
Oito ou 8O C O E H
Oito ou 8O C O E H
elle te rappelle peut être une de tes siestes mais ma chute n’a rien à voir avec le bris d’une assiette car ma chair cette fine couche qui recouvre mes os étouffe le bruit de mon corps, tu dors paisiblement, fragilité ou pas
Rezâ Sâdeghpour Le Bris Lent des bouteilles
Nous nous approchons lentement des limites de nos écritures, là où un inconfort ne trouve pas de nom. La plu‑ part du temps nous espérons retrouver le chemin sans avoir à regarder par delà la falaise. Mais parfois l’appel du vide est plus fort, et l’enquête sur ses remparts est un moyen de découvrir une autre approche de nos écritures.
En ouvrant la porte du hors‑champ, la vision dégage un autre possible et notre possibilité d’écrire le monde change. Nous essayons sou‑ vent de nous focaliser sur un aspect, sur un sens pour en dégager le plus de détails et de précision possible, mais le
simple aller‑retour du regard, le voyage d’un sens à l’autre peut laisser apparaître l’épaisseur des strates qui forment le début d’une histoire. Écrire juste c’est aussi réussir à étendre la péri‑ phérie de sa vision.
Dans la périphérie il y a tous les possibles, y compris ceux contre lesquels on lutte, avec de simples mots, mais avec la patience de la poésie, le tran‑ chant de sa traduction du monde. Et dans les bruits du monde, l’écho est une relation au temps. Le temps de rece‑ voir, d’accueillir et synthétiser dans notre mémoire l’intensité de l’écho. Les mots peuvent rendre justice à l’aspect versa‑ tile du monde.
Dans ce numéro nous avons joué avec des objets familiers et nous avons apprécié de nou‑ velles distances pour les appro cher. L’écriture à 4 mains a été l’occasion de relancer la voix reçue par l’autre, et nos ques‑ tions se sont liées grâce à des attractions symboliques sans que nous le décidions.
Ça a été la magie de ce numéro, que nous vous pro‑ posons comme une possibi lité d’étendre vos écoutes du monde, en retenant ces mots de Rezâ Sâdeghpour « elle te rappelle peut‑être une de tes siestes / mais ma chute n’a rien à voir / avec le bris d’une assiette » et d’y trouver un moteur de notre lecture, notre écriture étendues aux périphéries que nous avions pris soin d’ignorer jusqu’alors, et jouant enfin avec la maîtrise d’une écriture poétique. Aux portes d’un monde brûlant de vie, mordus par la fureur des silences, tenus par les coutures d’un regard qui reprend sans
cesse les bruits du monde.
Nous livrons ici neuf textes et avec eux quelques énigmes pré‑ sents dans le monde sensible, mais les offrir à la lecture per‑ met de les lier à vos regards, puis plus tard à vos mots, dénouant ici fil après fil, les périphéries qu’ils contiennent. Libre à vous d’y mêlez vos écritures puisque nous ouvrons pour l’été un appel à textes pour le prochain numéro.
À vos résonances, Aele Dee
page 9
© Goddess Sarasvati ‑
Purchase, Barbara and David Kipper Gift, 2021
page 14, détail
© Naruto Whirpool, Awa Province, MET Gallery page 20, détail
© Tarot de Marseille, 1840
page 28
© Study of Arms for «The Cadence of Autumn»‑Evelyn De Morgan‑1905
page 36
© Female Musicians‑Dynasty 18‑Upper Egypt, Thebes photographies couv, page 34
© Elea Terodde conception de la maquette
© Elea Terodde
Samantha Pluie
Aele Dee
Samantha Pluie
écrit
Aele Dee
Samantha Pluie
Samantha Pluie
écrit à quatre mains
Aele Dee
Le foulard lui attrape la gorge, serrant son cou. Il est noir, présent. Ces petits trous s’écartent sur le vent, flottant sur l’épaule. Il enroule la tête, caresse les oreilles, repose sur les cheveux. Une partie s’enfuit désirant gagner le monde et l’indépendance, pour caresser d’autres cous, d’autres têtes, d’autres épaules. Pour faire des pirouettes dans les airs, jouer aux vagues avec les nuages. Peindre de noir le ciel bleu. Glisser parmi les mains, frotter un petit nez, chatouiller les cheveux d’une fille. Avec sa présence faire rire, courir, frôler. Voyager… Il fait ses au revoir au vent, sentant chaque souffle le traverser et il frémit ses fibres, soupirant, souhaitant. Mais il est bien ancré, enroulé soigneusement par des bras de tissus que le retiennent, l’empêchant de partir, restreignant ses vibrations. L’obligeant, à rester sur place.
