça commence, la distribution selon les choix et les désirs particuliers des uns et des autres. Il faut savoir que nos deux fils ont des habitudes alimentaires très différentes, le grand étant retourné à une stricte obédience du rite juif et le cadet étant plutôt agnostique et végan. Leurs petits ont ainsi des usages alimentaires et vestimentaires très différents, par exemple les filles de mon grand ne portent jamais de pantalons… » Alors ça ! Mamie Astrid, elle en porte à volonté des pantalons et cela fait partie de son image de mamie moderne. « Mamie, elle est comme la grand-mère dans La valise rose de Susie Morgenstern : elle fait des cadeaux bizarres, elle est sportive, elle a les cheveux courts », remarquent ses petits-enfants.

Florence Hugodot n’est pas prête, elle non plus, à se transformer en grandmère à temps plein : « qu’est-ce que ça va être casse-pied… Et dur, dur, de remettre à plus tard toutes ces petites obligations quotidiennes qui me tiennent en vie : gym, chorale, cours d’anglais, exercices de mémoire, thés de dames, permanence sociale, cycle de conférences sur le pré-classicisme néo-baroque en Bohème-Moravie… »

« Sans confiance en l’avenir, dans un quotidien débarrassé du temps lent et contemplatif, grandsparents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du “précieux héritage”. »
41 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

donc à leurs enfants et leurs petits enfants de “corriger le tir”, mais à leur manière. »

Ah, les mamies modernes ! Le choc des générations se prépare donc bien avant l’arrivée des Wokes. Et si on interrogeait ces grands-parents 2.0 sur le souvenir de leurs ancêtres ? On s’aperçoit que la petite Astrid Ruff ne pouvait pas communiquer en allemand avec sa mamie car celle-ci ne parlait pas le français, que la barbe de jeunesse de François Kahn imitait celle de Che Guevara plutôt que celle du rabbin, que Pierre Kretz a renié les rites catholiques de ses aïeux. Ne sont-ce pas d’ailleurs les grands-parents d’aujourd’hui qui ont profité de la pilule et de la libération des mœurs ? Participant à la déconstruction des modes de vie traditionnels, ils ont foncé tête en avant dans l’individualisme matérialiste. C’est donc à leurs enfants et leurs petits enfants de « corriger le tir », mais à leur manière.

LA ROUE DE SAMSARA : LES PETITS VENGENT LEURS ARRIÈRES GRANDS-PARENTS ?

N’est-ce pas curieux ce retour au canon religieux chez les nouvelles générations de la communauté juive de Strasbourg et d’ailleurs ? Et aussi paradoxal que cela puisse sembler, « la religion woke » n’exprime-t-elle pas le même besoin de sortie du déterminisme matérialiste et des valeurs progressistes de la modernité ?

« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus esclave, ni homme libre, il n’y a plus

ni homme, ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ », lit-on dans l’Epitre aux Galates, 3,28 de Saint-Paul, devenu l’inspiration d’une nouvelle gnose du militantisme de gauche2. Les athées d’hier adoptent les stratégies d’un apôtre chrétien ! Face aux pressions d’une société de plus en plus régulée, le libre choix du genre prôné par les Wokes est vécu comme une forme d’émancipation. On y propose de transformer le réel, considéré pure illusion, un peu à l’image du samsara bouddhiste… Tout serait parfait si le fanatisme n’était pas aux aguets. Religieux ou woke, les petits enfants tendent parfois vers un obscurantisme digne des endoctrinements idéologiques de leurs aïeux, tout au nom de LA « vérité ».

« Nous participons d’une chaîne vivante qui se poursuit bien après nous, dans les perspectives sombres de bouleversements climatiques encore inconnus, rappelle Irène Fenoglio. Grâce aux petits-enfants, nous prenons notre juste place – avec un amont et un aval – dans cet univers vertigineux dont nous ne connaissons pas la fin »… R.B. se sent renié par sa petite fille transgenre, mais il lui a sûrement transmis, à son insu, une part de lui qui continuera à se transformer et changer le monde bien après son passage sur Terre.

« Mamina, tu peux mettre du rap français ? » dit à sa grand-mère, Malia encore à la maternelle. Irène Feroglio s’exécute « très obéissante, mettant la radio que tonton Mahdi lui a indiquée… »

Et c’est peut-être la chanson d’Orelsan, une des stars du rap français.

Mes grands-parents croient en l’évangile

Leurs enfants ont décidé d’laisser Jésus tranquille

Mon grand-père utilise le mot pédé pour dire pédophile

Il s’endort entre les plats comme s’il était sous Lexomil

Mes grands-parents ont l’disque-dur qui commence à ramer

On f’ra passer les histoires, laissera pas la mémoire s’effacer S

« C’est
1- Astrid Ruff et Christine Hélot, Histoires de grands-parents, Le Verger éditeur 2022
42 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
2- Alain Badiou, Saint-Paul. La fondation de l’universalisme, PUF, 2015

S ACTUALITÉ — LE CENTRE QUI RASSURE

Cœur battant RECOR C

Sur trois étages, immédiatement voisin de la Clinique de l’Orangerie à laquelle il appartient et dont il dépend directement, le centre RECOR du 23 de l’Allée de la Robertsau affiche clairement sa nature juste sous son acronyme : Centre de réadaptation Cardiaque de l’Orangerie. Ici sont accueillis toutes celles et ceux qui ont été victimes d’un accident cardiaque et c’est une prise en charge diablement professionnelle qui les attend…

es patients ont tous vécu, quelquefois très soudainement, un problème avec leur cœur. Cela va du rétrécissement d’une artère coronaire rapidement et efficacement « réglé » par la pose d’un stent (une intervention quasi routinière aujourd’hui) à l’opération à cœur ouvert des valves cardiaques en passant par un pontage plus ou moins compliqué. Quelquefois aussi, c’est l’infarctus qui s’est invité, brutal et redouté, et on y a survécu…

Dans tous les cas, il faut impérativement réapprendre à vivre avec les conséquences de la maladie, voire même prévenir d’autres épisodes pouvant s’avérer bien plus graves encore.

C’est généralement le cardiologue ou le médecin traitant qui parlent les premiers de RECOR et qui invite le patient à pousser la porte du 23 de l’Allée de la Robertsau.

Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès – Gilles Schacherer – DR
44 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Une partie de l’équipe du Centre RECOR

Après un check-up complet (dont un électrocardiogramme), le feu vert donné, chaque patient établit avec une cardiologue le début de son planning personnel. Vingt séances sont ensuite programmées (dix autres peuvent s’y ajouter, à l’issue du programme, si le patient en ressent la nécessité…)

UN PROGRAMME TRÈS ÉTUDIÉ

Trois étages donc, et autant de modules invariables, chacun s’étalant sur 45 minutes soit le matin soit l’après-midi.

Les deux premiers sont affaire de condition physique. Les 45 premières minutes se passent sur un vélo ou un tapis de marche (il existe même un rameur). Sous surveillance constante par monitoring, on y travaille l’endurance et la cardio en respectant scrupuleusement les programmations fixées, surveillés par un staff de trois infirmières spécialisées en permanence sur place.

Un quart d’heure de récupération et de détente puis on entame ensuite 45 minutes de gymnastique. Six patients par groupe sont pris en charge par un des deux enseignants en éducation physique adaptée. Tout le corps est peu à peu sollicité, le thorax, les bras, les jambes, les articulations par le biais d’exercices collectifs rythmés par une discrète musique entraînante. Les trois quarts d’heure se concluent immuablement par l’incontournable séance d’étirements qui évite les courbatures du lendemain. Bien sûr, dans cet atelier, les enseignants respectent le rythme et l’âge de chacun…

La demi-journée se termine par un atelier aux thématiques très variées dit « d’éducation thérapeutique » : animé par des praticiens spécialistes, on y parle de diététique, d’équilibre alimentaire, de gestion du stress, de relaxation, de bonnes pratiques en matière d’activité physique, etc. sans oublier une information complète sur les types de médicaments assez nombreux lors de la prise en charge de ces pathologies.

Le programme RECOR est bien sûr entièrement pris en charge par l’Assurance Maladie ; mieux même, si le patient en ressent le besoin et en manifeste un intérêt évident, vingt autres séances peuvent automatiquement se mettre en place lors de chaque année civile. S

Ce consultant-formateur spécialisé en intelligence collective vient de passer le cap de la soixantaine. L’été dernier, il a réalisé une performance assez rare avec sa grande traversée des Alpes qu’il avait prévu de réaliser en 2020… juste avant que son cardiologue ne décèle ses problèmes cardiaques. Il raconte…

« J e pratique la randonnée depuis pas mal de temps » évoque Gilles. D’ailleurs, un an avant la grande traversée des Alpes telle qu’elle était prévue initialement, j’avais effectué la traversée des Vosges, de Wissembourg jusqu’à Thann, soit 410 kilomètres environ.

Pour me préparer, je marchais quasiment chaque week-end et je me sentais toujours bien en rando. Depuis une dizaine d’années, j’avais rectifié de moimême pas mal de choses concernant ma santé : arrêt du tabac, perte de poids, une quinzaine de kilos, quand même. Bref, je me sentais donc parfaitement capable de relever ce défi un peu fou de traverser les Alpes du nord au sud. Et comme j’avais décidé de dormir en refuge, j’avais déjà tracé mon parcours, effectué mes trente réservations et je me préparais donc en prévision de cette rando d’exception.

Ma fille aînée, Mathilde, est hématologue-réanimatrice et, dans les mois précédents, elle m’a pris littéralement

« Au centre RECOR, on te responsabilise en faisant appel à ton intelligence de la situation »
Un patient, Gilles Schacherer
45 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

le chou : « Papa, tu ne vas quand même pas te lancer dans ce projet sans aller voir un toubib… » Elle a insisté si fort que j’ai fini par prendre un rendez-vous avec un généraliste, le premier depuis des années ! Il constate un peu d’hypertension, il m’ausculte et finit par me dire : « Bon, ce serait quand même bien de voir un cardiologue… »

À l’examen, ce dernier souhaite que je fasse un test d’effort un peu plus poussé, accompagné d’une coronarographie exploratoire. Nous sommes alors en mars, cinq mois avant le départ prévu de la traversée et le diagnostic tombe : rétrécissement coronaire, il faut poser deux stents, et rapidement de plus. Ce qui sera fait trois semaines plus tard, après que j’aie annulé ma rando. Je vous laisse le soin d’imaginer alors ma déception, elle a été énorme. Tellement passionné, j’ai quand même fait une toute petite rando de cinq kilomètres, fin avril, huit jours après l’intervention. Le dénivelé était ridicule, 150 mètres, et bien j’étais au bout de ma vie ! Ensuite, j’ai bossé normalement et, malgré tout, l’été suivant, j’ai quand même fait 550 kilomètres sur le chemin Stevenson et retour, dans le Massif Central, qui est assez connu (le film Antoinette dans les Cévennes a été en grande partie tourné sur ce chemin – ndlr), un circuit que j’avais suivi parce que c’était nettement plus plat que les Vosges et, a fortiori, les Alpes… »

Un an plus tard, Gilles Schacherer, obstiné, entamera donc la traversée des Alpes (lire l’encadré ci-contre).

DE PRÉCIEUX REPÈRES…

C’est son cardiologue qui attirera son attention sur le centre RECOR. Dès la pose des deux stents réalisée, le spécialiste avait insisté sur le fait que ce serait intelligent d’entamer une rééducation cardiaque. « Ce n’était pas un besoin absolu » se souvient Gilles Schacherer « mais comme je ne cessais de lui parler de mes projets de randos, il a jugé cela très pertinent. Donc, je me suis engagé dans ce parcours que j’ai réalisé en deux parties, avant la rando dans le Massif Central et juste après. Les deux premiers mois ont d’ailleurs servi en partie de préparation, même si aucun effort démentiel n’est bien sûr jamais demandé durant le programme RECOR. Ce programme

m’a quand même beaucoup aidé, car il comporte aussi cette phase très intéressante de conseils et de recommandations concernant la diététique, l’hygiène de vie…

Pour la petite histoire, une fois le programme achevé, en octobre, mon cardio n’était toujours pas très chaud pour que je parte sur la traversée des Alpes. Du coup, je me suis inscrit dans une salle de sports où j’ai pas mal travaillé la cardio sur le tapis et le vélo. Je l’ai fait seul, mais en fait je me suis alors rendu compte que RECOR m’avait permis de prendre de précieux repères qui m’ont permis d’augmenter peu à peu l’intensité des efforts. Le tout, complété par les randos du week-end, m’a bien permis de retrouver ma forme d’auparavant. Puis de l’améliorer encore. En fait, je savais ce que je faisais. La rando de 550 km dans le Massif Central, c’était un cumul de 17 000 mètres de dénivelé positif. Je n’ai cependant jamais perdu de vue la traversée des Alpes, qui représentait la même distance, mais avec un cumul de 36 000 mètres de dénivelé… »

En se rappelant de son parcours dans le centre de l’Allée de la Robertsau, Gilles se souvient qu’il a eu le sentiment de gérer son ambition dans la transparence. « À mon arrivée à RECOR, j’ai tout de suite prévenu que mon objectif restait de réaliser avec succès cette traversée des Alpes. Mon cardio étant donc parfaitement au courant lui aussi, on a été trois à gérer cette situation. Avec lui, on s’était assez tôt fixé la date de mars 2022 pour qu’un nouveau test d’effort couplé avec une échographie simultanée vienne confirmer que je pouvais entreprendre ce projet sans souci. Ce qui fut fait avec, au terme, le feu vert espéré !

Un an après, le consultant dresse un bilan élogieux de RECOR. « En tout premier lieu » se souvient-il, « on te responsabilise en faisant appel à ton intelligence de la situation. L’idée de fond est de te permettre de prendre toi-même ta maladie en charge de façon très autonome. Ce point-là m’a paru déjà plus qu’intéressant, d’emblée. Le parcours brasse tout ce que tu dois prendre en compte : l’activité sportive, bien sûr, mais aussi toute la partie accompagnement sur tous les autres aspects de ton quotidien comme la gestion du stress, la qualité et la diversité de ton alimentation, la compréhension des médicaments par exemple… » S

La traversée des Alpes

« Un des grands voyages de ma vie ! »

Dix-sept mois après la pose de ses deux stents, Gilles Schacherer a donc bouclé cette fameuse traversée. « Je ne veux pas vous abreuver de chiffres » dit-il, « mais, pour faire court, le parcours c’est 595 km en 33 journées de marche, 35 570 mètres de dénivelé positif, 35 940 mètres de dénivelé négatif. Le tout représente 1 040 000 pas et tout ça pour descendre de 372 mètres, c’est-à-dire la différence d’altitude entre le lac Léman, au départ, et les plages de la Méditerranée à Menton, à l’arrivée. Faut être fêlé, non ? » rigole-t-il de façon tout à fait décomplexée…

46 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

« Tous les jours, tu te dis : mais pourquoi tu te fais mal comme ça ? Mais qu’est-ce que tu es venu foutre là ?

Pour simplifier, la première semaine tu en chies vraiment, parce que les Alpes, ça n’a vraiment rien à voir avec ce que je connaissais auparavant, comme les Vosges par exemple. Dans nos montagnes, il y a aussi des endroits raides à monter, mais c’est sur un kilomètre ou à peine plus. Là-bas, ça dure pendant huit kilomètres !

Quand tu te tapes les 1 200 mètres de dénivelé du Brévent qui se dresse d’un coup au-dessus de Chamonix, sous l’orage, tu surmontes un défi mental diabolique…

Cette première semaine est d’autant plus infernale que le GR accumule beaucoup, vraiment beaucoup de dénivelé, et ce, dès la première étape.

La deuxième semaine, physiquement tu t’es un peu habitué, mais c’est alors le mental qui te travaille. En permanence, tu te demandes vraiment le sens de ce que tu es en train de vivre.

Mais à partir de la troisième semaine, tu finis par trouver bien anormal de ne pas marcher. Et même durant les jours de repos, tu marches quand même un peu…

Sur la fin, dans le Mercantour, j’ai vraiment réalisé l’extrême difficulté de cette randonnée. On frôle en permanence la frontière italienne, ça monte vraiment très raide et on est en permanence dans les éboulis. Je me souviendrai longtemps de la vallée de la Roya, dévastée à l’automne 2021 par les gigantesques torrents d’eau et de boue. On découvre toujours des paysages de guerre, là-bas…

Et c’est le dernier jour, celui de l’arrivée à Menton. Tous les randonneurs au long cours te le diront, c’est le jour que tu n’as jamais cessé d’espérer atteindre depuis le début et pourtant, pour moi ça a été le jour le plus décevant. Bon, Menton, c’est mignon, mais voilà, tu retrouves de nouveau les bagnoles et tout le reste, tu vis un peu le syndrome de tout qui s’écroule autour de toi.

En fait, j’ai réalisé là un des grands voyages de ma vie. C’est un profond voyage en soi, bien sûr, mais aussi un voyage en plein cœur des problèmes du monde : en traversant les Alpes, tu es confronté à la sécheresse et pas qu’un peu, il y a plusieurs refuges où je n’ai pas pu prendre de douche, par exemple… Certains autres étaient même fermés, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire. Et dans certains lacs, il n’y avait plus d’eau…

Partout, la biodiversité est en grand danger, quand tu croises des gardes et que tu discutes un peu avec eux, ils te le confirment tristement. Tu entends aussi beaucoup parler de la gestion de la présence du loup et sa cohabitation avec la vie pastorale. C’est très compliqué. Je me suis fait attaquer par des bergers d’Anatolie, des chiens de berger qui ressemblent à des patous, mais qui sont beaucoup plus agressifs.

Et puis, tu te frottes aussi au problème du tourisme de masse, comme durant ces deux jours qui ont suivi mon étape à Chamonix, sur ce qui s’appelle le tour du Mont-Blanc. Ils sont en grappes, ça vient des USA, de Corée et ça arrive là par bus entiers. Au-dessus de toi il y a les hélicos qui, toute la journée, déposent les gens pour faire des courses en montagne. Et puis, durant les derniers kilomètres où tu longes quasiment en permanence la frontière italienne, tu réalises les problèmes de l’immigration : les migrants sont partout sur les quarante derniers kilomètres. Partout ! Les relais des passeurs et les planques abondent… »

Revenant a posteriori sur « ce coup de bambou » que fut l’irruption de la maladie dans sa vie sans que jamais le moindre symptôme ne se soit présenté en amont, et fort de sa belle expérience l’été dernier, Gilles Schacherer confirme qu’il n’oublie cependant pas pour autant ce qui s’est passé en mars 2020, ne serait-ce que parce qu’il doit « prendre désormais un traitement médical chaque matin »…

« Mais je suis déjà en train de réfléchir où je vais aller marcher cet été. J’hésite entre la grande traversée des Pyrénées, c’est encore le cran au-dessus avec ses 800 km, mais là, comme je rentre du Maroc où j’ai fait un trek dans les déserts du grand sud, un guide m’a proposé la traversée de l’Atlas en dix-sept jours via deux sommets de 4000 mètres. Du coup, j’hésite… » avoue-t-il. »

47 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Le programme RECOR

Adopter les bons comportements après le problème cardiaque…

La cardiologue Marie Lévy est en poste au centre RECOR depuis trois ans. En tant que responsable de ce service intégré au sein de la Clinique de l’Orangerie, elle coordonne l’activité de plusieurs infirmières et spécialistes de la santé ainsi que des deux enseignants en activité physique adaptée qui offrent aux patients de RECOR un programme complet de réadaptation cardiaque…

La première question qu’on a envie de poser concerne tous ces patients qui suivent ce programme. Comment arrivent-ils ici ?

Il y a ici deux sortes de populations. Il y a les patients qui ont eu un problème cardiaque et qui ont été hospitalisés à l’issue d’un infarctus ou pour la pose d’un stent qui a été programmée après des explorations demandées par leur cardiologue. Ces patients arrivent ici pour qu’on les aide à reprendre leur vie d’avant tout en surveillant qu’il n’y ait pas de limites particulières à leur fixer et en leur donnant toutes sortes de conseils et d’explications en matière diététique, qualité de vie, sportive ou relative à la gestion du stress, entre autres… Le point-clé est d’éviter les récidives et de permettre aux patients de reprendre une vie la plus normale possible…

Il y aussi ceux qui viennent dans le cadre de ce que nous appelons la prévention primaire. Ils n’ont jamais eu le moindre problème cardiaque, mais leur cardiologue ou leur médecin traitant les ont identifiés « à risque » dans ce domaine. Généralement, le but est de modifier leur mode de vie en général, l’alimentation, le poids, l’activité physique régulière. À notre niveau, nous essayons donc de corriger ce qui peut l’être afin d’éviter qu’un événement cardiaque survienne…

Le programme est-il le même pour tous ?

On essaie de l’adapter au cas par cas, mais, de manière générale, on propose une vingtaine de séances sur un créneau de trois heures pour chacune d’entre elles, les deux tiers étant consacrés à une activité physique et le troisième tiers étant dévolu à ce que nous appelons l’éducation thérapeutique et ses nombreux ateliers comme la diététique, la maladie, les médicaments, entre autres… Quand il y a eu une hospitalisation pour un problème cardiaque, on dose évidemment l’endurance en fonction du profil de chaque patient et, petit à petit, séance après séance, on augmente un peu l’intensité. À la fin des vingt séances de base, si les gens sentent qu’ils peuvent encore s’améliorer sur le plan de l’activité physique, on peut prolonger le programme avec dix autres séances supplémentaires. Nous adaptons en permanence ce programme en tenant compte de tous les profils des gens qui viennent le suivre ici…

J
48 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Marie Lévy, cardiologue, dirige le Centre Recor

EXPERTS-COMPTABLES, COMMISSAIRES AUX COMPTES, CONSEILS EN ÉCONOMIE D’ENTREPRISE

contact@groupe-fiba.fr www.groupe-fiba.fr
Définissons vos besoins et construisons l’accompagnement qui vous correspond. Retrouvez nos bureaux en Alsace, Moselle et à Paris sur :
entreprise, notre mission.
Votre

Quel est le profil de vos collègues qui travaillent dans ce service ?

Nous sommes tous salariés de la Clinique de l’Orangerie et nous avons tous auparavant œuvré au sein de services de soins hospitaliers classiques. Nous avons tous été affectés ici sur la base du volontariat. Du coup, il y a une belle osmose dans cette équipe et ce service est réputé comme étant agréable pour y travailler. Je crois que ceci provient du fait que les patients qui sont ici y arrivent volontairement et qu’ils sont partants pour suivre ce programme. Dans un service hospitalier classique, on est bien sûr contraint d’être là et on n’a qu’une hâte, le quitter le plus vite possible. Globalement, il y a donc une très bonne entente entre nous tous et les quelques petits problèmes qui surviennent sont rares d’une part, et vite solutionnés ensuite… Cela vaut aussi pour les deux enseignants en activité physique adaptée qui prennent en charge le module de gymnastique, ils sont eux aussi intégrés à plein temps au sein de l’équipe du centre RECOR…

Vous-même, comment avez-vous intégré ce service ?

Après mes études de médecine et mon internat de cardiologie à Strasbourg, mon

premier poste a été à l’Institut universitaire de Réadaptation cardiaque Clémenceau situé sur le site d’Illkirch-Graffenstaden qui venait d’ouvrir et qui cherchait des cardiologues. Je crois que ce qui m’a attiré sur ce poste était le côté échange avec les gens, loin des choses un peu plus stressantes, agressives ou invasives qu’on connaît dans nos métiers, à l’hôpital. J’ai adoré ce premier poste et à l’été 2019, j’ai été contactée par l’ancienne cheffe de service d’ici qui partait à Colmar. J’adorais tellement mon équipe à Illkirch que la décision a été un peu difficile à prendre, mais je n’ai rien regretté ensuite, car ici, j’ai retrouvé la même ambiance et ce même travail que j’aimais.

Peut-on faire un bilan de l’action de ce service depuis ses deux décennies d’existence ?

