la Gazette de la Lucarne n° 62 - 15 septembre 2013

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La gazette de la

lucarne

15 septembre 2013 2 €

n  62 o

La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com

?   a m é n i c u ’a u q r u o m ’a d t r u e m e n n O Mourir d’amour... Chansonnette, air d’opéra, romance comme roman, film muet, sculpture… l’art ainsi que la littérature se sont emparés de ces deux forces antagonistes : Éros et Thanatos. Mais dans la vie réelle, la sienne et celle de l’autre ? Vous qui avez fait tant amourir vos amourettes, vous qui amourez présentement... Amourir donc, verbe du troisième groupe. J’ameurs pour toi, pour vous, pour elle, pour lui, nous amourons de concert ou seul à seul, cette horreur de vivre qui vous éloigne de soi aussi sûrement que des amants, des aimants s’attirent ou se repoussent. Pourquoi mes larmes ne s’arrêtentelles pas ? Pourquoi, ressasser les mêmes maux, les mêmes silences ? Je me noie, et alors ? Je me tue, et après ? Elle s’ameurt pour vous, peut-être ? Ou simplement une vague mauvaise conscience comme un petit rhume ou un mal de dos. Évacuons, évacuons ! Et quand je m’ameurs, après tout je ne meurs pas vraiment ! Héros en proie à l’héroïne telle une mauvaise drogue ? Ou simplement perdant, crevard, paumé, raté, frappadingue, dilettante, esthète ? Vous amourez ? La belle affaire ! Et bien dansez maintenant ! A. Louis

Désert Elodie oberlé

L

es lèvres et le sexe asséchés, il me faut ­ encore une nuit affronter l’insomnie. Les pensées perturbées par tous ces corps que je ne peux plus toucher. Eux dont les caresses passionnées me laissaient imaginer l’éternité… Abandonnée. Chaque fois. Puis je recommençais. Trop en demande de gestes tendres… Et un jour ne plus vouloir que le véritable amour. Un bouclier de méfiance est alors venu se coller à moi. Protégée des caresses, des baisers, des mots doux, je me sentais enfin libre, débarrassée de toute tendresse et sentiment futiles qui ­existaient pour faire souffrir. Je me croyais plus forte que l’amour. Et pourtant, malgré cet excès de protection, il a fini par me rattraper. Si bien que je l’imagine partout sans parvenir jamais à découvrir le vrai. Et mon cœur déshydraté ne parvient plus à faire circuler l­’essence nécessaire à l’allégresse. M’éteindrai-je alors une nuit de l’envahissement de toute cette ­absence  ?…

fontaine de la marre

Éditorial


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Mourir d’amour…

15 septembre 2013

Zéglobo Zéraphim

Zéglobo Zéraphim

On n’y parvient pas toujours

Kevin en 1971

C

omme dans les films, les romans et les chansons. On n’y parvient pas toujours. Mais qui peut se vanter de ne jamais au grand jamais, de toute sa vie, y avoir pensé ? Même Aragon a voulu se jeter dans un canal à Venise quand Nancy Cunnard, la riche héritière, lui a préféré un pianiste de jazz noir américain ! J’y pensais d’autant plus, ce jour-là, que je savais mon incorrigible infidélité en partie responsable de la rupture, et qu’en mourant de cette façon r­omanesque, je parviendrais peut-être à l’expier… Bella, ce matin, pour descendre de la colline au-dessus de Pétionville où nous vivions, à Port-au-Prince, la capitale, avait préféré la compagnie de Lennox Raphael à la mienne. Dans un bureau de « Radio Métropole » où je travaillais, elle m’avait dit, les larmes aux yeux, comme si elle était désolée elle-même d’une fatalité contre laquelle elle ne pouvait rien : « Je ne t’aime plus. » J’avais remonté la colline et dans la maison déserte, entrepris de couper, d’abord avec des ciseaux, puis pour finir avec un rasoir, cette t ignasse abondante qui, à Puerto-Rico, sur la ­ route au-dessus de Ponce, les mois précédant notre arrivée en Haïti, avait déchaîné sur mon passage les lazzis des gamins : « Mira, mira, hippie, hippie ! » (Regarde, regarde, un hippie !) 2

