Oito ou 8O féerie

L’imaginaire des jardins suspendus est féerique parce qu’il s’appuie sur des racines qui seraient dans le ciel. Un renversement de l’imaginaire s’est opéré dans ces jardins légendaires qui ont été nourris par de nombreux artistes. Ce renversement est à la source d’une possibilité pour la création. Une nouvelle fenêtre s’entrouvre et repousse un peu les limites de la réalité. La féerie s’ancre dans des lois et des principes tangibles. Elle n’est pas une envolée totale, elle n’est pas le contre point d’une réalité. Elle s’aventure à partir des perspectives réelles et, en étirant ses fils, elle change de paradigme. Ne se détachant pas de ce principe de réalité, elle peut réaliser un pas de côté. C’est dans ce décalage que tout est permis.
Écrire, c’est la possibilité de connaître un peu de liberté. D’avancer dans une frange de notre réalité, dans une de ses couches, sans pesanteur, en explorant, cherchant et creusant vers des choses inconnues de nous-mêmes, des recoins qu’on n’osait jusqu’alors regarder. Peut-être, ces choses et ces espaces qui équivalent à de tâches d’encres numériques, sont pour nous des espaces ouverts comme un temps de jeu, mais aussi et surtout d’échange. L’écriture, pendant nos ateliers, devient un moment d’écoute de l’autre. C’est prendre part à l’autre, au rythme de l’autre : à son oreille, à sa vision. Et comme pour les souvenirs, les impressions s’installent en nous, plus ou moins durablement, et élargissent notre monde intérieur, notre capacité à le dire, à le conter.
Ce deuxième numéro s’organise comme des vases communicants. Nous avons construit et écrit nos textes à partir d’un dialogue. Nos échanges fabriquent ensemble un récit mythologique spontané, dont la glaise est notre langage, fait de creusets enfouis et de nos mémoires. Ensuite, nous avons écrit à quatre mains sous une forme épistolaire, en retenant à chaque fois un élément du souffle de l’autre. Nos voix ne s’y confondent pas, elles s’y reposent, s’affinent, s’ajustent et grandissent un peu de cette rencontre. C’est le pouvoir de l’écriture collective : une indescriptible féerie.
La possibilité des jardins suspendus vaut plus que sa véracité. Elle offre la capacité aux humains de prendre part au grand récit, à l’Histoire. S’intéresser à une légende, s’y greffer, c’est prendre part au monde et réunir un passé révolu à un futur incertain, mais aussi à une réalité parfois difficile à saisir. Entrer dans les jardins suspendus c’est accepter la part d’inconnu. C’est la promesse implicite de Oito ou 80, une revue où chercher, explorer, vaut plus que la maîtrise, la finitude. Pour autant, le sens du détail n’est pas écarté, c’est justement à partir de celui-ci que les textes se sont écrits : en passant dans une lecture microscopique du monde et flirtant avec un reflet, un goût persistant, une sensation corporelle qui continue d’alimenter un lien invisible, une image fantôme.
édito par Aele Dee, page 2
texte écrit à 4 mains, page 4
texte écrit à 4 mains, page 8
lettre de Samantha Pluie, page 14
suite page 18
texte écrit à 4 mains, page 24
page 28
le ciel tu peux le toucher si, si, vas y plonge tes doigts par contre il peut être toxique
ça colle aux doigts c’est normal quand le ciel bouffe le goudron ta poésie devient crado mais pour une fois de ton vivant tu pourras te baigner dans le ciel tu serais tachée à la fin mais t’imprimerais une image que personne n’aura jamais vue t’irais toi ?
Ça a l’air dangereux ton affaire. Et si je plonge et que je n’arrive Je resterais flottant dans les
Au ciel ?
Ça dépend.
Il fait beau ?
S’il fait froid je préfère rester ici, accrochée au canapé.
Figée au sol.
Allongée sur le goudron.
Il est toujours chaud le goudron.
Comme une piscine de boules noirs.
Chaud. Relaxant.