Oui, mais il faut distinguer deux époques différentes, car, à ses débuts, ce centre ne s’occupait que de réadaptation nutritive et de prévention primaire. Aujourd’hui, nous devons fournir à l’ARS (l’Agence Régionale de Santé – ndlr) le nombre de patients pris en charge et leurs spécificités comme l’âge, la ou les pathologies, le nombre de séances suivies, etc. En fait, pour que nous puissions mesurer plus

parfaitement l’impact de RECOR, il faudrait que soit mise en place une consultation de rappel un an après la fin du suivi de notre programme. Le retour de nos confrères cardiologues est précieux et ils nous font volontiers part des bienfaits de RECOR sur les gens qu’ils nous envoient.

Un point important, nous sommes toujours ravis de revoir nos patients après un an. Ils nous reviennent généralement, car la Sécurité sociale, à l’instar des cures thermales par exemple, autorise la prise en charge de vingt séances annuelles pour les gens qui ont eu recours au programme de base. Nous fonctionnons alors un peu comme une salle de gym, mais nous ne proposons que du sport santé : on est loin du sport esthétique ou du sportperformance. En tout cas, on est vraiment heureux d’aider les gens à sortir de leur sédentarité plus ou moins prononcée et à les ramener vers une activité physique régulière qui leur fait du bien. D’ailleurs, à leur entretien de sortie du programme, je leur dis systématiquement que plus tard, il ne leur faudra pas hésiter à repousser notre porte s’ils sentent qu’ils doivent être aidés pour conserver les bonnes habitudes qu’ils avaient acquises après le programme initial. Beaucoup nous reviennent régulièrement dans ce cadre… » S

J 50 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
« On est vraiment heureux d’aider les gens à sortir de leur sédentarité plus ou moins prononcée et à les ramener vers une activité physique régulière qui leur fait du bien. »

La Terre demande toute notre attention

D’ÉMISSIONS CARBONE -15% 2023

CARBONE NEUTRALITÉ

2050

La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement.

Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr

SOLUTIONS TERRE CUITE | MUR-TOITURE-FAÇADE

Trois ans après le « Big Quit »

Des Strasbourgeois témoignent...

Le double effet kiss cool de la crise sanitaire ? La quête de sens professionnel. En 2021, six salariés et huit chômeurs sur dix envisageaient une reconversion selon le dernier baromètre de l’Unedic à travers demandes de formation, changement d’employeur ou création d’entreprise. Comment ont-ils fait le grand saut ? Quel regard portent-t-ils sur leur décision ? Témoignages.

Anticipation d’un licenciement économique. Volonté, au contraire pour les freelances de retrouver la sécurité d’un groupe. Opportunité de créer sa boîte. Souci de trouver un meilleur équilibre vie entre la vie professionnelle et la vie personnelle… Le COVID a suscité pas mal de remue-ménage dans l’esprit des actifs ou demandeurs d’emploi.

Selon une enquête BVA réalisée en février 2022 pour France Compétences, la « perte de sens » est la raison la plus partagée (27 %) par les actifs en reconversion, qui évoquent aussi « l’insatisfaction » due aux conditions de travail (23 %), à la rémunération (22 %), ou une pression trop importante (20 %).

Si la France n’a pas connu le « Big quit » ou « grande démission » des États-Unis –plus de 4,3 millions de démissions rien qu’en août 2021, tout de même – 58% des Français en emploi envisageaient une reconversion professionnelle en décembre 2021.

Les milieux les plus touchés sont sans surprise l’hôtellerie-restauration, la grande distribution ou l’aide à la personne. À titre d’exemple, l’Ordre national des infirmiers a révélé que 40% des infirmiers interrogés au printemps 2021 envisageaient une reconversion…

À l’heure où nous sortons ce quarante-huitième numéro de Or Norme, le premier confinement « fête » ses trois ans. Nous avons souhaité aller à la rencontre d’actifs qui ont profité du COVID pour entamer leur reconversion. Histoire de mieux comprendre quels peuvent être les éléments déclencheurs faisant tourner une page de plusieurs décennies dans une même activité ou société… S

S ACTUALITÉ — RECONVERSION
52 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Caroline Schwob

Directrice marketing et communication d’une multinationale américaine, Caroline Schwob craque peu de temps avant le confinement. Une pause salutaire qui a permis à l’hyperactive d’oser réaliser un rêve qu’elle pensait inaccessible : être à son compte et entrevoir de faire de sa passion, la cuisine, un métier.

temps thérapeutique à sa boîte. « J’ai renoncé en octobre. Je subissais à nouveau le harcèlement de mon N+1, j’ai alors réalisé que je n’étais plus équipée pour une telle pression. »

Son anti-stress ? La cuisine. Elle commence à développer son blog de recettes cétogènes, son Instagram (elle compte plus de 20 000 followers aujourd’hui). « Je suis gourmande, mais j’ai découvert il y a quelques années mon intolérance au gluten doublée d’une candidose. Je me suis mise au régime keto et à force de recherches, j’ai développé tout un tas de recettes faciles et gourmandes. »

Son mari la pousse à lancer son blog. Grâce à lui, elle se lance, propose une maquette à Larousse qui lui répond favorablement. Son premier livre Débuter le régime keto sort le 1er février 2022, le deuxième Je mange keto au quotidien pile un an plus tard.

En mai 2022, elle démissionne. « C’est une décision mûrement réfléchie. J’aime toujours mon métier de communicante, mais je ne me vois plus le faire en entreprise. Je suis très prudente, j’ai des clients réguliers en tant que consultante pour garder un certain niveau de vie et avoir la liberté d’écrire. »

Avec cette nouvelle vie d’indépendante aux multiples projets, Caroline découvre l’harmonie. « Avec le COVID, j’ai compris que l’on pouvait trouver un équilibre entre vie professionnelle, personnelle et nourrir sa passion, confie-t-elle. J’étais tout le temps entre deux voyages à travers le monde, j’ai même manqué la rentrée en maternelle de mon fils. Aujourd’hui, j’apprécie d’être déléguée de sa classe. »

L

e COVID m’a apaisée. » En burnout depuis décembre 2019, Caroline Schwob, 46 ans, prend le temps de la pandémie pour se retrouver. « Le confinement n’a pas été le déclencheur de mon changement professionnel, mais plutôt une remise en question de mon rapport à la pression, à ce besoin de toujours mieux faire, de répondre positivement aux sollicitations. Depuis un moment, j’étais en mode pilote automatique, je n’étais plus au bon endroit, au bon moment. »« (Haut potentiel intellectuel), avec un haut potentiel émotionnel (HPE). Si cela m’a fait sourire d’être définie « adulte précoce » à 46 piges, cela m’a fait comprendre pourquoi je prenais les choses trop à cœur, pourquoi je ne savais pas prendre de recul… » Cette analyse couplée à un bilan de compétences révèle aussi son « syndrome de l’imposteur » : « Ma coach m’a fait réaliser que je ne postulais qu’à des postes en dessous de mes compétences. Elle m’a dit qu’elle me voyait bien à mon compte, mais pour moi, c’était « No way, j’en suis incapable ! » Il fallait que j’entame un vrai travail personnel de fond. »

Si cette parenthèse aurait pu être catastrophique pour elle qui ne tient pas en place, elle l’a mise à profit. « Pour la première fois de ma vie, j’ai consulté un psy. J’ai découvert à 46 ans que j’étais HPI

Mais Caroline tourne en rond. En avril 2021 elle craque, et demande un mi-

53 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Du burn-out à la Popote de Potine lapopotedepotine.com
A-t-elle quelques regrets de sa vie dans le top 3 du comité de direction d’une multinationale ? « Être manager, c’est 80% d’humain, et 20% de tâches, je m’investissais beaucoup, ça m’a brûlé. Ok, je n’ai plus de voiture de société, mais j’ai le tram ! Je n’ai plus de cadeaux du comité d’entreprise, mais je m’en fous ! Je n’ai plus mes collègues, mais une vie professionnelle riche en contacts, sans le collègue qui se plaint de ne pas avoir reçu son doc à temps, sans pression ni harcèlement moral. » Et avec du temps pour partager sa popote qui a soigné autant son corps que son esprit. S

«

Mathilde Pessard

Devenir hypnothérapeute ne nécessite pas cinq années d’études. Sa directrice des ressources humaines l’encourage à se lancer. « Je me décide à prendre le plan de départ volontaire que je vendais toute la journée à mes collègues. J’ai réalisé qu’il était super intéressant, alors pourquoi pas moi ! ». Les conditions sont idéales. Dix mois de congés de reclassement, une formation et une compensation financière à la création d’entreprise… « Je ne remercierais jamais assez Air France, insiste la jeune femme. Quand tu es salariée pendant 22 ans d’une entreprise comme celle-ci, où l’on te fait tout, cela demande quelques ajustements pour avoir le mindset entrepreneur ! »

Q

Embarquée chez Air France à 19 ans en contrat de qualification, Mathilde Pessard s’épanouit dans ses différents jobs jusqu’au jour où elle ne trouve plus de sens à ses tâches. On est en pleine crise sanitaire : elle décide de prendre le plan de départ de la compagnie en 2021 pour une nouvelle aventure professionnelle.

Services passagers, enregistrements, accueils, Mathilde passe des années en horaires décalés. « On était 350 à l’aéroport de Strasbourg, il y avait par moment un vol toutes les 40 minutes pour Paris. À partir de 2007, avec l’arrivée du TGV, les choses ont changé. On pense qu’on va pouvoir rester dans la compagnie toute sa vie, et puis on commence à comprendre qu’elle aura besoin de moins de monde. Aujourd’hui ils ne sont plus que 25 chez Air France à l’aéroport. »

Mathilde intègre en 2012 le service planning, puis celui des ressources humaines, à la direction régionale d’Illkirch. Elle valide ses acquis et décroche une licence en ressources humaines.

uand tu intègres une entreprise comme Air France, tu te dis que c’est pour la vie. » Mathilde adore ses différents postes au sein de la compagnie aérienne qu’elle rejoint par hasard à 19 ans, en contrat de qualification.« Cela a duré huit ans, c’était vraiment passionnant, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sens. C’est ce que le COVID m’a révélé. Je me suis retrouvée en télétravail, à gérer les conditions de travail de tout le monde, un peu la panique à bord ! Je commence alors à me poser des questions : à quoi sert ce que je fais ? Un an après le début du COVID, je reviens très peu au bureau, c’est glauque. Mais j’ai peur ! Je me dis, tu as un boulot, tu adores ta boîte, tu as un salaire tous les mois… Et puis d’un coup, je me mets à avoir davantage peur à l’idée de rester qu’à partir. »

Mais pour quoi faire quand on évolue depuis 22 ans dans la même entreprise ?

« J’ai beau réfléchir, réfléchir, ça ne vient pas. Et puis un jour, en faisant du jardinage, je déconnecte mon mental et l’idée me vient : ce sera l’hypnose ! Mais instantanément, je me dis que je suis folle. » Et puis tout s’aligne.

En septembre 2021, Mathilde démarre sa formation à l’hypnose, à Paris. Une révélation. « Mes filles sont ados, je peux me permettre de partir quatre fois huit jours. C’est tellement génial d’apprendre, je me sens vivante. C’est épuisant aussi, car tu travailles beaucoup sur toi, tu vas voir ce qu’il y a sous le tapis. Et puis tu réalises aussi que la connaissance du fonctionnement humain, c’est le travail d’une vie. Je sors de l’école avec “le syndrome de l’imposteur”, envahissant, mais important, sinon tu es sans filtre. »

Accompagnée, « je monte ma boîte… Et quel bonheur de la créer à mon image ! Je choisis un cabinet comptable, un webdesigner, je découvre la stratégie marketing… Très vite viennent les premières inquiétudes. La première : réaliser que tu vas avoir des clients ! »

Le 1er juin, elle termine son congé de reclassement et s’installe dans un cabinet, à Hœnheim, puis grâce à un client, elle trouve deux autres créneaux à la Robertsau. « Je me suis payée un coaching de six mois avec une communauté de femmes en reconversion professionnelle pour nous aider à lever les freins, les peurs… »

54 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Après 22 ans chez Air France, cap sur l’hypnothérapie mp-hypnose.fr
Mathilde travaille dix fois plus qu’avant. Jamais elle n’a regretté sa décision, même dans les moments de doutes. « Moi qui recherchais du sens, là cela a du sens d’accompagner quelqu’un dans son désir de changement », sourit-elle. Le tout sans se mettre une pression dingue. « Je ne le vis pas comme la décision d’une vie, je me dis juste que tout est possible. Quand tu enlèves cette pression, c’est plus agréable. » S
STRASBOURG 2 rue Emile Mathis 03 88 753 753 HAGUENAU 110 route de Strasbourg 03 88 06 17 17 OBERNAI 1 rue des Ateliers 03 88 338 338 www. lespaceh .fr

L

En parallèle, il collabore à Passion vins, aux éditions de la Nuée-Bleue, ou dans la presse viticole. Sans jamais quitter son agence où il gravit les échelons.

Lors du premier confinement, Olivier se retrouve en télétravail comme beaucoup.

Dans son esprit, il n’est pas encore question de reconversion professionnelle. « J’étais trop pris par mon boulot, avec ni l’énergie, ni le temps de réfléchir, même si monter ma boîte trottait dans ma tête depuis longtemps. »

Olivier quitte néanmoins Plurimedia où il a passé 21 ans de sa carrière pour

Olivier Métral

Chef de service chez Plurimedia, Olivier Métral claque la porte en juillet 2020, au bord du burn-out. Il enchaîne avec une année en tant que chargé de communication du Struthof, avant de réaliser une idée qui lui trottait à l’esprit depuis des années : lancer sa boîte de communication à destination des acteurs du vignoble alsacien.

a boucle est bouclée est-on tenté d’écrire, même si Olivier Métral parle d’un « parcours un peu tortueux, mais néanmoins salvateur, depuis l’arrivée du COVID. » Sa passion pour le vin date de 1999, quand ce Grenoblois d’origine est arrivé en Alsace pour suivre son épouse. « J’ai découvert la région, les cépages, au point que j’ai lancé au début des années 2000, alors que les ventes sur internet démarraient à peine, le site 20dalsace.com, mélange d’actus, d’infos et de ventes pour une vingtaine de vignerons. Ma relation avec les vignerons a changé, je n’étais plus un simple client lambda, j’ai pu découvrir les coulisses, m’imprégner de cet univers et créer un joli petit réseau. »devenir chargé de communication du Struthof, en septembre 2021. « Mais un mois après, on était reconfiné, ce qui signifiait zéro visiteur… Mon travail était intéressant, mais c’était un peu glauque sans presque personne. »

Il met à profit ses longs trajets quotidiens pour faire un point sur sa carrière. « Le COVID a contribué à ce que je me pose des questions, c’est l’élément déclencheur. » Durant cet entre-deux, le vigneron Marc Tempé fait appel à ses services pour communiquer sur les 25 ans de son domaine. « C’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier, reconnaît-il. J’ai réalisé que beaucoup de vignerons n’avaient pas le temps de communiquer. »

Il décide de quitter le Struthof en septembre 2022 et ouvre sa boîte dans la foulée, Terroir d’expressions . En peu de temps, une dizaine de vignerons le rejoignent. À 50 ans, il s’autoforme au métier de vidéaste, à la prise d’images, au montage. Dans la continuité de sa passion pour le vin d’Alsace, il veut monter des circuits oenotouristiques… Mais pas à la one-again  ! Olivier a en effet suivi une formation de 140 heures pour devenir transporteur routier de personnes. « Tu ne trimballes pas des personnes comme ça ! », rappelle-t-il. Son projet : faire découvrir les vignes des

grands crus alsaciens in situ, dégustations à la clé.

Un an et demi après sa renaissance, Olivier ressent un « grand sentiment de liberté. C’est quand même un truc de devenir son propre patron, d’organiser ses journées, de faire des choses qui te plaisent. » Le tout non sans quelques petites angoisses : s’il se diversifie, c’est par peur de demain aussi. « À 53 piges, il faut tenir encore une douzaine d’années, j’ai quand même cette angoisse que tout s’arrête, confie-t-il. J’ai deux enfants étudiants à loger à Besançon et à Strasbourg, forcément on y pense quand on quitte le salariat. Mais j’espère tenir comme ça jusqu’à la fin de ma carrière… »

56 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Du journalisme au terroir (viticole) d’expressions terroirdexpressions.net
Parce que se lever chaque matin avec la banane, en avoir fini avec la boule au ventre du dimanche soir, cela n’a pas de prix. « Quand j’entends des salariés autour de moi raconter les histoires de leur boîte, je me dis qu’il vaut mieux être tout seul à la maison ! » D’autant qu’il n’est pas vraiment seul Olivier, entre ses reportages, ses cours, ses missions à droite à gauche, et une passion qui l’anime. S

Le mécénat de compétences en entreprise

Hara Solidarity Consulting aux côtés de la sphère associative locale

S ACTUALITÉ — UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
Marine Dumény Nicolas Rosès
58 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Bruno Malvy et Laurence à Emmaüs Connect

Le mécénat d’entreprise, vous connaissez ? Il s’agit d’un soutien matériel ou financier apporté par une entreprise à un organisme sans but lucratif pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général. Encore peu développé (par 5,5% des entreprises du Grand Est, source : IFOP), le mécénat est souvent pratiqué par le biais de dons, défiscalisés, numéraires ou en nature.

Bruno Malvy a 26 ans. Il est entré à HARA en août 2022, soit un an après la création de l’entreprise. Quand, à la recherche d’un nouvel emploi, il est contacté par Geoffrey Jaeglé, fondateur et président de HARA, son parcours atypique et son investissement associatif passé convainquent surle-champ. Une fois intégré à l’équipe, c’est avec Suzanne Legrand, la responsable RH, qu’il fait le tour des associations partenaires du groupe. Son choix se porte sur Emmaüs Connect, dont le partenariat est alors tout récent.

INGÉNIEUR ET LUTTE POUR L’INCLUSION NUMÉRIQUE : DES COMPÉTENCES HUMAINES

Présent dans les locaux colorés et joyeusement décorés de l’association, rue Kageneck, pour son second jour de mécénat de compétence de l’année, le jeune ingénieur vient aujourd’hui en aide à Laurence. Celle-ci rencontre un problème avec le fonctionnement tactile de son ordinateur portable, vendu à prix réduit par l’association. Quelques manipulations

№48 — Mars 2023 — Retour

et mises à jour plus tard, Bruno permet à Laurence de passer cette difficulté. Vient ensuite la prise en main de cette nouvelle machine : « Peut-on mettre ce raccourci sur la barre en bas ? Et pour mes applications courantes, je peux tout télécharger d’ici ? »

En recherche d’emploi, et entre deux âges, Laurence « ne connaît rien à l’informatique ». Et s’en trouve desservie. Motivée et attentive, elle participe régulièrement aux ateliers de groupe ou individualisés, afin de gagner en compétences. Une fois satisfaite de l’accompagnement effectué par Bruno, et avec pléthores de nouvelles informations à digérer, Laurence remercie chaleureusement le jeune homme. D’ailleurs, avant de quitter la salle, elle lui demande un nouveau rendez-vous…

Pendant quelques dizaines de minutes, Bruno aura répondu patiemment et précisément à ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques – et de fait plus encore à un ingénieur informatique – sont pourtant symptomatiques de l’exclusion numérique sur le territoire français. « C’est tout un exercice que de se mettre

au niveau de personnes sans aucune formation informatique, et c’est un bon exercice ! » déclare le jeune ingénieur en revenant sur son accompagnement. « Les conditions à HARA (ainsi qu’à Emmaüs Connect pour le mécénat) et le mode de fonctionnement novateur sont une source d’épanouissement autant personnel que professionnel », résume-t-il. Par « mode de fonctionnement novateur », outre l’aspect solidaire mis en exergue par plusieurs actions dont fait partie cette organisation du mécénat de compétences, il faut également comprendre « participatif ».

UN « PLUS » POUR L’ASSOCIATION PARTENAIRE

Et c’est Suzanne Legrand qui nous l’explique : « Chez HARA, et pour Geoffrey Jaeglé, le fondateur, il est important que la société continue à se construire et à se développer. Notamment sur les 17 objectifs du développement durable, dans la démarche RSE, que nous prenons en compte dans notre stratégie de sélection

de nos associations partenaires. Ainsi, si un de nos employés a une idée, il peut tout à fait la soumettre et nous en débattrons : notre modèle est en gouvernance participative. »

Pour Emmaüs Connect, représenté par Benjamin Rafali, responsable du territoire strasbourgeois, c’est un réel « plus ». « Avec HARA, les jours de détachement font vraiment partie de l’organisation, ce qui facilite grandement les choses » pour une association qui a besoin -comme toute autre- de nouveaux bénévoles. « Ce partenariat conventionné permet aussi d’envisager d’autres projets comme des activités quotidiennes ou de la remise en état d’un parc informatique », appuie-t-il.

Verdict de ces premiers mois ? « Nous sommes ravis ! », conclut Benjamin, résumant ainsi l’état d’esprit de ses récents collaborateurs d’HARA. S

emmaus-connect.org lacollecte.tech
hara-solidarity-consulting.com
« Bruno aura répondu patiemment et précisément à ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques – et de fait plus encore à un ingénieur informatique – sont pourtant symptomatiques de l’exclusion numérique sur le territoire français. »
60 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Retraite active

Chez Mamies gâteaux !

L’ambiance est joyeuse en ce mercredi hivernal plutôt plombant. Au programme, c’est Crêpes party avec Rose-Marie et Michelle, les super mamies du groupe, des petits gars et petites filles d’une dizaine d’années, impatients de goûter leurs créations, et des parents venus accompagnés leur progéniture. Tous encadrés par Tina, la chef pâtissière embauchée en décembre par Mamies gâteaux, et Yann et Cassandre, en service civique solidarité senior.

Basé à Neudorf, Mamies gâteaux, c’est un tiers-lieu pensé autour de la pâtisserie pour sortir les personnes âgées de leur isolement, créer du lien social et arrondir leurs fins de mois. Une belle idée, portée avec abnégation par Vincent Gabbardo qui a dû faire face à la crise sanitaire et maintenant à la hausse récente des matières premières et de l’énergie…

Imaginé par Vincent Gabbardo, ancien ingénieur en mécanique de retour de Nouvelle Calédonie il y a quatre ans, Mamies gâteaux c’est un tiers-lieu solidaire pour sortir les personnes âgées de leur isolement à travers des ateliers hebdomadaires autour de la pâtisserie. Pâtisseries et santé, atelier intergénérationnel, focus sur le sucre et les fruits de saison… Chez Mamies gâteaux, on transmet, on découvre, on se régale. Et on peut même gagner quelques euros quand on participe à la réalisation de buffet gourmand comme pour ce colloque de cinq jours au Pavillon Joséphine, début mars. « Notre objectif est de rémunérer vingt à trente personnes âgées par mois, soit deux-trois équivalents temps-plein, précise Vincent. Mais attention, ici, ce n’est pas un travail habituel, l’idée c’est qu’elles se sentent bien chez nous, qu’elles transmettent leur savoir-faire et qu’elles apprennent aussi. »

IL A EU RAISON DE S’ACCROCHER

Vincent, 42 ans, a bataillé dur pour en arriver là, depuis 2019, quand l’idée a germé de retour de Nouvelle-Calédonie où l’une de ses fonctions était de créer des emplois agroalimentaires dans des zones dépourvues. « Le sujet du vieillissement me touche, c’était violent de voir des retraités

S ACTUALITÉ — UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
62 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Vincent Gabbardo, le créateur de Mamies gâteaux.

manifester alors qu’habituellement c’est une population silencieuse. Quand j’entends les actifs dire qu’ils payent pour les personnes âgées, que pendant la pandémie certains râlaient parce qu’il fallait protéger les plus fragiles… Cela me révolte ! Alors oui, j’ai passé quatre ans sans rémunération, le projet ne devait pas être si long à voir le jour, mais la phase d’expérimentation a été stoppée pendant la pandémie, et je suis passé d’un budget bouclé de 180 000 € à 20 000 €, car tout a été réaffecté à la situation d’urgence. Logique. » Finalement, il a eu raison de s’accrocher : en trois mois d’ouverture, Mamies gâteaux a déjà accueilli 60 personnes âgées (dont deux hommes !), sans trop de communication.

Quand on l’a rencontré, Vincent attendait toujours de son bailleur les clés du deuxième local pour boucler son projet, à savoir ouvrir un salon de thé solidaire, ouvert au public. « Nous ne sommes pas concurrents des boulangers, nous sommes une association subventionnée qui propose à travers la pâtisserie un autre regard sur les seniors », rappelle-t-il.