Je croyais que me raser la tête serait une première étape avant de me couper le cou. Mais l’image désolante que me renvoya le miroir m’en ôta la rage et le courage. Je m’allongeai dans la plus grande pièce et me recouvrit d’un grand drap noir opportunément trouvé là, bien décidé à me changer en gisant, à ne plus jamais bouger de là, quoi qu’il arrive. Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’en fin d’aprèsmidi, Saint-Lo, la paysanne haïtienne qui servait de nounou à Kevin, me le mettrai dans les bras. Il était né à New York en décembre 1970 et nous étions en septembre 1971. Il n’avait donc que quelques mois. Ses petites mains ­minuscules ont d’abord écarté le linceul sous lequel je m’étais ­enseveli. Puis elles ont saisi ma nuque chauve avec une telle force, une telle ­intensité, que j’ai eu l’impression qu’il me tirait du tombeau dans lequel je voulais sombrer. J’ai eu honte d’avoir pu penser même un instant à quitter ce petit bébé. Quand ils m’ont découvert, le soir, avec cette étrange dégaine d’adepte de Hare Krishna, Lennox, irréprochable pratiquant d’un optimisme radical, m’a dit : « C’est très beau, Zéglobo, cela te va très bien. » Désormais, quand je montais ou descendais de la colline, les gamins haïtiens criaient : « Gadé tête calée, gâdé tête calée ! » (Regardez, regardez, Tête Rasée !) Quarante-deux ans plus tard, Kevin et sa mère sont au monde parmi mes êtres préférés. Je suis très heureux de ne pas m’être tué.


Les poèmes du mois

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SOMMAIRE

Oscar Mandel

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La Nature Oui, vous aimez la nature, c’est bien. Moi non. Oui, quand même, parfois. Regarder les boutons-d’or du pré me réjouit. Et puis, ils ne font mal à personne (que je sache). Mais la nature est méchante. Elle a vingt crocs pour deux lèvres. Ce n’est pas la peur qui fait trembler la terre ! et le coup de foudre qui attend le promeneur n’a rien à voir, croyez-moi, avec l’amour.

Désert, E. Oberlé

mourir d’amour, on n’y parvient

pas toujours…,

Z. Zéraphim

Page 3 

Poèmes du mois, O. Mandel

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L’année des méduses, E. Veil

L’actrice de ses mots, S. Mostrel

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Si je pouvais mourir sans médecins, Dieu ! Je t’inventerais pour dire merci.

Les morts ont peur de mourir. Ils nous disent : Ne sors pas ce matiin, il fait froid. As-tu pris tes vitamines ? Serre la rampe quand tu descends. Que signifie cette tache ? Va, cours chez le médecin. Car ils ont besoin de nous. Je me souviens Les sauve un peu du rien.

Édito d’Armel Louis

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Si je pouvais

Les morts

Notre cathédrale

Premier essai, F. Schmitt

il n’y a plus rien,

C. Rimet

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Les cent coupoles de Rome sont autant de bonnets. bonnets dodus bonnets assis bonnets polis.

D’humour mourir me font,

J’aime, moi, les flèches. rapides et pas de gras.

Les soirées de la Lucarne

belle marquise, vos doux yeux !

G.-A. Jourdain Page 7

Page 8 Les zombies, C. Rimet

je suis bon anversois.

Charles Bovary,  P. Desalmand Page 9

Appel à textes Molière, George Sand, la Comtesse de Ségur, Stendhal, Tristan Tzara, Françoise Sagan, Yasmina Khadra, ne sont connus que par leur pseudonymes. Aragon, Boris Vian, Romain Gary, ont écrit certains de leurs plus beaux livres sous un autre nom. Fernando Pessoa, dont le nom en portugais signifie « Personne », en plus de son propre nom en a utilisé au moins trois. Que pensez-vous de l’emploi de pseudonymes en littérature ? Écrivez un texte de 3 500 signes maximum sur l’un de ces auteurs double, triples, quadruples ou inventés. Date limite 6 octobre 2013. Envoyez-les à : azeraphim@aol.com. Marc Albert-Levin 3

La petite mort, S. Josserand Page 10-11 Le paradoxe en guise d’amour, J. Gelder Page 12 L’amour comme un vertige, Anabelle


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L’année des méduses

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Jack Wolf / creative commons

Emmanuelle Veil

La mer est belle, hélas ! Et il veut se baigner. Nager ! Là-bas nager ! Il sent les poissons l’appeler Au fond de la calanque, loin des cieux ! Rien, ni les rochers roux reflétés par les yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô clartés ! Ni le soleil ne sera sa lampe Entre deux eaux, telles qu’invisibles Et ni le sentiment d’un amour impossible Ne le protégera. Il nagera vers elles ! Usées par la marée, voraces et cruelles On l’entendra crier, brûlé par leurs caresses De l’urine ! Un onguent ! Vite que cela cesse ! Et, peut-être, les venins à haute dose Charrieront de stupéfiants éléphants roses Avant les spasmes, les spasmes et le naufrage... Ô vengeance ! Elles échoueront sur la plage.

