Traditionnellement, les contes de fées abordent des thèmes de développement personnel, presque toujours centrés sur les relations amoureuses. Mais... qu’en est-il des amitiés ? Pourquoi n’y a-t-il pas de contes de fées dédiés à célébrer l’importance de l’amitié dans nos vies ? Pourquoi les recueils de poèmes parlent-ils d’amours frustrés et impossibles ? Pourquoi la douleur d’un cœur brisé est-elle décrite comme plus profonde que celle d’une amitié déchirée ?
En y réfléchissant, on constate combien notre société est orientée vers la construction de couples (qu’ils soient hétérosexuels, homosexuels, pansexuels… mais toujours des couples). Nous nous unissons à une autre personne pour
multiplier les ressources, les opportunités, tandis que les amitiés restent en marge de cette reconnaissance. Des amis qui vivent ensemble, qui partagent le quotidien, ne bénéficient pas des mêmes droits que les partenaires civils ou les conjoints. Le couple est considéré comme une famille ; l’ami, non. Nous n’avons pas le droit à un congé de deuil pour un ami perdu. Pourtant, les amis ne sont-iels pas la famille que nous choisissons ?
Face à cette réalité, nous dédions cette édition à l’amitié, en explorant les multiples facettes que ces relations – complexes et plurielles – peuvent avoir dans nos vies. Les amitiés ne naissent pas du désir sexuel, mais d’un autre désir : celui de comprendre, de partager, de se connecter, d’appartenir.
Le désir de voir et d’être vu. De construire quelque chose ensemble.
C’est d’une amitié et du désir d’écrire ensemble qu’est née OiTO Ou 80. Raison par laquelle ce thème nous est si essentiel. Et particulièrement dans ce numéro, où nous accueillons une plume amie, celle de l’écrivaine, actrice et professeure Camille Sauvestre. Dans ces contes, ces textes, ces poèmes, nous chuchotons ensemble, comme des enfants lors d’une soirée pyjama. Complétant les phrases les unes des autres, racontant des histoires, nous inspirant mutuellement, partageant la création. Et dans cette chaleur estivale des rencontres, des intersections et des célébrations, nous ouvrons, une fois de plus, les pages de notre revue pour accueillir d’autres textes, d’autres amitiés. Nous recevons des auteur.ices qui partagent leurs mondes avec nous durant ce moment intemporel qu’est l’été, où tout s’arrête, continue, reprend, renouvelle, et où de nouvelles opportunités de rencontre s’ouvrent. Ici, l’écriture agit comme un fil reliant les personnes, les textes, les voix et les expériences ; comme un pont entre les mondes intérieur et extérieur ; comme notre amie. Bienvenue à notre grande rencontre littéraire. Comme un bon ami, lisez, écoutez, recevez chaque mot avec attention.
Bonne lecture. Samantha Pluie
écrit à quatre mains
Camille Sauvestre
écrit à quatre mains
Samantha Pluie
Isa Solfia Manzano
Antonio de Almeida
Sabine Peroni
Leslie Preel
Sandy Cove
Laurence Boudineau et Aurélie Plaza
Irina Gueorguiev
Aele
Aele Dee
l’hisTOire de la cOuTurière eT la
fille sans Ombre
Samantha Pluie et Aele Dee
Il était une fois, ou il n’était pas, écoutez l’histoire d’une couturière qui n’avait jamais pu se servir d’une machine à coudre.
Un soir, alors qu’elle suivait des yeux la course des nuages, une phrase s’est formée dans son esprit : « Tu seras la couturière qui verra les machines propulser la main des couturières, les vêtements seront solides, dans une matière que tu n’as jamais vue ». D’abord, la phrase est apparue comme un bégaiement anxieux, puis elle s’est affirmée avec un aplomb presque effrayant. La troisième fois, elle la prononça à voix haute, essayant de s’en détacher, mais elle résonnait encore dans sa tête. Elle regardait ses mains calleuses, ses yeux crépitant d’une excitation mêlée de crainte.
Ce jour-là, elle rangea tous les tissus qui traînaient sur sa table à coudre et en choisit trois : un tissu de soie violette, un autre blanc comme les nuages, et un dernier, d’un bleu indigo, dont la matière semblait tissée dans l’eau. Elle mit les trois tissus dans un sac et sortit, décidée à trouver le matériel que sa voix intérieure semblait réclamer avec une telle urgence.
Elle marcha pendant trois jours et trois nuits, s’éloignant du village où elle habitait, traversant forêts et mer. Le troisième jour, elle s’arrêta près d’un puits pour chercher de l’eau. Mais en tirant le seau, elle ne vit pas de l’eau fraîche et cristalline comme elle l’espérait, mais une jeune fille.
