Retour l Or Norme #48

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LE MAGAZINE

D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG

b GRAND ENTRETIEN

DANIEL COHEN

« Il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă  la solitude... »

Page 8

c DOSSIER

SNCF REME

L’incroyable fiasco

Page 16

№48 MARS 2023 RETOUR

a ACTUALITÉ RECOR

CƒUR BATTANT

Le centre qui rassure

Page 44

c CULTURE CENTRE POMPIDOU METZ Retour vers le futur

Page 90

Retour
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RETOUR

HERMANN HESSE,

Retour sur Ibn Khaldoun. On devrait toujours relire les Anciens.

Ibn Khaldoun (1332–1406), fut historien, philosophe, homme d’État, dĂ©mographe et prĂ©curseur de la sociologie. Il vĂ©cut une pĂ©riode particuliĂšrement troublĂ©e et il analysa son Ă©poque, mais aussi l’Histoire universelle et fut sans doute le premier historien Ă  livrer une vision claire du processus qui mĂšne un empire de sa naissance Ă  sa chute.

Sa vie, son expĂ©rience et son Ă©rudition lui firent Ă©crire : « Les temps difficiles crĂ©ent des hommes forts. Les hommes forts crĂ©ent les pĂ©riodes de paix. Les pĂ©riodes de paix crĂ©ent les hommes faibles. Les hommes faibles crĂ©ent les temps difficiles. »

Le dĂ©senchantement du monde d’aujourd’hui, le vide abyssal créé par le trop-plein des rĂ©seaux sociaux, les individualismes communautaristes, le mĂ©pris des traditions comme celui de valeurs pourtant construites sur des millĂ©naires, la nĂ©gation mĂȘme de certaines lois naturelles, autant par les transhumanistes que par les Ayatollahs de l’indiffĂ©renciation des sexes, tout cela contribue inexorablement Ă  un retour nĂ©cessaire vers ce qui devrait ĂȘtre ce que l’Homme, dans l’Histoire, a su lentement, construire en termes de valeurs Ă©thiques et humanistes.

Malheureusement, ce retour qui devrait toujours ĂȘtre un renouveau, comme celui annoncĂ© par les oiseaux de retour au printemps, est souvent dĂ©tournĂ©

par certains pour nous renvoyer vers de vieilles lunes rĂ©trogrades, qui oublient le progrĂšs social et l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, pour nous servir des discours au relent d’autoritarisme et de fascisme.

Ce que nous ne devons pas manquer, c’est le retour au vrai dĂ©bat d’idĂ©es et Ă  la communication, Ă  l’éducation et la culture partagĂ©es, Ă  l’éthique (diffĂ©rencier ce qui est juste d’injuste) plutĂŽt qu’à la morale (ce qui est bien ou mal).

Chez les juifs le mot Retour se dit « Techouva » et il signifie avant tout un retour vers soi avant d’ĂȘtre un retour vers Dieu.

C’est peut-ĂȘtre vers ce retour-lĂ  qu’avant tout, il faudrait savoir aller.

« Pour chacun de nous existent de multiples chemins, de multiples possibilitĂ©s, celles de la naissance, de la transformation, du retour. »
ÉDITO 4 №48 — Mars 2023 — Retour
écrivain (Prix Nobel de littérature 1946) (1877-1962)
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b Grand entretien Daniel Cohen

8-15

16-37 c Dossier L’incroyable fiasco du REME

20

Alain Jund

28

32

a Culture

François Giordani

36

Elle se tait, la SNCF... (↓)

E Société

Q Or Champ

142

S ActualitĂ©s 38 SociĂ©tĂ© Le choc des gĂ©nĂ©rations 44 Recor, cƓur battant Le centre qui rassure (↑) 52 Reconversion Trois ans aprĂšs le « Big Quit », des Strasbourgeois tĂ©moignent 58 Un fonctionnement novateur Hara Solidarity Consulting 62 Mamies gĂąteaux Retraite active 64 Hommage Christian Bobin 114 Jeff Bezos Terminus, les Ă©toiles 118 Mari in Borderland Moutons explosifs 120 Le parti-pris de Thierry Jobard Rituel beautĂ© 124 Chronique Moi, Jaja
 128 Regard Jak Krok’ l’actu
68 Rencontres tous publics Le festival Arsmondo 72 Nomination Anna Sailer 76 Art et informatique Alessia Sanna (↓) 78 Musique d’aujourd’hui Bruno Montovani 80 Galerie de l’Estampe Christophe Wehrung 82 Saga Victor Weinsanto 86 Expo HervĂ© Bohnert 90 Centre Pompidou Metz Retour vers le futur 94 Portfolio Estelle Lagarde 104 PoĂ©sie La frontiĂšre 106 Voix de Stras’ Catherine Bolzinger 108 Le jour oĂč Johann Knauth 112 Late-show SĂčnndi’s KĂ ter 134 Musique The Fireman, Strawberries Oceans Ships Forest 136 SĂ©lections Exposition, festival, livres
Ganimat Zahid La guerre en Ukraine, un an aprĂšs
Défilé de saisons
de la lenteur
130
L’éloge
« Dans la civilisation qui vient, il nous faudra par dessus tout Ă©chapper Ă  la solitude. »
SOMMAIRE
2023
MARS
Autopsie
d’un ratĂ© Thibaud Philipps
CÎté
Grand Est,
usagers
usagers TER
Le ras-le-bol des
CÎté usagers
Commentaire Et la SNCF ?
6 №48 — Mars 2023 — Retour
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Daniel Cohen

la civilisation qui vient, il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă  la solitude  »

Il est sans doute le plus suivi des Ă©conomistes français. D’une voix toujours trĂšs calme, privilĂ©giant les plateaux oĂč on lui donne le temps de dĂ©velopper son propos, Daniel Cohen analyse sans relĂąche l’époque que nous vivons. En ce dĂ©but 2023 oĂč se multiplient les lourds nuages noirs qui planent au-dessus de nous avec la guerre en Europe, l’inflation qui galope et, en France, l’improbable mise au calendrier d’une Ă©niĂšme rĂ©forme des retraites trĂšs combattue, voilĂ  une rencontre pleine d’enseignements avec celui qui professe l’économie Ă  l’École d’Économie de Paris et qui vient de publier Homo Numericus, la « civilisation » qui vient, un ouvrage oĂč les mises en perspective ne manquent pas de pragmatisme et Ă©clairent quelque peu les enjeux contemporains


« Dans
b GRAND ENTRETIEN b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen 9 №48 — Mars 2023 — Retour

Il y a une dizaine d’annĂ©es, vous aviez publiĂ© Homo Economicus, ce livre oĂč vous dĂ©montriez que l’ĂȘtre humain Ă©tait en train de perdre tous les repĂšres que la sociĂ©tĂ© industrielle lui avait lĂ©guĂ©s depuis un siĂšcle et demi. Dix ans plus tard, dans Homo Numericus , vous dĂ©crivez l’avĂšnement d’une nouvelle sociĂ©tĂ© et vous n’ĂȘtes manifestement pas trĂšs optimiste


Ce n’est pas tellement une question d’ĂȘtre ou non optimiste. À l’époque, je faisais le constat de la remise en cause des liens sociaux qui avaient vu le jour et pu exister durant la pĂ©riode antĂ©rieure, grosso modo des annĂ©es cinquante/soixante jusqu’au dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt oĂč est apparu un dĂ©but de dĂ©litement de tous les collectifs qui construisaient la sociĂ©tĂ©, Ă  commencer par les entreprises, les syndicats et puis, progressivement ensuite, beaucoup d’autres formes d’appartenances comme les partis politiques, par exemple.

La promesse principale de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique que j’essaie de dĂ©crire dans mon livre d’aujourd’hui est qu’elle serait capable de se substituer Ă  ce dĂ©ficit d’institutions propres Ă  la socialisation des individus qu’on observe depuis maintenant quatre dĂ©cennies. Elle prĂ©tend compenser ce qui existait antĂ©rieurement avec des entreprises en ligne, une sociĂ©tĂ© qui s’exprime via les rĂ©seaux sociaux, avec l’émergence d’une prĂ©tendue nouvelle intelligence collective

et d’une nouvelle façon de faire de la politique
 C’est en cela que le constat de mon dernier livre est en effet assez pessimiste : cette idĂ©e qui voudrait qu’on puisse reconstituer les formes de la vie sociale Ă  travers la vie en ligne reprĂ©sente une attente qui est manifestement déçue, c’est un peu le fil de ces dĂ©ceptions, entre les attentes et la rĂ©alitĂ© de ce qui s’est produit depuis, dont j’essaie de faire le rĂ©cit dans le livre.

Dans Homo Economicus, vous Ă©voquiez « l’effilochage » de ce qui constituait les acquis de la sociĂ©tĂ© industrielle. Aujourd’hui, dans Homo Numericus , vous parlez de dĂ©sintĂ©gration
 Dans le domaine strictement Ă©conomique, c’est antĂ©rieurement Ă  la sociĂ©tĂ© numĂ©rique que les Ă©conomistes ont parlĂ© de dĂ©sintĂ©gration verticale de la chaĂźne de valeur pour caractĂ©riser cette nouvelle façon d’organiser la sociĂ©tĂ© qui consiste Ă  faire Ă©clater ce qui, autrefois, se jouait Ă  l’intĂ©rieur de la vie de l’entreprise pour, en le disant rapidement, substituer Ă  ce qui Ă©tait auparavant un rapport de subordination, un rapport direct complĂštement nouveau qui se situe entre le donneur d’ordre et le sous-traitant. C’est en cela que l’on peut parler de dĂ©sintĂ©gration des liens sociaux tels qu’ils s’étaient progressivement constituĂ©s au sein de l’image un peu archĂ©typique de la grande entreprise industrielle. C’est ce processus-lĂ  qui va toujours plus loin grĂące

Ă  la sociĂ©tĂ© numĂ©rique et dont le tĂ©lĂ©travail est un des derniers rebondissements, qui distend le lien organique qui pouvait exister entre un salariĂ© et son entreprise. Sa forme la plus caricaturale est l’uberisation, l’entreprise n’existant dĂšs lors plus que sous la forme d’un algorithme


Quelle dĂ©ception quand on songe qu’il y a dix ans et mĂȘme un peu plus, on espĂ©rait encore que le web allait bouleverser positivement le monde, qu’on allait pouvoir avoir accĂšs Ă  une connaissance infinie et mieux coopĂ©rer tous ensemble


On va dire que, dĂšs lors que la mondialisation bat son plein, Ă  partir de la seconde moitiĂ© des annĂ©es 90, l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce –  ndlr) est créée, la Chine s’ouvre au commerce international, on pouvait penser que cette libĂ©ralisation Ă©conomique allait constituer, de façon endogĂšne, un contre-pouvoir, une sociĂ©tĂ© civile mondiale qui serait capable de rĂ©agir aux excĂšs de la mondialisation : c’est le moment des sommets antilibĂ©raux des organisations altermondialistes comme Porto Allegre. On pouvait alors penser qu’Internet Ă©tait la promesse de constitution de rĂ©seaux non marchands capables de modĂ©rer les excĂšs de cette sociĂ©tĂ© nĂ©olibĂ©rale planĂ©taire. Au fond, c’est la naissance de l’iPhone qui dĂ©mocratise radicalement l’accĂšs permanent aux rĂ©seaux sociaux,

10 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen

qui montre qu’une sociĂ©tĂ© civile mondiale est en train de se constituer et qu’on peut avoir l’espoir d’une sorte d’agora planĂ©taire qui va ĂȘtre capable de permettre Ă  quiconque, quel que soit son rang dans l’espace social et sa position, de s’exprimer et de faire entendre son point de vue.

Dans le livre, je fais le lien entre cette promesse et les mouvements de contestation des annĂ©es 60 qui ont fait surgir une remise en cause radicale du monde ancien, tout en verticalitĂ©, qui rĂ©gissait non seulement le monde de l’entreprise, mais aussi la famille avec ce patriarcat qui Ă©tait encore trĂšs fort et qui a soudain volĂ© en Ă©clats en mai 1968, tout comme le mandarinat dans les universitĂ©s, d’ailleurs. L’objectif de la rĂ©volution informatique des annĂ©es 70 a ensuite Ă©tĂ© d’essayer de donner Ă  cette contestation les moyens de s’exprimer, comme une promesse de sociĂ©tĂ© en horizontalitĂ© qui viendrait se substituer au monde ancien.

Aujourd’hui, la dĂ©ception qu’on est obligĂ© de constater c’est que cette parole libĂ©rĂ©e via les rĂ©seaux sociaux n’est Ă©videmment pas l’expression d’une intelligence collective nouvelle telle qu’on l’aurait souhaitĂ©e, mĂȘme s’il y a bien sĂ»r Wikipedia ou des boucles qui se constituent et qui permettent Ă  des militants ou des savants de s’organiser. Des mouvements comme le Printemps arabe, Metoo ou encore Black Lives Matter doivent beaucoup Ă  cette

capacitĂ© qu’ont les rĂ©seaux sociaux de mettre en rĂ©sonance une protestation des faibles vis-Ă -vis des forts, pour le rĂ©sumer trĂšs simplement. Tout cela n’est pas nĂ©gligeable, mais on est obligĂ© de voir aussi que face ou en parallĂšle Ă  cette promesse, il y a une grande et pesante part d’ombre : les rĂ©seaux sociaux sont devenus un univers oĂč prospĂšrent les fake news, les contre-vĂ©ritĂ©s, le complotisme et donc finalement, Ă  tout prendre, on est lĂ  face Ă  un monde haineux et pas un monde de conversation possible sur le modĂšle que l’on avait pu espĂ©rer


Tout cela n’a-t-il pas au fond Ă©tĂ© rendu possible par un trop grand laisser-faire, tel que les ultra-libĂ©raux de la Silicon Valley l’adorent, au dĂ©triment d’une rĂ©gulation capable de modĂ©rer les excĂšs des nouveaux outils dĂ©ployĂ©s par les rĂ©seaux sociaux ?

Oui, c’est certainement ça, mais il y a encore plus subtil. Il faut vraiment comprendre l’époque actuelle comme l’hĂ©ritiĂšre de deux moments trĂšs lourds de notre histoire : la rĂ©volution culturelle des annĂ©es 60, profondĂ©ment anti-systĂšme et la rĂ©volution conservatrice qui a dĂ©butĂ© dans les annĂ©es 80, trĂšs libĂ©rale au niveau Ă©conomique, mais profondĂ©ment conservatrice au niveau des valeurs. Aujourd’hui, l’homo numericus tel que je le dĂ©cris est profondĂ©ment libertaire, il est Ă  la fois anti systĂšme, il ne supporte pas les autoritĂ©s de

toutes sortes, mais il est en mĂȘme temps libĂ©ral. C’est cette conjonction Ă©trange dont il est la synthĂšse, dans un certain sens. En rĂ©alitĂ©, cette horizontalitĂ© tellement souhaitĂ©e dans les annĂ©es 60 se traduit aujourd’hui par la mise en compĂ©tition gĂ©nĂ©rale de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre, qui est bien sĂ»r une situation trĂšs Ă©loignĂ©e des idĂ©es des soixante-huitards. Mme Tatcher disait : « La sociĂ©tĂ©, ça n’existe pas  » Pour elle, il n’existait que des individus qui signent un pacte pour vivre les uns avec les autres. Le problĂšme tout entier est lĂ . Quand on a des individus isolĂ©s et que la seule façon qu’on a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via l’ordinateur, et bien ça ne fonctionne pas. Ça dĂ©veloppe mĂȘme une sociĂ©tĂ© ultra-libĂ©rale c’est-Ă -dire une sociĂ©tĂ© oĂč chacun est en concurrence permanente avec tous les autres, y compris quand il s’agit de se faire entendre. Si vous voulez que votre message soit entendu via internet, il faut crier plus fort que les autres, il faut rouler des mĂ©caniques, il faut hurler. Ça fait partie des pathologies qu’on dĂ©couvre aujourd’hui


Un peu plus de vingt ans aprĂšs l’avĂšnement des outils qui vont propulser la sociĂ©tĂ© numĂ©rique, on en arrive maintenant Ă  l’irruption de l’intelligence artificielle. On se pose dĂ©jĂ  la question de savoir si les algorithmes vont dominer le monde. Le sous-titre que vous avez choisi pour Homo Numericus, c’est la « civilisation » qui vient, et il y a des guillemets autour du mot civilisation
 Ça s’annonce vraiment en effet comme une civilisation, c’est-Ă -dire un systĂšme plein, dans lequel on explique aux gens comment aimer, comment travailler ou comment rĂȘver, c’est-Ă -dire comment faire sociĂ©tĂ©, en rĂ©alitĂ©. Tout ça est retravaillĂ© en profondeur par la sociĂ©tĂ© numĂ©rique. Par exemple la maniĂšre d’aimer dont je parle dans le livre : j’évoque Tinder, c’est peutĂȘtre un peu anecdotique, mais la sexualitĂ© en ligne est en train de gravement perturber la sexualitĂ© des jeunes par le biais d’un rapport Ă  autrui qui est bien loin de l’amour tel qu’on est habituĂ© Ă  le penser. Il en va de mĂȘme pour le rapport au travail, il est en train de diamĂ©tralement changer, non seulement le travail qu’on fait, mais jusqu’à la maniĂšre dont on le fait. C’est bien sĂ»r l’avĂšnement du tĂ©lĂ©travail : une Ă©tude qui va sortir bientĂŽt fait apparaĂźtre qu’un peu de tĂ©lĂ©travail c’est bien parce que ça donne de la libertĂ© et ça offre des moments oĂč on peut se ressourcer, mais quand c’est trop de tĂ©lĂ©travail, alors ça ne

b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen 11 №48 — Mars 2023 — Retour
« Quand on a des individus isolĂ©s et que la seule façon qu’on a de les rassembler est de leur demander de se connecter les uns les autres via l’ordinateur, et bien ça ne fonctionne pas. »

va plus du tout : on perd alors le rapport aux autres et Ă  ses collĂšgues, on se sent trĂšs seul. On retombe toujours sur cette interrogation : comment une sociĂ©tĂ© se pense-telle comme un collectif ? C’est cela qui est perverti aujourd’hui par la maniĂšre dont la vie politique se joue Ă  travers les rĂ©seaux sociaux. Pour aller vite, une civilisation, c’est un peu l’ensemble de ces trois Ă©lĂ©ments : comment noue-t-on des rapports interpersonnels, quel est notre rapport au monde du travail et quel est notre imaginaire politique ? Ces trois termes sont aujourd’hui pervertis par l’avĂšnement de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique.

Il faut prendre trĂšs au sĂ©rieux l’avĂšnement de l’intelligence artificielle. C’est une nouvelle Ă©tape fondamentale de la sociĂ©tĂ© numĂ©rique, comparable sans doute, mais en sens inverse au niveau des bienfaits, Ă  l’invention de l’imprimerie.

L’avĂšnement de l’IA est un choc. Il faut d’abord comprendre Ă  quoi ça sert. Il s’agit bien de gĂ©nĂ©rer des gains de productivitĂ© dans une sociĂ©tĂ© de services qui, traditionnellement, met en vis-Ă -vis un humain face Ă  un autre. En matiĂšre Ă©conomique, ce qui se cherche, ce sont des maniĂšres de rĂ©duire le coĂ»t de ces interactions. Pour rĂ©duire ce coĂ»t, on se voit et on se parle en ligne via Zoom ou Teams, plus

besoin de prendre le train ou l’avion et de rĂ©server une chambre d’hĂŽtel. On rĂ©duit considĂ©rablement les coĂ»ts en offrant aux consommateurs des algorithmes qui vont lui permettre lui-mĂȘme de faire tout seul les transactions qui auparavant nĂ©cessitaient un autre humain face Ă  soi : ainsi, je rĂ©serve tout seul un billet de train ou d’avion, je gĂšre mes comptes bancaires tout seul puisqu’on me donne les moyens que me fournissait jadis un employĂ© de ma banque. On voit bien qu’il s’agit lĂ  de la productivitĂ© pure, au sens traditionnel et Ă©conomique du terme. C’est dans cet espace-lĂ  que se situe l’intelligence artificielle, lĂ  oĂč l’humain qui reste encore est dĂ©finitivement remplacĂ© par une machine. Au vingtiĂšme siĂšcle, on demandait Ă  l’homme de se comporter comme une machine, c’était le principe du travail Ă  la chaĂźne. Aujourd’hui, c’est la sociĂ©tĂ© de services, on demande aux machines de se comporter comme un humain. Ça ne me gĂšne pas plus que ça pour tout ce qui englobe les tĂąches purement administratives, le back office comme on dit : prenez le cas des chercheurs dont je connais bien les contraintes : ils passent la moitiĂ© de leur temps Ă  rĂ©gler des tĂąches administratives, alors si l’IA peut les aider Ă  les assumer, ça ne me paraĂźt pas du tout gĂȘnant.

Ce qui sera problĂ©matique, c’est lorsque la ligne blanche du cƓur mĂȘme de la relation de l’humain Ă  l’humain sera franchie. La santĂ© offre de bons exemples : vous ĂȘtes malade et vous avez besoin de voir un humain pour vous soigner. Va-t-on savoir s’arrĂȘter Ă  temps dans ce domaine ou va-t-on en arriver Ă  ce moment oĂč on va vous dire qu’il n’y a pas de mĂ©decin pour vous examiner et qu’il va falloir vous faire vous-mĂȘme un scanner et qu’on vous enverra ensuite un diagnostic ? Seul, vous seriez alors confrontĂ© Ă  un intense trouble existentiel, non ?

On voit bien que dans cette sociĂ©tĂ©-lĂ , il y a plein de trucs qui ne marchent pas du tout. Les cours en ligne sont un Ă©chec, entre autres exemples. Toute la difficultĂ©, c’est de dĂ©celer la frontiĂšre Ă  ne pas franchir pour que ces technologies restent des technologies au service des humains et leur donnent du temps pour qu’ils s’occupent mieux de l’humain, justement. Et non pas des instruments qui viendraient se substituer Ă  l’essence de la relation interpersonnelle. Le point fondamental est lĂ . Et c’est pour ça qu’il faut prendre l’IA trĂšs au sĂ©rieux : elle rĂ©alisera des choses pour l’heure inaccessibles Ă  la machine, mais il faudra donc ĂȘtre extrĂȘmement attentif au fait qu’elle ne vienne pas nous animaliser, en quelque sorte, qu’elle ne vienne pas nous dĂ©possĂ©der de ce qui fait notre sensibilitĂ© humaine.

Le danger paraĂźt bien rĂ©el quand on voit d’oĂč naissent ces technologies, de laboratoires de ces multinationales californiennes qui paraissent quand mĂȘme hors-sol


Si je dis ça, en effet, c’est parce que je pense que pour l’instant, nous sommes sur la mauvaise voie : on laisse en effet ces innovations jaillir de lieux hors-sol, comme vous dites. Il y a comme ça des jeunes gens, qui Ă©taient il n’y a pas si longtemps dans un garage et qui inventent des trucs pour se soigner, pour s’éduquer, pour rĂ©server un taxi, un hĂŽtel, etc. Si je dis que ces jeunes gens raisonnent hors-sol, c’est pour faire comprendre qu’ils ne cherchent pas Ă  amĂ©liorer par exemple la relation entre un mĂ©decin et un hĂŽpital. En rĂ©alitĂ©, ils cherchent Ă  se substituer Ă  cette relation : alors, ils vont crĂ©er une montre bourrĂ©e de technologies qui va vous indiquer instantanĂ©ment votre pulsation cardiaque, entre plein d’autres fonctions devenues soudain accessibles Ă  tout moment. Et lĂ , on en revient au projet nĂ©o-libĂ©ral que vous Ă©voquiez : vous allez avoir le fantasme de pouvoir vous soigner tout seul. Idem pour vous Ă©duquer, etc., etc.

12 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen
« C’est dans cet espace-lĂ  que se situe l’intelligence artificielle, lĂ  oĂč l’humain qui reste encore est dĂ©finitivement remplacĂ© par une machine. »
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Avec l’idĂ©e qu’on pourra maĂźtriser les choses alors qu’en fait, non, on aura toujours besoin de gens autour de nous


Bien sĂ»r et il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă  la solitude. MĂȘme si le diagnostic que j’évoquais se rĂ©vĂ©lait juste, il faudra toujours un mĂ©decin pour l’évaluer, car une erreur pourra toujours se prĂ©senter, pour le filtrer et, tout simplement, pour avoir une relation Ă©troite avec vous. Quelles que soient les nouvelles technologies qui vont ĂȘtre mises en Ɠuvre dans l’univers de la santĂ©, et pas question une seule seconde de leur dĂ©nier leur efficacitĂ© et leur utilitĂ©, il faudra toujours des humains qui les mettent en Ɠuvre et les contrĂŽlent. Idem pour les Ă©lĂšves avec leurs profs.

Et si on parle de la vie politique, ce fil humain reste indispensable. Il n’y a pas si longtemps, elle Ă©tait rythmĂ©e par des partis composĂ©s de gens qui avaient un ancrage dans leur territoire et tout cela parvenait Ă  percoler dans la sociĂ©tĂ©. Ce n’est plus du coup le cas aujourd’hui, ce sont les rĂ©seaux sociaux qui vĂ©hiculent des pensĂ©es gĂ©nĂ©ralement articulĂ©es autour d’un chef politique qui est censĂ© rĂ©gler toutes les contradictions. Ça fait qu’aujourd’hui, on est pour ou contre, il n’y a plus aucune subtilitĂ© possible, il n’y a plus de terrain d’élaboration comme avant, quand tout Ă©tait affaire de compromis pour atteindre la barre des 51 % et parvenir Ă  gouverner. Aujourd’hui, l’ambition est de s’amĂ©nager un socle de 25 % de gens qui vous sont fidĂšles et d’affronter dans le cadre du deuxiĂšme tour un autre Ă©tant parvenu au mĂȘme score. Ce qui veut dire qu’au soir d’une Ă©lection, auparavant, il y avait au moins 51 % de gens heureux et la minoritĂ© pouvait toujours rĂȘver du coup d’aprĂšs. LĂ , maintenant, il y a 75 % de gens insatisfaits et qui ne se reconnaissent pas dans l’élu
 Il y a beaucoup d’abstentions, les gens votent contre l’autre candidat parce qu’ils le dĂ©testent plus que celui pour lequel ils vont voter et le miracle de la vie dĂ©mocratique, qui est d’enchanter les cƓurs au soir d’une Ă©lection, n’a plus lieu. C’est toute la promesse dĂ©mocratique qui est perdue


Et il n’y a pas que la France qui se retrouve avec ce problĂšme. On est dans une Ăšre nouvelle oĂč tous les pouvoirs sont faibles, tous. Les dĂ©mocraties sont faibles, car elles sont minĂ©es par le populisme qui est profondĂ©ment anti-systĂšme et qui conteste les formes de la lĂ©gitimitĂ© la plus Ă©vidente, comme le rĂŽle du Parlement, celui des partis politiques. Les rĂ©gimes non dĂ©mocratiques, illibĂ©raux comme on les appelle quelquefois, sont trĂšs faibles aussi. Le rĂ©gime des mollahs est trĂšs fragilisĂ©, on le voit, il est aujourd’hui profondĂ©ment contestĂ© de l’intĂ©rieur. La Russie

n’est plus la puissance forte comme elle a pu se rĂȘver l’ĂȘtre Ă  un moment donnĂ©, elle bombarde en ce moment des gens, mais l’assise du pouvoir poutinien est beaucoup plus fragile que Poutine lui-mĂȘme ne le croit
 La Chine aussi est trĂšs fragilisĂ©e comme l’a montrĂ© la contestation contre le rĂ©gime Covid qui a obligĂ© le pouvoir Ă  reculer, en rĂ©alitĂ©. Donc, mĂȘme les pouvoirs rĂ©putĂ©s les plus forts sont faibles et il y a une raison dont on parlait dĂ©jĂ  tout Ă  l’heure : partout, les fondements de la sociĂ©tĂ© se sont distendus. La sociĂ©tĂ© numĂ©rique est une sociĂ©tĂ© aux rĂ©seaux faibles, c’est une sociĂ©tĂ© qui a beaucoup de difficultĂ©s Ă  se penser en tant que sociĂ©tĂ©. Et a fortiori Ă  se doter d’institutions mĂ©diatrices qui soient capables d’agrĂ©ger les individus Ă  un niveau supĂ©rieur Ă  celui de leur conscience individuelle propre


Si je devais faire un diagnostic de la situation de la France, ce serait pour dire que comme partout ailleurs, le pouvoir macroniste est trĂšs faible, en rĂ©alitĂ©. Cela devrait nous inciter tous Ă  ĂȘtre trĂšs attentifs Ă  la qualitĂ© de la vie de nos institutions. Or lĂ , la fragilitĂ© de la situation politique pour la majoritĂ©, c’est qu’elle a rĂ©ussi Ă  constituer un front syndical uni contre elle alors qu’on sait que ce front syndical, au fond, n’est pas si uni que ça. C’est en cela que la situation est trĂšs marquante aujourd’hui : en fait, la crise actuelle risque de ne pas vivifier assez la dĂ©mocratie sociale, alors qu’on en a tellement besoin.

Il faut se souvenir que dĂšs son Ă©lection en 2017, le prĂ©sident actuel Ă©voquait dĂ©jĂ  l’idĂ©e de se passer des corps

intermĂ©diaires, ces fameuses institutions que vous Ă©voquez en permanence
 Je crois que l’erreur profonde de diagnostic s’est en effet rĂ©vĂ©lĂ©e Ă  ce moment-lĂ . On a vraiment besoin de renforcer ces institutions. Au sens large, bien sĂ»r, on ne va pas renouer avec l’époque de l’Église Catholique et du Parti Communiste, mais on a besoin d’universitĂ©s fortes pour que les Ă©tudiants bĂ©nĂ©ficient d’une institution qui les protĂšge, les hĂ©berge et leur donne les moyens de se former. On a besoin d’hĂŽpitaux forts qui soient capables de penser une nouvelle politique de la santĂ©, car ce n’est pas le ministre qui peut tout Ă  ce niveau, alors c’est donc bien une institution forte qui doit avoir la capacitĂ© de proposer des solutions fortes. Et c’est exactement la mĂȘme chose pour l’éducation. On a besoin aussi de services publics renforcĂ©s qui n’abandonnent pas Ă  leur sort tant de gens sur des territoires immenses


Et, si l’on parle du monde du travail, la sociĂ©tĂ© a quoi qu’il en soit besoin de syndicats qui jouent un rĂŽle essentiel, c’est fondamental. C’est ça que fait apparaĂźtre cette rĂ©forme sur les retraites, quelles que soient ses motivations profondes. Elle va rendre trĂšs difficile l’exercice de la dĂ©mocratie sociale. La rĂ©forme va sans doute ĂȘtre votĂ©e, mais il y aura une profonde amertume ensuite et elle va perdurer. D’autant qu’elle arrive Ă  un moment oĂč les Français s’interrogent profondĂ©ment sur leur rapport au travail. Je pense qu’on est lĂ  dans une situation trĂšs intĂ©ressante Ă  Ă©valuer et c’est pourquoi je trouve bien dommage que la nĂ©gociation sociale soit tant gĂąchĂ©e
  b

14 №48 — Mars 2023 — Retour b GRAND ENTRETIEN — Daniel Cohen

L’incroyable fiasco du REME

Un dĂ©sastre. DĂšs les premiĂšres heures de sa mise en service, le 11 dĂ©cembre dernier, le RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en de Strasbourg a multipliĂ© les crashes : suppressions de trains, retards, plans de rattrapages non respectĂ©s et on en passe
 des milliers d’usagers ont Ă©tĂ© Ă  la torture quotidienne et, dans de nombreux cas, contraints Ă  d’invraisemblables stratĂ©gies pour espĂ©rer pouvoir se dĂ©placer. Retour sur ces semaines dĂ©lĂ©tĂšres avec les Ă©lus en charge des Transports, les usagers et leurs reprĂ©sentants, mais
 sans la SNCF qui a prĂ©fĂ©rĂ© se murer dans son silence


c DOSSIER — LE REME c DOSSIER — Le REME 17
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosùs – Dom Renckel

Des usagers en galÚre et méprisés

« c DOSSIER — Le REME 18 №48 — Mars 2023 — Retour

Des attentes interminables et mĂȘme quelquefois vaines, des entassements invraisemblables dans les quelques trains qui roulaient, des ratĂ©s, des suppressions, depuis le 11 dĂ©cembre dernier, les clients alsaciens de la SNCF ont vĂ©cu maints calvaires quotidiens


c DOSSIER — Le REME 19 №48 — Mars 2023 — Retour

Autopsie d’un ratĂ©

Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est

Avant de parler du vĂ©ritable fiasco qu’a Ă©tĂ© son lancement dĂ©but dĂ©cembre dernier, peut-on tout d’abord vous demander de nous rappeler l’historique complet du projet de RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, le REME ?

Vice-prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est, le maire d’IllkirchGraffenstaden a hĂ©ritĂ© en novembre dernier de la responsabilitĂ© du « transport et des mobilitĂ©s durables » (sa dĂ©lĂ©gation officielle) des portes de la Champagne prĂšs de Paris jusqu’aux rives du Rhin. Et c’est bien sĂ»r le dossier catastrophique du REME bas-rhinois qui a mobilisĂ© l’essentiel de son temps ces derniers mois


Tout a Ă©tĂ© initiĂ© lors du Grenelle des MobilitĂ©s en 2018. Cette initiative est nĂ©e des idĂ©es conjuguĂ©es de deux prĂ©sidents de CollectivitĂ©s publiques, Jean Rottner pour la RĂ©gion Grand Est et Robert Hermann pour l’EuromĂ©tropole de Strasbourg. Beaucoup de propositions en matiĂšre de transport rĂ©gional avaient Ă©mergĂ© de cette initiative, mais c’est bien le RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, le REME, qui Ă©tait la plus ambitieuse pour rĂ©pondre Ă  l’ensemble des difficultĂ©s rencontrĂ©es sur l’agglomĂ©ration de Strasbourg. On avait alors constatĂ© qu’il y avait sur l’ensemble de la mĂ©tropole beaucoup de gares qui pouvaient ĂȘtre rĂ©activĂ©es pour parvenir Ă  un rĂ©seau express semblable Ă  l’esprit du RER parisien, c’est-Ă -dire un trafic Ă  une frĂ©quence trĂšs rĂ©guliĂšre permettant Ă  l’usager de ne plus trop se soucier de l’horaire de son prochain train puisqu’il sait qu’il sera automatiquement dans le prochain quart d’heure, du moins est-ce l’objectif que nous visions. Le tout sur une amplitude allant de 5 heures du matin Ă  23 heures et qui concerne aussi le samedi et le dimanche. Le grand plus du systĂšme imaginĂ© depuis 2018 Ă©tait aussi la mise en place de trains « diamĂ©tralisĂ©s » comme les spĂ©cialistes les appellent et qui, dans le cas du REME, peut s’illustrer par le cas d’un train partant de Saverne et se rendant Ă  SĂ©lestat, et inversement, sans aucune rupture de charge en gare de Strasbourg. Plus besoin de changer de train dans la capitale alsacienne
 À cette ligne directe pourraient s’en ajouter d’autres pour, qu’à terme, la gare de Strasbourg ne soit plus qu’un point d’arrĂȘt comme un autre et non un terminus comme cela a toujours Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment le cas. Tout pour faciliter le voyage, donc
 DĂšs l’élaboration de ce projet global ambitieux, tout un travail a Ă©tĂ© menĂ© entre la RĂ©gion, l’EuromĂ©tropole et la SNCF, qui Ă©tait l’opĂ©rateur unique. Les deux filiales sĂ©parĂ©es, SNCF Voyageurs et SNCF RĂ©seau Ă©taient dans le tour de table. Il en Ă©tait de mĂȘme pour une troisiĂšme filiale, SNCF Gares et Connexions, car il fallait bien sĂ»r gĂ©rer les escales et le trafic, notamment concernant le nƓud essentiel qu’est celui de la gare de Strasbourg. La SNCF s’est donc engagĂ©e formellement auprĂšs des

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
« La confiance de la population en la SNCF s’est brisĂ©e  »
c DOSSIER — Le REME 20 №48 — Mars 2023 — Retour

diffĂ©rentes collectivitĂ©s pour rendre ce projet possible, moyennant Ă©videmment le montant de la convention financiĂšre qui nous lie et qui reprĂ©sente Ă  ce stade pas moins de 14 millions d’euros supplĂ©mentaires chaque annĂ©e par rapport Ă  l’investissement dĂ©jĂ  consenti par la RĂ©gion Grand Est


On imagine que la RĂ©gion Grand Est et l’EuromĂ©tropole de Strasbourg ont acquis au cours de ces derniers temps toutes les garanties nĂ©cessaires auprĂšs de la SNCF


À l’évidence. Pour ne parler que de cette derniĂšre annĂ©e, du mois de mai 2022 jusqu’au lancement du REME en dĂ©cembre dernier, nous avons reçu plusieurs courriers cosignĂ©s par les deux principales filiales de la SNCF nous disant qu’il n’y aurait aucun souci, qu’elles seraient capables de tenir leurs engagements. Et parmi ces engagements, il y avait un point capital : depuis l’origine, la SNCF nous avait projetĂ©s dans cette idĂ©e que le REME pourrait bĂ©nĂ©ficier de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine. Si la SNCF n’avait pas proposĂ© ce chiffre, il me semble que nous nous serions parfaitement contentĂ©s de 300 ou 400 trains supplĂ©mentaires, quitte Ă  rĂ©partir autrement les choses en les expliquant aux gens


Aujourd’hui, il pourra peut-ĂȘtre sembler facile d’exprimer cette remarque, mais la vĂ©ritĂ© pousse Ă  dire que beaucoup trouvaient ce chiffre de 800 trains supplĂ©mentaires presque « trop beau pour ĂȘtre vrai » comme le dit la sagesse populaire


Personnellement, le vrai doute que j’ai eu dĂšs que j’ai hĂ©ritĂ© de mon poste de viceprĂ©sident en novembre, et je me suis alors posĂ© une kyrielle de questions Ă  ce sujet, a Ă©tĂ© de rĂ©aliser tout de suite que sur un plan de transport adaptĂ© qui Ă©tait celui de 2022, c’est-Ă -dire sans le REME, nous Ă©tions dĂ©jĂ  quotidiennement en dessous de l’offre nominale que devait assurer la SNCF. En novembre, les grĂšves perlĂ©es chez les agents de la sociĂ©tĂ© ont entraĂźnĂ© nombre de retards importants et de suppressions de trains. Nombre d’associations d’usagers et de syndicats avaient alors fait part de leurs doutes concernant le bon fonctionnement du REME Ă  compter du 11 dĂ©cembre. Je pense que la SNCF a mis ensuite les bouchĂ©es doubles, car le jour du lancement, le dimanche, ça a globalement trĂšs bien fonctionnĂ©. De mĂȘme le lundi. Le mardi, Ă  part l’erreur humaine qui a provoquĂ© l’incident d’un train trop long pour le quai d’accueil qui lui avait Ă©tĂ© attribuĂ© en gare de Strasbourg, et qui a donc dĂ©clenchĂ© le systĂšme d’alarme avec une belle pagaille Ă  la clĂ©, on a bien compris qu’on restait dans le globalement satisfaisant.