L’actrice de ses mots «

F

ais pas ton cinéma  !  » lui lança-t-il, ­exaspéré. Elle tourna le dos, haussa les épaules, et partit pour toujours. Parce qu’elle ne pouvait entendre plus longtemps ses humiliations continuelles, ne supportant plus son manque d’écoute, son indifférence, le décalage. Non, elle ne pouvait se suffire de vivre une comédie qui n’avait rien de spirituel. Il lui fallait une panoplie de rôles dont chacun représenterait un autre aspect de soi, afin de les confronter l’un à l’autre, hors de toute certitude, afin d’élaborer une théorie à toujours renouvelée. Car les êtres ne pouvaient rester figés et se cantonner à une pensée unique. Ne savait-il pas que lui aussi faisait partie d’elle, comme tout un chacun ? Ne savait-il pas que les hommes formaient un tout et que la dualité n’était qu’un miroir, la vie n’étant que la rencontre entre soi et soi et la révélation des multiples facettes ? La richesse de l’existence était justement dans ce rapport, dans la disposition à épouser ou repousser une idéologie, non dans la tentation d’imiter, de s’accorder et ne 4

Sarah Mostrel

faire qu’enfler une idée préconçue. Elle se plaisait elle-même à défier et contredire ses moindres pensées, afin de leur donner en permanence nouvelle interprétation. Ainsi elle dansait et survolait les disciplines, les arts et pas seulement le septième ! Oui, elle aurait pu mourir d’amour maintes fois tant elle avait été éblouie, non, elle ne le laisserait pas être dans la dérision. La vie était bien trop précieuse, et son jeu de mort ne lui faisait pas peur. Elle en avait vus des films noirs. Avec des héros érotomanes, des héroïnes fatales, des comparses qui soudain occupaient le rôle principal, stars, losers, pervers, obsédés, comédiens en « herbe » héroïnomanes, figurants, doubleurs, doublures, stars de choc auteurs des pires bavures. C’est elle désormais qui lui ferait arrêter son ­cinéma. Le spectacle allait prendre fin et le rideau se lever sur un autre levant, un brillant éternel comme dans la fameuse publicité des diamantaires… Face à la pile des livres qui trônaient sur sa table de chevet, elle se dirigea vers l’écran de ses songes et rejoignit cet espace apaisant, loin du mal.


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Premier essai

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Il n’y a plus rien

Caroline Rimet

Fabienne Schmitt

fontaine de la marre

E

t pan ! En plein centre… Mis dans le mille… La flèche est arrivée en plein cœur ! Ce jour là j’étais morte, terrassée par le caprice d’un ange joufflu. Tuée par un ange ? Quelle idée saugrenue… Trop tard… C’était trop tard… Ou trop tôt peut-être. Au premier regard, j’avais succombé  ; tétanisée, liquéfiée, laminée, je commençais mon calvaire… À partir de ce jour là, tous mes faits et gestes, ainsi que mes pensées, étaient gouvernés par une seule personne, « LUI ». Morte vivante, tressaillant à chacun de ses mouvements, de ses pas, de sa voix, j’étais définitivement irrécupérable, condamnée à conjuguer le verbe aimer à tous les temps du jour et de la nuit… Je m’étiolais ainsi doucement un peu plus chaque jour, sans prendre la peine d’imaginer une seule seconde le monde qui m’entourait, mes obligations, mon entourage, le lycée, les compos... Tout ça pour un grand dadet brun ébouriffé aux yeux extrêmement bleus… Le croisant dans les couloirs, il me voyait à peine, esquissant un « salut » traînant, caractéristique des pubères dignes de ce nom, alors que je dégainais un sourire niais plein de béatitude…

Pour lui, je n’étais qu’au deuxième rang, au second rang, donc… Quand on m’appelait au tableau, je sentais son regard sur moi et je me mettais inexorablement à bafouiller, les pieds en dedans, si ce n’est trébucher en montant sur l’estrade… La nuit, je faisais mon apprentissage érotique en rêves, imaginant le pire du meilleur, le tout dans des endroits idylliques avec chants d’oiseaux et fleurs dans les cheveux, tapis de feuilles tendres et autres lits de mousse. J’ai passé six mois de ma vie à espérer qu’un jour il me prenne la main… J’avais maigri, je m’enfermais des aprèsmidi entiers à relire Le Grand Meaulnes, et à m’observer pâlir de la tête aux pieds dans mon miroir… Mon beau miroir… Tout cela jusqu’au jour où je le vis embrasser sur la joue mon amie Claire… Ce jour là, j’étais morte, j’avais 15 ans, et les Beatles chantaient… « un truc qui m’colle encore au corps et au cœur »… C’était Yesterday, mais quelque chose me disait qu’un jour, ça recommencerait… On ne meurt que 2 fois… 5

Tu me dis « lâche-moi les baskets » Je comprends « je veux du répit » Je crois que tu as le cœur sec Et voilà pourquoi je gémis. Si je pense à ces beaux instants Qui hantent toujours mes souvenirs C’est que je pense que les amants N’ont plus la force de se sourire. Et mon visage se voile alors Des nuages de l’illusion Qui perdure encore et encore Malgré l’absence de rédemption. Je voudrais être la femme fatale Qui n’a plus aucun sentiment Mais qui veut distiller le mal En portant un coup détonnant À celui qui n’a jamais su Que son amour était si pur Qu’il aurait su s’il avait pu Se tuer à faire tomber les murs. Le temps passera et pourtant J’aurai toujours au fond de moi Le goût chaque jour plus écœurant D’un échec de mauvais aloi. Quand les feuilles se couvriront d’or J’aurai fait plein d’autres projets Mais hélas mon cœur sera mort De froid de vide et de regrets.


