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Appel d’offres… ou appel à projets ?
Quand les relations entre une collectivité publique et une association glissent-elles de l’aide, pure et simple, au marché public ou à la délégation de service public ? La question n’est pas que technique car franchir malencontreusement cette frontière peut conduire à de sérieuses difficultés pouvant aller jusqu’au pénal.
Les collectivités peuvent décider de subventionner des associations. Le projet est alors supposé émaner de l’association, quitte à ce que celleci réponde à un « appel à projets » lancé par la collectivité. Mais parfois, la collectivité demande une véritable prestation de services à l’association. Dans ce cas, la collectivité exige des services très précisément définis, ce qui conduit vers la passation d’un marché public avec une procédure plus lourde. Si l’association porte dès le début le projet, en ce cas, la relation sera celle d’un subventionnement classique, moyennant quelques obligations (convention d’objectifs au-delà de 23 000 euros par exemple). Les négociations entre partenaires peuvent porter sur des objectifs généraux et des modalités de contrôle a posteriori pour la collectivité, mais pas trop sur les modalités très concrètes de ce qui devra être accompli : schématiquement, l’association doit rester libre de ses mouvements quotidiens. Mais, depuis 2007, le juge admet désormais clairement cette hypothèse même si le projet, initialement purement associatif, a été ultérieurement qualifié de service public par la collectivité qui aide l’association (source : CE, 6 avril 2007, n° 284736).
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UNE INTÉRESSANTE ILLUSTRATION
Créée par délibération du conseil municipal de Toulouse en 1978, la galerie de photographies du Château d’eau a été exploitée en régie directe jusqu’en 1985. Du 1er janvier 1985 au 31 décembre 2019, la commune a chargé, par différentes conventions, l’association La photographie au Château d’eau (Pace) d’exploiter la galerie, qui a été reprise en régie directe à compter du 1er janvier 2020. Le tribunal a considéré que, pour les deux conventions portant sur les années 1985-1997, la commune de Toulouse avait entendu confier à l’association Pace une mission de service public culturel dont la commune couvrait les dépenses d’investissement, d’entretien et de fonctionnement par une subvention de nature à prémunir l’association de tout risque d’exploitation. Elle a ainsi entendu, en contrepartie de prestations qui correspondaient à ses besoins en matière culturelle, verser un prix à l’association, et ces conventions doivent être qualifiées de marchés publics. À compter de janvier 1998, les différentes conventions conclues entre la commune et l’association prévoyaient également le versement de subventions mais qui n’étaient pas destinées à couvrir l’intégralité des charges de l’exploitation de la galerie du Château d’eau. Au surplus, à compter de janvier 2013, la mission de service public culturel n’est plus présentée par les conventions comme dévolue par la commune mais comme portée par l’association. De telles conventions doivent dès lors, selon ce tribunal, être regardées comme des conventions de subventions assorties d’objectifs et de moyens. Les parties étaient donc passées, sans s’en rendre compte, d’un régime à l’autre… Avec de nombreuses conséquences juridiques (TA Toulouse, 2 février 2021, n° 2005649, s.42l.fr/TAToulouse-2005649). Si l’association gère un service public ou effectue des prestations précises pour la collectivité « dans un secteur concurrentiel », alors, s’impose un formalisme particulier (marché public ou délégation de service public selon les cas), très lourd sauf dans les cas où des textes particuliers prévoient des dérogations ou, à tout le moins des modalités très souples de mise en concurrence (cas de très nombreux services culturels, sportifs ou sociaux ; cas des petits montants…). NB : il peut aussi en aller ainsi si le service confié ne peut être réalisé que par un prestataire déterminé pour des raisons techniques. Mais ce cas doit être manié avec précautions car le juge veille à ce que cette porte-là reste presque toujours fermée. Si l’association n’est pas sur le marché concurrentiel, elle peut, sans conteste, être considérée comme n’étant pas un « opérateur sur un marché concurrentiel », et peut donc rester dans le domaine de l’exonération de mise en concurrence et de publicité. Mais cette catégorie s’avère, en réalité, fort limitée.