Les poussières de la ville se sont amassées sur la première marche de l’escalier. Un tas de papiers brûlés, vieux plastiques, mégots usagés, et toutes les miettes d’un souvenir d’une journée en ville. Viviane chasse une mèche de cheveux derrière son oreille pour essayer d’entendre le calme. Le calme vif. Le calme repus.
Mais la rue hurle encore, et son écho monte les escaliers.
Son corps gèle sous le bruit, et son manteau noir qui descend jusqu’aux cuisses n’était plus qu’une étoffe, un mouchoir.
Pourtant son visage ne laissait rien transparaître, il s’était adoucit à force de marcher, d’arpenter ces rues où elle perdait son reflet. Relâchait les attentes qu’elle imaginait le jour avant, sur la ville, et sur elle‑même.
Viviane a le visage dur et sombre, mais tissé d’une toile régulière, habituelle. Fait des mêmes fils que l’amas de poussière, en deçà du monde, mais ne pouvant jamais réellement s’en échapper.
Une rangée d’écoliers avancent docilement. Trop peu réveillés en cette
heure matinale, ou bien effrayés d’avoir à traverser l’énorme boulevard où les voitures se côtoient furieusement.
Un tas de linges ramassés en boule dans un sac. Un autre bagage, éventré sur le bord d’un parvis. Les désirs de départ, elle les connaissait bien Viviane, mais elle espère que jamais ses affaires ne seront à la vue de tous comme une vie abandonnée.
Dans les arbres, les feuilles aux couleurs éteintes, se rejoignent, se replient en un dernier mouvement d’embrassade ou de danse. La langueur atteint son apogée quand l’une d’elle se décroche, trichant par un sursaut de temps en imitant le vent.
Sans toutes ses choses le bâtiment lui a semblé vide, perdu au milieu de la rue. La fin d’une ère, mais aus si le début d’une aventure. Aventure qu’elle n’était pas prête à tracer. Mais qui l’est finalement ? Si nous sommes prêts à partir dans une aventure, elle n’est plus une aventure, mais un plan, un chemin connu et pré‑ vu. Les vieilles valises en tissu, déchirées et recousues ont tapé sa jambe nue, brutalisées par le vent. Plus jamais elle ne reviendra ici, dans cet endroit. Ce qui n’est pas la même chose de revenir dans un même lieu. Elle pourrait revenir voir l’immeuble, passer et admirer sa façade crépie d’un ton gris et amer, mais elle serait déjà une autre personne. La personne de son futur. La personne qu’elle deviendrait. Et tous ces sentiments ne seraient que de l’énergie gaspillée.
La fenêtre cassée a tremblé comme si elle prenait en fin conscience de ce qu’elle avait perdu. Plus personne pour prendre soin de son verre, plus personne pour la manœuvrer avec délicatesse, sensible à la fragilité de ses couches. Sans jeter un deuxième regard à ses affaires rapiécées, le gardien a claqué la porte, passant un cade nas dans le portillon. Il ne s’est pas encombré à fermer le volet, laissant la chambre vulnérable à la pluie qui arrivait de l’autre côté de la rue.
l’encre collée dans ton nez, gouttes de larmes noires et bleues ?
Quelle est la différence entre l’écriture et le dessin ?
Les marques pages vont-ils prendre la poussière ?
La scène était grande et vaste, faite de bois massif. Il me fallait presque 20 pas pour traverser d’une coulisse à l’autre, mes talons produisant un agréable toc toc qui me faisait sourire. L’odeur de pin mélangée à celle de la moquette et de la poussière flottait dans l’air en fines particules, picotait mon nez. Le velours des rideaux était épais et brillant, d’un rouge vif couleur de sang battant excité contre mes veines. J’ai frotté le tissu, levant une poudre grise qui s’est collée à ma main. La salle était vide. Les chaises étaient pliées. Et le silence était presque total.