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15 septembre 2013

dr

D’humour mourir me font, belle marquise, vos doux yeux !

L

a première fois que j’ai manqué mourir d’humour, j’étais encore bébé, maman chérie, quand vous étiez si occupée à engueuler papa que je ne savais même pas où têter.

La huitième fois, elle était d’une beauté et passait comme ça dans la rue, j’ai fait mine de ne pas la voir, elle n’est pas morte, moi non plus. Pour elle, je n’ai pas de preuve.

La deuxième fois, je crois que c’est à cause de vous, Mademoiselle L. belle idiote pimbêche, qui fîtes semblant de m’aimer en me dépucelant. Plaisir et rigolade.

La neuvième fois, belle marquise, je me suis demandé si vous n’étiez pas toujours la même, si vos doux yeux ne sont pas des miroirs interchangeables qui nous font fondre en larmes pour mieux nous suicider à petit feu.

La troisième fois, c’était pour s’amuser, Madame  M., nous aimions les jeux amoureux dangereux, j’en garde les traces. La quatrième fois, j’ai bien failli y passer, c’était rue Saint-Denis. J’y habitais par amour pour vous toutes, mais j’y flirtais comme vous avec la mort.

G ér a ld - A r naud Jourdain, a été rédacteur en chef de Jazz Hot, il

La cinquième fois, je n’écris pas ton nom, toi pour qui j’ai pleuré comme ils disent toutes les larmes de mon corps. Mon corps n’est pas une éponge, il me reste quelques larmes pour abreuver mon stylo et t’écrire je t’aime.

écrit maintenant pour Le Nouvel Observateur

et

Africulture. Il est

La sixième fois, tu m’a plaqué, salope, j’ai voulu te tuer et me tuer après. J’avais trop soif, j’ai bu, et j’ai pas tué.

intermittent permanent du spectacle à la Comédie humaine.

Gérald-Arnaud Jourdain

La septième fois, je suis tombé amoureux de la femme de mon meilleur ami. Il ne s’est rien passé, à part l’amour. 6

La dixième fois, je t’ai vue mon amour, mon cœur a explosé mais je n’en suis pas mort, et toi non plus, apparemment. Vingt ans que tu es là, mon amour jusqu’à la mort… Mourir d’amour est un rude métier, une occupation à plein temps. Mourir d’humour est encore plus dur, il faut avoir les reins solides et les maxillaires bien accrochés pour rigoler d’un chagrin amoureux. Il est encore plus difficile, probablement, de mourir d’humour en faisant l’amour. Mais n’est-ce pas le plus beau but que nous puissions fixer à notre misérable existence ?


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Soirées de la Lucarne  Dimanche 15 septembre 2013 à partir de 15 h

Atelier Feng Shui

Vous découvrirez respectivement : - La connaissance du Feng-Shui traditionnel, au travers des principes fondamentaux (le Chi, le Yin et le Yang, les différentes écoles, l’étude des animaux symboliques). - Comment harmoniser votre habitation selon les cinq éléments et les outils traditionnels, (Ba-Gua, Lo-Shu), la réalisation d’un plan d’habitation. - La prise de conscience de l’interrelation existante avec l’habitat et les influences de la topographie de l’habitation, les trigrammes. L’atelier sera ponctué d’exemples concrets et d’exercices pratiques. Contact : info.expertisefengshui@gmal.com tél. : 06 06 66 49 33 Prochains ateliers : les 22 et 29 septembre.

 Mercredi 25 septembre 2013 à 19 h 30

Spectacle Contes et légendes de NouvelleCalédonie : Louise Michel en Kanaky Avec Mary Myriam, conteuse. Institutrice, poète, féministe, anarchiste, Louise Michel a « jeté son cœur à la révolution » alors qu’elle se rêvait musicienne et poète. Son engagement lors de la commune de Paris lui vaudra d’être déportée en Nouvelle-Calédonie. Là, elle découvrira la culture canaque, dont elle collectera et éditera les Légendes et chansons de gestes canaques.  Dimanche 29 septembre 2013 à partir de 15 h

Atelier Feng Shui

Durée : trois heures, avec une petite pause gourmande de 15 minutes Contact : info.expertisefengshui@gmal.com tél. : 06 06 66 49 33