Association parapublique
Si l’association est parapublique et « transparente » vis-à-vis de la collectivité dont elle est le prolongement (cas de nombreux comités des fêtes, comités d’expansion, associations de gestion d’équipements culturels, etc.), le juge a admis, en 2007, que celle-ci peut assurer des prestations de services pour la collectivité sans mise en concurrence. Mais attention, l’association doit alors respecter le même droit – ô combien contraignant – que celui qui s’impose à cette collectivité publique : droit comp-
table, droit de la commande publique, voire peut-être droit de la fonction publique. Les ennuis qui reviennent en boomerang sont alors pires que les problèmes qu’il s’agissait d’éviter (sources : CAA Nancy, 15 avril 1993, n° 91NC00026 ; CE, 21 mars 2007, n° 281796 ; CE, 2 juin 1989, n° 103556 ; CAA Marseille, 14 septembre 2004, 00MA00560). Enfin, il est à noter qu’il est illégal de confier à une association la conception même – et non son exécution – d’une mission de service public (sources : CE, 27 mars 1995, n° 108696 ; CAA Marseille, plén., 21 janvier 1999, n° 96MA11805, RGCT, 1999 p. 155, concl. L. Benoît, note A.-S. Mescheriakoff).
Jouer dans les deux camps
Nombre d’associations assurent, d’une part, des missions sur subventionnement avec une grande autonomie et, d’autre part, des prestations à la commande, surmesure, contre une rémunération spécifique, dans des domaines qui pourraient être considérés comme relevant du secteur concurrentiel au sens large (bref… cas de requalifications à craindre en marché public). Le mieux est alors de distinguer ces deux activités en : - envisageant un assujettissement à la
TVA (à étudier au cas par cas) pour les prestations de services sur-mesure (pour éviter que cela ne soit imposé sur le tout) ; - assurant une comptabilité analytique qui démontre que les cotisations ne payent pas les prestations à la demande (sinon cette pratique est anticoncurrentielle) et réciproquement (sur ce critère voir CE, 6 juillet 1990, n° 88224) ; - changeant les conventions conclues et les méthodes de travail pour bien « sécuriser » chacune des deux activités ; - défendant un minimum d’indépendance lorsque l’on est en subventionnement.
Éric Landot, avocat au barreau de Paris, cabinet Landot & associés
Solution juridique normale
Cas où l’association n’est pas un « opérateur sur un marché concurrentiel » LE PROJET EST ASSOCIATIF LE PROJET EST PUBLIC
À 100 %, de l’origine à ce jour À 100 % à l’origine, mais il a été qualifié de public en cours de route Parce qu’il s’agit de gérer un équipement public ou un service public
Parce qu’il s’agit de fournir des prestations, détaillées par contrat, à une collectivité publique, au-delà d’une simple fixation d’objectifs généraux
Subventionnement normal ou autre régime d’aide Subventionnement normal ou autre régime d’aide (mais gare à ne pas glisser vers des prestations de services ou une gestion de service public ou d’équipement public : la qualification de public du projet doit bien porter sur des activités et des équipements associatifs) - Délégation de service public si l’association gère un service public en se « rémunérant substantiellement » sur l’exploitation du service - Marché public sinon (sauf quelques dérogations) Marché public (sauf quelques dérogations)
Subventionnement normal ou autre régime d’aide
Cas d’une association transparente vis-àvis de la collectivité publique
Possibilité de confier la gestion d’un service public, ou des prestations de services, à l’association, sans mise en concurrence ni publicité. Mais l’association doit respecter des pans entiers du droit public qui la feront fonctionner presque comme une administration
NB : attention, divers textes imposent, dans des cas précis, des contraintes particulières ou des qualifications juridiques distinctes de ce que laisse à penser ce tableau.