S’il doit aujourd’hui faire face à la hausse du coût de l’énergie et des matières premières, Vincent n’est pas du genre à baisser les bras. « On a trouvé des solutions avec nos partenaires institutionnels et nos mécènes », précise-t-il, reconnaissant et prêt à lancer la deuxième étape : essaimer Mamies gâteaux un peu partout en France pour que cette belle idée sorte un maximum de personnes âgées de leur isolement. S

Mamies gâteaux 142a route du Polygone à Strasbourg Tél. 06 07 13 94 08 mamiesgateaux.fr
№48 — Mars 2023 — Retour
Des ateliers intergénérationnels qui se déroulent tous les mercredis.

Christian Bobin

La si belle histoire de ses adieux

S HOMMAGE — CHRISTIAN BOBIN
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
64 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Christian Bobin

C’est une de ces histoires incroyables et humaines, si humaine et si touchante, que Christian Bobin, brutalement disparu le 23 novembre dernier, aurait certainement adoré imaginer et raconter. Sauf que cette histoire ne s’est cristallisée que le jour de ses propres obsèques à l’église Saint-Charles du Creusot, en Saône-et-Loire, où l’écrivain vivait avec sa compagne, la poétesse Lydie Dattas. Ce jourlà, les Helmstetter, quatre musiciens bas-rhinois, ont joué pour la famille et les nombreux amis de l’écrivain disparu… qu’ils n’avaient jamais rencontré auparavant. Et peu de temps après, ils étaient de nouveau invités à Paris, pour l’hommage national organisé par le ministère de la Culture…

Les ingrédients de cette histoire sont au départ aussi disparates qu’un inventaire à la Prévert. Songez donc : un drôle de type, qui adore la musique, mais qui est aussi un touche-àtout improbable, un manège sur une place du Creusot qui diffuse une musique de jazz manouche, un écrivain profondément attaché à sa ville qui a un projet de livre sur la musique…

L’écrivain, c’est Christian Bobin, bien connu de ses nombreux lecteurs, lui qui ne manquait jamais un passage à Strasbourg, à la librairie Kléber ou aux Bibliothèques idéales avec, sous le bras, son dernier livre, forcément débordant de sa si belle humanité et ses propos souvent ponctués par ses légendaires et généreux éclats de rire. L’ami Christian, dont l’annonce de sa disparition fin novembre dernier à l’âge de 71 ans, emporté brutalement par un mal implacable et fulgurant, nous a tous sidérés et comme figés dans un abîme de tristesse.

Mais… laissons les musiciens raconter…

NOUS NE NOUS SOMMES PAS RENDUS COMPTE DE LA PUISSANCE DE CE LIEN…

Nous rencontrons Railo et Engé, les deux cousins, membres d’une immense famille de musiciens de jazz manouche bien connue en Alsace, les Helmstetter. « La famille est installée en Alsace depuis des temps immémoriaux » confirme Railo, 35 ans, le plus jeune des deux musiciens. « La dynastie a débuté avec un

arrière-grand-père violoniste, elle s’est un peu perdue avec la génération de nos parents et c’est notre génération qui a réactivé cette passion musicale, avec Tchatcho, le frère d’Engé qui est violoniste et sa fille, Tosca, qui chante… »

Les quatre musiciens ont donc tout d’abord été invités au Creusot le 28 novembre dernier pour les obsèques de l’écrivain. C’est Engé, 47 ans, qui raconte : « Tout a débuté il y a une dizaine d’années, sans même qu’aucun d’entre nous ne connaisse personnellement Christian Bobin. Je n’avais jamais lu le moindre livre de lui et toi, Railo ? » questionne-t-il.

« Je n’avais lu que Le Très-Bas, un livre paru dans les années 90 puis, plus tard, un recueil de ses poésies » confirme le cousin de Engé. Lequel poursuit : « Mais nous avions un ami commun, Martial Spiessert. Martial m’achetait mes disques et il organisait des dépôts pour leur revente. Lui-même installait des manèges un peu partout et il y diffusait notre musique. C’est grâce à un de ces manèges installé au Creusot que Christian Bobin et sa compagne ont découvert notre musique et ils l’ont instantanément beaucoup aimée.

Devenu un intime du couple, Martial leur a fait découvrir beaucoup de nos autres productions. À chaque fois qu’on se revoyait, il me parlait d’eux et du coup, j’ai commencé à m’intéresser aux livres de Christian. Sincèrement, au début de mes lectures, je ne l’abordais que par le biais de ses nombreuses citations et je l’imaginais donc comme un énième écrivain qui faisait dans le développement personnel. Et puis, un jour, je me suis décidé à lire ses

livres en entier et j’ai réalisé à quel point je m’étais trompé sur son compte… Pour autant, je ne l’ai jamais rencontré de son vivant et c’est pourquoi, tout comme Railo, Tachtcho et Tosca, je suis tombé des nues quand on nous a fait part du souhait de ses intimes de nous voir jouer durant les obsèques. Quand nous avons rencontré Lydie ce jour-là, nous avons tout de suite compris : elle nous appelait spontanément par nos prénoms, elle nous considérait sincèrement comme des très proches. J’ai ensuite eu beaucoup de regrets, je m’en suis beaucoup voulu de ne pas voir fait la démarche de rencontrer Christian : mais, compte tenu des circonstances hautement improbables qui avaient provoqué la rencontre de notre musique avec l’écrivain, nous ne nous sommes pas vraiment rendus compte de l’importance de tout ça, de la puissance de ce lien…

Au Creusot, dans cette église froide, Lydie nous a confié que Christian avait le projet d’écrire son prochain livre en s’inspirant de la musique. Et il avait l’intention d’y faire figurer notre style de musique. Ce qui me fait penser que s’il avait vécu plus longtemps, nous aurions fini par nous rencontrer… »

Les quatre artistes alsaciens n’oublieront pas de sitôt l’accueil plein de chaleur qui leur a été réservé lors des obsèques de l’écrivain, cette « ambiance musicale apaisée » que le prêtre les a invités à mettre en place : « au lieu de la solennité traditionnelle d’un hommage, un peu lourde, nous avons atteint l’inverse : j’ai le sentiment qu’on a fait du bien aux gens » se souvient Engé, « nous les avons placés dans

65 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

une petite célébration intime de consolation », dit-il joliment. « Pour la sortie du corps, nous avons même improvisé comme un moment de fête, le public tapait dans ses mains, c’était touchant… À un certain moment, je me suis dit que Christian était ainsi devenu un personnage d’une de ses histoires : il avait découvert notre musique dans un manège, l’avait aimée et nous, nous étions là, en train de la jouer, le jour de ses obsèques… »

PRÉSENTS À L’HOMMAGE AU MINISTÈRE DE LA CULTURE

L’improbable n’avait pas fini de se manifester. Quelque temps plus tard, ce sont les services de Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, qui cherchent à joindre le groupe de musiciens. La ministre a tenu à organiser un hommage à Christian Bobin. Antoine Gallimard et André Velter, le directeur de la Poésie de la célèbre maison d’édition (et grand ami du disparu), tous deux présents au Creusot pour la cérémonie des obsèques, ont pesé pour que les musiciens alsaciens participent à l’hommage ministériel.

« Cette cérémonie a été très soigneusement organisée à la fois par les gens de

Gallimard et ceux du ministère… » raconte Engé. « Initialement, nous devions jouer deux fois quinze minutes, mais André Velter nous a finalement demandé de jouer sur la lecture de son hommage. Au début, il n’envisageait qu’un violon, mais mon frère l’a convaincu que nous devions tous les quatre accompagner son hommage. On a essayé rapidement et il a dit oui tout de suite…

Vous savez, ça nous est arrivé à tous, nous autres musiciens, de nous retrouver dans ce type de moments censés être des hommages, relégués dans un coin de la salle à jouer entre deux discours, pendant que tout le monde sirote des coupes de champagne. Ce fut l’exact inverse, ce jour-là. Nous avons été très respectés, nous avons été nommément valorisés chacun à notre tour par la ministre à chaque fois que nous avons joué. J’avais eu un peu peur au préalable de me retrouver dans une ambiance un peu élitiste, mais non, rien de tout ça : nous avons croisé là-bas toutes sortes de gens, des plus connus des milieux intellectuels, culturels et médiatiques jusqu’à tous les autres et tout le monde était réuni dans la ferveur de la célébration de cet hommage à quelqu’un d’aussi bienveillant et généreux… »

Encore un rien étonnés et surpris par leur participation à ces événements inattendus (« j’ai vécu tout ça de façon étrange » se souvient Railo, moi qui n’avais lu qu’un livre de Christian avant de me retrouver à jouer à ses obsèques »), les deux cousins musiciens ne se sont pas fait prier longtemps pour évoquer un peu plus avant leurs projets sur la base du Quartet Ytré, déjà connu dans le milieu. Railo poursuit son travail dans le jazz moderne, « du jazz fusion avec des sons de basse, des batteries, un style moins acoustique », précise-t-il. L’album sortira en novembre prochain et bien sûr, Or Norme en parlera.

« Ce qui nous définit par rapport au style musique manouche traditionnel », conclut Engé, « c’est qu’on a certes un pied dedans, mais que durant tout notre parcours on a été reconnus pour nos propres compositions, une forme de recherche musicale passant par nos racines traditionnelles mêlées à des styles très actuels. Nous ne nous sentons pas des gardiens d’une tradition, même si nous l’aimons beaucoup et la respectons en l’exprimant le plus fidèlement possible, mais notre tempérament artistique nous pousse à intégrer toutes les influences qui nous traversent pour créer et innover… » S

66 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Engé (à gauche) et Railo Helmstetter

IMPRESSION XXL POUR LES MARQUES & LES RETAILERS : AFFICHE, PLV, SIGNALÉTIQUE, PACKAGING, THÉÂTRALISATION & ÉVÉNEMENTIEL

Impression & fabrication de haute qualité, respectueuse

Toute notre production est réalisée dans nos ateliers. Notre parc machines est de dernière génération et vous garantit une qualité irréprochable d’impression, de façonnage avec des délais raccourcis et une organisation « orientée client ». Depuis 2011, DS Impression a fait le choix de machines à encres UV ou Latex, qui s’imposent comme la solution la plus écologique. Les encres UV permettent des impressions éclatantes et durables, aussi bien pour une utilisation en extérieur qu’en intérieur.

        03 90 22 75 75 contact@ds-impression.com www.ds-impression.com Une société Agile Group. 5, rue de l’Artisanat 67170 Geudertheim Strasbourg • Paris • Lyon © 02/2023SAS au capital social de 56.620€. Siret 450 655 543 00020.
FL ASHEZCE Q R UOPEDOC R ÉDSUON C O U VRIR • En
en
une nouvelle
de production à Lyon DS Impression Lyon 220, rue Ferdinand Perrier 69800 SAINT-PRIEST
2023, on s’engage à...
en se rapprochant de nos clients &
ouvrant, après Paris,
unité

LE PRINTEMPS SLAVE DU FESTIVAL ARSMONDO

Après une édition 2022 consacrée aux cultures tsiganes, le festival Arsmondo partira cette année à la découverte des mondes slaves.

Le thème avait été choisi bien avant l’agression armée de la Russie en Ukraine », précisent Camille de Fréminville et Antonio Cuenca Ruiz, tous deux aux manettes de la programmation artistique de cette manifestation proposée par l’Opéra national du Rhin.

« La guerre a bien évidemment un impact sur les artistes invités et les partenariats », conviennent-ils en soulignant la difficulté que rencontrent certains des nombreux artistes ukrainiens programmés à s’afficher dans un festival où figurent des œuvres du patrimoine russe.

Mais ils se refusent à baisser les bras : « il faut se montrer à l’écoute, créer les meilleures conditions possibles afin de rendre compte de ces questionnements auprès des publics et permettre aux artistes de s’exprimer ».

« L’Opéra ne vit pas dans un monde à part », insiste Alain Perroux, directeur de l’institution.

« Il est normal que le festival soit rattrapé par l’actualité mais sa force est de prendre le temps de la réflexion, de créer l’espace d’un échange et de le faire dans

a CULTURE — RENCONTRE TOUS PUBLICS «
68 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Véronique Leblanc Alban Hefti

différents lieux de la ville, par le biais de multiples disciplines ».

« Sans compter, ajoute Antonio, qu’Arsmondo nous permet d’inscrire la géopolitique dans un horizon culturel beaucoup plus profond, de révéler un imaginaire lointain. »

Car la culture est en elle-même témoignage, comme en atteste le travail de la chorégraphe ukrainienne Olga Dukhovnaya, qui proposera une performance inspirée par le Lac des cygnes de Tchaïkovsky. Avec une jouissive liberté, l’artiste condense tous les rôles du ballet en un seul et croise son histoire personnelle à la grande Histoire, celle de l’espace soviétique, celle qui se joue actuellement.

DE MULTIPLES PARTENAIRES ET LIEUX D’ANCRAGE

Opéra, musées, université, cinémas, Espace Django, galerie Apollonia, lycée des Pontonniers ou bien encore lieu d’Europe, les points d’ancrage de Arsmondo seront nombreux cette année encore et

représentent autant de partenaires « porteurs d’une grande force de propositions », relèvent Camille et Antonio.

Ils citent aussi la LICRA Bas-Rhin, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme dont deux juges donneront une conférence illustrée en direct par un dessinateur de presse. Les droits fondamentaux en mots en images au prisme du monde slave, vous en rêviez ?

Arsmondo l’a fait !

Durant les trois semaines de festival, l’ONR proposera différents concerts mettant à l’honneur des compositeurs et compositrices originaires de Pologne, Biélorussie, Slovénie, Croatie, Serbie, République Tchèque ou encore Bulgarie. La scène accueillera quant à elle Le Conte du Tsar Saltane du 5 au 13 mai.

Cet opéra de Rimski-Korsakov d’après Pouchkine est avant tout « un spectacle qui évoque les liens familiaux », précise Alain Perroux, « un spectacle qui s’adresse à tout un chacun, qui parle à des êtres humains et non pas à des peuples enserrés dans des frontières ». C’est là toute la philosophie d’Arsmondo.

De gauche à droite : Alain Perroux, Camille de Fréminville et Antonio Cuenca Ruiz

69 №48 — Mars 2023 — Retour a CULTURE
« ARSMONDO NOUS PERMET D’INSCRIRE LA GÉOPOLITIQUE DANS UN HORIZON CULTUREL BEAUCOUP PLUS PROFOND, DE RÉVÉLER UN IMAGINAIRE LOINTAIN. »

« Notre but est de créer des rencontres avec tous les publics », confirme Antonio, « et d’explorer en compagnie d’artistes et d’intervenants les cultures slaves en nous écartant des définitions simplistes ou univoques qui peuvent en être faites pour servir, par exemple, des projets nationalistes. »

DES RÉALITÉS SINGULIÈRES ET COMPLEXES

« Spectacles, concerts, projections, rencontres et échanges permettront d’approcher l’espace culturel slave dans toute sa multiplicité. »

Avec à chaque fois, la découverte de « réalités singulières et complexes » qui

éclairent dans la nuance notre rapport au monde, aux êtres et à la culture dans ce qu’elle a de plus essentiel.

L’inauguration du festival se tiendra le 21 avril à la galerie Apollonia (23 rue Boecklin) dans le cadre de l’exposition À l’image et à la dissemblance, où seront rassemblées jusqu’au 14 juin des œuvres photos et vidéos qui explorent de manière paradoxale le thème du portrait. Toutes créées par d’artistes d’origine slave, elles témoignent de l’ADN de cette galerie qui fête cette année ses 25 ans.

Arsmondo cultures slaves se terminera le 14 mai, sa programmation définitive sera disponible sur le site de l’Opéra fin mars. a

SLAVE

70 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
« SPECTACLES, CONCERTS, PROJECTIONS, RENCONTRES ET ÉCHANGES PERMETTRONT D’APPROCHER L’ESPACE CULTUREL
DANS TOUTE SA MULTIPLICITÉ. »

ANNA SAILER « NE PAS SÉPARER L’ILLUSTRATION DES BEAUX-ARTS ET DE LA LITTÉRATURE »

Tout juste arrivée de Francfort, Anna Sailer est la nouvelle conservatrice du musée Tomi Ungerer, où elle pourra mettre en œuvre ses connaissances du monde de l’art et son expérience du milieu du livre.

La rencontre a lieu par écrans interposés : au moment de notre bouclage, Anna Sailer était encore occupée à clore ses projets au Museum für Moderne Kunst (MMK) de Francfort, dont elle était directrice adjointe depuis 2018. Depuis le 1er mars, elle est devenue conservatrice responsable du musée Tomi Ungerer (MTU) et c’est dans un français parfait qu’elle nous fait part de son enthousiasme à rejoindre cette institution singulière dans le paysage muséal strasbourgeois.

a CULTURE – NOMINATION
J
Lisette
72 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

L’ANNÉE DES 15 ANS !

zenithstrasbourgeurope

zenithdestrasbourg.europe

RENSEIGNEMENTS
PROGRAMMATION 2023 INFORMATIONS ET
WWW.ZENITH-STRASBOURG.FR
LES BODINS SAM 08 & DIM 09 AVRIL INFAMOUS FESTIVAL SAM 13 MAI STROMAE MER 22 MARS IRISH CELTIC MAR 28 MARS REDOUANE BOUGHERABA JEU 30 MARS STARS 80 VEN 31 MARS SOPRANO SAM 01 & DIM 02 AVRIL FLORENCE FORESTI MER 05 AVRIL SO FLOYD JEU 06 AVRIL LES HARLEM GLOBETROTTERS JEU 13 AVRIL LOMEPAL VEN 14 AVRIL SALON MER ET VIGNE 21-22-23-24 AVRIL GHOST DIM 28 MAI JAPAN ADDICT Z SAM 03 & DIM 04 JUIN MICHEL POLNAREFF DIM 18 JUIN LORD OF THE DANCE VEN 06 OCT CHRISTOPHE MAÉ VEN 13 OCT M.POKORA SAM 14 & DIM 15 OCT MAXIME GASTEUIL MER 18 OCT LE SEIGNEUR DES ANNEAUX 3 VEN 20 OCT BIGFLO ET OLI VEN 03 NOV IBRAHIM MAALOUF MAR 07 NOV STROMAE JEU 09 NOV PASCAL OBISPO VEN 17 NOV DAGRÉ | RCS 390 920 411

« IL ME SEMBLE INTÉRESSANT DE RENFORCER L’ENTITÉ

CENTRE INTERNATIONAL DE L’ILLUSTRATION AVEC DES ARTISTES JEUNES, INTERNATIONAUX ET FÉMININS. »

JVous succédez à Thérèse Willer à la tête du musée Tomi-Ungerer…

« J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’a réalisé Thérèse Willer. Monter une institution, un musée, c’est quelque chose qui demande beaucoup de force. Nous nous sommes rencontrées et elle m’a fait une visite guidée de la superbe exposition IllustrAlice, dont elle est commissaire.

Comment ce poste au MTU s’inscrit-il dans votre parcours ?

Le projet du musée Tomi Ungerer permet à mes deux passions de se rencontrer. J’ai suivi des études de littérature comparée, avant de travailler dans une maison d’édition en Allemagne qui publiait notamment des philosophes français, comme Jean-Luc Nancy. Je suis arrivée dans le monde de l’art contemporain en tant que responsable de publications. Lorsque j’ai commencé à installer des œuvres, j’ai découvert le travail dans l’espace, qui

combine un volet intellectuel et une veine sensible, voire sensorielle. Comment les visiteurs se déplacent-ils ? Comment se confrontent-ils à l’œuvre d’art ? Avec un catalogue, ou un livre illustré, on est dans une forme d’intimité, de face-à-face, alors que dans une exposition, l’expérience est partagée, plus large.

Le MMK de Francfort a un ancrage fort dans la création contemporaine. Comptez-vous continuer à nourrir ces liens au sein du MTU ?

Il me semble en effet intéressant de renforcer l’entité Centre international de l’illustration avec des artistes jeunes, internationaux et féminins. Cet angle peut permettre de découvrir des aspects nouveaux dans l’œuvre de Tomi Ungerer, en la mettant en dialogue avec des créations plus actuelles. Lui-même était animé par une vision forte et ses œuvres sont des commentaires politiques et sociaux sur

le monde. Il est donc cohérent de monter des expositions qui abordent les thèmes qui traversent notre époque. Tomi Ungerer était un artiste protéiforme et je pense que cela donne aussi la latitude pour comprendre l’illustration dans toute sa richesse, sans la mettre à part des beauxarts ou de la littérature.

Vous parlez français et anglais, en plus de l’allemand, et ces langues sont aussi celles de Tomi Ungerer…

Oui, il a même écrit des lettres à son éditeur où il passe de l’une à l’autre ! Au musée, il n’y a pas de hiérarchie entre les trois langues sur les cartels ou sur les textes des salles. Penser entre les langues, c’est une richesse pour une ville européenne comme Strasbourg. Il y a un esprit de transversalité, que l’on retrouve aussi au sein du réseau des musées et qui recèle un formidable potentiel pour imaginer des projets. » a

74 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

1°C

Nousvousaccompagnonspourfairedeséconomiesd'énergiesur L'énergieestnotreavenir,économisons-la!

sobriete-energetique.es.fr

*Àtitreindicatif,selonleguideADEME,Réduiresafactureélectrique-dejuillet2022 -www.izhak.fr ÉSÉnergiesStrasbourgS.A•Capitalde6472800Euros Siègesocial:37,rueduMaraisVert,67932Strasbourg,Cedex9-RCSStrasbourgB501193171
Elisabeth SOUFFELWEYERSHEIM elleva réduiresaconsommationde7%* Enbaissantle chauffagede

ALESSIA SANNA VISUALISER LA DONNÉE À TRAVERS L’ART

Un appartement-atelier, des bacs transparents remplis de cubes de plâtre, une projection de pixels de couleurs au plafond, et une artiste chercheuse pétillante d’intelligence. Si vous avez manqué l’exposition Screen City, au 5e Lieu, en octobre 2022, il vous reste à découvrir l’artiste derrière cette curieuse représentation de Strasbourg. Alessia Sanna, 27 ans, nous accueille pour livrer – avec son partenaire de travail et de cœur, Alexandre Weisser – la genèse de son projet Screen City, et l’essence de son travail.

Alessia, vous êtes « artiste chercheuse ». Qu’est-ce qui se cache derrière ce terme, comment se traduit-il dans votre travail ? Je poursuis un doctorat à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne en collaboration avec l’entreprise Hopscotch. Il s’agit d’une entreprise de relations publiques. Elle a la particularité de développer un concept qui est le « capital relationnel » : une idée basée sur les travaux de Maurice Obadia, sur l’économie de la relation. Mon rôle, chez eux, est de développer les possibles en matière de modélisation – et de visualisation in fine – à partir de mesures, de l’impact des relations dans un écosystème entrepreneurial. Il y a deux pôles : un sur le spectre de l’immatériel (mon sujet de recherche) : comme les relations, impalpables, et un autre sur les données, plus tangibles. Les deux forment une balance. En créationrecherche, on part d’une production artistique pour développer une recherche théorique. Il en découle que le fondement de mon travail de recherche est cette pratique exploratoire, expérimentale, et hybride. Screen City s’inscrivait là, pour une recherche plus théorique autour de l’immatériel et de cet aspect incommensurable qui entoure les données issues de la Data.

Screen City, votre projet le plus prégnant, s’est exposé au 5e Lieu. Le projet mêle art et informatique. D’ailleurs, vous n’avez pas travaillé seule, et de nombreux acteurs, comme l’Eurométropole

a CULTURE – ART ET INFORMATIQUE
№48 — Mars 2023 — Retour 76 a CULTURE
Marine Dumény Nicolas Rosès

sont intervenus. Quelle est donc l’histoire derrière ces cubes de plâtres sur lesquels étaient projetées des données ?

Nous sommes dans une cité étudiante, au fin fond du Neudorf. Je moule du plâtre dans des bacs à glaçons en forme de Tetris. Voici le point de départ. Au début, j’ai neuf pièces, puis je décide d’acheter des bacs supplémentaires, et je me retrouve avec trois cents pièces dans 9 m2. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais je vois une sculpture qui se déploie. Sur ces premiers moulages, je teste quelque chose qui m’a toujours intéressé : le mapping vidéo. Avec un vidéoprojecteur, je commence à projeter des fractales sur mes pièces.

