ibilka
le magazine
Hors-Série n° 1 Euskaldunak munduan zehar
Histoire
Depuis le XVIe siècle, les marins basques fréquentent l’embouchure du Saint-Laurent. La Station baleinière basque de Red Bay vient d’ailleurs d’être inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Expédition
Dix ans après une première expédition, les rameurs de l’association Ibaialde ont défié le Saint-Laurent.
Destination Québec
Peio du Labrador Peio Clarisse, l’enfant d’Arnegi, court le monde. Nous l’avons rencontré dans le Grand Nord, à Labrador City. Récit d’une vie en train de s’écrire.
Charlevoix
C’est un petit coin de Québec où de nombreux Basques se sont retrouvés pour faire partager aux Québécois les plaisirs d’une gastronomie bien de chez nous.
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P2 I objet
Euskal herriko portuen blasoien gainean irudikatua da harpoia, behin betiko bale arrantzari lotuta. Bale arrantzak Eskualdunak eraman zituen Mundu Berriko lur ezezagunetara, gaur Québec delakoa.
Harpoia,
Le harpon, Elle souffle ! Elle souffle !
Ufatzen ! Ufatzen !
t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini
C
tio, Mutriku, Getaria, Ondarroa ou Bermeo. Balea, la ette vertèbre et ce harpon forgé à la main, baleine y croise à jamais harpoia, le harpon. Les peurs nous furent offerts par le dernier harponfurent les mêmes, du Spitzberg à Tadoussac, de Gaspéneur de Flores, une île des Açores où nous sie à Terre-Neuve les mêmes furent les attitudes, cette demeurâmes pour accompagner les derconfiance aveugle en le barreur qui, dansant d’une niers baleiniers. Pour avoir trop à cœur tout ce qui vit jambe sur l’autre, s’arc-boutant sur la barre, insulte sur la terre, dans le ciel et au fond des océans, ne pas mais exhorte ou cajole un équipage y voir un culte de la traque animale, tendu sur son banc de nage, dos tourmais ces objets nous relient à notre nés mais pas étranger au drame qui se histoire.« Guri ere ekharguzu hurbilMots clés / Hitz gakoak déroule. Voyez le harponneur, dressé lera balea, sehurkiago armaren lanbaleine : bale à la proue de l’embarcation, il attend datzeko kolpea. Biziarengatik dugu harpon : harpoi le tout dernier moment pour lancer le hirriskatzen bizia arren egiguzu haren baleinière : baleontzi harpon. Imaginez la déflagration qui gelditzeko grazia. » (Amenez-nous identifie la rencontre formidable, quand aussi à la baleine, pour lui porter plus le fer atteint le cétacé et que celui-ci dans des gerbées sûrement le coup. C’est pour mieux l’assurer que nous d’écume sonde vers les profondeurs tandis que sa caurisquons notre vie, faites-nous grâce de la conserver), dale, tout de muscle, balaie d’abord un air éclaboussé, dit la prière de Joanes de Etxeberri de Ciboure ( 1627). à défaut de la fragile baleinière soulevée comme un Nous savons le danger inhérent à cette traque qui n’eut fétu, avant que la mer n’avale le Léviathan. Et puis soujamais rien à voir avec l’affligeante chasse industrielle. dain, ce calme retombé sur une mer rougie et dont on Nous savons les risques encourus quand il s’agit, à sent bien qu’il n’est qu’éphémère. Enfin l’inexorable force de rames, d’isoler d’abord le cétacé de son banc, affrontement final avec le cétacé qui, contraint à la venpuis de l’approcher, victime propitiatoire. Nous avons tilation, blessé et fulminant, crève la surface. Ajoutez pu admirer toute une gestuelle ancestrale, héritée des à cela le déracinement… « Le chemin est long jusqu’à Basques, les mêmes qui ont inspiré Melville pour son Terre-Neuve, vers cette mer immense, aucun pont pour Moby Dick.Cette histoire, nous pouvons la lire sur les traverser ou pour sauver les marins.). blasons de Biarritz, de Guéthary, Hondarribia, Lekei-
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Diaspora
Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Cédric Pasquini, sauf p.4-5 : Johnathon Earle (chalupa) et DR : Red Bay National Historic Site/Unesco Couverture : Cédric Pasquini
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Chose promise, chose due ! Vous avez sous vos yeux, la surprise dont je vous avais parlée dans le précèdent numéro. Il s’agit d’un numéro hors-série qui vient se rajouter aux quatre numéros trimestriels d’IBILKA, et dont l’objectif est de vous emmener encore plus loin, à la rencontre de la diaspora basque qui comme vous le savez, est dispersée sur tous les continents. Ce numéro hors-série remonte dans l’histoire du peuple basque ou plutôt des pêcheurs basques, premiers voyageurs intrépides qui chassant la baleine, allaient jusqu’aux côtes nord-américaines pour y faire du commerce : huile ou chair de baleine contre peaux et aliments. Saviez-vous qu’après les Vikings, qui vers l’an 1 000 établirent un village à l'Anse aux Meadows sur l’île de Terre-Neuve et furent donc les premiers Européens à découvrir l’Amérique, les Basques accostèrent sur ces cotes dès la fin du XIVe siècle (un document islandais datant de 1412 précise la présence de baleinières basques au large du Groenland) soit près de cent ans avant Christophe Colomb et avant que Jacques Cartier remontant le Saint-Laurent en 1534, trouva une île peuplée par des Indiens Hurons, appelée « Hochelaga » par ses habitants, île qu’il baptisera « Mons realis » (« Mont royal » en latin) et qui deviendra le 17 mai 1642, la ville de Montréal.
L’idée de nous rendre au Québec pour ce premier hors-série consacré à la diaspora basque et à son histoire, nous est venue fin 2012 après qu’un ethnologue canadien, Brad Loewen, a fait une conférence à Toulouse sur l’histoire des contacts et des échanges Blancs-Amérindiens confirmant l’activité des pêcheurs basques et les premières rencontres avec les peuplades autochtones. Quand au même moment, nous avons appris que des rameurs de l'association Ibaialde d’Anglet, voulaient remonter le Saint-Laurent en juin 2013 commémorant ainsi la présence historique des pêcheurs basques, nous avons décidé de les accompagner dans leur expédition tout en profitant de ce voyage pour rencontrer d’autres Basques résidant de façon permanente au Québec ou dans les provinces canadiennes limitrophes. C’est avec beaucoup de plaisir que je vous propose de parcourir ces pages, car je ne doute pas qu’une fois de plus, votre étonnement sera grand. C’est également l’objectif de votre magazine IBILKA, principalement dans ses hors-séries, de vous montrer que le peuple basque a toujours bougé tout en restant profondément attaché à sa terre natale. À l’instar des pêcheurs sur la côte est du Canada, ou des bergers en Californie ou au Nevada, d’autres Basques sont partis vers l’Amérique latine et les générations qui en découlèrent, s’y sont parfaitement intégrées. Aujourd’hui encore, les jeunes Basques voyagent sans rechigner pour saisir des opportunités et parfois embrasser de belles carrières professionnelles. Où les rencontrerons-nous en 2014 ? En Asie, en Afrique, en Australie ? Nous en reparlerons… Bon voyage.