Les grosses difficultĂ©s ont commencĂ© dĂšs le mercredi, annulations, suppressions de train, d’importants retards un peu partout
 La SNCF a expliquĂ© ça par l’épisode neigeux de ce jour-lĂ , tous les transports scolaires ayant Ă©tĂ© supprimĂ©s sur le pĂ©rimĂštre rĂ©gional. Ça pouvait alors paraĂźtre comme une explication sĂ©rieuse sauf que la neige n’a pas tenu. La semaine suivante, en pleine sĂ©ance plĂ©niĂšre du Conseil rĂ©gional consacrĂ©e au vote du budget, la SNCF nous a prĂ©venus qu’elle ne parviendrait pas Ă  rĂ©tablir l’offre prĂ©vue et qu’elle proposait

donc de mettre en place un plan de transport adaptĂ© pour les deux semaines de vacances. Avec le prĂ©sident Rottner, on n’était bien sĂ»r pas du tout favorable Ă  cette notion de plan de transport adaptĂ©, on nous avait fait une promesse, on avait signĂ© un contrat avec une convention financiĂšre oĂč on garantissait l’injection d’une trĂšs importante somme d’argent public Ă  paritĂ© avec l’EuromĂ©tropole de Strasbourg. On a donc refusĂ© la proposition de la SNCF, mais dĂšs le lundi suivant, on a pu constater qu’elle n’y arrivait pas.

Nous Ă©tions donc placĂ©s devant le fait accompli. La veille du Nouvel An, aprĂšs que nous ayons participĂ© Ă  une confĂ©rence en visio avec tous les acteurs de la SNCF, cette derniĂšre nous a alors annoncĂ© que ce plan de transport adaptĂ© allait ĂȘtre prolongĂ© jusqu’en fĂ©vrier 2023. Nous n’avons bien sĂ»r rien validĂ©, en accord avec nos principes largement exprimĂ©s d’autant que nous avions alors bien compris que leur nouveau plan de transport comportait la suppression de tous les trains omnibus desservant les petites gares pour permettre aux usagers de rejoindre Strasbourg, afin Ă©videmment de privilĂ©gier les trains directs ou semi-directs. Une vĂ©ritable aberration puisque l’engagement principal de nos deux collectivitĂ©s portait justement sur une meilleure desserte des petites gares ! Nous avions retenu ce principe de base du RER parisien qui fait des trains directs une exception et la desserte de toutes les gares sur le parcours un postulat de base.

Avec Alain Jund au titre de l’EuromĂ©tropole, nous avons alors formellement convoquĂ© la SNCF le 17 janvier dernier pour qu’elle nous fasse un vĂ©ritable rapport

« Depuis l’origine, la SNCF nous avait projetĂ©s dans cette idĂ©e que le REME pourrait bĂ©nĂ©ficier de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine. »
c DOSSIER — Le REME 21 №48 — Mars 2023 — Retour
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est.

ne connaĂźt que le logo SNCF, mais en fait, ses diffĂ©rentes entitĂ©s ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. »

exhaustif d’analyse de la situation et de l’ensemble des dysfonctionnements avec, Ă  la clĂ©, un plan d’action concret. Notre souhait a Ă©tĂ© aussi qu’on rapproche la communication des difficultĂ©s du terrain, on Ă©tait dĂ©jĂ  loin de la confĂ©rence de presse idyllique annonçant le lancement du REME. Je voulais donc que les usagers rĂ©alisent que leurs Ă©lus Ă©taient au plus proches des immenses difficultĂ©s qu’ils rencontraient
 C’est lors de cette rĂ©union que les deux directrices de la SNCF, StĂ©phanie Dommange, directrice TER Grand Est et Laurence Berrut, directrice territoriale RĂ©seau Grand Est nous ont prĂ©sentĂ© leur plan d’action en 46 points qui faisait nettement apparaĂźtre les carences de l’opĂ©rateur en matiĂšre d’organisation, carences que nos deux interlocutrices ont assumĂ©es. Nous nous sommes dit, avec Alain Jund, que nous n’avions enfin plus en face de nous des gens qui nous assuraient que tout allait bien se passer et que la SNCF allait parfaitement tenir ses engagements. Leur discours du 17 janvier a Ă©tĂ© une reconnaissance d’une mauvaise anticipation des problĂ©matiques Ă  cause de la prise en compte d’une notion de simple « TER augmenté » alors que la SNCF aurait

dĂ» manifestement s’inspirer dĂšs le dĂ©part du rĂ©seau RER parisien. Pour cela, il aurait donc fallu mettre Ă  la disponibilitĂ© de notre projet des spĂ©cialistes du Transilien


On touche lĂ  Ă  un point qui interroge, concernant la SNCF. Cette sociĂ©tĂ© estelle encore en contact avec les vĂ©ritables rĂ©alitĂ©s du terrain ? En un mot, la technostructure qui la dirige Ă©tait-elle Ă  mĂȘme de relever le dĂ©fi de la mise en Ɠuvre du REME et de rĂ©pondre efficacement Ă  son cahier des charges ?

Le problĂšme de la SNCF est dans sa segmentation trĂšs forte. Le grand public ne connaĂźt que le logo SNCF, mais en fait, ses diffĂ©rentes entitĂ©s ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. Elles ne font pas le mĂȘme mĂ©tier et ça se sent, y compris dans la gestion opĂ©rationnelle au quotidien. C’est pour ça que nous avons fini, avec Alain Jund, par taper du poing sur la table. Et, ils ont enfin fait venir ces vĂ©ritables spĂ©cialistes du Transilien que j’évoquais prĂ©cĂ©demment. Ces gens sont dĂ©sormais en train de travailler sur la remontĂ©e en charge par rapport aux objectifs prĂ©vus, ils rĂ©analysent les choses avec

une vision qui n’est plus celle du simple TER traditionnel. On est arrivĂ©s Ă  une situation extrĂȘme pour la gare de Strasbourg oĂč, toutes les trente secondes, il y a une arrivĂ©e ou un dĂ©part de train. Ce que nous vivons depuis des semaines prouve que si la SNCF sait bien faire son mĂ©tier quand on est sur un systĂšme trĂšs stable, Ă©prouvĂ© depuis longtemps parce qu’on n’a pas trop changĂ© les mĂ©thodologies, elle n’est en revanche pas du tout prĂȘte pour affronter un choc de cette nature-lĂ . En ce qui nous concerne, Ă  la RĂ©gion Grand Est, nous avons fait tous les achats de matĂ©riels roulants nĂ©cessaires. De son cĂŽtĂ©, la SNCF s’est focalisĂ©e sur le volet ressources humaines, elle a globalement fait une grande partie des embauches qui Ă©taient nĂ©cessaires. Mais elle a pĂȘchĂ© au niveau de l’organisation et on s’est bien rendu compte que c’était le Centre opĂ©rationnel qui dysfonctionnait. Le nombre de personnes nĂ©cessaires a Ă©tĂ© largement sous-estimĂ©. Certains jours, on s’est retrouvĂ© dans la situation d’un aĂ©roport oĂč on avait tous les avions, les pistes, les personnels de bord pour fonctionner, mais pas assez de contrĂŽleurs aĂ©riens dans la tour pour assurer le trafic. Face Ă  cette

« Le grand public
c DOSSIER — Le REME 22 №48 — Mars 2023 — Retour

situation, la SNCF n’a cessĂ© de supprimer des trains et tout particuliĂšrement les omnibus qui, avec leurs arrĂȘts frĂ©quents, mobilisent Ă©videmment beaucoup plus de gens au Centre opĂ©rationnel que les trains directs. C’est ainsi qu’on en est arrivĂ© Ă  ce paradoxe vertigineux d’un rĂ©seau Ă  l’antithĂšse du RER parisien que nous avions comme rĂ©fĂ©rence dont la norme est bien la desserte de toutes les gares


Toutes ces carences que vous Ă©voquez vont-elles faire l’objet d’une demande d’indemnisation de la part de la RĂ©gion et de l’EuromĂ©tropole ?

La premiĂšre de ces indemnisations concrĂštes a bien sĂ»r Ă©tĂ© de rembourser les abonnements et les 500 000 billets dits « petits prix ». C’était bien sĂ»r le minimum et c’est bien la SNCF qui va payer ça de sa poche. Elle sait aussi depuis le dĂ©part que ce geste commercial se poursuivra tant qu’on ne sera pas parvenu Ă  un service correct. Ensuite, on sera certainement amenĂ©s Ă  une minoration de notre part d’investissements dans le futur et la SNCF devra compenser. On est d’ailleurs en train de nĂ©gocier le prochain contrat TER rĂ©gional.

Et bien, en ce qui me concerne, je souhaite qu’y figurent des pĂ©nalitĂ©s automatiques en cas de mouvements sociaux ou de suppressions de trains. Plus de nĂ©gociations donc, mais des sanctions financiĂšres automatiques, comme c’est dĂ©jĂ  le cas pour cet autre volet dont j’ai la responsabilitĂ©, les transports par cars.

DerniĂšre question : quand les usagers vont-ils effectivement pouvoir compter sur une parfaite organisation avec, notamment, ces fameux 800 trains supplĂ©mentaires qui Ă©taient promis ?

La SNCF Ă©voque le mois d’avril. Moi, je suis devenu trĂšs, trĂšs prudent. Pour la RĂ©gion, j’ai dit que ce n’était plus un objectif d’avoir une date fatidique qui nous mettrait une pression d’enfer. Je prĂ©fĂšre qu’on y aille Ă©tape par Ă©tape et ça vaut aussi pour cette autre marche prĂ©vue au mois d’aoĂ»t prochain, le passage Ă  1 000 trains supplĂ©mentaires. En fait, tous ces Ă©vĂ©nements valident une intuition que j’ai depuis un certain temps : pour rĂ©ussir un projet de cette envergure, pour qu’il soit absorbĂ© parfaitement en termes d’organisation, il faut bien compter un an de travail. L’erreur a Ă©tĂ© de

proclamer qu’on allait assister Ă  une rĂ©volution des mobilitĂ©s. En fait, ce qu’on a vu, c’est que ça a Ă©tĂ© pire qu’avant. La vie des gens a Ă©tĂ© rendue impossible et j’ai bien conscience que le traumatisme a Ă©tĂ© trĂšs violent. C’est bien pour ça que, personnellement, je me suis excusĂ© durant la confĂ©rence de presse commune avec Alain Jund. Mais c’est certain que la confiance de la population en la SNCF s’est brisĂ©e, car le train est devenu depuis trois mois un enfer pour les gens alors qu’il est en fait le mode de transport idĂ©al pour parvenir Ă  la dĂ©carbonation des mobilitĂ©s. Ce qui est en outre terrible pour nous, au niveau de la RĂ©gion, c’est de rĂ©aliser qu’on a investi quasiment 700 millions d’euros pour la quatriĂšme voie et ces innombrables amĂ©nagements, l’achat de matĂ©riels neufs, sans compter ce qui est prĂ©vu pour le nouvel atelier de maintenance en gare de Strasbourg ou les trains transfrontaliers, la ligne de Lauterbourg et j’en passe. C’est dur de faire ce constat. Si encore on pouvait se dire qu’on est face Ă  un problĂšme de manque de moyens financiers, mais non : on a mis tout ce qu’on pouvait, mais ce n’est pas nous qui conduisons les trains et qui gĂ©rons le systĂšme ! » c

c DOSSIER — Le REME 23 №48 — Mars 2023 — Retour

Autopsie d’un ratĂ©

Alain Jund, vice-prĂ©sident de l’EuromĂ©tropole de Strasbourg

baisser les bras


Avec Thibaud Philipps, Alain Jund forme un duo qui a su dĂ©passer les clivages politiques traditionnels pour se consacrer corps et Ăąme Ă  l’avĂšnement de ce REME aujourd’hui si controversĂ© aprĂšs ses dĂ©buts calamiteux. Lui non plus ne cache pas sa colĂšre envers la SNCF, mais ne veut pas perdre foi en l’avenir


Vous partagez bien sĂ»r la narration de l’historique de ce projet du REME strasbourgeois avec Thibaud Philipps. En partagez-vous les leçons qu’il en tire, pour l’essentiel un projet trop ambitieux, non phasĂ© et dont la faisabilitĂ© a Ă©tĂ© mal Ă©valuĂ©e par la SNCF qui aurait agi en le considĂ©rant comme une sorte de super TER lĂ  oĂč une logique de RER Transilien aurait dĂ» ĂȘtre de mise dĂšs le dĂ©part ?

Personnellement, je suivais ce dossier depuis deux ans dans le cadre d’une construction commune avec la RĂ©gion Grand Est aux cĂŽtĂ©s de David Valence (le maire de Saint-DiĂ©, devenu aujourd’hui dĂ©putĂ© – ndlr) auquel Thibaud Philipp a succĂ©dĂ©, brillamment, je tiens Ă  le souligner. DĂšs 2020, donc, nous savions que nous Ă©tions dans une logique qui dĂ©passe de loin l’échelle de la ville et l’agglomĂ©ration de Strasbourg. La logique a donc Ă©tĂ© la mise en place d’un rĂ©seau express mĂ©tropolitain qui puisse permettre aux gens qui habitent Ă  vingt, trente ou quarante kilomĂštres de rejoindre la capitale alsacienne, mais aussi, et ça on l’oublie quelquefois, aux autres usagers de se rendre dans les autres villes du Bas-Rhin. C’est sur ces

bases que le projet s’est progressivement concrĂ©tisĂ© et si nous en sommes arrivĂ©s Ă  ce nombre de 800 trains supplĂ©mentaires par semaine, c’est bel et bien qu’il a Ă©tĂ© proposĂ© par la SNCF, sur la base de sa propre expertise. Je me souviens parfaitement d’une rĂ©union qui date de juillet dernier oĂč siĂ©geaient la PrĂ©fĂšte de rĂ©gion, Jean Rottner le prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est, les deux directrices opĂ©rationnelles de la SNCF, Mmes Dommange et Berrut, rĂ©union oĂč je reprĂ©sentais Pia Imbs
 À un certain moment, la PrĂ©fĂšte a formellement demandĂ© aux reprĂ©sentantes de la SNCF si leur sociĂ©tĂ© allait pouvoir relever le dĂ©fi. La rĂ©ponse a Ă©tĂ© claire et limpide : « Pas de problĂšme, on s’y engage  » Cet engagement a mĂȘme Ă©tĂ© confirmĂ© par Ă©crit. En ce qui me concerne personnellement, j’avais bien sĂ»r entendu les avis des syndicats du ferroviaire qui n’hĂ©sitaient pas Ă  Ă©voquer leur scepticisme, mais dans la mesure oĂč la directrice rĂ©gionale ainsi que le prĂ©sident de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, Ă©taient formels, nous n’avions pas de raisons particuliĂšres de nous inquiĂ©ter mĂȘme si, bien sĂ»r, nous savions que ce dĂ©fi Ă©tait important Ă  relever pour

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
« Il n’est pas question de
c DOSSIER — Le REME 24 №48 — Mars 2023 — Retour

la sociĂ©tĂ© nationale. D’autant que nous savions aussi que la SNCF avait un grand besoin de prouver une fois de plus au gouvernement et aux collectivitĂ©s qu’elle Ă©tait le principal opĂ©rateur ferroviaire en France, dans le contexte de l’ouverture Ă  la concurrence qui se profile. De plus, le prĂ©sident Macron, au dĂ©tour d’un dimanche soir, avait dĂ©clarĂ© sa volontĂ© de voir naĂźtre une vingtaine de projets similaires dans les grandes agglomĂ©rations de France. Alors, il nous paraissait Ă©vident que la SNCF ne pouvait pas se permettre un Ă©chec sur le REME strasbourgeois. Un objectif de 120 trains supplĂ©mentaires par jour ne paraissait pas dĂ©mesurĂ© Ă  atteindre. Et ce projet, pour Strasbourg, mais aussi pour toutes les communes de la mĂ©tropole et mĂȘme au-delĂ  qui Ă©taient concernĂ©es, Ă©tait la rĂ©ponse idĂ©ale pour faire face aux enjeux climatiques, notamment, d’autant plus que la ZFE se mettait en place au 1er janvier dernier pour restreindre le nombre de voitures pouvant pĂ©nĂ©trer dans l’EuromĂ©tropole. Bref, si nous n’étions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pari


Aujourd’hui, avec deux mois de recul puisque nous nous rencontrons ce 13 fĂ©vrier, une semaine avant le bouclage du prĂ©sent numĂ©ro, un manque de confiance flagrant envers la SNCF s’est installĂ© au niveau des usagers. On peut mĂȘme parler de colĂšre


C’est flagrant, en effet et c’est justifiĂ©. La dĂ©fiance et le mĂ©contentement sont partout : chez les usagers d’avant le 11 dĂ©cembre, premier jour de mise en place du REME : ceux-ci ont carrĂ©ment perdu des trains parmi ceux qu’ils affectionnaient, j’en connais personnellement un certain nombre, dans la vallĂ©e de la Bruche ou Ă  Limersheim par exemple
 Beaucoup ont perdu de saines habitudes : « Auparavant je descendais de ma vallĂ©e vosgienne, je stationnais ma voiture Ă  SĂ©lestat et je prenais le train » m’a dit l’un d’entre eux, un retraitĂ© actif qui vient chaque semaine Ă  Strasbourg. « Et bien, dĂ©sormais, je viendrai en voiture dans la capitale rĂ©gionale  » m’a-t-il avouĂ© d’un air dĂ©semparĂ©. Mais la dĂ©fiance est Ă©galement prĂ©sente chez les potentiels nouveaux passagers qu’un REME fonctionnant normalement aurait immanquablement

« Si nous n’étions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pari  »
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Alain Jund, vice-prĂ©sident de l’EuromĂ©tropole de Strasbourg

attirĂ©s vers le train : il va ĂȘtre compliquĂ© de les rĂ©activer, ceux-là
 Et, pour finir de brosser ce tableau de la dĂ©fiance, il y a immanquablement un manque de confiance qui s’est installĂ© entre les collectivitĂ©s et la SNCF. Et ce ne sont pas les derniĂšres rĂ©unions qui vont nous rendre optimistes : lors de ces rĂ©unions, ils nous ont dit que ce n’était pas liĂ© Ă  un manque de personnels, que ce n’était pas un problĂšme de matĂ©riels roulants. C’était selon eux un problĂšme d’organisation. Je ne suis pas intimement convaincu que ce ne soit que ça, mais bon, l’organisation, c’est pleinement la prĂ©rogative de la SNCF. Le week-end du 11 fĂ©vrier dernier, selon leur propre plan de transport adaptĂ©, il devait y avoir une augmentation de l’offre. Et bien, la veille mĂȘme de ce week-end, le vendredi 10 fĂ©vrier prĂ©cisĂ©ment, ils nous ont annoncĂ© qu’ils n’y arriveraient pas
 RĂ©sultat : les usagers restent furieux, rien n’avance. Et c’est pareil pour nos collĂšgues Ă©lus des petites villes : le maire de HƓrdt, qui est un copain du temps de la Fac, ne sait plus quoi rĂ©pondre Ă  ses concitoyens, lui qui s’est basĂ© sur nos promesses, celles de la RĂ©gion et de l’EuromĂ©tropole


On a quand mĂȘme le net sentiment que tout le monde est dans le brouillard


C’est le mot, c’est exactement ça. Cette rupture de confiance pour les usagers et les collectivitĂ©s nous fait nous demander si d’ici la fin 2023, on parviendra Ă  mettre efficacement en Ɠuvre ce qui devait ĂȘtre rĂ©alisĂ© le 11 dĂ©cembre dernier. Un courrier vient de partir Ă  l’attention de ClĂ©ment Beaune (le ministre dĂ©lĂ©guĂ© chargĂ© des Transports –ndlr) et Jean-Pierre Farandou, le prĂ©sident de la SNCF. Il est signĂ© conjointement par le prĂ©sident de la RĂ©gion et par la prĂ©sidente de l’EuromĂ©tropole et il interpelle ces deux personnalitĂ©s sur leurs responsabilitĂ©s visĂ -vis de la situation. En ce qui me concerne au niveau de mes responsabilitĂ©s Ă  l’EuromĂ©tropole, nous avons cessĂ© Ă  la fin janvier dernier de payer notre part du montant de la subvention amenĂ©e par les collectivitĂ©s. Car le service escomptĂ© n’est pas rendu.

Ceci dit, il n’est pas question pour autant de baisser les bras. C’est pourquoi Thibaud Philipps et moi avons prĂ©vu dĂ©sormais de rencontrer la SNCF tous les quinze jours pour acter d’une façon extrĂȘmement prĂ©cise l’état d’avancement du redressement attendu. Et rappeler sans cesse, si

nĂ©cessaire, qu’on n’est pas seulement dans la volontĂ© de faire un beau REME et que les enjeux vont infiniment plus loin : il y a l’urgence climatique, l’essence qui en est Ă  deux euros le litre, il y a un problĂšme sanitaire souvent aigu avec la qualitĂ© de l’air
 En outre, le REME strasbourgeois est observĂ© Ă  la loupe par une bonne quinzaine d’agglomĂ©rations, Lyon, Bordeaux, Nantes, Grenoble
, toutes prĂȘtes Ă  s’engouffrer dans la brĂšche que le rĂ©seau strasbourgeois aurait ouverte. Aujourd’hui, ce caractĂšre exemplaire est devenu plus que chaotique et il faut aussi que la SNCF se rende bien compte de l’altĂ©ration de son image au moment oĂč la concurrence s’annonce sur certaines lignes. Les autoritĂ©s de transport ne vont-elles pas s’intĂ©resser encore plus Ă  ce que propose le privé ? En un mot, le scepticisme envers la SNCF s’est accru, indiscutablement
 Ici, cet accident industriel a mis en doute les capacitĂ©s d’une grande entreprise comme la SNCF Ă  assumer les missions qui lui incombent.

SincĂšrement, ce fiasco est-il rattrapable Ă  terme, c’est Ă  dire d’ici la fin de l’annĂ©e si je suis votre argument ?

c DOSSIER — Le REME 26 №48 — Mars 2023 — Retour

« Je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et mĂȘme de la prĂ©sidence de la RĂ©publique, il ne se passe rien dans un futur proche. »

On l’espĂšre vraiment. Pour nous, RĂ©gion et EuromĂ©tropole, il est Ă©vident que d’ici la fin de cette annĂ©e, il faut parvenir Ă  mettre parfaitement en Ɠuvre ce qui Ă©tait prĂ©vu Ă  partir du 11 dĂ©cembre dernier. Certaines lignes vont ensuite ĂȘtre mises en concurrence : celles vers Lauterbourg, celle de la vallĂ©e de la Bruche et la liaison transfrontaliĂšre entre Strasbourg et Offenbourg. Je pense que la SNCF a encore le temps et la capacitĂ© de se rattraper, mais il y a quand mĂȘme pĂ©ril en la demeure, c’est certain


La capacitĂ© technique et logistique, pourquoi pas, mais a-t-elle la capacitĂ© financiĂšre pour opĂ©rer ce redressement ?

Il est vrai que depuis des dĂ©cennies, de gros investissements ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sur les trains Ă  grande vitesse et que le train du quotidien, comme je l’appelle, a pris beaucoup de retard. L’État devrait beaucoup plus se mobiliser pour doter la SNCF des budgets dont elle a besoin. Un simple exemple, mais il est rĂ©vĂ©lateur : en huit mois, l’État a mis 7,5 milliards d’euros sur la table pour les aides Ă  la pompe. En mĂȘme temps, il a mis 300 millions d’euros pour aider les diffĂ©rentes autoritĂ©s de transport dans leurs

projets, 200 millions pour l’Ile-de-France et 100 millions pour le reste du pays. Cela a des consĂ©quences directes sur le REME : quand on voit l’état dĂ©labrĂ© du rĂ©seau entre Strasbourg et Lauterbourg, par exemple.

C’est simple, il n’est pas question d’augmenter le cadencement sur cette ligne, c’est impossible, techniquement. On ne peut en vouloir ni Ă  la SNCF ni Ă  la RĂ©gion, mais Ă  ces politiques publiques qui ont fait que le train du quotidien a Ă©tĂ© dĂ©laissĂ© et est devenu comme anecdotique. Un peu partout, il a fallu se battre pour que certaines lignes ne ferment pas


Une derniĂšre question. Pensez-vous rĂ©ellement et en toute franchise qu’à la fin de la prĂ©sente annĂ©e, le REME strasbourgeois sera activĂ© pleinement comme il devait l’ĂȘtre il y a trois mois ?

Oui, je le pense intimement. Je pense que la SNCF va se mobiliser dĂ©sormais beaucoup plus pleinement et je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et mĂȘme de la prĂ©sidence de la RĂ©publique, il ne se passe rien dans un futur proche. Les enjeux sont tellement gigantesques : les transports reprĂ©sentent Ă  eux seuls le

tiers des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. On ne peut pas de permettre de laisser filer, comme on dit. Le dĂ©veloppement du train du quotidien est aussi une rĂ©ponse Ă  des enjeux liĂ©s Ă  l’amĂ©nagement du territoire. Et cet enjeu transgresse les options politiques des uns et des autres, ce qui est un atout aussi  » c

c DOSSIER — Le REME 27 №48 — Mars 2023 — Retour

CÎté usagers

Vanessa Mikuczanis, 51 ans, est secrĂ©taire Ă  Strasbourg. Chaque matin, elle part de la petite gare de Soultzen-ForĂȘts, Ă  40 km au nord de Strasbourg, et y revient en dĂ©but de soirĂ©e. Sa gare se situe sur la ligne Strasbourg – Haguenau –Wissembourg, Ă  environ 45 minutes de la capitale alsacienne. Cette ligne Ă©tait bien sĂ»r (et reste) un des grands axes concernĂ©s par le REME.

du REME

À l’époque des rĂ©seaux sociaux, le citoyen possĂšde au fond de sa poche l’arme ultime : son tĂ©lĂ©phone mobile. Alors, coincĂ©s dans des trains surbondĂ©s ou amassĂ©s sur des quais de gares Ă  scruter dĂ©sespĂ©rĂ©ment les Ă©crans d’information de la SNCF, les usagers ont Ă©tĂ© des milliers Ă  publier des photos de leurs galĂšres et Ă  Ă©crire des lignes oĂč la colĂšre se mĂȘlait au dĂ©sabusement. PrĂšs de 1 500 d’entre eux se sont fĂ©dĂ©rĂ©s via un groupe Facebook


« Beaucoup s’imaginent que j’ai créé le groupe “TER Grand Est –Le ras-le-bol des usagers” quand la grande pagaille du REME s’est dĂ©clenchĂ©e, mais non  » prĂ©cise d’entrĂ©e Vanessa. « J’ai créé ce groupe dĂ©but novembre, un peu plus d’un mois avant le lancement du REME, car j’étais trĂšs excĂ©dĂ©e par les retards et les suppressions de trains qui Ă©taient dĂ©jĂ  trĂšs nombreux. On se rendait bien compte que la SNCF n’avait pas assez de moyens humains et matĂ©riels. Dans mon esprit, ce groupe devait servir Ă  discuter entre les usagers de cette ligne, notamment pour recenser l’ensemble des problĂšmes qu’ils rencontraient quasi quotidiennement, alors. À un mois du lancement du REME, je me souviens que nous Ă©tions tous trĂšs positifs, nous pensions que les 800 trains supplĂ©mentaires par semaine et leur cadencement toutes les demi-heures tels que c’était annoncĂ© allaient rĂ©gler tous les problĂšmes.

Et la catastrophe est arrivĂ©e. DĂ©cembre et janvier ont Ă©tĂ© un cauchemar. TrĂšs vite, j’ai mis une pĂ©tition en ligne, nous en sommes Ă  ce jour (le 10 fĂ©vrier dernier) Ă  quasiment 2 800 signatures, je n’aurais jamais pensĂ© qu’elle rencontrerait un tel succĂšs. J’ai Ă©galement Ă©crit Ă  tous les Ă©lus de la Commission des Transports de la RĂ©gion Grand Est et bien sĂ»r Ă  Mme Dommange, la directrice de TER Grand Est. Dans ces courriers, j’évoquais bien sĂ»r la catastrophe des innombrables retards et suppressions, mais aussi, forte des tĂ©moignages des usagers de ce groupe, la question des horaires qui chamboulent tout dans la plupart des petites gares desservies via les omnibus. La plupart du temps, les gens s’étaient dĂ©jĂ  rĂ©solus Ă  rejoindre une gare plus grande que celle qui Ă©tait Ă  proximitĂ© pour que leurs enfants accĂšdent Ă  leur Ă©tablissement scolaire Ă  des horaires normaux  »

On lui pose bien Ă©videmment la question qui nous brĂ»le les lĂšvres sur les suites donnĂ©es Ă  ses courriers, mais aussitĂŽt, Vanessa nous livre sans surprise la rĂ©ponse : « Bien Ă©videmment, personne ne m’a rĂ©pondu.

c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
Le groupe Facebook
« TER Grand Est – Le ras-le-bol des usagers » a recueilli des milliers de tĂ©moignages de voyageurs Ă©cƓurĂ©s par le fiasco
c DOSSIER — Le REME 28 №48 — Mars 2023 — Retour

Mais je sais trĂšs bien qu’ils surveillent de prĂšs nos publications sur Facebook. On a quand mĂȘme obtenu 50 % de rĂ©duction sur nos coĂ»ts d’abonnement pour fĂ©vriermars-avril, alors qu’on avait demandĂ© un remboursement depuis dĂ©cembre. Alors aujourd’hui, on se doute bien que le bazar va durer au moins jusqu’en avril. Ce dĂ©dommagement est loin d’ĂȘtre suffisant, les gens sont contraints de prendre leur voiture ou de faire du covoiturage et ils continuent quand mĂȘme Ă  prendre leur abonnement pour pouvoir profiter des trains qui roulent normalement. DĂ©jĂ  que beaucoup d’entre nous ont dĂ» nĂ©gocier des changements d’horaires de travail pour pouvoir coller aux nouveaux horaires  »

De sa position de gestionnaire du groupe Facebook qu’elle a initiĂ©, Vanessa se dit non surprise par la colĂšre des gens : « Je les comprends parfaitement. En ce qui me concerne, je suis dĂ©jĂ  excĂ©dĂ©e, mais je reconnais que les problĂšmes sur ma ligne sont bien mineurs comparĂ©s Ă  ceux rencontrĂ©s un peu partout ailleurs. Certains usagers sont dans une grande colĂšre et il y a de quoi. J’ai des tĂ©moignages incroyables : cette dame, par exemple, qui est au chĂŽmage et qui m’a avouĂ© qu’elle a renoncĂ© Ă  chercher du travail, car elle ne peut plus compter sur le train. Elle sait trĂšs bien qu’elle sera systĂ©matiquement en retard et qu’elle ne pourra pas conserver longtemps un Ă©ventuel job. C’est arrivĂ© Ă  une autre personne qui me l’a Ă©crit : CDD non renouvelĂ© Ă  cause des retards trop systĂ©matiques. Un autre m’a dit songer Ă  changer de boulot

pour ne plus avoir Ă  prendre le train. Ça va loin quand mĂȘme, c’est incroyable, non ? » Et quand on revient sur la perception fine que devraient avoir les dĂ©cideurs de la SNCF sur ce que Vanessa appellera Ă  plusieurs reprises le « grand bazar », elle laisse tomber : « Pardon d’ĂȘtre vulgaire, mais je crois qu’ils s’en foutent. Heureusement, ce n’est pas le cas de la RĂ©gion, je dois mĂȘme dire que je suis agrĂ©ablement surprise par le fait que M. Thibaud Philipps se dĂ©mĂšne un max pour allĂ©ger nos difficultĂ©s. De l’avis gĂ©nĂ©ral, rien ne bouge. On attendait une mise en place efficace du REME au mois de janvier, aprĂšs la catastrophe de son premier mois d’ouverture. Janvier devait donc ĂȘtre un mois de rodage, Ă  Ă©couter la SNCF. Fin janvier, toujours le mĂȘme bazar. Depuis le dĂ©but fĂ©vrier, il parle d’un trafic normal pour la fin avril, mais tous les jours, vous entendez bien, tous les jours, le bazar continue. Preuve en est avec les omnibus dont la suppression handicape lourdement des milliers de gens : ils devaient ĂȘtre rĂ©tablis aprĂšs le 6 fĂ©vrier. Et bien, Ă  part un arrĂȘt qui a Ă©tĂ© rĂ©tabli Ă  Limersheim oĂč les gens avaient pĂ©titionnĂ© en masse, rien, alors que nous sommes aujourd’hui le 10  »

Le groupe Facebook initiĂ© par Vanessa Mikuczanis est dĂ©sormais tellement frĂ©quentĂ© qu’elle songe sĂ©rieusement Ă  s’adjoindre quelqu’un qui l’aidera Ă  rĂ©pondre aux interrogations et sollicitations de ses adhĂ©rents. « C’est devenu lourd tout ça. Et j’ai dĂ» aussi rĂ©pondre aux questions de beaucoup de journalistes que le sujet du fiasco du REME intĂ©ressait. Je suis devenue bien

Vanessa Mikuczanis a mis en ligne la page Facebook TER Grand Est –Le rasle-bol des usagers

malgrĂ© moi un peu experte en la matiĂšre » rajoute-t-elle en maniant une autodĂ©rision assumĂ©e : « J’explique comme personne les galĂšres des usagers, ces petits-matins sur le quai de la gare quand, ne voyant rien venir, on s’accroche quand mĂȘme Ă  une appli pas toujours fiable qui nous a indiquĂ© une heure et demie auparavant que le train allait circuler. Retards, suppressions intempestives, excuses bidons que je pourrais vous rĂ©citer par cƓur : dĂ©faillance de matĂ©riel, indisponibilitĂ© du matĂ©riel, indisponibilitĂ© du personnel et celle-lĂ , la fameuse “rĂ©gulation du trafic”, Ă  la tĂȘte du hit-parade et qui revient si souvent. Si j’ai bien compris, c’est Ă  cause de la gare de Strasbourg qui est engorgĂ©e et qui reçoit en prioritĂ© les TGV et les autres trains grandes lignes et internationaux. Nous, on vient de notre petit coin entre Haguenau et Wissembourg, alors on est bons pour attendre, dix, quinze, quelquefois vingt minutes dans le train. On attend, on attend, on attend
 Tous les jours, aux heures de pointe, on a droit Ă  cette folie super stressante ! » Il faudrait aussi parler des nouveaux horaires du REME qui ont Ă©tĂ© Ă©tablis sans toujours tenir compte des correspondances : « Je viens de recevoir un courrier d’un voyageur qui, chaque jour, part de Hoerdt en direction d’une gare sur la ligne StrasbourgBĂąle. Quand son train arrive Ă  Strasbourg, il n’a qu’une minute pour galoper et sauter dans son deuxiĂšme train ! C’est pas du n’importe quoi ça ? » interroge-t-elle dans un sursaut de colĂšre avant de conclure, ahurie : « Et dire qu’on nous incite aujourd’hui Ă  prendre les transports en commun pour lutter contre le rĂ©chauffement climatique  » c

« À un mois du lancement du REME, je me souviens que nous Ă©tions tous trĂšs positifs. »
c DOSSIER — Le REME 29 №48 — Mars 2023 — Retour

CÎté usagers

La FNAUT est la principale association nationale qui dĂ©fend les usagers des transports. Elle fĂ©dĂšre prĂšs de 160 associations sur le territoire. Ancien magistrat et fils de cheminot, le prĂ©sident de la FNAUT Grand Est, François Giordani, impliquĂ© trĂšs tĂŽt sur le dossier du REME, commente la saga qui a conduit au fiasco de dĂ©cembre dernier


c DOSSIER — L’INCROYABLE FIASCO DU REME
François Giordani, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) Grand Est :
« On avait prĂ©venu  »

DĂšs 2016, vous avez Ă©tĂ© impliquĂ© sur ces problĂ©matiques d’évolution du TER Alsace


En quelque sorte, oui. C’est en effet en 2016 qu’au sein d’une de nos associations, ASTUS, implantĂ©e Ă  Strasbourg, nous avions participĂ© aux travaux d’un Ă©tudiant en gĂ©ographie qui avait entrepris une Ă©tude de faisabilitĂ© d’un projet tel que celui du REME. On y proposait mĂȘme trois lignes traversantes, telles que celle de la seule ligne traversante du projet REME, Saverne-SĂ©lestat. Assez rapidement ensuite, on a su que la RĂ©gion Grand Est et l’EuromĂ©tropole de Strasbourg s’était mises d’accord pour faire naĂźtre le REME. Nous avons Ă©tĂ© ravis d’ĂȘtre associĂ©s Ă  ce projet. Mais dĂšs novembre 2021, nous avons commencĂ© Ă  dĂ©chanter quand on a pu constater que la SNCF avait du mal Ă  respecter ses horaires. Les retards qui existaient dĂ©jĂ  auparavant se sont aggravĂ©s, un plan de transport adaptĂ© a d’ailleurs Ă©tĂ© mis en place de janvier Ă  juillet de l’an passĂ©, mais il n’a jamais Ă©tĂ© vraiment respectĂ©, les suppressions intempestives s’accumulant, pour toutes sortes de motifs, tous expliquĂ©s trĂšs technocratiquement : manque

de personnels suite au Covid, manque de matĂ©riels suite au Covid lĂ  aussi, des piĂšces dont la SNCF avait du mal Ă  s’approvisionner. On a mĂȘme eu droit, toujours Ă  cause du Covid, Ă  des trains qui heurtaient de plus en plus les animaux, eux-mĂȘmes de mois en moins chassĂ©s en raison des suites de la pandĂ©mie, nous disait-on sans rire. Puis il y a eu les difficultĂ©s d’embauche, suite au changement de statut en 2018
 Bref, dĂšs le dĂ©but de l’automne dernier, on a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs confĂ©rences de presse. Je ne vous raconte mĂȘme pas certains mails qu’on a reçus alors : « vous ĂȘtes aigris, vous ĂȘtes des mauvais coucheurs  ». Jusqu’au bout, en novembre dernier, Mme Dommange, la directrice du TER Grand Est, a soutenu que la SNCF ne raterait pas ce rendez-vous. M. Philipps, le vice-prĂ©sident de la RĂ©gion en charge du dossier nous a mĂȘme appris avoir reçu une lettre officielle allant dans ce sens. Apparemment, tant la RĂ©gion que l’EuromĂ©tropole ont cru la SNCF sur parole, mais nous qui les frĂ©quentions depuis longtemps, on ne leur a fait que trĂšs moyennement confiance.

« DĂšs le dĂ©but de l’automne dernier, on a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs confĂ©rences de presse. »
c DOSSIER — Le REME 33 №48 — Mars 2023 — Retour
François Giordani, président de la FNAUT Grand Est

On a donc tout fait pour attirer l’attention des dĂ©cideurs sur ce risque de carence de l’opĂ©rateur national. On avait prĂ©venu


Et dĂšs l’ouverture du REME le 11 dĂ©cembre dernier, vous avez Ă©tĂ© amenĂ© Ă  constater nombre de graves dĂ©faillances


Oui, c’est exact. DĂšs le lundi matin du 12 dĂ©cembre dernier, nous Ă©tions en place un peu partout dans les gares du rĂ©seau REME. Notre premiĂšre surprise a Ă©tĂ© de constater qu’il n’y avait pas une seule information sur la prĂ©sence du REME Ă  disposition du public. Rien sur l’ensemble des panneaux Ă©lectroniques des gares et des quais. Le REME, connais pas ! Personnellement, j’étais en gare de Geispolsheim. Des gens qui se rendaient Ă  leur travail Ă  Vendenheim ont appris par ma bouche qu’ils pouvaient dĂ©sormais rester dans le mĂȘme train pour se rendre Ă  la gare de Vendenheim. Aucune information, pas la moindre communication !