Là, il y a un imaginaire. Des graphes, des écrans publicitaires… Je pose tout cela au sol et un paysage de ville, vu – peut-être –par un satellite, se dessine. À moi d’injecter du sens. Si je travaille sur une ville, il me faut une carte. Je passe des fractales, et le mouvement de la lumière est intéressant. Je commence à chercher des morphologies de ville et affine mon visuel comme ça. À ce stade, je trouve des cartes du réseau internet, donc j’hybride des visuels. Cette construction est exposée pour un prix qui s’appelle le Prix AMMA Panthéon Sorbonne pour l’Art Contemporain. Elle y reçoit alors une première récompense.

Mais, je réfléchis toujours à ces visuels, qui ne sont pour moi qu’une maquette. Je vois une ville intelligente, internet, une activité urbaine… Ce projet va être exposé à la galerie Aedaen.

De là, le projet est incubé via le Shadok à Fluxus. Vous travaillez aussi avec Alexandre Weisser, qui est votre compagnon, et développeur en informatique. Et les données vont prendre une grande importance dans le projet…

Avec Alexandre, je commence à prendre rendez-vous auprès de l’EMS, je rencontre Olivier Banaszak (géomaticien et responsable du service de géométrie – ndlr) et je me rends compte que je vais pouvoir travailler avec de vraies données, que cette activité urbaine que je suis en train de mimer à travers un mapping qui est dans cet état bricolé pour le moment va pouvoir trouver du sens à travers des données concrètes. Olivier me propose de travailler sur les données du RIL (répertoire d’immeubles localisés – ndlr). Ce sont des données publiques, mais non commercialisables donc Alexandre doit adapter sa façon de travailler dessus.

Lorsqu’on arrive sur cette question des points, pour représenter ces immeubles,

et du bleu aussi (en référence à Yves Klein et au Blue Screen de Windows), on a donc cette esthétique qui va se mettre en route à partir de ce moment-là et c’est aussi avec les apports techniques d’Alexandre que je vais pouvoir construire ces nouveaux visuels.

Vous choisissez de rester sur quelque chose de brut avec ces cubes de plâtre et ces points bleu Klein.

La 3D, c’est non. Et je ne veux pas faire du spectaculaire. Je suis vraiment dans une démarche où les visuels, la sculpture et le mapping doivent aller à l’essentiel. Donc, rester dans le brut, l’essentiel, car à travers cette simplicité de la forme, le cube, le carré, le rond, la sphère, on va développer une complexité à travers la simplicité des formes. Et c’est vraiment dans cet épurement de la forme qu’on va construire le récit de l’œuvre. Et, dans tous mes projets, il y a un rapport au jeu, il y a toujours cette envie de manipuler.

Concrètement, qu’est-ce qu’on voit sur ce projet ? Et de quoi est-il fait ?

Sur mes pièces de plâtre se pose un mapping du RIL, en en exploitant les différentes dimensions. Il y a aussi les limites de la ville et le carroyage de densité de population : une couleur correspond à une hauteur et c’est par rapport à ça qu’on sait quelle pièce placer au sol (les données sont de l’INSEE – ndlr). Sur cette projection, il y a un son. Il accompagne l’œuvre, et joue sur la sensibilité du spectateur. Il entre dans cette démarche

du minimaliste. Nul besoin de croiser dix jeux de données : on part de 1850 jusqu’en 2100, avec dix boucles de scénarios, et on va avoir cette extrapolation qui sera faite avec une aggravation de 10 % entre chaque boucle donc plus de points lumineux qui apparaissent entre chaque groupe. Ce qui crée une différence entre la première itération et la dernière. On parvient à une sorte de monochrome bleu qui traduit cette saturation et ce sentiment d’inquiétude, qui devient de plus en plus palpable au fur et à mesure du scénario. Le motif sonore qui vient en arrière-plan est de Stéphane Clor, un artiste sonore. Il y a eu un travail de collecte depuis la plateforme de la cathédrale pour enregistrer le paysage de Strasbourg. Et avec le logiciel Pure Data, Alexandre et lui ont fait « glitcher ».

Cette projection, elle donne le sentiment de voir une pollution lumineuse. Alertet-elle sur les enjeux de la ville de demain ?

La projection des données, sous forme de points, va créer de la pollution lumineuse. C’est un moyen détourné d’utiliser le point lumineux et la lumière comme un indicateur. Pour en fait montrer comment est habitée la ville. De fait, les jeux de données ne sont pas utilisés bruts. Nous les avons extrapolés, et créés des scénarios prospectifs où on imagine la ville et l’expansion urbaine, d’ici 2100. Ce qui est traduit n’est pas forcément une réalité. C’est un scénario parmi tant d’autres. Et il traduit une inquiétude de surpopulation à venir. Et donc l’enjeu environnemental. » a

77 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

BRUNO MANTOVANI « NOUS N’AVONS PAS LE DROIT DE NOUS AUTOCENSURER »

Figure emblématique de la génération actuelle de compositeurs, Bruno Mantovani est actuellement, et pour deux saisons, en résidence à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (OPS).

Il fait partie de ceux qui m’ont incité à me renouveler. C’est aussi à Strasbourg, en 2006, que j’ai créé avec l’OPS mon premier opéra, L’autre Côté, à l’Opéra du Rhin alors dirigé par Nicolas Snowman. Et j’ai retrouvé l’OPS en 2010, lors d’une tournée du festival Musica où je dirigeais la Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg.

Quel est votre regard sur la ville ?

La tradition musicale y est très forte et sa culture franco-allemande se ressent jusque dans l’Orchestre. Si j’y reviens avec autant de plaisir, c’est aussi pour Marie Linden, qui le dirige actuellement. Marie est une amie très proche avec qui j’ai notamment eu le plaisir de travailler au Conservatoire de Paris dont j’ai été directeur entre 2010 et 2019. Elle fait partie de ma « famille de pensée », nous partageons un même regard sur la politique et la modernité.

écoute, où on parle, où on s’interrompt et où surtout on réagit à partir d’œuvres qui enracinent la musique contemporaine.

C’est ce que nous ferons à l’OPS, pour tous les publics.

Comment définir la musique contemporaine ?

J’ai un problème avec cette expression qui ne veut pas dire grand-chose. La première sonate de Boulez est antérieure de deux ans aux derniers lieder de Strauss… La date ne signifie rien, elle ne fait pas une œuvre contemporaine. Aujourd’hui, il y a trop de diversité pour parler de musique contemporaine, je préfère musique d’aujourd’hui, musique de notre temps sachant que plus on avance, plus les langages sont individuels.

Quelle est votre inspiration ?

En avril, il y créera Memoria, sous la baguette du directeur artistique et musical de l’Orchestre, Aziz Shokhakimov. C’est une œuvre artistique et politique, à l’image de l’engagement de ce musicien actuellement directeur du Conservatoire à rayonnement régional de Saint-Maur-des-Fossés, directeur artistique et musical de l’Ensemble Orchestral Contemporain et directeur artistique du festival du Printemps des arts de Monte-Carlo.

Comment se sont noués vos liens avec Strasbourg ?

J’ai connu Strasbourg par le biais du festival Musica  en 2001. Jean-Dominique Marco qui le dirigeait m’a fait confiance dès ma sortie du Conservatoire de Paris.

C’est-à-dire ?

Depuis les attentats de Charlie Hebdo qui ont marqué la fin d’un monde, nous traversons une époque relativement pauvre en pensée où les idéologues et les gestionnaires ont pris la main.

La création artistique apparaît désormais comme élitiste et semble relever du « monde d’avant » alors qu’elle tient de l’exploration de territoires nouveaux, de surprises et de découvertes.

À mon sens, l’accès aux plus grandes œuvres passent, non par la baisse de niveau et de l’exigence comme il est de bon ton de le penser aujourd’hui, mais par l’éducation.

Je crois à la médiation, au fait de parler pour proposer d’autres choses : des répétitions publiques, des salons où on

La musique elle-même, celle du passé, celle qui s’autogénère par ses propres lois. Ses relations avec d’autres formes d’art me passionnent, le roman et la charge des mots, la danse, jusqu’aux arts culinaires. Et bien sûr la peinture dont l’énergie est souvent impressionnante.

Comment qualifierez-vous Memoria , l’œuvre que vous allez créer à Strasbourg en avril ?

Il s’agit d’une œuvre politique dédiée à quatre étudiants de l’université française d’Arménie tués en 2020 lors de la guerre du Haut-Karabagh. Mes trois opéras (le prochain sera créé en 2024) sont aussi fondés sur des arguments politiques. La relation entre création et pouvoir totalitaire me passionne. La création est un acte militant, nous n’avons pas le droit de nous autocensurer. a

a CULTURE — MUSIQUE D’AUJOURD’HUI
78 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

CHRISTOPHE WEHRUNG « JE PEINS POUR APPRENDRE À PEINDRE »

Dans de vieux ateliers encombrés de tubes et de pinceaux, de bouquets fanés et d’objets hétéroclites travaillent les peintres loin du bruit et de la fureur. Il y en a plusieurs à Strasbourg. Nous nous sommes arrêtés chez Christophe Wehrung, d’abord à sa Galerie de l’Estampe, la plus ancienne de Strasbourg, saisis par ses toiles intensément lumineuses, où un jaune d’or explose au milieu des paysages toujours d’été, sereins et emplis de plénitude.

Un chemin parcourt ces vastes paysages, où l’on voit loin, parfois entourés d’ombres ciselées de branches et de feuilles ou de troncs fins qui s’élancent. Les couleurs sont vives, ici une petite échelle ou une barrière de jardin suggère une présence humaine, jamais figurée par des personnages.

Pourtant rien de froid, tout au contraire. Essentiellement travaillées à l’huile, les toiles sont assez grandes, donnent une impression de profondeur, y compris sur les paysages d’eau, où la transparence est parcourue de miroitements. Miracle de la main du peintre pour rendre limpides ces bleus si beaux, les lentilles sur l’eau, et les ombres sous la surface ou celles des arbres au-dessus d’elle…

L’ODEUR DE LA « MAYONNAISE »

Christophe Wehrung est connu des strasbourgeois pour son énorme ours dans la façade du Printemps, rue du Noyer, son funambule accroché au Ciarus, ou son bateau ivre, sculpture flottante un

moment sur l’Ill. Ce qui frappe c’est comme un élancement, des équilibres qui se font naturellement dans quelques tableaux-doubles qui fonctionnent si bien ensemble bien qu’ils soient différents, ou les triptyques liés et déliés… Une recherche sans tourments apparents, un peintre qui vous accueille avec un grand sourire, sans aucune posture de maître (« Je peins pour apprendre à peindre » est sa devise), tout au contraire, une impression de recherche tranquille. Un travail rétinien d’observation pure, dit-il, ou, quand on s’étonne de la qualité de son jaune, dit que c’est grâce au tube ! Le premier plan donne le ton, mais plus encore, ce qu’il y a au fond, voire au loin, est ce qui importe.

On y monte ou on y descend dans le chemin deviné, comme lors d’une promenade où on ne sait pas vraiment où l’on va…

Les teintes sont vives sans être surnaturelles, quelque chose de mordoré bouge dans les arbres ou les étangs, sujets simples, mais intemporels. Christophe Wehrung parle de son tra -

vail de traces, il indique sans imposer, il propose sans imposer. Autres teintes, celles des portraits, tellement ressemblants, car y apparaît la vérité d’une personne et pas seulement son apparence, dans des teintes très différentes, plus sombres, comme également, dans la nature morte ce velours presque noir – une couleur qu’il dit ne jamais employer – du rouge des roses séchées.

On quitte à regret cet atelier chaleureux où un jeune garçon pianote sur un écran en attendant son père assis sur une vieille chaise. On quitte l’odeur de la mayonnaise (ce sont ses mots et il nous fait sentir cette odeur comme s’il s’agissait du fumet d’un petit plat) que fabrique Christophe Wehrung pour l’alchimie d’un travail silencieux et si lumineux. a

a CULTURE — GALERIE DE L’ESTAMPE Galeriedel’Estampepourdestoiles exposéesenpermanence 31Quaidesateliers–Strasbourg www.christophewehrung.com
80 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

39,

DES ESPACES POUR

VOS ÉVÈNEMENTS D’ENTREPRISE AU COEUR DES CHAMPS-ELYSÉES

RÉUNION - FLEX BUREAU - COWORKING FORMATION - RECRUTEMENTDÉJEUNER OU DÎNER D’AFFAIRESÉMINAIRE - ÉVÈNEMENT SUR-MESURE

L’ADRESSE DES ALSACIENS À PARIS

• - 15 % sur vos locations pour toute entreprise alsacienne

• L’adhésion à notre Club des 100 pour bénéficier de conditions privilégiées supplémentaires et pour développer votre réseau grâce à nos évènements networking

La Maison de l’Alsace vous accueille dans un bel immeuble haussmanien au 39, avenue des Champs Elysées, au centre du quartier des affaires parisien.

4 étages de bureaux, salles de réunion et salons d’exception à louer (à l’heure, la demi-journée ou à la journée).

Au dernier étage, un rooftop couvert d’une verrière offre une vue à 180° sur les toits de Paris, de l’Arc de Triomphe à la Tour Eiffel.

N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus ! resa@maisonalsace.paris ou 01 53 83 10 10

75008 PARIS 01 53 83 10 10

resa@maisonalsace.paris

www.maisonalsace.paris

MAISON DE L’ALSACE avenue des Champs-Élysées

VICTOR WEINSANTO LE JEUNE PRODIGE HORS-NORME DE LA MODE STRASBOURGEOISE

« Jeune prodige de la mode » pour le ToutParis, le styliste Victor Weinsanto a grandi à Strasbourg. Loin de renier ses origines, le génie fashion ose détourner le folklore alsacien, aime casser les codes et apporter une bonne dose de second degré et de couleur à ses créations. Rencontre avec un artiste accessible et les pieds bien sur terre.

a CULTURE — SAGA 82 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Barbara Romero François Quillacq

il préfère se dire « décalé » plutôt qu’hors-norme, « parce qu’après tout, c’est quoi la norme ? », rappelle-t-il, de notre avis, Victor Weinsanto est totalement hors-norme. Un jeune prodige de la mode qui a lancé sa marque une semaine avant le premier confinement, dont l’audace et le génie ont tapé dans l’œil d’Adrian Joffe, le fondateur de Comme des garçons. Un styliste qui séduit par son style décalé justement, très second degré, frais, enchanteur, extravagant, mais aussi hyper facile à vivre.

« Tout est portable, moi-même aujourd’hui je suis habillé simplement avec un tee-shirt et un pantalon noir, je ne porte pas mes grands chapeaux dans la rue tous les jours, commente-t-il avec malice. C’est une marque qui fait un tout, des pièces un peu hors-normes, c’est vrai, opulentes, extravagantes, mais aussi des pièces que ma mère porte ! » Ce qui séduit justement, c’est son identité visuelle singulière : « On aime ou on déteste. Mais cela provoque une émotion, c’est cela qui fait sens selon moi. »

« Ma collection détournant le folklore alsacien est celle que je préfère pour ce qu’elle représente » confiet-il. On a une image datée de l’Alsace, alors que le folklore n’est pas ringard. » Quand il imagine cette collection, Victor se plonge dans ses racines, décortique de vieilles photos, retrace des traditions oubliées. « Je suis très attaché à mes origines alsaciennes, je suis plus chauvin aujourd’hui qu’avant ! »

« ON SE REND TRÈS VITE COMPTE QUE LE CHEMIN EST LONG »

À Paris aujourd’hui, toutes les portes lui sont ouvertes. « Sur certains aspects, c’est plus simple pour trouver une table au resto, s’amuse-t-il. Mais c’est aussi plus compliqué, car les gens ont des attentes, une marque reste un business avant tout, on sent la pression de toujours devoir évoluer, grandir. » Mais le styliste ne manque ni d’envie, ni d’énergie. « Dans ce métier, il faut être bosseur, la danse m’a appris à être rigoureux. » Car à l’origine, Victor se destinait à être danseur professionnel. « J’ai commencé à quatre ans, et j’étais semipro à dix ans, sans savoir ce qui m’attendait vraiment. Vers seize ans, j’étais blasé. Tu vis danse, tu manges, tu dors, tu danses. Je n’en pouvais plus ! Je n’étais pas très bon à l’école, alors je me suis dit pourquoi pas la mode, j’aime les vêtements, les couleurs, les tissus, et tout s’apprend ! »

Quand il intègre l’Atelier Chardon Savard après avoir décroché son bac littéraire –avec mention tout de même ! – il déchante un peu. « On arrive avec de grands rêves, mais on se rend très vite compte que le chemin est long. Ce n’était pas aussi glam’ et paillettes que je le pensais, mais pour la première fois, j’ai fait des études où je prenais 100 % de plaisir. »

À la sortie, il décroche au culot un stage chez Jean-Paul Gaultier, « et là j’ai enfin pu trouver la vie douce. C’est un créateur de génie, au grand cœur, j’avais tellement de chance d’être dans une maison où l’on se sent bien. Ce n’est pas le cas dans tous les studios… »

C’est un peu par hasard, sur fond d’audace toujours, qu’il lance sa propre

S’
« ON A UNE IMAGE DATÉE DE L’ALSACE, ALORS QUE LE FOLKLORE N’EST PAS RINGARD. »
83 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
L’Alsacienne vue par Victor

maison de couture en 2020. Dans les couloirs, se murmurait le départ à la retraite de l’iconique styliste français. « Il fallait que je présente des looks et croquis pour espérer trouver du travail, souligne Victor, et je me suis dit, autant organiser un petit défilé à la bonne franquette pour me faire connaître. »

Et Victor Weinsanto, la marque, est née. « Un ami avait invité Adrian Joffe, ils étaient tous les deux émus de voir un petit bébé faire son crash-test dans le grand aquarium de la mode ! » Une semaine après ce premier coup de génie, c’est le confinement. « Adrian Joffe m’a

alors tendu la main, et m’a proposé de vendre mes créations dans son showroom. » Un deal qui lui facilite la vie et lui offre une belle notoriété. « Comme toute jeune marque, on galère, Gaultier aussi a galéré à ses débuts, rappelle-t-il. Travailler avec Adrian est une chance, car on leur vend notre collection qu’ils vendent euxmêmes. C’est une livraison, une facture, et on a la chance de bénéficier de la renommée de Comme des garçons. »

À TRAVERS SES SHOWS PSYCHÉS…

Si l’inflation et la crise l’effraient, d’autant qu’en tant qu’indépendant, « il faut en vendre des tee-shirts pour rembourser tout ça ! », Victor reste optimiste, confiant et ingénieux. « Quand on me propose un catering à 1200€, je préfère aller chez Lidl et dépenser 100 euros pour acheter de quoi boire et manger ! »

Victor vient aussi d’être nommé ambassadeur de Nona Source, la plateforme de revente des tissus dormants du groupe LVMH. « Cela permet à de jeunes créateurs comme moi de se fournir en tissus de superbe qualité, précise-t-il. C’est une vraie démarche éco-responsable, car pourquoi produire plus de tissus alors qu’il y en a plein de dormants ? » Une belle avancée pour le créateur, qui porte un regard sévère sur la fast-fashion et les dégâts qu’elle engendre. « Vous imaginez que certaines marques produisent 140 collections par an, c’est complètement ahurissant ! Quand on achète un tee-shirt à 10€, si je fais le calcul du prix de revient, ce n’est que quelques centimes, parce que conçu dans des pays où les conditions humaines ne sont pas respectées… C’est ça qui est grave. »

Victor Weinsanto plaide pour une mode plus responsable, pour le fameux acheter moins, mais mieux. Et nous offre à travers ses créations colorées et décalées, à travers ses shows psychés mettant en scène de vraies personnes, cette part de beauté, de fantaisie, et de je-ne-saisquoi du vrai talent à la française.

Pour ce printemps-été, il a imaginé une collection Common Love , un véritable hymne à l’amitié et à l’amour, dédié à tous ses amis peintres, artistes, photographes, stylistes qui forment avec lui une nouvelle génération de créatifs ultra solidaires, « contrairement à ce que l’on peut dire », confie le jeune homme qui marche sur les traces d’un autre Strasbourgeois de génie, danseur et styliste… Thierry Mugler. a

« ADRIAN JOFFE M’A ALORS TENDU LA MAIN, ET M’A PROPOSÉ DE VENDRE MES CRÉATIONS DANS SON SHOW-ROOM »
84 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Victor Weinsanto avec Philippine Leroy Beaulieu
promotion immobilière par nature www.quarto-immo.fr - 06 75 72 41 12 Bienvenue dans votre nouvelle vie quartier sud a Colmar BELLIS

HERVÉ BOHNERT À LA MORT – À LA VIE

Artiste strasbourgeois désormais présent dans de grandes collections internationales, Hervé Bohnert est aux cimaises de la galerie Ritsch-Fisch jusqu’au 14 avril. S’y déploie une rétrospective envoûtante où se mêlent sculptures, dessins et photos grattées d’une grande force plastique, symbolique et poétique. Un monde où la vie et la mort se tiennent la main. Sans effroi.

Rien de présomptueux chez Hervé Bohnert, rien à asséner, rien à démontrer. Il parle d’une voix douce presque craintive, passant d’œuvre en œuvre juste avant l’inauguration de l’exposition que lui consacre la très belle galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch

Vingt années de création se déclinent aux cimaises, non pas chronologiquement, mais par affinités électives. L’œuvre se découvre dans la variété de ses techniques et l’omniprésence d’une thématique : celle de la mort qui succède à la vie et recèle une beauté bien à elle. Architecture du squelette, chairs évidées pour laisser apparaître la structure qui les sous-tend, souvenirs d’un être qui fut proche, l’artiste ne cache pas sa fascination pour les Memento Mori et autres rites funéraires dont la modernité – rétive aux rites – nous a détournés. « J’ai toujours collectionné les objets d’avantguerre reliés à cet univers », confie Hervé Bohnert. Photos d’enfants – il en mourait beaucoup jadis – ou de personnes décédés, souvenirs de communion ou de mariage aux personnages figés dans un inquiétant sérieux, images de danses macabres, objets patinés par tous ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…

De ce compagnonnage est née une recréation de tous ces objets.

L’artiste s’en est emparé « par nécessité », sans codes préconçus, sans leçon

a CULTURE – EXPO
86 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Communication Journalisme Web Métiers du sport Informatique Transition écologique et solidaire Rendez-vous par téléphone au 03 88 36 37 81 ou par mail à strasbourg@mediaschool.eu Presqu’île Malraux 16, rue du bassin d’Austerlitz 67100 Strasbourg Retrouvez-nous sur les réseaux MediaSchool.eu/strasbourg

IL N’EFFRAYE PAS, IL INTRIGUE ET INVITE À NE

PAS SE DÉTOURNER DES DÉFUNTS POUR LES LAISSER TOMBER DANS UN OUBLI

QUI NE RACONTE QUE NOS PROPRES PEURS.

d’art péremptoire, juste parce qu’il le fallait, rejoignant ainsi l’art brut tel que Jean Dubuffet l’a défini en tant qu’« ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique », exempts de poncifs.

« À CHACUN DE LIRE CE QU’IL VEUT LIRE »

Il a délicatement décharné de gracieuses cariatides en en sculptant le squelette, retrouvé la matière de bas-reliefs religieux enfouie sous des couches de méchante peinture et retravailler leurs sujets jusqu’à l’os, accoler le mort et le vif dans le seul visage d’un christ, d’une madone ou d’une Alsacienne toujours rieuse.

Car le macabre reste alerte sous la gouge ou le pinceau d’Hervé Bohnert.

Il n’effraye pas, il intrigue et invite à ne pas se détourner des défunts pour les laisser tomber dans un oubli qui ne raconte que nos propres peurs. Visiteur de catacombes, l’artiste y aime la

familiarité avec les disparus. « La mort et la vie cohabitent », rappelle-t-il en évoquant cette récente pandémie qui lui a inspiré le buffet présenté actuellement dans la grande exposition sur l’art brut au musée Würth d’Erstein.