Jean-Paul Inchauspé Directeur de la publication
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P4 I HISTOIRE
Jacques Cartier aitzin, Euskal arrantzaleak Bada Historia ofiziala baina errealitate hstorikoa desberdina da. Dudarik gabe Canadara Cartieren etorreraren aitzin, Euskaldunak jada presente ziren Ameriketan.
t e x t e Txomin Laxalt
Les pêcheurs basques
avant Jacques Cartier
L
a traversée ne dura pas longtemps, 20 jours seulement, du 20 avril au 10 mai 1534, rappelle la chronique. Jacques Cartier vient mouiller au large de Terre-Neuve les ancres de ses deux navires pour 61 hommes d’équipage. À partir du 10 juin, le Malouin entreprend une lente navigation dans un golfe si vaste qu’il ne soupçonne pas qu’il puisse être l’estuaire d’un fleuve. Il lui faudra attendre son deuxième voyage, l’année suivante, pour en entreprendre sa remontée. L’histoire officielle a fait de l’explorateur breton, le découvreur du Canada dotant ainsi la France d’hypothétiques droits historiques sur un territoire encore vierge. La réalité fut autre et la vérité historique s’impose. Nordiques et Basques, depuis longtemps, souquaient ferme et harponnaient la baleine dans les eaux salées d’un fleuve qui ne portait pas encore le nom de SaintLaurent mais celui de Grand fleuve de Canada. La preuve la plus évidente on la trouve dans les écrits de Marc Lescarbot (1570-1642). Cet avocat, voyageur et écrivain, auteur d'une Histoire de la Nouvelle France, ancien nom du Canada, écrit en 1617 : « Et par un mot plus général on peut appeler Terre-Neuve tout ce qui environne le Golfe du Canada où les Terre-Neuviers indifféremment vont tous les ans faire leurs pêcheries ; ce que j’y ai dit d’être de plusieurs siècles. Et pourtant il ne faut qu’aucune autre nation se glorifie d’en avoir fait la découverte. Outre que cela est très certain entre
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noz mariniers, Normans, Bretons et Basques, léquels avaient imposé le nom à plusieurs ports de ces terres avant que le capitaine Cartier y allât. Quant au nom de bacaillos, il est de l’imposition des Basques léquels appellent la morue bacaillos et à leur imitation noz peuples de la Nouvelle France ont appris à nommer aussi la morue bacaillos. Et ont dès longtemps la fréquentation dédits Basques que le langage des premières terres est à moitié de basque. » (Livre III, pages : 228-229) Plus loin, Marc Lescarbot signale la rencontre de Cartier avec des Indiens Mics-Macs qu’il désigne sous le nom de Etchemin ou Souriquois, c’est ainsi qu’on les nomme encore aujourd’hui. Le Souriquois (de l’euskara zurikoa, celui du blanc), se rapporte à un pidgin amérindien basque qu’entendit Jacques Cartier. Les Indiens montagnais ont l’habitude de répondre en euskara : Apaiz hobeto ! (les curés mieux !) alors que l’on s’enquiert de leur santé. Des études ont recensé des traces de ce pidgin utilisé par les premières nations vivant dans cette partie du Québec ; ainsi on trouve encore : elege (errege) pour roi, endia (handia) pour grand, kea pour fumée, kezona (gizona) pour homme, echpada (ezpata) pour épée makia (makila) pour bâton et bien sûr le célèbre orignal (oreina) pour le cerf, animal emblématique du Québec.
la marque d'un forgeron basque retrouvée À red bay
la boucle est bouclée
C’est en 1972 que Selma Berkham, géographe et historienne, entreprend, pour le compte des archives du Canada, des recherches à la riche bibliothèque d’Oñati. Elle y trouve en particulier des documents originaux du XVIe siècle concernant les baleiniers basques. Son enquête l’entraîne dans le détroit de Belle-Isle, la BasseCôte-Nord du Québec, à Red Bay (Labrador) que les Basques dénommaient Butus. Grâce aux fouilles sousmarines menées sous la direction du plongeur Robert Grenier, chef du service d’archéologie marine de Parcs Canada, en 1977, est localisée l’épave du galion basque San Juan, jaugeant 300 tonneaux. Le navire chargé de sa précieuse cargaison d’huile de baleine, s’est englouti en 1565 par seulement 10 m de fond, suite à une violente tempête. Sous le galion est coincé une txalupa (baleinière), l’ensemble parfaitement conservé grâce aux eaux froides et au limon. 153 pièces sont récupérées et lyophilisées après immersion dans un mélange d’eau et polyéthylèneglycol. La baleinière, un petit trésor naval de 8 m de long pour 2 m de large, pouvant accueillir sept hommes (un barreur et six rameurs dont un harponneur) droit sorti d’un chantier basque du XVIe siècle, sera reconstituée et depuis 1998, on peut désormais l’admirer au Musée de Red Bay consacré aux Basques et à la baleine. Si le site est considéré comme faisant partie désormais du patrimoine mondial de l’Unesco sous le nom de « Station baleinière basque », c’est bien pour la mémoire dont il est porteur. Ces fouilles ont permis de récupérer dans l’épave du galion des objets appartenant aux marins, des barriques de chêne pleines d’huile ; à terre, de mettre à jour des fours à baleines et un cimetière. Des monceaux de tuiles servant de lest ont été récupérés ; analyses et datations, confirment une ori-
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Au mois de juin 2013, l'Unesco a inscrit, sur la liste du Patrimoine mondial, la station baleinière basque de Red Bay, installée par des marins basques au XVIe siècle sur les rives du détroit de BelleIsle. C'est un site archéologique qui constitue le témoignage le plus ancien et le plus complet de la tradition européenne de la chasse à la baleine.
Mots clés Hitz gakoak
Red Bay (Labrador) : Butus galion : galeoi hache : aizkora forge : aroztegi
gine basque. Autant d’exhumations qui ont permis de reconstituer une épopée qui entraînait chaque année quelque 3 000 Basques vers les eaux froides de TerreNeuve et du Golfe du Saint-Laurent. . Nicolas Denys (1603-1686), explorateur, marchand et industriel de la pêche au Canada, lieutenant général du Roi, dans sa Description géographique et historique des côtes de l’Amérique septentrionale, écrit en 1672 : « C’est en quoy les Basques ont bien de l’avantage, ayant de bons habits de peaux, ils vont rarement au marigot (se cacher pour ne pas travailler, N.D.L.R.) et sont peu paresseux et leurs chaloupes chargées que les autres pescheurs ne les ont pas à demy, aussi les appelle-ton tous sorciers… Tous ces reproches ne sont fondés que sur la haine que tous les pescheurs ont contre eux, parce qu’ils sont plus habiles à la pesche que toutes les autres nations. » Mais ce qui vient bouleverser toutes les études et balayer les doutes quant à une présence basque avant Cartier, c’est bien l’exhumation, en 2012, par l’archéologue canadien Ron Williamson de la tête d’un fer de hache parmi les milliers d’artefacts trouvés sur le site archéologique de Mantle (Whitchurch-Stouffville), un important village Huron datant du XVe siècle, situé 40 km à l’est de Toronto. Le travail du fer étant ignoré des premières nations d’Amérique du Nord, la pièce ne peut provenir que d’Europe. La présence de ce morceau de fer forgé daté de 1500, à ce jour le plus ancien trouvé en Amérique, soit bien avant la date de découverte officielle du Canada par Cartier, reste d’abord une énigme pour le chercheur. La découverte de la pièce, à quelque mille kilomètres en amont de l’embouchure du Saint-Laurent signifie que des contacts existaient vraisemblablement avant même la découverte de l’Amérique par Colomb (1492). Un grossissement de la tête de hache au microscope laisse apparaître un poinçon, la marque du forgeron, le même qui frappe des outils présents au Musée ethnographique de Zerain (Gipuzkoa) et provenant d’une des nombreuses forges répertoriées de la zone. Un film, Curse of the axe (la malédiction de la hache), réalisé par Robin Bicknell, raconte cette extraordinaire aventure. Horra, itzulia zerratua da eta egia leheneratua, voilà, la boucle est bouclée et la vérité rétablie.