DĂšs la fin de l’aprĂšs-midi de ce mĂȘme lundi, tout a commencĂ© Ă  dĂ©railler, sans jeu de mots. Et tout s’est amplifiĂ©, de jour en jour. Ce qui a amenĂ© la SNCF Ă  mettre en place leur fameux plan de transport adaptĂ© pour les quinze jours de vacances de NoĂ«l, sur la base d’une offre diminuĂ©e d’un quart. Ce plan a Ă©tĂ© prolongĂ© par un deuxiĂšme plan du mĂȘme type dĂšs le 3 janvier, avec, notamment sur la ligne de Molsheim, une suppression de la moitiĂ© des omnibus. À notre Ă©niĂšme demande d’explications, l’opĂ©rateur national a sorti une nouveautĂ© jamais entendue jusqu’alors : il n’avait pas anticipĂ© les difficultĂ©s d’exploitation en gare de Strasbourg. Notamment

un argument assez stupĂ©fiant : les trains allaient plus souvent faire le plein en gare basse et devaient donc de façon plus nombreuse « cisailler » les voies pour ravitailler. Occasionnant ainsi des perturbations plus nombreuses elles aussi sur le trafic entrant et sortant de la gare de Strasbourg. Apparemment, personne n’avait anticipĂ© le fait que si on utilisait beaucoup plus de trains, il y aurait automatiquement beaucoup plus de mouvements pour qu’ils se ravitaillent ! Pour Ă©viter de commenter de façon excessive ce sujet, je voudrais dire qu’à la lecture du dernier plan en 46 points transmis par Mme Dommange, il n’était pas la peine d’ĂȘtre un expert pour s’apercevoir que la quasi-totalitĂ© de ces points aurait largement pu ĂȘtre anticipĂ©e bien en amont. Il y a quand mĂȘme assez d’ingĂ©nieurs des Mines ou de Polytechnique Ă  la SNCF pour gĂ©rer tout ça, non ?

Au fond, que nous dit ce fiasco ?

Il nous dit d’abord, Ă  mon avis, que les Ă©lus de la RĂ©gion et de l’EuromĂ©tropole ont voulu Ă  tout prix que le REME dĂ©marre trĂšs vite et que ça marche. En fait, les techniciens de la RĂ©gion Grand Est nous avaient d’ailleurs fait part de leur pessimisme sur la mise en place des fameux 800 trains supplĂ©mentaires chaque semaine.

Ce fiasco nous dit aussi que la SNCF s’est peut-ĂȘtre retrouvĂ©e coincĂ©e par la proximitĂ© de l’ouverture de certaines lignes Ă  la concurrence (ces lignes concernent la vallĂ©e de la Bruche et le transfrontalier vers Offenbourg – ndlr). Ce n’était peutĂȘtre pas le moment pour elle d’avouer

qu’elle ne pouvait pas tenir ses engagements
 Ce fiasco rĂ©vĂšle aussi des carences flagrantes en termes d’organisation, ce qui nous fait nous demander s’il n’y a pas partout Ă  la SNCF un savoir-faire et beaucoup de compĂ©tences qui se seraient perdus durant toutes ces derniĂšres dĂ©cennies
 Enfin, ce que nous vivons chez nous, en Alsace, avec cette triste expĂ©rience fournit une preuve Ă©clatante qui en dit long sur ce qui s’est passĂ© depuis trĂšs longtemps maintenant : les rĂ©seaux rĂ©gionaux ont Ă©tĂ© dĂ©laissĂ©s par la SNCF, on a tout mis sur le TGV. Il aurait fallu Ă©quilibrer un peu plus les investissements


Sous la pression de la RĂ©gion, la remise en circulation des omnibus a Ă©tĂ© exigĂ©e. Ça vient de se passer Ă  Limersheim oĂč ne s’arrĂȘtait plus le seul train du dĂ©but de matinĂ©e que les lycĂ©ens et les gens qui allaient bosser pouvaient prendre !

On est trĂšs au fait de tous ces manquements. DĂšs le dĂ©but dĂ©cembre, on a mis en service avec l’aide d’un informaticien un logiciel qui nous permet d’accĂ©der Ă  toutes les open datas (les sources d’information ouvertes au public – ndlr) de la SNCF. On recense ainsi en temps quasi rĂ©el toutes les suppressions, mais aussi les retards de moins de quinze minutes ainsi que ceux de moins de trente minutes, y compris sur les lignes de l’étoile ferroviaire de Strasbourg non concernĂ©es par le REME. Ce tableur est dĂ©sormais actualisĂ© chaque soir.

Et au niveau des usagers, comment se manifestent-ils ?

Inutile de vous dire qu’ils sont trĂšs remontĂ©s. Depuis que je suis devenu prĂ©sident de la FNAUT Grand Est en 2017, on n’avait jamais eu autant de mails, SMS, courriers ou d’appels tĂ©lĂ©phoniques. Tout y passe, y compris les demandes portant sur les premiĂšres semaines de dĂ©cembre janvier qui ne seront pas indemnisĂ©es dans le cadre de la rĂ©duction du montant des abonnements portant sur fĂ©vriermars-avril. Si la SNCF refuse de prendre en charge les indemnitĂ©s demandĂ©es pour les pĂ©riodes de dĂ©cembre-janvier, nous avons promis de saisir le mĂ©diateur des transports sur les demandes de ces usagers. Les situations que nous dĂ©crivent les gens sont quelquefois cauchemardesques. On ne compte plus ceux qui ont Ă©tĂ© licenciĂ©s Ă  cause de leurs trop nombreux retards, les gens en rade sur les quais de gare et j’en passe


Jamais je n’ai autant rĂ©pondu Ă  des demandes d’interview venant de la presse nationale et rĂ©gionale. C’est assez incroyable  » c

c DOSSIER — Le REME 34 №48 — Mars 2023 — Retour
Espace EuropĂ©en de l’entreprise - BĂątiment MIKADO - Schiltigheim

Et la SNCF ? Elle se tait, la SNCF


Et la SNCF ? Que pense-t-elle de ce fiasco, oĂč Ubu est au coude Ă  coude avec une flopĂ©e de technocrates pour tenter d’éteindre les feux de ce lamentable accident industriel ?

En ce qui nous concerne, nous avons trĂšs tĂŽt souhaitĂ© rencontrer StĂ©phanie Dommange, la directrice TER Grand Est, et avons effectuĂ© la demande d’entretien usuelle par mail dĂšs le 26 janvier dernier.

Sept jours plus tard, sans rĂ©ponse, nous avons rĂ©insistĂ© auprĂšs de Alice Cocatre, la responsable du PĂŽle Communication externe. Le mĂȘme jour, nous recevions de sa part les mots suivants : « Nous ne pouvons pas rĂ©pondre favorablement Ă  votre demande, car l’agenda de Madame Dommange ne nous permet pas Ă  l’heure actuelle de rĂ©server un crĂ©neau pour rĂ©pondre Ă  une interview. »

Suivaient « quelques Ă©lĂ©ments de contexte » (sic) sans grand intĂ©rĂȘt, qui n’étaient qu’un simple rappel de ce que nous savions dĂ©jĂ  dĂ©but fĂ©vrier, date de rĂ©ception de ce mail.

Dans la foulĂ©e, nous avons rĂ©itĂ©rĂ© notre demande dans un mail oĂč nous expliquions « qu’il serait quand mĂȘme assez incroyable que soient interviewĂ©s dans notre magazine les usagers ou leurs reprĂ©sentants, ainsi que les responsables politiques en charge du dossier et que nous soyions contraints de signifier Ă  nos lecteurs que malgrĂ© notre insistance, la directrice du rĂ©seau TER a refusĂ© de nous accorder un entretien  »

Correspondance close dans la foulĂ©e par la rĂ©ception (sĂšche) de ces mots : « Je vous confirme qu’il n’est pas possible de donner une suite positive Ă  votre sollicitation. »

Durant les semaines oĂč nous avons travaillĂ© sur ce dossier, les stupĂ©factions se sont enchaĂźnĂ©es, et il suffit de lire les dĂ©clarations des uns ou des autres dans les pages qui prĂ©cĂšdent pour rĂ©aliser l’ampleur du fiasco de la mise en service du REME strasbourgeois.

Mais le refus de StĂ©phanie Dommange de rĂ©pondre Ă  nos questions fut la « cerise sur le gĂąteau ».

Nous rappellerons donc nous aussi ici quelques Ă©lĂ©ments de contexte : dans cette affaire, il s’agit, d’un bout Ă  l’autre de la chaĂźne, d’un dossier vital sur bien des plans, et entiĂšrement financĂ© par de l’argent public c’est-Ă -dire notre argent Ă  tous. Ne pas perdre de vue cet aspect des choses aurait dĂ» largement suffire pour que la responsable en charge de ce projet trouve une quarantaine de minutes dans son agenda pour faire connaĂźtre au public les explications de l’opĂ©rateur national unique qu’elle reprĂ©sente.

Peut-ĂȘtre mĂȘme aurait-elle pu profiter de cet entretien pour faire valoir quelques aspects des choses sous-estimĂ©s par nos interlocuteurs oĂč par nous-mĂȘmes, susceptibles d’apporter un Ă©clairage complĂ©mentaire sur le rĂ©cit des faits et les commentaires des usagers et dĂ©cideurs politiques que nous avons livrĂ©s Ă  nos lecteurs


Ça doit ĂȘtre ça ce que l’on appelle la communication


Ce silence forcenĂ© de la SNCF ne sera pas tenable trĂšs longtemps. Car tant Thibaud Philipps, vice-prĂ©sident de la RĂ©gion Grand Est que Alain Jund, vice-prĂ©sident de l’EuromĂ©tropole de Strasbourg, s’ils parviennent encore aujourd’hui Ă  contenir la colĂšre froide qu’ils ressentent, ne vont pas mettre des mois Ă  rappeler publiquement les Ă©chĂ©ances et risquent un jour ou l’autre de violemment taper le poing sur la table.

En ligne de mire, il y a la prochaine mise en concurrence sur la ligne de la vallée de la Bruche, la ligne transfrontaliÚre vers Offenbourg et celle vers Lauterbourg.

Quelle image sera celle de la SNCF quand elle se prĂ©sentera aux auditions devant l’autoritĂ© rĂ©gionale de transport, c’est-Ă -dire la RĂ©gion Grand Est ?

Plus gĂ©nĂ©ralement (et c’est le plus important), combien faudra-t-il de temps pour que l’image de la SNCF se restaure ne serait-ce qu’un petit peu auprĂšs de nous tous, le grand public, qui mettons tant de fois la main Ă  la poche : une premiĂšre fois, via nos impĂŽts depuis des dĂ©cennies et des dĂ©cennies pour la pĂ©rennitĂ© de ce vĂ©ritable bien national, une seconde fois quasiment chaque annĂ©e, et depuis longtemps, pour Ă©ponger une grande part de son dĂ©ficit d’exploitation (le cas Ă©chĂ©ant), une troisiĂšme fois au niveau rĂ©gional (c’est le cas pour le REME) pour financer ses projets. Et une quatriĂšme fois, bien sĂ»r, pour acheter nos titres de transport quand nous utilisons ses services


M’est avis que le service communication de la vieille dame ferait bien d’agir avec discernement sur le territoire alsacien lors de sa prochaine grande campagne nationale du style « À la SNCF, c’est possible » ou « À nous de vous faire prĂ©fĂ©rer le train ».

Il lui sera peut-ĂȘtre plus prudent d’éviter d’afficher ses slogans multicolores dans le Bas-Rhin
 c

Jean-Luc Fournier.

Commentaire
c DOSSIER — LE REME c DOSSIER — Le REME 36 №48 — Mars 2023 — Retour

« On f’ra passer les histoires »

Le choc des générations

« Chaque gĂ©nĂ©ration, sans doute, se croit vouĂ©e Ă  refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas.

Mais sa tĂąche est peut-ĂȘtre plus grande. Elle consiste Ă  empĂȘcher que le monde se dĂ©fasse. »

S ACTUALITÉ — SOCIÉTÉ
39 S ACTUALITÉ

En 2023, plus de soixante ans aprĂšs ce constat fait par Camus Ă  l’occasion de sa rĂ©ception du prix Nobel en 1957, les gĂ©nĂ©rations qui lui ont succĂ©dĂ© se sentent plongĂ©es dans les eaux troubles, post-vĂ©ritĂ© oblige, d’un monde qui se dĂ©fait Ă  une vitesse digne des ordinateurs quantiques. L’intelligence artificielle et les catastrophes naturelles se font concurrence pour se dĂ©barrasser de l’humain producteur et consommateur de biens et de services des annĂ©es fastes du capitalisme en Occident. Des croyances en tout genre fragmentent les sociĂ©tĂ©s jadis homogĂšnes. Et alors que Pasolini regrettait dans les annĂ©es 70, au sens propre et figurĂ©, la disparition des lucioles dans sa campagne natale, aujourd’hui, le capitalisme dans sa phase

de prĂ©dation finale tend Ă  dĂ©truire ses propres ressources de production : la planĂšte et l’humanitĂ©.

Sans confiance en l’avenir, dans un quotidien dĂ©barrassĂ© du temps lent et contemplatif, grands-parents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du « prĂ©cieux hĂ©ritage ». Se produit alors « le choc des gĂ©nĂ©rations » sur fond de sidĂ©ration et de perte de repĂšres anthropologiques. Wokes de la gĂ©nĂ©ration Z contre grands-parents baby-boomers rĂ©ac ! Le match est annoncĂ© et le terrain est surtout celui des classes dĂ©favorisĂ©es, mais pas que
 Sans prĂ©tention d’analyse sociologique, prĂȘtons l’oreille Ă  quelques histoires strasbourgeoises, contĂ©es ou Ă©crites. On s’apercevra peutĂȘtre que le tableau reflĂšte plus que cinquante nuances de gris


T’ES UN MONSTRE, PAPI !

« Je n’avais qu’une petite fille, maintenant je n’ai que
 je ne sais quoi, le mot n’existe sĂ»rement pas dans le Larousse », raconte R.B., l’air accablĂ© et confus.

Il ne veut surtout pas que son nom paraisse dans le journal. La honte ? AccoudĂ© Ă  une de ses tables prĂ©fĂ©rĂ©es au snack Michel, il roule nerveusement entre ses doigts jaunis par le tabac une Marlboro qu’il ne peut plus fumer Ă  l’intĂ©rieur depuis des lustres, mais le rĂ©flexe y est encore ! Puis, il lĂšve enfin le regard. « Elle n’est pas vraiment devenue un garçon, tu sais. C’est qu’on lui a tournĂ© la tĂȘte, voilĂ  ce que je pense, moi. À la fin du lycĂ©e, ça a commencĂ© dĂ©jĂ  Ă  disjoncter, puis quand elle est allĂ©e Ă  la fac de socio, en plein Covid, on ne pouvait plus Ă©changer sans que ça dĂ©rape. Sa mĂšre m’a fait comprendre qu’elle s’était fait agressĂ©e sexuellement ou quoi
 Sa mĂšre, ma fille, est divorcĂ©e, mais elle a une bonne situation. Avec ma femme, emportĂ©e par le cancer il y a dix ans, on avait tout fait pour que notre unique progĂ©niture s’en sorte mieux que nous. Prof de Français au lycĂ©e, l’abondance n’y est pas, mais ça te met bien Ă  l’abri. Le pĂšre de ma petite fille, lui, a foutu le camp Ă  Paris et n’en a rien Ă  cirer de sa famille
 De toute façon la famille, c’est du passĂ©, bienvenue dans les mondes des aliĂ©nĂ©s de tout genre ! »

R.B. avale sa gorgĂ©e de biĂšre : « On ne s’y reconnaĂźt plus en rien, face Ă  tous ces miroirs dĂ©formĂ©s. À la sortie du Covid, l’an dernier j’ai revu ma petite fille pour PĂąques, mĂ©connaissable : fringuĂ©e

40 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

comme un mec, tatouĂ©e de partout, piercings et compagnie. Moi aussi, j’ai des tatouages, mais je suis un vieux con. Je lui ai dit :

– Qu’est-ce qui t’arrive, t’as perdu la boule ? T’as l’air de vouloir te faire passer pour un mec !

– Ça te dĂ©range ? qu’elle me rĂ©pond, effrontĂ©e comme jamais.

– Bah, oui, t’es ma petite fille. Elle m’a sorti ensuite tout un discours sur les victimes de la domination mĂąle et l’apocalypse Ă©cologique imminente, comme si tout Ă©tait de ma faute.

– Je n’ai pas compris, puisque tout est la faute des mĂąles blancs, pourquoi t’es en train de te transformer en garçon ? Tu veux faire partie de ces mecs qui tombent enceints ? T’as vu passer sur Facebook les affiches du planning familial cet Ă©té ?

– Non, je n’ai pas de Facebook, c’est ringard. Tu n’as toujours rien compris, Papi, comme d’hab’. Je ne suis pas un garçon, ni une fille, et ce n’est ni mon vagin, ni mes fringues qui peuvent m’obliger à m’y soumettre


– Enfin, tu ne peux pas comparer ton
 sexe de femme Ă  n’importe quel autre accessoire que tu changes comme ça te chante ! C’est irrĂ©el, du pur dĂ©lire tout ça !

– Ce qui est rĂ©el ou pas c’est Ă  moi d’en dĂ©cider Papi, mais en ce qui concerne de tomber enceint·e, ne compte pas sur moi. On est dĂ©jĂ  trop nombreux sur terre.

– Je vois ça, tu es bien partie pour te faire berner par ces nantis qui veulent faire partie d’une caste d’immortels rĂ©duisant le reste de la population en compost bio


Bon, aprĂšs elle m’a traitĂ© d’ivrogne complotiste, de monstre
 ma petite fille qui adorait grimper sur mon dos quand on se baladait dans les Vosges  »

DU GRAND-PÈRE ZOOM À LA MAMIE SPORTIVE

Ailleurs, sous d’autres toits strasbourgeois des histoires plus romantiques, mais tout aussi rĂ©vĂ©latrices se font conter. À l’initiative de deux grand-mĂšres Ă©mancipĂ©es et modernes – l’écrivaine et comĂ©dienne Astrid Ruff et la professeure linguiste Christine HĂ©lot – le Verger Ă©diteur publiait l’an dernier le recueil collectif Histoires de grands-parents 1. Du grand-pĂšre zoom Jack Donovan Ă  la mamie sportive Astrid, tous adoptent avec plaisir le concept de « grand-merdage » de l’écrivaine Susie Morgenstern. Affranchis « des carcans statutaires », ils semblent « entrer de plain-pied dans des relations modernes, plus librement choisies » avec

leurs petits-enfants. PrĂ©cision de taille : leurs « anges » sont encore Ă  la maternelle ou Ă  l’école Ă©lĂ©mentaire !

N’empĂȘche que RĂ©gine et Éric Delamotte font dĂ©jĂ  face Ă  « la fabrication du genre » chez leurs hĂ©ritiers constatant que « la peur de la fille garçon-manquĂ©, ou du garçon effĂ©minĂ©, semble avoir perdu de son intensitĂ©. » Ils remarquent que leur petite fille Olga, attirĂ©e plus par le personnage de Mulan que celui de Blanche Neige, se passionne davantage pour les jeux de billes Ă  la rĂ©crĂ©ation, tandis que leurs petits fils Niels et Ulysse ne se prĂ©cipiteront pas vers les poupĂ©es ou le saut Ă  la corde.

« Ulysse, qui vient d’avoir trois ans, dĂ©clare :

Moi, je ne suis pas une fille.

– Oui, on le sait, disent les grandsparents, tu es un garçon.

Visage buté :

– Non, je ne suis pas un garçon, moi. Ce que je suis, peu importe, mais une chose est sĂ»re : depuis que je vais Ă  l’école, je sais que je ne suis pas une fille ! »

Tu vois cher R.B., tu as raison d’attirer l’attention de ta petite fille sur la paradoxale dĂ©faite du fĂ©minisme !

LE CHOIX EST ROI

On comprend, tout est devenu une question de « libre » choix, Ă  commencer par la nourriture : « Dans le temps, nos grands-parents mettaient la table et ne demandaient pas ce que l’on aime

ou n’aime pas. C’était le mĂȘme plat pour tous », remarque l’écrivain strasbourgeois Pierre Kretz, auteur de cinq petits enfants avec Astrid Ruff.

« Quand les petits arrivent chez nous Ă  midi, reprend mamie Ruff, c’est toute de suite " J’aime pas les brocolis, ni les haricots, ni les carottes "
 Et ça commence, la distribution selon les choix et les dĂ©sirs particuliers des uns et des autres. Il faut savoir que nos deux fils ont des habitudes alimentaires trĂšs diffĂ©rentes, le grand Ă©tant retournĂ© Ă  une stricte obĂ©dience du rite juif et le cadet Ă©tant plutĂŽt agnostique et vĂ©gan. Leurs petits ont ainsi des usages alimentaires et vestimentaires trĂšs diffĂ©rents, par exemple les filles de mon grand ne portent jamais de pantalons  » Alors ça ! Mamie Astrid, elle en porte Ă  volontĂ© des pantalons et cela fait partie de son image de mamie moderne. « Mamie, elle est comme la grand-mĂšre dans La valise rose de Susie Morgenstern : elle fait des cadeaux bizarres, elle est sportive, elle a les cheveux courts », remarquent ses petits-enfants.

Florence Hugodot n’est pas prĂȘte, elle non plus, Ă  se transformer en grandmĂšre Ă  temps plein : « qu’est-ce que ça va ĂȘtre casse-pied
 Et dur, dur, de remettre Ă  plus tard toutes ces petites obligations quotidiennes qui me tiennent en vie : gym, chorale, cours d’anglais, exercices de mĂ©moire, thĂ©s de dames, permanence sociale, cycle de confĂ©rences sur le prĂ©-classicisme nĂ©o-baroque en BohĂšme-Moravie  »

« Sans confiance en l’avenir, dans un quotidien dĂ©barrassĂ© du temps lent et contemplatif, grandsparents et petits-enfants profitent moins des joies et des tendresses de la transmission du “prĂ©cieux hĂ©ritage”. »
–
41 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

donc Ă  leurs enfants et leurs petits enfants de “corriger le tir”, mais Ă  leur maniĂšre. »

Ah, les mamies modernes ! Le choc des gĂ©nĂ©rations se prĂ©pare donc bien avant l’arrivĂ©e des Wokes. Et si on interrogeait ces grands-parents 2.0 sur le souvenir de leurs ancĂȘtres ? On s’aperçoit que la petite Astrid Ruff ne pouvait pas communiquer en allemand avec sa mamie car celle-ci ne parlait pas le français, que la barbe de jeunesse de François Kahn imitait celle de Che Guevara plutĂŽt que celle du rabbin, que Pierre Kretz a reniĂ© les rites catholiques de ses aĂŻeux. Ne sont-ce pas d’ailleurs les grands-parents d’aujourd’hui qui ont profitĂ© de la pilule et de la libĂ©ration des mƓurs ? Participant Ă  la dĂ©construction des modes de vie traditionnels, ils ont foncĂ© tĂȘte en avant dans l’individualisme matĂ©rialiste. C’est donc Ă  leurs enfants et leurs petits enfants de « corriger le tir », mais Ă  leur maniĂšre.

LA ROUE DE SAMSARA : LES PETITS VENGENT LEURS ARRIÈRES GRANDS-PARENTS ?

N’est-ce pas curieux ce retour au canon religieux chez les nouvelles gĂ©nĂ©rations de la communautĂ© juive de Strasbourg et d’ailleurs ? Et aussi paradoxal que cela puisse sembler, « la religion woke » n’exprime-t-elle pas le mĂȘme besoin de sortie du dĂ©terminisme matĂ©rialiste et des valeurs progressistes de la modernité ?

« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus esclave, ni homme libre, il n’y a plus

ni homme, ni femme, car vous ĂȘtes tous un en JĂ©sus-Christ », lit-on dans l’Epitre aux Galates, 3,28 de Saint-Paul, devenu l’inspiration d’une nouvelle gnose du militantisme de gauche2. Les athĂ©es d’hier adoptent les stratĂ©gies d’un apĂŽtre chrĂ©tien ! Face aux pressions d’une sociĂ©tĂ© de plus en plus rĂ©gulĂ©e, le libre choix du genre prĂŽnĂ© par les Wokes est vĂ©cu comme une forme d’émancipation. On y propose de transformer le rĂ©el, considĂ©rĂ© pure illusion, un peu Ă  l’image du samsara bouddhiste
 Tout serait parfait si le fanatisme n’était pas aux aguets. Religieux ou woke, les petits enfants tendent parfois vers un obscurantisme digne des endoctrinements idĂ©ologiques de leurs aĂŻeux, tout au nom de LA « vĂ©rité ».

« Nous participons d’une chaĂźne vivante qui se poursuit bien aprĂšs nous, dans les perspectives sombres de bouleversements climatiques encore inconnus, rappelle IrĂšne Fenoglio. GrĂące aux petits-enfants, nous prenons notre juste place – avec un amont et un aval – dans cet univers vertigineux dont nous ne connaissons pas la fin »  R.B. se sent reniĂ© par sa petite fille transgenre, mais il lui a sĂ»rement transmis, Ă  son insu, une part de lui qui continuera Ă  se transformer et changer le monde bien aprĂšs son passage sur Terre.

« Mamina, tu peux mettre du rap français ? » dit Ă  sa grand-mĂšre, Malia encore Ă  la maternelle. IrĂšne Feroglio s’exĂ©cute « trĂšs obĂ©issante, mettant la radio que tonton Mahdi lui a indiquĂ©e  »

Et c’est peut-ĂȘtre la chanson d’Orelsan, une des stars du rap français.




Mes grands-parents croient en l’évangile

Leurs enfants ont dĂ©cidĂ© d’laisser JĂ©sus tranquille

Mon grand-pÚre utilise le mot pédé pour dire pédophile

Il s’endort entre les plats comme s’il Ă©tait sous Lexomil

Mes grands-parents ont l’disque-dur qui commence à ramer

On f’ra passer les histoires, laissera pas la mĂ©moire s’effacer S

« C’est
1- Astrid Ruff et Christine Hélot, Histoires de grands-parents, Le Verger éditeur 2022
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2- Alain Badiou, Saint-Paul. La fondation de l’universalisme, PUF, 2015

S ACTUALITÉ — LE CENTRE QUI RASSURE

CƓur battant RECOR C

Sur trois Ă©tages, immĂ©diatement voisin de la Clinique de l’Orangerie Ă  laquelle il appartient et dont il dĂ©pend directement, le centre RECOR du 23 de l’AllĂ©e de la Robertsau affiche clairement sa nature juste sous son acronyme : Centre de rĂ©adaptation Cardiaque de l’Orangerie. Ici sont accueillis toutes celles et ceux qui ont Ă©tĂ© victimes d’un accident cardiaque et c’est une prise en charge diablement professionnelle qui les attend


es patients ont tous vĂ©cu, quelquefois trĂšs soudainement, un problĂšme avec leur cƓur. Cela va du rĂ©trĂ©cissement d’une artĂšre coronaire rapidement et efficacement « rĂ©glé » par la pose d’un stent (une intervention quasi routiniĂšre aujourd’hui) Ă  l’opĂ©ration Ă  cƓur ouvert des valves cardiaques en passant par un pontage plus ou moins compliquĂ©. Quelquefois aussi, c’est l’infarctus qui s’est invitĂ©, brutal et redoutĂ©, et on y a survĂ©cu


Dans tous les cas, il faut impĂ©rativement rĂ©apprendre Ă  vivre avec les consĂ©quences de la maladie, voire mĂȘme prĂ©venir d’autres Ă©pisodes pouvant s’avĂ©rer bien plus graves encore.

C’est gĂ©nĂ©ralement le cardiologue ou le mĂ©decin traitant qui parlent les premiers de RECOR et qui invite le patient Ă  pousser la porte du 23 de l’AllĂ©e de la Robertsau.

Jean-Luc Fournier Nicolas Rosùs – Gilles Schacherer – DR
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Une partie de l’équipe du Centre RECOR

AprĂšs un check-up complet (dont un Ă©lectrocardiogramme), le feu vert donnĂ©, chaque patient Ă©tablit avec une cardiologue le dĂ©but de son planning personnel. Vingt sĂ©ances sont ensuite programmĂ©es (dix autres peuvent s’y ajouter, Ă  l’issue du programme, si le patient en ressent la nĂ©cessité )

UN PROGRAMME TRÈS ÉTUDIÉ

Trois Ă©tages donc, et autant de modules invariables, chacun s’étalant sur 45 minutes soit le matin soit l’aprĂšs-midi.

Les deux premiers sont affaire de condition physique. Les 45 premiĂšres minutes se passent sur un vĂ©lo ou un tapis de marche (il existe mĂȘme un rameur). Sous surveillance constante par monitoring, on y travaille l’endurance et la cardio en respectant scrupuleusement les programmations fixĂ©es, surveillĂ©s par un staff de trois infirmiĂšres spĂ©cialisĂ©es en permanence sur place.

Un quart d’heure de rĂ©cupĂ©ration et de dĂ©tente puis on entame ensuite 45 minutes de gymnastique. Six patients par groupe sont pris en charge par un des deux enseignants en Ă©ducation physique adaptĂ©e. Tout le corps est peu Ă  peu sollicitĂ©, le thorax, les bras, les jambes, les articulations par le biais d’exercices collectifs rythmĂ©s par une discrĂšte musique entraĂźnante. Les trois quarts d’heure se concluent immuablement par l’incontournable sĂ©ance d’étirements qui Ă©vite les courbatures du lendemain. Bien sĂ»r, dans cet atelier, les enseignants respectent le rythme et l’ñge de chacun


La demi-journĂ©e se termine par un atelier aux thĂ©matiques trĂšs variĂ©es dit « d’éducation thĂ©rapeutique » : animĂ© par des praticiens spĂ©cialistes, on y parle de diĂ©tĂ©tique, d’équilibre alimentaire, de gestion du stress, de relaxation, de bonnes pratiques en matiĂšre d’activitĂ© physique, etc. sans oublier une information complĂšte sur les types de mĂ©dicaments assez nombreux lors de la prise en charge de ces pathologies.

Le programme RECOR est bien sĂ»r entiĂšrement pris en charge par l’Assurance Maladie ; mieux mĂȘme, si le patient en ressent le besoin et en manifeste un intĂ©rĂȘt Ă©vident, vingt autres sĂ©ances peuvent automatiquement se mettre en place lors de chaque annĂ©e civile. S

Ce consultant-formateur spĂ©cialisĂ© en intelligence collective vient de passer le cap de la soixantaine. L’étĂ© dernier, il a rĂ©alisĂ© une performance assez rare avec sa grande traversĂ©e des Alpes qu’il avait prĂ©vu de rĂ©aliser en 2020
 juste avant que son cardiologue ne dĂ©cĂšle ses problĂšmes cardiaques. Il raconte


« J e pratique la randonnĂ©e depuis pas mal de temps » Ă©voque Gilles. D’ailleurs, un an avant la grande traversĂ©e des Alpes telle qu’elle Ă©tait prĂ©vue initialement, j’avais effectuĂ© la traversĂ©e des Vosges, de Wissembourg jusqu’à Thann, soit 410 kilomĂštres environ.

Pour me prĂ©parer, je marchais quasiment chaque week-end et je me sentais toujours bien en rando. Depuis une dizaine d’annĂ©es, j’avais rectifiĂ© de moimĂȘme pas mal de choses concernant ma santé : arrĂȘt du tabac, perte de poids, une quinzaine de kilos, quand mĂȘme. Bref, je me sentais donc parfaitement capable de relever ce dĂ©fi un peu fou de traverser les Alpes du nord au sud. Et comme j’avais dĂ©cidĂ© de dormir en refuge, j’avais dĂ©jĂ  tracĂ© mon parcours, effectuĂ© mes trente rĂ©servations et je me prĂ©parais donc en prĂ©vision de cette rando d’exception.

Ma fille aĂźnĂ©e, Mathilde, est hĂ©matologue-rĂ©animatrice et, dans les mois prĂ©cĂ©dents, elle m’a pris littĂ©ralement

« Au centre RECOR, on te responsabilise en faisant appel Ă  ton intelligence de la situation »
Un patient, Gilles Schacherer
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le chou : « Papa, tu ne vas quand mĂȘme pas te lancer dans ce projet sans aller voir un toubib  » Elle a insistĂ© si fort que j’ai fini par prendre un rendez-vous avec un gĂ©nĂ©raliste, le premier depuis des annĂ©es ! Il constate un peu d’hypertension, il m’ausculte et finit par me dire : « Bon, ce serait quand mĂȘme bien de voir un cardiologue  »

À l’examen, ce dernier souhaite que je fasse un test d’effort un peu plus poussĂ©, accompagnĂ© d’une coronarographie exploratoire. Nous sommes alors en mars, cinq mois avant le dĂ©part prĂ©vu de la traversĂ©e et le diagnostic tombe : rĂ©trĂ©cissement coronaire, il faut poser deux stents, et rapidement de plus. Ce qui sera fait trois semaines plus tard, aprĂšs que j’aie annulĂ© ma rando. Je vous laisse le soin d’imaginer alors ma dĂ©ception, elle a Ă©tĂ© Ă©norme. Tellement passionnĂ©, j’ai quand mĂȘme fait une toute petite rando de cinq kilomĂštres, fin avril, huit jours aprĂšs l’intervention. Le dĂ©nivelĂ© Ă©tait ridicule, 150 mĂštres, et bien j’étais au bout de ma vie ! Ensuite, j’ai bossĂ© normalement et, malgrĂ© tout, l’étĂ© suivant, j’ai quand mĂȘme fait 550 kilomĂštres sur le chemin Stevenson et retour, dans le Massif Central, qui est assez connu (le film Antoinette dans les CĂ©vennes a Ă©tĂ© en grande partie tournĂ© sur ce chemin – ndlr), un circuit que j’avais suivi parce que c’était nettement plus plat que les Vosges et, a fortiori, les Alpes  »

Un an plus tard, Gilles Schacherer, obstinĂ©, entamera donc la traversĂ©e des Alpes (lire l’encadrĂ© ci-contre).

DE PRÉCIEUX REPÈRES


C’est son cardiologue qui attirera son attention sur le centre RECOR. DĂšs la pose des deux stents rĂ©alisĂ©e, le spĂ©cialiste avait insistĂ© sur le fait que ce serait intelligent d’entamer une rééducation cardiaque. « Ce n’était pas un besoin absolu » se souvient Gilles Schacherer « mais comme je ne cessais de lui parler de mes projets de randos, il a jugĂ© cela trĂšs pertinent. Donc, je me suis engagĂ© dans ce parcours que j’ai rĂ©alisĂ© en deux parties, avant la rando dans le Massif Central et juste aprĂšs. Les deux premiers mois ont d’ailleurs servi en partie de prĂ©paration, mĂȘme si aucun effort dĂ©mentiel n’est bien sĂ»r jamais demandĂ© durant le programme RECOR. Ce programme

m’a quand mĂȘme beaucoup aidĂ©, car il comporte aussi cette phase trĂšs intĂ©ressante de conseils et de recommandations concernant la diĂ©tĂ©tique, l’hygiĂšne de vie


Pour la petite histoire, une fois le programme achevĂ©, en octobre, mon cardio n’était toujours pas trĂšs chaud pour que je parte sur la traversĂ©e des Alpes. Du coup, je me suis inscrit dans une salle de sports oĂč j’ai pas mal travaillĂ© la cardio sur le tapis et le vĂ©lo. Je l’ai fait seul, mais en fait je me suis alors rendu compte que RECOR m’avait permis de prendre de prĂ©cieux repĂšres qui m’ont permis d’augmenter peu Ă  peu l’intensitĂ© des efforts. Le tout, complĂ©tĂ© par les randos du week-end, m’a bien permis de retrouver ma forme d’auparavant. Puis de l’amĂ©liorer encore. En fait, je savais ce que je faisais. La rando de 550 km dans le Massif Central, c’était un cumul de 17 000 mĂštres de dĂ©nivelĂ© positif. Je n’ai cependant jamais perdu de vue la traversĂ©e des Alpes, qui reprĂ©sentait la mĂȘme distance, mais avec un cumul de 36 000 mĂštres de dĂ©nivelé  »

En se rappelant de son parcours dans le centre de l’AllĂ©e de la Robertsau, Gilles se souvient qu’il a eu le sentiment de gĂ©rer son ambition dans la transparence. « À mon arrivĂ©e Ă  RECOR, j’ai tout de suite prĂ©venu que mon objectif restait de rĂ©aliser avec succĂšs cette traversĂ©e des Alpes. Mon cardio Ă©tant donc parfaitement au courant lui aussi, on a Ă©tĂ© trois Ă  gĂ©rer cette situation. Avec lui, on s’était assez tĂŽt fixĂ© la date de mars 2022 pour qu’un nouveau test d’effort couplĂ© avec une Ă©chographie simultanĂ©e vienne confirmer que je pouvais entreprendre ce projet sans souci. Ce qui fut fait avec, au terme, le feu vert espĂ©ré !

Un an aprĂšs, le consultant dresse un bilan Ă©logieux de RECOR. « En tout premier lieu » se souvient-il, « on te responsabilise en faisant appel Ă  ton intelligence de la situation. L’idĂ©e de fond est de te permettre de prendre toi-mĂȘme ta maladie en charge de façon trĂšs autonome. Ce point-lĂ  m’a paru dĂ©jĂ  plus qu’intĂ©ressant, d’emblĂ©e. Le parcours brasse tout ce que tu dois prendre en compte : l’activitĂ© sportive, bien sĂ»r, mais aussi toute la partie accompagnement sur tous les autres aspects de ton quotidien comme la gestion du stress, la qualitĂ© et la diversitĂ© de ton alimentation, la comprĂ©hension des mĂ©dicaments par exemple  » S

La traversée des Alpes

« Un des grands voyages de ma vie ! »

Dix-sept mois aprĂšs la pose de ses deux stents, Gilles Schacherer a donc bouclĂ© cette fameuse traversĂ©e. « Je ne veux pas vous abreuver de chiffres » dit-il, « mais, pour faire court, le parcours c’est 595 km en 33 journĂ©es de marche, 35 570 mĂštres de dĂ©nivelĂ© positif, 35 940 mĂštres de dĂ©nivelĂ© nĂ©gatif. Le tout reprĂ©sente 1 040 000 pas et tout ça pour descendre de 372 mĂštres, c’est-Ă -dire la diffĂ©rence d’altitude entre le lac LĂ©man, au dĂ©part, et les plages de la MĂ©diterranĂ©e Ă  Menton, Ă  l’arrivĂ©e. Faut ĂȘtre fĂȘlĂ©, non ? » rigole-t-il de façon tout Ă  fait dĂ©complexĂ©e


46 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

« Tous les jours, tu te dis : mais pourquoi tu te fais mal comme ça ? Mais qu’est-ce que tu es venu foutre là ?

