4 Sur le terrain
Comment, concrĂštement, les entreprises qui reçoivent des financements dâimpact jonglent-elles avec les impĂ©ratifs de rentabilitĂ© et dâimpactâ? Microlux donne une idĂ©e de la maniĂšre dont ces impĂ©ratifs peuvent se conjuguer sur le terrain.
Alors que le Luxembourg est un pays Ă la pointe sur le crĂ©neau de la microfinance, il nâexistait jusquâen 2016 aucune institution en dĂ©clinant les bienfaits. JusquâĂ ce que Microlux soit fondĂ©e par un consortium regroupant BGL BNP Paribas, la Banque europĂ©enne dâinvestissement et Ada (Aide au dĂ©veloppement autonome), rejoints plus tard par le groupe Foyer. Avec un objectifâ: favoriser lâinclusion sociale et Ă©conomique en accompagnant financiĂšrement et opĂ©rationnellement des porteurs de projets de crĂ©ation dâentreprise qui nâont pas accĂšs aux financements traditionnels, et amĂ©liorer les conditions de vie de ces personnes. Pourquoi une banque comme BGL BNP Paribas ne pourrait-elle pas faire cela directementâ? Principalement parce que lâactivitĂ© de microcrĂ©dit pour financer les entreprises demande un accompagnement spĂ©cifique, au plus prĂšs, pour assister une population qui reste Ă risque. Un accompagnement pour lequel les banques ne sont pas Ă©quipĂ©es. Mais ignorer ces personnes serait une erreurâ: en Europe, 30â% des crĂ©ations de PME ou de microentreprises sont le fait de chĂŽmeurs. Il y a donc un potentiel Ă les aider Ă se dĂ©velopper. Ă la question de dĂ©finir ce quâest pour Microlux la finance dâimpact, Samuel Paulus, senior manager, rĂ©pond directementâ: «âLa porte sâouvre chez nous quand, devant la banque, elle se ferme. Nous soutenons les entrepreneurs et porteurs de projets qui nâont pas accĂšs au financement bancaire classique. Câest lorsque les banques refusent le crĂ©dit que lâon commence Ă travailler.â» Le secteur dâactivitĂ© nâa aucune importance. Ce qui compte, câest lâimpact, insiste Samuel Paulus. «âNos dĂ©cisions de financer ou non un projet prennent en compte lâaspect social. Est-ce quâon peut aider la personne Ă sâen sortir, Ă remettre un pied dans la sociĂ©tĂ©â?â» 76
JUILLET 2021
Lâexemple Microlux
Pourquoi privilĂ©gier un crĂ©dit plutĂŽt quâun financement bancaire «âclassiqueâ»â? «âNous restons sur lâactivitĂ© de crĂ©dit parce quâavec les trĂšs petits entrepreneurs, cela reste compliquĂ© de faire un suivi exact sur le chiffre dâaffaires ou sur les bĂ©nĂ©fices. Nous avons rĂ©flĂ©chi Ă un modĂšle grĂące auquel nous pourrions investir dans ces sociĂ©tĂ©s, mais, au final, le crĂ©dit reste lâoutil le plus adaptĂ© pour les soutenir.â» Impact et rentabilitĂ© Lâimpact et sa mesure sont un dĂ©fi pour le secteur en gĂ©nĂ©ral. Comment celui-ci se mesuret-il chez Microluxâ? La sociĂ©tĂ© a bouclĂ© sa premiĂšre grande Ă©tude sur le sujet en dĂ©but dâannĂ©e. Les rĂ©sultats seront finalisĂ©s dâici la fin de lâannĂ©e et communiquĂ©s en dĂ©tail lors de la cĂ©lĂ©bration du cinquiĂšme anniversaire de lâinstitution. «âSi lâon parle dâimpact, on parle de changement par rapport Ă un but. Et si lâon ne sait pas clairement ce que lâon veut atteindre, on ne peut rien mesurer. Avec le recul, nous avons clairement redĂ©fini notre mission, et Ă partir de lĂ , nous avons mis en place des indicateurs qualitatifs, comme lâĂ©volution de la situation professionnelle ou lâestime de soi, qui permet de rebondir dans la sociĂ©tĂ©, lâintĂ©gration dans celleci â un critĂšre important, car on soutient beaucoup de rĂ©fugiĂ©s â, ou encore lâĂ©quilibre vie familiale-vie professionnelle, qui est trĂšs important chez les femmes, notamment aprĂšs un chan-
446.400 EUROS
Câest le montant des prĂȘts accordĂ©s par Microlux en 2020. Depuis le lancement de ses opĂ©rations en 2017, lâinstitution de microfinance a prĂȘtĂ© pour 1,167 million dâeuros et a soutenu 121 entrepreneurs. Le montant moyen dâun prĂȘt est de 13.800 euros. Le taux dâimpayĂ©s sâĂ©lĂšve Ă 17â%.