La fille était évanouie, ses bras déchirés, saignant abondamment et tachant sa robe grise de couturière d’une
couleur marron rouille. À la surprise de la couturière, la fille était encore en vie, babillant des mots incompréhensibles. La couturière lui demanda ce qui s’était passé, mais la fille ne parvenait pas à aligner des mots cohérents. La couturière allongea alors la fille près d’un tas de lavandes qui poussait non loin. Elle ouvrit son sac, sortit le tissu bleu indigo et couvrit la jeune fille, qui tremblait de froid. Le tissu doux réconforta son corps affaibli, et elle se calma. Avec un autre tissu, la couturière nettoya le sang et les plaies de la fille, enroulant le tissu autour de ses bras et de ses épaules. Elle en profita pour poser à nouveau sa question, mais la fillette s’endormit profondément.
Ainsi, la couturière décida d’enlever sa propre robe, tâchée de marron, et s’en confectionna une nouvelle avec le tissu violet. Quand elle eut fini, elle alluma un feu pour garder leurs corps au chaud, car la nuit commençait à tomber. À ce moment-là, la fille, encore allongée dans les champs de lavande, rouvrit les yeux. Au lieu de ses iris noires et froides, elles étaient désormais d’un ton chocolat chaleureux. La fièvre semblait être passée, et ses mots étaient plus clairs.
La couturière demanda alors pour la troisième fois ce qui était arrivé à la fille. Cette fois-ci, la jeune fille comprit la question, et les larmes aux yeux, elle répondit : – C’est mon ombre qui m’a fait ça. Elle a voulu se séparer de moi, et elle s’est étirée jusqu’à se détacher, déchirant mes bras dans le processus. Des larmes roulaient sur ses joues.
– Après s’être débarrassée de moi, elle m’a jetée dans le
puits où tu m’as trouvée, gentille couturière. La couturière, très gentiment, lui dit qu’elle pourrait l’aider. D’abord, elle devait recoudre ses bras pour stopper le saignement, puis elle lui promit de lui faire une nouvelle ombre.
Ainsi, la couturière se mit à l’œuvre. Elle fabriqua une aiguille à partir des épines d’une rose et des branches d’un hêtre qui jonchaient le sol, et commença, délicatement, à recoudre le bras de la jeune fille. Une fois fini, la fille put bouger ses bras, mais au lieu d’être contente, elle se remit à pleurer.
– Qu’est-ce que je vais faire sans mon ombre maintenant ?
Qui voudra d’une fille sans ombre ? Pour la deuxième fois, la couturière lui dit qu’elle pourrait l’aider.
Elle prit sa propre ombre et la coupa en deux, créant à partir de sa silhouette une nouvelle ombre. Avec la même aiguille, elle commença à coudre l’ombre autour de la jeune fille.
La fillette, enfin réparée, sourit, et pour remercier la couturière, elle lui donna un morceau de corde. C’était la corde que l’ombre avait coupée pour se séparer d’elle. Elle dit : – C’est l’une des cordes les plus puissantes. J’aimerais que tu la couses entre nous deux. Ainsi, nous serons liées à jamais.
La couturière, qui s’était finalement beaucoup attachée à la fille, accepta. Pour la troisième fois, elle cousit, reliant la corde entre elles deux.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la corde
ne les maintenait pas collées l’une à l’autre. Non, elle était tissée d’un matériau magique qui leur permettait de communiquer, même à des distances infinies, tout en préservant leur précieuse indépendance. Elles pouvaient s’éloigner l’une de l’autre jusqu’aux extrémités opposées du monde, sans jamais ressentir la moindre douleur ni le moindre inconfort. En effet, la corde merveilleuse leur offrait un don : celui de veiller sur les ombres de l’autre, même à des lieues de distance, comme des gardiennes attentives dans l’obscurité.
Et c’est ce qu’elles firent. Après avoir voyagé chacune de leur côté du monde tout en restant en contact, elles finirent par s’installer ensemble dans l’ancien village de la couturière. Jusqu’à ces jours-ci la première donne des cours de couture de peaux et de membres aux jeunes filles du village, tandis que sa copine, la fillette, partage des techniques pour épier ses ombres et tresser leurs cordes. Ensemble, elles œuvrent pour empêcher les ombres de prendre le contrôle, veillant à ce que plusieurs filles n’aillent pas se perdre au fond des puits.
Et c’est ainsi que l’histoire, en se déroulant comme un fil, s’est effilochée, disparaissant dans le vent, pour renaître ailleurs, un peu plus étoffée.
la cOrde
Camille Sauvestre
Ça, c’est l’une des plus puissantes des cordes.
J’aimerais que tu couses cette corde entre nous deux.
J’aimerais que tu l’attaches autour de ta taille, comme un baudrier.