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t e x t e Jean-Paul Bobin / p h o t o g r a p h i e s CĂŠdric Pasquini
Angeluko Ibaialde elkartearen proiektuak, Indianoak izenekoa, bale arrantzaleak izan zirelakoei - nonbait gure aitzinekoak - omenaldi bat bezala durundatzen du.
Je me
souviens
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Lore Goyetche À 26 ans, Lore avait envie de se lancer un défi. Alors, lorsque le projet de remonter le SaintLaurent à la rame entre Trois-Pistoles et Montréal a vu le jour, elle n'a pas hésité, elle qui ramait déjà depuis trois ans au sein d'Ibaialde. Un challenge essentiellement sportif au départ. « Je ne connaissais pas du tout cette histoire des chasseurs de baleines. J'avais envie de ramer dans un endroit sauvage et de partager une expérience en groupe. » Bien sûr, il y eut une certaine appréhension, « au début cela fait un peu peur », mais rapidement, les entraînements
L
e lieu de rendez-vous avait été fixé à Anglet, sur le parking de l'association Ibaialde, à 2h du matin. Matineux ou couche-tard, on ne savait plus très bien qui était qui, en ce 14 juin. La fatigue le partageait à l'exaltation. La traditionnelle cérémonie d'adieux était plus joyeuse qu'à l'accoutumée. Ceux qui restaient partageant la joie de ceux qui partaient. Peu a peu, le car se remplit. Un groupe de 35 personnes, rameurs (on devrait dire nageurs) et chanteurs de l'association, jeunes et moins jeunes, qui embarque pour un voyage de plus de 6 000 kilomètres jusqu'à Trois-Pistoles, via Montréal. Première étape Bordeaux Mérignac. Qu’ont-ils dans la tête en cet instant, animés par leur passion de la rame ? Pensent-ils aux marins basques, leurs ancêtres qui, six siècles plus tôt appareillaient pour la Grande Baie sur leurs baleinières, armés de leurs seuls harpons pour piquer la baleine, ou bien plus simplement se souviennent-ils de ceux qui, dix ans plus tôt, avaient eux aussi défié le Saint-Laurent ? Le projet est né quelques mois plus tôt « autour d'un comptoir », confesse Martxel Laborde, (on ne dira jamais assez ce que les aventures humaines doivent aux zincs !). Bien sûr, l'expédition de 2003 était encore dans toutes les têtes. On en parlait au sein de l'association. Mais l'envie était de monter un projet différent. Michel Lastiri était du premier voyage. Il explique : « Nous voulions montrer qu'au sein d'Ibaialde, nous pouvions encore monter des projets comme celui-là aujourd'hui. Mais il n'était pas question de refaire exac-
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aidant, c'est le plaisir qui prit le dessus. Et pas seulement celui de la rame. « Nous avons mis en place des commissions pour faire vivre le projet sous différents aspects : financier, logistique, communication, culturel… On se l'est ainsi un peu mieux approprié chaque jour. » Ainsi, Lore est-elle allée dans des collèges échanger sur les traînières et les baleines et a-t-elle, peu a peu, pris conscience de cette histoire, de son histoire. Les échanges avec l'Euskal etxea de Montréal, l'envie de découvrir le Québec et le plaisir de travailler tous ensemble ont fait le reste.
tement la même chose. Le but était de lancer un traînière mixte — elle ne l'était pas la première fois — et intergénérationnelle. » Alain Lanusse ne dit pas autre chose « Ce qui est intéressant, c'est de partager ». Voilà pour la philosophie. Restait toute de même à faire vivre le rêve, et notamment à boucler le budget de près de 150 000 euros€ et assurer toute la logistique avant le départ et pendant le séjour au Québec. Pour cette édition 2013 des chanteurs accompagnaient les rameurs. « Nous avions à cœur de faire partager notre culture à nos hôtes québécois, de leur offrir nos chants et notre gastronomie » explique Michel Lastiri. Ainsi pendant que les uns ramaient, les autres transportaient bagages et vivres. Une caravane itinérante entre Trois-Pistoles et Montréal.
L'aide de l'euskal etxea
L'assistance de l'Euskal etxea de la capitale du Quebec aura été déterminante dans le montage de l'opération. Adélaïde Daraspe, sa présidente explique : « La démarche échange culturel, musical, culinaire…, m'intéressait et était dans l'esprit de l'Euskal etxea. C'était valorisant d'exporter la culture basque en dehors de Montréal. Nous avons décidé de les aider et j'ai pris les contacts pour toutes les villes étapes. » Un travail d'organisation au long cours, certaines villes se désistant après avoir accepté, pas facile non plus de trouver des lieux d'hébergement suffisamment grands pour accueillir 35 personnes. L'Euskal etxea s'est appuyée sur des relais locaux, trouvés souvent grâce à Face-
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Des fourmis dans les pelles, chacun avait envie d'en dĂŠcoudre enfin avec le Saint-Laurent
Tommy Boivin
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book. C'est en effet sur le réseau social que Michèle Chouinard, responsable du Défi International des Jeunes Marins eut vent du projet Indianoak. « J'ai vu le projet sur Facebook et j'ai envoyé des messages pour proposer notre aide. C'est ainsi que Gilles Simard est entré en contact avec Momo, le responsable “navigation” d'Indianoak et lui a envoyé une grille des marées. Il est même allé vérifier les étapes à marée basse pour faire des photos. Pour l'hébergement à Québec, c'est aussi grâce au réseau et à l'appel aux Basques locaux que nous avons pu, avec Adélaïde, nous faire prêter suffisamment de tentes pour héberger tout le monde ».