Tout ce qui est chauffé par le soleil reste par terre.
Collé, glué, écrasé.
Imprimé dans le noir. affaire. n’arrive plus à revenir à la surface ? vagues du ciel.
tu voudrais pas flotter ?
c’est pas le dessein de toute une vie ?
j’te parle pas de paradis.
j’te parle d’un rocher.
un rocher calme, d’où tu vois les couleurs. simple. le faisceau entier.
les couleurs déroulent devant tes yeux. t’as rien à faire. tu les laisse glisser.
et toi tu divagues. sans le poids de ton corps.
tu peux nager sans jamais sentir de contre courant. quand tu entre dans un lac, tu restes prudente.
il peut faire apparaître le ciel, sous ton poids.
tu redeviens un élément parmi d’autres.
ta tête baigne à moitié. entends les profondeurs. tes yeux nagent aussi.
le danger sourit un peu, c’est vrai.
Je n’entends rien.
Plus je plonge, plus bruyant ça devient.
Un énorme bruit de mastication, Vagues me rendent sourde.
Mes yeux vides sont transformés en aquarium
Les poissons se réfugient entre mes orteils,
Se nourrissant de la peau qui décolle de mes jambes flasques.
Le rocher est rude
Et coupe mon dos
Tâchant le bleu lac d’un teint rouge.
Laisse tomber.
Tu préfères pas t’accroupir dans une baignoire ?
Toucher le fond lisse et blanc de céramique ?
Faire de l’eau une cascade ?
« les ciels des métros sont tous colorés si on regarde bien les ciels qui courent trop vite et mange le goudron le sol inversé le sol ivre »
Je tourne. Je tourne en moi même, virevoltant mon esprit. La jupe s’ouvre grande, donnant place à mon esprit.
Bum tchaca bum fait le tambour. Boum tchaca bum fait
Je tourne, mains en l’air, invocation ancestrale des déesses passé dans le présent dans un espoir d’unification future.
Boum tchaca boum bum tchaca tchaca bum. Boum bum
Je ferme les yeux,
esprit. fait mon pied. Boum tchaca boum fait le sol. déesses et dieux, des orixás e Oxalá. Invocation du future. Oxalá. Oxarilá. Chega cá. Vient là. bum bo bum.
Bum tchaca bum fait mon cœur Bum l'eau tchaca de bum mes bum yeux yeux, et danse les yeux fermés jusqu'à ce que mes yeux brûlent
J’ouvre les yeux. L’énergie vibre et fait tout bouger. La berce de droite à gauche, le toit s’échappe de droite à ouvrant un arc en ciel.
De mes yeux rouges je vois, un homme assis sur un banc
Il regarde mon siège de l’âme
nous sentons est-ce son vortex de souvenirs il sa voix
Je le regarde sans rien dire. L’odeur de citron est forte Je m’assois.
Il regarde mon visage tordu, on dirait que j’ai mangé
« Le citron fait du bien vous savez ? »
« Il lave l’âme. Et purifie l’âme. Et enlève de l’âme les Mon visage se contracte encore plus dégouté. Sa peau crèmes.
Ma peau a l’air grasse, remplie de points noirs. (Ce sont
La table balance de droite à gauche, le canapé me à gauche, le sol s’inverse, ivre, montant au plafond, banc qui regarde curieux mon œil intérieur.
il y a cette odeur de citron sentons tous les deux cette odeur, sans savoir d'où elle vient qu'on est mort ou quelqu'un vient de rallumer mon âme ? je ne le vois pas, ses genoux remontent contre sa poitrine. grille une cigarette et me regarde avec des yeux profonds. "votre âme a un bleu" voix est douce, pas comme les traits de son visage anguleux
"mais d'un bleu comme j'en ai jamais vu" forte comme la piscine de l’école primaire.
mangé le citron. les larves astrales » peau est lisse, brillante même, baigné en huiles et sont les larves?) J’ai envie d’un bain au citron.