« L’époque Covid était étrange », ditil, « mon travail raconte aussi que la mort aura toujours le dernier mot et qu’il faut profiter de la vie ».

Plus qu’un Memonto Mori, l’exposition se veut Memento Vivere Elle dit la force de la vie, insuffle de l’énergie aux souvenirs, revisite les Désastres de la guerre de Goya  ou Les Amants trépassés du musée de l’œuvre Notre-Dame  et rend aux objets délaissés toute leur raison d’être au monde.

Sans jamais heurter ni profaner le religieux, qu’il soit chrétien ou animiste. Aucune œuvre n’est datée ou titrée. Ce serait trop prescriptif aux yeux d’un artiste jaloux de sa propre liberté et de celle d’autrui. « À chacun de lire ce qu’il veut lire », dit-il.

« Hervé a un travail à côté de son art », enchaîne son galeriste Richard Solti, « il est artiste par nécessité de créer, pas pour gagner sa vie, plaire ou expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Il est libre et c’est une force qui le dispense de dépendre de tout regard extérieur ».

« C’est vrai que je fais ce que je veux », lui répond l’intéressé. « Je suis curieux des techniques et je cherche les solutions en autodidacte ».

Avec la certitude qu’« il ne faut jamais remettre à demain ». « Quand une idée s’impose, il faut lui obéir ».

Et s’emparer d’un objet récupéré au hasard de la chine, plus ou moins longtemps côtoyé dans son atelier afin de lui donner un vie d’entre deux vies. a

GalerieJ-P Ritsch-Fisch 6,ruedesCharpentiers–Strasbourg www.ritschfisch.com
88 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

Dispositif LMNP

Un produit performant, sécurisé et rentable !

Une nouvelle adresse à Strasbourg. Profitez de nos offres !

STRASBOURG

Devenez propriétaire grâce à la TVA réduite ou profitez du dispositif Pinel pour investir.

Profitez des dernières opportunités.

Nexity,
le partenaire de confiance pour des projets immobiliers réussis. STRASBOURG STEP
STRASBOURG COSMOPOLITE
CONNEXIONS
03 88 154 154 nexity.fr C15 M100 Y85 K0 K100 NEXITY_Bloc marque COLOR_CMYK 26/01/2021
GEISPOLSHEIM L’EMPREINTE
(1) NEXITY GEORGE V EST - RCS383910056 - SNC au capital de 250 000 €. 5A, Boulevard du président Wilson, 67061 Strasbourg Cedex. Création : Lmdi.fr - Illustrations non contractuelles. Mars 2023. L’empreinte : Archi : BIK ARCHITECTURE - Pers : KREACTION • Connexions : Archi : AJEANCE // LUCQUET Architectes - Pers : VIZION STUDIO • Step : Archi : Rey-de-Crécy - Pers : LD3D • Cosmopolite : Archi : K&+ Architecture globale - Pers : LD3D

CENTRE POMPIDOU METZ RETOUR VERS LE FUTUR

90 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

Réédition de l’œuvre de William Gibson, chantre du cyberpunk, remake du film

Dune par Denis Villeneuve, retour en grâce du mouvement brutaliste en architecture, conférences d’Alain Damasio sur le technocapitalisme… La science-fiction, véritable poil à gratter conceptuel, revient bousculer les idées reçues au moment où l’avenir semble, il faut le dire, un peu bouché ! Les Portes du possible. Art & science-fiction, la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz ne s’y trompe pas, colle à l’air du temps, et dispatche sur quelques 2300 m2 des œuvres qui interrogent notre présent à travers le prisme du futur. Voyage en terres post-connues.

Les portes du possible, on les pousse sans trop savoir à quoi s’attendre. À une époque où justement, la réalité a bel et bien rejoint la fiction, à grand renfort de réalité virtuelle et d’équipée martienne, on a peine à imaginer… ce que l’on pourrait bien imaginer de neuf ! Et c’est là que se situe toute l’intelligence – et la beauté – du paradigme science-fictionnel. La pensée futuriste ne s’exprime jamais ex nihilo : sous couvert d’anticipation, la SF nous parle de nos peurs, de nos fantasmes, de nos erreurs, mais aussi de nos espoirs présents. Ainsi,

pour Alexandra Müller, commissaire de l’exposition, la science-fiction nous permet de « changer de direction, redéfinir notre relation à l’environnement, dépasser un capitalisme sans borne, réécrire l’Histoire. Pour elle, la force de nos imaginations est un outil capable de réorienter nos futurs. »

FUTUR ANTÉRIEUR

Artistes plasticiens, écrivains, mais aussi architectes et cinéastes, l’exposition regroupe pas moins de 200 œuvres de

a CULTURE – EXPOSITION
Aurélien Montinari François Quillacq
« C’est une expérience très insolite que d’écrire quelque chose dans un roman, en étant persuadé que c’est une pure fiction, et d’apprendre plus tard – bien des années plus tard –qu’en fait, c’est vrai.  »
Philip K. Dick
91 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

la fin des années 1960 à nos jours, l’occasion de prendre toute la mesure de la pertinence de certains travaux qui avaient déjà su, il y a plus d’un demi-siècle, anticiper les enjeux de notre époque.

Le parcours s’articule autour de cinq espaces reprenant chacun le titre d’un livre phare et développant une thématique précise. Le meilleur des mondes et ses questions sociétales, Neuromancien et les technosciences, Les androïdes rêventils de moutons électriques ? et le cyborgisme, Soleil vert et l’écologie et, enfin, La parabole du semeur et les nouvelles formes du mythe.

La scénographie, elle, se veut accidentée et réflexive au sens propre, comme au figuré. Murs, sols et plafonds sont brisés, parfois remplacés par des miroirs, comme autant d’ouvertures vers d’autres mondes et diffractions du réel. « La scénographie joue sur une ambivalence en créant un espace dont on ne sait pas s’il est en cours

de construction ou de destruction. Cette ambiguïté résonne avec l’insécurité et la désorientation qui règnent sur notre monde actuel. Il s’agit aussi de dépayser les visiteurs, de les emmener vers un ailleurs », explique Alexandra Müller.

Loin des clichés de la pop culture, l’exposition Les portes du possible se penche sur nos préoccupations contemporaines, révélant la puissance critique de la science-fiction, cette forme de pensée qui nous permet d’envisager – et de construire – enfin un avenir désirable… a

LES PORTES DU POSSIBLE

Jusqu’au 10 avril 2023

Centre Pompidou Metz

1 Parvis des Droits-de-l’Homme

Tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h, le week-end jusqu’à 19h

centrepompidou-metz.fr

« LA FORCE DE NOS IMAGINATIONS EST UN OUTIL CAPABLE DE RÉORIENTER NOS FUTURS. »
92 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

T NS Théâtre National de Strasbourg

Les spectacles

Comme tu me veux

Luigi Pirandello | Stéphane Braunschweig 27 fév | 4 mars

Un pas de chat sauvage

CRÉATION AU TNS

Marie NDiaye * | Blandine Savetier * 2 | 10 mars

Grand Palais

Julien Gaillard, Frédéric Vossier | Pascal Kirsch 10 | 16 mars

Mineur non accompagné en remplacement de Îlots

Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel 17 | 25 mars

Mon absente

Pascal Rambert * 28 mars | 6 avril

Tout mon amour

Laurent Mauvignier | Arnaud Meunier 11 | 15 avril

L’Esthétique de la résistance

CRÉATION AU TNS

Peter Weiss | Sylvain Creuzevault 23 | 27 mai

* Artistes associé·es au TNS

L’autre saison

Beretta 68

CARTE BLANCHE DE L’ÉCOLE DU TNS

Spectacle conçu par 8 élèves du Groupe 47 de l’École du TNS 29 mars | 1er avril | TNS

Intuition, friction, papillon

PRÉSENTATION D’UN ATELIER DE JEU DE L’ÉCOLE DU TNS

Marc Proulx | Avec les élèves du Groupe 47 28 et 29 mars | Espace Grüber

Spectacle de la Troupe Avenir #7

IMMERSIONS THÉÂTRALES 16-25 ANS

Iannis Haillet et Florence Albaret

Ven 21 avril | 20 h

Sam 22 avril | 15 h et 20 h

Espace Grüber

Prix des lycéen·nes Bernard Marie-Koltès

PRIX DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE CONTEMPORAINE

Cérémonie de clôture

Ven 2 juin | 14 h 30

Espace Grüber

03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2223
Nancy Nkusi, Un pas de chat sauvage © Jean-Louis Fernandez

ESTELLE

LAGARDE L’ÉTERNITÉ DE HÉLÈNE

Bataclan. 13 novembre 2015. La barbarie. Hélène meurt sous les balles des terroristes. Le petit Melvin ne reverra plus sa maman. Quelques semaines plus tard, Antoine Leiris, son compagnon et père de Melvin, écrira Vous n’aurez pas ma haine. La photographe Estelle Lagarde était l’amie de la compagne d’Antoine. Elle avait déjà réuni quelques photos d’Hélène dans un précédent livre, L’auberge. Elle publie aujourd’hui cet ouvrage précieusement réalisé, sobrement titré Hélène. « La route sinueuse de ses photographies mène à l’éternité d’Hèlène » écrit superbement Brigitte Patient dans la préface du livre. Elle ajoute : « Depuis toujours, Estelle Lagarde travaille le temps. Elle modèle dans ses photographies les présences, les absences. Les traces laissées par des vies dans des lieux abandonnés, oubliés. » Tout est dit.

el.estelle.lagarde@protonmail.com

Le livre sera présenté le 25 mars prochain de 15h30 à 18h à la galerie Radial, 11b Quai Turckheim à Strasbourg en présence de la photographe.

94 a PORTFOLIO a CULTURE — PORTFOLIO
Photos du portfolio des pages suivantes : © Estelle Lagarde – agence révélateur
95 a PORTFOLIO
96 a PORTFOLIO
97 a PORTFOLIO
98 a PORTFOLIO
99 a PORTFOLIO
100 a PORTFOLIO
101 a PORTFOLIO
102 a PORTFOLIO
PALAIS DE LA MUSIQUE ET DES CONGRÈS PARC DES EXPOSITIONS Nous contacter : +33 (0)3 88 37 67 67 commercial@strasbourg-events.com strasbourg-events.com CENTRE VILLE 1H45 DE PARIS CADRE VERDOYANT LE NOUVEAU PARC DES EXPOSITIONS EN VIDÉO Vos lieux événementiels pour une expérience européenne ! EXPERIENCE THE EUROPEAN CAPITAL

a CULTURE — POÉSIE

POÉSIE LA FRONTIÈRE

Le mot frontière est d’abord un mot merveilleux, car il est polysémique. Il signifie aussi bien ce qui limite que ce qui laisse passer, ce qui sépare comme ce qui réunit…

Couverture du livre La Frontière (Ed. Gautier-Languereau)

104 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Isabelle Baladine Howald Antoine Guillopé

on origine est d’ailleurs plutôt militaire : faire front, c’est-à-dire se mettre en face d’un ennemi potentiel. Frontières à notre époque est moins synonyme de délimitations de son propre pays – rien que de très normal au fond – que de l’interdire aux autres. Barbelés, soldats, rien n’est trop meurtrier pour empêcher l’étranger de passer. Ce n’est sans doute pas toujours injustifié, mais frontière ne devrait-elle pas d’abord signifier accueil avant d’être interdiction, refoulement ?

Autrefois nous partions aux confins de l’Est, par exemple. Aujourd’hui l’Est se ferme à son voisin de l’Est. Son presque soi est devenu son ennemi, celui qu’il veut non seulement détruire, mais soumettre, lui enlever racines, cultures, et même la vie. Les confins n’existent plus, car vous êtes arrêté à chaque douane.

La frontière peut être naturelle comme le Rhin, elle peut être relativement incontrôlée comme l’espace Schengen, elle peut être une ligne juridiquement décidée ou une zone de no man’s land. Elle peut même séparer le même pays à l’origine, voir la Corée. Elle ne devrait que délimiter un pays pour qu’on puisse franchir (passer la frontière) le seuil d’un autre pays. Elle devient synonyme de contrôle, de peur, de danger au lieu d’être synonyme de désir, d’attente et d’espoir.

Les enfants adorent passer les frontières, c’est un petit tremblement de ce que l’on est quand on voyage en sécurité avec ses parents vers ce petit tremblement qu’est en face de nous l’autre, le paysage, les habitudes, au lieu de n’être que pertes et craintes quand on passe à pied, épuisé, son quant-à-soi dans un pauvre sac à dos.

BORDERLINE

C’est un sujet qui n’est plus que géopolitique. Ausweis, no pasaran, les slogans ne manquent pas pour l’ouvrir ou la fermer : tu passes ou tu ne passes pas. Or on peut être aux frontières de l’adolescence, de la vieillesse ou de la folie, du rêve ou de la réalité, on peut être déclaré normal ou borderline, on peut passer comme Modiano du flou à l’encore plus flou.

La frontière permet le transport (y compris amoureux). On rêve d’un pays quand le sien est devenu trop pauvre ou trop dictatorial. C’est une porte virtuelle, une barrière réelle. Passer sous un camion ou par-dessus une clôture, la frontière est basse ou haute.

Quel rapport avec la poésie, me direzvous ? Paul Eluard a écrit : « Le mot frontière est un mot borgne. L’homme a deux yeux pour voir le monde », c’est dire que la frontière risque toujours de fermer quelque chose à la vue. Celui qui a écrit Liberté durant ses années de résistance connaissait cette frontière intra muros, la fameuse ligne de démarcation, celle qui séparait ceux qui étaient encore français et libres et ceux qui passaient sous le joug allemand et n’étaient plus libres. Or le poète a besoin de voir, au-dedans de lui comme au-dehors.

Il y a moins d’un an est venu ce poème :

Il est couché, sa tête tout près des barbelés, rouleaux dentelés de pointes d’argent qui déchirent peaux et vêtements il se photographie

Il se photographie couché sur le dos, sa tête tout près des barbelés, peut-être photographie-t-il la liberté derrière ou la lisière de la forêt entre les jambes des soldats

Entre les jambes des soldats brillent les dents d’argent des rouleaux dentelés la liberté a la couleur de la forêt polonaise il se photographie

La lisière de la forêt est à peu de mètres de sa tête sur le sol froid tout près des dents d’argent des barbelés sa tête il photographie la frontière. a

S
105 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

CATHERINE BOLZINGER CHANTER ENSEMBLE CRÉE UNE « HUMANITÉ AUGMENTÉE »

« La voix est la musique du corps », confie Catherine Bolzinger, une musique portée dans « une espèce de fragilité » puisque le chanteur n’est pas « protégé » par un instrument… C’est peut-être cela qui bouleverse autant le public de Voix de Stras’, le chœur de femmes qu’elle dirige depuis 2014.

a CULTURE — VOIX DE STRA’S
106 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Xxxxxxx

Trois équipes s’y sont succédé. L’actuelle mêle les timbres de chanteuses originaires d’Uruguay, des États-Unis, de Russie, d’Arménie, de Corée du Sud et… d’Alsace. Toutes professionnelles, toutes singulières. « Un groupe pas forcément simple » – heureusement, car Catherine n’aime pas le « lisse » – mais… « passionnant ».

Sur scène, cette interculturalité fait merveille lorsqu’elle pétille au contact de l’« humanité augmentée » qui naît « lorsque l’on chante avec quelqu’un ».

Ce partage, Voix de Stras’ vient de le démultiplier au lointain du monde en collaborant avec les chanteuses du chœur amateur de l’Asian University for Woman de Chittagong au Bangladesh.

Ce projet fou baptisé EVE pour « Empower Voice Emancipation » est né en 2022 et il a conduit au bord de l’Ill trois étudiantes de cet établissement voué à l’émancipation des femmes d’Asie.

Easha, Mercy et Azii sont arrivées en février pour mêler leurs voix à celles des chanteuses de Voix de Stras’. Leur résidence a duré quinze jours avant un départ pour Paris et un dernier concert sous les ors de la Cour des comptes.

Dans ce spectacle déjà donné à Strasbourg et Breitenbach s’entrelacent chansons du Bangladesh, du Timor oriental, du Népal, du Sri Lanka, d’Inde ou du Cambodge à un répertoire européen où l’on reconnaît Zingarelle de Verdi, Il était une fois dans l’Ouest , Money Money , Lieber Tango de Piazzola…

CHANTER, CHANTER ENCORE, CHANTER ENSEMBLE… »

« Un assemblage » tissé par Catherine avec la complicité du compositeur français Lionel Ginoux qui collabore avec elle depuis 2016.

« Il a une écriture contemporaine, mais use de schémas mélodiques proches des musiques traditionnelles », précise-t-elle. L’approche idéale pour ce projet né d’une collecte de chansons populaires auprès des étudiantes de l’université de Chittagong. Arrangées par Lionel Ginoux toutes celles qui ont été retenues porte en titre le prénom de celle qui l’a transmise : Bela ; Novita, Marjana, Soma, Sophorn…

VOIX EST LA MUSIQUE DU CORPS. »

Chanteuse-cueilleuse, Catherine a trouvé dans cette méthode de la collecte initiée en 2019 dans le quartier des écrivains de Schiltigheim « un outil efficace » pour « aller à la rencontre des gens et leur donner une place ».

Viennent ensuite le travail d’arrangement et le partage sur scène de tout un patrimoine réenchanté, devenu universel par la force des voix humaines.

Grâce à Voix de Stras’, Strasbourg, ville des routes et des carrefours se fait lanceuse de ponts par-delà les frontières. Des concerts sont prévus en Asie, notamment à l’ambassade de l’Union européenne à Dacca, capitale du Bangladesh.

On croise les doigts pour que le rêve se poursuive, mais on sait la masse d’aléas qu’il faudra surmonter pour y parvenir.

Une chose est certaine cependant, la chanteuse-cueilleuse poursuivra ses collectes pour le bonheur des rencontres au plus mélodieux de la mémoire et pour le plaisir du partage sur scène.

Sans leçon de morale à donner, juste parce que cela a un sens et qu’il n’y a rien de plus beau que chanter, chanter encore, chanter ensemble. a

107 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Xxxxxxx
« LA

a CULTURE — HISTOIRE

LE JOUR OÙ… JOHANN KNAUTH A SAUVÉ LA CATHÉDRALE

Ce jour-là, ce n’était pas le jour dont on parle, c’en était un autre. Ce jour-là Johann Knauth n’était plus le sauveur de la cathédrale. Il n’était plus cet homme massivement notable devant lequel on enlevait son chapeau, l’architecte en chef de la cathédrale de Strasbourg, peut-être le troisième personnage le plus important de la cité avec le maire et le préfet, l’évêque aussi, alors disons le quatrième. Il n’était plus qu’un boche parmi les autres. Sommé comme tous les autres boches de quitter la ville dans les plus brefs délais par les nouvelles autorités françaises.

Pour que ça aille plus vite, pour qu’ils évacuent cette terre qui n’était plus la leur on allait les entasser dans des camions et les renvoyer manu militari sur l’autre rive du Rhin. À coups de pieds dans le train si besoin, ce n’est pas une image, l’époque était à l’épuration.

Les Altdeutsche , les « VieuxAllemands » étaient devenus indésirables. Ils étaient environ 180 000 en Alsace, venus de Prusse et des États rhénans en proportions égales pendant la période du Reichsland (1871-1918), dont près de 60 000 rien qu’à Strasbourg. Sauf à être marié à une alsacienne et à faire la demande de nationalité française, ils devaient partir.

Johann Knauth aurait pu effectuer cette demande. Il ne l’a pas fait. Peutêtre son épouse Mathilde Holzmann, fille d’un aubergiste strasbourgeois, l’a-t-elle suppliée, on n’en sait rien. Toujours est-il

108 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Alain Leroy Fondation de l’Œuvre Notre-Dame – DR

qu’il ne l’a pas fait. Par fierté ? Par tristesse ? Par bravade ? Par rancœur ? Un peu de tout ça à la fois sans doute. Alors, en ce mois de janvier 1921, quand il franchit le Rhin pour aller s’installer dans un modeste logement situé place de l’Hôtel de Ville à Gengenbach, à 37 km très exactement de Strasbourg, Johann Knauth est un homme brisé. Bientôt mort. Trente-sept kilomètres ce n’est rien quand on y pense, mais l’exil ne se mesure pas en kilomètres quand il est intérieur.

Il n’a cette année-là que 57 ans. Il atteindra tout juste la soixantaine, oublié de tous ou presque. À l’époque déjà, on déboulonnait les statues et Johann Knauth avait celle du commandeur. II l’avait érigée lui-même à force de travail et de talent. Et puis l’époque l’avait jetée à bas et lui avait roulé dessus. Il n’allait pas survivre à ses blessures. Elles étaient trop profondes.

CITÉ EST UN IMMENSE CHANTIER À CIEL OUVERT. STRASBOURG VA DEVENIR LA VITRINE DU GÉNIE ALLEMAND. »

L’homme qu’il était en arrivant est alors loin, si on le croisait on ne le reconnaitrait pas. Ce n’est pas si vieux pourtant.

IL EST VENU POUR ELLE…

Janvier 1891. Johann Knauth a 26 ans depuis quelques semaines quand il débarque en gare de Strasbourg, la capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, nouvel eldorado tout près de chez soi quand on est allemand. Une ville en partie détruite après la guerre de 1870, annexée par le traité de Francfort en 1871 et en pleine ébullition.

La cité est un immense chantier à ciel ouvert. Strasbourg va devenir la vitrine du génie allemand. En moins de deux décennies, sa superficie a triplé de volume. Elle a été dotée du plus beau campus universitaire d’Allemagne et donc d’Europe, de centaines d’appartements modernes

avec « gaz in allen etage », d’une nouvelle gare, d’un palais des fêtes, d’un établissement de bains dernier cri, de nouvelles grandes et larges avenues, la liste est sans fin. Et au milieu trône toujours, fière et indestructible, sa cathédrale, le plus haut édifice de la chrétienté jusqu’en 1874.

Johann Knauth est venu pour elle après avoir travaillé à l’achèvement de celle de Cologne, sa ville natale. Franz Schmitz, l’architecte en chef du chantier colonais, a repéré cet apprenti attentif, doué et qui ne compte pas ses heures. Alors, quand il est nommé à Strasbourg, il l’emmène avec lui et c’est une révélation. D’abord Johann Knauth se fond complètement dans cette ville allemande, mais avec un charme différent. Un an et demi après son arrivée, il se marie. Avec Marie, ils auront rapidement deux garçons, Joseph-Heinrich et Jean. Un prénom allemand et un autre français, voilà pour le symbole qui dit beaucoup.

« LA
109 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Un chantier titanesque sur le pilier nord de la nef de la cathédrale.

« DES FISSURES SUR LES VOÛTES L’ONT ALERTÉ COMME ELLES AVAIENT ALERTÉ SES PRÉDÉCESSEURS, MAIS PERSONNE N’ÉTAIT ALLÉ PLUS LOIN. »

Sur le plan professionnel, les choses évoluent aussi rapidement pour lui. En 1897, il est nommé conducteur de travaux par Ludwig Arntz, un autre colonais qui a remplacé Schmitz, et est chargé de renforcer les contreforts sud de l’édifice. Une grosse responsabilité déjà. Mais c’est en 1905 que tout bascule : Arntz démissionne avec pertes et fracas. La municipalité cherche un remplaçant, n’en trouve pas qui lui convient et se dit que finalement il n’y a peut-être pas à aller chercher bien loin : Knauth n’a pas les diplômes requis d’accord, mais il est compétent, extrêmement compétent. Ni une ni deux, il devient architecte en chef de la cathédrale. Il a 41 ans, il est au sommet, c’est sans doute pour ça qu’il consolide les fondations.

À COURT TERME, LA TOUR VA S’ÉCROULER…

Après avoir rénové la façade occidentale et restauré les galeries des apôtres et des anges musiciens, il s’attaque à un problème majeur, celui du pilier nord de la nef qui soutient la tour. Des fissures sur les voûtes l’ont alerté comme elles avaient alerté ses prédécesseurs, mais personne n’était allé plus loin. Johann Knauth, lui, veut en avoir le cœur net. Ce qu’il découvre est plus qu’alarmant : le gros pilier de la tour nord, celui qui doit supporter la tour (7500 tonnes tout de même) s’enfonce inexorablement dans le sol. Ses piliers d’orme sont extrêmement détériorés. À terme et même à court terme, la tour va s’écrouler, c’est une certitude, regardez, elle s’incline déjà.