se confronter au fleuve
En posant le pied sur les tarmac de l'aéroport de Montréal, rameurs et chanteurs d'Iparralde et d'Hégoalde, malgré la tension toujours inérante à l'approche d'un grand événement, devaient certainement se sentir sécurisés par tant de solidarité. L'accueil de Trois-Pistoles quelques heures plus tard devait les rassurer totalement. Cette ville située à près de 500 kilomètres à l'est de Montréal n'avait pas été choisie au hasard. D'une part elle fut le point d'arrivée de l'expédition de 2003 partie de Sept-Iles. « Il fallait finir le travail en reliant Trois-Pistoles à Montréal », explique Jacques Laporte. « J'y étais il y a dix ans. Je suis passionné par le Québec, par les Indiens et ému par cette symbolique de remonter le Saint-Laurent jusqu'à Montréal. » D'autre part Trois-Pistoles se trouve dans cette région du bas-Saint-Laurent appellée Les Basques, et au large de la ville se trouve la célèbre Ile aux Basques. Rafael Zulaika, l'un des 26 rameurs, par ailleurs directeur du Musée Basque de Bayonne expliquait ce choix, avant le départ, dans un quotidien régional : « Cette région se nomme le pays des Basques. Notre objectif est de contribuer à la construction de cette histoire et à sa restitution. Et de la raconter aussi aux habitants de la région qui ne savent pas toujours pourquoi ce pays s'appelle le pays des Basques. » Et comme la municipalité de Trois-Pistoles avait
décidé de faire coïncider le départ de l'expédition avec l'inauguration de la nouvelle muséographie — un tantinet kitsch tout de même — du PABA, le Parc de l'aventure basque en Amérique, ce fut donc la fête à Trois-Pistoles avant le départ, avec discours d'officiels, ripailles et chants…,basques bien sûr. Rien ne fut laissé au hasard et même religion et syncrétisme s'unirent, la première pour bénir la traînière en l'église de la ville, la seconde pour la purifier à la sauge à travers une cérémonie rituelle au bord du fleuve. Une liturgie menée par Stephane et sa compagne Anick, un couple amérindien. « Quand deux peuples se rencontraient ils se purifiaient ainsi pour éviter les épidémies. » Des fourmis dans les pelles, chacun avait envie d’en découdre enfin avec ce Saint-Laurent qui les défiait d’une houle moqueuse depuis leur arrivée. La présence de l’Ile aux Basques à quelques kilomètres au large donna l’occasion à une première bordée, barrée par Paula, de se frotter aux eaux irascibles de ce fleuve hors du commun, véritable mer intérieure qui en certains endroits affiche plus de 100 kilomètres de largeur. Éreintés, rincés, ils revirent plus déterminés que jamais à en découdre avec leur adversaire. Douze étapes pour rallier Montréal et une feuille de route calibrée à la minute près, comme un lancement d’Ariane, pour saisir les meilleures opportunités face aux marées. Passée l’exaltation du départ, chacun aura dû apprendre à vivre avec le groupe et avec ses maux, comme en témoigne l’arrivée à BaieComeau, mélange d’allégresse, celle des chanteurs et accompagnateurs entonnant un étonnant et intraduisible, pour les Québécois, Paquito Chocolatero ; qui contrastait avec les visages tendus des nageurs. Des conditions de navigation très difficiles, un horaire explosé de plus de 3 heures et une cohabitation ora-
Alain Lanusse Il a participé à la première expédition et constate avec plaisir « Dix ans après, le noyau est toujourslà. » Aussi réservé en public, qu'il fut précieux en privé pour l'organisation de cette deuxième expédition, Alain Lanusse fait un peu office de sage. Il en sourit, précisant, « c'est important d'entraîner des jeunes dans la galère ! » On ne sait pas s'il fait allusion à l'expédition passée ou bien métaphoriquement à l'embarcation. Son moteur c'est le partage, cette envie de transmettre à la fois aux jeunes nageurs (rameurs) d'Ibaialde, mais aussi à ceux du Quebec qui se joindront ponctuellement à l'expédition, et à tout ceux qu'ils rencontreront en dehors des flots. « Cette année
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c'est un groupe mixte, avec des très jeunes et de plus âgés, avec des hommes et des femmes, et avec des chanteurs et des musiciens aux côtés des nageurs. Et, tous ensemble, nous offrirons cette traînière à l'Euskal etxea de Montréal. » C'est ce projet, autant culturel et gastronomique que sportif, qui a séduit Alain qui confesse avoir ressenti une grande émotion, « lorsque j'ai entendu la petite Quebécoise chanter en euskara ». Pudique, il n'en dira pas davantage, déjà happé par les tâches quotidiennes de l'organisation et gêné d'être ainsi mis en avant.
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La traînière est composée généralement de 13 rameurs et d’un barreur. Le barreur et le banc 1 imposent la cadence : 20 coups/minute en moyenne sur le Saint-Laurent. Sur les bancs 2,3 et 4, officient les plus puissants. Les bancs 5 et 6 stabilisent le bateau. Sur le dernier banc se tient le proel, il utilise un aviron plus court à la pelle plus large ou espaldin lequel mesure 2,10 m.
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Iker Goñi Iker Goñi est natif de Getxo. C’est peut-être pourquoi il se retrouve à ramer aux côtés de ses frères d’Iparralde sur le grand fleuve québécois. Il faut ajouter à cela des accointances entre l’Euskal etxea de Montréal et celle de New York dont Iker est le secrétaire rémunéré, au moins durant cette année de la célébration du centenaire. Les études l’ont conduit en Amérique du Nord et l’envie de ne pas rompre avec Euskal herria, à fréquenter les associations basques. L’écho du projet Indianoak, l’occasion de vivre trois semaines enthousiasmantes, l’ont poussé
à partager le banc de nage sans avoir jamais goûté à la rame. « Un pari qui se traduira par un apprentissage sur le tas qui ne m’effraie pas outre mesure même si je sais que je connaîtrai des heures difficiles. Comme secrétaire de l’Euzko etxea cela fait partie aussi du développement de nos relations avec les autres associations », commente-t-il. Aux côtés de son complice Mintxo, originaire de Iruñea, — ils sont tous les deux txalapartari et participent à ce titre aux animations musicales d’Indianoak — Iker a la ferme intention de souquer jusqu’à Montréal.
La vie d'un groupe c'est un apprentissage, il faut prendre son mal en patience, rien n'est grave geuse avec les rameurs québécois invités du jour. Peu de témoignages en sortant de la traînière, mais des silences accusateurs. Le soir, au Mouton Noir, buffet et chants avaient rasséréné les esprits. Gobelottant un verre de rouge, Mathieu pouvait confesser : « j’ai ramé six heures, non stop, on en a chié, c’était terrible, une étape très difficile, on a oublié de s’encourager mutuellement, c’était chacun pour soi. » Érika qui passe tout près préfère ne rien ajouter pour ne pas être déplaisante avec ses rameurs néophytes qui ne voulurent rien écouter. Mathieu ajoutera juste : « La vie de groupe c’est un apprentissage, il faut prendre son mal en patience, rien n’est grave. » Tout proche, virevoltant d’un groupe à l’autre Ernest Behaxeteguy, un Eskualdun de Montréal, qui suit l’expédition depuis Trois-Pistoles, relativise les choses convaincu que seul les bons souvenirs resteront. Au Québec depuis 1968, il ne manque pas une occasion d’affirmer son identité basque, heureux de déguster les plats concoctés par Michel Lastiri et sa petite équipe, et reprenant les chansons du chœur d'Ibaialde, tandis qu'Adélaïde, comme pour lui donner raison distribue à chacun un tee-shirt et un bérêt souvenirs
apprendre sur soi
C’est aussi cela l’expédition Indianoak, une rencontre entre les membres d'Ibaialde, les Basques du Québec et les Québécois, souvent interloqués par ces rameurs du Vieux continent, mais toujours ravis, comme Tommy Boivin, un auteur-compositeur local qui accueillit la
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traînière avec un chanson-hommage de sa composition. Michel Lastiri insiste sur le succès, à chaque étape, de l'atelier de tapas. « Nous voulions proposer un atelier de cuisine du SudOuest, mais c'était trop lourd, alors nous nous sommes rabattus sur le gâteau basque et les tapas, à base de produits apportés de chez nous, jambon d'Oteiza piment d'Espelette, fromage de brebis… Je fais la cuisine avec des bénévoles, c'est un échange, je leur montre les bases de la cuisine basque et nous l'adaptons aux produits locaux. » Des souvenirs comme celui-là, ils en ont en pagaille. Des bons, telle cette une nuit passée dans un musée ou cette enchanteresse arrivée au très sélect Yacht Club de Québec et le passage sous le mythique pont de la ville ou encore la découverte de soi-même pour Érika, « on puise en soi, on découvre des forces qu'on ne soupçonnait pas. Ce que nous vivons nous rapproche. » Des douloureux parfois comme ce jour où la traînière fut dépalée par le courant, ou ces souffrances des mains et de l’entrefaçon, maux récurrents des rameurs ; mais surtout de très joyeux moments. « Ce n’est que du bonheur. J’estime que c’est un privilège de partir sur les routes de nos ancêtres », conclut Didier. Nul doute qu'à l'instar de la devise du pays hôte « Je me souviens » gravée par Eugène-Étienne Taché pour célébrer le passé et ses leçons, ses malheurs et ses gloires, l'équipage d'Ibaialde n'aura qu'à relire le livre de bord tenu au jour le jour par René pour se remémorer cette aventure unique. Alors, rendez-vous dans dix ans ?