Chers aventuriers d’intermondes,
Ça fait maintenant presque deux semaines que je suis arrivée à Nubulage Altus et je ne me suis pas encore habitué à marcher dans les brumes fraîches et épaisses. Nubulage Altus, traduction du nom original du village, signifie à peu-près « le village en haut des nuages ». C’est un nom évocateur autant que poétique.
Dans l’idiome local, le nom de la ville ressemble à quelque chose comme « houi-a », pour le prononcer il faut se concentrer plutôt à souffler le vent sans faire vibrer le larynx, pendant qu’on fait les voyelles O – I - A avec la bouche. En le prononçant, le son doit faire un bref sifflement, un écho de vent qui tourne à gauche beaucoup trop vite et frappe le verre d’une fenêtre glacée. J'essaie encore de le prononcer correctement, mais mes cordes vocales ne sont pas encore habituées aux sifflements et susurrements de ce fascinant idiome qui semblent imiter le vent.
C’est une langue sensorielle, où le souffle chaud qui se transforme en froid lorsque la voyelle O se mue en I, reflète ainsi
la température quotidienne. Construit en haut des nuages, le temps est souvent froid et humide, mais la proximité avec le soleil transforme l’expérience en une agréable après-midi de printemps : chaude mais rafraîchissante, comme quand les poils du bras s’hérissent pour nous entourner de notre propre chaleur. Ce village se tient en fait, non sur des nuages, mais sur les racines de deux robustes arbres qui s’entrelacent créant un réseau tressé nodulaire. Le réseau est suffisamment solide pour soutenir les maisons et ruelles, qui ont été construites à partir des épais troncs de ces deux anciens arbres, une sorte de corail agglutiné qui s’est multiplié avec le temps. Comme tout ici, les maisons ont des structures en bois, mais sont composés majoritairement de glace sculptée, ce qui leur donne un aspect brillant lorsque le reflet du soleil tape sur les énormes fenêtres.
L’extension du village est décorée avec différents types d’arbres et de plantes qui transforment l’endroit en un jardin suspendu. Quelques plantes sont très exotiques, avec des feuilles platinés ou vitrés, mais la
grande partie, j’étais surprise d’apprendre, est très commun à la flora de la Terre. Cela se produit car parfois les graines plantées dans les nuages ne tiennent pas, tombant sur la Terre et créant des racines dans le sol. Comment un arbre peut avoir des racines suspendues vous me demandez ? De la même façon qu’un haricot franchit et s’enracine dans le coton.
Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les habitants de Nubulage Altus n’ont pas d’ailes. Ils sont nés ici et voyagent avec les nuages, qui leur servent de vaisseaux. Comme l’endroit est constamment en mouvement , grâce aux vents, le village est extrêmement difficile a trouvé et sa localisation n’apparaît pas sur les cartes. Même sur les cartes intermondes, comme celles que j’ai l’habitude d’illustrer et consulter. Je dis grâce, puisque le mouvement du village est essentiel à leur subsistance, cela leur permet de trouver d’autres villages similaires et d’échanger ressources, matérieux, graines, augmentant la diversité génétique locale.
Mais ce qui m’intrigue le plus, ce sont les habitants eux-mêmes. Ils n’ont pas des
formes fixes. Ce sont des êtres légers, à la peau transparente ou blanche, comme s’ils étaient eux-mêmes des morceaux de nuage ou de coton. L’Évolution est vraiment très intelligente. Leurs formes leur permettent de se fondre naturellement dans le cadre, se protégeant ainsi des oiseaux qui parviennent parfois à atteindre ces altitudes, ainsi que des avions, hélicoptères et projectiles volants.
le citron c’est comme les larves c’est comme les bleus à l’âme, on peut essayer
la peau c’est comme un baiser, on ne peut pas savoir quel l’honnêteté les bains c’est comme les promenades, dès qu’on Le vieil homme me regarde et il touche ma main grasse que sa main ne traverse pas la mienne. Elle était plus Il me prend dans sa paume chaude, et me guide, sans Les cercles d’eau dansaient, soyeux, dans des couleurs
Je suis rentrée. D’abord les pieds, les chevilles, les cuisses, Mes cheveux flottaient dans l’eau multicolore. Ma peau
je suis seule devant le lac vide. au fond le mélange de mon souvenir le plus douloureux, et l’instant lumières. je contemple. je cherche la direction.