Pour simplifier, la premiùre semaine tu en chies vraiment, parce que les Alpes, ça n’a vraiment rien à voir avec ce que je connaissais auparavant, comme les Vosges par exemple. Dans nos montagnes, il y a aussi des endroits raides à monter, mais c’est sur un kilomùtre ou à peine plus. Là-bas, ça dure pendant huit kilomùtres !

Quand tu te tapes les 1 200 mĂštres de dĂ©nivelĂ© du BrĂ©vent qui se dresse d’un coup au-dessus de Chamonix, sous l’orage, tu surmontes un dĂ©fi mental diabolique


Cette premiĂšre semaine est d’autant plus infernale que le GR accumule beaucoup, vraiment beaucoup de dĂ©nivelĂ©, et ce, dĂšs la premiĂšre Ă©tape.

La deuxiĂšme semaine, physiquement tu t’es un peu habituĂ©, mais c’est alors le mental qui te travaille. En permanence, tu te demandes vraiment le sens de ce que tu es en train de vivre.

Mais Ă  partir de la troisiĂšme semaine, tu finis par trouver bien anormal de ne pas marcher. Et mĂȘme durant les jours de repos, tu marches quand mĂȘme un peu


Sur la fin, dans le Mercantour, j’ai vraiment rĂ©alisĂ© l’extrĂȘme difficultĂ© de cette randonnĂ©e. On frĂŽle en permanence la frontiĂšre italienne, ça monte vraiment trĂšs raide et on est en permanence dans les Ă©boulis. Je me souviendrai longtemps de la vallĂ©e de la Roya, dĂ©vastĂ©e Ă  l’automne 2021 par les gigantesques torrents d’eau et de boue. On dĂ©couvre toujours des paysages de guerre, lĂ -bas


Et c’est le dernier jour, celui de l’arrivĂ©e Ă  Menton. Tous les randonneurs au long cours te le diront, c’est le jour que tu n’as jamais cessĂ© d’espĂ©rer atteindre depuis le dĂ©but et pourtant, pour moi ça a Ă©tĂ© le jour le plus dĂ©cevant. Bon, Menton, c’est mignon, mais voilĂ , tu retrouves de nouveau les bagnoles et tout le reste, tu vis un peu le syndrome de tout qui s’écroule autour de toi.

En fait, j’ai rĂ©alisĂ© lĂ  un des grands voyages de ma vie. C’est un profond voyage en soi, bien sĂ»r, mais aussi un voyage en plein cƓur des problĂšmes du monde : en traversant les Alpes, tu es confrontĂ© Ă  la sĂ©cheresse et pas qu’un peu, il y a plusieurs refuges oĂč je n’ai pas pu prendre de douche, par exemple
 Certains autres Ă©taient mĂȘme fermĂ©s, ce qui n’était jamais arrivĂ© dans l’histoire. Et dans certains lacs, il n’y avait plus d’eau


Partout, la biodiversitĂ© est en grand danger, quand tu croises des gardes et que tu discutes un peu avec eux, ils te le confirment tristement. Tu entends aussi beaucoup parler de la gestion de la prĂ©sence du loup et sa cohabitation avec la vie pastorale. C’est trĂšs compliquĂ©. Je me suis fait attaquer par des bergers d’Anatolie, des chiens de berger qui ressemblent Ă  des patous, mais qui sont beaucoup plus agressifs.

Et puis, tu te frottes aussi au problĂšme du tourisme de masse, comme durant ces deux jours qui ont suivi mon Ă©tape Ă  Chamonix, sur ce qui s’appelle le tour du Mont-Blanc. Ils sont en grappes, ça vient des USA, de CorĂ©e et ça arrive lĂ  par bus entiers. Au-dessus de toi il y a les hĂ©licos qui, toute la journĂ©e, dĂ©posent les gens pour faire des courses en montagne. Et puis, durant les derniers kilomĂštres oĂč tu longes quasiment en permanence la frontiĂšre italienne, tu rĂ©alises les problĂšmes de l’immigration : les migrants sont partout sur les quarante derniers kilomĂštres. Partout ! Les relais des passeurs et les planques abondent  »

Revenant a posteriori sur « ce coup de bambou » que fut l’irruption de la maladie dans sa vie sans que jamais le moindre symptĂŽme ne se soit prĂ©sentĂ© en amont, et fort de sa belle expĂ©rience l’étĂ© dernier, Gilles Schacherer confirme qu’il n’oublie cependant pas pour autant ce qui s’est passĂ© en mars 2020, ne serait-ce que parce qu’il doit « prendre dĂ©sormais un traitement mĂ©dical chaque matin » 

« Mais je suis dĂ©jĂ  en train de rĂ©flĂ©chir oĂč je vais aller marcher cet Ă©tĂ©. J’hĂ©site entre la grande traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es, c’est encore le cran au-dessus avec ses 800 km, mais lĂ , comme je rentre du Maroc oĂč j’ai fait un trek dans les dĂ©serts du grand sud, un guide m’a proposĂ© la traversĂ©e de l’Atlas en dix-sept jours via deux sommets de 4000 mĂštres. Du coup, j’hĂ©site  » avoue-t-il. »

47 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Le programme RECOR

Adopter les bons comportements aprùs le problùme cardiaque


La cardiologue Marie LĂ©vy est en poste au centre RECOR depuis trois ans. En tant que responsable de ce service intĂ©grĂ© au sein de la Clinique de l’Orangerie, elle coordonne l’activitĂ© de plusieurs infirmiĂšres et spĂ©cialistes de la santĂ© ainsi que des deux enseignants en activitĂ© physique adaptĂ©e qui offrent aux patients de RECOR un programme complet de rĂ©adaptation cardiaque


La premiùre question qu’on a envie de poser concerne tous ces patients qui suivent ce programme. Comment arrivent-ils ici ?

Il y a ici deux sortes de populations. Il y a les patients qui ont eu un problĂšme cardiaque et qui ont Ă©tĂ© hospitalisĂ©s Ă  l’issue d’un infarctus ou pour la pose d’un stent qui a Ă©tĂ© programmĂ©e aprĂšs des explorations demandĂ©es par leur cardiologue. Ces patients arrivent ici pour qu’on les aide Ă  reprendre leur vie d’avant tout en surveillant qu’il n’y ait pas de limites particuliĂšres Ă  leur fixer et en leur donnant toutes sortes de conseils et d’explications en matiĂšre diĂ©tĂ©tique, qualitĂ© de vie, sportive ou relative Ă  la gestion du stress, entre autres
 Le point-clĂ© est d’éviter les rĂ©cidives et de permettre aux patients de reprendre une vie la plus normale possible


Il y aussi ceux qui viennent dans le cadre de ce que nous appelons la prĂ©vention primaire. Ils n’ont jamais eu le moindre problĂšme cardiaque, mais leur cardiologue ou leur mĂ©decin traitant les ont identifiĂ©s « à risque » dans ce domaine. GĂ©nĂ©ralement, le but est de modifier leur mode de vie en gĂ©nĂ©ral, l’alimentation, le poids, l’activitĂ© physique rĂ©guliĂšre. À notre niveau, nous essayons donc de corriger ce qui peut l’ĂȘtre afin d’éviter qu’un Ă©vĂ©nement cardiaque survienne


Le programme est-il le mĂȘme pour tous ?

On essaie de l’adapter au cas par cas, mais, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on propose une vingtaine de sĂ©ances sur un crĂ©neau de trois heures pour chacune d’entre elles, les deux tiers Ă©tant consacrĂ©s Ă  une activitĂ© physique et le troisiĂšme tiers Ă©tant dĂ©volu Ă  ce que nous appelons l’éducation thĂ©rapeutique et ses nombreux ateliers comme la diĂ©tĂ©tique, la maladie, les mĂ©dicaments, entre autres
 Quand il y a eu une hospitalisation pour un problĂšme cardiaque, on dose Ă©videmment l’endurance en fonction du profil de chaque patient et, petit Ă  petit, sĂ©ance aprĂšs sĂ©ance, on augmente un peu l’intensitĂ©. À la fin des vingt sĂ©ances de base, si les gens sentent qu’ils peuvent encore s’amĂ©liorer sur le plan de l’activitĂ© physique, on peut prolonger le programme avec dix autres sĂ©ances supplĂ©mentaires. Nous adaptons en permanence ce programme en tenant compte de tous les profils des gens qui viennent le suivre ici


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48 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Marie Lévy, cardiologue, dirige le Centre Recor

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Quel est le profil de vos collùgues qui travaillent dans ce service ?

Nous sommes tous salariĂ©s de la Clinique de l’Orangerie et nous avons tous auparavant ƓuvrĂ© au sein de services de soins hospitaliers classiques. Nous avons tous Ă©tĂ© affectĂ©s ici sur la base du volontariat. Du coup, il y a une belle osmose dans cette Ă©quipe et ce service est rĂ©putĂ© comme Ă©tant agrĂ©able pour y travailler. Je crois que ceci provient du fait que les patients qui sont ici y arrivent volontairement et qu’ils sont partants pour suivre ce programme. Dans un service hospitalier classique, on est bien sĂ»r contraint d’ĂȘtre lĂ  et on n’a qu’une hĂąte, le quitter le plus vite possible. Globalement, il y a donc une trĂšs bonne entente entre nous tous et les quelques petits problĂšmes qui surviennent sont rares d’une part, et vite solutionnĂ©s ensuite
 Cela vaut aussi pour les deux enseignants en activitĂ© physique adaptĂ©e qui prennent en charge le module de gymnastique, ils sont eux aussi intĂ©grĂ©s Ă  plein temps au sein de l’équipe du centre RECOR


Vous-mĂȘme, comment avez-vous intĂ©grĂ© ce service ?

AprÚs mes études de médecine et mon internat de cardiologie à Strasbourg, mon

premier poste a Ă©tĂ© Ă  l’Institut universitaire de RĂ©adaptation cardiaque ClĂ©menceau situĂ© sur le site d’Illkirch-Graffenstaden qui venait d’ouvrir et qui cherchait des cardiologues. Je crois que ce qui m’a attirĂ© sur ce poste Ă©tait le cĂŽtĂ© Ă©change avec les gens, loin des choses un peu plus stressantes, agressives ou invasives qu’on connaĂźt dans nos mĂ©tiers, Ă  l’hĂŽpital. J’ai adorĂ© ce premier poste et Ă  l’étĂ© 2019, j’ai Ă©tĂ© contactĂ©e par l’ancienne cheffe de service d’ici qui partait Ă  Colmar. J’adorais tellement mon Ă©quipe Ă  Illkirch que la dĂ©cision a Ă©tĂ© un peu difficile Ă  prendre, mais je n’ai rien regrettĂ© ensuite, car ici, j’ai retrouvĂ© la mĂȘme ambiance et ce mĂȘme travail que j’aimais.

Peut-on faire un bilan de l’action de ce service depuis ses deux dĂ©cennies d’existence ?

Oui, mais il faut distinguer deux Ă©poques diffĂ©rentes, car, Ă  ses dĂ©buts, ce centre ne s’occupait que de rĂ©adaptation nutritive et de prĂ©vention primaire. Aujourd’hui, nous devons fournir Ă  l’ARS (l’Agence RĂ©gionale de SantĂ© – ndlr) le nombre de patients pris en charge et leurs spĂ©cificitĂ©s comme l’ñge, la ou les pathologies, le nombre de sĂ©ances suivies, etc. En fait, pour que nous puissions mesurer plus

parfaitement l’impact de RECOR, il faudrait que soit mise en place une consultation de rappel un an aprĂšs la fin du suivi de notre programme. Le retour de nos confrĂšres cardiologues est prĂ©cieux et ils nous font volontiers part des bienfaits de RECOR sur les gens qu’ils nous envoient.

Un point important, nous sommes toujours ravis de revoir nos patients aprĂšs un an. Ils nous reviennent gĂ©nĂ©ralement, car la SĂ©curitĂ© sociale, Ă  l’instar des cures thermales par exemple, autorise la prise en charge de vingt sĂ©ances annuelles pour les gens qui ont eu recours au programme de base. Nous fonctionnons alors un peu comme une salle de gym, mais nous ne proposons que du sport santé : on est loin du sport esthĂ©tique ou du sportperformance. En tout cas, on est vraiment heureux d’aider les gens Ă  sortir de leur sĂ©dentaritĂ© plus ou moins prononcĂ©e et Ă  les ramener vers une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre qui leur fait du bien. D’ailleurs, Ă  leur entretien de sortie du programme, je leur dis systĂ©matiquement que plus tard, il ne leur faudra pas hĂ©siter Ă  repousser notre porte s’ils sentent qu’ils doivent ĂȘtre aidĂ©s pour conserver les bonnes habitudes qu’ils avaient acquises aprĂšs le programme initial. Beaucoup nous reviennent rĂ©guliĂšrement dans ce cadre  » S

J 50 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
« On est vraiment heureux d’aider les gens Ă  sortir de leur sĂ©dentaritĂ© plus ou moins prononcĂ©e et Ă  les ramener vers une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre qui leur fait du bien. »

La Terre demande toute notre attention

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La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous Ă  ĂȘtre, chaque jour, totalement impliquĂ© Ă  atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, Ă©thiques et pragmatiques, pour l’environnement.

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Trois ans aprĂšs le « Big Quit »

Des Strasbourgeois témoignent...

Le double effet kiss cool de la crise sanitaire ? La quĂȘte de sens professionnel. En 2021, six salariĂ©s et huit chĂŽmeurs sur dix envisageaient une reconversion selon le dernier baromĂštre de l’Unedic Ă  travers demandes de formation, changement d’employeur ou crĂ©ation d’entreprise. Comment ont-ils fait le grand saut ? Quel regard portent-t-ils sur leur dĂ©cision ? TĂ©moignages.

Anticipation d’un licenciement Ă©conomique. VolontĂ©, au contraire pour les freelances de retrouver la sĂ©curitĂ© d’un groupe. OpportunitĂ© de crĂ©er sa boĂźte. Souci de trouver un meilleur Ă©quilibre vie entre la vie professionnelle et la vie personnelle
 Le COVID a suscitĂ© pas mal de remue-mĂ©nage dans l’esprit des actifs ou demandeurs d’emploi.

Selon une enquĂȘte BVA rĂ©alisĂ©e en fĂ©vrier 2022 pour France CompĂ©tences, la « perte de sens » est la raison la plus partagĂ©e (27 %) par les actifs en reconversion, qui Ă©voquent aussi « l’insatisfaction » due aux conditions de travail (23 %), Ă  la rĂ©munĂ©ration (22 %), ou une pression trop importante (20 %).

Si la France n’a pas connu le « Big quit » ou « grande dĂ©mission » des États-Unis –plus de 4,3 millions de dĂ©missions rien qu’en aoĂ»t 2021, tout de mĂȘme – 58% des Français en emploi envisageaient une reconversion professionnelle en dĂ©cembre 2021.

Les milieux les plus touchĂ©s sont sans surprise l’hĂŽtellerie-restauration, la grande distribution ou l’aide Ă  la personne. À titre d’exemple, l’Ordre national des infirmiers a rĂ©vĂ©lĂ© que 40% des infirmiers interrogĂ©s au printemps 2021 envisageaient une reconversion


À l’heure oĂč nous sortons ce quarante-huitiĂšme numĂ©ro de Or Norme, le premier confinement « fĂȘte » ses trois ans. Nous avons souhaitĂ© aller Ă  la rencontre d’actifs qui ont profitĂ© du COVID pour entamer leur reconversion. Histoire de mieux comprendre quels peuvent ĂȘtre les Ă©lĂ©ments dĂ©clencheurs faisant tourner une page de plusieurs dĂ©cennies dans une mĂȘme activitĂ© ou sociĂ©té  S

S ACTUALITÉ — RECONVERSION
52 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Caroline Schwob

Directrice marketing et communication d’une multinationale amĂ©ricaine, Caroline Schwob craque peu de temps avant le confinement. Une pause salutaire qui a permis Ă  l’hyperactive d’oser rĂ©aliser un rĂȘve qu’elle pensait inaccessible : ĂȘtre Ă  son compte et entrevoir de faire de sa passion, la cuisine, un mĂ©tier.

temps thĂ©rapeutique Ă  sa boĂźte. « J’ai renoncĂ© en octobre. Je subissais Ă  nouveau le harcĂšlement de mon N+1, j’ai alors rĂ©alisĂ© que je n’étais plus Ă©quipĂ©e pour une telle pression. »

Son anti-stress ? La cuisine. Elle commence Ă  dĂ©velopper son blog de recettes cĂ©togĂšnes, son Instagram (elle compte plus de 20 000 followers aujourd’hui). « Je suis gourmande, mais j’ai dĂ©couvert il y a quelques annĂ©es mon intolĂ©rance au gluten doublĂ©e d’une candidose. Je me suis mise au rĂ©gime keto et Ă  force de recherches, j’ai dĂ©veloppĂ© tout un tas de recettes faciles et gourmandes. »

Son mari la pousse à lancer son blog. Grùce à lui, elle se lance, propose une maquette à Larousse qui lui répond favorablement. Son premier livre Débuter le régime keto sort le 1er février 2022, le deuxiÚme Je mange keto au quotidien pile un an plus tard.

En mai 2022, elle dĂ©missionne. « C’est une dĂ©cision mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. J’aime toujours mon mĂ©tier de communicante, mais je ne me vois plus le faire en entreprise. Je suis trĂšs prudente, j’ai des clients rĂ©guliers en tant que consultante pour garder un certain niveau de vie et avoir la libertĂ© d’écrire. »

Avec cette nouvelle vie d’indĂ©pendante aux multiples projets, Caroline dĂ©couvre l’harmonie. « Avec le COVID, j’ai compris que l’on pouvait trouver un Ă©quilibre entre vie professionnelle, personnelle et nourrir sa passion, confie-t-elle. J’étais tout le temps entre deux voyages Ă  travers le monde, j’ai mĂȘme manquĂ© la rentrĂ©e en maternelle de mon fils. Aujourd’hui, j’apprĂ©cie d’ĂȘtre dĂ©lĂ©guĂ©e de sa classe. »

L

e COVID m’a apaisĂ©e. » En burnout depuis dĂ©cembre 2019, Caroline Schwob, 46 ans, prend le temps de la pandĂ©mie pour se retrouver. « Le confinement n’a pas Ă©tĂ© le dĂ©clencheur de mon changement professionnel, mais plutĂŽt une remise en question de mon rapport Ă  la pression, Ă  ce besoin de toujours mieux faire, de rĂ©pondre positivement aux sollicitations. Depuis un moment, j’étais en mode pilote automatique, je n’étais plus au bon endroit, au bon moment. »« (Haut potentiel intellectuel), avec un haut potentiel Ă©motionnel (HPE). Si cela m’a fait sourire d’ĂȘtre dĂ©finie « adulte prĂ©coce » Ă  46 piges, cela m’a fait comprendre pourquoi je prenais les choses trop Ă  cƓur, pourquoi je ne savais pas prendre de recul  » Cette analyse couplĂ©e Ă  un bilan de compĂ©tences rĂ©vĂšle aussi son « syndrome de l’imposteur » : « Ma coach m’a fait rĂ©aliser que je ne postulais qu’à des postes en dessous de mes compĂ©tences. Elle m’a dit qu’elle me voyait bien Ă  mon compte, mais pour moi, c’était « No way, j’en suis incapable ! » Il fallait que j’entame un vrai travail personnel de fond. »

Si cette parenthĂšse aurait pu ĂȘtre catastrophique pour elle qui ne tient pas en place, elle l’a mise Ă  profit. « Pour la premiĂšre fois de ma vie, j’ai consultĂ© un psy. J’ai dĂ©couvert Ă  46 ans que j’étais HPI

Mais Caroline tourne en rond. En avril 2021 elle craque, et demande un mi-

53 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Du burn-out Ă  la Popote de Potine lapopotedepotine.com
A-t-elle quelques regrets de sa vie dans le top 3 du comitĂ© de direction d’une multinationale ? « Être manager, c’est 80% d’humain, et 20% de tĂąches, je m’investissais beaucoup, ça m’a brĂ»lĂ©. Ok, je n’ai plus de voiture de sociĂ©tĂ©, mais j’ai le tram ! Je n’ai plus de cadeaux du comitĂ© d’entreprise, mais je m’en fous ! Je n’ai plus mes collĂšgues, mais une vie professionnelle riche en contacts, sans le collĂšgue qui se plaint de ne pas avoir reçu son doc Ă  temps, sans pression ni harcĂšlement moral. » Et avec du temps pour partager sa popote qui a soignĂ© autant son corps que son esprit. S

«

Mathilde Pessard

Devenir hypnothĂ©rapeute ne nĂ©cessite pas cinq annĂ©es d’études. Sa directrice des ressources humaines l’encourage Ă  se lancer. « Je me dĂ©cide Ă  prendre le plan de dĂ©part volontaire que je vendais toute la journĂ©e Ă  mes collĂšgues. J’ai rĂ©alisĂ© qu’il Ă©tait super intĂ©ressant, alors pourquoi pas moi ! ». Les conditions sont idĂ©ales. Dix mois de congĂ©s de reclassement, une formation et une compensation financiĂšre Ă  la crĂ©ation d’entreprise
 « Je ne remercierais jamais assez Air France, insiste la jeune femme. Quand tu es salariĂ©e pendant 22 ans d’une entreprise comme celle-ci, oĂč l’on te fait tout, cela demande quelques ajustements pour avoir le mindset entrepreneur ! »

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EmbarquĂ©e chez Air France Ă  19 ans en contrat de qualification, Mathilde Pessard s’épanouit dans ses diffĂ©rents jobs jusqu’au jour oĂč elle ne trouve plus de sens Ă  ses tĂąches. On est en pleine crise sanitaire : elle dĂ©cide de prendre le plan de dĂ©part de la compagnie en 2021 pour une nouvelle aventure professionnelle.

Services passagers, enregistrements, accueils, Mathilde passe des annĂ©es en horaires dĂ©calĂ©s. « On Ă©tait 350 Ă  l’aĂ©roport de Strasbourg, il y avait par moment un vol toutes les 40 minutes pour Paris. À partir de 2007, avec l’arrivĂ©e du TGV, les choses ont changĂ©. On pense qu’on va pouvoir rester dans la compagnie toute sa vie, et puis on commence Ă  comprendre qu’elle aura besoin de moins de monde. Aujourd’hui ils ne sont plus que 25 chez Air France Ă  l’aĂ©roport. »

Mathilde intĂšgre en 2012 le service planning, puis celui des ressources humaines, Ă  la direction rĂ©gionale d’Illkirch. Elle valide ses acquis et dĂ©croche une licence en ressources humaines.

uand tu intĂšgres une entreprise comme Air France, tu te dis que c’est pour la vie. » Mathilde adore ses diffĂ©rents postes au sein de la compagnie aĂ©rienne qu’elle rejoint par hasard Ă  19 ans, en contrat de qualification.« Cela a durĂ© huit ans, c’était vraiment passionnant, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sens. C’est ce que le COVID m’a rĂ©vĂ©lĂ©. Je me suis retrouvĂ©e en tĂ©lĂ©travail, Ă  gĂ©rer les conditions de travail de tout le monde, un peu la panique Ă  bord ! Je commence alors Ă  me poser des questions : Ă  quoi sert ce que je fais ? Un an aprĂšs le dĂ©but du COVID, je reviens trĂšs peu au bureau, c’est glauque. Mais j’ai peur ! Je me dis, tu as un boulot, tu adores ta boĂźte, tu as un salaire tous les mois
 Et puis d’un coup, je me mets Ă  avoir davantage peur Ă  l’idĂ©e de rester qu’à partir. »

Mais pour quoi faire quand on Ă©volue depuis 22 ans dans la mĂȘme entreprise ?

« J’ai beau rĂ©flĂ©chir, rĂ©flĂ©chir, ça ne vient pas. Et puis un jour, en faisant du jardinage, je dĂ©connecte mon mental et l’idĂ©e me vient : ce sera l’hypnose ! Mais instantanĂ©ment, je me dis que je suis folle. » Et puis tout s’aligne.

En septembre 2021, Mathilde dĂ©marre sa formation Ă  l’hypnose, Ă  Paris. Une rĂ©vĂ©lation. « Mes filles sont ados, je peux me permettre de partir quatre fois huit jours. C’est tellement gĂ©nial d’apprendre, je me sens vivante. C’est Ă©puisant aussi, car tu travailles beaucoup sur toi, tu vas voir ce qu’il y a sous le tapis. Et puis tu rĂ©alises aussi que la connaissance du fonctionnement humain, c’est le travail d’une vie. Je sors de l’école avec “le syndrome de l’imposteur”, envahissant, mais important, sinon tu es sans filtre. »

AccompagnĂ©e, « je monte ma boĂźte
 Et quel bonheur de la crĂ©er Ă  mon image ! Je choisis un cabinet comptable, un webdesigner, je dĂ©couvre la stratĂ©gie marketing
 TrĂšs vite viennent les premiĂšres inquiĂ©tudes. La premiĂšre : rĂ©aliser que tu vas avoir des clients ! »

Le 1er juin, elle termine son congĂ© de reclassement et s’installe dans un cabinet, Ă  HƓnheim, puis grĂące Ă  un client, elle trouve deux autres crĂ©neaux Ă  la Robertsau. « Je me suis payĂ©e un coaching de six mois avec une communautĂ© de femmes en reconversion professionnelle pour nous aider Ă  lever les freins, les peurs  »

54 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

AprĂšs 22 ans chez Air France, cap sur l’hypnothĂ©rapie mp-hypnose.fr
Mathilde travaille dix fois plus qu’avant. Jamais elle n’a regrettĂ© sa dĂ©cision, mĂȘme dans les moments de doutes. « Moi qui recherchais du sens, lĂ  cela a du sens d’accompagner quelqu’un dans son dĂ©sir de changement », sourit-elle. Le tout sans se mettre une pression dingue. « Je ne le vis pas comme la dĂ©cision d’une vie, je me dis juste que tout est possible. Quand tu enlĂšves cette pression, c’est plus agrĂ©able. » S
STRASBOURG 2 rue Emile Mathis 03 88 753 753 HAGUENAU 110 route de Strasbourg 03 88 06 17 17 OBERNAI 1 rue des Ateliers 03 88 338 338 www. lespaceh .fr

L

En parallĂšle, il collabore Ă  Passion vins, aux Ă©ditions de la NuĂ©e-Bleue, ou dans la presse viticole. Sans jamais quitter son agence oĂč il gravit les Ă©chelons.

Lors du premier confinement, Olivier se retrouve en télétravail comme beaucoup.

Dans son esprit, il n’est pas encore question de reconversion professionnelle. « J’étais trop pris par mon boulot, avec ni l’énergie, ni le temps de rĂ©flĂ©chir, mĂȘme si monter ma boĂźte trottait dans ma tĂȘte depuis longtemps. »

Olivier quitte nĂ©anmoins Plurimedia oĂč il a passĂ© 21 ans de sa carriĂšre pour

Olivier Métral

Chef de service chez Plurimedia, Olivier MĂ©tral claque la porte en juillet 2020, au bord du burn-out. Il enchaĂźne avec une annĂ©e en tant que chargĂ© de communication du Struthof, avant de rĂ©aliser une idĂ©e qui lui trottait Ă  l’esprit depuis des annĂ©es : lancer sa boĂźte de communication Ă  destination des acteurs du vignoble alsacien.

a boucle est bouclĂ©e est-on tentĂ© d’écrire, mĂȘme si Olivier MĂ©tral parle d’un « parcours un peu tortueux, mais nĂ©anmoins salvateur, depuis l’arrivĂ©e du COVID. » Sa passion pour le vin date de 1999, quand ce Grenoblois d’origine est arrivĂ© en Alsace pour suivre son Ă©pouse. « J’ai dĂ©couvert la rĂ©gion, les cĂ©pages, au point que j’ai lancĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000, alors que les ventes sur internet dĂ©marraient Ă  peine, le site 20dalsace.com, mĂ©lange d’actus, d’infos et de ventes pour une vingtaine de vignerons. Ma relation avec les vignerons a changĂ©, je n’étais plus un simple client lambda, j’ai pu dĂ©couvrir les coulisses, m’imprĂ©gner de cet univers et crĂ©er un joli petit rĂ©seau. »devenir chargĂ© de communication du Struthof, en septembre 2021. « Mais un mois aprĂšs, on Ă©tait reconfinĂ©, ce qui signifiait zĂ©ro visiteur
 Mon travail Ă©tait intĂ©ressant, mais c’était un peu glauque sans presque personne. »

Il met Ă  profit ses longs trajets quotidiens pour faire un point sur sa carriĂšre. « Le COVID a contribuĂ© Ă  ce que je me pose des questions, c’est l’élĂ©ment dĂ©clencheur. » Durant cet entre-deux, le vigneron Marc TempĂ© fait appel Ă  ses services pour communiquer sur les 25 ans de son domaine. « C’est lui qui m’a mis le pied Ă  l’étrier, reconnaĂźt-il. J’ai rĂ©alisĂ© que beaucoup de vignerons n’avaient pas le temps de communiquer. »

Il dĂ©cide de quitter le Struthof en septembre 2022 et ouvre sa boĂźte dans la foulĂ©e, Terroir d’expressions . En peu de temps, une dizaine de vignerons le rejoignent. À 50 ans, il s’autoforme au mĂ©tier de vidĂ©aste, Ă  la prise d’images, au montage. Dans la continuitĂ© de sa passion pour le vin d’Alsace, il veut monter des circuits oenotouristiques
 Mais pas Ă  la one-again  ! Olivier a en effet suivi une formation de 140 heures pour devenir transporteur routier de personnes. « Tu ne trimballes pas des personnes comme ça ! », rappelle-t-il. Son projet : faire dĂ©couvrir les vignes des

grands crus alsaciens in situ, dégustations à la clé.

Un an et demi aprĂšs sa renaissance, Olivier ressent un « grand sentiment de libertĂ©. C’est quand mĂȘme un truc de devenir son propre patron, d’organiser ses journĂ©es, de faire des choses qui te plaisent. » Le tout non sans quelques petites angoisses : s’il se diversifie, c’est par peur de demain aussi. « À 53 piges, il faut tenir encore une douzaine d’annĂ©es, j’ai quand mĂȘme cette angoisse que tout s’arrĂȘte, confie-t-il. J’ai deux enfants Ă©tudiants Ă  loger Ă  Besançon et Ă  Strasbourg, forcĂ©ment on y pense quand on quitte le salariat. Mais j’espĂšre tenir comme ça jusqu’à la fin de ma carriĂšre  »

56 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Du journalisme au terroir (viticole) d’expressions terroirdexpressions.net
Parce que se lever chaque matin avec la banane, en avoir fini avec la boule au ventre du dimanche soir, cela n’a pas de prix. « Quand j’entends des salariĂ©s autour de moi raconter les histoires de leur boĂźte, je me dis qu’il vaut mieux ĂȘtre tout seul Ă  la maison ! » D’autant qu’il n’est pas vraiment seul Olivier, entre ses reportages, ses cours, ses missions Ă  droite Ă  gauche, et une passion qui l’anime. S

Le mécénat de compétences en entreprise

Hara Solidarity Consulting aux cÎtés de la sphÚre associative locale

S ACTUALITÉ — UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
Marine Dumény Nicolas RosÚs
58 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Bruno Malvy et Laurence Ă  EmmaĂŒs Connect

Le mĂ©cĂ©nat d’entreprise, vous connaissez ? Il s’agit d’un soutien matĂ©riel ou financier apportĂ© par une entreprise Ă  un organisme sans but lucratif pour l’exercice d’activitĂ©s prĂ©sentant un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Encore peu dĂ©veloppĂ© (par 5,5% des entreprises du Grand Est, source : IFOP), le mĂ©cĂ©nat est souvent pratiquĂ© par le biais de dons, dĂ©fiscalisĂ©s, numĂ©raires ou en nature.

Bruno Malvy a 26 ans. Il est entrĂ© Ă  HARA en aoĂ»t 2022, soit un an aprĂšs la crĂ©ation de l’entreprise. Quand, Ă  la recherche d’un nouvel emploi, il est contactĂ© par Geoffrey JaeglĂ©, fondateur et prĂ©sident de HARA, son parcours atypique et son investissement associatif passĂ© convainquent surle-champ. Une fois intĂ©grĂ© Ă  l’équipe, c’est avec Suzanne Legrand, la responsable RH, qu’il fait le tour des associations partenaires du groupe. Son choix se porte sur EmmaĂŒs Connect, dont le partenariat est alors tout rĂ©cent.

INGÉNIEUR ET LUTTE POUR L’INCLUSION NUMÉRIQUE : DES COMPÉTENCES HUMAINES

PrĂ©sent dans les locaux colorĂ©s et joyeusement dĂ©corĂ©s de l’association, rue Kageneck, pour son second jour de mĂ©cĂ©nat de compĂ©tence de l’annĂ©e, le jeune ingĂ©nieur vient aujourd’hui en aide Ă  Laurence. Celle-ci rencontre un problĂšme avec le fonctionnement tactile de son ordinateur portable, vendu Ă  prix rĂ©duit par l’association. Quelques manipulations

№48 — Mars 2023 — Retour

et mises Ă  jour plus tard, Bruno permet Ă  Laurence de passer cette difficultĂ©. Vient ensuite la prise en main de cette nouvelle machine : « Peut-on mettre ce raccourci sur la barre en bas ? Et pour mes applications courantes, je peux tout tĂ©lĂ©charger d’ici ? »

En recherche d’emploi, et entre deux Ăąges, Laurence « ne connaĂźt rien Ă  l’informatique ». Et s’en trouve desservie. MotivĂ©e et attentive, elle participe rĂ©guliĂšrement aux ateliers de groupe ou individualisĂ©s, afin de gagner en compĂ©tences. Une fois satisfaite de l’accompagnement effectuĂ© par Bruno, et avec plĂ©thores de nouvelles informations Ă  digĂ©rer, Laurence remercie chaleureusement le jeune homme. D’ailleurs, avant de quitter la salle, elle lui demande un nouveau rendez-vous


Pendant quelques dizaines de minutes, Bruno aura rĂ©pondu patiemment et prĂ©cisĂ©ment Ă  ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques – et de fait plus encore Ă  un ingĂ©nieur informatique – sont pourtant symptomatiques de l’exclusion numĂ©rique sur le territoire français. « C’est tout un exercice que de se mettre

au niveau de personnes sans aucune formation informatique, et c’est un bon exercice ! » dĂ©clare le jeune ingĂ©nieur en revenant sur son accompagnement. « Les conditions Ă  HARA (ainsi qu’à EmmaĂŒs Connect pour le mĂ©cĂ©nat) et le mode de fonctionnement novateur sont une source d’épanouissement autant personnel que professionnel », rĂ©sume-t-il. Par « mode de fonctionnement novateur », outre l’aspect solidaire mis en exergue par plusieurs actions dont fait partie cette organisation du mĂ©cĂ©nat de compĂ©tences, il faut Ă©galement comprendre « participatif ».

UN « PLUS » POUR L’ASSOCIATION PARTENAIRE

Et c’est Suzanne Legrand qui nous l’explique : « Chez HARA, et pour Geoffrey JaeglĂ©, le fondateur, il est important que la sociĂ©tĂ© continue Ă  se construire et Ă  se dĂ©velopper. Notamment sur les 17 objectifs du dĂ©veloppement durable, dans la dĂ©marche RSE, que nous prenons en compte dans notre stratĂ©gie de sĂ©lection

de nos associations partenaires. Ainsi, si un de nos employĂ©s a une idĂ©e, il peut tout Ă  fait la soumettre et nous en dĂ©battrons : notre modĂšle est en gouvernance participative. »

Pour EmmaĂŒs Connect, reprĂ©sentĂ© par Benjamin Rafali, responsable du territoire strasbourgeois, c’est un rĂ©el « plus ». « Avec HARA, les jours de dĂ©tachement font vraiment partie de l’organisation, ce qui facilite grandement les choses » pour une association qui a besoin -comme toute autre- de nouveaux bĂ©nĂ©voles. « Ce partenariat conventionnĂ© permet aussi d’envisager d’autres projets comme des activitĂ©s quotidiennes ou de la remise en Ă©tat d’un parc informatique », appuie-t-il.

Verdict de ces premiers mois ? « Nous sommes ravis ! », conclut Benjamin, rĂ©sumant ainsi l’état d’esprit de ses rĂ©cents collaborateurs d’HARA. S

emmaus-connect.org lacollecte.tech
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« Bruno aura rĂ©pondu patiemment et prĂ©cisĂ©ment Ă  ses questions, qui, si elles peuvent sembler basiques – et de fait plus encore Ă  un ingĂ©nieur informatique – sont pourtant symptomatiques de l’exclusion numĂ©rique sur le territoire français. »
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Retraite active

Chez Mamies gñteaux !

L’ambiance est joyeuse en ce mercredi hivernal plutĂŽt plombant. Au programme, c’est CrĂȘpes party avec Rose-Marie et Michelle, les super mamies du groupe, des petits gars et petites filles d’une dizaine d’annĂ©es, impatients de goĂ»ter leurs crĂ©ations, et des parents venus accompagnĂ©s leur progĂ©niture. Tous encadrĂ©s par Tina, la chef pĂątissiĂšre embauchĂ©e en dĂ©cembre par Mamies gĂąteaux, et Yann et Cassandre, en service civique solidaritĂ© senior.

BasĂ© Ă  Neudorf, Mamies gĂąteaux, c’est un tiers-lieu pensĂ© autour de la pĂątisserie pour sortir les personnes ĂągĂ©es de leur isolement, crĂ©er du lien social et arrondir leurs fins de mois. Une belle idĂ©e, portĂ©e avec abnĂ©gation par Vincent Gabbardo qui a dĂ» faire face Ă  la crise sanitaire et maintenant Ă  la hausse rĂ©cente des matiĂšres premiĂšres et de l’énergie


ImaginĂ© par Vincent Gabbardo, ancien ingĂ©nieur en mĂ©canique de retour de Nouvelle CalĂ©donie il y a quatre ans, Mamies gĂąteaux c’est un tiers-lieu solidaire pour sortir les personnes ĂągĂ©es de leur isolement Ă  travers des ateliers hebdomadaires autour de la pĂątisserie. PĂątisseries et santĂ©, atelier intergĂ©nĂ©rationnel, focus sur le sucre et les fruits de saison
 Chez Mamies gĂąteaux, on transmet, on dĂ©couvre, on se rĂ©gale. Et on peut mĂȘme gagner quelques euros quand on participe Ă  la rĂ©alisation de buffet gourmand comme pour ce colloque de cinq jours au Pavillon JosĂ©phine, dĂ©but mars. « Notre objectif est de rĂ©munĂ©rer vingt Ă  trente personnes ĂągĂ©es par mois, soit deux-trois Ă©quivalents temps-plein, prĂ©cise Vincent. Mais attention, ici, ce n’est pas un travail habituel, l’idĂ©e c’est qu’elles se sentent bien chez nous, qu’elles transmettent leur savoir-faire et qu’elles apprennent aussi. »

IL A EU RAISON DE S’ACCROCHER

Vincent, 42 ans, a bataillĂ© dur pour en arriver lĂ , depuis 2019, quand l’idĂ©e a germĂ© de retour de Nouvelle-CalĂ©donie oĂč l’une de ses fonctions Ă©tait de crĂ©er des emplois agroalimentaires dans des zones dĂ©pourvues. « Le sujet du vieillissement me touche, c’était violent de voir des retraitĂ©s

S ACTUALITÉ — UN MODE DE FONCTIONNEMENT NOVATEUR
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Vincent Gabbardo, le créateur de Mamies gùteaux.

manifester alors qu’habituellement c’est une population silencieuse. Quand j’entends les actifs dire qu’ils payent pour les personnes ĂągĂ©es, que pendant la pandĂ©mie certains rĂąlaient parce qu’il fallait protĂ©ger les plus fragiles
 Cela me rĂ©volte ! Alors oui, j’ai passĂ© quatre ans sans rĂ©munĂ©ration, le projet ne devait pas ĂȘtre si long Ă  voir le jour, mais la phase d’expĂ©rimentation a Ă©tĂ© stoppĂ©e pendant la pandĂ©mie, et je suis passĂ© d’un budget bouclĂ© de 180 000 € Ă  20 000 €, car tout a Ă©tĂ© rĂ©affectĂ© Ă  la situation d’urgence. Logique. » Finalement, il a eu raison de s’accrocher : en trois mois d’ouverture, Mamies gĂąteaux a dĂ©jĂ  accueilli 60 personnes ĂągĂ©es (dont deux hommes !), sans trop de communication.