Mots clés Hitz gakoak
traînière : trainerua défi : apustu rame : arraun souvenir : oroitzapen
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini
Euskal herria,
sur la route des saveurs Charlevoix, Quebec-eko lurralde eder horretan Euskal herriak leku aproposa aurkitu du ahosabaiaren zaporeen defendatzeko.
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ar l’encadrement de la fenêtre, un dodelinement de montagnes, une coulée verte, un environnement qui faisait furieusement songer, pourquoi pas à Bostmendieta ? Au mur, des reproductions de Ramiro Arue, des vues de Saint-Jean-de-Luz et dans l’assiette une cuisse de canard confit façon Baigorri avec, vous savez, la peau grillée à souhait qui propulse sur la langue, quand on la croque, juste ce qu’il faut de graisse goûteuse pour accompagner une viande tendre. Ajoutez à cela une piperade fricotée maison, un moment inoubliable pour nos palais, trop bien habitués, trop gourmands peut-être, sur le point de s’étioler pour cause d’une nourriture contrainte et par trop anglo-saxonne. Car un regard plus appuyé par la fenêtre en question n’aurait abusé personne plus longtemps : pas plus de
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Bostmendieta que de sirop d’érable en branche à Irati. Il ne s’agissait cependant pas de bouder son plaisir. La région québecoise de Charlevoix se révèle un petit paradis champêtre de 6 000 km² pour quelque 30 000 habitants, ceint de montagnes sur la rive gauche d’un Saint-Laurent qui, ici, commence à élargir sérieusement ses hanches. Un paysage grandiose qui doit sa configuration originale à une météorite géante qui eut la riche idée de s’y fracasser, excavant le cratère le plus grand de la planète, dit-on, et au fond duquel, au XVIIeᵉsiècle, les pionniers, parmi lesquels nos ancêtres pêcheurs de baleine, érigèrent cabanes, fours à baleine et comptoirs de peaux. « On peut dire de ce peuple qu’il est neuf et qu’il a envie de connaître, de se risquer à de nouveaux goûts, à se confronter à une vraie cuisine », ainsi Isabelle Etcheberrigaray justifie-t-elle l’incroyable gageure. Et quand on se risque à évoquer les anti foies gras, elle répond sans aucune rancœur : « s’ils l’emportent et bien nous ferons autre chose ! », preuve de cette capacité d’adaptation en terre pionnière !
ikurriña et lau buru
Ils surprennent et pincent toujours le cœur du Basque en voyage quand il les croise sur son chemin. L’ikurriña et le lau buru se détachaient sur la façade de bois, blanche, d’une traditionnelle maison canadienne — nous apprendrions plus tard qu’il s’agit d’un petit trésor architectural du XIXe siècle — et annonçaient
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La Ferme basque d'Isabelle et Jean-Jacques (ci-dessous, à droite) est une étape sur cette route des saveurs à laquelle s’est identifiée la région de Charlevoix.
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Didier s’est lancé dans la fabrication biologique de fromage de chèvre. Elles accourent au seul appel de leurs noms. Son bouc s’appelle… Moscato, ses favorites, Irati, Pantxika, Eki, Lapurdi, Bizkaia… une autre manière d’entretenir un indéfectible lien avec ses origines.
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La Ferme basque, un peu en retrait de la route au niveau du village de Saint-Urbain. Pas une de ces vitrines souvenirs mais un authentique comptoir du Pays basque. Au-dessus de la porte du magasin, une phrase annonce, à défaut de la couleur, le plumage : Ahatea, eder airean ederrago mahainean (le canard, beau en vol, plus beau dans l’assiette). Et si l’on en doute, il suffit de suivre Isabelle Etcheberrigaray, la maîtresse des lieux, née au Nouveau Monde mais d’un père de Zuraide (Lapurdi) et d’une mère de Lakarra (Nafarroa-Beherea). Dans cette légation gourmande d’Euskal herria, 3 500 canards mulards sont élevés à l’année dans les règles de l’art, à savoir durant 13 semaines, gavés 14 jours et nourris au maïs avant abattage et découpage. En attendant, ils batifolent et cancanent en toute liberté. Un de ces paris qui ne peut-être lancé que dans ces pays jeunes où tout demeure possible. Une authentique aventure, conjonction d’une rencontre et d’une envie de s’investir. La rencontre ? Amoureuse. Celle d’Isabelle et de Jean-Jacques Etcheberrigaray, directeur général du Manoir Richelieu, le palace de La Malbaie, la riante commune voisine. Ces deux-là se sont croisés il y a 25 ans à Vancouver, tous les deux évoluant professionnellement dans le milieu hôtelier. Une heureuse mutation à La Malbaie pour Jean-Jacques, une envie d’exprimer ses origines pour Isabelle et, en 2003, La Ferme basque voit le jour. Une réussite. « Aujourd’hui 80 % de notre clientèle vient de Montréal, nous sommes devenus une étape sur cette route des saveurs à laquelle s’est identifiée la région avec entre autres boulangers, chocolatiers, affineurs une cidrerie, des vergers. »
L'ikurriña aura flotté deux fois
Ne pas croire que tout fut simple cependant. Un soir, à l’heure propice des lampes, alors que nous devisions entre gens du pays — il y avait José-Antonio Elizondo, originaire du Baztan, transporteur à Québec, trop heureux de pratiquer l’euskara et de pousser quelques refrains — Jean-Jacques avait raconté son arrivée à Vancouver, les soirs de samin (blues) couché sur le lit, une bouteille de vin à portée de main, à ruminer son écartèlement entre un Pays basque laissé derrière lui et une nouvelle vie à bâtir. Aujourd’hui, le directeur du Manoir Richelieu, père de deux petites filles, Izar et Alaia, sans plus rien regretter, se plaît à cultiver les arpents du pays natal. L’ikurriña aura flotté deux fois sur le toit du palace qui domine le Saint-Laurent, en ses 114 années d’existence. En 2006 d’abord quand la baleinière Apaizak hobeto des cousins d’Hegoalde descendit le grand fleuve jusqu’à son embouchure, jusqu’à Red Bay et ce matin-là, au passage d’Indianoak. « Symboliquement le geste était important ; le Québec ne s’est-il pas construit à partir du Saint-Laurent ? » Mais la soirée n’aurait pas été complète sans la présence de Didier Luberriaga (Biarritz, 1967), étonnant et attachant personnage. Nous avions tenu à le rencontrer chez lui, dans sa maison de rondins du XIXe, une bâtisse
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ici, pas besoin de diplôme, chacun a sa chance droit sortie d’un roman de Fenimore Cooper, posée au creux d’un vallon à Saint-Agnès (Malbaie), où se baguenaudent loups et ours — « pas moins de 10 au km² », nous avait précisé la gardienne du parc des Grands Jardins — et où l’on entretient le souvenir à travers ces vieilles granges de bois dégingandées qui fleurent bon la trappe et les postes de traite. Alors qu’il nous accueillait sur le perron, nous lui avions, histoire de lui parler du pays, entonné un vibrant… « Allez, Allez, les Bleus et Blancs de l’Aviron Bayonnais » qui n’eut pas l’heur de lui déplaire puisqu’en compagnie de Fanny, sa compagne… bayonnaise, nous partagions bientôt quelques verres d’un excellent crianza. L’ancien pilier gauche et 2e ligne du B.O avec des mots pudiques nous contait l’attachante histoire d’un rêve de gosse en train de se réaliser. « J’ai besoin des grands espaces ; le froid, la neige tout cela fait partie du rêve. Ici tu n’es pas agronome, ou peu diplômé, on te donne ta chance, tu trouves facilement et à bon marché des terres, l’esprit pionnier demeure. » S’il n’est pas agronome, c’est cependant fort d’une formation acquise en vallée d’Ossau que Didier s’est lancé dans la fabrication biologique de fromage de chèvre « des animaux Mots clés fantastiques ». Hitz gakoak Didier, à la carrure de grizzly, ne dissimule rien de la réalité et des difficultés rencontrées canard : ahate et surtout ne s’en laisse pas conter. À ceux chèvre : ahuntz qui parfois osent l’invective peu amène saveur : zapore de « maudit Français », servie parfois aux souvenir : oroitzapen nouveaux arrivants, il réserve un cours d’Histoire à sa façon : « tes ancêtres étaient sans doute putains ou bagnards », ce qui clôt généralement toute polémique. Didier préfère se tourner vers l’avenir et table déjà sur une centaine de sujets en lactation avec 9 000 kilos de fromage à la clé. Nous l’abandonnons à l’heure de la traite, sur l’évocation de son grand-père, originaire de Bera, un jour peut-être, là-bas… et sur cette conviction qui le rend plus fort, celle de marcher sur la route des anciens.