en moi vit, vibre,
Ma peau tombe en petits morceaux et se transforme du lac où mes impuretés sont transformées en verre
comme le soleil, il faut laisser passer le désir de s’en saouler. d’essorer notre corps de ses peurs, il reste toujours la trace
d’une culpabilité au passage. quel goût il aura, mais en un instant il n’y a plus de doute sur l’honnêteté qu’il s’en dégage. la peau boit tout et recrache tout. qu’on y descend, nos yeux sont plein d’un océan nouveau. grasse et sale avec sa main brillante. J’étais surprise plus matérialisée que ce que je pensais. sans se gêner par ma saleté, vers un grand lac. couleurs pastels. Bleu, rose, jaune, vert, violet.
cuisses, le sexe, l’utérus, les côtes, les seins. peau expurgeait le mal. Et je devenais sirène.
un filtre huileux recouvre le lac.
j’ai perdu toute notion du temps. fond de la crevasse les reflets des eaux multicolores résistent. l’instant de ma métamorphose, se mélangent en un faisceau de direction. puis, je goûte à ce premier instant où je n’ai plus peur. vibre, il trace cet horizon qu’il a dessiné des dizaines de fois. en cendres. Mon sable se mélange au sable du fond et fossiles.
un garçon triste vient d’avoir 7 ans. il est assis sur une dune fait glisser doucement. puis, il en entre ses doigts un coquillage, et là, du il se laisse avoir 7 ans comme
Il court vers la voix de la sirène se baignant dans sa mélodie, lèvres de la sirène.
Le chant était ancien. Quelque chose qu’il avait déjà C’était la chanson de la création qui résonne dans toutes Et ainsi il se rappelle de quand il était poussière. Il n’était possiblement une poussière collée aux yeux de la sirène. pré-sirène.
Finalement la sirène non plus n’était pas encore sirène.
Ils étaient tous les deux poussière. Grain de sable vitrifié conscience de la création. L’utérus du monde.
Ils étaient tous le deux, grain de sable vitrifié dans l’utérus vision de vie.
Il a vu les tristesses qu’il devrait vivre, les bonheurs, Il a vu le bleu qui se formerait dans son âme. Et il s’est Il était bleu. Totalement bleu.
Et il a compris : il n’était pas là pour souffrir, mais pour
dune de sable. il en prend une poignée entre ses doigts et le en jette par poignées devant lui, comme pour défier la vie. coquillage, il fait ce geste instinctif de le coller à son oreille. du haut de sa tristesse il entend la sirène. il baisse les armes. comme hier. il se laisse le temps de refaire la course sans âge. de parcourir la rivière du temps, courir sans début ni fin.
mélodie, laissant le rythme du corps suivre celui des entendu mais il ne savait pas où. toutes les choses, dans tous les êtres. n’était pas encore individu, il était même très sirène. Une cellule juste avant se diviser de la cellule sirène. vitrifié qui faisait partie d’une seule conscience. La l’utérus du monde et ils concevaient ensemble leur
les déceptions, les défis, les douleurs, les blessures. s’est regardé.
pour défroisser son âme.