J’aimerais que tu sentes ton bassin resserré par la corde, tes organes contenus par la corde, tes muscles doucement pressés par la corde.
J’aimerais que tu sois solidement attachée pour te sentir en sécurité, toujours.
J’aimerais que tu passes un fil en titane avec une aiguille en fer forgé dans l’épaisseur de la corde et que tu maintiennes solidement le lien en cousant.
J’aimerais que tu fasses plus d’aller-retours qu’il n’est besoin dans la fibre.
J’aimerais que la force contenue dans les coutures ne te fassent pas mal, mais qu’elle accablera toute tentative de se délier.
J’aimerais que la corde entre nous soit tendue pour entendre, par vibrations, quand tu as mal, quand tu as peur, quand tu as froid.
J’aimerais jouer de la musique sur cette corde tendue pour que tu entendes, toi aussi, quand je ris, quand je pleure.
J’aimerais que tu ne défasses jamais les coutures, j’aimerais que tu jettes au feu tous les ciseaux. Et comme ça on sera pour toujours liées.
le cOnTe du lac
Aele Dee et Samantha Pluie
Dans une forêt cachée par les brumes, où le soleil s’était mille fois levé et la lune mille fois couchée, vivaient deux filles. Elles étaient les deux seules habitantes humaines de cette forêt. Depuis leur naissance elles partageaient une petite cabane, faite de murs de bois et de plafond de paille. Personne ne les avait élevées. Et elles ne savaient pas comment elles y étaient arrivées. Ainsi, elles ont appris toutes seules à marcher et à faire à manger. Elles ont appris toute seules à cueillir les bons aliments et à partager les tâches de la maison. Tout cela en complétant les phrases l’une de l’autre, dans une langue qu’ellesmêmes avaient inventée. Elles faisaient tout ensemble, cependant elles étaient très différentes. Au moins c’est ce que le lac de la rivière leur montrait. Une avait la peau brillante comme l’argent, comme si couverte par un manteau de la lune ellemême. L’autre avait un ton bronze métallique, comme les feuilles d’automne au coucher du soleil. Une adorait créer de la musique, pendant que l’autre s’amusait à dessiner avec du charbon et de l’argile dans les arbres froissés qui constituaient les murs de la maison. Mais pendant des années elles évitaient de se promener au bord de la rivière avant la tombée de la nuit. Il y avait une musique lointaine et proche à la fois. Un craquement se répétait sans qu’elles arrivent à l’identifier. Wink. Ça semblait être des gouttes ricochant sur une montagne, mais derrière la forêt dense, elles ne parvenaient pas à voir plus loin que leur cabane longuement
aménagée. Les couleurs de leur maison n’étaient pas dues au hasard, elles étaient de gris roche, de rouge argile, et de vert feuillage. Bien qu’elles aient expérimenté toutes sortes de teintures grâce aux plantes de la forêt, elles laissaient à l’extérieur tous les tissus teints et les regardaient longtemps sans se lasser. D’ailleurs elles ne s’ennuyaient jamais ensemble, mais la forêt avait énormément grandi et elles semblaient manquer de lumière, et bientôt de respiration.
Neila, qui semblait être la plus vieille par son visage tiré de crevasses dorées, avait rêvé d’une grande nage dans un lac, un lac dans lequel la rivière s’épaississait avant de continuer sa route. Mais ça n’était pas elle qui y nageait, mais bien Olive. Elle avait cherché longtemps dans son rêve si elle était quelque part, plus loin dans la rivière, ou sur les bords du lac, mais Olive était seule. Olive l’avait laissée seule. Neila craignait que ce rêve prenne le pas sur leur vie calme et pleine, dont aucune d’elle ne pouvait s’extraire sans arracher une partie de l’autre.
Pendant plusieurs semaines, Neila s’était mise à dessiner, avec fougue, elle s’aventurait dans la forêt, avec son charbon et les tissus sur lesquels elle traçait de longues cartes. Le soir, elle revenait les mains noircies, et déposait son travail achevé comme le butin du jour. Neila était essoufflée, et voir le visage d’Olive lui permettait d’élargir ses poumons, elle était son seul remède. Neila restait très secrète, et bientôt elle perdait le sens des mots, les
entendre était une chose mais écouter ou donner le change était au-dessus de ses forces.
L’hiver retentit d’un coup et donnait un coup de fouet aux journées. Il fallait aller vite, et il ne restait que peu de moment pour comprendre la lumière qui pleuvait maintenant à travers les arbres défaits de leurs feuilles et de leurs épines.