J’ai pris une profonde respiration, remplissant mes poumons du soleil qui s’échappait d’une porte ouverte.
J’ai fermé les yeux, laissant la musique invisible venir à moi, me teintant de doré. Un violon a commencé à résonner dans ma tête. Mes mains ont parcouru les cordes faites de fumée, pressant l’air avec précision. Mon oreille s’est penchée, attentive aux vibrations fantômes que mon autre main produisait avec l’archet immatériel. Avec les paupières closes, j’ai vu. Du rose, du jaune, du bleu, des couleurs émotionnelles dansant au rythme de la musique que je façonnais avec mes doigts. Une lumière ronde et ample glissait comme de l’eau d’un côté à l’autre de la scène, faisant des cercles, m’embrassant, puis me quittant. Partant de la scène vers le public et revenant vers moi. Un rouge carmin a explosé lorsque je suis arrivée à la strophe principale. Mes os prenaient feu et je suis devenue une flamme vaguant dans l’univers. Réveillant les étoiles et
mangeant du gaz. Avec une dernière note, je suis redescendue dans mon corps, entière, complète, et j’ai entendu les cris, les applaudissements, mon nom. J’ai ouvert les yeux et tout était de nouveau silence noir et paix.
Je disparais dans les rideaux velours, ils absorbent tout, mes voix intérieures, le souvenirs des échos sur la scène en bois. Nos petites voix encore un peu enfantines se délitent, me laisse seule. J’ai les oreilles qui bour‑ donnent, trop de silence, trop plein de solitude. Et si je ressayais, si je refaisais mon entrée, mais le rideau me retient, la poussière se glisse dans ma gorge, pique mes yeux. Je suis la ruine principale du théâtre, et je m’en‑ gouffre dans sa faille immense. Je traverse la frontière invisible, j’entre dans un état cataleptique, empêchée de fermer les yeux, mes synapses se noient dans les abysses du rouge profond. Impossible d’atteindre les coulisses, pourtant à portée de mes doigts tendus au maximum.
Je me mêle au textile, ma chaire est tissée, effilée à l’intérieur de chaque coutures. Un spectacle effrayant commence à se dévoiler. Non pas l’absence de sensa‑ tions de mon corps, qui est presque un soulagement à ce moment, mais une véritable pièce qui vibre et cogne sur les vieilles lattes. Des personnages aux visages flous, sortent des ruines, sont fait de sa poussière. J’assiste à leur joie déconcertante, vorace, et ce que j’aper‑ çois semble plus vrai que tout ce que j’ai pu ressentir depuis que j’invoque les esprits pour me protéger. Ils se balancent, font basculer leurs partenaires dans des
gestes ténus, mais qui menacent chaque instant de détruire entièrement le théâtre, tant ils ne semblent pas connaître leur force.
Peut être que c’est comme ça qu’ils sont nés, piégés comme moi, spectateur proie, performant malgré eux une note silencieuse, mais essentielle à la magie de la scène.
Je me demande ce que ça donnerais vu du dernier rang. Est-ce que mon corps est une vulgaire pièce de velours poussiéreux ? Et mon visage, est-il devenu carmin ? Mes dents sont-elles fissurées, laissant passer la lumière grise de mon âme recouverte de terreur ?
Ils se rapprochent, dansent en jouant avec les mouve‑ ments du rideau, sans m’apercevoir, et par une opéra‑ tion qui m’échappe, je me retrouve dans les bras de ma cavalière de poudre antique. Sa poigne est malléable par rapport à son apparence de pierres agglomérées.
J’oublie de respirer, le souffle vient dans le mouvement, par les mouvements qui m’entraînent sans que je puisse ni les retenir, ni les diriger.
Je tourne et ma carapace se défait, elle laisse des empreintes poussiéreuses au sol, crache ses profondeurs vers les sièges vides et pourtant si chargés de vibrations.
J’égare mes peurs, j’envie le prochain pas, j’anticipe ma ruine, plonge, tourne, dévale, m’étire dans ce plein de solitude.
Une chose sinueuse rayonne à ses pieds. Un lacet de sable humide, une traînée de poussière au milieu de l’herbe. Et l’herbe, elle, est bleue.
Quelle est votre rêve de solitude ? Ema, elle, c’est de se baigner seule.