La sérénité est Amère. Oui, Oui, puisqu’elle est verte, comme un citron. Amère et acide. Elle remplit la bouche avec son jus caustique et descend la gorge brûlant l’estomac. Mais avec un peu de sucre, un peu de douceur, la sérénité devient délicieuse, une vraie tarte au citron meringuée. Mais le citron, ça fait du bien ça. Oui, il nettoie la plomberie, laisse tout propre, brillant. Il brûle les mains quand on le touche, mais ça fait du bien, oui oui. Enlève toute la boue, la lime, la graisse. Scratch scratch et hop-là c’est frais. Tu le mets au soleil et il blanchi encore. Mais pas les mains, les mains au soleil brûlent avec le citron.
la sérénité brûle de douceur ? la douceur, ça pique à force, je te rejoins là dessus. elle fait gonfler la peau, rougir l’épiderme, et sur tes photos souvenirs, tu ressembles à une écrevisse. pourtant t’as vécu le plus bel été de ta vie, un été en hiver cela dit, mais ça serait trop long à expliquer. un été où t’as pas du tout fait le ménage. vite fait, flok flok le torchon sur la table en bois, mais pas question de récurer, je laisse ça au mois d’avril. je laisse les tâches de café brunir, se faire une place entre les stries de bois. de beaux ronds plus foncé, qui racontent les conversations sans les mots. j’y dépose mes mains, à plat. puis après avoir bien savouré ce moment à me remémorer les voix que
j’ai aimées. et les mots des voix que j’ai aimé, je me sert un peu de citronnade. et là, la sérénité me brûle. elle me rendre presque impatiente, me fait lever et danser seule. oui danser seule dans ma maison, seule sans limite d’espace, comme un coquillage qui s’enroule sans gravité. emportée par le mouvement dur et tendre entre la vague et le sable. je suis dans le jardin, sous le citronnier, et je pense à ce déménagement. je t’ai dit que je n’ai jamais vu autant d’oiseaux depuis que je suis là ? mais ça me laisse un goût amer.
Ça laisse un goût amer parce que tu ne tempères pas bien tes oiseaux. Il faut mettre du citron, mais pas que. Il faut mariner les oiseaux. Les nourrir avant tout. Écouter leurs pia-pia et leurs histoires de voyages. Où sont-ils allés; quel temps faisait-il au sud pendant l’hiver; compter tous les types de fleurs, d’arbres, d’insectes qu’ils ont fait connaissance pendant ce temps. Il faut les regarder de près, se rendre bien compte de chaque plume qui a blanchi, de chaque callosité dans leurs pattes. Manger toute la douceur de leurs ailes douces.
C’est la partie la plus délicieuse des oiseaux : les ailes emplumées. Remplies de caresses, de vols, de libertés, des petits câlins et de longues embrassades. Et après, seulement après tout ça, on met les épices. Un peu de citron, pas beaucoup, mais
un tout petit peu, un tiptiptiptippeu. Et des zestes d’orange pour ensoleiller la langue.
Un pot violet açaí raclé, jusqu’au fond, un sourire pourpre. + Petit chat noir qui dort. Patte gauche qui s’ouvre et ferme. Une invitation à la caresse. + Un jour de pluie, mer calme, vagues qui dansent sur le sable, un coup de vent défait un château décoré avec une plume bleu et verte.
ils reviennent. oui, ils reviennent, comme les souvenirs. ils déposent sur chaque branche des extraits, des promesses. il faut que je te dise. il faut que tu voies. comme la joie les prend, au retour de la lumière. j’ai vu. je l’ai vu danser autour de la branche. je l’ai vu déposer des baisers mordus, en s’enroulant et montant vers l’extrême limite du vide. c’était si beau que ça m’a déchiré un peu. ça m’a déchiré d’être moi, là, assise à attendre que la beauté me touche. qu’elle vienne à moi et se glisse entre mes doigts. sous mes doigts. parfois, je me réveille avec la voix de mes amies. elles m’offrent une tranche de citron et c’est ma journée qui blanchit. toute la solitude se roule sous mon lit, elle vivote et n’ose plus respirer. mes amies ont des voix qui tranchent les citrons, elles savent doser le doux et l’amer. elles m’offrent leurs souvenirs. elles sont les ailes de l’oiseau, elles reprennent de l’élan pour grimper la branche. elles m’entraînent dans le bleu. et je souris à l’invisible, pour une fois.
Ma nièce me fait un bisou marque ma joue du violet glacée de sa bouche sale d’açai. On rigole.