Olive taillait le bois, elle coupait les rondins que Neila rentrait presque chaque jour. Quand le froid n’avait pas englouti tout le bois en cendres, Olive créait un nouvel instrument. Elle creusait, sculptait sans interruption, et la langue de l’instrument, sa sonorité venait en même temps que la nécessité de tracer un nouveau coffre à tel endroit, ou d’y accrocher des cordes. Les animaux s’approchaient de plus en plus de la cabane. Au début elles avaient eu peur de leur présence, mais Olive comprit que les animaux étaient attirés par les sons de ses instruments, comme elles avaient cherché à comprendre d’où venait le craquement inquiétant dont l’écho s’était fait de plus en plus faible. Elle ne les faisait pas jouer, mais simplement en les travaillant des notes s’échappaient. La présence des animaux diminuait un peu plus la présence du wiink aigu. Neila faisait de nombreux portraits des animaux, elle lisait en eux l’inquiétude et la beauté de la vie sauvage, sur la brèche d’une solitude perpétuelle. À la fin de l’hiver, Olive avait confectionné plus d’instruments en une saison que depuis le début de sa vie. Les lunes passaient, et lui donnaient de plus en plus de coffre lorsqu’elle cherchait des mélodies, mais alors qu’elle avait terminé toutes sortes d’instruments sa plus grande épreuve commençait, et elle sentait
la rudesse monter dans ses mains et sa voix puisqu’elle ne pouvait utiliser qu’un seul instrument à la fois.
Progressivement le son du vent du printemps commençait à siffler, à soulever d’autres forces. Olive l’accompagnait, ravie de se mêler à la fin du long sommeil. Elle s’avançait dans la forêt, jetant les notes, cherchant le souffle et la voix qui s’étirait, et elle ne craignait plus le craquement de la rivière. Au contraire elle y trouvait un écho étrange mais fertile pour ses mélodies.
Olive restait longtemps au bord de la rivière, nageant jusqu’à l’arrivée de la nuit, elle chantait comme si une autre personne était née en elle-même sur les rives. Neila ne retrouvait pas les mots, et encore moins la force de chanter. Elle accompagnait Olive, mais rentrait toujours la première. Un jour, elle laissait ses dessins, le butin était de seulement trois tissus carrés, dessus des cartes dont la précision et la beauté étaient stupéfiantes. Olive était transportée par ces dessins, inspirée par ses lignes, elle les étudiait comme du papier à musique. Au beau milieu de la nuit, alors qu’elle avait composé une musique délicieuse et qu’elle s’était d’abord levée pour l’offrir à Neila, Olive se mit à marcher à l’aide des cartes, poussée par une force invisible. Pendant toute la nuit, elle avançait en suivant une carte, puis la seconde, et après quelques moments de doutes, elle se trouvait maintenant face au lac. Son éclat argenté était si vif qu’il émanait une mélodie infime. Elle reconnaissait le sifflement, mais cette fois il était beaucoup plus nuancé, fait des dizaines de voix en quinconce. Les harmonies se troublaient et
se reformaient en une grande respiration collective. Tout autour du lac, elle avait rejoint une flopée de créatures avec qui elle pouvait partager ses instruments. Elle pensait un instant à Neila, elle devait la prévenir que sa carte était le chemin à suivre pour aborder le lac dans le sens de sa mélodie, mais Olive sentait que Neila était avec elle, quelque part en elle, comme l’oreille d’or qui l’avait aidé à lutter contre ses doutes. Elle était sans Neila, mais riche de sa clairvoyance.
Neila fut réveillée par le sifflement, il s’était épaissi dans son rêve et maintenant qu’elle se réveillait dans le crépuscule matinal le sifflement s’élargissait encore. Dès le moment où elle fut complètement réveillée, elle savait qu’Olive était partie. Les mots remontaient en elle, chassant une idée, puis l’autre, et l’agitation qui commençait à monter s’était vite transformé en calme.
Elle revenait sur ses dernières semaines, remontait le fil des jours pour comprendre où la déchirure avait commencé, mais ça restait impalpable, flouté entre les gestes, les regards et les changements du paysage. Neila se souvenait d’avoir dessiné avec acharnement, parfois en superposant les idées, sans avoir le temps de changer de support pour ne pas perdre le fil de sa pensée, et sa pensée revenait toujours sur l’inextricable son, et la vue de son amie qui au lieu de jouer, s’évertuait à constituer une collection d’instruments silencieux. Elle aimait la regarder, pendant un moment elle se contentait de cette joie, et parfois elle se mentait en argumentant qu’un jour elle arriverait à jouer, elle aussi. Mais les derniers jours elle fut prise dans
un amas terrible de tristesse et de rancœur tournée vers elle-même. C’est à ce moment qu’elle a commencé à lire mieux le paysage, et ses impressions se sont mêlées à ses souvenirs pour former les deux cartes. Elle n’avait jamais dessiné aussi lentement, avec autant de moments de recul, lorsqu’une ligne se dessinait elle avait la sensation de creuser dans le paysage, ses mains lui demandaient la même force. Neila marchait dans le matin clair, elle percevait la mélodie lointaine et se mit à fredonner. Un peu surprise de redécouvrir le son de sa voix. Ses épaules étaient recouvertes d’une étoffe de feuilles d’automne, oranges et jaunes. Elle avançait en sentant le regard de son amie, et dès l’instant où elle aperçut la lune argentée dans le ciel bleu, la rancœur disparut, l’émotion était inexplicable, plombante d’amour. Neila se retournait vers la maison, et aperçut les tissus teints qui avaient pris d’autres couleurs durant l’hiver, elle les rentra, et en recouvrit les murs, en signe du souvenir et du début qui s’agitait devant elle comme le vent.