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Peio du bout de la terre Peio, lurrako muturrekoa, txapela buruan eta ibili munduan Peio d'Arnégi a traversé l'Océan pour venir, chercher bien plus que du fer. Dans ce pays hors dimension, il a trouvé sa place, celle d'un homme convaincu que sa détermination et ses compétences sont ici, au Canada, son meilleur viatique.
Peio Clarisse venu de sa Basse-Navarre jusqu'à Labrador-City pour y chercher beaucoup plus que du fer : le sens de sa vie.
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’Arnegi quartier Ondarolle, Basse-Navarre, à Labrador-City, Canada, un océan, un continent et une route, la 389, un de ces improbables rubans routiers qui scarifient la peau du monde pour transporter des hommes, du matériel et les produits curés jusqu’à l’os de la terre dans l’aphonie des grands espaces et ici jusqu'aux terrasses de l’une des plus grandes mines de fer à ciel ouvert du monde. Peu prisée des touristes parce que longue, inconfortable et pas sécurisée au sens où l’entend la sécurité routière, elles nourrit l’imaginaire et raconte des destinées anonymes mais peu banales, à l’image de celle de Peio Clarisse avec qui nous avions ren-
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dez-vous. Pour retirer tout le suc de ces trimards, il suffit de secouer la poussière qu’ils soulèvent. À l’annonce de notre venue, Peio Clarisse, vaguement incrédule, nous avait adjoint en cas de besoin naturel à satisfaire, de demeurer près du véhicule, moteur allumé, la rencontre inopinée avec un ours noir, en ces contrées une espèce plus fréquente que l’homme, imposant un plan de retraite rapide. Pour le reste, il nous souhaitait bonne route et nous attendait goxo goxoa mais de pied ferme cependant, à Labrador-City, son atelier à ciel crevé.
le début de l'aventure
Le Saint-Laurent fut franchi là où, grand comme une mer, au niveau du fjord de Saguenay, il s’avise de faire le gros dos. Rive gauche de l’emblématique fleuve
s’ouvrant déjà en estuaire, la route est encore débonnaire, dévoilant d’un côté, par l’échancrure d’une sapinière touffue, l’œil rond d’un lac et, de l’autre, une crique enchâssée, une ria envasée et criblée de rocs polis comme des pipes. L’aventure, la vraie, commença à BaieComeau, kilomètre zéro de la 389. BaieComeau, une ville de préconfins, qu’essaiment les motels et les stations-service lesquelles viennent rappeler au candidat désirant rejoindre le Labrador par la 389 que la prochaine pompe se trouve à… 259 kilomètres ! La vue d’un autocollant apposé sur la lunette arrière d’un 4x4 empoussiéré annonçant triomphant : J’ai survécu à la 389, nous fit éclater du rire forcé adopté par ceux qui viennent de comprendre qu’à l’image du SaintLaurent que nous abandonnions pour les terres ensauvagées du nord, l’itiné-
Les camions du Nouveau Monde, mastodontes chromés, sont les seigneurs incontestés de la piste. À droite, une de ces
pourvoiries, chalet-musée décoré de trophées de chasse.
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raire obligé ne serait pas un long fleuve tranquille… Mais n’allions-nous pas à la rencontre d’un Basque qui avait choisi l’extrême pour se réaliser ? Le parcours se devait d’être aussi aventureux que celui du personnage qui nous attendait au bout du chemin. Nous affrontâmes alors les camions du Nouveau Monde, mastodontes chromés, hauts sur roues, plutôt larges de hanches et longs comme un dépassement sans fin, sei(ai)gneurs de la 389. Quand ils ne transportent pas les grumes, ils déplacent des maisons car, ainsi que nous le précisera Peio, la population de ces terres du bout du bout, varie selon le cours boursier du produit exploité. Ceci pour préciser que sur la 389, le croisement relève de l’art de se rabattre et le doublement de celui d’en conserver sous la pédale ! La Manicouagan, un nom qui résonne comme un coup de tomahawk iroquois sur la tête d’un colon. La rivière ne court plus
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Le plus grand barrage à voûtes multiples du monde libre depuis les années soixante quand le plus grand barrage à voûtes multiples du monde, Manic 5, y dressa sa masse de béton haute de 360 m, un chantier formidable qui présida, entre autres, à la construction de la 389, à la venue d’ouvriers du monde entier et inspira à Georges Dor, La Manic, l’immortelle chanson chère au cœur de tout Québécois. La chanson pour se donner du courage et une pensée pour Peio, digne descendant des chasseurs de baleines et des bergers qui allaient au-devant de l’inconnu. Une
fois doublée la retenue géante, nous abordions la poussière de la piste, attentifs à la jauge mais aussi à un paysage d’une époustouflante beauté sauvage. Ici, au-dessus du 50e parallèle, les forêts de sapins et d’épinettes courent à perpétuité, rivalisent avec la taïga qui déroule son tapis de lichens. En juin, le froid y est encore mordant mais le moustique déjà agressif. Quand l’épaisse forêt primitive s’accorde une trêve, elle se déchire sur des myriades de lacs dont la lumière du soleil, reflète tantôt des eaux noires comme autant de miroirs maléfiques, tantôt des eaux d’un bleu pacifique. Parfois, majestueuses, effusant d’on ne sait où, roulant des eaux spumeuses, des rivières presque fleuves scindent le mascaret sylvestre. Elles nous contraignent à emprunter d’étroits ponts de bois, capables cependant de supporter le poids des pachydermes à moteur, les-
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quels quand nous les croisons sur la piste, nous enveloppent sans compassion dans de désorientants linceuls de poussière. Le spectacle d’une nature somptuaire ne nous faisait pas oublier les conseils de Peio : « N’oubliez pas surtout de vous arrêter à Relais-Gabriel, dernière station avant le Labrador. » Le traditionnel café lavasse est l’occasion de s’abandonner à l’ambiance d’une station-service de finitude. Serveuses fortes en gueule mais avenantes, routiers à lunettes noires, bandanas et tatouages mais finalement bonhommes et obligeants ; nous avions enfin mis des visages et des voix sur nos bourreaux ! Après Gagnon, ville minière et fantôme depuis 1985, nous franchissons le 51 e parallèle. La noria des camions se fait plus dense, nous avons enfin récupéré le macadam et, réservée au transport du minerai, une voie ferrée coupe régulièrement la route. Le paysage se fait plus montagneux, des sommets arasés par des mines à ciel ouvert barrent un horizon cendreux ; préfabriqués et conteneurs essaiment. Nous devinons des cités piquées dans un environnement tourmenté :
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Fermont, Wabush, Labrador-City, trois villes sœurs même si, entre Québec et Labrador-New Foundland (Terre Neuve), une vague frontière et une langue les séparent. Le parking du Tim Hortons, la cafet’ nationale où toute journée débute et s’achève. Un 4x4 balèze garé, un grand type en descend sanglé dans un vêtement de travail, baudrier fluo croisant la poitrine et pompes de sécurité aux pieds ; un tonitruant « Egun on deneri. Je n’y croyais pas ! » Pas de doute, c’est la fin du voyage.