Quand on l’a rencontrĂ©, Vincent attendait toujours de son bailleur les clĂ©s du deuxiĂšme local pour boucler son projet, Ă  savoir ouvrir un salon de thĂ© solidaire, ouvert au public. « Nous ne sommes pas concurrents des boulangers, nous sommes une association subventionnĂ©e qui propose Ă  travers la pĂątisserie un autre regard sur les seniors », rappelle-t-il.

S’il doit aujourd’hui faire face Ă  la hausse du coĂ»t de l’énergie et des matiĂšres premiĂšres, Vincent n’est pas du genre Ă  baisser les bras. « On a trouvĂ© des solutions avec nos partenaires institutionnels et nos mĂ©cĂšnes », prĂ©cise-t-il, reconnaissant et prĂȘt Ă  lancer la deuxiĂšme Ă©tape : essaimer Mamies gĂąteaux un peu partout en France pour que cette belle idĂ©e sorte un maximum de personnes ĂągĂ©es de leur isolement. S

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№48 — Mars 2023 — Retour
Des ateliers intergénérationnels qui se déroulent tous les mercredis.

Christian Bobin

La si belle histoire de ses adieux

S HOMMAGE — CHRISTIAN BOBIN
Jean-Luc Fournier Nicolas RosĂšs
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Christian Bobin

C’est une de ces histoires incroyables et humaines, si humaine et si touchante, que Christian Bobin, brutalement disparu le 23 novembre dernier, aurait certainement adorĂ© imaginer et raconter. Sauf que cette histoire ne s’est cristallisĂ©e que le jour de ses propres obsĂšques Ă  l’église Saint-Charles du Creusot, en SaĂŽne-et-Loire, oĂč l’écrivain vivait avec sa compagne, la poĂ©tesse Lydie Dattas. Ce jourlĂ , les Helmstetter, quatre musiciens bas-rhinois, ont jouĂ© pour la famille et les nombreux amis de l’écrivain disparu
 qu’ils n’avaient jamais rencontrĂ© auparavant. Et peu de temps aprĂšs, ils Ă©taient de nouveau invitĂ©s Ă  Paris, pour l’hommage national organisĂ© par le ministĂšre de la Culture


Les ingrĂ©dients de cette histoire sont au dĂ©part aussi disparates qu’un inventaire Ă  la PrĂ©vert. Songez donc : un drĂŽle de type, qui adore la musique, mais qui est aussi un touche-Ă tout improbable, un manĂšge sur une place du Creusot qui diffuse une musique de jazz manouche, un Ă©crivain profondĂ©ment attachĂ© Ă  sa ville qui a un projet de livre sur la musique


L’écrivain, c’est Christian Bobin, bien connu de ses nombreux lecteurs, lui qui ne manquait jamais un passage Ă  Strasbourg, Ă  la librairie KlĂ©ber ou aux BibliothĂšques idĂ©ales avec, sous le bras, son dernier livre, forcĂ©ment dĂ©bordant de sa si belle humanitĂ© et ses propos souvent ponctuĂ©s par ses lĂ©gendaires et gĂ©nĂ©reux Ă©clats de rire. L’ami Christian, dont l’annonce de sa disparition fin novembre dernier Ă  l’ñge de 71 ans, emportĂ© brutalement par un mal implacable et fulgurant, nous a tous sidĂ©rĂ©s et comme figĂ©s dans un abĂźme de tristesse.

Mais
 laissons les musiciens raconter


NOUS NE NOUS SOMMES PAS RENDUS COMPTE DE LA PUISSANCE DE CE LIEN


Nous rencontrons Railo et EngĂ©, les deux cousins, membres d’une immense famille de musiciens de jazz manouche bien connue en Alsace, les Helmstetter. « La famille est installĂ©e en Alsace depuis des temps immĂ©moriaux » confirme Railo, 35 ans, le plus jeune des deux musiciens. « La dynastie a dĂ©butĂ© avec un

arriĂšre-grand-pĂšre violoniste, elle s’est un peu perdue avec la gĂ©nĂ©ration de nos parents et c’est notre gĂ©nĂ©ration qui a rĂ©activĂ© cette passion musicale, avec Tchatcho, le frĂšre d’EngĂ© qui est violoniste et sa fille, Tosca, qui chante  »

Les quatre musiciens ont donc tout d’abord Ă©tĂ© invitĂ©s au Creusot le 28 novembre dernier pour les obsĂšques de l’écrivain. C’est EngĂ©, 47 ans, qui raconte : « Tout a dĂ©butĂ© il y a une dizaine d’annĂ©es, sans mĂȘme qu’aucun d’entre nous ne connaisse personnellement Christian Bobin. Je n’avais jamais lu le moindre livre de lui et toi, Railo ? » questionne-t-il.

« Je n’avais lu que Le TrĂšs-Bas, un livre paru dans les annĂ©es 90 puis, plus tard, un recueil de ses poĂ©sies » confirme le cousin de EngĂ©. Lequel poursuit : « Mais nous avions un ami commun, Martial Spiessert. Martial m’achetait mes disques et il organisait des dĂ©pĂŽts pour leur revente. Lui-mĂȘme installait des manĂšges un peu partout et il y diffusait notre musique. C’est grĂące Ă  un de ces manĂšges installĂ© au Creusot que Christian Bobin et sa compagne ont dĂ©couvert notre musique et ils l’ont instantanĂ©ment beaucoup aimĂ©e.

Devenu un intime du couple, Martial leur a fait dĂ©couvrir beaucoup de nos autres productions. À chaque fois qu’on se revoyait, il me parlait d’eux et du coup, j’ai commencĂ© Ă  m’intĂ©resser aux livres de Christian. SincĂšrement, au dĂ©but de mes lectures, je ne l’abordais que par le biais de ses nombreuses citations et je l’imaginais donc comme un Ă©niĂšme Ă©crivain qui faisait dans le dĂ©veloppement personnel. Et puis, un jour, je me suis dĂ©cidĂ© Ă  lire ses

livres en entier et j’ai rĂ©alisĂ© Ă  quel point je m’étais trompĂ© sur son compte
 Pour autant, je ne l’ai jamais rencontrĂ© de son vivant et c’est pourquoi, tout comme Railo, Tachtcho et Tosca, je suis tombĂ© des nues quand on nous a fait part du souhait de ses intimes de nous voir jouer durant les obsĂšques. Quand nous avons rencontrĂ© Lydie ce jour-lĂ , nous avons tout de suite compris : elle nous appelait spontanĂ©ment par nos prĂ©noms, elle nous considĂ©rait sincĂšrement comme des trĂšs proches. J’ai ensuite eu beaucoup de regrets, je m’en suis beaucoup voulu de ne pas voir fait la dĂ©marche de rencontrer Christian : mais, compte tenu des circonstances hautement improbables qui avaient provoquĂ© la rencontre de notre musique avec l’écrivain, nous ne nous sommes pas vraiment rendus compte de l’importance de tout ça, de la puissance de ce lien


Au Creusot, dans cette Ă©glise froide, Lydie nous a confiĂ© que Christian avait le projet d’écrire son prochain livre en s’inspirant de la musique. Et il avait l’intention d’y faire figurer notre style de musique. Ce qui me fait penser que s’il avait vĂ©cu plus longtemps, nous aurions fini par nous rencontrer  »

Les quatre artistes alsaciens n’oublieront pas de sitĂŽt l’accueil plein de chaleur qui leur a Ă©tĂ© rĂ©servĂ© lors des obsĂšques de l’écrivain, cette « ambiance musicale apaisĂ©e » que le prĂȘtre les a invitĂ©s Ă  mettre en place : « au lieu de la solennitĂ© traditionnelle d’un hommage, un peu lourde, nous avons atteint l’inverse : j’ai le sentiment qu’on a fait du bien aux gens » se souvient EngĂ©, « nous les avons placĂ©s dans

65 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

une petite cĂ©lĂ©bration intime de consolation », dit-il joliment. « Pour la sortie du corps, nous avons mĂȘme improvisĂ© comme un moment de fĂȘte, le public tapait dans ses mains, c’était touchant
 À un certain moment, je me suis dit que Christian Ă©tait ainsi devenu un personnage d’une de ses histoires : il avait dĂ©couvert notre musique dans un manĂšge, l’avait aimĂ©e et nous, nous Ă©tions lĂ , en train de la jouer, le jour de ses obsĂšques  »

PRÉSENTS À L’HOMMAGE AU MINISTÈRE DE LA CULTURE

L’improbable n’avait pas fini de se manifester. Quelque temps plus tard, ce sont les services de Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, qui cherchent Ă  joindre le groupe de musiciens. La ministre a tenu Ă  organiser un hommage Ă  Christian Bobin. Antoine Gallimard et AndrĂ© Velter, le directeur de la PoĂ©sie de la cĂ©lĂšbre maison d’édition (et grand ami du disparu), tous deux prĂ©sents au Creusot pour la cĂ©rĂ©monie des obsĂšques, ont pesĂ© pour que les musiciens alsaciens participent Ă  l’hommage ministĂ©riel.

« Cette cĂ©rĂ©monie a Ă©tĂ© trĂšs soigneusement organisĂ©e Ă  la fois par les gens de

Gallimard et ceux du ministĂšre  » raconte EngĂ©. « Initialement, nous devions jouer deux fois quinze minutes, mais AndrĂ© Velter nous a finalement demandĂ© de jouer sur la lecture de son hommage. Au dĂ©but, il n’envisageait qu’un violon, mais mon frĂšre l’a convaincu que nous devions tous les quatre accompagner son hommage. On a essayĂ© rapidement et il a dit oui tout de suite


Vous savez, ça nous est arrivĂ© Ă  tous, nous autres musiciens, de nous retrouver dans ce type de moments censĂ©s ĂȘtre des hommages, relĂ©guĂ©s dans un coin de la salle Ă  jouer entre deux discours, pendant que tout le monde sirote des coupes de champagne. Ce fut l’exact inverse, ce jour-lĂ . Nous avons Ă©tĂ© trĂšs respectĂ©s, nous avons Ă©tĂ© nommĂ©ment valorisĂ©s chacun Ă  notre tour par la ministre Ă  chaque fois que nous avons jouĂ©. J’avais eu un peu peur au prĂ©alable de me retrouver dans une ambiance un peu Ă©litiste, mais non, rien de tout ça : nous avons croisĂ© lĂ -bas toutes sortes de gens, des plus connus des milieux intellectuels, culturels et mĂ©diatiques jusqu’à tous les autres et tout le monde Ă©tait rĂ©uni dans la ferveur de la cĂ©lĂ©bration de cet hommage Ă  quelqu’un d’aussi bienveillant et gĂ©nĂ©reux  »

Encore un rien Ă©tonnĂ©s et surpris par leur participation Ă  ces Ă©vĂ©nements inattendus (« j’ai vĂ©cu tout ça de façon Ă©trange » se souvient Railo, moi qui n’avais lu qu’un livre de Christian avant de me retrouver Ă  jouer Ă  ses obsĂšques »), les deux cousins musiciens ne se sont pas fait prier longtemps pour Ă©voquer un peu plus avant leurs projets sur la base du Quartet YtrĂ©, dĂ©jĂ  connu dans le milieu. Railo poursuit son travail dans le jazz moderne, « du jazz fusion avec des sons de basse, des batteries, un style moins acoustique », prĂ©cise-t-il. L’album sortira en novembre prochain et bien sĂ»r, Or Norme en parlera.

« Ce qui nous dĂ©finit par rapport au style musique manouche traditionnel », conclut EngĂ©, « c’est qu’on a certes un pied dedans, mais que durant tout notre parcours on a Ă©tĂ© reconnus pour nos propres compositions, une forme de recherche musicale passant par nos racines traditionnelles mĂȘlĂ©es Ă  des styles trĂšs actuels. Nous ne nous sentons pas des gardiens d’une tradition, mĂȘme si nous l’aimons beaucoup et la respectons en l’exprimant le plus fidĂšlement possible, mais notre tempĂ©rament artistique nous pousse Ă  intĂ©grer toutes les influences qui nous traversent pour crĂ©er et innover  » S

66 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Engé (à gauche) et Railo Helmstetter

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LE PRINTEMPS SLAVE DU FESTIVAL ARSMONDO

AprÚs une édition 2022 consacrée aux cultures tsiganes, le festival Arsmondo partira cette année à la découverte des mondes slaves.

Le thĂšme avait Ă©tĂ© choisi bien avant l’agression armĂ©e de la Russie en Ukraine », prĂ©cisent Camille de FrĂ©minville et Antonio Cuenca Ruiz, tous deux aux manettes de la programmation artistique de cette manifestation proposĂ©e par l’OpĂ©ra national du Rhin.

« La guerre a bien Ă©videmment un impact sur les artistes invitĂ©s et les partenariats », conviennent-ils en soulignant la difficultĂ© que rencontrent certains des nombreux artistes ukrainiens programmĂ©s Ă  s’afficher dans un festival oĂč figurent des Ɠuvres du patrimoine russe.

Mais ils se refusent Ă  baisser les bras : « il faut se montrer Ă  l’écoute, crĂ©er les meilleures conditions possibles afin de rendre compte de ces questionnements auprĂšs des publics et permettre aux artistes de s’exprimer ».

« L’OpĂ©ra ne vit pas dans un monde Ă  part », insiste Alain Perroux, directeur de l’institution.

« Il est normal que le festival soit rattrapĂ© par l’actualitĂ© mais sa force est de prendre le temps de la rĂ©flexion, de crĂ©er l’espace d’un Ă©change et de le faire dans

a CULTURE — RENCONTRE TOUS PUBLICS «
68 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Véronique Leblanc Alban Hefti

diffĂ©rents lieux de la ville, par le biais de multiples disciplines ».

« Sans compter, ajoute Antonio, qu’Arsmondo nous permet d’inscrire la gĂ©opolitique dans un horizon culturel beaucoup plus profond, de rĂ©vĂ©ler un imaginaire lointain. »

Car la culture est en elle-mĂȘme tĂ©moignage, comme en atteste le travail de la chorĂ©graphe ukrainienne Olga Dukhovnaya, qui proposera une performance inspirĂ©e par le Lac des cygnes de TchaĂŻkovsky. Avec une jouissive libertĂ©, l’artiste condense tous les rĂŽles du ballet en un seul et croise son histoire personnelle Ă  la grande Histoire, celle de l’espace soviĂ©tique, celle qui se joue actuellement.

DE MULTIPLES PARTENAIRES ET LIEUX D’ANCRAGE

OpĂ©ra, musĂ©es, universitĂ©, cinĂ©mas, Espace Django, galerie Apollonia, lycĂ©e des Pontonniers ou bien encore lieu d’Europe, les points d’ancrage de Arsmondo seront nombreux cette annĂ©e encore et

reprĂ©sentent autant de partenaires « porteurs d’une grande force de propositions », relĂšvent Camille et Antonio.

Ils citent aussi la LICRA Bas-Rhin, le Conseil de l’Europe et la Cour europĂ©enne des droits de l’homme dont deux juges donneront une confĂ©rence illustrĂ©e en direct par un dessinateur de presse. Les droits fondamentaux en mots en images au prisme du monde slave, vous en rĂȘviez ?

Arsmondo l’a fait !

Durant les trois semaines de festival, l’ONR proposera diffĂ©rents concerts mettant Ă  l’honneur des compositeurs et compositrices originaires de Pologne, BiĂ©lorussie, SlovĂ©nie, Croatie, Serbie, RĂ©publique TchĂšque ou encore Bulgarie. La scĂšne accueillera quant Ă  elle Le Conte du Tsar Saltane du 5 au 13 mai.

Cet opĂ©ra de Rimski-Korsakov d’aprĂšs Pouchkine est avant tout « un spectacle qui Ă©voque les liens familiaux », prĂ©cise Alain Perroux, « un spectacle qui s’adresse Ă  tout un chacun, qui parle Ă  des ĂȘtres humains et non pas Ă  des peuples enserrĂ©s dans des frontiĂšres ». C’est lĂ  toute la philosophie d’Arsmondo.

De gauche Ă  droite : Alain Perroux, Camille de FrĂ©minville et Antonio Cuenca Ruiz

69 №48 — Mars 2023 — Retour a CULTURE
« ARSMONDO NOUS PERMET D’INSCRIRE LA GÉOPOLITIQUE DANS UN HORIZON CULTUREL BEAUCOUP PLUS PROFOND, DE RÉVÉLER UN IMAGINAIRE LOINTAIN. »

« Notre but est de crĂ©er des rencontres avec tous les publics », confirme Antonio, « et d’explorer en compagnie d’artistes et d’intervenants les cultures slaves en nous Ă©cartant des dĂ©finitions simplistes ou univoques qui peuvent en ĂȘtre faites pour servir, par exemple, des projets nationalistes. »

DES RÉALITÉS SINGULIÈRES ET COMPLEXES

« Spectacles, concerts, projections, rencontres et Ă©changes permettront d’approcher l’espace culturel slave dans toute sa multiplicitĂ©. »

Avec Ă  chaque fois, la dĂ©couverte de « rĂ©alitĂ©s singuliĂšres et complexes » qui

Ă©clairent dans la nuance notre rapport au monde, aux ĂȘtres et Ă  la culture dans ce qu’elle a de plus essentiel.

L’inauguration du festival se tiendra le 21 avril Ă  la galerie Apollonia (23 rue Boecklin) dans le cadre de l’exposition À l’image et Ă  la dissemblance, oĂč seront rassemblĂ©es jusqu’au 14 juin des Ɠuvres photos et vidĂ©os qui explorent de maniĂšre paradoxale le thĂšme du portrait. Toutes créées par d’artistes d’origine slave, elles tĂ©moignent de l’ADN de cette galerie qui fĂȘte cette annĂ©e ses 25 ans.

Arsmondo cultures slaves se terminera le 14 mai, sa programmation dĂ©finitive sera disponible sur le site de l’OpĂ©ra fin mars. a

SLAVE

70 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
« SPECTACLES, CONCERTS, PROJECTIONS, RENCONTRES ET ÉCHANGES PERMETTRONT D’APPROCHER L’ESPACE CULTUREL
DANS TOUTE SA MULTIPLICITÉ. »

ANNA SAILER « NE PAS SÉPARER L’ILLUSTRATION DES BEAUX-ARTS ET DE LA LITTÉRATURE »

Tout juste arrivĂ©e de Francfort, Anna Sailer est la nouvelle conservatrice du musĂ©e Tomi Ungerer, oĂč elle pourra mettre en Ɠuvre ses connaissances du monde de l’art et son expĂ©rience du milieu du livre.

La rencontre a lieu par Ă©crans interposĂ©s : au moment de notre bouclage, Anna Sailer Ă©tait encore occupĂ©e Ă  clore ses projets au Museum fĂŒr Moderne Kunst (MMK) de Francfort, dont elle Ă©tait directrice adjointe depuis 2018. Depuis le 1er mars, elle est devenue conservatrice responsable du musĂ©e Tomi Ungerer (MTU) et c’est dans un français parfait qu’elle nous fait part de son enthousiasme Ă  rejoindre cette institution singuliĂšre dans le paysage musĂ©al strasbourgeois.

a CULTURE – NOMINATION
J
Lisette
72 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

L’ANNÉE DES 15 ANS !

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LES BODINS SAM 08 & DIM 09 AVRIL INFAMOUS FESTIVAL SAM 13 MAI STROMAE MER 22 MARS IRISH CELTIC MAR 28 MARS REDOUANE BOUGHERABA JEU 30 MARS STARS 80 VEN 31 MARS SOPRANO SAM 01 & DIM 02 AVRIL FLORENCE FORESTI MER 05 AVRIL SO FLOYD JEU 06 AVRIL LES HARLEM GLOBETROTTERS JEU 13 AVRIL LOMEPAL VEN 14 AVRIL SALON MER ET VIGNE 21-22-23-24 AVRIL GHOST DIM 28 MAI JAPAN ADDICT Z SAM 03 & DIM 04 JUIN MICHEL POLNAREFF DIM 18 JUIN LORD OF THE DANCE VEN 06 OCT CHRISTOPHE MAÉ VEN 13 OCT M.POKORA SAM 14 & DIM 15 OCT MAXIME GASTEUIL MER 18 OCT LE SEIGNEUR DES ANNEAUX 3 VEN 20 OCT BIGFLO ET OLI VEN 03 NOV IBRAHIM MAALOUF MAR 07 NOV STROMAE JEU 09 NOV PASCAL OBISPO VEN 17 NOV DAGRÉ | RCS 390 920 411

« IL ME SEMBLE INTÉRESSANT DE RENFORCER L’ENTITÉ

CENTRE INTERNATIONAL DE L’ILLUSTRATION AVEC DES ARTISTES JEUNES, INTERNATIONAUX ET FÉMININS. »

JVous succĂ©dez Ă  ThĂ©rĂšse Willer Ă  la tĂȘte du musĂ©e Tomi-Ungerer


« J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’a rĂ©alisĂ© ThĂ©rĂšse Willer. Monter une institution, un musĂ©e, c’est quelque chose qui demande beaucoup de force. Nous nous sommes rencontrĂ©es et elle m’a fait une visite guidĂ©e de la superbe exposition IllustrAlice, dont elle est commissaire.

Comment ce poste au MTU s’inscrit-il dans votre parcours ?

Le projet du musĂ©e Tomi Ungerer permet Ă  mes deux passions de se rencontrer. J’ai suivi des Ă©tudes de littĂ©rature comparĂ©e, avant de travailler dans une maison d’édition en Allemagne qui publiait notamment des philosophes français, comme Jean-Luc Nancy. Je suis arrivĂ©e dans le monde de l’art contemporain en tant que responsable de publications. Lorsque j’ai commencĂ© Ă  installer des Ɠuvres, j’ai dĂ©couvert le travail dans l’espace, qui

combine un volet intellectuel et une veine sensible, voire sensorielle. Comment les visiteurs se dĂ©placent-ils ? Comment se confrontent-ils Ă  l’Ɠuvre d’art ? Avec un catalogue, ou un livre illustrĂ©, on est dans une forme d’intimitĂ©, de face-Ă -face, alors que dans une exposition, l’expĂ©rience est partagĂ©e, plus large.

Le MMK de Francfort a un ancrage fort dans la crĂ©ation contemporaine. Comptez-vous continuer Ă  nourrir ces liens au sein du MTU ?

Il me semble en effet intĂ©ressant de renforcer l’entitĂ© Centre international de l’illustration avec des artistes jeunes, internationaux et fĂ©minins. Cet angle peut permettre de dĂ©couvrir des aspects nouveaux dans l’Ɠuvre de Tomi Ungerer, en la mettant en dialogue avec des crĂ©ations plus actuelles. Lui-mĂȘme Ă©tait animĂ© par une vision forte et ses Ɠuvres sont des commentaires politiques et sociaux sur

le monde. Il est donc cohĂ©rent de monter des expositions qui abordent les thĂšmes qui traversent notre Ă©poque. Tomi Ungerer Ă©tait un artiste protĂ©iforme et je pense que cela donne aussi la latitude pour comprendre l’illustration dans toute sa richesse, sans la mettre Ă  part des beauxarts ou de la littĂ©rature.

Vous parlez français et anglais, en plus de l’allemand, et ces langues sont aussi celles de Tomi Ungerer


Oui, il a mĂȘme Ă©crit des lettres Ă  son Ă©diteur oĂč il passe de l’une Ă  l’autre ! Au musĂ©e, il n’y a pas de hiĂ©rarchie entre les trois langues sur les cartels ou sur les textes des salles. Penser entre les langues, c’est une richesse pour une ville europĂ©enne comme Strasbourg. Il y a un esprit de transversalitĂ©, que l’on retrouve aussi au sein du rĂ©seau des musĂ©es et qui recĂšle un formidable potentiel pour imaginer des projets. » a

74 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

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ALESSIA SANNA VISUALISER LA DONNÉE À TRAVERS L’ART

Un appartement-atelier, des bacs transparents remplis de cubes de plĂątre, une projection de pixels de couleurs au plafond, et une artiste chercheuse pĂ©tillante d’intelligence. Si vous avez manquĂ© l’exposition Screen City, au 5e Lieu, en octobre 2022, il vous reste Ă  dĂ©couvrir l’artiste derriĂšre cette curieuse reprĂ©sentation de Strasbourg. Alessia Sanna, 27 ans, nous accueille pour livrer – avec son partenaire de travail et de cƓur, Alexandre Weisser – la genĂšse de son projet Screen City, et l’essence de son travail.

Alessia, vous ĂȘtes « artiste chercheuse ». Qu’est-ce qui se cache derriĂšre ce terme, comment se traduit-il dans votre travail ? Je poursuis un doctorat Ă  l’universitĂ© de Paris I-PanthĂ©on-Sorbonne en collaboration avec l’entreprise Hopscotch. Il s’agit d’une entreprise de relations publiques. Elle a la particularitĂ© de dĂ©velopper un concept qui est le « capital relationnel » : une idĂ©e basĂ©e sur les travaux de Maurice Obadia, sur l’économie de la relation. Mon rĂŽle, chez eux, est de dĂ©velopper les possibles en matiĂšre de modĂ©lisation – et de visualisation in fine – Ă  partir de mesures, de l’impact des relations dans un Ă©cosystĂšme entrepreneurial. Il y a deux pĂŽles : un sur le spectre de l’immatĂ©riel (mon sujet de recherche) : comme les relations, impalpables, et un autre sur les donnĂ©es, plus tangibles. Les deux forment une balance. En crĂ©ationrecherche, on part d’une production artistique pour dĂ©velopper une recherche thĂ©orique. Il en dĂ©coule que le fondement de mon travail de recherche est cette pratique exploratoire, expĂ©rimentale, et hybride. Screen City s’inscrivait lĂ , pour une recherche plus thĂ©orique autour de l’immatĂ©riel et de cet aspect incommensurable qui entoure les donnĂ©es issues de la Data.

Screen City, votre projet le plus prĂ©gnant, s’est exposĂ© au 5e Lieu. Le projet mĂȘle art et informatique. D’ailleurs, vous n’avez pas travaillĂ© seule, et de nombreux acteurs, comme l’EuromĂ©tropole

a CULTURE – ART ET INFORMATIQUE
№48 — Mars 2023 — Retour 76 a CULTURE
Marine Dumény Nicolas RosÚs

sont intervenus. Quelle est donc l’histoire derriĂšre ces cubes de plĂątres sur lesquels Ă©taient projetĂ©es des donnĂ©es ?

Nous sommes dans une citĂ© Ă©tudiante, au fin fond du Neudorf. Je moule du plĂątre dans des bacs Ă  glaçons en forme de Tetris. Voici le point de dĂ©part. Au dĂ©but, j’ai neuf piĂšces, puis je dĂ©cide d’acheter des bacs supplĂ©mentaires, et je me retrouve avec trois cents piĂšces dans 9 m2. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais je vois une sculpture qui se dĂ©ploie. Sur ces premiers moulages, je teste quelque chose qui m’a toujours intĂ©ressé : le mapping vidĂ©o. Avec un vidĂ©oprojecteur, je commence Ă  projeter des fractales sur mes piĂšces.

LĂ , il y a un imaginaire. Des graphes, des Ă©crans publicitaires
 Je pose tout cela au sol et un paysage de ville, vu – peut-ĂȘtre –par un satellite, se dessine. À moi d’injecter du sens. Si je travaille sur une ville, il me faut une carte. Je passe des fractales, et le mouvement de la lumiĂšre est intĂ©ressant. Je commence Ă  chercher des morphologies de ville et affine mon visuel comme ça. À ce stade, je trouve des cartes du rĂ©seau internet, donc j’hybride des visuels. Cette construction est exposĂ©e pour un prix qui s’appelle le Prix AMMA PanthĂ©on Sorbonne pour l’Art Contemporain. Elle y reçoit alors une premiĂšre rĂ©compense.

Mais, je rĂ©flĂ©chis toujours Ă  ces visuels, qui ne sont pour moi qu’une maquette. Je vois une ville intelligente, internet, une activitĂ© urbaine
 Ce projet va ĂȘtre exposĂ© Ă  la galerie Aedaen.

De là, le projet est incubé via le Shadok à Fluxus. Vous travaillez aussi avec Alexandre Weisser, qui est votre compagnon, et développeur en informatique. Et les données vont prendre une grande importance dans le projet


Avec Alexandre, je commence Ă  prendre rendez-vous auprĂšs de l’EMS, je rencontre Olivier Banaszak (gĂ©omaticien et responsable du service de gĂ©omĂ©trie – ndlr) et je me rends compte que je vais pouvoir travailler avec de vraies donnĂ©es, que cette activitĂ© urbaine que je suis en train de mimer Ă  travers un mapping qui est dans cet Ă©tat bricolĂ© pour le moment va pouvoir trouver du sens Ă  travers des donnĂ©es concrĂštes. Olivier me propose de travailler sur les donnĂ©es du RIL (rĂ©pertoire d’immeubles localisĂ©s – ndlr). Ce sont des donnĂ©es publiques, mais non commercialisables donc Alexandre doit adapter sa façon de travailler dessus.

Lorsqu’on arrive sur cette question des points, pour reprĂ©senter ces immeubles,

et du bleu aussi (en rĂ©fĂ©rence Ă  Yves Klein et au Blue Screen de Windows), on a donc cette esthĂ©tique qui va se mettre en route Ă  partir de ce moment-lĂ  et c’est aussi avec les apports techniques d’Alexandre que je vais pouvoir construire ces nouveaux visuels.

Vous choisissez de rester sur quelque chose de brut avec ces cubes de plĂątre et ces points bleu Klein.

La 3D, c’est non. Et je ne veux pas faire du spectaculaire. Je suis vraiment dans une dĂ©marche oĂč les visuels, la sculpture et le mapping doivent aller Ă  l’essentiel. Donc, rester dans le brut, l’essentiel, car Ă  travers cette simplicitĂ© de la forme, le cube, le carrĂ©, le rond, la sphĂšre, on va dĂ©velopper une complexitĂ© Ă  travers la simplicitĂ© des formes. Et c’est vraiment dans cet Ă©purement de la forme qu’on va construire le rĂ©cit de l’Ɠuvre. Et, dans tous mes projets, il y a un rapport au jeu, il y a toujours cette envie de manipuler.

Concrùtement, qu’est-ce qu’on voit sur ce projet ? Et de quoi est-il fait ?

Sur mes piĂšces de plĂątre se pose un mapping du RIL, en en exploitant les diffĂ©rentes dimensions. Il y a aussi les limites de la ville et le carroyage de densitĂ© de population : une couleur correspond Ă  une hauteur et c’est par rapport Ă  ça qu’on sait quelle piĂšce placer au sol (les donnĂ©es sont de l’INSEE – ndlr). Sur cette projection, il y a un son. Il accompagne l’Ɠuvre, et joue sur la sensibilitĂ© du spectateur. Il entre dans cette dĂ©marche

du minimaliste. Nul besoin de croiser dix jeux de donnĂ©es : on part de 1850 jusqu’en 2100, avec dix boucles de scĂ©narios, et on va avoir cette extrapolation qui sera faite avec une aggravation de 10 % entre chaque boucle donc plus de points lumineux qui apparaissent entre chaque groupe. Ce qui crĂ©e une diffĂ©rence entre la premiĂšre itĂ©ration et la derniĂšre. On parvient Ă  une sorte de monochrome bleu qui traduit cette saturation et ce sentiment d’inquiĂ©tude, qui devient de plus en plus palpable au fur et Ă  mesure du scĂ©nario. Le motif sonore qui vient en arriĂšre-plan est de StĂ©phane Clor, un artiste sonore. Il y a eu un travail de collecte depuis la plateforme de la cathĂ©drale pour enregistrer le paysage de Strasbourg. Et avec le logiciel Pure Data, Alexandre et lui ont fait « glitcher ».

Cette projection, elle donne le sentiment de voir une pollution lumineuse. Alertet-elle sur les enjeux de la ville de demain ?

La projection des donnĂ©es, sous forme de points, va crĂ©er de la pollution lumineuse. C’est un moyen dĂ©tournĂ© d’utiliser le point lumineux et la lumiĂšre comme un indicateur. Pour en fait montrer comment est habitĂ©e la ville. De fait, les jeux de donnĂ©es ne sont pas utilisĂ©s bruts. Nous les avons extrapolĂ©s, et créés des scĂ©narios prospectifs oĂč on imagine la ville et l’expansion urbaine, d’ici 2100. Ce qui est traduit n’est pas forcĂ©ment une rĂ©alitĂ©. C’est un scĂ©nario parmi tant d’autres. Et il traduit une inquiĂ©tude de surpopulation Ă  venir. Et donc l’enjeu environnemental. » a

77 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

BRUNO MANTOVANI « NOUS N’AVONS PAS LE DROIT DE NOUS AUTOCENSURER »

Figure emblĂ©matique de la gĂ©nĂ©ration actuelle de compositeurs, Bruno Mantovani est actuellement, et pour deux saisons, en rĂ©sidence Ă  l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (OPS).

Il fait partie de ceux qui m’ont incitĂ© Ă  me renouveler. C’est aussi Ă  Strasbourg, en 2006, que j’ai créé avec l’OPS mon premier opĂ©ra, L’autre CĂŽtĂ©, Ă  l’OpĂ©ra du Rhin alors dirigĂ© par Nicolas Snowman. Et j’ai retrouvĂ© l’OPS en 2010, lors d’une tournĂ©e du festival Musica oĂč je dirigeais la Nuit transfigurĂ©e d’Arnold Schoenberg.

Quel est votre regard sur la ville ?

La tradition musicale y est trĂšs forte et sa culture franco-allemande se ressent jusque dans l’Orchestre. Si j’y reviens avec autant de plaisir, c’est aussi pour Marie Linden, qui le dirige actuellement. Marie est une amie trĂšs proche avec qui j’ai notamment eu le plaisir de travailler au Conservatoire de Paris dont j’ai Ă©tĂ© directeur entre 2010 et 2019. Elle fait partie de ma « famille de pensĂ©e », nous partageons un mĂȘme regard sur la politique et la modernitĂ©.

Ă©coute, oĂč on parle, oĂč on s’interrompt et oĂč surtout on rĂ©agit Ă  partir d’Ɠuvres qui enracinent la musique contemporaine.

C’est ce que nous ferons à l’OPS, pour tous les publics.

Comment dĂ©finir la musique contemporaine ?

J’ai un problĂšme avec cette expression qui ne veut pas dire grand-chose. La premiĂšre sonate de Boulez est antĂ©rieure de deux ans aux derniers lieder de Strauss
 La date ne signifie rien, elle ne fait pas une Ɠuvre contemporaine. Aujourd’hui, il y a trop de diversitĂ© pour parler de musique contemporaine, je prĂ©fĂšre musique d’aujourd’hui, musique de notre temps sachant que plus on avance, plus les langages sont individuels.

Quelle est votre inspiration ?

En avril, il y crĂ©era Memoria, sous la baguette du directeur artistique et musical de l’Orchestre, Aziz Shokhakimov. C’est une Ɠuvre artistique et politique, Ă  l’image de l’engagement de ce musicien actuellement directeur du Conservatoire Ă  rayonnement rĂ©gional de Saint-Maur-des-FossĂ©s, directeur artistique et musical de l’Ensemble Orchestral Contemporain et directeur artistique du festival du Printemps des arts de Monte-Carlo.

Comment se sont nouĂ©s vos liens avec Strasbourg ?

J’ai connu Strasbourg par le biais du festival Musica  en 2001. Jean-Dominique Marco qui le dirigeait m’a fait confiance dùs ma sortie du Conservatoire de Paris.

C’est-à-dire ?

Depuis les attentats de Charlie Hebdo qui ont marquĂ© la fin d’un monde, nous traversons une Ă©poque relativement pauvre en pensĂ©e oĂč les idĂ©ologues et les gestionnaires ont pris la main.

La crĂ©ation artistique apparaĂźt dĂ©sormais comme Ă©litiste et semble relever du « monde d’avant » alors qu’elle tient de l’exploration de territoires nouveaux, de surprises et de dĂ©couvertes.

À mon sens, l’accĂšs aux plus grandes Ɠuvres passent, non par la baisse de niveau et de l’exigence comme il est de bon ton de le penser aujourd’hui, mais par l’éducation.

Je crois Ă  la mĂ©diation, au fait de parler pour proposer d’autres choses : des rĂ©pĂ©titions publiques, des salons oĂč on

La musique elle-mĂȘme, celle du passĂ©, celle qui s’autogĂ©nĂšre par ses propres lois. Ses relations avec d’autres formes d’art me passionnent, le roman et la charge des mots, la danse, jusqu’aux arts culinaires. Et bien sĂ»r la peinture dont l’énergie est souvent impressionnante.

Comment qualifierez-vous Memoria , l’Ɠuvre que vous allez crĂ©er Ă  Strasbourg en avril ?

Il s’agit d’une Ɠuvre politique dĂ©diĂ©e Ă  quatre Ă©tudiants de l’universitĂ© française d’ArmĂ©nie tuĂ©s en 2020 lors de la guerre du Haut-Karabagh. Mes trois opĂ©ras (le prochain sera créé en 2024) sont aussi fondĂ©s sur des arguments politiques. La relation entre crĂ©ation et pouvoir totalitaire me passionne. La crĂ©ation est un acte militant, nous n’avons pas le droit de nous autocensurer. a

a CULTURE — MUSIQUE D’AUJOURD’HUI
78 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

CHRISTOPHE WEHRUNG « JE PEINS POUR APPRENDRE À PEINDRE »

Dans de vieux ateliers encombrĂ©s de tubes et de pinceaux, de bouquets fanĂ©s et d’objets hĂ©tĂ©roclites travaillent les peintres loin du bruit et de la fureur. Il y en a plusieurs Ă  Strasbourg. Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s chez Christophe Wehrung, d’abord Ă  sa Galerie de l’Estampe, la plus ancienne de Strasbourg, saisis par ses toiles intensĂ©ment lumineuses, oĂč un jaune d’or explose au milieu des paysages toujours d’étĂ©, sereins et emplis de plĂ©nitude.

