la Gazette de la Lucarne n° 62 - 15 septembre 2013

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no 62

Premier essai

15 septembre 2013

Il n’y a plus rien

Caroline Rimet

Fabienne Schmitt

fontaine de la marre

E

t pan ! En plein centre… Mis dans le mille… La flèche est arrivée en plein cœur ! Ce jour là j’étais morte, terrassée par le caprice d’un ange joufflu. Tuée par un ange ? Quelle idée saugrenue… Trop tard… C’était trop tard… Ou trop tôt peut-être. Au premier regard, j’avais succombé  ; tétanisée, liquéfiée, laminée, je commençais mon calvaire… À partir de ce jour là, tous mes faits et gestes, ainsi que mes pensées, étaient gouvernés par une seule personne, « LUI ». Morte vivante, tressaillant à chacun de ses mouvements, de ses pas, de sa voix, j’étais définitivement irrécupérable, condamnée à conjuguer le verbe aimer à tous les temps du jour et de la nuit… Je m’étiolais ainsi doucement un peu plus chaque jour, sans prendre la peine d’imaginer une seule seconde le monde qui m’entourait, mes obligations, mon entourage, le lycée, les compos... Tout ça pour un grand dadet brun ébouriffé aux yeux extrêmement bleus… Le croisant dans les couloirs, il me voyait à peine, esquissant un « salut » traînant, caractéristique des pubères dignes de ce nom, alors que je dégainais un sourire niais plein de béatitude…

Pour lui, je n’étais qu’au deuxième rang, au second rang, donc… Quand on m’appelait au tableau, je sentais son regard sur moi et je me mettais inexorablement à bafouiller, les pieds en dedans, si ce n’est trébucher en montant sur l’estrade… La nuit, je faisais mon apprentissage érotique en rêves, imaginant le pire du meilleur, le tout dans des endroits idylliques avec chants d’oiseaux et fleurs dans les cheveux, tapis de feuilles tendres et autres lits de mousse. J’ai passé six mois de ma vie à espérer qu’un jour il me prenne la main… J’avais maigri, je m’enfermais des aprèsmidi entiers à relire Le Grand Meaulnes, et à m’observer pâlir de la tête aux pieds dans mon miroir… Mon beau miroir… Tout cela jusqu’au jour où je le vis embrasser sur la joue mon amie Claire… Ce jour là, j’étais morte, j’avais 15 ans, et les Beatles chantaient… « un truc qui m’colle encore au corps et au cœur »… C’était Yesterday, mais quelque chose me disait qu’un jour, ça recommencerait… On ne meurt que 2 fois… 5

Tu me dis « lâche-moi les baskets » Je comprends « je veux du répit » Je crois que tu as le cœur sec Et voilà pourquoi je gémis. Si je pense à ces beaux instants Qui hantent toujours mes souvenirs C’est que je pense que les amants N’ont plus la force de se sourire. Et mon visage se voile alors Des nuages de l’illusion Qui perdure encore et encore Malgré l’absence de rédemption. Je voudrais être la femme fatale Qui n’a plus aucun sentiment Mais qui veut distiller le mal En portant un coup détonnant À celui qui n’a jamais su Que son amour était si pur Qu’il aurait su s’il avait pu Se tuer à faire tomber les murs. Le temps passera et pourtant J’aurai toujours au fond de moi Le goût chaque jour plus écœurant D’un échec de mauvais aloi. Quand les feuilles se couvriront d’or J’aurai fait plein d’autres projets Mais hélas mon cœur sera mort De froid de vide et de regrets.


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