venu d'Ondarolle
La bière le soir, on le sait, est propice aux confidences et, passé le moment de surprise : « On promet toujours de venir me voir mais au vu de l’expédition, tout le monde se dégonfle ! », Peio Clarisse ne se fait pas prier pour satisfaire notre curiosité. « Vous vous rendez compte du chemin parcouru ? Moi, un
petit Basque avec en poche un modeste BEP de mécanique agricole décroché à Mauléon, je me retrouve chez Cat’ ( Caterpillar ), responsable de la mise en place du matériel et du suivi technique sur l’une des plus grandes mines à ciel ouvert du monde ! » On s’en doute, cela ne s’est pas fait tout seul, nous le découvririons au fil des heures passées à ses côtés. Toujours le sourire, Peio, toujours goxo goxoa, son expression favorite adoptée comme une devise. Elle n’occulte en rien une force de caractère nécessaire pour ne pas déroger à des principes de vie et à des perspectives professionnelles ambitieuses autant que téméraires. Il les entretenait depuis son enfance, là-bas, à Ondarolle quand il aidait à la ferme en pensant déjà que sa vie serait dédiée aux grands espaces. Ce qui le différencie de ses ancêtres basques ? Quand eux émi-
Quand le macadam s'arrête, c'est la piste, en terre et poussiéreuse qui prend le relai sur plusieurs dizaines de kilomètres, parfois damée à notre grand bonheur.
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grèrent par nécessité, lui paria sur l’ailleurs. Il avait choisi Smokey Mountain, de modestes sommets pour un panoramique décoiffant sur les quatre grandes mines scarifiant l’horizon sur lesquelles il opérait. Wright exploitée par Arcelor Mittal, Wabush-Mines et Bloom Lake par Cliff et IOC Labrador par Rio Tinto, les trois géants miniers dont on sait que les politiques varient selon les continents et les opportunités. De là-haut, la terre semble usée à force d’être fouaillée et autour, des lacs encore et de la forêt toujours mais pour combien de temps ? « Il faut le voir de ses yeux, je n’aime pas trop raconter pour ne pas faire l’espantu (extravagant) », nous confiait-il, guettant nos réactions du coin de l’œil. Comme un seigneur fait visiter son royaume, Peio nous avait concocté un tour en hydravion. Sous les ailes, un trésor lacustre s’étirait à l’infini ; l’eau le disputait à la forêt et à de vagues montagnes. Un territoire peuplé seulement d’ours, de loups, de coyotes, d’orignaux, parcourus par des
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un territoire seulement peuplé d'ours, de loups et d'orignaux hommes qui, entre leurs 12 heures de travail à poste et une poignée d’heures de sommeil, meublent leur solitude ou leurs loisirs grâce à la trappe et aux récits de chasses et de pêches fabuleuses. Et au mitan, omniprésentes, les béances minières laiteuses qui ici arrachent 40 % de la production mondiale d’hématite spéculaire appelée aussi… spécularite, autre nom d’un excellent minerai de fer. Plus de 10 000 personnes, la population fluctue selon l’offre et la demande, venues pour tenter d’infléchir un destin obstinément morose ou simplement pour tenter l’aventure, vivent à l’année à Wabush, Fermont ou à Labrador-City, cités pionnières dont les rues tirées au cordeau alignent des maisons dont on devine que les murs
respirent à l’éphémère. Alors qu’il nous conduisait vers le grand chantier, Peio avait tenu à préciser : « Je vis pour l’expérience pas pour le pognon. » Une expérience qui, après une tentative dans le transport international, le mène en Afrique vers le Bénin et le Cameroun en 2002 et 2003 pour participer au Volontariat International en Entreprise chez Vinci Construction… Partir toujours. En 2003 le besoin des grands espaces le conduit au Chili, en 2004 en Jamaïque, en 2005 enfin, au Labrador. Il nous presse de garer le véhicule sur le bord d’un lac aux eaux tranquilles : « venez, je vais vous présenter, vous allez mieux comprendre. » La maison est en rondins et la pièce de vie où le poêle ronfle à perpète, résume ce qu’il est venu aussi chercher dans ce pays. Chez Edgard, trappeur et guide de son état, les murs sont tendus de peaux d’ours, arborent têtes de loups
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aux canines évocatrices, saumons naturalisés, un rêve halieutique et, axe totémique, le poteau central de l’habitation déploie les andouillers démesurés d’un caribou maous. Présentations faites, café oblige. « Après mes heures de boulot, je n’ai plus qu’à sauter dans mon 4x4 ou l’hiver sur ma moto neige et ce sont des heures exceptionnelles de chasse, de pêche et d’amitié partagées dans la pourvoirie (chalet) de l‘un ou de l’autre dans un environnement exceptionnel. Où trouverai-je cela ailleurs ? » Les journées de travail ? Elles sont longues et harassantes, modulables mais elles ne font jamais moins de 12 heures. La paie est à la clé, mais les cadences impitoyables. Dans les rues de Wabush ou de LabradorCity, on ne déambule guère, hommes ou femmes, tous partent pour le travail ou en reviennent. Les vêtements ne trompent pas, toujours les mêmes : des godasses de sécurité, celles qui résistent à une température de – 100° ! Pas de costard cravate mais la salopette et lunettes de sécurité, quant au couvre-chef, il semble ici universel, on ne troque sa casquette améri-
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caine que contre le casque de chantier. Vorace, la mine ne s’arrête jamais.
cadence impitoyables
Mont-Wright. Nous pénétrons entre les lèvres de la plaie pulvérulente. Peio s’y meut comme l’artiste dans son atelier. Il nous conduit dans l’antichambre, vers ses bébés : des colosses flavescents hauts de six mètres pour des roues de quatre et qui tournent 8 000 heures par an ! Nom de baptême ? Caterpillar 7-9-7 F. Poids ? 400 tonnes, ils peuvent en embarquer 300 d’un coup de benne ! Le bébé biberonne 300 litres à l’heure et coûte la bagatelle de cinq millions d’euros, le chantier en compte 56. Quand il aime, Arcelor Mittal ne compte pas. Peio nous invite à grimper dans les enfléchures du monstre. Un petit tour ne se refuse pas, non ? « Pur produit Caterpillar, j’ai été formé par ses soins, une opportunité extraordinaire qui
m’ouvre les portes des plus grands chantiers du monde ! J’ai saisi ma chance comme les autres car ici on ne regarde pas l’origine mais les compétences. » Peio assure le sevrage du petit, c’est-à-dire qu’avec 10 personnes, il lui faut bien trois à six semaines pour assembler le véhicule qu’il réceptionne en pièces détachées. Après, « faut qu’ça tourne », la panne est interdite ou alors décelée, analysée et réparée sur le champ : « même au cœur de l’hiver quand tu te cognes la neige et du – 60°, un froid qui t’arrache jusqu’au lobe de l’oreille mais tu y arrives, goxo goxoa ! » Peio n’y plonge pas les mains mais y engage le corps, il en connaît jusqu’à la dernière des goupilles et réagit à l’imperceptible variation d’un moteur rompu à résister aux conditions extrêmes. Nous l’accompagnons au cœur vibrionnant de la ruche où travaillent 1 600 personnes, un sillon profond de 400 m et
Des camions de plus de 400 tonnes, hauts de six mètres, qui consomment près de 300 litres à l'heure !