Un chemin parcourt ces vastes paysages, oĂč l’on voit loin, parfois entourĂ©s d’ombres ciselĂ©es de branches et de feuilles ou de troncs fins qui s’élancent. Les couleurs sont vives, ici une petite Ă©chelle ou une barriĂšre de jardin suggĂšre une prĂ©sence humaine, jamais figurĂ©e par des personnages.

Pourtant rien de froid, tout au contraire. Essentiellement travaillĂ©es Ă  l’huile, les toiles sont assez grandes, donnent une impression de profondeur, y compris sur les paysages d’eau, oĂč la transparence est parcourue de miroitements. Miracle de la main du peintre pour rendre limpides ces bleus si beaux, les lentilles sur l’eau, et les ombres sous la surface ou celles des arbres au-dessus d’elle


L’ODEUR DE LA « MAYONNAISE »

Christophe Wehrung est connu des strasbourgeois pour son énorme ours dans la façade du Printemps, rue du Noyer, son funambule accroché au Ciarus, ou son bateau ivre, sculpture flottante un

moment sur l’Ill. Ce qui frappe c’est comme un Ă©lancement, des Ă©quilibres qui se font naturellement dans quelques tableaux-doubles qui fonctionnent si bien ensemble bien qu’ils soient diffĂ©rents, ou les triptyques liĂ©s et dĂ©liĂ©s
 Une recherche sans tourments apparents, un peintre qui vous accueille avec un grand sourire, sans aucune posture de maĂźtre (« Je peins pour apprendre Ă  peindre » est sa devise), tout au contraire, une impression de recherche tranquille. Un travail rĂ©tinien d’observation pure, dit-il, ou, quand on s’étonne de la qualitĂ© de son jaune, dit que c’est grĂące au tube ! Le premier plan donne le ton, mais plus encore, ce qu’il y a au fond, voire au loin, est ce qui importe.

On y monte ou on y descend dans le chemin devinĂ©, comme lors d’une promenade oĂč on ne sait pas vraiment oĂč l’on va


Les teintes sont vives sans ĂȘtre surnaturelles, quelque chose de mordorĂ© bouge dans les arbres ou les Ă©tangs, sujets simples, mais intemporels. Christophe Wehrung parle de son tra -

vail de traces, il indique sans imposer, il propose sans imposer. Autres teintes, celles des portraits, tellement ressemblants, car y apparaĂźt la vĂ©ritĂ© d’une personne et pas seulement son apparence, dans des teintes trĂšs diffĂ©rentes, plus sombres, comme Ă©galement, dans la nature morte ce velours presque noir – une couleur qu’il dit ne jamais employer – du rouge des roses sĂ©chĂ©es.

On quitte Ă  regret cet atelier chaleureux oĂč un jeune garçon pianote sur un Ă©cran en attendant son pĂšre assis sur une vieille chaise. On quitte l’odeur de la mayonnaise (ce sont ses mots et il nous fait sentir cette odeur comme s’il s’agissait du fumet d’un petit plat) que fabrique Christophe Wehrung pour l’alchimie d’un travail silencieux et si lumineux. a

a CULTURE — GALERIE DE L’ESTAMPE Galeriedel’Estampepourdestoiles exposĂ©esenpermanence 31Quaidesateliers–Strasbourg www.christophewehrung.com
80 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

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VICTOR WEINSANTO LE JEUNE PRODIGE HORS-NORME DE LA MODE STRASBOURGEOISE

« Jeune prodige de la mode » pour le ToutParis, le styliste Victor Weinsanto a grandi Ă  Strasbourg. Loin de renier ses origines, le gĂ©nie fashion ose dĂ©tourner le folklore alsacien, aime casser les codes et apporter une bonne dose de second degrĂ© et de couleur Ă  ses crĂ©ations. Rencontre avec un artiste accessible et les pieds bien sur terre.

a CULTURE — SAGA 82 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Barbara Romero François Quillacq

il prĂ©fĂšre se dire « dĂ©calé » plutĂŽt qu’hors-norme, « parce qu’aprĂšs tout, c’est quoi la norme ? », rappelle-t-il, de notre avis, Victor Weinsanto est totalement hors-norme. Un jeune prodige de la mode qui a lancĂ© sa marque une semaine avant le premier confinement, dont l’audace et le gĂ©nie ont tapĂ© dans l’Ɠil d’Adrian Joffe, le fondateur de Comme des garçons. Un styliste qui sĂ©duit par son style dĂ©calĂ© justement, trĂšs second degrĂ©, frais, enchanteur, extravagant, mais aussi hyper facile Ă  vivre.

« Tout est portable, moi-mĂȘme aujourd’hui je suis habillĂ© simplement avec un tee-shirt et un pantalon noir, je ne porte pas mes grands chapeaux dans la rue tous les jours, commente-t-il avec malice. C’est une marque qui fait un tout, des piĂšces un peu hors-normes, c’est vrai, opulentes, extravagantes, mais aussi des piĂšces que ma mĂšre porte ! » Ce qui sĂ©duit justement, c’est son identitĂ© visuelle singuliĂšre : « On aime ou on dĂ©teste. Mais cela provoque une Ă©motion, c’est cela qui fait sens selon moi. »

« Ma collection dĂ©tournant le folklore alsacien est celle que je prĂ©fĂšre pour ce qu’elle reprĂ©sente » confiet-il. On a une image datĂ©e de l’Alsace, alors que le folklore n’est pas ringard. » Quand il imagine cette collection, Victor se plonge dans ses racines, dĂ©cortique de vieilles photos, retrace des traditions oubliĂ©es. « Je suis trĂšs attachĂ© Ă  mes origines alsaciennes, je suis plus chauvin aujourd’hui qu’avant ! »

« ON SE REND TRÈS VITE COMPTE QUE LE CHEMIN EST LONG »

À Paris aujourd’hui, toutes les portes lui sont ouvertes. « Sur certains aspects, c’est plus simple pour trouver une table au resto, s’amuse-t-il. Mais c’est aussi plus compliquĂ©, car les gens ont des attentes, une marque reste un business avant tout, on sent la pression de toujours devoir Ă©voluer, grandir. » Mais le styliste ne manque ni d’envie, ni d’énergie. « Dans ce mĂ©tier, il faut ĂȘtre bosseur, la danse m’a appris Ă  ĂȘtre rigoureux. » Car Ă  l’origine, Victor se destinait Ă  ĂȘtre danseur professionnel. « J’ai commencĂ© Ă  quatre ans, et j’étais semipro Ă  dix ans, sans savoir ce qui m’attendait vraiment. Vers seize ans, j’étais blasĂ©. Tu vis danse, tu manges, tu dors, tu danses. Je n’en pouvais plus ! Je n’étais pas trĂšs bon Ă  l’école, alors je me suis dit pourquoi pas la mode, j’aime les vĂȘtements, les couleurs, les tissus, et tout s’apprend ! »

Quand il intĂšgre l’Atelier Chardon Savard aprĂšs avoir dĂ©crochĂ© son bac littĂ©raire –avec mention tout de mĂȘme ! – il dĂ©chante un peu. « On arrive avec de grands rĂȘves, mais on se rend trĂšs vite compte que le chemin est long. Ce n’était pas aussi glam’ et paillettes que je le pensais, mais pour la premiĂšre fois, j’ai fait des Ă©tudes oĂč je prenais 100 % de plaisir. »

À la sortie, il dĂ©croche au culot un stage chez Jean-Paul Gaultier, « et lĂ  j’ai enfin pu trouver la vie douce. C’est un crĂ©ateur de gĂ©nie, au grand cƓur, j’avais tellement de chance d’ĂȘtre dans une maison oĂč l’on se sent bien. Ce n’est pas le cas dans tous les studios  »

C’est un peu par hasard, sur fond d’audace toujours, qu’il lance sa propre

S’
« ON A UNE IMAGE DATÉE DE L’ALSACE, ALORS QUE LE FOLKLORE N’EST PAS RINGARD. »
83 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
L’Alsacienne vue par Victor

maison de couture en 2020. Dans les couloirs, se murmurait le dĂ©part Ă  la retraite de l’iconique styliste français. « Il fallait que je prĂ©sente des looks et croquis pour espĂ©rer trouver du travail, souligne Victor, et je me suis dit, autant organiser un petit dĂ©filĂ© Ă  la bonne franquette pour me faire connaĂźtre. »

Et Victor Weinsanto, la marque, est nĂ©e. « Un ami avait invitĂ© Adrian Joffe, ils Ă©taient tous les deux Ă©mus de voir un petit bĂ©bĂ© faire son crash-test dans le grand aquarium de la mode ! » Une semaine aprĂšs ce premier coup de gĂ©nie, c’est le confinement. « Adrian Joffe m’a

alors tendu la main, et m’a proposĂ© de vendre mes crĂ©ations dans son showroom. » Un deal qui lui facilite la vie et lui offre une belle notoriĂ©tĂ©. « Comme toute jeune marque, on galĂšre, Gaultier aussi a galĂ©rĂ© Ă  ses dĂ©buts, rappelle-t-il. Travailler avec Adrian est une chance, car on leur vend notre collection qu’ils vendent euxmĂȘmes. C’est une livraison, une facture, et on a la chance de bĂ©nĂ©ficier de la renommĂ©e de Comme des garçons. »

À TRAVERS SES SHOWS PSYCHÉS


Si l’inflation et la crise l’effraient, d’autant qu’en tant qu’indĂ©pendant, « il faut en vendre des tee-shirts pour rembourser tout ça ! », Victor reste optimiste, confiant et ingĂ©nieux. « Quand on me propose un catering Ă  1200€, je prĂ©fĂšre aller chez Lidl et dĂ©penser 100 euros pour acheter de quoi boire et manger ! »

Victor vient aussi d’ĂȘtre nommĂ© ambassadeur de Nona Source, la plateforme de revente des tissus dormants du groupe LVMH. « Cela permet Ă  de jeunes crĂ©ateurs comme moi de se fournir en tissus de superbe qualitĂ©, prĂ©cise-t-il. C’est une vraie dĂ©marche Ă©co-responsable, car pourquoi produire plus de tissus alors qu’il y en a plein de dormants ? » Une belle avancĂ©e pour le crĂ©ateur, qui porte un regard sĂ©vĂšre sur la fast-fashion et les dĂ©gĂąts qu’elle engendre. « Vous imaginez que certaines marques produisent 140 collections par an, c’est complĂštement ahurissant ! Quand on achĂšte un tee-shirt Ă  10€, si je fais le calcul du prix de revient, ce n’est que quelques centimes, parce que conçu dans des pays oĂč les conditions humaines ne sont pas respectĂ©es
 C’est ça qui est grave. »

Victor Weinsanto plaide pour une mode plus responsable, pour le fameux acheter moins, mais mieux. Et nous offre à travers ses créations colorées et décalées, à travers ses shows psychés mettant en scÚne de vraies personnes, cette part de beauté, de fantaisie, et de je-ne-saisquoi du vrai talent à la française.

Pour ce printemps-Ă©tĂ©, il a imaginĂ© une collection Common Love , un vĂ©ritable hymne Ă  l’amitiĂ© et Ă  l’amour, dĂ©diĂ© Ă  tous ses amis peintres, artistes, photographes, stylistes qui forment avec lui une nouvelle gĂ©nĂ©ration de crĂ©atifs ultra solidaires, « contrairement Ă  ce que l’on peut dire », confie le jeune homme qui marche sur les traces d’un autre Strasbourgeois de gĂ©nie, danseur et styliste
 Thierry Mugler. a

« ADRIAN JOFFE M’A ALORS TENDU LA MAIN, ET M’A PROPOSÉ DE VENDRE MES CRÉATIONS DANS SON SHOW-ROOM »
84 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
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HERVÉ BOHNERT À LA MORT – À LA VIE

Artiste strasbourgeois dĂ©sormais prĂ©sent dans de grandes collections internationales, HervĂ© Bohnert est aux cimaises de la galerie Ritsch-Fisch jusqu’au 14 avril. S’y dĂ©ploie une rĂ©trospective envoĂ»tante oĂč se mĂȘlent sculptures, dessins et photos grattĂ©es d’une grande force plastique, symbolique et poĂ©tique. Un monde oĂč la vie et la mort se tiennent la main. Sans effroi.

Rien de prĂ©somptueux chez HervĂ© Bohnert, rien Ă  assĂ©ner, rien Ă  dĂ©montrer. Il parle d’une voix douce presque craintive, passant d’Ɠuvre en Ɠuvre juste avant l’inauguration de l’exposition que lui consacre la trĂšs belle galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch

Vingt annĂ©es de crĂ©ation se dĂ©clinent aux cimaises, non pas chronologiquement, mais par affinitĂ©s Ă©lectives. L’Ɠuvre se dĂ©couvre dans la variĂ©tĂ© de ses techniques et l’omniprĂ©sence d’une thĂ©matique : celle de la mort qui succĂšde Ă  la vie et recĂšle une beautĂ© bien Ă  elle. Architecture du squelette, chairs Ă©vidĂ©es pour laisser apparaĂźtre la structure qui les sous-tend, souvenirs d’un ĂȘtre qui fut proche, l’artiste ne cache pas sa fascination pour les Memento Mori et autres rites funĂ©raires dont la modernitĂ© – rĂ©tive aux rites – nous a dĂ©tournĂ©s. « J’ai toujours collectionnĂ© les objets d’avantguerre reliĂ©s Ă  cet univers », confie HervĂ© Bohnert. Photos d’enfants – il en mourait beaucoup jadis – ou de personnes dĂ©cĂ©dĂ©s, souvenirs de communion ou de mariage aux personnages figĂ©s dans un inquiĂ©tant sĂ©rieux, images de danses macabres, objets patinĂ©s par tous ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaĂźtre


De ce compagnonnage est née une recréation de tous ces objets.

L’artiste s’en est emparĂ© « par nĂ©cessité », sans codes prĂ©conçus, sans leçon

a CULTURE – EXPO
86 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Communication Journalisme Web MĂ©tiers du sport Informatique Transition Ă©cologique et solidaire Rendez-vous par tĂ©lĂ©phone au 03 88 36 37 81 ou par mail Ă  strasbourg@mediaschool.eu Presqu’üle Malraux 16, rue du bassin d’Austerlitz 67100 Strasbourg Retrouvez-nous sur les rĂ©seaux MediaSchool.eu/strasbourg

IL N’EFFRAYE PAS, IL INTRIGUE ET INVITE À NE

PAS SE DÉTOURNER DES DÉFUNTS POUR LES LAISSER TOMBER DANS UN OUBLI

QUI NE RACONTE QUE NOS PROPRES PEURS.

d’art pĂ©remptoire, juste parce qu’il le fallait, rejoignant ainsi l’art brut tel que Jean Dubuffet l’a dĂ©fini en tant qu’« ouvrages exĂ©cutĂ©s par des personnes indemnes de culture artistique », exempts de poncifs.

« À CHACUN DE LIRE CE QU’IL VEUT LIRE »

Il a dĂ©licatement dĂ©charnĂ© de gracieuses cariatides en en sculptant le squelette, retrouvĂ© la matiĂšre de bas-reliefs religieux enfouie sous des couches de mĂ©chante peinture et retravailler leurs sujets jusqu’à l’os, accoler le mort et le vif dans le seul visage d’un christ, d’une madone ou d’une Alsacienne toujours rieuse.

Car le macabre reste alerte sous la gouge ou le pinceau d’HervĂ© Bohnert.

Il n’effraye pas, il intrigue et invite Ă  ne pas se dĂ©tourner des dĂ©funts pour les laisser tomber dans un oubli qui ne raconte que nos propres peurs. Visiteur de catacombes, l’artiste y aime la

familiaritĂ© avec les disparus. « La mort et la vie cohabitent », rappelle-t-il en Ă©voquant cette rĂ©cente pandĂ©mie qui lui a inspirĂ© le buffet prĂ©sentĂ© actuellement dans la grande exposition sur l’art brut au musĂ©e WĂŒrth d’Erstein.

« L’époque Covid Ă©tait Ă©trange », ditil, « mon travail raconte aussi que la mort aura toujours le dernier mot et qu’il faut profiter de la vie ».

Plus qu’un Memonto Mori, l’exposition se veut Memento Vivere Elle dit la force de la vie, insuffle de l’énergie aux souvenirs, revisite les DĂ©sastres de la guerre de Goya  ou Les Amants trĂ©passĂ©s du musĂ©e de l’Ɠuvre Notre-Dame  et rend aux objets dĂ©laissĂ©s toute leur raison d’ĂȘtre au monde.

Sans jamais heurter ni profaner le religieux, qu’il soit chrĂ©tien ou animiste. Aucune Ɠuvre n’est datĂ©e ou titrĂ©e. Ce serait trop prescriptif aux yeux d’un artiste jaloux de sa propre libertĂ© et de celle d’autrui. « À chacun de lire ce qu’il veut lire », dit-il.

« HervĂ© a un travail Ă  cĂŽtĂ© de son art », enchaĂźne son galeriste Richard Solti, « il est artiste par nĂ©cessitĂ© de crĂ©er, pas pour gagner sa vie, plaire ou expliquer quoi que ce soit Ă  qui que ce soit. Il est libre et c’est une force qui le dispense de dĂ©pendre de tout regard extĂ©rieur ».

« C’est vrai que je fais ce que je veux », lui rĂ©pond l’intĂ©ressĂ©. « Je suis curieux des techniques et je cherche les solutions en autodidacte ».

Avec la certitude qu’« il ne faut jamais remettre Ă  demain ». « Quand une idĂ©e s’impose, il faut lui obĂ©ir ».

Et s’emparer d’un objet rĂ©cupĂ©rĂ© au hasard de la chine, plus ou moins longtemps cĂŽtoyĂ© dans son atelier afin de lui donner un vie d’entre deux vies. a

GalerieJ-P Ritsch-Fisch 6,ruedesCharpentiers–Strasbourg www.ritschfisch.com
88 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

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CENTRE POMPIDOU METZ RETOUR VERS LE FUTUR

90 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

Réédition de l’Ɠuvre de William Gibson, chantre du cyberpunk, remake du film

Dune par Denis Villeneuve, retour en grĂące du mouvement brutaliste en architecture, confĂ©rences d’Alain Damasio sur le technocapitalisme
 La science-fiction, vĂ©ritable poil Ă  gratter conceptuel, revient bousculer les idĂ©es reçues au moment oĂč l’avenir semble, il faut le dire, un peu bouchĂ© ! Les Portes du possible. Art & science-fiction, la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz ne s’y trompe pas, colle Ă  l’air du temps, et dispatche sur quelques 2300 m2 des Ɠuvres qui interrogent notre prĂ©sent Ă  travers le prisme du futur. Voyage en terres post-connues.

Les portes du possible, on les pousse sans trop savoir Ă  quoi s’attendre. À une Ă©poque oĂč justement, la rĂ©alitĂ© a bel et bien rejoint la fiction, Ă  grand renfort de rĂ©alitĂ© virtuelle et d’équipĂ©e martienne, on a peine Ă  imaginer
 ce que l’on pourrait bien imaginer de neuf ! Et c’est lĂ  que se situe toute l’intelligence – et la beautĂ© – du paradigme science-fictionnel. La pensĂ©e futuriste ne s’exprime jamais ex nihilo : sous couvert d’anticipation, la SF nous parle de nos peurs, de nos fantasmes, de nos erreurs, mais aussi de nos espoirs prĂ©sents. Ainsi,

pour Alexandra MĂŒller, commissaire de l’exposition, la science-fiction nous permet de « changer de direction, redĂ©finir notre relation Ă  l’environnement, dĂ©passer un capitalisme sans borne, réécrire l’Histoire. Pour elle, la force de nos imaginations est un outil capable de rĂ©orienter nos futurs. »

FUTUR ANTÉRIEUR

Artistes plasticiens, Ă©crivains, mais aussi architectes et cinĂ©astes, l’exposition regroupe pas moins de 200 Ɠuvres de

a CULTURE – EXPOSITION
Aurélien Montinari François Quillacq
« C’est une expĂ©rience trĂšs insolite que d’écrire quelque chose dans un roman, en Ă©tant persuadĂ© que c’est une pure fiction, et d’apprendre plus tard – bien des annĂ©es plus tard –qu’en fait, c’est vrai.  »
Philip K. Dick
91 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

la fin des annĂ©es 1960 Ă  nos jours, l’occasion de prendre toute la mesure de la pertinence de certains travaux qui avaient dĂ©jĂ  su, il y a plus d’un demi-siĂšcle, anticiper les enjeux de notre Ă©poque.

Le parcours s’articule autour de cinq espaces reprenant chacun le titre d’un livre phare et dĂ©veloppant une thĂ©matique prĂ©cise. Le meilleur des mondes et ses questions sociĂ©tales, Neuromancien et les technosciences, Les androĂŻdes rĂȘventils de moutons Ă©lectriques ? et le cyborgisme, Soleil vert et l’écologie et, enfin, La parabole du semeur et les nouvelles formes du mythe.

La scĂ©nographie, elle, se veut accidentĂ©e et rĂ©flexive au sens propre, comme au figurĂ©. Murs, sols et plafonds sont brisĂ©s, parfois remplacĂ©s par des miroirs, comme autant d’ouvertures vers d’autres mondes et diffractions du rĂ©el. « La scĂ©nographie joue sur une ambivalence en crĂ©ant un espace dont on ne sait pas s’il est en cours

de construction ou de destruction. Cette ambiguĂŻtĂ© rĂ©sonne avec l’insĂ©curitĂ© et la dĂ©sorientation qui rĂšgnent sur notre monde actuel. Il s’agit aussi de dĂ©payser les visiteurs, de les emmener vers un ailleurs », explique Alexandra MĂŒller.

Loin des clichĂ©s de la pop culture, l’exposition Les portes du possible se penche sur nos prĂ©occupations contemporaines, rĂ©vĂ©lant la puissance critique de la science-fiction, cette forme de pensĂ©e qui nous permet d’envisager – et de construire – enfin un avenir dĂ©sirable
 a

LES PORTES DU POSSIBLE

Jusqu’au 10 avril 2023

Centre Pompidou Metz

1 Parvis des Droits-de-l’Homme

Tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h, le week-end jusqu’à 19h

centrepompidou-metz.fr

« LA FORCE DE NOS IMAGINATIONS EST UN OUTIL CAPABLE DE RÉORIENTER NOS FUTURS. »
92 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

T NS Théùtre National de Strasbourg

Les spectacles

Comme tu me veux

Luigi Pirandello | Stéphane Braunschweig 27 fév | 4 mars

Un pas de chat sauvage

CRÉATION AU TNS

Marie NDiaye * | Blandine Savetier * 2 | 10 mars

Grand Palais

Julien Gaillard, Frédéric Vossier | Pascal Kirsch 10 | 16 mars

Mineur non accompagnĂ© en remplacement de Îlots

Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel 17 | 25 mars

Mon absente

Pascal Rambert * 28 mars | 6 avril

Tout mon amour

Laurent Mauvignier | Arnaud Meunier 11 | 15 avril

L’EsthĂ©tique de la rĂ©sistance

CRÉATION AU TNS

Peter Weiss | Sylvain Creuzevault 23 | 27 mai

* Artistes associé·es au TNS

L’autre saison

Beretta 68

CARTE BLANCHE DE L’ÉCOLE DU TNS

Spectacle conçu par 8 Ă©lĂšves du Groupe 47 de l’École du TNS 29 mars | 1er avril | TNS

Intuition, friction, papillon

PRÉSENTATION D’UN ATELIER DE JEU DE L’ÉCOLE DU TNS

Marc Proulx | Avec les Ă©lĂšves du Groupe 47 28 et 29 mars | Espace GrĂŒber

Spectacle de la Troupe Avenir #7

IMMERSIONS THÉÂTRALES 16-25 ANS

Iannis Haillet et Florence Albaret

Ven 21 avril | 20 h

Sam 22 avril | 15 h et 20 h

Espace GrĂŒber

Prix des lycéen·nes Bernard Marie-KoltÚs

PRIX DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE CONTEMPORAINE

Cérémonie de clÎture

Ven 2 juin | 14 h 30

Espace GrĂŒber

03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2223
Nancy Nkusi, Un pas de chat sauvage © Jean-Louis Fernandez

ESTELLE

LAGARDE L’ÉTERNITÉ DE HÉLÈNE

Bataclan. 13 novembre 2015. La barbarie. HĂ©lĂšne meurt sous les balles des terroristes. Le petit Melvin ne reverra plus sa maman. Quelques semaines plus tard, Antoine Leiris, son compagnon et pĂšre de Melvin, Ă©crira Vous n’aurez pas ma haine. La photographe Estelle Lagarde Ă©tait l’amie de la compagne d’Antoine. Elle avait dĂ©jĂ  rĂ©uni quelques photos d’HĂ©lĂšne dans un prĂ©cĂ©dent livre, L’auberge. Elle publie aujourd’hui cet ouvrage prĂ©cieusement rĂ©alisĂ©, sobrement titrĂ© HĂ©lĂšne. « La route sinueuse de ses photographies mĂšne Ă  l’éternitĂ© d’HĂšlĂšne » Ă©crit superbement Brigitte Patient dans la prĂ©face du livre. Elle ajoute : « Depuis toujours, Estelle Lagarde travaille le temps. Elle modĂšle dans ses photographies les prĂ©sences, les absences. Les traces laissĂ©es par des vies dans des lieux abandonnĂ©s, oubliĂ©s. » Tout est dit.

el.estelle.lagarde@protonmail.com

Le livre sera présenté le 25 mars prochain de 15h30 à 18h à la galerie Radial, 11b Quai Turckheim à Strasbourg en présence de la photographe.

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Photos du portfolio des pages suivantes : © Estelle Lagarde – agence rĂ©vĂ©lateur
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a CULTURE — POÉSIE

POÉSIE LA FRONTIÈRE

Le mot frontiĂšre est d’abord un mot merveilleux, car il est polysĂ©mique. Il signifie aussi bien ce qui limite que ce qui laisse passer, ce qui sĂ©pare comme ce qui rĂ©unit


Couverture du livre La FrontiĂšre (Ed. Gautier-Languereau)

104 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Isabelle Baladine Howald Antoine Guillopé

on origine est d’ailleurs plutĂŽt militaire : faire front, c’est-Ă -dire se mettre en face d’un ennemi potentiel. FrontiĂšres Ă  notre Ă©poque est moins synonyme de dĂ©limitations de son propre pays – rien que de trĂšs normal au fond – que de l’interdire aux autres. BarbelĂ©s, soldats, rien n’est trop meurtrier pour empĂȘcher l’étranger de passer. Ce n’est sans doute pas toujours injustifiĂ©, mais frontiĂšre ne devrait-elle pas d’abord signifier accueil avant d’ĂȘtre interdiction, refoulement ?

Autrefois nous partions aux confins de l’Est, par exemple. Aujourd’hui l’Est se ferme Ă  son voisin de l’Est. Son presque soi est devenu son ennemi, celui qu’il veut non seulement dĂ©truire, mais soumettre, lui enlever racines, cultures, et mĂȘme la vie. Les confins n’existent plus, car vous ĂȘtes arrĂȘtĂ© Ă  chaque douane.

La frontiĂšre peut ĂȘtre naturelle comme le Rhin, elle peut ĂȘtre relativement incontrĂŽlĂ©e comme l’espace Schengen, elle peut ĂȘtre une ligne juridiquement dĂ©cidĂ©e ou une zone de no man’s land. Elle peut mĂȘme sĂ©parer le mĂȘme pays Ă  l’origine, voir la CorĂ©e. Elle ne devrait que dĂ©limiter un pays pour qu’on puisse franchir (passer la frontiĂšre) le seuil d’un autre pays. Elle devient synonyme de contrĂŽle, de peur, de danger au lieu d’ĂȘtre synonyme de dĂ©sir, d’attente et d’espoir.

Les enfants adorent passer les frontiĂšres, c’est un petit tremblement de ce que l’on est quand on voyage en sĂ©curitĂ© avec ses parents vers ce petit tremblement qu’est en face de nous l’autre, le paysage, les habitudes, au lieu de n’ĂȘtre que pertes et craintes quand on passe Ă  pied, Ă©puisĂ©, son quant-Ă -soi dans un pauvre sac Ă  dos.

BORDERLINE

C’est un sujet qui n’est plus que gĂ©opolitique. Ausweis, no pasaran, les slogans ne manquent pas pour l’ouvrir ou la fermer : tu passes ou tu ne passes pas. Or on peut ĂȘtre aux frontiĂšres de l’adolescence, de la vieillesse ou de la folie, du rĂȘve ou de la rĂ©alitĂ©, on peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© normal ou borderline, on peut passer comme Modiano du flou Ă  l’encore plus flou.

La frontiĂšre permet le transport (y compris amoureux). On rĂȘve d’un pays quand le sien est devenu trop pauvre ou trop dictatorial. C’est une porte virtuelle, une barriĂšre rĂ©elle. Passer sous un camion ou par-dessus une clĂŽture, la frontiĂšre est basse ou haute.

Quel rapport avec la poĂ©sie, me direzvous ? Paul Eluard a Ă©crit : « Le mot frontiĂšre est un mot borgne. L’homme a deux yeux pour voir le monde », c’est dire que la frontiĂšre risque toujours de fermer quelque chose Ă  la vue. Celui qui a Ă©crit LibertĂ© durant ses annĂ©es de rĂ©sistance connaissait cette frontiĂšre intra muros, la fameuse ligne de dĂ©marcation, celle qui sĂ©parait ceux qui Ă©taient encore français et libres et ceux qui passaient sous le joug allemand et n’étaient plus libres. Or le poĂšte a besoin de voir, au-dedans de lui comme au-dehors.

Il y a moins d’un an est venu ce poùme :

Il est couchĂ©, sa tĂȘte tout prĂšs des barbelĂ©s, rouleaux dentelĂ©s de pointes d’argent qui dĂ©chirent peaux et vĂȘtements il se photographie

Il se photographie couchĂ© sur le dos, sa tĂȘte tout prĂšs des barbelĂ©s, peut-ĂȘtre photographie-t-il la libertĂ© derriĂšre ou la lisiĂšre de la forĂȘt entre les jambes des soldats

Entre les jambes des soldats brillent les dents d’argent des rouleaux dentelĂ©s la libertĂ© a la couleur de la forĂȘt polonaise il se photographie

La lisiĂšre de la forĂȘt est Ă  peu de mĂštres de sa tĂȘte sur le sol froid tout prĂšs des dents d’argent des barbelĂ©s sa tĂȘte il photographie la frontiĂšre. a

S
105 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour

CATHERINE BOLZINGER CHANTER ENSEMBLE CRÉE UNE « HUMANITÉ AUGMENTÉE »

« La voix est la musique du corps », confie Catherine Bolzinger, une musique portĂ©e dans « une espĂšce de fragilité » puisque le chanteur n’est pas « protĂ©gé » par un instrument
 C’est peut-ĂȘtre cela qui bouleverse autant le public de Voix de Stras’, le chƓur de femmes qu’elle dirige depuis 2014.

a CULTURE — VOIX DE STRA’S
106 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Xxxxxxx

Trois Ă©quipes s’y sont succĂ©dĂ©. L’actuelle mĂȘle les timbres de chanteuses originaires d’Uruguay, des États-Unis, de Russie, d’ArmĂ©nie, de CorĂ©e du Sud et
 d’Alsace. Toutes professionnelles, toutes singuliĂšres. « Un groupe pas forcĂ©ment simple » – heureusement, car Catherine n’aime pas le « lisse » – mais
 « passionnant ».

Sur scĂšne, cette interculturalitĂ© fait merveille lorsqu’elle pĂ©tille au contact de l’« humanitĂ© augmentĂ©e » qui naĂźt « lorsque l’on chante avec quelqu’un ».

Ce partage, Voix de Stras’ vient de le dĂ©multiplier au lointain du monde en collaborant avec les chanteuses du chƓur amateur de l’Asian University for Woman de Chittagong au Bangladesh.

Ce projet fou baptisĂ© EVE pour « Empower Voice Emancipation » est nĂ© en 2022 et il a conduit au bord de l’Ill trois Ă©tudiantes de cet Ă©tablissement vouĂ© Ă  l’émancipation des femmes d’Asie.

Easha, Mercy et Azii sont arrivĂ©es en fĂ©vrier pour mĂȘler leurs voix Ă  celles des chanteuses de Voix de Stras’. Leur rĂ©sidence a durĂ© quinze jours avant un dĂ©part pour Paris et un dernier concert sous les ors de la Cour des comptes.

Dans ce spectacle dĂ©jĂ  donnĂ© Ă  Strasbourg et Breitenbach s’entrelacent chansons du Bangladesh, du Timor oriental, du NĂ©pal, du Sri Lanka, d’Inde ou du Cambodge Ă  un rĂ©pertoire europĂ©en oĂč l’on reconnaĂźt Zingarelle de Verdi, Il Ă©tait une fois dans l’Ouest , Money Money , Lieber Tango de Piazzola


CHANTER, CHANTER ENCORE, CHANTER ENSEMBLE  »

« Un assemblage » tissĂ© par Catherine avec la complicitĂ© du compositeur français Lionel Ginoux qui collabore avec elle depuis 2016.

« Il a une Ă©criture contemporaine, mais use de schĂ©mas mĂ©lodiques proches des musiques traditionnelles », prĂ©cise-t-elle. L’approche idĂ©ale pour ce projet nĂ© d’une collecte de chansons populaires auprĂšs des Ă©tudiantes de l’universitĂ© de Chittagong. ArrangĂ©es par Lionel Ginoux toutes celles qui ont Ă©tĂ© retenues porte en titre le prĂ©nom de celle qui l’a transmise : Bela ; Novita, Marjana, Soma, Sophorn


VOIX EST LA MUSIQUE DU CORPS. »

Chanteuse-cueilleuse, Catherine a trouvĂ© dans cette mĂ©thode de la collecte initiĂ©e en 2019 dans le quartier des Ă©crivains de Schiltigheim « un outil efficace » pour « aller Ă  la rencontre des gens et leur donner une place ».

Viennent ensuite le travail d’arrangement et le partage sur scĂšne de tout un patrimoine rĂ©enchantĂ©, devenu universel par la force des voix humaines.

GrĂące Ă  Voix de Stras’, Strasbourg, ville des routes et des carrefours se fait lanceuse de ponts par-delĂ  les frontiĂšres. Des concerts sont prĂ©vus en Asie, notamment Ă  l’ambassade de l’Union europĂ©enne Ă  Dacca, capitale du Bangladesh.

On croise les doigts pour que le rĂȘve se poursuive, mais on sait la masse d’alĂ©as qu’il faudra surmonter pour y parvenir.

Une chose est certaine cependant, la chanteuse-cueilleuse poursuivra ses collectes pour le bonheur des rencontres au plus mélodieux de la mémoire et pour le plaisir du partage sur scÚne.

Sans leçon de morale à donner, juste parce que cela a un sens et qu’il n’y a rien de plus beau que chanter, chanter encore, chanter ensemble. a

107 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Xxxxxxx
« LA

a CULTURE — HISTOIRE

LE JOUR OÙ
 JOHANN KNAUTH A SAUVÉ LA CATHÉDRALE

Ce jour-lĂ , ce n’était pas le jour dont on parle, c’en Ă©tait un autre. Ce jour-lĂ  Johann Knauth n’était plus le sauveur de la cathĂ©drale. Il n’était plus cet homme massivement notable devant lequel on enlevait son chapeau, l’architecte en chef de la cathĂ©drale de Strasbourg, peut-ĂȘtre le troisiĂšme personnage le plus important de la citĂ© avec le maire et le prĂ©fet, l’évĂȘque aussi, alors disons le quatriĂšme. Il n’était plus qu’un boche parmi les autres. SommĂ© comme tous les autres boches de quitter la ville dans les plus brefs dĂ©lais par les nouvelles autoritĂ©s françaises.

Pour que ça aille plus vite, pour qu’ils Ă©vacuent cette terre qui n’était plus la leur on allait les entasser dans des camions et les renvoyer manu militari sur l’autre rive du Rhin. À coups de pieds dans le train si besoin, ce n’est pas une image, l’époque Ă©tait Ă  l’épuration.

Les Altdeutsche , les « VieuxAllemands » Ă©taient devenus indĂ©sirables. Ils Ă©taient environ 180 000 en Alsace, venus de Prusse et des États rhĂ©nans en proportions Ă©gales pendant la pĂ©riode du Reichsland (1871-1918), dont prĂšs de 60 000 rien qu’à Strasbourg. Sauf Ă  ĂȘtre mariĂ© Ă  une alsacienne et Ă  faire la demande de nationalitĂ© française, ils devaient partir.

Johann Knauth aurait pu effectuer cette demande. Il ne l’a pas fait. PeutĂȘtre son Ă©pouse Mathilde Holzmann, fille d’un aubergiste strasbourgeois, l’a-t-elle suppliĂ©e, on n’en sait rien. Toujours est-il

108 a CULTURE №48 — Mars 2023 — Retour
Alain Leroy Fondation de l’ƒuvre Notre-Dame – DR

qu’il ne l’a pas fait. Par fierté ? Par tristesse ? Par bravade ? Par rancƓur ? Un peu de tout ça Ă  la fois sans doute. Alors, en ce mois de janvier 1921, quand il franchit le Rhin pour aller s’installer dans un modeste logement situĂ© place de l’HĂŽtel de Ville Ă  Gengenbach, Ă  37 km trĂšs exactement de Strasbourg, Johann Knauth est un homme brisĂ©. BientĂŽt mort. Trente-sept kilomĂštres ce n’est rien quand on y pense, mais l’exil ne se mesure pas en kilomĂštres quand il est intĂ©rieur.

Il n’a cette annĂ©e-lĂ  que 57 ans. Il atteindra tout juste la soixantaine, oubliĂ© de tous ou presque. À l’époque dĂ©jĂ , on dĂ©boulonnait les statues et Johann Knauth avait celle du commandeur. II l’avait Ă©rigĂ©e lui-mĂȘme Ă  force de travail et de talent. Et puis l’époque l’avait jetĂ©e Ă  bas et lui avait roulĂ© dessus. Il n’allait pas survivre Ă  ses blessures. Elles Ă©taient trop profondes.

CITÉ EST UN IMMENSE CHANTIER À CIEL OUVERT. STRASBOURG VA DEVENIR LA VITRINE DU GÉNIE ALLEMAND. »

L’homme qu’il Ă©tait en arrivant est alors loin, si on le croisait on ne le reconnaitrait pas. Ce n’est pas si vieux pourtant.

IL EST VENU POUR ELLE


Janvier 1891. Johann Knauth a 26 ans depuis quelques semaines quand il débarque en gare de Strasbourg, la capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, nouvel eldorado tout prÚs de chez soi quand on est allemand. Une ville en partie détruite aprÚs la guerre de 1870, annexée par le traité de Francfort en 1871 et en pleine ébullition.

La citĂ© est un immense chantier Ă  ciel ouvert. Strasbourg va devenir la vitrine du gĂ©nie allemand. En moins de deux dĂ©cennies, sa superficie a triplĂ© de volume. Elle a Ă©tĂ© dotĂ©e du plus beau campus universitaire d’Allemagne et donc d’Europe, de centaines d’appartements modernes

avec « gaz in allen etage », d’une nouvelle gare, d’un palais des fĂȘtes, d’un Ă©tablissement de bains dernier cri, de nouvelles grandes et larges avenues, la liste est sans fin. Et au milieu trĂŽne toujours, fiĂšre et indestructible, sa cathĂ©drale, le plus haut Ă©difice de la chrĂ©tientĂ© jusqu’en 1874.