Les corps sur la barre se préparent, alignés les uns après les autres, la musique monte, les bras droits bougent tous ensemble dans une respiration. Bra-bras, demi-bras, plié.
De sa fascination pour la vie sous la terre, Aele Dee s’est forgée des racines aux paupières ouvertes. Sa poitrine et son ventre sont des feuilles qui scintillent dans le vent. Le ciel n’est jamais bleu dans le circuit de ses membres magiques. Ses nerfs tiennent dans la partition lente d’une course aux nuages. Aele avance avec les vrombissements des fourmis rouges. Tout autour de ses hanches, elles ont formées un asile apaisé. Chanter bas, sans se faire surprendre, dans un écho que seul l’invisible accueille. Pourtant elle aime partager l’incommunicable aux vivants qui l’entourent. Savoir se pencher sur le cru de la joie passagère, et sur les filaments de mélancolie. En redessiner les contours dans des petits livres aux pages cousus amoureusement. Aele a la peau d’une terre de Provence, poudreuse et sèche. La seule direction possible est l’eau. Ses crevasses se gorgent grâce aux mots des autres. Elle navigue, délie ses ailes, dans les intonations juteuses des voix qui livrent secrets et peurs à la même table.
Quand elle marche, on entend le feu qui crépite à l’intérieur. Il claque, brûlant le bois, dégageant des cendres et laissant son empreinte embrasée. Le papier brûle, doré d’image violacée, faite de flamme enchantée. C’est ainsi qu’elle jette ses sorts, chuchotant dans nos oreilles de la poésie fine, aigre et mystérieuse. Texte-citronné juteux et musical, qui construit en nous des mondes, des frissons, des désirs qui apaisent l’âme.
Aele Dee sculpte l’air comme qui souffle le verre, lui donnant une forme arrondie et chaude; lisant dans une boule de cristal fumée; traversant ses doigts fins et éthérés dans nos os et notre chair. C’est un être minéral, qui travaille dans les souterrains, creusant la roche et polissant l’or.
L’odeur de jasmin fumé nous annonce sa présence. Il transmute l’angoisse, berçant notre incendie dans un feu lumineux.
La Pluie file du ciel tissant un réseau communicationnel. Ses longues tiges connectent les nuages au sol, liant lumière et ombre. La fille de la Pluie pleure : de tristesse, de joie, de peur. Elle peut être bleue, couleur mer illuminée par un rayon de soleil, ainsi que grise, couleur étoile liquéfiée. Ses ailes sont faites d’éclairs électrifiés qui la propulsent plus vite que le son entre les mondes. Elle a la tête en air et le corps boueux. Parfois, elle garde pour elle ses précieuses larmes perlées, mais quand elle les offre, elle se verse avec dévotion, décodifiant la matière génétique qui arrose les terres arides, faisant monter l’odeur d’espoir et la paix qui accompagne la soif guérie. Elle tisse dans la nuit des tranchées de lumières. Les phares de ses yeux crient la vie. Elle ne cherche pas à s’échapper, on ne la retrouve pas à cause de sa vitesse. La fille de Pluie dévale les escaliers des mots sur ses pointes translucides, des fines rainures vertes et bleues habillent ses membres.
Elle chasse les reflets de lune, et traverse les brouillards de mots pour en tisser des lignes ponctuées des spasmes des corps. Dévaste les virgules, scande la joie des syllabes, enseigne le fortugais aux lucioles attentives.
Chaque jour, chaque nuit, elle s’entraîne à retenir les plus perçants des instantanés qu’elle seule peut traverser. Ses cils s’électrifient dans les pensées mondes. Elle traduit l’envers des non-dits. Sursaute avec les petites branches qui défient la gravité. Chaque épine de pin lui murmure des chemins d’écritures.
Parmi toutes les pièces modelées par ses mains patientes, la carte des matières donne chaire à la possibilité d’un devenir. La fille de Pluie fait pailleter les angles morts.
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Aele Dee Samantha Pluie