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long de 11 km — ici sont traitées 20 millions de tonnes de concentré de minerai de fer à l’année et on est assis sur sept milliards de tonnes — sillonné par la noria des camions. Coléoptères à la tâche, chargés à refus, ils se hissent obstinément, goxo goxoa, par les infinis lacets de la mine, jusqu’au rebord carié du gouffre avant de s’y précipiter à nouveau dans un ballet mécanique parfaitement orchestré. Sourire satisfait aux lèvres, Peio apprécie et résume : « C’est simple : on fait péter, on ramasse, on casse, on concasse et on sépare. » Le bras de la pelle, un autre centaure de 16 m, qu’il connaît jusqu’au tréfonds des entrailles, relié directement par cable électrique au barrage voisin, dépose délicatement de son godet sans seulement l’effleurer, 40 m³ de minerai dans la benne du Goliath. Casques remisés, sonnait l’heure de faire le tour des amis : un verre de vin chilien chez José et Virginia, ingénieurs vénézuéliens, déracinés comme lui, chez
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Peio trace son chemin à travers le monde, Goxo Goxoa Richard Bernatchez, ça ne s’invente pas ! Fine gâchette, un chouïa braco. Indien Inuit… mâtiné de Basque par un grandpère aventurier, Richard est rudement fier de ce métissage. Verre de pastis en main, Peio avait bousculé les fuseaux horaires pour l’évocation d’un Pays basque chevillé au cœur et dont il entretenait le souvenir mais pas la nostalgie, par des bribes d’euskara, des posters sur un mur, un ikurriña, un chistera sur un meuble, le goût d’un patxaran siroté avec les amis de passage. Un pays dont il sait qu’il n’y retournera pas de sitôt, du moins définitivement, parce qu’entre lui et Euskal herria, il y a des résolutions qui engagent une existence. « J’ai besoin de retourner en Pays basque
tous les ans, besoin de la famille, de ces verres avec les copains au trinquet de Garazi, d’une chasse mais vite, il faut que je bouge, que je cherche des opportunités, un chantier lointain qui part de zéro, c’est là que vont mes rêves. », nous avoua-t-il ce soir-là. Du reste, la plupart de ses congés ne les passet-il pas dans ces chantiers du bout du monde, une mine d’or de Potosi (Bolivie), en Mongolie, histoire de voir si par là… ou dans la forêt, du côté d’Abitibi (nord-ouest du Québec) avec le Mauléonnais Léon Robédé, ancien bûcheron, pour des bivouacs scandés par les récits d’arbres géants abattus à la pogne par d’autres géants aujourd’hui à la retraite. La 389 ou une autre, seul celui qui emprunte la route en connaît les embûches, Peio le sait bien qui la préfère à la destination… Goxo goxoa toujours, là est son secret.
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Gaztea baina dinamikoa, Montreal-eko Euskaldunak elkarteak hirurogeita hamar bat elkarkide biltzen ditu. Diasporan, oso Euskal etxe atipikoa da. t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini
Basques
du Québec
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Les Basques du Québec sont aisément identifiables grâce au logo qui les rassemble, lequel s’est annexé les deux moitiés des drapeaux des pays concernés. Ayant en commun la croix blanche, un pli d’ikurriña pour l’un, une fronce fleurdelisée pour l’autre, basquitude pour l’un, francitude pour l’autre et les voilà liés. C’est en 1996 que naît Euskaldunak, l’association des Basques du Québec, grâce aux fonds alloués par le Gouvernement Autonome d’Euskadi, avec cette volonté animant tout groupe immigrant : évoquer les souvenirs du pays et perpétuer une culture. Forte de quelque 70 membres, l’Euskal Etxea pallie un manque de moyens par un
Les devises gravées sur les makilas révèlent le rapport entrenu avec le Pays basque.
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dynamisme qui lui a permis de s’imposer. Ainsi, l’association était présente au Congrès de Bilbao de 2007 comme à la Convention de la mythique NABO (Organisation des Basques d’Amérique du Nord), en 2007, à Reno (Nevada).
À chacun son Pays basque
L’Urruñara Adélaïde Daraspe, aujourd’hui présidente de l’Euskal etxea, est arrivée au Québec en 2006 afin de continuer des études d’histoire et d’anthropologie qui l’ont conduite à présenter un mémoire sur le patrimoine matériel et immatériel des Basques au Québec ; c’est dire si elle connaît le tour d’esprit de ses compatriotes. « Il est intéressant d’étudier comment chacun, par l’objet, se réapproprie le Pays basque dans sa maison. Il y a le makila évidemment mais alors que généralement >> on en possède un par foyer, il n’est pas rare ici d’en trouver plusieurs au mur ; mais ce sont aussi des porte-clés accrochés en évidence, des bouteilles vides, des posters, un chistera… objets parfois anodins mais qui se rapportent à des moments forts liés au pays. » Un dynamisme qui se manifeste, outre les traditionnels cours de danse et d’euskara, par des participations actives à des événements d’importance, « Plus que la possession d’un local imposant, l’important c’est ce que nous faisons ailleurs, ainsi une bonne partie de la seule aide dont nous profitons, provenant du Gouvernement basque,
nous avons préféré l’utiliser à une participation à Indianoak », nous confiait Adélaïde. Euskaldunak entretient d’étroites relations avec l’Euskal Etxea de New York, sa première voisine. C’est d’ailleurs à New York que les Basques du Québec ont déplacé Zortzi, une évocation du Carnaval basque, défilé spectacle imaginé par Christophe Pavia et que l’on ne saurait qualifier de… décoiffant. En effet, originaire d’Hendaye, l’artiste, spécialiste de la sculpture capillaire, par le biais d’insolites et féeriques coiffures, a réalisé un original rapprochement avec tunturoak, les très symboliques coiffes des joaldunak, un spectacle présenté avec succès au théâtre Rialto de Montréal. Il est difficile de chiffrer la présence basque au Canada. Des données floues datant de 2001 avancent quelque 1 300 Basques au Canada, mais tous ne fréquentent pas l’Euskal Etxea. Que serait la présence basque sans la pelote ? Il n’existe qu’un seul fronton au Québec, inauguré en 1996 sur le site du Parc d’Aventures Basque à Trois-Pistoles. Gérard Venmans, Mauléonnais présent à Montréal depuis 27 ans est l’infatigable défenseur de notre sport national. Ancien joueur de yoko garbi lui-même, ce professeur d’éducation physique à Montréal, veille toujours sur la destinée des 200 licenciés de la Belle province. Malgré un manque évident de locaux, les pelotaris sont présents sur les grands événements : « Les championnats du monde de 1998 à Mexico, de Pampelune en 2002, à Pau en 2010 et nous serons à Guadalajarra, à nouveau au Mexique en 2014 », précise Gérard tout en rappelant que c’est grâce à des sponsors, à des financements gouvernementaux québécois et à la seule bonne volonté des responsables, que la Fédération existe. Chaque année, au mois d’août, a lieu le tournoi international de Trois-Pistoles, face à l’île aux Basques, tout un symbole, mais n’est-ce pas là que tout a commencé.
Mots clés / Hitz gakoak
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14/12/13 17:43