la jeunesse des bulles
Samantha Pluie
Il existe une multitude de bulles qui flottent autour de notre vie. Chaque bulle, faite de savon, reflète des lumières différentes selon la condition du ciel, du soleil, de l’espace et du temps. Les bulles de savon peuvent aussi miroiter des images, des personnes, des idées et des comportements, à travers lesquels nous nous voyons interagir.
Dans la plupart des cas, les bulles reflètent ce qui les entoure. Cependant, elles peuvent aussi refléter un mélange de choses, qui, combinées et biaisées, créent de nouvelles images, qu’on appelle jeunesse. La jeunesse est la clé de l'existence.
Un jour, l'une de ces bulles m'a raconté qu’elle pouvait se fondre à d’autres bulles. En les touchant, le savon lui permettait de glisser à l’intérieur d’une bulle plus
grande ou d’engloutir une bulle plus petite. Elle pouvait également être à moitié à l’intérieur, à moitié à l’extérieur, comme deux filles qui se tiennent par les bras dans la cour de l’école. Inséparables. Elle s'est mise à utiliser ces relations pour se nourrir.
On pourrait dès lors croire qu’elle profitait des autres bulles, en suçant leur énergie et en s’appuyant sur leur fragilité pour être plus solide, plus robuste. Cependant, les autres bulles bénéficiaient par ailleurs de cette relation commensale. En fait, lorsqu’elles étaient seules, les petites bulles s’éclataient plus vite que celles qui s’ajoutaient à d’autres bulles. Les séparations inattendues pouvaient également conduire à un éclatement précoce des bulles.
Tout en restant ensemble, les bulles s’aidaient à flotter plus loin. Pas plus haut, puisque leur poids augmentait, lui ai-je fait remarquer ; mais plus loin, flottant plus longtemps dans l’air.
L’été ouvre un temps de vie différent des autres saisons : recul changements ambitieux ou routine usante. La lumière étire plonger à travers vos mots.
Vos propositions ont été nombreuses, et c’est avec curiosité moment de lecture à voix haute, l’une pour l’autre comme des impressions.
Nous avons été touchées d’accueillir cet éventail de perceptions, reconnaître des sensations vécues et nous étonner d’autres d’avoir répondu à cet appel, à ce cri de chaleur, non seulement des sensations qu’il nous procure.
Cette initiative, qui visait à apporter un peu d’art à un moment la sensation de vivre des instants d’amitié. Ceux où l’on s’ouvre vulnérabilités, ces instants où l’on partage un peu de notre parallèles.
Nous vous invitons à à découvrir ces textes, et d’entrer dans doux d’un soleil sans fin.
recul plus ou moins heureux, étire les jours et nous aimons nous y curiosité que nous avons partagé un comme l’on se raconte des souvenirs ou perceptions, où nous avons pu d’autres chemins de traverse. Merci seulement de l’été, mais des textes et moment suspendu, nous a donné s’ouvre avec nos forces et nos notre monde intérieur et de ces temps dans ce temps suspendu, mordant et
la forêt dialogue avec mon indolence insolente tiédeur aux clartés de sève mes hivers meurent dans l’espace baroque des nuits d’été
un quart de lune quelques étoiles après une journée couchée à compter les insectes tout s’est tu (un peu comme quand il neige) ici c'est le bleu qui est horizontal comme mon corps solaire vert comme la terre aucune musique sauf cette légéreté humaine là-bas (la fête au loin)
je n’y prends pas part l’été j’habite les échos flottant des lignes de mes livres j’écarte le temps pour rester vautrée dans l’impénétrable tragédie du cercle des arts
je lézarde à la lueur des vignes dans l’obscurité absente des silences des grillons une vague me réveille parfois le vivant déferlant sur ma lenteur l’odeur du miel l’inventaire de mon âme je m’éloigne de la route entre océan
et montagne retenant dans mes narines les effluves de basilic les morsures des peaux de pêches
la littérature est si claire sous les branches des oiseaux
l’été elle parle seule caressée du soleil innocent
Isa Solfia Manzano
la mer eT la mer de dOrival caymmi
Antonio de Almeida
Pendant que j’écoute Dorival Caymmi chanter sur la mer, je pense à l’étrange expérience de visiter un lieu d’où on a choisi de partir. Dorival Caymmi a raconté la mer qu’il a vécue. Et moi aussi, j’ai trouvé la mer, en pensant aux choses qui sur terre ont disparu.