Elle entre dans la mer, la mer entre en elle. Elle avance, chaque pas à sa pesée, elle entraîne l’eau dans son mou vement, dépose doucement la plante des pieds dans le fond trouble, puis elle oublie le danger, elle accélère contre le poids de l’eau et la solitude devient réelle. Son téléphone est sur silencieux. Non, son téléphone est enterré dans le sable. Confusément, sous ses vête ments jetés en tas sur le coin de la serviette. On dit l’océan, la rade, la plage, mais en fait c’est tou‑ jours la mer. D’abord la mer.
Quand elle dort, elle ressent la foule, une foule irration‑ nelle, qui dort à côté d’elle sur l’herbe bleue, tout près de son oreille. Ema est hypersomniaque, elle passe des jours entier sans prendre la peine d’ouvrir les stores. Parfois elle s’assied dans le noir, juste pour distinguer nettement les stries de lumière qui passent et les défauts qui se révèlent sur le mur ombragé.
Elle nage, jusqu’à sentir la limite d’une distance accep table avec la terre ferme ; frôler le danger. Ema fait des pauses, les yeux dans le ciel, les cheveux glissent sous le niveau de l’eau. Elle pense à ses réveils affolés dans la nuit, après un cycle de rêves où elle traverse cette foule de visages, de gestes, de décors emboîtés. Elle se
souvient de la teinte étrange de ses cheveux dans le miroir la nuit, le blond platine devient gris métallique, bleuté.
Dans une heure elle vivra à nouveau la scène. Pour le monde, elle s’en fout, mais pour elle même elle ne sait pas. Les ampoules brûlent à pleine puissance sur le plateau criblé de câbles. Elle essaye de garder les yeux ouverts. Ema attend dans un coin, elle récite, elle joue, encore, rejoue, c’est furtif, ça l’étiole. Elle rêve les yeux ouverts, la foule s’agite, puis le silence. Elle cherche la voix qui correspond aux mots qu’on a écrit pour elle. Elle suit chaque virgule, chaque souffle. Ema déchaîne la mer, la lumière se brise quand elle avance sur scène. Il n’y a plus de jeu, ni d’artifice, c’est l’explosion furtive : elle est cette vie qui n’était que des mots sur une page.
se rendre laide, si nécessaire
La lumière bleue dopait ses sens, la faisant se sen‑ tir droguée. Le lit était la seule partie du décor illumi‑ née par le projecteur. La lumière ne lui donnait pas la force nécessaire pour se lever du matelas. Languissante, lente, paresseuse.
Elle savait, elle savait qu’elle devait bouger, qu’elle pouvait bouger. Elle connaissait tous les pas qu’elle avait faits jusque là, jusqu’à ce moment précis, qui lui avaient donné le rôle dans la pièce. Le rôle tant désiré. Elle se souvenait de tous les événements qui l’avaient menée au bar ce jour de pluie, frustrée de ne pas avoir réussi l’audition qu’elle souhaitait, et enfin, béni soit-il, enfin... elle avait rencontré Luc. Il l’avait vue dans un coin, un peu échevelée, grommelant seule, et il s’était intéressé. Ils avaient discuté et il lui avait proposé de passer une audition pour la pièce qu’il écrivait. Elle avait réussi. Enfin, les années passées à l’école de théâtre allaient porter leurs fruits. Cependant, elle n’était tou jours pas sûre d’avoir été choisie pour son talent ou pour sa beauté. C’est que Luc avait besoin d’un per‑ sonnage comme elle. Blonde, grande, aux yeux clairs.
Autrefois, elle avait essayé de lutter contre son appa‑ rence, se coupant les cheveux de manière inégale, s’ha billant en vêtements beaucoup trop larges. Une façon de se prouver qu’elle était plus qu’un joli visage dans la foule. Mais maintenant, face au public qui attendait qu’elle se lève et répète ses répliques mémorisées, elle ne pouvait pas bouger. Si elle disait n’importe quoi et que tout le monde applau‑ dissait, serait‑elle déçue d’être un joli visage ou contente
d’incarner un autre personnage? D’improviser? Qu’estce qui montrerait qu’elle avait un véritable talent? Mais elle savait... sur le talent.