 Mercredi 18 septembre 2013 à 19 h 30

 Jeudi 10 octobre 2013 à 19 h 30

Cette soirée rassemblera la poétesse Maram al Masri et l’association Chams Collectif Syrie. Le collectif Chams présentera le travail de ses partenaires syriens à Damas, ainsi qu’un bref diaporama du mouvement civil syrien, et le livre d’Aram Karabet, Treize ans dans les prisons syriennes, traduit par Nathalie Bontemps (membre du collectif). Maram al Masri présentera son recueil de poèmes Elle va nue, la liberté. « L’avez-vous vu ? Il portait son enfant dans ses bras et il avançait d’un pas magistral la tête haute, le dos droit. Comme l’enfant aurait été heureux et fier d’être ainsi porté dans les bras de son père. Si seulement il avait été vivant. »

Présentée par Alain Wexler ; en compagnie des auteurs Brigitte Hautefeuille, qui écrit au bord du gouffre, entre l’amour et la haine, entre le rêve et la perte de soi ; Hubert Fréalle, qui joue dans la gamme des littératures épiques ; Guy Chat, écrit des textes comme croqués sur le vif avec humour ; et Patrick Le Divenah, auteur illustrateur.

Soirée Au nom de la liberté

 Dimanche 22 septembre 2013 à partir de 15 h

Atelier Feng Shui

Durée : trois heures, avec une petite pause gourmande de 15 minutes Contact : info.expertisefengshui@gmal.com tél. : 06 06 66 49 33

Soirée littéraire avec la revue Verso

 Vendredi 11 octobre 2013 à 19 h 30

Hommage à Ilan Halevi

Il aurait eu 70 ans en octobre. Autour de plusieurs de ses livres, sera évoqué le parcours d’un homme qui écrivit en français, en anglais, en hébreu et en arabe, et qui milita pendant plus de trente ans pour la coexistence en « terre sainte » de deux peuples, israélien et palestinien.  Samedi 12 octobre à 19 h 30

Soirée théâtre et poésie Rencontres franco-roumaines présentées par Dana Shishmanian, avec Brandusa Tamas, éditrice, le comédien et auteur Dorel Visan, et le poète français et auteur de théâtre Denis Emorine.

Plus de détails sur : http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris - Tél. : 01 40 05 91 51 7


patrick le divenah

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Les zombies Caroline Rimet

M

ourir d’amour et puis quoi encore ? Des foutaises tout ça, des préoccupations de gens gâtés qui n’ont rien d’autre à faire qu’à se regarder vivre et s’écouter parler. Tout un magma de romantisme à la petite semaine, tout juste bon pour les lectrices de la collection Harlequin. Vous imaginez un seul instant que les déceptions amoureuses mortelles sont compatibles avec la société dans laquelle nous vivons ? Notre époque est sans état d’âme, avide de pouvoir et âpre au gain. Elle se fiche comme d’une guigne des pleurnichards qui se complaisent dans leur chagrin, car elle n’a pas d’autres finalités que la performance et la réussite sociale.

Charles Bovary

C

harles Bovary est apparemment le type même de l’antihéros. C’est un médiocre. La tentative qu’il fait pour sortir de la médiocrité échoue lamentablement. Mais il prend une certaine dimension par le caractère absolu de son amour pour Emma. Il ne l’accuse pas pour ses frasques, estimant que cela résulte de la fatalité, d’une malédiction. Et il meurt d’amour. Peu de temps après le suicide d’Emma, il va s’asseoir au fond du jardin. En fin d’après-midi, on l’y retrouve mort. « Il avait la tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte, et tenait dans ses mains une longue mèche de cheveux 8

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Sur un plan plus rationnel, il convient par ailleurs de relativiser ses histoires de cœur qui ne sont que des broutilles en comparaison avec les grands problèmes du monde : guerres civiles engendrées par le fanatisme et l’intolérance, précarité galopante dans les pays développés débouchant sur la fameuse « société à deux vitesses » qui ne choque plus grand-monde, destruction systématique et irréversible de la planète pour des considérations strictement consuméristes, et le SDF devant lequel je passe tous les jours et dont la présence finit par ne plus me déranger. Non décidément, l’idée de mourir d’amour a un côté trop vain et trop obscène pour s’y intéresser une seule seconde SI L’ON N’EST PAS CINEASTE. En revanche, l’artiste a toute légitimité pour s’emparer du concept et en faire une œuvre suscitant les pleurs de milliers de spectateurs qui, le temps d’une séance, oublieront la vacuité de leur existence. Peu importe s’ils se reconnaissent ou non dans l’histoire, la sublimation du sentiment amoureux les touchera comme une grâce divine. J’ai une fâcheuse tendance à pleurer au cinéma et j’ai toujours essayé en vain de ravaler cette boule qui monte dans ma gorge à mesure que l’émotion m’envahit. Je ne veux surtout pas que l’on me prenne pour une midinette... Mais rassurez-vous, il en va tout autrement dans la vraie vie : je ne pourrai jamais me tuer par amour puisque je suis déjà morte…