La mémoire d’un lieu d’où on a choisi de partir devient statique face à la vie qui n’est jamais intacte. Et moi, au fil de mes jours, je suis parti à la recherche des endroits que je fréquentais. et beaucoup, je ne les ai plus retrouvés. Je suis passé près des maisons où mes amis d’enfance n’habitent plus. J’ai vu des maisons qui sont devenues des bâtiments.
Et beaucoup de maisons qui sont devenues des pharmacies. Dans le dictionnaire des sentiments, une maison est un lieu où on vivre.
La cartographie des affects s’est raréfiée, face à la vie qui n’est plus. Je suis allé à la rencontre du désir étranger et la mémoire affective est maintenant écrite dans une autre géographie, en rencontre avec une autre langue. D’ici, bien que le temps passe, la mer restera toujours comme une maison lointaine, comme Dorival Caymmi a su bien l’éterniser.
L’été est mort
Comme à chaque septembre
Il ne veut pas durer
Toujours la même chose
Un jour peut-être
Pourtant
Décembre nous brûlera
Nous avons détruit les saisons
Les frontières s’amenuisent
Mais aujourd’hui
L’été est mort
Ma peau garde encore
Le souvenir de la chaleur
L’énergie qui me vient du soleil
Qui me fait éclore
Mes cheveux se sont parés
D’or
L’été est mort
Mais il persiste dans ma chair
Il est tapi au fond de mes entrailles
Et si je ferme les yeux
C’est l’odeur des lavandes
Qui emplit mes narines
L’été est mort
Et pourtant il est une promesse
Il est la parenthèse
La grande bouffée d’air
L’été est mort
Mais son feu brûle en moi
Je serai la vestale
Au pied des oliviers
L’été est mort
Mais il a chauffé la terre
De mes ancêtres
Il a jauni les herbes folles
Il a gonflé les fruits
Il vivra enfermé
Dans un pot de confiture
Dans une photo
Qui n’aura pas le temps
De jaunir tout à fait
L’été est mort
Il emporte avec lui
La possibilité de ne faire rien
La possibilité du silence
La possibilité du vide
L’été est mort
Mais c’est cette vacance
Qui permet de remplir
L’année d’activités
L’été est mort
Mais son feu brûle en moi
Je serai la vestale
Au pied des oliviers
l’éTé esT mOrT
Leslie Preel
Les fins d’été ont toutes ce pouvoir mélancolique
De ce qui reste derrière nous
Une fin de calendrier en plein milieu d’année
Et comme les abeilles
On se retrouve autour des dernières fleurs
A finir nos mensonges
Dragueur de fond
Histoire de, histoire d’o
De liquide en tout cas
On n’était pas si beau en maillot
Mais la prétention n’était pas là
Les doigts de pieds dénudés
Les ongles incarnant la griffe ou le sabot
Dominant ce sable qui fut montagne
Qui fut volcan
La glace en cornet et le nombril aveugle
Les yeux terrés derrière ces verres teintés
Avides de plénitude
On marchait, désordonné
S’inventant des buts qu’on ne marquera jamais
Rester en dehors de la cage
Et puis chanter comme un pinson
Un cardinal à poitrine rose
Le buste nu comme une statue ancienne
Qui se serait empâtée
On badine avec le temps
On s’agite au moindre vent
Et nos légèretés nous font silhouettes
Clandestin à nos parures amoindries
Et à ces ornements qui déjà se démodent
Egaux face au soleil et aux pistes de danse
Quand la nuit nous déguise en ces gens heureux
Qui habitent leur propre corps
Un monde de hasard qui finira
A la fin de la semaine
Dans la gêne ou l’érogène
Aphrodite et Dionysos au camping des fesses ensablées
Trahissant nos vies urbaines avec des souvenirs
d’enfance
Pomme d’amour et cerf-volant
Des pertes comme des cailloux blancs
Qui nous ramènent à cet endroit
Que l’on devait quitter
Une faim d’été
faim d’éTé
Philippe Lemaire
Cela fait seulement 15 minutes qu’il est aujourd’hui. Je n’entends que l’accalmie ponctuée par le souffle de sa respiration dans mes cheveux.