Knauth prend donc les choses en mains. Les travaux techniquement audacieux et financièrement extrêmement coûteux débutent en 1912.

« Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai le monde » aurait dit Archimède ? Il applique ce principe à la lettre : le gros pilier est enserré dans un corset de ferraille et des vérins hydrauliques (huit) actionnés par des pompes à bras le soulèvent. Et là, il faut aller vite et remplacer les poteaux de bois par des fondations en béton sans rompre le fragile équilibre qui provoquerait la chute du monument. Sueurs froides.

Il suffit de lever la tête pour comprendre que la manœuvre a réussi. Un siècle plus tard, l’édifice est toujours en place. Plus solide que jamais. Johann Knauth n’aura guère eu le temps d’en profiter. Les travaux se poursuivent, mais la guerre est là. Lui est trop vieux pour combattre, mais ses deux fils non. JosephHeinrich n’a pas 18 ans, c’est lui qui succombe le premier le 12 septembre 1917 sur le front de Roumanie. Jean est quant à lui prisonnier des Russes quand les armes se taisent enfin. Il n’a pas le temps d’être libéré qu’il succombe, à 24 ans, au typhus dans un camp de Sibérie.

Johann Knauth ne se relèvera jamais de cette double tragédie. Son humeur s’assombrit, ses coups de colère sont nombreux. Alors qu’il s’exprimait en alsacien, il ne parle plus qu’en allemand sur les chantiers, ses ordres claquent, on renâcle. Car l’époque a changé. La plupart des Altdeutsche sont partis, y com-

pris chez les ouvriers, et ceux qui sont restés font profil bas. Pas Knauth. Le voilà accusé de « pangermanisme », lourde accusation en ce temps où on trie les citoyens, ça lui pendait au nez.

Pour l’instant, son statut le protège, mais il se fissure lui aussi. Lui veut terminer ce chantier qui est celui de sa vie, il n’en démord pas. En hauts lieux on hésite, on se divise entre soutiens et détracteurs. Si seulement il acceptait de remplir ce formulaire demandant la nationalité française tout serait réglé, mais non, il s’y refuse, n’est-il pas le sauveur de la cathédrale ? Ça ne suffira pas. Le 18 septembre 1920, Gabriel Alapetite, le nouveau commissaire général de la République qui remplace Alexandre Millerand, lui fait porter l’acte d’expulsion de son appartement de fonction. Trois mois plus tard, il est licencié, privé de revenus et même de retraite.

Ce jour-là, il n’était plus le sauveur de la cathédrale. Ce jour-là, il n’était plus qu’un boche parmi les autres qui ne sera évidemment pas invité à la réception des travaux, en octobre 1926, puisqu’il était déjà mort. Il faudra attendre 2014 pour que la Ville lui rende hommage en apposant une plaque sur la façade du bâtiment qui abritait la Poste, devant la cathédrale.

Elle dit « À Johann Knauth, sauveur de la cathédrale, la Ville de Strasbourg reconnaissante. » a

Johann Knauth aura fait du sauvetage de la cathédrale le grand œuvre de son existence. Admiré pendant des années, il finira sa vie exilé et banni. La plaque commémorative appliquée en 2014 sur l’ancien bâtiment qui abritait La Poste, place de la Cathédrale.
110 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
EDLOR0279_KLAFS_V2-LP.indd 1 04/02/2020 EDLOR0279_KLAFS_V2-LP.indd 1 04/02/2020

SÙNNDI’S KÀTER LE DIALECTE-SHOW À SUIVRE

Enfant malicieux du cabaret alsacien et des late-shows américains, l’émission diffusée par France 3 et produite par Red Revolver touche à la fois le public classique des programmes en langue régionale et une audience plus jeune et plus urbaine, grâce aux replays en ligne — et à un habile sous-titrage.

Un canapé gris au coude-à-coude avec un grand bureau en bois, une moquette rouge, les bâtiments emblématiques de la région sur un écran en toile de fond, jusqu’aux mugs de café siglés : tous les ingrédients d’un late-show sont réunis sur ce plateau de tournage installé dans l’auditorium de France 3 Grand-Est. Programmes incontournables de la télé états-unienne, les late-shows animent là-bas les troisièmes parties de soirée avec une recette qui varie peu. Côté sofa, une succession d’invités du monde politique, culturel ou médiatique ; côté micro, un présentateur qui ne renâcle pas à la facétie sans pour autant esquiver les questions pertinentes. Des monologues, des sketchs et des parodies ponctuent le tout.

SE RÉAPPROPRIER LA LANGUE

De notre côté de l’Atlantique, le modèle a du mal à se faire une place dans les grilles des chaînes. L’émission de France 3, une production de la société strasbourgeoise Red Revolver, en est pourtant à sa troisième saison. Son épice magique ? L’alsacien ! Baptisée « Sùnndi’s Kàter » (la « gueule de bois du dimanche », pour les non-bilingues), elle est entièrement tournée dans la langue de Germain Muller.

« L’idée, c’est de se réapproprier l’alsacien, qui est encore souvent associé au folklore, explique Mathieu Winckel, le show-runner. Nous devons parfois inventer des mots pour parler de concepts

a CULTURE — LATE-SHOW
112 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

récents. » Que les débutants se rassurent, tout est sous-titré en français (comme sur Netflix, en somme) et les gags sont même imaginés dans les deux langues dès leur écriture pour en préserver la saveur. Deuxième emprunt aux plateformes, les épisodes sont tous disponibles en ligne pour ceux qui dorment encore le dimanche à 10h, à l’heure de la diffusion.

FRAÎCHEUR ET DÉRISION

L’équipe de Red Revolver exploite aussi une autre spécialité locale pour produire ses deux émissions inédites chaque mois : la satire. « Tous les sujets dont on parle sont d’actualité, mais nous les traitons avec un décalage que la tradition de l’humour alsacien nous inspire », poursuit Mathieu Winckel.

D’ailleurs, sur le plateau de tournage, le présentateur Philippe Sandmann s’emporte contre Valérie Weber-Schmitt (incarnée par la comédienne Laurence Bergmiller), « une envoyée spéciale influençable » qui a tourné platiste ! Les contre-arguments qu’il déroule sont tous

sérieux, sa vérité à elle résonne avec les éléments de langage des vrais convaincus que la Terre est un disque, mais on rit devant la gestuelle, le ping-pong verbal et les exagérations bien senties. « Nous avons à cœur de garder l’énergie et la fraîcheur qui font la particularité de ce format », insiste Philippe Sandmann. Son personnage donne le ton de l’émission. Pas à l’abri d’une contradiction entre les valeurs qu’il dit défendre et son mode de vie, il a le verbe haut et la moquerie facile. Immanquablement affublé d’une cravate de guingois, il assure le lien entre les différentes séquences. Personnages récurrents, doublages humoristiques de films, parodies et micros-trottoirs passent sur le gril toutes les grandes questions de société pendant 26 minutes. Si l’on devait donner nos propres favoris, on citerait parmi d’autres le rappeur 50-Pfand et sa version bio du Candy shop de 50-Cents, l’accent français inimitable de Renaud Lombardi ou encore Cynthia, l’influenceuse qui parle peste noire et crimes de guerre pendant ses gommages. Mais le mieux reste de se faire sa propre idée ! » a

france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/ programmes/france-3_grand-est_sunndi-s-kater

« TOUS LES SUJETS DONT ON PARLE SONT D’ACTUALITÉ, MAIS NOUS LES TRAITONS AVEC UN DÉCALAGE QUE LA TRADITION DE L’HUMOUR ALSACIEN NOUS INSPIRE. »
Philippe Sandmann assure la présentation de ce late-show en alsacien.
113 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

Jeff Bezos

Terminus, les étoiles

Georges Bataille

Après Mark Zuckerberg et Elon Musk, penchons-nous sur le cas de l’un des pires patrons du monde (il a reçu un prix pour cela), qui a littéralement révolutionné le marché de la vente et bouleversé nos comportements de consommation à grand renfort de rachats et d’exploitations, des employés comme de nos données : j’ai nommé Jeff Bezos. Pour lui, « un point de vue vaut trente points de QI »… mais que vaut un libéralisme aveugle ? Éclairage de l’empire Amazon, du colis dans votre boîte aux lettres aux villes sur la Lune.

Comme toutes les grandes fortunes (la presse a utilisé en 2018, pour la première fois, le terme « hectomilliardaire » pour le désigner), Jeff Bezos fascine. On le qualifie de perfectionniste, de visionnaire, de surdoué à l’audace sidérante, ce qui n’est somme toute pas faux ! Né en 1964 et montrant très tôt un attrait pour la technologie, le jeune Jeff quitte son Nouveau-Mexique natal pour aller étudier la physique à l’Université de Floride. Il y monte sa toute première entreprise, le DREAM Institute et ses cycles de conférences payantes. Le programme « met l’accent sur de nouvelles façons de penser dans un monde ancien. »

Disruption et business, les principes de la dynamique bezosienne sont déjà en place. À l’âge de 22 ans, il sort diplômé de la prestigieuse Université de Princeton et trouve un emploi en tant qu’analyste financier dans un fonds d’investissement new-yorkais, fonds dont il devient le vice-président à seulement 26 ans. Bezos saisit alors rapidement le potentiel encore balbutiant d’Internet et y voit l’occasion de créer une nouvelle entreprise : « J’ai appris que l’utilisation du web augmentait de 2 300 % par an. Je n’avais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et l’idée de créer une librairie en ligne avec des millions de titres — quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique — m’enthousiasmait vraiment. »

Nous sommes en 1994, Jeff Bezos a 30 ans et Amazon est né. Commençant par l’objet livre, le site se diversifie rapidement et devient le leader du commerce en ligne, la concurrence ne fait pas le poids.

GRADATIM FEROCITER

« Pas à pas, férocement », voilà le motto de Jeff Bezos, c’est ainsi qu’il fera ployer tous les acteurs du marché. Si Amazon mettra six ans à être réellement rentable, l’entreprise survivra à l’éclatement de la bulle technologique de 2000 pour finir furieusement boostée par la pandémie du Covid. La recette du succès selon Bezos repose avant tout sur l’écoute du client et sa satisfaction, à cela s’ajoute une réduction drastique des coûts ainsi qu’une véritable pressurisation des fournisseurs, sommés d’appliquer des marges toujours plus faibles. Client heureux, rentabilité maximale mais aussi patience olympienne font d’Amazon un adversaire redoutable. « Nous savons que si nous arrivons à obtenir que l’attention de nos concurrents soit concentrée sur nous pendant que la nôtre

Aurélien Montinari Daniel Oberhaus — NASA — Wikipedia Commons
S ACTUALITÉ —  PORTRAIT
114 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
« Le sacrifice arrache la victime au monde de l’utilité et la rend à celui du caprice inintelligible. »

est centrée sur nos clients, en dernier ressort, c’est à nous que cela profitera. » Le bonheur du client, quitte à pratiquer une concurrence déloyale (on se souvient de la panique des libraires au début des années 2000) et à exploiter ses employés. Car Amazon, derrière la vitrine virtuelle et le petit panier en haut à droite, c’est aussi et surtout une image d’employeur cynique, qui impose des conditions de travail exécrables dans des entrepôts gigantesques (certains font l’équivalent de quatorze terrains de football) à la surveillance automatisée impitoyable et aux salaires au rabais. Pour se faire une petite idée de la notion de réduction des coûts selon Amazon, citons l’enquête du quotidien anglais The Sun révélant que les pauses-pipi trop longues étaient décomptées des salaires, obligeant les employés des entrepôts (aux toilettes parfois éloignées de dix minutes) à se soulager… dans des bouteilles en plastique ! On saisit ici la férocité du management.

SON SUCCÈS ? VOS DONNÉES !

Pourtant, Amazon, il faut le savoir, ce ne sont de loin pas que des produits alignés dans des entrepôts attendant notre commande, ce sont aussi des services avec, par exemple, Amazon Prime, un service de vidéo à la demande qui compte 100 millions d’abonnés, mais aussi Amazon Games qui développe ses propres jeux vidéo, ou encore Prime Air, le service de livraison par drone encore en phase de test. C’est également Amazon Web Services (AWS), la plus grande plateforme de cloud computing, des serveurs informatiques appartenant à Amazon qui loue ainsi du stockage à d’autres grandes entreprises comme Spotify, Facebook, Netflix ou… la CIA ! À ces diversifications s’ajoutent les nombreux investissements de Jeff Bezos dans les médias (Washington Post), les réseaux sociaux (Twitch), l’immobilier (Airbnb), les transports (Uber), la data (IMDB) ou encore la robotique (Kiva Systems devenu depuis Amazon Robotics, pour des employés sans vessie). La liste est sans fin, Jeff Bezos fait main basse sur tous les domaines.

On en oublierait presque Alexa, l’intelligence artificielle made in Amazon, présente dans plus de 20 000 produits connectés (soit 50 millions d’appareils en service). De la caméra de surveillance aux serrures de maison en passant par la voiture et toute la batterie électroménagère, l’IA est partout, répondant à vos désirs,

« La recette du succès selon Bezos repose avant tout sur l’écoute du client et sa satisfaction, à cela s’ajoute une réduction drastique des coûts ainsi qu’une véritable pressurisation des fournisseurs. »
115 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

L’événement, prévu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas à l’agenda officiel du président de la République et n’a été suivi d’aucun communiqué. Le 16 février dernier, au Palais de l’Elysée, alors que les Français manifestaient en nombre contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron décorait très discrètement Jeff Bezos de la Légion d’Honneur. (Information parvenue quelques heures avant notre bouclage)

mais glanant également au passage des tonnes d’informations sur vos comportements. Gagnant toujours plus en pertinence et en autonomie, c’est sur elle que repose le développement du système de commande prédictive (Alexa sait avant vous ce qu’il vous faut) et c’est aussi sur elle que compte Jeff Bezos pour étendre son empire par-delà les étoiles.

LIVE LONG AND PROSPER

Comme tout milliardaire mégalomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut évidemment pas se contenter de régner sur un empire terrestre, il lui faut également dominer l’espace, cette Final Frontier pour reprendre le titre d’un film de la série Star Trek dont Bezos est un grand fan. Pour ce faire, l’entrepreneur a créé en 2000 la société Blue Origin. Moteurs, fusées, capsules, atterrisseurs, c’est toute une armada de technologies innovantes que développe la firme à la plume bleue, si bien que cette dernière a désormais le soutien de la NASA ! Jeff Bezos a ainsi mis au point des fusées réutilisables (afin de réduire les coûts) : New Shepard, qui devrait servir le business du tourisme spatial (comme si l’humanité avait besoin de plus de photos prises d’un hublot) et New Glenn, censée, elle, porter plus loin que la trajectoire suborbitale, direction la Lune (rien que ça) où l’atterrisseur Blue Moon devrait permettre le débarquement et l’installation de matériel, avec pour objectif d’y déployer des industries lourdes permettant à leur tour des voyages spatiaux vers des destinations

plus lointaines (sous la surveillance bienveillante d’Alexa). Même ambition qu’Elon Musk, celle d’une conquête toujours plus lointaine, marque immuable d’une histoire parallèle, qui ne concerne que ces mégalomanes au pouvoir d’achat si extravagant qu’ils s’offrent les outils du changement de la condition humaine toute entière. Jeff Bezos est d’ailleurs allé jusqu’à se payer, l’année dernière, un autre rêve de gosse, celui d’envoyer lui-même dans l’espace William Shatner, l’acteur incarnant le capitaine Kirk dans Star Trek (quand on vous dit que Jeff est fan !), pauvre papy de 92 ans qui atterrira sain et sauf, mais complètement hagard après son aller-retour à plus de 100 km au-dessus de la Terre, une expérience qu’il qualifiera d’enterrement : « dans l’espace, il n’y avait aucun mystère, aucune crainte majestueuse à voir… tout ce que j’ai vu, c’est la mort. » Cette épiphanie sera malheureusement gâchée par un Jeff hystérique qui arrosera le vieux monsieur de champagne à peine sorti de la capsule… Le malaise est réel (la vidéo est accablante) et surtout profond car il exprime l’immense décalage entre une humanité sensible et une minorité de figures complètement décentrées, délirantes et auto-portées par l’argent et la mégalomanie.

« Travaillez dur, amusez-vous, écrivez l’histoire », le slogan d’Amazon sonne plus martial qu’inspirant. Qui travaille, et pour qui ? Quand est-ce que ces travailleurs s’amusent ? Surtout, qui est en train d’écrire l’Histoire à la première personne du singulier ? S

« Comme tout milliardaire mégalomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut évidemment pas se contenter de régner sur un empire terrestre, il lui faut également dominer l’espace. »
La fusée New Shepard La capsule New Shepard
№48 — Mars 2023 — Retour 116 S ACTUALITÉ

Moutons explosifs Mari in Borderland

« Je suis Kharkiv », « Zaporijia », « Kyiv ».

C’est ainsi, pour une raison qui m’échappe encore partiellement, que nous nous sommes présentés quand Dominique et Daniel, nos deux enseignants en langue française du Fossé des Treize, nous ont demandé d’inscrire notre nom sur une feuille de papier pliée en deux, afin de faciliter la communication entre nous. Cette appropriation géographique n’aurait sans doute pas déplu à Álex Pina, le créateur de La Casa de Papel et au « Professor ».

Assez rapidement, Saint-Pétersbourg s’est ajouté au groupe. Serait-il venu nous sauver jusque dans notre ville refuge ? Non, l’homme, d’une cinquantaine d’années, fuyait simplement la mobilisation, en nous assurant qu’il était contre la guerre en Ukraine. C’est fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de l’apathie au don de soi. Convaincu, par son dédouanement, d’être l’un des nôtres, son naturel reprit toutefois vite le dessus. Après une ou deux semaines, Saint-Pétersbourg n’hésitait plus à se mouvoir en second sauveur : « Mets-toi avec moi ! Je peux complètement changer ta vie ! », s’est-il ainsi approché de moi avec toute l’élégance d’un Russe décomplexé. « Merci, mais ton pays a déjà complètement bouleversé ma vie, le 24 février 2022 », me suis-je retenue de lui répondre. Me voyant deux cours de suite avec le même jeans et le même pull

bleu, Saint-Pétersbourg ne put non plus s’empêcher de me lancer : « Ce pull, c’est ton nouveau chez-toi ? » J’avoue : le noyer dans un Borsh m’a démangé un instant. Ces anecdotes n’ont pas vocation à dénigrer les Russes. Elles existent, c’est tout. Née avant l’indépendance de l’Ukraine, je suis moi-même russophone et ai de la famille en Russie. Mais nos deux mondes sont désormais devenus parallèles. L’un, pro-Européen, désireux d’avancer vers la paix et la démocratie, malgré l’horreur du moment ; l’autre, inqualifiable quant à ses dirigeants, au mieux déconnecté pour ses citoyens.

« I CAN’T RELAX ! »

« I can’t relax!! Te rends-tu compte ?! Ils nous bombardent ! », m’a ainsi confié, affolée, les pieds dans l’eau de son hôtel spa de Crimée occupée, une amie d’enfance russe. Celle-là même

S ACTUALITÉ — COMMUNICATION
118 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Maria Pototskaya est une journaliste ukrainienne réfugiée à Strasbourg à qui Or Norme souhaite la bienvenue dans notre rédaction.

qui me qualifiait d’affabulatrice quand je lui indiquais, au début de la guerre, que son pays nous attaquait. Que ses soldats pillaient, violaient, tuaient des civils. « C’est horrible ! Ils ont gâché mes vacances ! » Intérieurement, j’ai ri. J’en ris d’ailleurs encore aujourd’hui, tant cet appel est à la fois surréaliste et significatif de ce que sont devenus nos voisins, jusque dans nos propres familles binationales. « Ne t’inquiète pas. Continue à te détendre, tout va bien. Tout ceci n’est encore que pure propagande ukrainienne », ai-je faussement cherché à la rassurer, avec cet humour noir de survie qui nous caractérise depuis un an. Se « relaxer »... Elle, qui ne manque pas d’afficher sa fierté face à l’impatience qu’à son époux à rejoindre le front pour nous « sauver » ! Elle, qui m’annonce, tout aussi fièrement, que son propre fils est déjà en route avec son régiment, et qui s’en remet à mes parents, dont les

loisirs se résument désormais à jouer à saute-moutons explosifs, pour veiller sur lui quand il apparaîtra dans les rues de Zaporijia.

VAMPIRE DIARIES

« Moutons », parce que je ne peux même pas/plus prononcer le mot « bombe ». Chaque soir, ces moutons, je les compte depuis Strasbourg, avant que ma couette alsacienne ne m’offre le luxe d’une pause animalière... lorsque les vibrations de mon smartphone, saturé d’alertes et de vidéos d’amis réveillés par le troupeau, ne m’en extirpent. « Moutons », parce que cela a quelque chose d’un peu plus léger, sans pouvoir jamais effacer le poids de notre réalité. Un peu à l’image de cette discussion entre deux personnages de la saison 3 de Vampire diaries : « Dis-moi que ce n’est pas une bombe ! » « Bien : ceci est un chaton. Un merveilleux chaton explosif »… S

« C’est fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de l’apathie au don de soi. »
119 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Rituel beauté

Rites, rituels, routine, ces mots sont devenus omniprésents dans le quotidien. Il y a des rituels pour tout et tout peut devenir rituel : rituels énergétiques, nouveaux rituels pour une peau fraîche, rituels pour accueillir la pleine lune… Avec moults conseils de gens avisés pour nous aider à établir les nôtres propres. Tout cela a-t-il un sens ou cet article est-il d’une vacuité insondable ?

Disons-le d’emblée, le terme rituel, à travers les exemples cités à l’instant, a été évidé comme bien d’autres de sa substance jusqu’à être euphémisé dans des gestes qui ne se signalent que par leur répétition. Bien entendu, on glosera sans fin sur les bienfaits inouïs que procurent la méditation de pleine conscience ou le fait de se lever une heure plus tôt chaque matin pour se brosser les cheveux (exemples vérifiés dans les magazines féminins les plus sérieux qui soient). Et puis rituel, ça fait plus chic que manie ou turlutaine. C’est d’ailleurs le nom, en version anglaise, d’une enseigne de cosmétiques et produits raffinés pour la maison (han ! tellement classe) qui vont sublimer votre peau et votre intérieur. C’est bien connu, ce qui fait du bien à l’intérieur se voit à l’extérieur.

On se rapprocherait un peu du sens initial avec les mirifiques trois, ou cinq, ou sept rituels magiques pour s’initier à la sorcellerie, voire devenir soi-même une sorcière, un soir où l’on n’aurait rien d’autre à faire.

Mis à part ces attrape-couillon·nes qui feraient prendre renard pour martre, il est un autre domaine dans lequel le rituel vient de faire son apparition, celui de l’entreprise. Dans un récent ouvrage1, deux auteurs inspirés entendent « redonner du sens au collectif ». Noble projet que je suis le premier à applaudir des deux mains. Ils se sont d’ailleurs donné les moyens de bien faire les choses. Une partie sur les rituels et leur importance, une autre sur leur place dans l’entreprise, une étude de cas et des fiches pratiques (c’est bien les fiches pratiques parce que c’est pratique). Parmi celles-ci, j’avoue humblement que malgré tous mes efforts, je n’arrive pas à choisir celle qui me plaît le plus. Jugez de ma peine, comment se passer de « La météo des émotions », de « La vendange des erreurs » ou de « La cabane

S ACTUALITÉ — LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD Thierry Jobard DR
120 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

des partages » ? Sans parler du « Voyage du héros », ni du « Puzzle de la vision » ou bien encore du « Meeting des gratitudes » (je l’aime beaucoup celui-là). Je ne parle même pas de « L’arbre totémique »… Un vrai jardin des délices.

Et puis, il faut croire au pouvoir des mots, je trouve que c’est important. Et moi il y a des choses qui me touchent, c’est ainsi. Je vous cite simplement les premières phrases, pour le plaisir : « Ce livre est un grand sourire. {déjà je fonds} Nous l’avons écrit dans la joie d’apporter une merveilleuse nouvelle à l’entreprise. {Jésus revient ?} Il existe en effet une discipline simple et généreuse capable de transformer la vie de l’entreprise en lui apportant un trésor de nouvelle valeur. (…)

Il s’agit des rituels ». C’est-y pas beautiful ? Cet élan, cette conviction, cette générosité. C’est bien simple, j’en ai les yeux embués de larmes. De rire.