Elle avait appris à l’identifier, elle avait les armes, elle savait comment jouer avec la voix, le corps, les intentions. Elle savait comment incarner d’autres êtres... Mais si... et si ce n’était pas suffisant? Et si elle se trompait quand même? Elle se rappela la voix de son professeur résonner dans sa tête: «essaie au‑delà de tes idéaux». Que voulait-il dire par là? Devait-elle simplement se lancer, plonger dans la vague bleue et tester, expérimenter. C’est ainsi qu’elle saurait ce qui était juste pour elle. Ce qu’était le talent, ce qu’était la beauté. Et comment jouer avec ce visage qu’on lui avait donné, aussi. Être belle n’était qu’une partie du travail. Le défi était d’être belle et folle, belle et laide, belle et mauvaise, belle et bonne... horrible. Beaucoup de gens aux beaux visages savaient se rendre laids si nécessaire. Elle saurait aussi, il suffisait d’incarner cette pourriture interne que nous avons en nous. Elle pensa avec dégoût à son adolescence, quand elle avait été une sacrée garce, maltraitant les autres filles, les snobant, les écrasant, les harcelant, elle pouvait être laide si elle le voulait.
Et elle sourit, faisant remonter en surface la pire de ses versions avant de laisser sa jambe glisser du lit, les couvertures tombant par terre révélant sa nudité. Aujourd’hui, elle serait terrible, juste pour se prouver qu’elle pouvait.
Si les mots sont magiques, es‑tu une baguette magique ? Prête à créer des univers fantastiques, imaginaires et puissants ?
As tu soif quand je reste long temps sans te manipuler entre mes doigts ?
La possibilité de voir les outils à l’air libre permet une pratique plus régulière ?
As-tu déjà écrit ta plus belle histoire ?
C’était ce putain d’évier qui l’avait réveillé ! Le bruit constant de l’eau qui coulait et coulait lui donnait envie de pisser. Ses yeux étaient collés aux paupières et sa tête tournait quand il s’est assis. Ça lui a pris deux ou trois secondes pour comprendre ce qui lui arrivait. Il était nu, totalement nu au milieu d’une clairière. Son lit avait été transformé en feuilles sèches et un bâton lui piquait les fesses. Ce qui coulait n’était pas du tout l’évier, mais une rivière qui glissait comme de la soie parmi les jambes de la terre. Avait il bu autant la nuit dernière qu’il s’était endormi dans la forêt ? Mais qu’est-ce qu’il foutait nu ?
Il a regardé de droite à gauche avec exaspération. Il n’y avait personne. Il s’est touché entre les jambes. Pas de douleur. Ça va. Il était intact. Pur. Du moins, il l’espérait.
À quatre pattes, il rampe jusqu’au bord de la rivière. Du haut de sa tête, deux énormes cornes de cerf se penchent vers l’eau. Mais quel diable de… Non, ce n’était pas un serre tête, ni des branches. Elles étaient vraiment accolées à son crâne. Mais ça alors ! Il les a tirées en dessous. Une douleur atroce s’est répandue sur le front, irradiant vers les oreilles. Ses yeux se sont remplis de larmes. Il devait être drogué. Mais il ne se rappelait pas avoir pris de drogues. Ni d’alcool. Ni de soirée, pour être honnête. Non, il était chez lui la nuit dernière. Quelle merde était-il en train de se passer ?
Il cherchait la caméra cachée quand l’eau de la rivière s’est mise à bouillir. De grosses bulles éclataient, vire‑ voltant, éclaboussant un liquide acide qui a brûlé
l’herbe qui poussait autour. Il est resté prostré sans oser ni même cligner des yeux. Du milieu de l’eau bouil lante est sorti un oiseau. Il est sorti lentement, d’abord la tête, le bec, le cou, les plumes et finalement la queue. Il était immense. De la taille de centaines d’éléphants rassemblés. Sa couleur était indéfinissable, entre le blanc et le rouge, comme si sa peau était translucide, laissant voir les veines et le sang qui couraient accélérés sous son duvet.
L’animal a ouvert la bouche et l’a avalé d’une seule gorgée. L’homme cornu a glissé dans la gorge gluante de la bête, lui grattant les cordes vocales avec ses épines sur la tête. Il est tombé d’un coup sec dans le ventre de l’être, sur un bout de cheval qui flottait sans tête. Il l’a retrouvée quelques mètres plus loin, appuyée sur un rocher. Elle l’a regardé, les dents du cheval étaient jaunies, faites de troncs d’arbres et de papier.