Un chien aboie au loin. La musique ne joue plus, mais je l’entends encore, Piano, per favore non fermarti !
Depuis la fenêtre, la lune dessine nos corps allongés dans la pénombre. Elle esquisse les plis entre les phalanges de mes doigts et la cartographie des veines sur ma main. Un voyage. Chemins de peaux éclairées dans la nuit.
La brise encore chaude répand une odeur de pins dans la chambre, cendres de parfum d’encens brûlé sous le soleil.
Veillée d’été se prolonge, étire le temps entre nos bras, jusqu’à ce que tout se détende, dolce vita. Le sommeil se rapproche par moment et nous effleure, des effluves de joie frissonnent et le repoussent, se dispersent dans l’air. Se relèvent nos commissures. La fête ne veut pas finir.
Piano, lui, contre moi, attend encore un peu d’amour avant de s’endormir. Envie
de s’éterniser, d’humer la lenteur du temps qui passe et laisse derrière lui des traînées de silences embrumés.
Et demain ? Enfin tout à l’heure, peut-être que j’apercevrai encore le petit lézard sur la terrasse, fuyant entre les dalles chaudes bordées d’hortensias séchées. Piano piano ! estate, per favore non fermarti !
Sandy Cove
Heures légères
Aux ombres allongées
Va et vient vague
S’étendre
Corps en pâture
Peau mêlée
Aux lèvres d’écume
Fruit d’éphémère
Reste à mon goût
Encore
Lentement
Meurs sur ma langue
Laurence Boudineau et Aurélie Plaza
On ne m’a pas prévenu
Que s’est-il passé ?
Déjà les matins sont plus frais, et le soir, indûment, nous surprend. Le soleil a beau continuer de briller, c’est un leurre, je le sais, je le sens. Ne me mentez pas, depuis longtemps les lavandes sont coupées, je n’entends plus les cigales chanter et les bronzages commencent à s’étioler.
L’été serait terminé ?
Je ne l’ai pas vu passé qu’il s’enfuit déjà. Je veux lui dire « reviens moi », mais, si tôt, il fait nuit, il a filé entre mes doigts et la mélancolie m’assaille. Si l’été meurt si vite, qu’en est-il de la vie ? Passe-t-elle, elle aussi, sans qu’on s’en aperçoive ?
Ai-je assez profité ? Aimé ? Ai-je pris vraiment le temps de fouler le sable, m’enivrer des embruns, et dans ces instants ne plus penser à demain ? A la fin ?
La cloche n’a pas sonné ; l’heure est venue pourtant, de la rentrée. On s’affaire, on doit le faire, on range les affaires, on trie ce dont il faut se défaire. Les cahiers des enfants vont se noircir, comme mes idées.
C’est la fin de l’été, la fin d’une saison, la fin d’un cycle. Bientôt des arbres les feuilles tomberont, et c’est ainsi, il faut laisser la place aux nouvelles. Car de nouvelles pousseront.
Et peut-être, pour nous aussi, c’est le moment de se défaire de ce dont on ne veut plus, et laisser la place à de nouvelles branches de possibles. Regarder derrière nous permet aussi de mieux aller de l’avant.
Et comme notre bronzage va s’effacer, peut-être c’est le
moment de gommer ce qui n’est plus essentiel, quitter les couches qui nous encombrent, c’est peut-être le temps de se laver de ces jugements, -les nôtres le plus souvent-, et de se demander de quels regards on dépend et desquels on devrait s’affranchir.
Alors la pluie rincera nos doutes, ce sera le grand ménage, on y jettera nos larmes et nos déboires, à l’heure du grand seau, en essorera nos rêves pour extraire les gouttes d’espoirs, élixir nécessaire pour affronter l’hiver. Je me sais pourtant encore pleine de contradictions. Une ambivalence qui me fait tenir toujours sur un fil et je penche à mes dépends d’un côté ou de l’autre, si j’ai peur du vide je tombe alors j’avance pour ne pas chuter, par delà les sentiments contraires. Je fais confiance. J’essaie du moins. J’accepte que nous ne sommes que la somme de nos paradoxes, on s’est construit sur des déséquilibres, et pourtant on continue, funambules de l’extrême, la vie avance et on avance avec elle.
Comme dirait les Groseille, la vie n’est pas un long fleuve tranquille, et si les flots nous balancent d’une rive à l’autre, il faut bien suivre le courant. L’eau coule sous les ponts. Et bien que déjà happée par les prochains tourbillons qui m’attendent, quand je regarde derrière moi par quels torrents je suis passée, je me dis qu’aujourd’hui, la traversée est belle.
la fin de l’éTé
Irina Gueorguiev
Allongée sur l’herbe, j’ai plusieurs fois refait le chemin dans ma tête avant de décider de me relever. Mes lèvres ont esquissé un sourire involontaire. Les arbres ont cédé la place au soleil, en me relevant j’y ai brûlé mes yeux. Ils étaient toujours vifs, sans pouvoir effacer cette image fantôme j’ai marché longtemps jusqu’à entrer dans la cour vide.