Johann Knauth est venu pour elle aprĂšs avoir travaillĂ© Ă  l’achĂšvement de celle de Cologne, sa ville natale. Franz Schmitz, l’architecte en chef du chantier colonais, a repĂ©rĂ© cet apprenti attentif, douĂ© et qui ne compte pas ses heures. Alors, quand il est nommĂ© Ă  Strasbourg, il l’emmĂšne avec lui et c’est une rĂ©vĂ©lation. D’abord Johann Knauth se fond complĂštement dans cette ville allemande, mais avec un charme diffĂ©rent. Un an et demi aprĂšs son arrivĂ©e, il se marie. Avec Marie, ils auront rapidement deux garçons, Joseph-Heinrich et Jean. Un prĂ©nom allemand et un autre français, voilĂ  pour le symbole qui dit beaucoup.

« LA
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Un chantier titanesque sur le pilier nord de la nef de la cathédrale.

« DES FISSURES SUR LES VOÛTES L’ONT ALERTÉ COMME ELLES AVAIENT ALERTÉ SES PRÉDÉCESSEURS, MAIS PERSONNE N’ÉTAIT ALLÉ PLUS LOIN. »

Sur le plan professionnel, les choses Ă©voluent aussi rapidement pour lui. En 1897, il est nommĂ© conducteur de travaux par Ludwig Arntz, un autre colonais qui a remplacĂ© Schmitz, et est chargĂ© de renforcer les contreforts sud de l’édifice. Une grosse responsabilitĂ© dĂ©jĂ . Mais c’est en 1905 que tout bascule : Arntz dĂ©missionne avec pertes et fracas. La municipalitĂ© cherche un remplaçant, n’en trouve pas qui lui convient et se dit que finalement il n’y a peut-ĂȘtre pas Ă  aller chercher bien loin : Knauth n’a pas les diplĂŽmes requis d’accord, mais il est compĂ©tent, extrĂȘmement compĂ©tent. Ni une ni deux, il devient architecte en chef de la cathĂ©drale. Il a 41 ans, il est au sommet, c’est sans doute pour ça qu’il consolide les fondations.

À COURT TERME, LA TOUR VA S’ÉCROULER


AprĂšs avoir rĂ©novĂ© la façade occidentale et restaurĂ© les galeries des apĂŽtres et des anges musiciens, il s’attaque Ă  un problĂšme majeur, celui du pilier nord de la nef qui soutient la tour. Des fissures sur les voĂ»tes l’ont alertĂ© comme elles avaient alertĂ© ses prĂ©dĂ©cesseurs, mais personne n’était allĂ© plus loin. Johann Knauth, lui, veut en avoir le cƓur net. Ce qu’il dĂ©couvre est plus qu’alarmant : le gros pilier de la tour nord, celui qui doit supporter la tour (7500 tonnes tout de mĂȘme) s’enfonce inexorablement dans le sol. Ses piliers d’orme sont extrĂȘmement dĂ©tĂ©riorĂ©s. À terme et mĂȘme Ă  court terme, la tour va s’écrouler, c’est une certitude, regardez, elle s’incline dĂ©jĂ .

Knauth prend donc les choses en mains. Les travaux techniquement audacieux et financiĂšrement extrĂȘmement coĂ»teux dĂ©butent en 1912.

« Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulĂšverai le monde » aurait dit ArchimĂšde ? Il applique ce principe Ă  la lettre : le gros pilier est enserrĂ© dans un corset de ferraille et des vĂ©rins hydrauliques (huit) actionnĂ©s par des pompes Ă  bras le soulĂšvent. Et lĂ , il faut aller vite et remplacer les poteaux de bois par des fondations en bĂ©ton sans rompre le fragile Ă©quilibre qui provoquerait la chute du monument. Sueurs froides.

Il suffit de lever la tĂȘte pour comprendre que la manƓuvre a rĂ©ussi. Un siĂšcle plus tard, l’édifice est toujours en place. Plus solide que jamais. Johann Knauth n’aura guĂšre eu le temps d’en profiter. Les travaux se poursuivent, mais la guerre est lĂ . Lui est trop vieux pour combattre, mais ses deux fils non. JosephHeinrich n’a pas 18 ans, c’est lui qui succombe le premier le 12 septembre 1917 sur le front de Roumanie. Jean est quant Ă  lui prisonnier des Russes quand les armes se taisent enfin. Il n’a pas le temps d’ĂȘtre libĂ©rĂ© qu’il succombe, Ă  24 ans, au typhus dans un camp de SibĂ©rie.

Johann Knauth ne se relĂšvera jamais de cette double tragĂ©die. Son humeur s’assombrit, ses coups de colĂšre sont nombreux. Alors qu’il s’exprimait en alsacien, il ne parle plus qu’en allemand sur les chantiers, ses ordres claquent, on renĂącle. Car l’époque a changĂ©. La plupart des Altdeutsche sont partis, y com-

pris chez les ouvriers, et ceux qui sont restĂ©s font profil bas. Pas Knauth. Le voilĂ  accusĂ© de « pangermanisme », lourde accusation en ce temps oĂč on trie les citoyens, ça lui pendait au nez.

Pour l’instant, son statut le protĂšge, mais il se fissure lui aussi. Lui veut terminer ce chantier qui est celui de sa vie, il n’en dĂ©mord pas. En hauts lieux on hĂ©site, on se divise entre soutiens et dĂ©tracteurs. Si seulement il acceptait de remplir ce formulaire demandant la nationalitĂ© française tout serait rĂ©glĂ©, mais non, il s’y refuse, n’est-il pas le sauveur de la cathĂ©drale ? Ça ne suffira pas. Le 18 septembre 1920, Gabriel Alapetite, le nouveau commissaire gĂ©nĂ©ral de la RĂ©publique qui remplace Alexandre Millerand, lui fait porter l’acte d’expulsion de son appartement de fonction. Trois mois plus tard, il est licenciĂ©, privĂ© de revenus et mĂȘme de retraite.

Ce jour-lĂ , il n’était plus le sauveur de la cathĂ©drale. Ce jour-lĂ , il n’était plus qu’un boche parmi les autres qui ne sera Ă©videmment pas invitĂ© Ă  la rĂ©ception des travaux, en octobre 1926, puisqu’il Ă©tait dĂ©jĂ  mort. Il faudra attendre 2014 pour que la Ville lui rende hommage en apposant une plaque sur la façade du bĂątiment qui abritait la Poste, devant la cathĂ©drale.

Elle dit « À Johann Knauth, sauveur de la cathĂ©drale, la Ville de Strasbourg reconnaissante. » a

Johann Knauth aura fait du sauvetage de la cathĂ©drale le grand Ɠuvre de son existence. AdmirĂ© pendant des annĂ©es, il finira sa vie exilĂ© et banni. La plaque commĂ©morative appliquĂ©e en 2014 sur l’ancien bĂątiment qui abritait La Poste, place de la CathĂ©drale.
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SÙNNDI’S KÀTER LE DIALECTE-SHOW À SUIVRE

Enfant malicieux du cabaret alsacien et des late-shows amĂ©ricains, l’émission diffusĂ©e par France 3 et produite par Red Revolver touche Ă  la fois le public classique des programmes en langue rĂ©gionale et une audience plus jeune et plus urbaine, grĂące aux replays en ligne — et Ă  un habile sous-titrage.

Un canapĂ© gris au coude-Ă -coude avec un grand bureau en bois, une moquette rouge, les bĂątiments emblĂ©matiques de la rĂ©gion sur un Ă©cran en toile de fond, jusqu’aux mugs de cafĂ© siglĂ©s : tous les ingrĂ©dients d’un late-show sont rĂ©unis sur ce plateau de tournage installĂ© dans l’auditorium de France 3 Grand-Est. Programmes incontournables de la tĂ©lĂ© Ă©tats-unienne, les late-shows animent lĂ -bas les troisiĂšmes parties de soirĂ©e avec une recette qui varie peu. CĂŽtĂ© sofa, une succession d’invitĂ©s du monde politique, culturel ou mĂ©diatique ; cĂŽtĂ© micro, un prĂ©sentateur qui ne renĂącle pas Ă  la facĂ©tie sans pour autant esquiver les questions pertinentes. Des monologues, des sketchs et des parodies ponctuent le tout.

SE RÉAPPROPRIER LA LANGUE

De notre cĂŽtĂ© de l’Atlantique, le modĂšle a du mal Ă  se faire une place dans les grilles des chaĂźnes. L’émission de France 3, une production de la sociĂ©tĂ© strasbourgeoise Red Revolver, en est pourtant Ă  sa troisiĂšme saison. Son Ă©pice magique ? L’alsacien ! BaptisĂ©e « SĂčnndi’s KĂ ter » (la « gueule de bois du dimanche », pour les non-bilingues), elle est entiĂšrement tournĂ©e dans la langue de Germain Muller.

« L’idĂ©e, c’est de se rĂ©approprier l’alsacien, qui est encore souvent associĂ© au folklore, explique Mathieu Winckel, le show-runner. Nous devons parfois inventer des mots pour parler de concepts

a CULTURE — LATE-SHOW
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rĂ©cents. » Que les dĂ©butants se rassurent, tout est sous-titrĂ© en français (comme sur Netflix, en somme) et les gags sont mĂȘme imaginĂ©s dans les deux langues dĂšs leur Ă©criture pour en prĂ©server la saveur. DeuxiĂšme emprunt aux plateformes, les Ă©pisodes sont tous disponibles en ligne pour ceux qui dorment encore le dimanche Ă  10h, Ă  l’heure de la diffusion.

FRAÎCHEUR ET DÉRISION

L’équipe de Red Revolver exploite aussi une autre spĂ©cialitĂ© locale pour produire ses deux Ă©missions inĂ©dites chaque mois : la satire. « Tous les sujets dont on parle sont d’actualitĂ©, mais nous les traitons avec un dĂ©calage que la tradition de l’humour alsacien nous inspire », poursuit Mathieu Winckel.

D’ailleurs, sur le plateau de tournage, le prĂ©sentateur Philippe Sandmann s’emporte contre ValĂ©rie Weber-Schmitt (incarnĂ©e par la comĂ©dienne Laurence Bergmiller), « une envoyĂ©e spĂ©ciale influençable » qui a tournĂ© platiste ! Les contre-arguments qu’il dĂ©roule sont tous

sĂ©rieux, sa vĂ©ritĂ© Ă  elle rĂ©sonne avec les Ă©lĂ©ments de langage des vrais convaincus que la Terre est un disque, mais on rit devant la gestuelle, le ping-pong verbal et les exagĂ©rations bien senties. « Nous avons Ă  cƓur de garder l’énergie et la fraĂźcheur qui font la particularitĂ© de ce format », insiste Philippe Sandmann. Son personnage donne le ton de l’émission. Pas Ă  l’abri d’une contradiction entre les valeurs qu’il dit dĂ©fendre et son mode de vie, il a le verbe haut et la moquerie facile. Immanquablement affublĂ© d’une cravate de guingois, il assure le lien entre les diffĂ©rentes sĂ©quences. Personnages rĂ©currents, doublages humoristiques de films, parodies et micros-trottoirs passent sur le gril toutes les grandes questions de sociĂ©tĂ© pendant 26 minutes. Si l’on devait donner nos propres favoris, on citerait parmi d’autres le rappeur 50-Pfand et sa version bio du Candy shop de 50-Cents, l’accent français inimitable de Renaud Lombardi ou encore Cynthia, l’influenceuse qui parle peste noire et crimes de guerre pendant ses gommages. Mais le mieux reste de se faire sa propre idĂ©e ! » a

france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/ programmes/france-3_grand-est_sunndi-s-kater

« TOUS LES SUJETS DONT ON PARLE SONT D’ACTUALITÉ, MAIS NOUS LES TRAITONS AVEC UN DÉCALAGE QUE LA TRADITION DE L’HUMOUR ALSACIEN NOUS INSPIRE. »
Philippe Sandmann assure la présentation de ce late-show en alsacien.
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Jeff Bezos

Terminus, les étoiles

Georges Bataille

AprĂšs Mark Zuckerberg et Elon Musk, penchons-nous sur le cas de l’un des pires patrons du monde (il a reçu un prix pour cela), qui a littĂ©ralement rĂ©volutionnĂ© le marchĂ© de la vente et bouleversĂ© nos comportements de consommation Ă  grand renfort de rachats et d’exploitations, des employĂ©s comme de nos donnĂ©es : j’ai nommĂ© Jeff Bezos. Pour lui, « un point de vue vaut trente points de QI »  mais que vaut un libĂ©ralisme aveugle ? Éclairage de l’empire Amazon, du colis dans votre boĂźte aux lettres aux villes sur la Lune.

Comme toutes les grandes fortunes (la presse a utilisĂ© en 2018, pour la premiĂšre fois, le terme « hectomilliardaire » pour le dĂ©signer), Jeff Bezos fascine. On le qualifie de perfectionniste, de visionnaire, de surdouĂ© Ă  l’audace sidĂ©rante, ce qui n’est somme toute pas faux ! NĂ© en 1964 et montrant trĂšs tĂŽt un attrait pour la technologie, le jeune Jeff quitte son Nouveau-Mexique natal pour aller Ă©tudier la physique Ă  l’UniversitĂ© de Floride. Il y monte sa toute premiĂšre entreprise, le DREAM Institute et ses cycles de confĂ©rences payantes. Le programme « met l’accent sur de nouvelles façons de penser dans un monde ancien. »

Disruption et business, les principes de la dynamique bezosienne sont dĂ©jĂ  en place. À l’ñge de 22 ans, il sort diplĂŽmĂ© de la prestigieuse UniversitĂ© de Princeton et trouve un emploi en tant qu’analyste financier dans un fonds d’investissement new-yorkais, fonds dont il devient le vice-prĂ©sident Ă  seulement 26 ans. Bezos saisit alors rapidement le potentiel encore balbutiant d’Internet et y voit l’occasion de crĂ©er une nouvelle entreprise : « J’ai appris que l’utilisation du web augmentait de 2 300 % par an. Je n’avais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et l’idĂ©e de crĂ©er une librairie en ligne avec des millions de titres — quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique — m’enthousiasmait vraiment. »

Nous sommes en 1994, Jeff Bezos a 30 ans et Amazon est nĂ©. Commençant par l’objet livre, le site se diversifie rapidement et devient le leader du commerce en ligne, la concurrence ne fait pas le poids.

GRADATIM FEROCITER

« Pas Ă  pas, fĂ©rocement », voilĂ  le motto de Jeff Bezos, c’est ainsi qu’il fera ployer tous les acteurs du marchĂ©. Si Amazon mettra six ans Ă  ĂȘtre rĂ©ellement rentable, l’entreprise survivra Ă  l’éclatement de la bulle technologique de 2000 pour finir furieusement boostĂ©e par la pandĂ©mie du Covid. La recette du succĂšs selon Bezos repose avant tout sur l’écoute du client et sa satisfaction, Ă  cela s’ajoute une rĂ©duction drastique des coĂ»ts ainsi qu’une vĂ©ritable pressurisation des fournisseurs, sommĂ©s d’appliquer des marges toujours plus faibles. Client heureux, rentabilitĂ© maximale mais aussi patience olympienne font d’Amazon un adversaire redoutable. « Nous savons que si nous arrivons Ă  obtenir que l’attention de nos concurrents soit concentrĂ©e sur nous pendant que la nĂŽtre

AurĂ©lien Montinari Daniel Oberhaus — NASA — Wikipedia Commons
S ACTUALITÉ —  PORTRAIT
114 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
« Le sacrifice arrache la victime au monde de l’utilitĂ© et la rend Ă  celui du caprice inintelligible. »

est centrĂ©e sur nos clients, en dernier ressort, c’est Ă  nous que cela profitera. » Le bonheur du client, quitte Ă  pratiquer une concurrence dĂ©loyale (on se souvient de la panique des libraires au dĂ©but des annĂ©es 2000) et Ă  exploiter ses employĂ©s. Car Amazon, derriĂšre la vitrine virtuelle et le petit panier en haut Ă  droite, c’est aussi et surtout une image d’employeur cynique, qui impose des conditions de travail exĂ©crables dans des entrepĂŽts gigantesques (certains font l’équivalent de quatorze terrains de football) Ă  la surveillance automatisĂ©e impitoyable et aux salaires au rabais. Pour se faire une petite idĂ©e de la notion de rĂ©duction des coĂ»ts selon Amazon, citons l’enquĂȘte du quotidien anglais The Sun rĂ©vĂ©lant que les pauses-pipi trop longues Ă©taient dĂ©comptĂ©es des salaires, obligeant les employĂ©s des entrepĂŽts (aux toilettes parfois Ă©loignĂ©es de dix minutes) Ă  se soulager
 dans des bouteilles en plastique ! On saisit ici la fĂ©rocitĂ© du management.

SON SUCCÈS ? VOS DONNÉES !

Pourtant, Amazon, il faut le savoir, ce ne sont de loin pas que des produits alignĂ©s dans des entrepĂŽts attendant notre commande, ce sont aussi des services avec, par exemple, Amazon Prime, un service de vidĂ©o Ă  la demande qui compte 100 millions d’abonnĂ©s, mais aussi Amazon Games qui dĂ©veloppe ses propres jeux vidĂ©o, ou encore Prime Air, le service de livraison par drone encore en phase de test. C’est Ă©galement Amazon Web Services (AWS), la plus grande plateforme de cloud computing, des serveurs informatiques appartenant Ă  Amazon qui loue ainsi du stockage Ă  d’autres grandes entreprises comme Spotify, Facebook, Netflix ou
 la CIA ! À ces diversifications s’ajoutent les nombreux investissements de Jeff Bezos dans les mĂ©dias (Washington Post), les rĂ©seaux sociaux (Twitch), l’immobilier (Airbnb), les transports (Uber), la data (IMDB) ou encore la robotique (Kiva Systems devenu depuis Amazon Robotics, pour des employĂ©s sans vessie). La liste est sans fin, Jeff Bezos fait main basse sur tous les domaines.

On en oublierait presque Alexa, l’intelligence artificielle made in Amazon, prĂ©sente dans plus de 20 000 produits connectĂ©s (soit 50 millions d’appareils en service). De la camĂ©ra de surveillance aux serrures de maison en passant par la voiture et toute la batterie Ă©lectromĂ©nagĂšre, l’IA est partout, rĂ©pondant Ă  vos dĂ©sirs,

« La recette du succĂšs selon Bezos repose avant tout sur l’écoute du client et sa satisfaction, Ă  cela s’ajoute une rĂ©duction drastique des coĂ»ts ainsi qu’une vĂ©ritable pressurisation des fournisseurs. »
115 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

L’évĂ©nement, prĂ©vu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas Ă  l’agenda officiel du prĂ©sident de la RĂ©publique et n’a Ă©tĂ© suivi d’aucun communiquĂ©. Le 16 fĂ©vrier dernier, au Palais de l’ElysĂ©e, alors que les Français manifestaient en nombre contre la rĂ©forme des retraites, Emmanuel Macron dĂ©corait trĂšs discrĂštement Jeff Bezos de la LĂ©gion d’Honneur. (Information parvenue quelques heures avant notre bouclage)

mais glanant Ă©galement au passage des tonnes d’informations sur vos comportements. Gagnant toujours plus en pertinence et en autonomie, c’est sur elle que repose le dĂ©veloppement du systĂšme de commande prĂ©dictive (Alexa sait avant vous ce qu’il vous faut) et c’est aussi sur elle que compte Jeff Bezos pour Ă©tendre son empire par-delĂ  les Ă©toiles.

LIVE LONG AND PROSPER

Comme tout milliardaire mĂ©galomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut Ă©videmment pas se contenter de rĂ©gner sur un empire terrestre, il lui faut Ă©galement dominer l’espace, cette Final Frontier pour reprendre le titre d’un film de la sĂ©rie Star Trek dont Bezos est un grand fan. Pour ce faire, l’entrepreneur a créé en 2000 la sociĂ©tĂ© Blue Origin. Moteurs, fusĂ©es, capsules, atterrisseurs, c’est toute une armada de technologies innovantes que dĂ©veloppe la firme Ă  la plume bleue, si bien que cette derniĂšre a dĂ©sormais le soutien de la NASA ! Jeff Bezos a ainsi mis au point des fusĂ©es rĂ©utilisables (afin de rĂ©duire les coĂ»ts) : New Shepard, qui devrait servir le business du tourisme spatial (comme si l’humanitĂ© avait besoin de plus de photos prises d’un hublot) et New Glenn, censĂ©e, elle, porter plus loin que la trajectoire suborbitale, direction la Lune (rien que ça) oĂč l’atterrisseur Blue Moon devrait permettre le dĂ©barquement et l’installation de matĂ©riel, avec pour objectif d’y dĂ©ployer des industries lourdes permettant Ă  leur tour des voyages spatiaux vers des destinations

plus lointaines (sous la surveillance bienveillante d’Alexa). MĂȘme ambition qu’Elon Musk, celle d’une conquĂȘte toujours plus lointaine, marque immuable d’une histoire parallĂšle, qui ne concerne que ces mĂ©galomanes au pouvoir d’achat si extravagant qu’ils s’offrent les outils du changement de la condition humaine toute entiĂšre. Jeff Bezos est d’ailleurs allĂ© jusqu’à se payer, l’annĂ©e derniĂšre, un autre rĂȘve de gosse, celui d’envoyer lui-mĂȘme dans l’espace William Shatner, l’acteur incarnant le capitaine Kirk dans Star Trek (quand on vous dit que Jeff est fan !), pauvre papy de 92 ans qui atterrira sain et sauf, mais complĂštement hagard aprĂšs son aller-retour Ă  plus de 100 km au-dessus de la Terre, une expĂ©rience qu’il qualifiera d’enterrement : « dans l’espace, il n’y avait aucun mystĂšre, aucune crainte majestueuse Ă  voir
 tout ce que j’ai vu, c’est la mort. » Cette Ă©piphanie sera malheureusement gĂąchĂ©e par un Jeff hystĂ©rique qui arrosera le vieux monsieur de champagne Ă  peine sorti de la capsule
 Le malaise est rĂ©el (la vidĂ©o est accablante) et surtout profond car il exprime l’immense dĂ©calage entre une humanitĂ© sensible et une minoritĂ© de figures complĂštement dĂ©centrĂ©es, dĂ©lirantes et auto-portĂ©es par l’argent et la mĂ©galomanie.

« Travaillez dur, amusez-vous, Ă©crivez l’histoire », le slogan d’Amazon sonne plus martial qu’inspirant. Qui travaille, et pour qui ? Quand est-ce que ces travailleurs s’amusent ? Surtout, qui est en train d’écrire l’Histoire Ă  la premiĂšre personne du singulier ? S

« Comme tout milliardaire mĂ©galomane qui se respecte, Jeff Bezos ne peut Ă©videmment pas se contenter de rĂ©gner sur un empire terrestre, il lui faut Ă©galement dominer l’espace. »
La fusée New Shepard La capsule New Shepard
№48 — Mars 2023 — Retour 116 S ACTUALITÉ

Moutons explosifs Mari in Borderland

« Je suis Kharkiv », « Zaporijia », « Kyiv ».

C’est ainsi, pour une raison qui m’échappe encore partiellement, que nous nous sommes prĂ©sentĂ©s quand Dominique et Daniel, nos deux enseignants en langue française du FossĂ© des Treize, nous ont demandĂ© d’inscrire notre nom sur une feuille de papier pliĂ©e en deux, afin de faciliter la communication entre nous. Cette appropriation gĂ©ographique n’aurait sans doute pas dĂ©plu Ă  Álex Pina, le crĂ©ateur de La Casa de Papel et au « Professor ».

Assez rapidement, Saint-PĂ©tersbourg s’est ajoutĂ© au groupe. Serait-il venu nous sauver jusque dans notre ville refuge ? Non, l’homme, d’une cinquantaine d’annĂ©es, fuyait simplement la mobilisation, en nous assurant qu’il Ă©tait contre la guerre en Ukraine. C’est fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de l’apathie au don de soi. Convaincu, par son dĂ©douanement, d’ĂȘtre l’un des nĂŽtres, son naturel reprit toutefois vite le dessus. AprĂšs une ou deux semaines, Saint-PĂ©tersbourg n’hĂ©sitait plus Ă  se mouvoir en second sauveur : « Mets-toi avec moi ! Je peux complĂštement changer ta vie ! », s’est-il ainsi approchĂ© de moi avec toute l’élĂ©gance d’un Russe dĂ©complexĂ©. « Merci, mais ton pays a dĂ©jĂ  complĂštement bouleversĂ© ma vie, le 24 fĂ©vrier 2022 », me suis-je retenue de lui rĂ©pondre. Me voyant deux cours de suite avec le mĂȘme jeans et le mĂȘme pull

bleu, Saint-PĂ©tersbourg ne put non plus s’empĂȘcher de me lancer : « Ce pull, c’est ton nouveau chez-toi ? » J’avoue : le noyer dans un Borsh m’a dĂ©mangĂ© un instant. Ces anecdotes n’ont pas vocation Ă  dĂ©nigrer les Russes. Elles existent, c’est tout. NĂ©e avant l’indĂ©pendance de l’Ukraine, je suis moi-mĂȘme russophone et ai de la famille en Russie. Mais nos deux mondes sont dĂ©sormais devenus parallĂšles. L’un, pro-EuropĂ©en, dĂ©sireux d’avancer vers la paix et la dĂ©mocratie, malgrĂ© l’horreur du moment ; l’autre, inqualifiable quant Ă  ses dirigeants, au mieux dĂ©connectĂ© pour ses citoyens.

« I CAN’T RELAX ! »

« I can’t relax!! Te rends-tu compte ?! Ils nous bombardent ! », m’a ainsi confiĂ©, affolĂ©e, les pieds dans l’eau de son hĂŽtel spa de CrimĂ©e occupĂ©e, une amie d’enfance russe. Celle-lĂ  mĂȘme

S ACTUALITÉ — COMMUNICATION
118 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Maria Pototskaya est une journaliste ukrainienne réfugiée à Strasbourg à qui Or Norme souhaite la bienvenue dans notre rédaction.

qui me qualifiait d’affabulatrice quand je lui indiquais, au dĂ©but de la guerre, que son pays nous attaquait. Que ses soldats pillaient, violaient, tuaient des civils. « C’est horrible ! Ils ont gĂąchĂ© mes vacances ! » IntĂ©rieurement, j’ai ri. J’en ris d’ailleurs encore aujourd’hui, tant cet appel est Ă  la fois surrĂ©aliste et significatif de ce que sont devenus nos voisins, jusque dans nos propres familles binationales. « Ne t’inquiĂšte pas. Continue Ă  te dĂ©tendre, tout va bien. Tout ceci n’est encore que pure propagande ukrainienne », ai-je faussement cherchĂ© Ă  la rassurer, avec cet humour noir de survie qui nous caractĂ©rise depuis un an. Se « relaxer »... Elle, qui ne manque pas d’afficher sa fiertĂ© face Ă  l’impatience qu’à son Ă©poux Ă  rejoindre le front pour nous « sauver » ! Elle, qui m’annonce, tout aussi fiĂšrement, que son propre fils est dĂ©jĂ  en route avec son rĂ©giment, et qui s’en remet Ă  mes parents, dont les

loisirs se résument désormais à jouer à saute-moutons explosifs, pour veiller sur lui quand il apparaßtra dans les rues de Zaporijia.

VAMPIRE DIARIES

« Moutons », parce que je ne peux mĂȘme pas/plus prononcer le mot « bombe ». Chaque soir, ces moutons, je les compte depuis Strasbourg, avant que ma couette alsacienne ne m’offre le luxe d’une pause animaliĂšre... lorsque les vibrations de mon smartphone, saturĂ© d’alertes et de vidĂ©os d’amis rĂ©veillĂ©s par le troupeau, ne m’en extirpent. « Moutons », parce que cela a quelque chose d’un peu plus lĂ©ger, sans pouvoir jamais effacer le poids de notre rĂ©alitĂ©. Un peu Ă  l’image de cette discussion entre deux personnages de la saison 3 de Vampire diaries : « Dis-moi que ce n’est pas une bombe ! » « Bien : ceci est un chaton. Un merveilleux chaton explosif »  S

« C’est fou le nombre de Russes devenus pacifistes, depuis que le Kremlin leur demande de passer de l’apathie au don de soi. »
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Rituel beauté

Rites, rituels, routine, ces mots sont devenus omniprĂ©sents dans le quotidien. Il y a des rituels pour tout et tout peut devenir rituel : rituels Ă©nergĂ©tiques, nouveaux rituels pour une peau fraĂźche, rituels pour accueillir la pleine lune
 Avec moults conseils de gens avisĂ©s pour nous aider Ă  Ă©tablir les nĂŽtres propres. Tout cela a-t-il un sens ou cet article est-il d’une vacuitĂ© insondable ?

Disons-le d’emblĂ©e, le terme rituel, Ă  travers les exemples citĂ©s Ă  l’instant, a Ă©tĂ© Ă©vidĂ© comme bien d’autres de sa substance jusqu’à ĂȘtre euphĂ©misĂ© dans des gestes qui ne se signalent que par leur rĂ©pĂ©tition. Bien entendu, on glosera sans fin sur les bienfaits inouĂŻs que procurent la mĂ©ditation de pleine conscience ou le fait de se lever une heure plus tĂŽt chaque matin pour se brosser les cheveux (exemples vĂ©rifiĂ©s dans les magazines fĂ©minins les plus sĂ©rieux qui soient). Et puis rituel, ça fait plus chic que manie ou turlutaine. C’est d’ailleurs le nom, en version anglaise, d’une enseigne de cosmĂ©tiques et produits raffinĂ©s pour la maison (han ! tellement classe) qui vont sublimer votre peau et votre intĂ©rieur. C’est bien connu, ce qui fait du bien Ă  l’intĂ©rieur se voit Ă  l’extĂ©rieur.

On se rapprocherait un peu du sens initial avec les mirifiques trois, ou cinq, ou sept rituels magiques pour s’initier Ă  la sorcellerie, voire devenir soi-mĂȘme une sorciĂšre, un soir oĂč l’on n’aurait rien d’autre Ă  faire.

Mis Ă  part ces attrape-couillon·nes qui feraient prendre renard pour martre, il est un autre domaine dans lequel le rituel vient de faire son apparition, celui de l’entreprise. Dans un rĂ©cent ouvrage1, deux auteurs inspirĂ©s entendent « redonner du sens au collectif ». Noble projet que je suis le premier Ă  applaudir des deux mains. Ils se sont d’ailleurs donnĂ© les moyens de bien faire les choses. Une partie sur les rituels et leur importance, une autre sur leur place dans l’entreprise, une Ă©tude de cas et des fiches pratiques (c’est bien les fiches pratiques parce que c’est pratique). Parmi celles-ci, j’avoue humblement que malgrĂ© tous mes efforts, je n’arrive pas Ă  choisir celle qui me plaĂźt le plus. Jugez de ma peine, comment se passer de « La mĂ©tĂ©o des Ă©motions », de « La vendange des erreurs » ou de « La cabane

S ACTUALITÉ — LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD Thierry Jobard DR
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des partages » ? Sans parler du « Voyage du hĂ©ros », ni du « Puzzle de la vision » ou bien encore du « Meeting des gratitudes » (je l’aime beaucoup celui-lĂ ). Je ne parle mĂȘme pas de « L’arbre totĂ©mique »  Un vrai jardin des dĂ©lices.

Et puis, il faut croire au pouvoir des mots, je trouve que c’est important. Et moi il y a des choses qui me touchent, c’est ainsi. Je vous cite simplement les premiĂšres phrases, pour le plaisir : « Ce livre est un grand sourire. {dĂ©jĂ  je fonds} Nous l’avons Ă©crit dans la joie d’apporter une merveilleuse nouvelle Ă  l’entreprise. {JĂ©sus revient ?} Il existe en effet une discipline simple et gĂ©nĂ©reuse capable de transformer la vie de l’entreprise en lui apportant un trĂ©sor de nouvelle valeur. (
)

Il s’agit des rituels ». C’est-y pas beautiful ? Cet Ă©lan, cette conviction, cette gĂ©nĂ©rositĂ©. C’est bien simple, j’en ai les yeux embuĂ©s de larmes. De rire.

SI TOUT EST RITUEL, PLUS RIEN N’EST RITUEL

On reconnaĂźt le ton et les lieux communs du dĂ©veloppement personnel, qui marche main dans la main avec le management. Tous ces bons sentiments qui dĂ©goulinent dans la bienveillance et l’autosatisfaction replĂšte. Ainsi de la fiche pratique dite des « Jardiniers du changement » que je ne peux rĂ©sister au plaisir de citer (Ă  moins qu’il ne s’agisse d’un habile stratagĂšme pour gagner de la place, ce que le rĂ©dacteur en chef d’Or Norme apprĂ©ciera). Ses objectifs sont de « travailler la nutrition des idĂ©es en Ă©quipe afin de bien comprendre la diversitĂ© des apports nĂ©cessaires, comme les dimensions cognitive, Ă©motionnelle, etc. dans la qualitĂ© des solutions Ă  apporter. Il aide Ă©galement Ă  muscler l’écoute sociĂ©tale et le travail des correspondances ». Je ne suis pas certain de tout comprendre, sans doute n’ai-je pas suffisamment nutritionnĂ© mes idĂ©es...

Nonobstant, on voit que les auteurs se donnent du mal pour bien faire. Et pour cause. À travers tout ce fatras, quel est l’enjeu ? Celui qui turlupine managers, salariĂ©s, leaders (qui se doivent d’avoir des visions, pardon, une vision) : trouver du sens au travail. C’est Ă  cela que ces rituels d’entreprise doivent aussi servir in fine. Mais pas seulement. Avant d’aller plus loin, il importe de dĂ©finir ce qu’est un rituel. Longtemps l’apanage des ethnologues qui les observaient au sein des peuples dits « primitifs », l’étude des rituels est devenue Ă©galement affaire de sociologues lorsque l’on s’est avisĂ©, Ă  la fin du siĂšcle prĂ©cĂ©dent, qu’ils nous concernaient tout autant. Les mariages ne sont-ils pas des rituels ? Mais Ă©galement les commĂ©morations (avec dĂ©pĂŽt de gerbe), les enterrements de vie de jeune fille (dĂ©pĂŽt de gerbe itou), les dimanches d’élection, ou les matchs de foot pour les supporters, voire le barbecue entre amis. Mais si tout est rituel, plus rien n’est rituel.

Étymologiquement, d’aprĂšs BenvĂ©niste, rite et ordre partagent la mĂȘme racine indo-europĂ©enne : rta , arta , dĂ©signant l’ordre du monde et des hommes entre eux. Le latin ritus dit ce qui est ordonnĂ©, ce qu’il faut faire, comme le kar du sankrit : faire. Les rituels servent le rite. Toute la tradition ethnologique et sociologique (Durkheim, Mauss, LĂ©vi-Strauss, Mead, Goffman, Bourdieu) s’est intĂ©ressĂ©e Ă  la question rituelle. Avec des variations certes, mais qui peuvent se rĂ©sumer ainsi : leur rĂŽle est d’abord social puisqu’ils vont assurer la cohĂ©sion symbolique et Ă©motionnelle du groupe. Par ailleurs ils rĂ©partissent les rĂŽles sociaux, distribuent les tĂąches entre chacun et contribuent par lĂ  mĂȘme Ă  gĂ©nĂ©rer une identification et une projection dans l’avenir. Leur fonction est Ă©galement de rĂ©pondre aux grandes questions que se pose tout collectif humain sur la vie, la mort, le passage. Par lĂ  mĂȘme,

« À travers tout ce fatras, quel est l’enjeu ? Celui qui turlupine managers, salariĂ©s, leaders (qui se doivent d’avoir des visions, pardon, une vision) : trouver du sens au travail. »
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ils assurent le dĂ©passement des crises et leur donnent du sens. Tout en gardant une marge de changement, ils assurent un rapport avec l’Autre, c’est-Ă -dire le sacrĂ©. Par l’expĂ©rience que vit chacun par et dans le rituel, par la façon dont il se l’approprie subjectivement, il lui assigne une place au sein de la communautĂ©. Et ceci se fait d’abord par le corps qui respectera une chorĂ©graphie codifiĂ©e.

PLUS DE NORMES TRANSCENDANTES AU CORPS POLITIQUE

Bien entendu, plus rien de sacrĂ© dans les exemples contemporains que j’ai pu citer. Le mariage mĂȘme ne reprĂ©sente plus ce qu’il signifiait traditionnellement, Ă  savoir l’entrĂ©e dans la vie adulte, le dĂ©but d’une vie sexuelle (morne) et la crĂ©ation d’une famille sous l’égide du Seigneur. C’est qu’il n’est plus que l’écho, comme la plupart des autres rituels d’aujourd’hui, d’un monde culturel disparu avec la modernitĂ©. Participant du « dĂ©senchantement du monde »2, le rituel tel qu’on l’entendait n’est plus. Il n’est plus puisque le collectif dans lequel il prenait son sens a disparu. Cette disparition est liĂ©e Ă  la longue Ă©mergence d’un individualisme qui aujourd’hui a pour valeur cardinale l’autonomie. DĂ©sormais chacun choisit, ou pense choisir, tous les Ă©lĂ©ments de son existence, jusques et y compris ses croyances. Il piochera Ă  droite Ă  gauche dans ce qui s’offre Ă  lui sur ce marchĂ© (parce qu’il y a aussi un marchĂ© des croyances) et combinera selon ses prĂ©fĂ©rences : un peu de yoga (occidentalisĂ©), un peu de JĂ©sus, un peu de rĂ©incarnation. Ce que les sociologues des religions ont dĂ©nommĂ© un « bricolage », Ă  la suite de LĂ©vi-Strauss.3 C’est lĂ  un effet pervers des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques pour lesquelles il ne doit plus y avoir de normes transcendantes au corps politique lui-mĂȘme.

À cela s’ajoute la propension gĂ©nĂ©rale Ă  la psychologisation sans reste de tous nos rapports sociaux ou politiques.

Qui plus est, ce qui diffĂ©rencie notablement les sociĂ©tĂ©s traditionnelles des sociĂ©tĂ©s modernes ou hypermodernes ou post-modernes, comme on voudra, c’est la scission des sphĂšres politiques, sociales, privĂ©es et religieuses. Enfin notre rapport au temps est totalement diffĂ©rent. Les sociĂ©tĂ©s traditionnelles connaissent le changement, mais celui-ci est repris dans un cycle que le rituel doit justement perpĂ©tuer. Rien de semblable pour nous qui vivons dans un temps linĂ©aire et en

constante accĂ©lĂ©ration. 4 Vous le savez bien, on n’a jamais le temps de rien.