gement professionnel ou un divorce, et qui ont choisi la voie de lâentrepreneuriat afin de devenir indĂ©pendantes.â» Pour Samuel Paulus, les premiers rĂ©sultats sont trĂšs positifs. «âNous avons vu quâil y avait un vrai impact qualitatif dans la vie des personnes soutenues. Si lâon regarde la situation des personnes avant quâelles viennent nous voir, 50â% dâentre elles Ă©taient inactives ou au chĂŽmage. Un chiffre tombĂ© Ă 8â%. Nous avons rĂ©ussi Ă les sortir de cette inactivitĂ©. Et dâun point de vue quantitatif, 75â% de nos clients disent que leur condition professionnelle est meilleure quâavant et quâils sont fiers de ce quâils ont accompli. Et mĂȘme pour ceux dont lâentreprise nâa pas marchĂ©, ils veulent rĂ©essayer, cela leur a donnĂ© un Ă©lan, ils restent dans une dynamique. En leur donnant de lâargent, on leur donne de la confiance, la sensation de reprendre leur vie en main, quâils ne sont pas lĂ que pour recevoir des aides. Câest quelque chose de trĂšs fort.â Cela prouve Ă tous ceux qui nous ont soutenus la raison dâĂȘtre de Microlux, et que son impact est tangible.â» Comme Microlux ne fait pas de bĂ©nĂ©fices, elle doit miser sur son seul impact. Ce qui illustre que la question du monitoring est la clĂ© du futur de lâimpact investing. Et quâen estil, justement, du volet rentabilitĂ©â? Les seuls revenus de Microlux sont les intĂ©rĂȘts perçus par les crĂ©dits, ainsi que les subventions de la Chambre de commerce et des ministĂšres de lâĂconomie et des Classes moyennes. «âPour lâinstant, cela ne couvre pas nos coĂ»ts.â» Et ce, dâautant plus quâavec la crise du Covid, la dĂ©cision a Ă©tĂ© prise dâaccorder des moratoires aux clients et de baisser les taux. «âĂ 4â%, on ne couvre que le coĂ»t du risque.â» Une hausse des taux, ou encore une augmentation de capital, est Ă lâĂ©tude. Mais rien nâest encore tranchĂ©. Pour les actionnaires, le volet impact prime sur celui du rendement. «âNous nâavons pas un objectif de rentabilitĂ©, mais un objectif dâautonomie. TrĂšs clairement, nos actionnaires ne sont pas lĂ pour gagner de lâargent, lâobjectif dâimpact prime pour eux. AprĂšs, ils ne voudraient pas trop dĂ©penser rĂ©guliĂšrement.â» En attendant, lâactivitĂ© est lĂ . En cinq ans, Microlux a dĂ©livrĂ© 150 microcrĂ©dits. Depuis le dĂ©but de lâannĂ©e, lâactivitĂ© explose. «âFin mai, on a fait le double de dossiers par rapport Ă ce que lâon faisait les annĂ©es dâavant.â» Les raisons de ce rebond sont multiplesâ: une meilleure visibilitĂ© â â«âle bouche-Ă -oreille joue beaucoup â et aussi un effet âfin de criseâ. Nous sentons que les gens ont envie de se lancer.â» Auteur MARC FASSONE