SI TOUT EST RITUEL, PLUS RIEN N’EST RITUEL

On reconnaît le ton et les lieux communs du développement personnel, qui marche main dans la main avec le management. Tous ces bons sentiments qui dégoulinent dans la bienveillance et l’autosatisfaction replète. Ainsi de la fiche pratique dite des « Jardiniers du changement » que je ne peux résister au plaisir de citer (à moins qu’il ne s’agisse d’un habile stratagème pour gagner de la place, ce que le rédacteur en chef d’Or Norme appréciera). Ses objectifs sont de « travailler la nutrition des idées en équipe afin de bien comprendre la diversité des apports nécessaires, comme les dimensions cognitive, émotionnelle, etc. dans la qualité des solutions à apporter. Il aide également à muscler l’écoute sociétale et le travail des correspondances ». Je ne suis pas certain de tout comprendre, sans doute n’ai-je pas suffisamment nutritionné mes idées...

Nonobstant, on voit que les auteurs se donnent du mal pour bien faire. Et pour cause. À travers tout ce fatras, quel est l’enjeu ? Celui qui turlupine managers, salariés, leaders (qui se doivent d’avoir des visions, pardon, une vision) : trouver du sens au travail. C’est à cela que ces rituels d’entreprise doivent aussi servir in fine. Mais pas seulement. Avant d’aller plus loin, il importe de définir ce qu’est un rituel. Longtemps l’apanage des ethnologues qui les observaient au sein des peuples dits « primitifs », l’étude des rituels est devenue également affaire de sociologues lorsque l’on s’est avisé, à la fin du siècle précédent, qu’ils nous concernaient tout autant. Les mariages ne sont-ils pas des rituels ? Mais également les commémorations (avec dépôt de gerbe), les enterrements de vie de jeune fille (dépôt de gerbe itou), les dimanches d’élection, ou les matchs de foot pour les supporters, voire le barbecue entre amis. Mais si tout est rituel, plus rien n’est rituel.

Étymologiquement, d’après Benvéniste, rite et ordre partagent la même racine indo-européenne : rta , arta , désignant l’ordre du monde et des hommes entre eux. Le latin ritus dit ce qui est ordonné, ce qu’il faut faire, comme le kar du sankrit : faire. Les rituels servent le rite. Toute la tradition ethnologique et sociologique (Durkheim, Mauss, Lévi-Strauss, Mead, Goffman, Bourdieu) s’est intéressée à la question rituelle. Avec des variations certes, mais qui peuvent se résumer ainsi : leur rôle est d’abord social puisqu’ils vont assurer la cohésion symbolique et émotionnelle du groupe. Par ailleurs ils répartissent les rôles sociaux, distribuent les tâches entre chacun et contribuent par là même à générer une identification et une projection dans l’avenir. Leur fonction est également de répondre aux grandes questions que se pose tout collectif humain sur la vie, la mort, le passage. Par là même,

« À travers tout ce fatras, quel est l’enjeu ? Celui qui turlupine managers, salariés, leaders (qui se doivent d’avoir des visions, pardon, une vision) : trouver du sens au travail. »
121 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

ils assurent le dépassement des crises et leur donnent du sens. Tout en gardant une marge de changement, ils assurent un rapport avec l’Autre, c’est-à-dire le sacré. Par l’expérience que vit chacun par et dans le rituel, par la façon dont il se l’approprie subjectivement, il lui assigne une place au sein de la communauté. Et ceci se fait d’abord par le corps qui respectera une chorégraphie codifiée.

PLUS DE NORMES TRANSCENDANTES AU CORPS POLITIQUE

Bien entendu, plus rien de sacré dans les exemples contemporains que j’ai pu citer. Le mariage même ne représente plus ce qu’il signifiait traditionnellement, à savoir l’entrée dans la vie adulte, le début d’une vie sexuelle (morne) et la création d’une famille sous l’égide du Seigneur. C’est qu’il n’est plus que l’écho, comme la plupart des autres rituels d’aujourd’hui, d’un monde culturel disparu avec la modernité. Participant du « désenchantement du monde »2, le rituel tel qu’on l’entendait n’est plus. Il n’est plus puisque le collectif dans lequel il prenait son sens a disparu. Cette disparition est liée à la longue émergence d’un individualisme qui aujourd’hui a pour valeur cardinale l’autonomie. Désormais chacun choisit, ou pense choisir, tous les éléments de son existence, jusques et y compris ses croyances. Il piochera à droite à gauche dans ce qui s’offre à lui sur ce marché (parce qu’il y a aussi un marché des croyances) et combinera selon ses préférences : un peu de yoga (occidentalisé), un peu de Jésus, un peu de réincarnation. Ce que les sociologues des religions ont dénommé un « bricolage », à la suite de Lévi-Strauss.3 C’est là un effet pervers des sociétés démocratiques pour lesquelles il ne doit plus y avoir de normes transcendantes au corps politique lui-même.

À cela s’ajoute la propension générale à la psychologisation sans reste de tous nos rapports sociaux ou politiques.

Qui plus est, ce qui différencie notablement les sociétés traditionnelles des sociétés modernes ou hypermodernes ou post-modernes, comme on voudra, c’est la scission des sphères politiques, sociales, privées et religieuses. Enfin notre rapport au temps est totalement différent. Les sociétés traditionnelles connaissent le changement, mais celui-ci est repris dans un cycle que le rituel doit justement perpétuer. Rien de semblable pour nous qui vivons dans un temps linéaire et en

constante accélération. 4 Vous le savez bien, on n’a jamais le temps de rien.

C’EST MIGNON, ÇA FAIT DU BIEN, MAIS ÇA NE CHANGE RIEN

Comme l’écrit Danielle Hervieu-Léger, nos sociétés « font émerger toutes sortes d’efforts tendant à susciter et à densifier la représentation rassurante d’un “nous” dont on expérimente qu’il s’effiloche de toutes parts ».5 Et c’est ce nous que les rituels en entreprise voudraient réinstaurer. Ce qui n’est pas une mince affaire puisque tout concourt par ailleurs à l’émietter. Le frêle esquif voudrait remonter le puissant courant contraire alors que par ailleurs les carrières sont individualisées, les salaires également (par le biais par exemple des entretiens individuels d’évaluation), et que les collectifs (syndicaux par exemple) sont de moins en moins vaillants. Et puis, tout à fait entre nous, n’y a-t-il pas quelque chose de tout à fait désespérant à attendre de l’entreprise qu’elle nous explique le sens de la vie ?

Peu ou prou, chacun considère désormais que c’est à lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines. Ce qui est somme toute logique dans un système visant à installer une concurrence généralisée. Ces simili-rituels ne sont sans doute que cela, la tentative vaine et touchante de vouloir ralentir le rythme de nos vies et de leur donner un petit supplément non pas de sacré, mais, disons, de non-monnayable, ou presque. C’est mignon, ça fait du bien, mais ça ne change rien. Comme si l’on avait oublié que la liberté se fout bien du confort et qu’elle se conjugue d’abord au pluriel. S

1. Les rituels en entreprise, La nouvelle énergie de transformation, Makeba Chamry et Édouard Malbois, éditions Eyrolles

2. Thèse de Max Weber, qui parle plus exactement de « démagification » du monde, reprise par Marcel Gauchet dans un livre éponyme.

3. Dans La pensée sauvage

4. Je vous incite d’ailleurs, si ce n’est déjà fait, à lire Accélération d’Hartmut Rosa

5. in La modernité rituelle, L’Harmattan, 2004

« Peu ou prou, chacun considère désormais que c’est à lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines. »
122 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
levaisseau.com 03 69 33 26 67 — info@levaisseau.com Avec le mécénat de et Vous aussi soutenez nos expositions  et nos projets !

« Rrrhhhaaaa, “ncule un mouton » Moi Jaja...

Lui, une crête de coq façon punk, dressée sur le crâne : c’est la dernière image que Pouxit m’a offerte de lui en 2022. Ambiance Qatar, au plus près des oiseaux ; du moins des gallinacés, à défaut d’alcidés — ma famille génétique. Certes, sa crête n’était pas rose : plutôt tricolore, répartie à parts égales entre bleu, blanc, rouge, dans un esprit nihiliste, presque anti-social. Tout à revers des cris d’orfraie poussés par certains quand ils découvrirent que confier un gigantesque événement à un émirat peu soucieux des droits sociaux pouvait avoir quelques effets malheureux en termes de mortalité ouvrière. 6 500 : le nombre de décès estimés « dans des conditions proches de l’esclavage ».

Un chiffre repris par Olivier Faure, récemment réélu à la tête de la section francophone du musée des civilisations disparues, où le parti socialiste trône désormais à l’ombre des sociétés Rapa Nui, Minoenne, Anasazis et Caral. Un pied de nez, aussi, à Petit Poney Rose qui promettait à l’issue du Conseil municipal du 26 septembre, que « la Ville de Strasbourg ne diffuserait pas la Coupe », au motif que notre « capitale européenne ne peut décemment cautionner ces maltraitances ». Un cri citoyen si bien entendu que, pour ne citer qu’elle, la finale de la compétition a été suivie par 1,5 milliard de téléspectateurs, dont 24 millions en France, avec une part d’audience exceptionnelle de 80 %.

Avec Tato, on a fait partie des 24, au moins pour compenser les affres d’une guerre en Ukraine que chacun suit en direct depuis un an, comme l’on regarde une série Netflix. Option pop corn à la clé. Compassion, affliction, appréhension, indignation, indifférence : toute la panoplie des émotions y est passée. Loin des commentaires en tout genre, de cette guerre qui a rattrapé mes 25 % d’ailes natives, j’en suis arrivé au stade ou je ne retiens avec Tato plus que l’espoir que nos amis et proches encore sur place lui survivent. Et qu’un jour nos téléphones ne veilleront plus la nuit. Faire partie de ces 24 millions de sportifs en herbe nous a donc — sans pour autant nous désintéresser du sort des — été partiellement salutaire. Au moins quelques heures par semaine. Et nous a aussi permis de nous intéresser

S ACTUALITÉ — MOI JAJA
124 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

à d’autres débats de fin d’année, parmi lesquels une certaine « difficulté » des services municipaux à lutter contre le « déglaçage » des voies publiques.

GRAND NETTOYAGE DANS L’HÉMICYCLE

À ce propos, Pascale, épouse de l’un des membres du service de propreté de la Ville, a tenté d’expliquer les causes de cette hausse subite et contrainte des auditions pour Holiday on Ice, à commencer chez les seniors qui avaient eu l’idée de se déconfiner d’un non confinement : « La municipalité attend la dernière minute pour les appeler », faisant référence à son époux. « Par le passé, dès que le premier flocon apparaissait, tout le monde était sur le pied de guerre (y compris certains adjoints). Comment voulez-vous que cela soit fait correctement quand on appelle les équipes qu’à partir de 3h/4h du matin alors qu’il neige depuis 23h et que tout est déjà gelé ? » Et Pascale d’appeler à un « grand nettoyage dans l’hémicycle et/ou à apprendre à certains élus non alsaciens comment on gère et vie avec la neige ici, en Alsace ». Cherchez quel animal politique dont les enfants aiment peigner la crinière et vous trouverez qui cible Pascale.

Autre polémique, cette fois de ce début d’année, l’impossibilité exprimée par plusieurs parents d’accéder à l’école de leurs chérubins, faute de zones de dessertes, comme place du Temple neuf. Avec pour question lancinante : « Ils font comment les gens qui ne vivent pas au centre-ville quand ils doivent récupérer leurs enfants

en classe ? Ils prennent un abonnement chez Parcus ? Ils font les trajets en vélo cargo écolo au lithium ? »

Le Racing, lui, mon « seul amour » après tout ce qui vient avant, je me suis promis de ne pas en parler. En passer par le recrutement d’un Corse non insulaire passé par la Moselle pour remplacer le remplaçant d’un Breton pour sauver l’Alsace résume en une phrase la détresse de mes amis Storcki.

FORMULE « BIEN-ÊTRE VISUEL ET SÉCURITÉ »

Par contre, la crainte de plus en plus affichée de certaines femmes de sortir le soir, depuis que la diminution de l’éclairage public, cumulée à l’Extinction Rébellion des enseignes lumineuses, fait loi : parlons-en. Parmi elles, ma propre Tata Anne — Tatanne de son petit nom. Pourtant experte en maniement défensif de cadenas en U et, à ses heures perdues, cantatrice lyrique auprès d’un public vêtu de guêtres bleues renforcées, Tatanne ne me cache plus son appréhension. « Tu vas te foutre de moi, Jaja, mais j’ai peur ». Face à son angoisse, je lui ai suggéré de faire un courrier aux services municipaux. Idée simple : solliciter une extension géographique de la formule « bien-être visuel et sécurité » dont nous bénéficions depuis quelques semaines avec Tato, au coin de notre rue : le renforcement d’un éclairage public aléatoire par la pose d’un radar pédagogique lumineux... à 15 mètres du feu tricolore. Pour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage « Tatanne en détresse » ne lui a

« Pour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage ne lui a inspiré qu’un long fou-rire atterré. »
Jaja et les Storcki du Racing
125 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Jaja et le radar pédagogique lumineux

inspiré qu’un long fou-rire atterré, ponctué d’un « tu déconnes !? Ils ont vraiment fait ça ?? » Oui.

L’EFFET DE GREEF

Dernière solution pour se déplacer sur le plan local – voiture, vélo ou marche nocturne n’offrant visiblement pas consensus : notre Réseau Express Métropolitain Européen, quand bien même celui-ci ne serait guère d’une grande utilité à Tatanne (notre directeur de la rédaction en parle avec beaucoup de détail dans ce numéro). Mais l’annonce officielle – un réseau « lancé sur les bons rails », selon les élus eurométropolitains et régionaux rapidement transformé en un véritable « fiasco » pour la presse et les usagers, la moitié des 810 trains supplémentaires promis pour le début de l’année ayant, semble-t-il, suivi le cheminement intellectuel de nombreux appelés russes à combattre sur le front ukrai nien : la désertion.

La communication, il est vrai, est l’obsession première des politiques, mais il est également vrai qu’elle frise parfois le ridicule, comme à l’occasion de ces deux dernières campagnes qui annonçaient triomphalement une forte hausse de la fréquentation de l’aéroport d’Entzheim ou de celle des équipements culturels de la Ville de Strasbourg. D’excellentes nou velles qui avaient de quoi ragaillardir mes petites ailes roses, avant que Tato ne me murmure sobrement : « Par rapport à quelle période, tu sais ? Parce que s’il s’agit de 2021, je te rappelle que les déplacements étaient restreints et les lieux de culture fermés au moins les sept premiers mois ».

Je crois que c’est à cet instant que m’est revenu ce sketch des Guignols de l’Info que Tato m’avait précédemment partagé : celui où Alain de Greef, incapable d’expliquer l’humour de Canal Plus aux membres du CSA, finissait par lâcher un « Rrrhhhaaaa..., ‘ncule un mouton’ ». En y réfléchissant bien, j’en arrive au point où je ne serais plus surpris qu’à défaut de parvenir à nous convaincre qu’ils ne sont pas depuis passés du côté des saltimbanques, nos élus et membres de leur(s) administration(s) n’en viennent à leur tour par nous lâcher un : « ‘ncule un mouton’ ». S

« La communication, il est vrai, est l’obsession première des politiques, mais il est également vrai qu’elle
Jaja et le REME sans train
126 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Jaja, Attention aux trains

DÉCOUVREZ NOS OFFRES HOSPITALITÉS ET VIVEZ UNE EXPÉRIENCE VIP !

150€ HT *

INFORMATIONS ET RÉSERVATIONS

*DANS LA LIMITE DES PLACES DISPONIBLES, TARIF PROPOSÉ POUR LES MATCHES APPARTENANT À LA CATÉGORIE «CLASSIQUE»

rcstrasbourgalsace.fr - rcsaentreprises@rcstrasbourg.eu - 03.88.44.55.16
À PARTIR
PAR PERSONNE PAR MATCH

L'actuJak Krok'

S
ACTUALITÉ — REGARD
128 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Retrouvez chaque semaine sur notre page Facebook le regard sur l'actualité de l'illustrateur Jak Umbdenstock !

t

no t
len
Tertiaire - Industriel - ERP et collectivités - Secteur santé Copropriétés - Commerces 22, rue de l’Industrie 67400 Illkirch-Graffenstaden Tél. : 03 88 20 23 81 www.hygiexo.fr
r e t a

L’ÉLOGE DE LA L E N T E U R

DÉFILÉ DE SAISONS

Certains marchés maîtrisent le changement avec virtuosité. L’aspiration à y parvenir, aussi. Le bien boire suit le rythme, doucement. Il y a une vingtaine d’années, le vin s’achetait comme de la farine. Le consommateur se liait d’amour pour une marque — un domaine — où il faisait bon s’approvisionner. Aujourd’hui, l’achat d’une bouteille se rattache souvent à une consommation rapide, avec une recherche d’expérience.

L’artisan vigneron est un agriculteur qui doit gérer le travail des terroirs jusqu’à la vente. C’est un métier qui demande une certaine dévotion, et qui apporte beaucoup de pression derrière son bol de Kellogg’s. Lorsqu’il crée une nouvelle cuvée, celle-ci se dessine avec un lot de réflexions, d’investissements, et un défilé de saisons. On travaille dans la durée, affirme Laurent Scheidecker, vigneron à Mittelwihr, élu vigneron de l’année en Alsace par le Guide Hachette 2023. Les nouveautés, ce sont les millésimes. Et heureusement ! Ce serait tellement triste que tous les millésimes se ressemblent.

En France, l’lnstitut national de l’origine et de la qualité (INAO) fixe un cahier des charges pour chaque appellation. On y trouve, entre autres, des règlements associés à l’encépagement, la vinification, et le vieillissement. Ainsi, les

E SOCIÉTÉ — VIN
Jessica Ouellet Caroline Paulus Le vigneron dans son chai.
J 130 E SOCIÉTÉ №48 — Mars 2023 — Retour

tournée des la terroirs

Baréphémère

Ateliers inédits

Chaque dimanche du 23 avril au 30 juillet de 10H à 19H

Dégustations de vins de TERROIRS & GRANDS

Food locale
sets
DJ
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION 15 DATES au coeur des vignes 23.04 | Scherwiller 30.04 | Wintzenheim 07.05 | Dambach-la-Ville 14.05 | Nothalten 21.05 | Orschwihr 28.05 | Sigolsheim 04.06 | Molsheim 11.06 | Ribeauvillé 18.06 | Wuenheim 25.06 | Kaysersberg 02.07 | Reichsfeld 09.07 | Thann 16.07 | Orschwiller 23.07 | Ammerschwihr 30.07 | Bergbieten
www.latourneedesterroirs.fr
CRUS
Entrée 5€
Réservez vos places

Jappellations marquent l’unicité d’un environnement.

L’Alsace présente des vins exotiques à son territoire. On valse néanmoins dans l’incompréhension au moment où la frontière entre la nouveauté et l’excentricité prend le bord. Lorsqu’on joue du coude avec un Riesling qui sent le Muscat. Parce que c’est

spécial. Pendant ce temps, à la fromagerie, le Comté ne fricote pas avec le Beaufort. Le renouvellement et la remise en question sont honorables. La recherche d’une singularité – ou du moins, d’une certaine originalité – l’est tout autant. Mais si une bouteille relève plus de la curiosité que de typicité vis-à-vis son terroir, il serait pertinent d’en faire mention sur l’étiquette. Parce qu’à force de chercher l’insolite, on perd ce qui nous lie. Pendant ce temps, le consommateur nage dans le brouillard et continue de croire que l’Alsace, c’est trop compliqué.

Les meilleures bouteilles capturent un temps. Elles reflètent la profondeur et le dynamisme d’un lieu. Le vin, c’est aussi un éloge de la lenteur, où la culture du changement et la quête d’amélioration sont douces. Indissociable de ses madeleines, Proust ajouterait certainement que le plaisir de l’habitude est souvent plus doux encore que celui de la nouveauté. E

SI UNE BOUTEILLE RELÈVE PLUS DE LA CURIOSITÉ QUE DE TYPICITÉ VIS-À-VIS DE SON TERROIR, IL SERAIT PERTINENT D’EN FAIRE MENTION SUR L’ÉTIQUETTE.
132 E SOCIÉTÉ №48 — Mars 2023 — Retour

MUSIQUE

THE FIREMAN Strawberries

Oceans

Ships Forest (techno)

Alors, pourquoi ne pas donner sa chance à un duo passé assez inaperçu, en trois albums techno. Albums aujourd’hui quasi introuvables, et qui peuvent valoir une fortune ! Surtout que le duo en question a vraiment tenté de faire carrière, bien avant de former The Fireman. Il s’agit de… Ne soyez pas impatients, c’est là le sel de cette belle histoire… de fraises, qui ont leur importance.

Quand Strawberries Oceans Ships Forest est publié en 1993 on assiste depuis quelques années à la vague Madchester, aux premières raves. Et nos deux apprentis DJ, Paul et Martin, prennent le pas du mouvement à la mode : tenter de mélanger le rock et la musique électronique. Ca tombe bien, les deux ont vaguement joué de la basse auparavant et ont eu l’un ou l’autre petit succès. Paul a même chanté. Mais ici, c’est la musique instrumentale avant tout. Ambiance 90’s avec tout ce que la décennie proposera d’aventures entre la techno et les autres genres (rock, jazz) et de collages de sons. Il faut dire que Martin est un fan de dub, ce courant né des DJ britanniques qui ont pris l’habitude, dès la fin des 70’s, de ralentir au maximum et « salir » le reggae, pour aboutir à une musique de transe assez inédite.

En neuf instrumentaux très variés, The Fireman offre un condensé de ce que sont les 90’s. Mais la volonté du duo est véritablement d’explorer et de s’offrir une bulle d’oxygène. Pour, peut-être réutiliser ces sonorités ailleurs, dans leur autre vie artistique. Éventuellement pour trouver le succès, enfin ?

Il est peut-être temps de vous révéler qui sont ces garnements terribles, ces jeunes pompiers (Fireman) du son, ces apprentis sorciers du DJing. Martin, plus connu sous le pseudonyme Youth, est le bassiste du groupe Killing Joke, fondamental depuis la fin des années 70 dans la fusion entre rock, metal, punk et musiques électroniques. Il a aussi produit quelques pièces pour, Dido, Marilyn Manson ou The Verve, ou un album pour Bananarama.

Quant à Paul… dans les années 60, il a tenté de percer avec un groupe de Liverpool, dans une taverne. Mais l’aventure a pris fin sur un toit de Londres. La légende dit qu’il serait même mort avant, puis remplacé par un sosie. Alors, il a décidé de vivre et laisser mourir, en ouvrant de nouvelles ailes, avec Linda, son épouse. Avant, donc, de devenir Dj.

Strawberry Oceans Ships Forest field forever, mister McCartney.

« Dis, on aimerait que tu nous présentes des albums Or Norme, soit par leur essence, soit par l’artiste qui en est à l’origine ». Voici pour le brief de départ. Le pari, aussi.
The Fireman : Paul McCartney et Youth
134 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
Didierjean DR

FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.

Petite sélection tout à fait partisane de quelques cadeaux à faire et à se faire (même en mars…), juste façon de ne pas perdre nos très bonnes habitudes culturelles !

1KEXPOSITION

Le rire de Cabu

C’ est une superbe exposition qui s’annonce à l’Aubette, dès le 7 avril prochain. Elle donnera à voir une centaine de reproductions des dessins de Cabu, disparu il y a huit ans lors de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo.

Avec la liberté d’esprit qui le caractérisait tant et les valeurs humanistes qu’il a toujours soutenues, Cabu a porté le dessin de presse au-delà de la simple case.

Ses dessins politiques sur tous les sujets étaient les meilleures armes pour toucher les puissants et défendre ceux qu’ils n’écoutent plus.