C’EST MIGNON, ÇA FAIT DU BIEN, MAIS ÇA NE CHANGE RIEN

Comme l’écrit Danielle Hervieu-LĂ©ger, nos sociĂ©tĂ©s « font Ă©merger toutes sortes d’efforts tendant Ă  susciter et Ă  densifier la reprĂ©sentation rassurante d’un “nous” dont on expĂ©rimente qu’il s’effiloche de toutes parts ».5 Et c’est ce nous que les rituels en entreprise voudraient rĂ©instaurer. Ce qui n’est pas une mince affaire puisque tout concourt par ailleurs Ă  l’émietter. Le frĂȘle esquif voudrait remonter le puissant courant contraire alors que par ailleurs les carriĂšres sont individualisĂ©es, les salaires Ă©galement (par le biais par exemple des entretiens individuels d’évaluation), et que les collectifs (syndicaux par exemple) sont de moins en moins vaillants. Et puis, tout Ă  fait entre nous, n’y a-t-il pas quelque chose de tout Ă  fait dĂ©sespĂ©rant Ă  attendre de l’entreprise qu’elle nous explique le sens de la vie ?

Peu ou prou, chacun considĂšre dĂ©sormais que c’est Ă  lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines. Ce qui est somme toute logique dans un systĂšme visant Ă  installer une concurrence gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Ces simili-rituels ne sont sans doute que cela, la tentative vaine et touchante de vouloir ralentir le rythme de nos vies et de leur donner un petit supplĂ©ment non pas de sacrĂ©, mais, disons, de non-monnayable, ou presque. C’est mignon, ça fait du bien, mais ça ne change rien. Comme si l’on avait oubliĂ© que la libertĂ© se fout bien du confort et qu’elle se conjugue d’abord au pluriel. S

1. Les rituels en entreprise, La nouvelle Ă©nergie de transformation, Makeba Chamry et Édouard Malbois, Ă©ditions Eyrolles

2. ThĂšse de Max Weber, qui parle plus exactement de « dĂ©magification » du monde, reprise par Marcel Gauchet dans un livre Ă©ponyme.

3. Dans La pensée sauvage

4. Je vous incite d’ailleurs, si ce n’est dĂ©jĂ  fait, Ă  lire AccĂ©lĂ©ration d’Hartmut Rosa

5. in La modernitĂ© rituelle, L’Harmattan, 2004

« Peu ou prou, chacun considĂšre dĂ©sormais que c’est Ă  lui de trouver les ressources et les atouts lui permettant de se distinguer, dans tous les domaines. »
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« Rrrhhhaaaa, “ncule un mouton » Moi Jaja...

Lui, une crĂȘte de coq façon punk, dressĂ©e sur le crĂąne : c’est la derniĂšre image que Pouxit m’a offerte de lui en 2022. Ambiance Qatar, au plus prĂšs des oiseaux ; du moins des gallinacĂ©s, Ă  dĂ©faut d’alcidĂ©s — ma famille gĂ©nĂ©tique. Certes, sa crĂȘte n’était pas rose : plutĂŽt tricolore, rĂ©partie Ă  parts Ă©gales entre bleu, blanc, rouge, dans un esprit nihiliste, presque anti-social. Tout Ă  revers des cris d’orfraie poussĂ©s par certains quand ils dĂ©couvrirent que confier un gigantesque Ă©vĂ©nement Ă  un Ă©mirat peu soucieux des droits sociaux pouvait avoir quelques effets malheureux en termes de mortalitĂ© ouvriĂšre. 6 500 : le nombre de dĂ©cĂšs estimĂ©s « dans des conditions proches de l’esclavage ».

Un chiffre repris par Olivier Faure, rĂ©cemment réélu Ă  la tĂȘte de la section francophone du musĂ©e des civilisations disparues, oĂč le parti socialiste trĂŽne dĂ©sormais Ă  l’ombre des sociĂ©tĂ©s Rapa Nui, Minoenne, Anasazis et Caral. Un pied de nez, aussi, Ă  Petit Poney Rose qui promettait Ă  l’issue du Conseil municipal du 26 septembre, que « la Ville de Strasbourg ne diffuserait pas la Coupe », au motif que notre « capitale europĂ©enne ne peut dĂ©cemment cautionner ces maltraitances ». Un cri citoyen si bien entendu que, pour ne citer qu’elle, la finale de la compĂ©tition a Ă©tĂ© suivie par 1,5 milliard de tĂ©lĂ©spectateurs, dont 24 millions en France, avec une part d’audience exceptionnelle de 80 %.

Avec Tato, on a fait partie des 24, au moins pour compenser les affres d’une guerre en Ukraine que chacun suit en direct depuis un an, comme l’on regarde une sĂ©rie Netflix. Option pop corn Ă  la clĂ©. Compassion, affliction, apprĂ©hension, indignation, indiffĂ©rence : toute la panoplie des Ă©motions y est passĂ©e. Loin des commentaires en tout genre, de cette guerre qui a rattrapĂ© mes 25 % d’ailes natives, j’en suis arrivĂ© au stade ou je ne retiens avec Tato plus que l’espoir que nos amis et proches encore sur place lui survivent. Et qu’un jour nos tĂ©lĂ©phones ne veilleront plus la nuit. Faire partie de ces 24 millions de sportifs en herbe nous a donc — sans pour autant nous dĂ©sintĂ©resser du sort des — Ă©tĂ© partiellement salutaire. Au moins quelques heures par semaine. Et nous a aussi permis de nous intĂ©resser

S ACTUALITÉ — MOI JAJA
124 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour

Ă  d’autres dĂ©bats de fin d’annĂ©e, parmi lesquels une certaine « difficulté » des services municipaux Ă  lutter contre le « dĂ©glaçage » des voies publiques.

GRAND NETTOYAGE DANS L’HÉMICYCLE

À ce propos, Pascale, Ă©pouse de l’un des membres du service de propretĂ© de la Ville, a tentĂ© d’expliquer les causes de cette hausse subite et contrainte des auditions pour Holiday on Ice, Ă  commencer chez les seniors qui avaient eu l’idĂ©e de se dĂ©confiner d’un non confinement : « La municipalitĂ© attend la derniĂšre minute pour les appeler », faisant rĂ©fĂ©rence Ă  son Ă©poux. « Par le passĂ©, dĂšs que le premier flocon apparaissait, tout le monde Ă©tait sur le pied de guerre (y compris certains adjoints). Comment voulez-vous que cela soit fait correctement quand on appelle les Ă©quipes qu’à partir de 3h/4h du matin alors qu’il neige depuis 23h et que tout est dĂ©jĂ  gelé ? » Et Pascale d’appeler Ă  un « grand nettoyage dans l’hĂ©micycle et/ou Ă  apprendre Ă  certains Ă©lus non alsaciens comment on gĂšre et vie avec la neige ici, en Alsace ». Cherchez quel animal politique dont les enfants aiment peigner la criniĂšre et vous trouverez qui cible Pascale.

Autre polĂ©mique, cette fois de ce dĂ©but d’annĂ©e, l’impossibilitĂ© exprimĂ©e par plusieurs parents d’accĂ©der Ă  l’école de leurs chĂ©rubins, faute de zones de dessertes, comme place du Temple neuf. Avec pour question lancinante : « Ils font comment les gens qui ne vivent pas au centre-ville quand ils doivent rĂ©cupĂ©rer leurs enfants

en classe ? Ils prennent un abonnement chez Parcus ? Ils font les trajets en vĂ©lo cargo Ă©colo au lithium ? »

Le Racing, lui, mon « seul amour » aprĂšs tout ce qui vient avant, je me suis promis de ne pas en parler. En passer par le recrutement d’un Corse non insulaire passĂ© par la Moselle pour remplacer le remplaçant d’un Breton pour sauver l’Alsace rĂ©sume en une phrase la dĂ©tresse de mes amis Storcki.

FORMULE « BIEN-ÊTRE VISUEL ET SÉCURITÉ »

Par contre, la crainte de plus en plus affichĂ©e de certaines femmes de sortir le soir, depuis que la diminution de l’éclairage public, cumulĂ©e Ă  l’Extinction RĂ©bellion des enseignes lumineuses, fait loi : parlons-en. Parmi elles, ma propre Tata Anne — Tatanne de son petit nom. Pourtant experte en maniement dĂ©fensif de cadenas en U et, Ă  ses heures perdues, cantatrice lyrique auprĂšs d’un public vĂȘtu de guĂȘtres bleues renforcĂ©es, Tatanne ne me cache plus son apprĂ©hension. « Tu vas te foutre de moi, Jaja, mais j’ai peur ». Face Ă  son angoisse, je lui ai suggĂ©rĂ© de faire un courrier aux services municipaux. IdĂ©e simple : solliciter une extension gĂ©ographique de la formule « bien-ĂȘtre visuel et sĂ©curité » dont nous bĂ©nĂ©ficions depuis quelques semaines avec Tato, au coin de notre rue : le renforcement d’un Ă©clairage public alĂ©atoire par la pose d’un radar pĂ©dagogique lumineux... Ă  15 mĂštres du feu tricolore. Pour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage « Tatanne en dĂ©tresse » ne lui a

« Pour une raison que je ne saurais pleinement expliquer, mon plan de sauvetage ne lui a inspirĂ© qu’un long fou-rire atterrĂ©. »
Jaja et les Storcki du Racing
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Jaja et le radar pédagogique lumineux

inspirĂ© qu’un long fou-rire atterrĂ©, ponctuĂ© d’un « tu dĂ©connes !? Ils ont vraiment fait ça ?? » Oui.

L’EFFET DE GREEF

DerniĂšre solution pour se dĂ©placer sur le plan local – voiture, vĂ©lo ou marche nocturne n’offrant visiblement pas consensus : notre RĂ©seau Express MĂ©tropolitain EuropĂ©en, quand bien mĂȘme celui-ci ne serait guĂšre d’une grande utilitĂ© Ă  Tatanne (notre directeur de la rĂ©daction en parle avec beaucoup de dĂ©tail dans ce numĂ©ro). Mais l’annonce officielle – un rĂ©seau « lancĂ© sur les bons rails », selon les Ă©lus euromĂ©tropolitains et rĂ©gionaux rapidement transformĂ© en un vĂ©ritable « fiasco » pour la presse et les usagers, la moitiĂ© des 810 trains supplĂ©mentaires promis pour le dĂ©but de l’annĂ©e ayant, semble-t-il, suivi le cheminement intellectuel de nombreux appelĂ©s russes Ă  combattre sur le front ukrai nien : la dĂ©sertion.

La communication, il est vrai, est l’obsession premiĂšre des politiques, mais il est Ă©galement vrai qu’elle frise parfois le ridicule, comme Ă  l’occasion de ces deux derniĂšres campagnes qui annonçaient triomphalement une forte hausse de la frĂ©quentation de l’aĂ©roport d’Entzheim ou de celle des Ă©quipements culturels de la Ville de Strasbourg. D’excellentes nou velles qui avaient de quoi ragaillardir mes petites ailes roses, avant que Tato ne me murmure sobrement : « Par rapport Ă  quelle pĂ©riode, tu sais ? Parce que s’il s’agit de 2021, je te rappelle que les dĂ©placements Ă©taient restreints et les lieux de culture fermĂ©s au moins les sept premiers mois ».

Je crois que c’est Ă  cet instant que m’est revenu ce sketch des Guignols de l’Info que Tato m’avait prĂ©cĂ©demment partagé : celui oĂč Alain de Greef, incapable d’expliquer l’humour de Canal Plus aux membres du CSA, finissait par lĂącher un « Rrrhhhaaaa..., ‘ncule un mouton’ ». En y rĂ©flĂ©chissant bien, j’en arrive au point oĂč je ne serais plus surpris qu’à dĂ©faut de parvenir Ă  nous convaincre qu’ils ne sont pas depuis passĂ©s du cĂŽtĂ© des saltimbanques, nos Ă©lus et membres de leur(s) administration(s) n’en viennent Ă  leur tour par nous lĂącher un : « ‘ncule un mouton’ ». S

« La communication, il est vrai, est l’obsession premiĂšre des politiques, mais il est Ă©galement vrai qu’elle
Jaja et le REME sans train
126 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
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L'actuJak Krok'

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128 S ACTUALITÉ №48 — Mars 2023 — Retour
Retrouvez chaque semaine sur notre page Facebook le regard sur l'actualitĂ© de l'illustrateur Jak Umbdenstock !

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L’ÉLOGE DE LA L E N T E U R

DÉFILÉ DE SAISONS

Certains marchĂ©s maĂźtrisent le changement avec virtuositĂ©. L’aspiration Ă  y parvenir, aussi. Le bien boire suit le rythme, doucement. Il y a une vingtaine d’annĂ©es, le vin s’achetait comme de la farine. Le consommateur se liait d’amour pour une marque — un domaine — oĂč il faisait bon s’approvisionner. Aujourd’hui, l’achat d’une bouteille se rattache souvent Ă  une consommation rapide, avec une recherche d’expĂ©rience.

L’artisan vigneron est un agriculteur qui doit gĂ©rer le travail des terroirs jusqu’à la vente. C’est un mĂ©tier qui demande une certaine dĂ©votion, et qui apporte beaucoup de pression derriĂšre son bol de Kellogg’s. Lorsqu’il crĂ©e une nouvelle cuvĂ©e, celle-ci se dessine avec un lot de rĂ©flexions, d’investissements, et un dĂ©filĂ© de saisons. On travaille dans la durĂ©e, affirme Laurent Scheidecker, vigneron Ă  Mittelwihr, Ă©lu vigneron de l’annĂ©e en Alsace par le Guide Hachette 2023. Les nouveautĂ©s, ce sont les millĂ©simes. Et heureusement ! Ce serait tellement triste que tous les millĂ©simes se ressemblent.

En France, l’lnstitut national de l’origine et de la qualitĂ© (INAO) fixe un cahier des charges pour chaque appellation. On y trouve, entre autres, des rĂšglements associĂ©s Ă  l’encĂ©pagement, la vinification, et le vieillissement. Ainsi, les

E SOCIÉTÉ — VIN
Jessica Ouellet Caroline Paulus Le vigneron dans son chai.
J 130 E SOCIÉTÉ №48 — Mars 2023 — Retour

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Jappellations marquent l’unicitĂ© d’un environnement.

L’Alsace prĂ©sente des vins exotiques Ă  son territoire. On valse nĂ©anmoins dans l’incomprĂ©hension au moment oĂč la frontiĂšre entre la nouveautĂ© et l’excentricitĂ© prend le bord. Lorsqu’on joue du coude avec un Riesling qui sent le Muscat. Parce que c’est

spĂ©cial. Pendant ce temps, Ă  la fromagerie, le ComtĂ© ne fricote pas avec le Beaufort. Le renouvellement et la remise en question sont honorables. La recherche d’une singularité – ou du moins, d’une certaine originalité – l’est tout autant. Mais si une bouteille relĂšve plus de la curiositĂ© que de typicitĂ© vis-Ă -vis son terroir, il serait pertinent d’en faire mention sur l’étiquette. Parce qu’à force de chercher l’insolite, on perd ce qui nous lie. Pendant ce temps, le consommateur nage dans le brouillard et continue de croire que l’Alsace, c’est trop compliquĂ©.

Les meilleures bouteilles capturent un temps. Elles reflĂštent la profondeur et le dynamisme d’un lieu. Le vin, c’est aussi un Ă©loge de la lenteur, oĂč la culture du changement et la quĂȘte d’amĂ©lioration sont douces. Indissociable de ses madeleines, Proust ajouterait certainement que le plaisir de l’habitude est souvent plus doux encore que celui de la nouveautĂ©. E

SI UNE BOUTEILLE RELÈVE PLUS DE LA CURIOSITÉ QUE DE TYPICITÉ VIS-À-VIS DE SON TERROIR, IL SERAIT PERTINENT D’EN FAIRE MENTION SUR L’ÉTIQUETTE.
132 E SOCIÉTÉ №48 — Mars 2023 — Retour

MUSIQUE

THE FIREMAN Strawberries

Oceans

Ships Forest (techno)

Alors, pourquoi ne pas donner sa chance Ă  un duo passĂ© assez inaperçu, en trois albums techno. Albums aujourd’hui quasi introuvables, et qui peuvent valoir une fortune ! Surtout que le duo en question a vraiment tentĂ© de faire carriĂšre, bien avant de former The Fireman. Il s’agit de
 Ne soyez pas impatients, c’est lĂ  le sel de cette belle histoire
 de fraises, qui ont leur importance.

Quand Strawberries Oceans Ships Forest est publiĂ© en 1993 on assiste depuis quelques annĂ©es Ă  la vague Madchester, aux premiĂšres raves. Et nos deux apprentis DJ, Paul et Martin, prennent le pas du mouvement Ă  la mode : tenter de mĂ©langer le rock et la musique Ă©lectronique. Ca tombe bien, les deux ont vaguement jouĂ© de la basse auparavant et ont eu l’un ou l’autre petit succĂšs. Paul a mĂȘme chantĂ©. Mais ici, c’est la musique instrumentale avant tout. Ambiance 90’s avec tout ce que la dĂ©cennie proposera d’aventures entre la techno et les autres genres (rock, jazz) et de collages de sons. Il faut dire que Martin est un fan de dub, ce courant nĂ© des DJ britanniques qui ont pris l’habitude, dĂšs la fin des 70’s, de ralentir au maximum et « salir » le reggae, pour aboutir Ă  une musique de transe assez inĂ©dite.

En neuf instrumentaux trĂšs variĂ©s, The Fireman offre un condensĂ© de ce que sont les 90’s. Mais la volontĂ© du duo est vĂ©ritablement d’explorer et de s’offrir une bulle d’oxygĂšne. Pour, peut-ĂȘtre rĂ©utiliser ces sonoritĂ©s ailleurs, dans leur autre vie artistique. Éventuellement pour trouver le succĂšs, enfin ?

Il est peut-ĂȘtre temps de vous rĂ©vĂ©ler qui sont ces garnements terribles, ces jeunes pompiers (Fireman) du son, ces apprentis sorciers du DJing. Martin, plus connu sous le pseudonyme Youth, est le bassiste du groupe Killing Joke, fondamental depuis la fin des annĂ©es 70 dans la fusion entre rock, metal, punk et musiques Ă©lectroniques. Il a aussi produit quelques piĂšces pour, Dido, Marilyn Manson ou The Verve, ou un album pour Bananarama.

Quant Ă  Paul
 dans les annĂ©es 60, il a tentĂ© de percer avec un groupe de Liverpool, dans une taverne. Mais l’aventure a pris fin sur un toit de Londres. La lĂ©gende dit qu’il serait mĂȘme mort avant, puis remplacĂ© par un sosie. Alors, il a dĂ©cidĂ© de vivre et laisser mourir, en ouvrant de nouvelles ailes, avec Linda, son Ă©pouse. Avant, donc, de devenir Dj.

Strawberry Oceans Ships Forest field forever, mister McCartney.

« Dis, on aimerait que tu nous prĂ©sentes des albums Or Norme, soit par leur essence, soit par l’artiste qui en est Ă  l’origine ». Voici pour le brief de dĂ©part. Le pari, aussi.
The Fireman : Paul McCartney et Youth
134 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
Didierjean DR

FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.

Petite sĂ©lection tout Ă  fait partisane de quelques cadeaux Ă  faire et Ă  se faire (mĂȘme en mars
), juste façon de ne pas perdre nos trĂšs bonnes habitudes culturelles !

1KEXPOSITION

Le rire de Cabu

C’ est une superbe exposition qui s’annonce Ă  l’Aubette, dĂšs le 7 avril prochain. Elle donnera Ă  voir une centaine de reproductions des dessins de Cabu, disparu il y a huit ans lors de l’attentat contre la rĂ©daction de Charlie Hebdo.

Avec la libertĂ© d’esprit qui le caractĂ©risait tant et les valeurs humanistes qu’il a toujours soutenues, Cabu a portĂ© le dessin de presse au-delĂ  de la simple case.

Ses dessins politiques sur tous les sujets Ă©taient les meilleures armes pour toucher les puissants et dĂ©fendre ceux qu’ils n’écoutent plus.

En prÚs de 65 ans de carriÚre, ses caricatures hors pair ont montré les travers de chacun, illustres ou inconnus, apportant son regard sur la société française via ses

portraits Ă  l’humour corrosif et salutaire. Clou de l’exposition, une sĂ©lection inĂ©dite de dessins pour la section « Le RĂ©gional de l’étape ». Cabu Ă©tait originaire de ChĂąlonsen-Champagne oĂč la DuduchothĂšque qui accueille ses dessins de jeunesse est installĂ©e depuis 2018.

Cette sĂ©lection prĂ©sentera une vingtaine de dessins de jeunesse et d’autres de l’époque de Charlie Hebdo, reportages et unes, sans concession sur Strasbourg et sa rĂ©gion. a

ExpositionLERIREDECABU

ouvertetouslesjoursde10hĂ 19h Salledel’AubetteplaceKlĂ©berĂ Strasbourg. Du7 avrilau1er maiprochains–EntrĂ©egratuite.

a CULTURE – SÉLECTION SPECTACLES
VĂ©ronique Leblanc – Benjamin Thomas – Erika Shelly – Jean-Luc Fournier JoĂ«l Saget / AFP – Nicolas RosĂšs
№48 — Mars 2023 — Retour 136 a SÉLECTION
La derniĂšre carte de presse de Cabu.

du 7 avril au 1er mai 2023

Salle de l’Aubette, Strasbourg – leriredecabu.com

Participez au jeu concours & tentez de gagner

le mini-catalogue exclusif regroupant les meilleurs dessins de Cabu sur le Grand Est.

Partenaire de l’évĂšnement, le magazine Or Norme a le plaisir de vous partager un indice pour rĂ©ussir l’une des missions du jeu.

RepĂ©rez l’élĂ©ment qui vous intĂ©resse pour rĂ©aliser votre mission, puis partez sur les traces de Cabu en dĂ©couvrant ses Ɠuvres aux 4 coins de Strasbourg !

EXPOSITION © V. Cabut
CABU OFFICIEL – SociĂ©tĂ© par actions simplifiĂ©e Ă  associĂ© unique – 17 RUE DUPIN 75006 PARIS – R.C.S. Paris 814 228 300 Conditions et rĂšglement du jeu sur www.leriredecabu.com

EXPOSITION ÉVÉNEMENT CONCERT 1K 3K 2K

C’est un dessin d’une incroyable qualitĂ© que l’architecte de la cathĂ©drale Notre-Dame de Strasbourg, Johannes HĂŒltz, aurait rĂ©alisĂ© en 1419. D’une taille de 2,05 m de long par 54 cm de large, c’est le premier croquis connu de la flĂšche de la cathĂ©drale telle que ses anciens bĂątisseurs avaient prĂ©vu de la construire et qui est trĂšs diffĂ©rente de celle finalement Ă©difiĂ©e.

Le dessin a Ă©tĂ© achetĂ© 1,75 million €, grĂące notamment Ă  l’important mĂ©cĂ©nat du CrĂ©dit Mutuel (1,2 million €), avec Ă©galement des financements de la SociĂ©tĂ© des amis de la cathĂ©drale de Strasbourg (250 000 €), du ministĂšre de la Culture (200 000 €) et de la Ville de Strasbourg (100 000 €), aprĂšs plus de trois ans de nĂ©gociations. a

LedessinestactuellementprĂ©sentĂ© aupublicauMusĂ©edel’Ɠuvre Notre-Dame,uniquementlessamedi etdimanche,jusqu’au23 avril.

En 1963, le GĂ©nĂ©ral de Gaulle et le Chancelier Adenauer signaient un traitĂ© de coopĂ©ration destinĂ© Ă  sceller la rĂ©conciliation entre la France et la RĂ©publique FĂ©dĂ©rale d’Allemagne. Pour commĂ©morer cette rĂ©conciliation, Ă  Strasbourg, et Ă  Stuttgart, le ChƓur philharmonique de Strasbourg et l’Orchesterverein de Stuttgart vont unir leurs forces musicales pour que rĂ©sonne dans nos deux villes jumelĂ©es la priĂšre toujours renouvelĂ©e pour la Paix.

Ces deux ensembles associent dans le mĂȘme Ă©lan la NeuviĂšme symphonie de Ludwig Van Beethoven avec sa cĂ©lĂ©brissime Ode Ă  la Joie et Dona nobis pacem du compositeur letton Peteris Vasks, nĂ© en 1945.

La rĂ©union de ces deux ensembles est le fruit de la rencontre de leurs chefs : Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger qui se partageront la baguette pour ces deux concerts exceptionnels. a

Une premiĂšre Ă  Strasbourg ! Les « DĂ©tours » des BibliothĂšques IdĂ©ales organisent tout un weekend de rencontres sur le fĂ©minisme, les dĂ©bats qu’il suscite dans notre sociĂ©tĂ© et les formes plurielles qu’aujourd’hui il revĂȘt. Plus de quinze personnalitĂ©s, venues du journalisme, du monde universitaire, de la littĂ©rature viendront nous Ă©clairer sur ce sujet dĂ©sormais central du dĂ©bat public : Ovidie, Edwy Plenel, Tristane Banon, Sonia Mabrouk, Michelle Perrot, MĂ©mona Hintermann, etc.

Tous les dĂ©bats se dĂ©rouleront Ă  l’Aubette, place KlĂ©ber. Ce week-end commencera par une rencontre exceptionnelle autour de l’immense Colette, Ă  l’heure oĂč nous cĂ©lĂ©brons le 150e anniversaire de celle qui accorda aux femmes une place inĂ©galĂ©e dans nos panthĂ©ons littĂ©raires comme dans nos imaginaires. a

Strasbourg
Un trésor national acquis par Strasbourg Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger pour la IXe de Beethoven à
et Stuttgart
rencontre
l’Aubette
Le temps des féminismes Trois jours de
Ă 
ÀStrasbourg,le14 avrilĂ 20h,Ă©gliseSaint-Paul ÀStuttgart,le15 avrilĂ 19h,Liederhalle ChoeurphilharmoniquedeStrasbourg 10rueduHohwald,Strasbourg contact@choeur-strasbourg.eu
Salledel’Aubette,placeKlĂ©berĂ Strasbourg Les17,18et19 mars. EntrĂ©elibreetsansrĂ©servation 138 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
LeTempsdesFéminismes

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C’est aussi un rĂȘve qui se rĂ©alise pour le pianiste rag&boogie SĂ©bastien

TroendlĂ© et sa compagne Tiffany Macquart. TrĂšs souvent invitĂ© aux USA pour jouer avec les meilleurs du genre, SĂ©bastien rĂȘvait depuis longtemps d’organiser enfin Ă  Strasbourg un festival qui rendrait hommage aux musiques et aux danses afro-amĂ©ricaines originelles et Ă  toutes celles et ceux qui les ont créées en leur donnant vie sur scĂšne.

Deux samedis de masterclasses de piano les 22 et 29 avril et un week-end au programme grandiose les 12, 13 et 14 mai prochains (tremplins Jeunes Talents Ă  l’IRCAD – concerts au Point d’Eau Ă  Ostwald le vendredi et le samedi, concert-brunch au ChĂąteau de PourtalĂšs le dimanche matin). Des artistes de renommĂ©e mondiale sont attendus pour cette premiĂšre Ă©dition. a

LIVRES 5K

Homme attachant et photographe de sport passionnĂ©, le Haguenauvien Karim Chergui a suivi le Racing-Club de Strasbourg et l’Équipe de France durant trente ans.

« Trente ans Ă  parler foot, Ă  vivre foot et Ă  dormir foot » comme il le dit joliment lui-mĂȘme. Il publie ses meilleurs clichĂ©s dans un livre grand format de prĂšs de 180 pages. Ses photos forment le feu d’artifice d’une belle passion. Elles donnent Ă©galement envie de retrouver trĂšs vite leur auteur au bord d’une pelouse ou au cƓur d’un Ă©vĂ©nement sportif
 a

En 1993, Olivier Claudon avait 22 ans et conduisait un des camions du convoi Alsace-Sarajevo, l’un des plus grands convois humanitaires civils ayant empruntĂ© la route de la Bosnie durant la guerre civile qui faisait rage. La route de Sarajevo n’est pas un essaisouvenir de ce pĂ©riple, mais bel et bien un roman (le troisiĂšme de notre confrĂšre journaliste aux DNA). Et il est beau et passionnant de bout en bout, son roman, comme un road-movie Ă  travers l’ex-Yougoslavie ravagĂ©e par la guerre oĂč se croisent les miliciens, les civils pris dans l’étau de la folie humaine, les Casques bleus de l’ONU et les humanitaires.

« Quant Ă  demain, il n’existe plus  » dit un des personnages du livre. Cette phrase rĂ©sume tout


Comme toujours dans l’excellente collection « L’histoire et un roman », le livre se termine par un Ă©clairage historique, rĂ©digĂ© par Marie Paret, diplomate spĂ©cialiste de l’Europe centrale et orientale. a

annĂ©es foot
 Karim Chergui La route de Sarajevo Olivier Claudon MesannĂ©esfoot
 KarimChergui, VADEMECUM Edition 30€ LaroutedeSarajevo OlivierClaudon ÉditionsLaNuĂ©eBleue 21 €
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140 a SÉLECTION №48 — Mars 2023 — Retour
un nouveau festival est né !
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LĂ  oĂč les idĂ©es naissent et les projets grandissent.

Le club des partenaires

Merci aux partenaires Or Norme pour leur soutien.

LA GUERRE EN UKRAINE UN AN APRÈS


Peu de gens avaient prédit que la guerre russo-ukrainienne durerait aussi longtemps. La majorité des politologues pensaient que la guerre se terminerait à la fin de 2022, au plus tard en mars de cette année.

Les prĂ©dictions sur la fin de la guerre ont Ă©tĂ© faites dans deux directions. Soit une dĂ©faite militaire complĂšte de l’une des parties (une fin militaire), soit des dĂ©sastres politiques dans les pays en guerre (une fin politique).

La « fin militaire » prolongerait la guerre. Parce que les ressources de la Russie, en particulier les ressources humaines, sont Ă©normes. Les autoritĂ©s russes autoritaires n’ont aucune difficultĂ© Ă  mobiliser les gens et Ă  les envoyer au front. L’approvisionnement de la guerre en Ukraine dĂ©pend de ce que l’on peut appeler l’assistance illimitĂ©e des pays du bloc de l’OTAN. Sans cette aide, l’Ukraine serait bien sĂ»r vaincue, mais l’aide du bloc de l’OTAN n’est pas seulement essentielle Ă  la victoire de l’Ukraine, c’est aussi une question de sĂ©curitĂ© pour l’Occident. Il est donc impossible d’imaginer que cette aide soit supprimĂ©e.

La possibilitĂ© que la guerre prenne fin en raison de facteurs politiques Ă©tait plus probable en Russie. Les experts se sont penchĂ©s sur la santĂ© du prĂ©sident russe Vladimir Poutine, un scĂ©nario possible d’un coup de palais par des oligarques, des Ă©lites politiques ou militaires. Ces versions sont encore considĂ©rĂ©es comme d’actualitĂ© par beaucoup. Le fait est que la sociĂ©tĂ© russe est mĂ©contente de la guerre, et que ce mĂ©contentement ne cesse de croĂźtre. En mars 2022, le pourcentage de citoyens russes qui considĂ©raient qu’il Ă©tait important de punir l’Ukraine Ă©tait Ă  son niveau

le plus Ă©levĂ©. Selon les rĂ©sultats d’un sondage fermĂ© menĂ© par le Kremlin, cet indicateur Ă©tait de 57 % en juillet. En novembre, il est tombĂ© Ă  25 %. 32 % des Russes en juillet et 55 % en novembre considĂ©raient les pourparlers de paix comme importants. Il convient toutefois de garder Ă  l’esprit que le rĂ©gime autoritaire en Russie a Ă©tĂ© rendu encore plus strict en temps de guerre, de sorte qu’il est peu probable que le mĂ©contentement populaire atteigne le niveau explosif qui pourrait menacer le rĂ©gime Poutine. Comme la plupart de ceux qui ont intĂ©grĂ© l’élite politique ou militaire ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s « criminels militaires », il est difficile de prĂ©voir que des rĂ©volutionnaires Ă©mergeront de cette base. Il est intĂ©ressant de noter que peu aprĂšs le dĂ©clenchement des hostilitĂ©s, les politologues russes ont commencĂ© Ă  faire des prĂ©dictions selon lesquelles Zelensky serait Ă©vincĂ© du pouvoir en Ukraine, apparemment conformĂ©ment aux instructions du Kremlin. Il est Ă©galement probable que ces prĂ©dictions aient trouvĂ© leur chemin dans la presse europĂ©enne. Certes, au cours des premiers mois de la guerre, cette possibilitĂ© aurait pu ĂȘtre proche de la rĂ©alitĂ©, mais Ă  mesure que les opĂ©rations militaires s’éternisaient, les perspectives d’un coup d’État politique en Ukraine se sont rapidement affaiblies. Il y a plusieurs raisons Ă  cela.

Les forces politiques pro-russes en Ukraine ont Ă©tĂ© intensifiĂ©es et neutralisĂ©es. Les saboteurs dĂ©ployĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ© russes sur le territoire ukrainien jusqu’au dĂ©but de la guerre ont Ă©tĂ© et sont dĂ©masquĂ©s par les services spĂ©ciaux ukrainiens.

Deux mois seulement aprÚs le début

de la guerre, l’un des plus proches amis de Poutine, Viktor Medvedchuk, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en Ukraine. Il devait ĂȘtre la principale figure et le principal sponsor du chaos politique que le Kremlin pouvait planifier en Ukraine. AprĂšs son arrestation par les services de sĂ©curitĂ© ukrainiens, on peut dire que le plus grand rĂ©seau de sabotage russe sur le territoire de ce pays a Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©. Les faits prouvent que malgrĂ© la guerre prolongĂ©e en Ukraine, la cote du parti au pouvoir et du prĂ©sident Zelensky lui-mĂȘme a atteint des niveaux records. Dans des sondages rĂ©alisĂ©s en novembre 2022, 98 % des Ukrainiens ont dĂ©clarĂ© qu’ils ne doutaient pas que la guerre se terminerait par une victoire, et 91 % ont soutenu le prĂ©sident Zelensky. Un autre fait intĂ©ressant : Dans le sondage d’opinion « 100 Ukrainiens » de janvier 2023, le prĂ©sident Zelensky se classe deuxiĂšme, juste derriĂšre Taras Shevchenko (considĂ©rĂ© comme le « Shakespeare ukrainien »).

Dans le mĂȘme temps, les autoritĂ©s politiques ukrainiennes et le prĂ©sident Zelensky ont rĂ©ussi Ă  obtenir un soutien international considĂ©rable et la sympathie du public.

Par consĂ©quent, il est plus proche de la rĂ©alitĂ© d’attendre uniquement des rĂ©sultats militaires de la guerre russoukrainienne. a

Or Champ est une tribune libre confiĂ©e Ă  une personnalitĂ© par la rĂ©daction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle n’engage pas la responsabilitĂ© de la rĂ©daction de la revue mais la seule responsabilitĂ© de son signataire.

OR CHAMP
Par Ganimat Zahid, journaliste et écrivain azerbaïdjanais en exil politique à Strasbourg (lire son interview dans Or Norme n°45 de juin 2022)
143 a OR CHAMP №48 — Mars 2023 — Retour

Directeur de la publication

Patrick Adler 1 patrick@adler.fr

Directeur de la rédaction

Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr

Rédaction

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Eleina Angelowski 4

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Erika Chelly 6

Marine Dumeny 7

Jean-Luc Fournier 2

Pascal Hambourg

Jaja 8

Thierry Jobard 9

Véronique Leblanc 10

Aurélien Montinari 11

Jessica Ouellet 12

Barbara Romero 13

Maria Pototskaya

Benjamin Thomas 14 redaction@ornorme.fr

MARS 2023

Photographie

Franck Disegni 15

Sophie Dupressoir 16

Zoé Forget

Alban Hefti 17

Yann Levy

Abdesslam Mirdass 18

Vincent Muller 19

Caroline Paulus 20

Nicolas RosĂšs 21

Contact : contact@ornorme.fr

Ce numĂ©ro de Or Norme a Ă©tĂ© tirĂ© Ă  15 000 exemplaires

DĂ©pĂŽt lĂ©gal : Ă  parution

N°ISSN : 2272-9461

Site web : www.ornorme.fr

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Couverture  Cercle Studio

Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias

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Direction artistique et mise en page Cercle Studio

Directrice Projet Lisa Haller 24

Typographie

GT America par Grilli Type Freight Pro par J. Darden

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№48
ULTIMA 3, 4 ET 8 PETITE RUE DE L'EGLISE 67000 STRASBOURG TÉL : 03 88 32 87 69
HOMME 16 RUE DE LA MÉSANGE 67000 STRASBOURG TÉL : 03 88 64 88 67
BIS 34 RUE THOMANN 67000 STRASBOURG TÉL : 03 90 22 19 23 P R Ê T À P O R T E R / C H A U S S U R E S / S A C S F E M M E / H O M M E U L T I M A M O D E C O M G U C C I ‱ P R A D A ‱ V A L E N T I N O ‱ D I O R ‱ G I V E N C H Y ‱ C E L I N E ‱ C H L O É ‱ B A L E N C I A G A ‱ F E N D I ‱ S A I N T L A U R E N T ‱ S T E L L A M C C A R T N E Y ‱ D O L C E G A B B A N A ‱ I S A B E L M A R A N T ‱ B A R B A R A B U I ‱ I R O ‱ P A T O U ‱ K A R L L A G E R F E L D ‱ M O N C L E R ‱ D S Q U A R E D 2 ‱ S T O N E I S L A N D ‱ M A I S O N K I T S U N É ‱ B L U E S K Y I N N O F F I C I N E G É N É R A L ‱ B U R B E R R Y ‱ Z I M M E R M A N N ‱ S E R G I O R O S S I ‱ T H E A T T I C O ‱ J I M M Y C H O O ‱ T O D ’ S ‱ H O G A N ‱ S T U A R T W E I T Z M A N ‱ C A S A D E I ‱ G I U S E P P E Z A N O T T I ‱ A S H ‱ C L E R G E R I E ‱ U G G
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№ 47 DÉCEMBRE 2022 ISLANDE Merveilles b GRAND ENTRETIEN JEAN-LUC BARRÉ Page 6 a CULTURE ALICE DÉCONSTRUITE SurrĂ©alice et Illutr’alice, deux expositions Strasbourg. Page 36 c DOSSIER EXPOS TGV PARIS Le cru 2022 est exceptionnel et l’art scintille de toutes parts. Page 12 c DOSSIER ISLANDE Destinations de lĂ©gende. Page 44 2022Habiter LE MAGAZINE D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG LE HORS-SÉRIE DE L’HABITAT À STRASBOURG
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LA GUERRE EN UKRAINE UN AN APRÈS


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Trois ans aprĂšs le « Big Quit » Des Strasbourgeois tĂ©moignent...

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S ACTUALITÉ — LE CENTRE QUI RASSURE CƓur battant RECOR C

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donc Ă  leurs enfants et leurs petits enfants de “corriger le tir”, mais Ă  leur maniĂšre. »

2min
page 42

Le choc des générations

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Et la SNCF ? Elle se tait, la SNCF


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pages 36, 39

CÎté usagers

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pages 32-35

du REME

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pages 28-32

« Je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et mĂȘme de la prĂ©sidence de la RĂ©publique, il ne se passe rien dans un futur proche. »

1min
pages 27-28

baisser les bras


5min
pages 24-26

ne connaĂźt que le logo SNCF, mais en fait, ses diffĂ©rentes entitĂ©s ne communiquent pas toujours efficacement entre elles. »

4min
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Autopsie d’un ratĂ©

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Daniel Cohen la civilisation qui vient, il nous faudra par-dessus tout Ă©chapper Ă  la solitude  »

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RETOUR

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