Paul Desalmand noirs. » L’autopsie écarte l’idée d’un empoisonnement. Incarnation de l’amour fou, Charles est mort simplement pour avoir perdu sa raison de vivre. Flaubert réussit la prouesse de faire de ce médiocre personnage la plus belle figure de son roman. Louise de Rênal, à la fin du Rouge et le Noir, meurt peu de temps après l’exécution de Julien, d’une façon proche. Le roman se termine par ces mots : « Madame de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants. »


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15 septembre 2013

La petite mort Sylvain Josserand

le voyeurisme des plumitifs et des photographes de tous ces organes de presse ?

Le président Félix Faure est mort en épectase. Ce qui tendrait à prouver que la politique est un métier à risques, surtout quand on l’exerce avec assiduité dans le secret des alcôves. Être le fils de Rose Cuissard et provenir d’une famille de menuisiers et d’ébénistes constitueraient-ils des circonstances atténuantes pour limer les jouvencelles au péril de sa vie ?

Les abus de biens sociaux, la fraude fiscale, la corruption ou le financement occulte des partis ternissent davantage la chose publique que les pulsions incontrôlées des puissants. Qui, diton, trouveraient en la matière un exutoire au stress occasionné par l’exercice du pouvoir.

Un grand nom de la politique est perdu actuellement de réputation pour avoir abusé de la b ­ agatelle tarifée dans les palaces. Est-il mort pour autant à la vie publique ? A-t-il encore un grand destin ? On peut l’espérer tant son intelligence est vive et ses conseils avisés. La salamandre ne se relève-t-elle pas toujours de ses cendres ? La salamandre étant, comme chacun le sait, l’emblème de François Ier, roi de France qui n’a de leçon à recevoir de personne en matière de galipettes. L’évocation de ses frasques est plus savoureuse que son «  Marignan 1515  ». Éros est plus fort que Thanatos dans l’inconscient collectif.

On m’objectera que mon ­humour acide oublie les victimes, « consentantes ou non d’ailleurs », de la lubricité incontrôlée et mortifère de nos dirigeants. Que mes propos pour raient choquer les féministes les plus endurcies… Ce serait oublier que les femmes de pouvoir ont aussi leurs mignons et que j’ai beaucoup d’empathie pour les travailleurs et les travailleuses du sexe.

Que serait la vie publique sans tous les scandales relatifs à la vie privée de ses serviteurs les plus zélés ? De quoi vivrait la presse People ? Combien d’emplois seraient supprimés sans

Ce serait également oublier que les Français ont résolument l’esprit gaulois. Et qu’il ne leur viendrait pas à l’idée, comme cela se pratique outre-Atlantique, de condamner de « cri9

minel sexuel » un gamin ou une gamine impubère trop curieux ou trop sensuel (avec comme conséquences que la vie devient pour eux un enfer). Ou d’accuser pour viol une personne au regard mal placé… Si l’amour est une petite mort, ne peut-on pas conseiller aux hommes et femme politiques d’en user avec modération…

J.K. Califf / creative commons

O

n ne meurt d’amour qu’au cinéma. Au c­ inéma seulement ?

Et leur rappeler la citation de Nietsche pour les recentrer sur l’essentiel : Les sensations sensuelles ont ceci de commun avec les sensations d’adoration que grâce à elle un être fait du bien à un autre en éprouvant du plaisir ; on ne trouve pas souvent dans la nature des dispositions aussi bienveillantes.


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15 septembre 2013

Le paradoxe en guise d’amour In memoriam Christian J

ohn

I

DR

l me souvient que je vivais une année de célibat, frustré de ce romantisme qu’on vit au hasard des rencontres spéciales. Et celle-ci en était une.

Reste cratère ou devient montagne

D’abord il était beau et rouquin, placé juste en face de moi. Ce regard de « Prince de Thulé », à la fois sombre et pétillant, m’avait séduit. On peut dire que Christian portait sa spécialité à bout de bras, à la table du restaurant de Montmartre où un grand du Théâtre Français nous avait invités. Il portait, en effet, un bandage au poignet. Sur un ton complice je lui ai demandé si… « Oui », m’a-t-il répondu avec un sourire. Sa famille souffrait d’un mal perfide. Sa sœur, en chutant d’un troisième étage, y avait succombé. «  Ce mal perfide » précisa-t-il, s’appelle suicide. Et de ce mal, ajouta-t-il, toujours souriant, lui-même il mourrait. Il n’en était d’ailleurs pas à sa première tentative. Voilà la première pierre (tombale) de notre aventure.

