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Ice-Watch
Une image de marque à l’heure luxembourgeoise Produite en Chine, mais identifiée à Bastogne, à deux pas du Grand-Duché, la montre colorée est devenue un must-have mondial par le biais d’un marketing intelligent. L’effet de marque joue aussi sur la propriété intellectuelle luxembourgeoise. Et ce n’est sans doute pas fini. Texte Alain Ducat Photo Jessica Theis / jess.lu
I
l se passe toujours quelque chose avec Ice-Watch. C’est même ce qui a rendu célèbre cette montre qui, en quelques années à peine, est passée du statut de toquante made in China à celui d’accessoire de mode indispensable au poignet d’icônes pop et autres VIP. La montre aux couleurs vives a déployé un marché énorme… Si tout ce qui tourne autour de cette marque forte, qui a conquis une envergure planétaire, revient sans cesse sur le Luxembourg belge – la cité ardennaise de Bastogne –, le Grand-Duché n’est jamais très éloigné. Et pas seulement sur un plan géographique. La belle histoire est, et reste, liée à un homme, Jean-Pierre Lutgen. Il est le descendant en ligne directe d’un citoyen grand-ducal (il pourrait donc porter la nationalité luxembourgeoise par filiation), fils d’un ancien ministre (Guy Lutgen) qui fut longtemps le premier citoyen de Bastogne, et frère de l’actuel bourgmestre de cette ville (Benoît Lutgen), ex-ministre wallon aujourd’hui à la tête du parti centriste, démocrate et humaniste francophone (le CDH). Jean-Pierre Lutgen (48 ans en septembre prochain) aurait pu faire de la politique, tout simplement. Sa formation en sciences po, à l’Université catholique de Louvain, l’y prédestinait plutôt. Mais il s’est construit une autre image, à coups d’idées. L’âge de glace, à Rombach
On ne refera pas ici toute la saga, celle d’un homme, doué pour le marketing, et d’un produit, sur lequel peu auraient misé. Les premières montres – pas vraiment au top de l’horlogerie, mais repérées pour leur potentiel dans un bureau de Hong Kong – se sont vendues dans quelques salons ardennais. Puis Jean-Pierre Lutgen a démarché les distributeurs, leur offrant quelques points de marge de plus que les concurrents, en échange d’avances sur une partie de la commande pour financer la production. Cette pompe amorcée — Mai 2013
a permis de récolter rapidement les dollars par paquets. Aujourd’hui, les multiples versions de la montre devenue culte font un malheur dans une centaine de pays… Mais un peu d’histoire permet néanmoins de voir à quel point IceWatch et le Grand-Duché de Luxembourg ont une communauté de destins, dont les développements probables seront à suivre. IceWatch a ses origines incontestables... à Hong Kong, en 2006, sous la houlette de Bewatch Ltd (devenue Ice Universal Ltd), société de Lutgen, comme TKS en Belgique. Aujourd’hui, c’est la – toujours familiale – Ice Universal qui, de Hong Kong, est encore la tête du pont du petit empire Ice-Watch. L’ancrage belge ? Ice (marque qui va plus loin que le concept de montres) fait émerger une nouvelle ère. La dénomination a, il y a juste un an, remplacé Orotime, née en septembre 2006. Pour être (presque) complet, on doit signaler que TKS, devenue Ice s.a., avait pris la suite d’une première entreprise, Tontonlulu (spécialisée notamment dans les gadgets publicitaires) créée en 1991. Les relations commerciales avec la Chine et le Luxembourg remontent à ces années pionnières… Jean-Pierre Lutgen, à l’époque, n’a pas raté le clin d’œil débridé, en baptisant sa société grand-ducale originelle Chinalux. C’était en mars 2006 déjà, et Chinalux prenait souche à Bonnevoie. La société a ensuite migré (en janvier 2011) vers la route d’Esch, avec l’appui d’une fiduciaire. Très récemment, la griffe Ice déboulait aussi au grand jour (quoique très discrètement) pour le Luxembourg : en juillet 2012, Chinalux changeait d’adresse (désormais, le siège est à Rombach-Martelange) et surtout, en octobre 2012, elle changeait de nom, devenant Ice s.a. puis Ice IP. IP comme intellectual property bien entendu. Depuis ce petit bureau grand-ducal jouxtant la frontière belge, Ice IP détient une flopée de marques enregistrées, dont le terme « Ice » est le dénominateur commun. Icewatch a été déposé dès décembre 2006, en Belgique au départ. Toutes les déclinaisons (Ice Watch
ou Ice-Watch) ont suivi, de même qu’une série de concepts, le plus souvent accompagnés du logo afférent, comme Ice Color, Ice Planet ou Ice Game entre autres. Ice tout court est le petit dernier en date, depuis février 2013. De facto, toutes ces marques déposées, pour le marché européen ou mondial, sont déjà luxembourgeoises, même s’il en existe encore bien d’autres (plusieurs centaines en tout) qui ne sont pas (encore) dans le giron grand-ducal. Ce qui est sûr, c’est que, pour que la notion de marketing prenne tout son sens, la propriété intellectuelle est un moteur puissant. Cela se joue sur un terrain juridico-économique, dont le territoire grand-ducal est devenu un maillon spécialisé et accueillant. Stratégie dynamique et association d’idées
Car Ice-Watch est à la fois la cible de contrefacteurs et la cible de marques qui se sentent lésées. La suisse Swatch est un « ennemi » récurrent. Il y a, malgré un agreement scellé, toujours des blocages commerciaux et des freins de procédure juridique, dans l’un ou l’autre coin du monde. Ces deux-là n’ont d’ailleurs pas fini d’en découdre : Ice-Watch s’enhardit sur le terrain de l’horlogerie suisse de tradition et de luxe, alors que le pionnier Swatch semble préparer une génération de « montres intelligentes », qui pourrait se voir baptisée… I-Swatch. Lego, par exemple, a gagné face à Ice-Watch, dont le packaging (les Becubic, boîtes empilables grâce aux plots ronds sur le couvercle) ressemblait trop au design des célèbres briques du créateur de jouets danois. Du coup, les objets sont devenus collectors pour ceux qui en possédaient… On se souvient que, en mai 2011, Ice-Watch avait marqué le coup et les esprits, en organisant dans son fief de Bastogne une médiatique destruction massive de copies de ses montres exclusives. Un char d’assaut (un symbole pour cette cité, haut lieu de la