En près de 65 ans de carrière, ses caricatures hors pair ont montré les travers de chacun, illustres ou inconnus, apportant son regard sur la société française via ses

portraits à l’humour corrosif et salutaire. Clou de l’exposition, une sélection inédite de dessins pour la section « Le Régional de l’étape ». Cabu était originaire de Châlonsen-Champagne où la Duduchothèque qui accueille ses dessins de jeunesse est installée depuis 2018.

Cette sélection présentera une vingtaine de dessins de jeunesse et d’autres de l’époque de Charlie Hebdo, reportages et unes, sans concession sur Strasbourg et sa région. a

ExpositionLERIREDECABU

ouvertetouslesjoursde10hà19h Salledel’AubetteplaceKléberàStrasbourg. Du7 avrilau1er maiprochains–Entréegratuite.

a CULTURE – SÉLECTION SPECTACLES
Véronique Leblanc – Benjamin Thomas – Erika Shelly – Jean-Luc Fournier Joël Saget / AFP – Nicolas Rosès
№48 — Mars 2023 — Retour 136 a SÉLECTION
La dernière carte de presse de Cabu.

du 7 avril au 1er mai 2023

Salle de l’Aubette, Strasbourg – leriredecabu.com

Participez au jeu concours & tentez de gagner

le mini-catalogue exclusif regroupant les meilleurs dessins de Cabu sur le Grand Est.

Partenaire de l’évènement, le magazine Or Norme a le plaisir de vous partager un indice pour réussir l’une des missions du jeu.

Repérez l’élément qui vous intéresse pour réaliser votre mission, puis partez sur les traces de Cabu en découvrant ses œuvres aux 4 coins de Strasbourg !

EXPOSITION © V. Cabut
CABU OFFICIEL – Société par actions simplifiée à associé unique – 17 RUE DUPIN 75006 PARIS – R.C.S. Paris 814 228 300 Conditions et règlement du jeu sur www.leriredecabu.com

EXPOSITION ÉVÉNEMENT CONCERT 1K 3K 2K

C’est un dessin d’une incroyable qualité que l’architecte de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, Johannes Hültz, aurait réalisé en 1419. D’une taille de 2,05 m de long par 54 cm de large, c’est le premier croquis connu de la flèche de la cathédrale telle que ses anciens bâtisseurs avaient prévu de la construire et qui est très différente de celle finalement édifiée.

Le dessin a été acheté 1,75 million €, grâce notamment à l’important mécénat du Crédit Mutuel (1,2 million €), avec également des financements de la Société des amis de la cathédrale de Strasbourg (250 000 €), du ministère de la Culture (200 000 €) et de la Ville de Strasbourg (100 000 €), après plus de trois ans de négociations. a

Ledessinestactuellementprésenté aupublicauMuséedel’œuvre Notre-Dame,uniquementlessamedi etdimanche,jusqu’au23 avril.

En 1963, le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer signaient un traité de coopération destiné à sceller la réconciliation entre la France et la République Fédérale d’Allemagne. Pour commémorer cette réconciliation, à Strasbourg, et à Stuttgart, le Chœur philharmonique de Strasbourg et l’Orchesterverein de Stuttgart vont unir leurs forces musicales pour que résonne dans nos deux villes jumelées la prière toujours renouvelée pour la Paix.

Ces deux ensembles associent dans le même élan la Neuvième symphonie de Ludwig Van Beethoven avec sa célébrissime Ode à la Joie et Dona nobis pacem du compositeur letton Peteris Vasks, né en 1945.

La réunion de ces deux ensembles est le fruit de la rencontre de leurs chefs : Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger qui se partageront la baguette pour ces deux concerts exceptionnels. a

Une première à Strasbourg ! Les « Détours » des Bibliothèques Idéales organisent tout un weekend de rencontres sur le féminisme, les débats qu’il suscite dans notre société et les formes plurielles qu’aujourd’hui il revêt. Plus de quinze personnalités, venues du journalisme, du monde universitaire, de la littérature viendront nous éclairer sur ce sujet désormais central du débat public : Ovidie, Edwy Plenel, Tristane Banon, Sonia Mabrouk, Michelle Perrot, Mémona Hintermann, etc.

Tous les débats se dérouleront à l’Aubette, place Kléber. Ce week-end commencera par une rencontre exceptionnelle autour de l’immense Colette, à l’heure où nous célébrons le 150e anniversaire de celle qui accorda aux femmes une place inégalée dans nos panthéons littéraires comme dans nos imaginaires. a

Strasbourg
Un trésor national acquis par Strasbourg Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger pour la IXe de Beethoven à
et Stuttgart
rencontre
l’Aubette
Le temps des féminismes Trois jours de
à
ÀStrasbourg,le14 avrilà20h,égliseSaint-Paul ÀStuttgart,le15 avrilà19h,Liederhalle ChoeurphilharmoniquedeStrasbourg 10rueduHohwald,Strasbourg contact@choeur-strasbourg.eu
Salledel’Aubette,placeKléberàStrasbourg Les17,18et19 mars. Entréelibreetsansréservation 138 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
LeTempsdesFéminismes

Leader alsacien des solutions RH

L’OFFRE RH, SPADE & PARTNERS, TDF CONSEIL ET LEURS 30 EXPERTS S’UNISSENT ET DEVIENNENT SKAYL

LA FORCE D’UNE UNION POUR

FAIRE GRANDIR VOS PROJETS

skayl.fr | RECRUTEMENT | FORMATION & BILAN DE COMPÉTENCES | CONSEIL RH & ASSESSMENT | MARQUE EMPLOYEUR | SCRUM RPO | OUTPLACEMENT | EXECUTIVE SEARCH infra.fr

C’est aussi un rêve qui se réalise pour le pianiste rag&boogie Sébastien

Troendlé et sa compagne Tiffany Macquart. Très souvent invité aux USA pour jouer avec les meilleurs du genre, Sébastien rêvait depuis longtemps d’organiser enfin à Strasbourg un festival qui rendrait hommage aux musiques et aux danses afro-américaines originelles et à toutes celles et ceux qui les ont créées en leur donnant vie sur scène.

Deux samedis de masterclasses de piano les 22 et 29 avril et un week-end au programme grandiose les 12, 13 et 14 mai prochains (tremplins Jeunes Talents à l’IRCAD – concerts au Point d’Eau à Ostwald le vendredi et le samedi, concert-brunch au Château de Pourtalès le dimanche matin). Des artistes de renommée mondiale sont attendus pour cette première édition. a

LIVRES 5K

Homme attachant et photographe de sport passionné, le Haguenauvien Karim Chergui a suivi le Racing-Club de Strasbourg et l’Équipe de France durant trente ans.

« Trente ans à parler foot, à vivre foot et à dormir foot » comme il le dit joliment lui-même. Il publie ses meilleurs clichés dans un livre grand format de près de 180 pages. Ses photos forment le feu d’artifice d’une belle passion. Elles donnent également envie de retrouver très vite leur auteur au bord d’une pelouse ou au cœur d’un événement sportif… a

En 1993, Olivier Claudon avait 22 ans et conduisait un des camions du convoi Alsace-Sarajevo, l’un des plus grands convois humanitaires civils ayant emprunté la route de la Bosnie durant la guerre civile qui faisait rage. La route de Sarajevo n’est pas un essaisouvenir de ce périple, mais bel et bien un roman (le troisième de notre confrère journaliste aux DNA). Et il est beau et passionnant de bout en bout, son roman, comme un road-movie à travers l’ex-Yougoslavie ravagée par la guerre où se croisent les miliciens, les civils pris dans l’étau de la folie humaine, les Casques bleus de l’ONU et les humanitaires.

« Quant à demain, il n’existe plus… » dit un des personnages du livre. Cette phrase résume tout…

Comme toujours dans l’excellente collection « L’histoire et un roman », le livre se termine par un éclairage historique, rédigé par Marie Paret, diplomate spécialiste de l’Europe centrale et orientale. a

années foot… Karim Chergui La route de Sarajevo Olivier Claudon Mesannéesfoot… KarimChergui, VADEMECUM Edition 30€ LaroutedeSarajevo OlivierClaudon ÉditionsLaNuéeBleue 21 €
Mes
On The Mississipi,
Toutelaprogrammationsur www.otmfestival.com FESTIVAL
140 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
un nouveau festival est né !
4K

Là où les idées naissent et les projets grandissent.

Le club des partenaires

Merci aux partenaires Or Norme pour leur soutien.

LA GUERRE EN UKRAINE UN AN APRÈS…

Peu de gens avaient prédit que la guerre russo-ukrainienne durerait aussi longtemps. La majorité des politologues pensaient que la guerre se terminerait à la fin de 2022, au plus tard en mars de cette année.

Les prédictions sur la fin de la guerre ont été faites dans deux directions. Soit une défaite militaire complète de l’une des parties (une fin militaire), soit des désastres politiques dans les pays en guerre (une fin politique).

La « fin militaire » prolongerait la guerre. Parce que les ressources de la Russie, en particulier les ressources humaines, sont énormes. Les autorités russes autoritaires n’ont aucune difficulté à mobiliser les gens et à les envoyer au front. L’approvisionnement de la guerre en Ukraine dépend de ce que l’on peut appeler l’assistance illimitée des pays du bloc de l’OTAN. Sans cette aide, l’Ukraine serait bien sûr vaincue, mais l’aide du bloc de l’OTAN n’est pas seulement essentielle à la victoire de l’Ukraine, c’est aussi une question de sécurité pour l’Occident. Il est donc impossible d’imaginer que cette aide soit supprimée.

La possibilité que la guerre prenne fin en raison de facteurs politiques était plus probable en Russie. Les experts se sont penchés sur la santé du président russe Vladimir Poutine, un scénario possible d’un coup de palais par des oligarques, des élites politiques ou militaires. Ces versions sont encore considérées comme d’actualité par beaucoup. Le fait est que la société russe est mécontente de la guerre, et que ce mécontentement ne cesse de croître. En mars 2022, le pourcentage de citoyens russes qui considéraient qu’il était important de punir l’Ukraine était à son niveau

le plus élevé. Selon les résultats d’un sondage fermé mené par le Kremlin, cet indicateur était de 57 % en juillet. En novembre, il est tombé à 25 %. 32 % des Russes en juillet et 55 % en novembre considéraient les pourparlers de paix comme importants. Il convient toutefois de garder à l’esprit que le régime autoritaire en Russie a été rendu encore plus strict en temps de guerre, de sorte qu’il est peu probable que le mécontentement populaire atteigne le niveau explosif qui pourrait menacer le régime Poutine. Comme la plupart de ceux qui ont intégré l’élite politique ou militaire ont été déclarés « criminels militaires », il est difficile de prévoir que des révolutionnaires émergeront de cette base. Il est intéressant de noter que peu après le déclenchement des hostilités, les politologues russes ont commencé à faire des prédictions selon lesquelles Zelensky serait évincé du pouvoir en Ukraine, apparemment conformément aux instructions du Kremlin. Il est également probable que ces prédictions aient trouvé leur chemin dans la presse européenne. Certes, au cours des premiers mois de la guerre, cette possibilité aurait pu être proche de la réalité, mais à mesure que les opérations militaires s’éternisaient, les perspectives d’un coup d’État politique en Ukraine se sont rapidement affaiblies. Il y a plusieurs raisons à cela.

Les forces politiques pro-russes en Ukraine ont été intensifiées et neutralisées. Les saboteurs déployés par les forces de sécurité russes sur le territoire ukrainien jusqu’au début de la guerre ont été et sont démasqués par les services spéciaux ukrainiens.

Deux mois seulement après le début

de la guerre, l’un des plus proches amis de Poutine, Viktor Medvedchuk, a été arrêté en Ukraine. Il devait être la principale figure et le principal sponsor du chaos politique que le Kremlin pouvait planifier en Ukraine. Après son arrestation par les services de sécurité ukrainiens, on peut dire que le plus grand réseau de sabotage russe sur le territoire de ce pays a été démantelé. Les faits prouvent que malgré la guerre prolongée en Ukraine, la cote du parti au pouvoir et du président Zelensky lui-même a atteint des niveaux records. Dans des sondages réalisés en novembre 2022, 98 % des Ukrainiens ont déclaré qu’ils ne doutaient pas que la guerre se terminerait par une victoire, et 91 % ont soutenu le président Zelensky. Un autre fait intéressant : Dans le sondage d’opinion « 100 Ukrainiens » de janvier 2023, le président Zelensky se classe deuxième, juste derrière Taras Shevchenko (considéré comme le « Shakespeare ukrainien »).

Dans le même temps, les autorités politiques ukrainiennes et le président Zelensky ont réussi à obtenir un soutien international considérable et la sympathie du public.

Par conséquent, il est plus proche de la réalité d’attendre uniquement des résultats militaires de la guerre russoukrainienne. a

Or Champ est une tribune libre confiée à une personnalité par la rédaction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle n’engage pas la responsabilité de la rédaction de la revue mais la seule responsabilité de son signataire.

OR CHAMP
Par Ganimat Zahid, journaliste et écrivain azerbaïdjanais en exil politique à Strasbourg (lire son interview dans Or Norme n°45 de juin 2022)
143 a OR CHAMP №48 — Mars 2023 — Retour

Directeur de la publication

Patrick Adler 1 patrick@adler.fr

Directeur de la rédaction

Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr

Rédaction

Alain Ancian 3

Eleina Angelowski 4

Isabelle Baladine Howald 5

Erika Chelly 6

Marine Dumeny 7

Jean-Luc Fournier 2

Pascal Hambourg

Jaja 8

Thierry Jobard 9

Véronique Leblanc 10

Aurélien Montinari 11

Jessica Ouellet 12

Barbara Romero 13

Maria Pototskaya

Benjamin Thomas 14 redaction@ornorme.fr

MARS 2023

Photographie

Franck Disegni 15

Sophie Dupressoir 16

Zoé Forget

Alban Hefti 17

Yann Levy

Abdesslam Mirdass 18

Vincent Muller 19

Caroline Paulus 20

Nicolas Rosès 21

Contact : contact@ornorme.fr

Ce numéro de Or Norme a été tiré à 15 000 exemplaires

Dépôt légal : à parution

N°ISSN : 2272-9461

Site web : www.ornorme.fr

Suivez-nous sur les réseaux sociaux ! Facebook, Instagram, Twitter & Linkedin

Couverture  Cercle Studio

Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias

2 rue du maire Kuss | 67000 Strasbourg

Publicité Régis Piétronave 23 publicité@ornorme.fr

Direction artistique et mise en page Cercle Studio

Directrice Projet Lisa Haller 24

Typographie

GT America par Grilli Type Freight Pro par J. Darden

Impression Imprimé en CE

144 №48 — Mars 2023 — Retour 5 1 2 3 4 6 9 7 10 11 8 12 13 14 23 17 20 24 15 16 18 19 21 OURS
№48
ULTIMA 3, 4 ET 8 PETITE RUE DE L'EGLISE 67000 STRASBOURG TÉL : 03 88 32 87 69
HOMME 16 RUE DE LA MÉSANGE 67000 STRASBOURG TÉL : 03 88 64 88 67
BIS 34 RUE THOMANN 67000 STRASBOURG TÉL : 03 90 22 19 23 P R Ê T À P O R T E R / C H A U S S U R E S / S A C S F E M M E / H O M M E U L T I M A M O D E C O M G U C C I • P R A D A • V A L E N T I N O • D I O R • G I V E N C H Y • C E L I N E • C H L O É • B A L E N C I A G A • F E N D I • S A I N T L A U R E N T • S T E L L A M C C A R T N E Y • D O L C E G A B B A N A • I S A B E L M A R A N T • B A R B A R A B U I • I R O • P A T O U • K A R L L A G E R F E L D • M O N C L E R • D S Q U A R E D 2 • S T O N E I S L A N D • M A I S O N K I T S U N É • B L U E S K Y I N N O F F I C I N E G É N É R A L • B U R B E R R Y • Z I M M E R M A N N • S E R G I O R O S S I • T H E A T T I C O • J I M M Y C H O O • T O D ’ S • H O G A N • S T U A R T W E I T Z M A N • C A S A D E I • G I U S E P P E Z A N O T T I • A S H • C L E R G E R I E • U G G
ULTIMA
ULTIMA

NOM :

PRÉNOM :

SOCIÉTÉ :

ABONNEMENT

NOS DERNIERS NUMÉROS

OR NORME c

4 numéros trimestriels + Newsletter Or Norme = 40€ / 1 an

3 FORMULES

OR DU COMMUN c c

4 numéros trimestriels + Hors-séries + Newsletter Or Norme = 60€ / 1 an

OR PAIR c c c

4 numéros trimestriels + Hors-séries

+ Newsletter Or Norme + Invitations régulières aux événements de nos partenaires (Concerts, avant-premières, spectacles...) = 80€ / 1 an

En partenariat avec : UGC Ciné Cité, Cinémas Stars, Opéra National du Rhin, TNS, Top Music... Et bien d'autres à venir !

J RETOURNER LE FORMULAIRE

ADRESSE :

MAIL :

Formulaire à retourner accompagné du réglement par chèque à l'ordre de ORNORMEDIAS à l'adresse suivante :

ORNORMEDIAS, 2 rue de la Nuée Bleue 67000 Strasbourg

E-mail : contact@ornorme.fr

CODE POSTAL :

VILLE :

PAYS :

№ 47 DÉCEMBRE 2022 ISLANDE Merveilles b GRAND ENTRETIEN JEAN-LUC BARRÉ Page 6 a CULTURE ALICE DÉCONSTRUITE Surréalice et Illutr’alice, deux expositions Strasbourg. Page 36 c DOSSIER EXPOS TGV PARIS Le cru 2022 est exceptionnel et l’art scintille de toutes parts. Page 12 c DOSSIER ISLANDE Destinations de légende. Page 44 2022Habiter LE MAGAZINE D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG LE HORS-SÉRIE DE L’HABITAT À STRASBOURG
J OU S'ABONNER SUR ORNORME.FR/BOUTIQUE ○
Formule OR NORME 40€ TTC
Formule OR DU COMMUN 60€ TTC
Formule OR PAIR 80€ TTC

DEVENEZ PROPRIÉTAIRE

APPARTEMENTS

DU 2 AU 5 PIÈCES

avec jardin, terrasse ou balcon avec vue sur le canal, parkings et garages

LIVRAISON 2 ÈME TRIMESTRE 2024

19 APPARTEMENTS

DU 2 AU 5 PIÈCES avec jardin, terrasse ou balcon au cœur d’un îlot végétalisé

LIVRAISON 2 ÈME TRIMESTRE 2024

VOUS VENDEZ VOTRE TERRAIN

OU VOTRE BIEN IMMOBILIER ?

Le groupe 3B met à votre disposition son expertise et vous accompagne pour valoriser et acheter votre foncier au meilleur prix.

11 APPARTEMENTS

DU 2 AU 5 PIÈCES avec jardin, terrasse ou balcon, parkings et garages

LANCEMENT COMMERCIAL

Nous contacter 03 88 66 44 01

RETROUVEZ NOS AUTRES PROGRAMMES SUR : sas-3b.net

LA ROBERTSAU
STRASBOURG
VENDENHEIM

Et si votre épargne profitait aussi à votre région

Découvrez le Livret Impulsion Locale & le Livret d’Épargne pour les Autres

L’épargne versée sur ces Livrets contribue au financement de l’économie locale. Le Livret d’Épargne pour les Autres permet, en plus, de partager vos intérêts avec une ou plusieurs associations pour défendre les causes qui vous sont chères(2).

Crédit photo : Getty Images (1) Le périmètre de votre fédération de Crédit Mutuel. Carte disponible sur https://www.creditmutuelalliancefederale.fr/fr/qui-sommes-nous/organisation.html. SERVICES SOUMIS À CONDITIONS. Livrets d’épargne fiscalisés, disponibles et sans plafond. Les 15 000 premiers euros placés sur le livret permettent le financement de projets éligibles. Voir conditions détaillées et taux de rémunération auprès de votre Caisse de Crédit Mutuel et sur creditmutuel.fr. (2) Liste des associations partenaires sur creditmutuel.fr. Caisse Fédérale de Crédit Mutuel et Caisses affiliées, société coopérative à forme de société anonyme au capital de 5 458 531 008 euros, 4 rue Frédéric-Guillaume Raiffeisen, 67913 Strasbourg Cedex 9, RCS Strasbourg B 588 505 354 N° ORIAS : 07 003 758. Banques régies par les articles L.511-1 et suivants du Code monétaire et financier.

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook

Articles inside

LA GUERRE EN UKRAINE UN AN APRÈS…

4min
pages 143-146

LIVRES 5K

1min
pages 140-141

Leader alsacien des solutions RH

0
pages 139-140

EXPOSITION ÉVÉNEMENT CONCERT 1K 3K 2K

1min
page 138

1KEXPOSITION

0
page 136

Ships Forest (techno)

1min
page 134

tournée des la terroirs

0
pages 131-132

L’ÉLOGE DE LA L E N T E U R

0
page 130

« Rrrhhhaaaa, “ncule un mouton » Moi Jaja...

5min
pages 124-127

Rituel beauté

7min
pages 120-124

Moutons explosifs Mari in Borderland

2min
pages 118-119

Jeff Bezos Terminus, les étoiles

5min
pages 114-118

SÙNNDI’S KÀTER LE DIALECTE-SHOW À SUIVRE

2min
pages 112-113

a CULTURE — HISTOIRE LE JOUR OÙ… JOHANN KNAUTH A SAUVÉ LA CATHÉDRALE

6min
pages 108-112

VOIX EST LA MUSIQUE DU CORPS. »

0
page 107

CATHERINE BOLZINGER CHANTER ENSEMBLE CRÉE UNE « HUMANITÉ AUGMENTÉE »

1min
pages 106-107

POÉSIE LA FRONTIÈRE

2min
pages 104-106

CENTRE POMPIDOU METZ RETOUR VERS LE FUTUR

3min
pages 91-93

IL N’EFFRAYE PAS, IL INTRIGUE ET INVITE À NE

2min
pages 88-89

HERVÉ BOHNERT À LA MORT – À LA VIE

1min
pages 86-87

VICTOR WEINSANTO LE JEUNE PRODIGE HORS-NORME DE LA MODE STRASBOURGEOISE

4min
pages 82-84, 86

CHRISTOPHE WEHRUNG « JE PEINS POUR APPRENDRE À PEINDRE »

2min
pages 80-81

BRUNO MANTOVANI « NOUS N’AVONS PAS LE DROIT DE NOUS AUTOCENSURER »

2min
pages 78, 80

ALESSIA SANNA VISUALISER LA DONNÉE À TRAVERS L’ART

5min
pages 76-78

« IL ME SEMBLE INTÉRESSANT DE RENFORCER L’ENTITÉ

1min
pages 74-75

ANNA SAILER « NE PAS SÉPARER L’ILLUSTRATION DES BEAUX-ARTS ET DE LA LITTÉRATURE »

0
page 72

LE PRINTEMPS SLAVE DU FESTIVAL ARSMONDO

2min
pages 68-70, 72

La si belle histoire de ses adieux

6min
pages 64-67

Retraite active Chez Mamies gâteaux !

2min
pages 62-64

Le mécénat de compétences en entreprise Hara Solidarity Consulting aux côtés de la sphère associative locale

2min
pages 58-60, 62

L

6min
pages 53-56

Caroline Schwob

1min
page 53

Trois ans après le « Big Quit » Des Strasbourgeois témoignent...

1min
page 52

Le programme RECOR

4min
pages 48-50

S ACTUALITÉ — LE CENTRE QUI RASSURE Cœur battant RECOR C

9min
pages 44-47

donc à leurs enfants et leurs petits enfants de “corriger le tir”, mais à leur manière. »

2min
page 42

Le choc des générations

6min
pages 39-41

Et la SNCF ? Elle se tait, la SNCF…

3min
pages 36, 39

Côté usagers

5min
pages 32-35

du REME

5min
pages 28-32

« Je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et même de la présidence de la République, il ne se passe rien dans un futur proche. »

1min
pages 27-28

baisser les bras…

5min
pages 24-26

ne connaît que le logo SNCF, mais en fait, ses différentes entités ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. »

4min
pages 22-24

Autopsie d’un raté

5min
pages 20-21

Daniel Cohen la civilisation qui vient, il nous faudra par-dessus tout échapper à la solitude… »

14min
pages 9-14, 16

RETOUR

1min
pages 4, 6-7, 9
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.