— Alors, c’est encore toi ?
L’homme a levé les sourcils.
— Comment ça, encore ?
La tête de cheval a hennit avec mépris.
— Mais franchement, jour après jour, tu reviens tou jours au ventre du cygne, juste pour être mis dans un nouvel œuf. Tu n’apprends jamais.
— Et toi ? Qu’est-ce que tu fous là ?
— Moi, je perds ma tête à chaque fois que je te vois. Et la tête a sauté dans l’eau, plongeant dans les sucs gastriques de la bestiole.
L’homme, sans réfléchir, a plongé aussi, cherchant la tête parlante du cheval. Mais avant d’arriver au bout de cet océan, il a été drainé, il tournait et tourbillonnait
comme une soupe dans le mixeur. La tête de cheval n’était pas trop loin, ainsi qu’une tonne d’autres objets. Des maisons, des sucreries, des arbres, des coquillages, une sirène, un réfrigérateur volant, des parapluies mul ticolores, un piano flottant, des montres géantes, un éléphant en tutu, des livres ailés, un fauteuil en lévita‑ tion, des poissons lumineux et un vieux téléviseur diffu sant l’image grise de perte de signal.
— J’en ai marre de tourner, a crié le cheval. C’est toute ta faute, tête de cerf ! Le cheval lui a montré les dents, il s’approchait et s’approchait.
— JE, le cheval a claqué la bouche
— NE, il a claqué les dents qui ont fait une fente
— VEUX, une de ses grosses dents est tombée dans l’eau putride qui les mixait
— PLUS, clac clac, ont fait les dents restantes.
— TE VOIR ! – finalement, la bouche de la tête du cheval a réussi à mordre la joue droite de l’homme, elle a fait un trou, l’air s’échappa, dégonflant l’homme-cerf qui volait dans le ventre du cygne. Il a été totalement absorbé par le fond de l’océan et s’est arrêté dans un trou, le bouchant. L’eau a arrêté de s’enfuir.
L’homme-cerf-ballon-dégonflé-bouchon est resté là, sans pouvoir rien faire d’autre, puisqu’il n’avait plus de membres ni de muscles. Il est resté jeté par terre, bou‑ chant le trou du ventre du cygne comme le reste d’une fête d’anniversaire d’enfant, un morceau de plastique oublié dans le sol qu’on ne découvrira jamais. Il est res‑ té là, jusqu’à oublier qu’il avait une existence, qu’un jour il avait été un avocat renommé, qu’il avait vécu et baisé, rigolé et fumé, ricané et crié, mais jamais pleuré.
Non, il n’avait jamais pleuré. Des années sont passées, des siècles, des ères. Et un jour, quand la conscience l’avait totalement abandonné et qu’il n’était qu’une particule de mémoire emprisonnée dans un fossile fait de muscles, de sang séché et de bave, quelque chose s’est cassé.
Le reste de polymère qu’il était a commencé à grandir et grandir, devenant de plus en plus élastique, de plus en plus rond, de plus en plus dur. Et quand il n’avait plus la place pour s’étendre, puisque l’élasticité était à son maximum, il a craqué. La paroi blanche s’est défaite, la coquille s’est glissée gluante entre ses doigts et il a vu la lumière pour la première fois après je ne sais pas combien de temps. Elle était blanche et forte, tellement forte qu’il est devenu aveugle, condamné à l’obscurité pour le reste de quoi que ça soit cette péripétie qui avait commencé.
Elle n’y avait pas mis les pieds depuis une bonne vingtaine d’années, mais en venant vivre à nouveau dans cette ville, impossible d’échapper à la plus grande des quatre gares de cette capitale. Les couloirs éclairés aux leds blanches donne un teint pâle, virant au vert sur certains citadins pressés de quitter la gare pour les rames de métro. Mêmes les bouffées d’odeurs de gaufres chaudes n’éveillait plus aucun souvenir agréable.
Elle atteint le niveau 0, la gare est large, le vent s’en‑ gouffre dans l’allée ou des centaines de voyageurs croulent sur les bancs. Une petite boutique de télé‑ phone, entre deux cafés-restaurant, elle entre, achète une puce valide.