Je renonce au voyage Marchandise désirée ou martyr « pâle et livide » du sépulcre des cités dortoirs, Christian – beau gosse roux qui se destinait au théâtre malgré un léger mais charmant zozotement – ­ v ivait avec l’obsession de sa mort, liée à son affect en déshérence. Elle logeait en lui, le grignotait, se nourrissait de lui sans qu’il eut la force ni même l’envie de la chasser. Pour mon Prince de Thulé, la vie n’avait « le charme que d’un refrain trop usé d’où s’échappent des larmes… » La question qu’il se posait, j’allais m’en apercevoir bientôt, était : allait-il «  renoncer définitivement au voyage ? » En attendant, il préférait désormais mon apparte–confessionnal où, avec une bouteille de scotch et moi derrière mon piano, lisant, épluchant et interprétant le premier poème rimbaldesque qu’il venait me soumettre. Mais comment espérer Quand la vie a le charme D’un refrain trop usé D’où s’échappent les larmes D’un bluesman névrosé ?… Pour la mort trop indécis Je renonce au voyage Et préfère faire naufrage Dans les bars de nuit Confessionnal dionysiaque depuis que, à la deuxième ou troisième visite, assis sur mon lit face au piano quart de queue, mon Prince de Thulé avait parlé de ses amours « mordantes », voire dévorantes et libidinales. 10

Gelder

Quitte-moi, dévoreuse ! Enfin je découvre Le chemin de l’espérance… Quand ton anus narcisse Se noie dans le miroir irréfléchi De mon incompétence… Ah ! Ne pas pouvoir dépasser ce désarroi Ah ! Libido, laisse étrangleuse Quitte-moi, dévoreuse ! Lisant ce texte tout en imaginant la mélodie refrain, pour entamer notre nuit, mieux qu’en boîte et surtout – « le corps étant le meilleur ami de l’homme » – et entre hommes, dans des moments de plaisir choisi… Devinant mes goûts priapiques pour lui en somme, il tint à me prouver sa reconnaissance d’avoir donné forme à son art ; ainsi que ses compétences en la matière, et qu’il savait mordre aux fruits de la vie. Il me reçut sur mon lit, dur et fringant, m’y accueillant avec un jet de plaisir fortifiant. Et tout naturellement, il découvrit les saveurs (et tendresses) de l’amour sans « gonzesses chieuses ou mordantes ». Oui mais, notre Amor Fati un soir prit la forme sonore d’un appel de l’hôpital Saint-Louis. ­ Un chef de clinique me demanda si je voulais accueillir Christian, qu’il venait de soigner. Il me le confierait à condition qu’on le lui rende le lendemain à 8 heures. N’ayant comme d’habitude plus eu de ses nouvelles depuis une quinzaine de jours, j’acceptais ­volontiers. Comme si c’était hier, je le revois étendu sur mon lit, les bras bandés, sourire pâle…


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Il dit : « J’ai pensé à toi au seuil de la mort », sans ajouter : « une fois de plus. » Et moi, sur un ton de reproche amoureux : « Rappelletoi mes leçons de fais comme si », (inversion des valeurs négatives en positives. Fais comme si la mort n’était pas intéressante, comme si tout ça n’était pas si grave), au risque de devenir chieuse comme sa copine. Il attendait de moi une soirée poétique, n’ayant apporté de son cru que le drame. J’allais au piano essayer de lui assener mes « leçons » avec le F(phy) iltre de la musique. Devant le vide, Pâle et livide, tu bats de l’aile Tomberas, tomberas pas ? Remues-toi, choisis, magne Reste cratère ou deviens montagne… Il avait fermé les yeux. Il écoutait avec attention, hochant la tête. Était-ce là le beau chant qui pleure les blessures, le front amer de l’ami, ses yeux où se lit la nostalgie d’un univers toujours promis et jamais accordé ? Tu n’oses franchir le pas Funambule sans corde D’où tu tomberas Ou tu t’envoleras… Vas-y donc vas-y, Saute, aime ce gouffre Toi qui souffres N’hésite plus, n’hésite plus

Saute, tue-toi Sans reproche ni peur Remue-toi, choisis, magne Reste cratère ou deviens montagne C’était l’invitation à arrêter de simuler la mort. Il y avait trop d’agitation autour de lui, trop de corps animés de fausse exubérance qui ne toléraient pas sa disparition. Ils le sommaient de vivre, en martyr rédempteur, ou de mourir pour de bon. Ou encore de noyer tout ça dans l’alcool en d’improbables « boîtes de nuit » ? Chute Il était l’écrivain alcoolique, s’arrangeant de son éternité ­dédiée à Verlaine, Lautréamont et Rimbaud. Plus terre à terre, il y avait ses problèmes de couple. Amor Fati, il ne fut point étonné de voir sa place chez moi occupée à demeure par un adepte de l’Oulipo, mon amant depuis peu, avec qui on travaillait sur de beaux projets littéraires. Cela n’empêcha pas les visites de Christian et des relations amicales entre mes deux amants. À ceci près que c’était lui, Christian, qui avait décidé de nos rapports, avec la force de son inconscient qui voulait que ne survive plus dans le monde qu’une mélasse biochimique, une fin de parcours bactérienne, queue de la comète Vie.