Combien de fois j’ai emprunté cette rue sans remarquer cette cour ? Les bruits étaient morts, le souffle rompu, j’ai loué ces précieuses minutes, à je ne sais quel paradigme d’esprits, voir d’alibis, mais le calme m’a foudroyé comme peu de rencontre.
Elle m’a rejoint avec le quart d’heure habituel de retard. J’ai reconnu la silhouette, briseuse de silence, mais nos ratures, nos langues fourchues mises bout à bout se sont essayé à trouver la route principale ; une tentative de moudre nos rires mélancoliques.
On a repoussé tout le silence hors de la cour en évoquant nos ébauches et nos écritures abouties.
Elle a compté les squelettes, j’ai soufflé un cri puissant et l’oreille de mon amie s’est levée comme un sourire.
les pierres fOndamenTales
Samantha Pluie
Deux pierres sur un autel fourmillent de désirs, la rouge me provoque, tonnerre de rires.
Il ne faut surtout pas les réveiller, car elles font des cauchemars en ce moment ; elles ont besoin de repos.
Rebondissant sur les murs, je m’arrête à deux doigts, la tempête gronde entre mes mains ombres de doutes.
Il ne faut surtout pas les laisser respirer, car elles cherchent des évasions en ce moment ; elles ont besoin d’espoir.
Rebondissant sur les murs, je m’arrête à deux doigts, la tempête gronde entre mes mains ombres de doutes. Il ne faut surtout pas les laisser respirer, car elles cherchent des évasions en ce moment ; elles ont besoin d’espoir.
Fantômes d’inquiétude, sombrent agités les cœurs, promesses visqueuses craquent les mots, suffoquent les silences. Douleur, Vers, Nous.
Ssssssssss
Il ne faut surtout pas les ressentir, car ils font face à des évolutions en ce moment ; ils ont besoin de chaleur.
Intactes, les pierres bougent les cœurs battent le sang circule vie.
Intactes, les pierres bougent les cœurs battent le sang circule vie.
N’était-ce qu’une illusion ?
J’avais besoin de ces corps
N’était-ce qu’une illusion ?
C’était fondamental.
J’avais besoin de ces corps
C’était fondamental.
Il faut surtout les embrasser, car ils font des amitiés en ce moment ; ils ont besoin de partage.
dédire les maux
Aele Dee
J’attends Judy à l’arrêt de bus, c’est calme il y a peu de circulation. Je regarde le mouvement de l’eau en dessous de la corniche. La température du goudron commence à monter, et me promet une délicieuse après-midi de baignade. C’est ce qui est prévu, de la baignade et rien d’autre au programme. J’ai les yeux crispés vers le phare quand j’entends sa voix, d’habitude espiègle, me saluer avec un fond de retrait. Sa pupille brune noie sa présence, mais elle marche avec le pas marqué habituel de la danseuse.
On s’éloigne du bitume pour crapahuter sur les rochers, cherchant le plat et l’inclinaison parfaite pour laisser filer les heures, et gagner la chaleur du soleil et du temps partagé.
Assise sur le rocher, derrière le reflux des vagues, sa voix monte dans des aiguës que d’autres voix peines à imiter, mais la fin des mots se rétrécissent, entre dangereusement dans la censure. Quand les limites des mots se cachent il est toujours possible d’entendre, une brûlure dans la voix, le crépitement d’un désir contraint. Je reconnais pourtant
le refrain, une volonté de réaliser le plus intense, la plus sinueuse des vies, elle me l’a chanté plusieurs fois. Elle peut essayer de se cacher, de danser plus fort pour faire tomber le poids, dessiner sur les murs avec ses ongles, cacher les mots, je connais la mélodie.
On reste là, frappées de sel, sans rien d’autre que le défilé des nuances de doré sur le bleu. Vagues fusent sur la rocaille, jusqu’à la nuit où tout semble irréel. Elle oublie le temps, je l’oublie parce qu’elle devient aussi un peu moi. Ou plutôt on oublie le soi, à force de dire les mots.
La vague conteste le calcaire, et elle revient pour écrire. Elle écrit derrière ses yeux, planqués dans la nuit. Le brun de ses pupilles remontent à son visage et le rire reprend la vie de son visage. Je rentre dans l’eau, le dernier bain soulève des frissons, le sel se mêle à mon souffle et ma langue rit, rit avec ma gorge.