Pour l’instant elle est seule, anonyme, et c’est un peu grisant d’avoir toute cette place. Mais lorsqu’elle sort sur le parvis, et qu’elle scrute un moment le ciel, puis le trottoir, elle a une sensation de lien secret avec ce lieu.
Elle sait qu’ici on trouve de la drogue, elle sait que sa sœur venait ici quand elle avait une rechute. La gare, point de rencontres, départ rapide, lieu de toutes les urgences. Et elle laisse son corps se ramollir, un moment cette pensée flotte et lui fait voir le gris de toutes les surfaces qui l’entoure, le parvis, les immeubles, les habi‑ tations, les restaurants attrapes nigauds, les cernes sur les personnes qui la frôlent,et n’osent pas relever son regard. Vous ne verrez jamais un toxico vous regardez dans les yeux lorsqu’il se dirige droit vers sa dose. Elle a un frisson, et malgré les températures du printemps elle
se sent crispée, les épaules rapprochées du cou.
Elle retourne dans la gare, pour échapper à cette vision trouble d’un passé sur lequel elle n’a pas de poids. Sur les bancs, une place se libère, elle hésite, mais le métal du siège la fait frissonner d’avance.
Une voix féminine résonne, quai F, le train va arriver, quai fuite, quai faille, quai fatigue. Elle prend les escala‑ tors, sans arriver à supporter le rythme beaucoup trop relâché, elle se hâte, grimpe les marches, et sur le quai, elle cherche l’horizon, mais rien d’autre qu’un brouil‑ lard de pollution, éclairé par un soleil métallique.
La canne tape le sol de pierre, résonnant dans les arches. Un petit soleil entre à travers les vasistas en verre nébu‑ leux et un oiseau piaille en s’envolant. Elle serre l’étole autour du cou, réchauffant le corps et marche à petits pas vers un banc vide. Une famille attendait le train sur la plate forme en face d’elle, le père jouait au ballon avec son garçon qui ne devait pas avoir plus de quatre ans. Il ratait la balle avec un rire scandaleux. Le son gonfle dans l’air, se répandant comme une vague. Une bulle de savon flotte douce, dansant devant ses yeux. Malgré l’hiver, son corps fragile est chaud et confor‑ table. Même le banc dur lui apporte un peu de plaisir contre la fatigue des années cumulées dans les os.
Un train s’arrête avec un ronronnement, il ouvre les portes invitant les passagers à descendre et à entrer. Elle se lève lentement, un os craque. Le petit garçon l’entend et court vers la vieille dame, fourrée de la tête
aux pieds. Il prend la petite valise dans une main, légère même pour lui, et offre l’autre à la dame, qui ferme ses doigts fragiles autour de la petite main soyeuse du garçon. Le père au visage aimable vient les aider la faisant monter dans le train.
Pendant que les portes se ferment, un sourire timide quitte sa bouche, enveloppant la machine d’une légè reté plumeuse. Elle marche, devenant une fois de plus jeune, dans l’apogée de la vingtaine, et encore plus jeune, maintenant avec neuf ans, et encore plus jeune.
Quand elle s’assied devant le petit garçon, elle aussi a quatre ans et ses jambes se balancent, beaucoup trop courtes, sur le siège.
Si tu sers à d’autres choses qu’écrire, quel est ton but ?
Le changement de température altère-t-il les encres ?
Je regarde l’horizon, mes yeux me piquent. La baie vitrée a été nettoyé le matin même. La mer est calme, juste quelques petits poignards lumineux sous le soleil. Les groupes arrivent en grappe et la danse commence. Les uns derrière les autres, arpentent les allées blanches où les œuvres de la Biennale sont présentées. Des artistes gardien de leur création.
Il avait dit 15 heures, je m’attarde un instant sur la course des aiguilles de ma montre, 16h17. Je retourne vers le buffet, la bouffe et les conversations sont du même tempérament : fade. Je prends l’allée pour retrouver la lumière naturelle et enfin les quais.
Après tout, il m’avait parlé de 15h, maximum 16h. Je ne pense pas qu’il me cherchera. Qu’est ce qui peut être plus indicible que le son d’une fourmi ?
Un soupir retenu ?