Vivre dans les multiples formes de ressentiment ou mourir pour de bon ? C’était là le paradoxe qu’il offrait en guise d’amour. Aussi fus-je surpris un après midi de le voir s’asseoir à la table du salon, la tête plongée dans ses bras à même la table et pleurer de grosses larmes. Posant ma main sur son épaule, je lui demandais la raison de ce brusque chagrin. Il leva vers moi ses yeux noirs et mouillés pour m’annoncer que c’était pour moi qu’il pleurait. Il m’avait obligé de choisir mon ami oulipien pour me consoler de n’avoir pas eu droit au bonheur de vivre avec lui. Regrettait-il de n’avoir pas pris pour lui-même ce droit plus tôt ? Pleurait-il ce drame là ? Il ne m’a pas laissé le temps de lui poser la question… Quelques jours plus tard, il frappait à la porte de son amie. Elle lui répétait qu’elle ne voulait pas ouvrir, ni le revoir. Il a monté un étage (au septième) muni de ses cachets, de son bouquin de Verlaine et Rimbaud et s’est assis sous la fenêtre au bout du couloir donnant sur cour. Une voisine a dit avoir ouvert sa porte et l’avoir vu assis à même le sol en train de lire. Elle a refermé sa porte et, un quart d’heure plus tard, a entendu un bruit de chute dans la cour…

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ISSN 2101-5201 La Gazette de La Lucarne mensuel de La Lucarne des Écrivains Rédaction et administration : 115 rue de L’Ourcq, 75019 Paris lalucarnedesecrivains@gmail.com Directeur de la publication : Armel Louis Coordination du numéro : Armel Louis Maquettiste : Emmanuelle Sellal.


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L’amour comme un vertige Annabelle

Il lui a dit : « Je m’en vais », sans un mot de plus. Tout a basculé, elle a basculé, elle avait enjambé, sans réfléchir, le garde-fou (folle) et, est tombée, comme ça, tout simplement, tout comme elle est tombée folle d’amour pour lui. Pourquoi réfléchir ? Elle savait qu’elle ne voulait pas vivre sans lui, elle ne voulait pas survivre, elle voulait vivre et ça c’était impossible de continuer sans lui, de mettre un pied l’un devant l’autre, de se lever, de se ­ laver, de man­ ger, d’aller travailler. Sans lui, pas de quotidien. Elle avait été son ange  ; avec lui elle était pleine d’allant, d’envie, de désir d’être, d’exister mais, sans ailes, elle ne serait qu’un vulgaire cloporte se lamentant. Elle ne voulait pas de ça, pas être rien, ni une âme en peine, un fantôme d’elle. Le vide de son existence que sera demain, elle ne le voulait pas, alors, la seule solution c’était ça : cette poupée de chiffon, au sol, gisant. Un dernier soupir, la vie s’est retirée de ses yeux, ils se sont éteints. fontaine de la marre

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lle est là gisante, disloquée, le crâne éclaté, les yeux grands ouverts, ses cheveux sont en éventail autour de sa tête, mais ont perdu cette ondulation naturelle et vaporeuse qui participait à son charme. Ils sont tout collés, par un liquide rouge visqueux, son sang. Son sang à elle, qui a giclé jusqu’au troisième étage quand sa tête a heurté le trottoir, avec un bruit énorme, qui restera gravé encore dans la tête de tous ceux (eux l’ont encore !) qui l’ont entendu et/ou vu tomber. Comment en estelle arrivée aussi bas, elle, Lola la rousse flam­ boyante, la tombeuse d’homme ? Elle s’était entichée d’un gars, genre l’acteur du Train sifflera… une brute au cœur si tendre, elle aimait tout de lui, elle l’aimait tant, qu’elle s’en est oubliée, Lola, elle aurait pu tous les avoir, mais elle préférait cette petite frappe. Son hébergeuse lui disait toujours : « Ma p’tite Lola… ce gars, il est pas bon pour vous… » Elle l’aimait, plus qu’elle ne s’aimait, elle respirait pour lui, par lui, ne vivait pas en dehors de sa présence. C’était son homme, celui qui la faisait grimper aux rideaux, connaître son corps, reconnaître ses désirs. Elle s’est ouverte à lui, il l’a fendue, de son sabre « Hiroshima mon amour » et l’a laissée sans un mot.

« L’amour comme un vertige, comme un sacrifice, et comme le dernier mot de tout. » (Henri Alban Fournier, dit Alain-Fournier) 12


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