Je suis qu’un petit plomb qui a sauté dans l’armoire d’Andréa, mais quelle belle armoire. Je m’y revois nager, mes bras remontant le long de son dos. La folie de ses yeux. Est ce que le désir s’imprègne jusqu’à l’intérieur du nerf, ou pire de la cellule ?
Le bruit des arbres est aussi je‑m’en‑foutiste qu’Andréa. C’est aussi ce qui le rend attractif, sa désinvolture, et ce qui rend si beau son intérêt tout perspectives
tourné vers mon plaisir. Quelle implication, quelle obstination... c’est délirant.
Sans m’en rendre compte, mes pieds m’ont entraînés dans le parc de la Soli. Je venais d’emménager avec Frankie, et une soirée en entraînant une autre, je me suis retrouvée dans ce parc avec un inconnu, fulgurance du passage de la nuit au jour. Un petit matin qui s’est prolongé pendant quelques semaines.
Le gazon est frais, en m’allongeant je remarque que je suis essoufflée par cette marche dont l’absence de but me ramène toujours au milieu de moi-même. L’herbe me pique, me rappelle que je n’aime rien d’autre que regarder le ciel divaguer en continu.
Le fou marche à travers les lignes de sa propre histoire avec une page de légèreté souvenirs sans racines. écrivant tissus et feuilles portant la vie bagages faites d’ équateur vacillant je traverse papier de roches et douces possibilités pont mystique naviguant dans l’éternel bleu tacheté de soleil et de lune, me porte sur une corde, qui divise de nouveaux tapis fait journée en deux, un équilibre subtil évitant les ombres de mes pas, pour marcher toujours sur du blanc
Samantha Pluie
Si je n’ose prendre une trajectoire plutôt que l’autre
c’est que la fureur du vent m’appelle plus que la vision de la poussière sur mon passage Demi‑lunée, épaules toniques derrière le rideau de pluie
Le décor est tragique dans ces petits ronds que forment les pensées l’oeil de l’animal bleu a fait bondir l’espoir d’entrer sur une terre meuble
a fait bondir la beauté des chardons
Le visage est apaisé si j’ignore la quête infinie des mains de recevoir la couleur, en vagues régulières en sentir les plumes qui poussent dans le bruit des roues inévitables dans le souffle de l’animal bleu qui me porte – que je porte
Dee
appel à textes : la temporalité de l’été
Les cigales sont arrivées, pouvez‑vous les entendre ? Elles sont là, chantant joyeusement, célébrant l’arrivée de l’été, parmi les rires joyeux des mouettes, les cris stridents des enfants, le cris‑ sement que le sable fait sous nos pas, le murmure de la mer et le crépitement du feu à la lumière des étoiles lors d’une nuit de camping.
En été, tout s’arrête, nous invitant à admirer les détails à travers les couleurs vibrantes des maillots de bain et des fleurs. Nous mettons la vie en pause, en veille contre les soucis du monde, car l’été n’at‑ tend pas. Il porte, il nous emporte, il nous guide. Et nous sommes entraînés par cette force plus grande, faite de chaleur et de vie. Les tons s’intensifient, les sons s’amplifient, le paysage change.
De quoi est fait l’été ? De quel sons, saveurs, expé‑ riences nous nourrissons nous en ce moment de suspension, où seuls les rêves ont leur place ? La musique de l’été n’est pas seulement dans les accords d’une chanson, mais dans l’harmonie des petites choses qui nous entourent.
Ralentir. L’été nous enseigne que nous n’avons pas besoin de nous éloigner du monde pour trouver la paix. Nous pouvons trouver la sérénité dans un jar‑ din ensoleillé, dans un livre lu à l’ombre d’un arbre, dans une plongée rafraîchissante dans des eaux cristallines. L’été nous invite à laisser libre cours à la forme, à expérimenter non seulement dans la réflexion du texte, mais aussi dans la manière dont nous exprimons nos expériences. Listes, poèmes, nouvelles ‑ toutes les formes sont valides pour cap‑ turer l’essence éphémère et vibrante de l’été.
Laissez‑vous captiver par les mouvements de l’été, par les bruits qui résonnent et par les silences qui respirent. Dans un monde qui ne cesse de tourner, l’été nous rappelle parfois que tout ce que nous avons à faire est de nous arrêter, d’écouter et sim plement d’être.
Une photo peut elle rivaliser avec un coup de pinceau ?