Ibilka #8

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ibilka

le magazine

numéro 8 - 2015 Negu / Hiver

Le diamant noir de Lokiz

Quand la Navarre prend des allures d'Alba ou de Périgord, c'est vers la sierra de Lokiz qu'il faut se rendre, pour découvrir des paysages uniques et un autre trésor.

Donostia

Chaque année, depuis 1884, le premier samedi de février, la capitale du Gipuzkoa, rend un hommage vibrant et coloré à une partie de sa population…

Urdiñarbe

Ordiarp (Urdiñarbe) pourrait apparaître comme une photographie sépia à jamais figée par le temps. Mais, à y regarder de plus près, on y verra vibrer l'âme de la Soule.

Pasaia

Une belle et terrible histoire d'hommes et d'Océan.


Trikitixa

une émigration réussie

imigrazio arrakastatsu bat. t e x t e Txomin Laxalt / photographie Cédric Pasquini

Gure jaien musika tresnak halabeharrezkoak dira. Eskusoinu diatonikoa eta panderoa, bere konplizea, trikitixa talde bat osatzen dira. Liluragarria !

T

musicale d’Euskal Herri. Ce qui ne fut pas du goût de rikitixa. Une onomatopée pour nomtout le monde, en particulier du clergé qui s’empressa mer en euskara non pas un, mais deux de nommer l’innocent instrument Infernuko hauspoa instruments. Trikitixa. Une onomatopée (le soufflet de l’Enfer), allant jusqu’à l’interdire pour la qui désigne l’accordéon dit diatonique propension ensorcelante qu’il avait à faire frétiller filles (une même touche permet deux sons et garçons dès les premiers accords. Cependant il fut différents selon que l’on pousse ou impossible d’endiguer la vague. Sa taille idoine pour le que l’on tire le soufflet) et son inséparable complice, transport, sa capacité d’adaptation aux rythmes tradile pandero (tambourin). Trikitixa. Une onomatopée tionnels en fit l’instrument roi des erromeriak, les fêtes qui sonne comme un scintillement musical et il ne champêtres par excellence qui essaiment en Hegoalde. saurait exister de plus délicat rapprochement pour Le duo de trikilariak (joueurs de triki) évoquer le triki ainsi qu’on l’appelle est pareil à ces uztarriak (attelage), familièrement. Cet ensemble indivis Mots-clés/Hitz gakoak c’est-à-dire lié pour quelques hamarque lie une rare complicité est devenu Accordéon : eskusoinua kada (décades). Autrefois, il est vrai, l’incontournable de nos fêtes, foires, Tambourin : pandero il ne survivait pas au mariage de l’un marchés, erromeriak, longues tables, Duo : bikote ou de l’autre car il n’était pas de bon voire manifestations. Il suffit de la ton pour un homme marié de traîner brève ritournelle — en jazz on dirait Fête champêtre : erromeria jusqu’à point d‘heure à l’auberge, à un riff, lancé par l’accordéon — qui la cidrerie, dans une arrière-cour de ferme, les fins de annonce les premières mesures et le cercle magique semaine voire certains jours ouvrables pour faire danser se dessine sur la place ou le champ pour un fandango la compagnie. Aujourd’hui on peut parler de véritables endiablé, l’indispensable arin arin qui le clôt, la valse dynasties de trikitilariak et il n’est de village qui ne posou le biribilketa (passe-rue). Éminemment populaire, le sède son groupe, voire son école de trikitixa. Comment triki a une histoire, et douloureuse comme toutes celles ne pas évoquer le duo virtuose Joseba Tapia et Xabier de l’émigration. C’est en 1889 que, pour la première fois, Berasaluze « Leturia » lesquels, depuis 1984, se sont il est fait mention de ce curieux accordéon transalpin attachés à accorder au trikitixa, ses lettres de noblesse d’origine qui anima une erromeria de l’Urkiola biscayen. et l’ont fait connaître à travers le monde ? Infernal ou Débarqué du train avec les premiers contingents de divin, peu importe, moi quand j’entends le triki, il me travailleurs italiens, à l’heure de la révolution indusvient comme des fourmillements. Pas vous ? trielle, l’accordéon diatonique allait nourrir la tradition


Éditorial

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Passion partagée

Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Textes : Txomin Laxalt, txomin.laxalt@gmail.com

Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Direction artistique : Sandrine Lucas atmosphere2@gmail.com

Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Couverture : Cédric Pasquini P.20-21 : DR. P. 24 Santiago Yaniz Aramendia Remerciements à Nathalie Vivier pour le prêt de l'accordéon et du pandero

Ibilka entame déjà sa troisième saison. Nous espérons que vous avez pris beaucoup de plaisir à la lecture des différents numéros, à découvrir notre Pays basque, ses hommes, sa langue, son histoire, sa mythologie, ses paysages, ses villes et villages, sa gastronomie… Notre ambition n'est que de vous faire partager notre passion ! Avec ce huitième numéro nous vous invitons en Soule à la découverte d'Ordiarp (Urdiñarbe), ce village en dehors des routes « comme une photographie à jamais fixée dans le temps ». De l'autre côté des Pyrénées, c'est la Navarre qui nous ouvre son cœur, nous découvre ses sierras, dont certaines sont comme des petits bouts du monde. C'est le cas de Lokiz, petite merveille calcaire qui recèle un trésor couru par tous les gastronomes : Tuber melanosporum, la célèbre truffe ! Plus à l'ouest, en Gipuzkoa, vous découvrirez l'histoire des pêcheurs de Pasaia, derniers témoins d'une aventure économique et humaine, celle de ces hommes qui n'eurent que l'Océan pour planète. Non loin de là, à Donostia, c'est une bien belle tradition qui nous attend, celle du premier samedi de février qui rend hommage, depuis 1884, à une partie de la population « qu'ailleurs, on a tendance à exclure », les Buhameak et les Ijitoak (Bohémiens et Gitans). En ces temps de carnaval, impossible de passer à côté d'hartza, la figure mythique — mythologique même — de l'ours, animal totémique de l'ensemble des Pyrénées et que l'on retrouve dans presque tous les carnavals. Enfin, retour en Iparralde à Briscous (Beskoitze), où La Maison Joanto vous réserve un rendez-vous très gourmand. Et comme il n'est jamais trop tard pour le faire, nous vous souhaitons une très belle année 2015, espérant que, chaque trimestre, Ibilka vous apportera un peu de bonheur.

Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication


PORTRAIT

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egiz Begi imprĂŠgnĂŠ de musiques Begiz begi, talde atipiko bat da. Musikari horiek badakite delikatuki egokitzen tradizioa rock-arekin.


PORTRAIT

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2007

2009

2010

2015

Tremplin des Maimorables à Bayonne

Tournée en Corse avec I Muvrini et L’Arcusgi

Herri urrats premier concert

Premier disque

dates clés

Begiz begi,

musikaz bustirik t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

C

e jour-là nous profitions de la pause de l’ultime entsegüa (répétition) du très souletin spectacle Txilin Txori, créé par l’association Ürrats Berria de Maule (Mauléon) et donné à Luhuso (Louhossoa), pour rencontrer le groupe pour le moins atypique, Begiz begi. Ce n’était pas un chasard, Begiz begi ayant écrit la partie musicale de ce réjouissant conte chanté et dansé, prouvant encore si nécessaire que, culturellement parlant, Zuberoa se porte bien. Cela n’avait pas été chose facile de choper ensemble cinq lascars aux tendances mercurielles mais débordant de la générosité et de l’enthousiasme spécifiques aux moins de trente balais. Ceux qui croient les connaître auraient juré que c’était bien le dernier endroit où les croiser quand ceux qui les fréquentent, côté cour comme côté jardin, n’en seraient pas étonnés. Ils savent identifier, immanquablement, à travers leurs décalages et hardiesses l’hatsa, le souffle, le principe du groupe. Begiz begi, c’est Patxi Amulet, guitare, accordéon, voix ; Xabi Etcheverry, violon, voix ; Peio Lambert, guitare, trompette ; Sébastien Luc, guitare et Nicolas Armendaritz, batterie, clavier. S’ils datent le début de l’aventure au concert d’Herri Urrats 2010, sur la scène rock Nafarroa, la véritable >> genèse nous ramène sur la bien plus janséniste et équanime scène du Théâtre de Bayonne quand deux adolescents, Patxi et Xabi — Begiz begi n’était alors que duo — remportent en 2007 le Tremplin des Maimorables, il y a sept ans, une autre vie presque, mais à l’âge où certains préfèrent le plan de carrière, d’autres choisissent le temps ralenti de l’adolescence, le seul qui autorise le rêve, les accords de guitares et l’engagement culturel, « car ce qui nous lie aujourd’hui tous les cinq, outre la musique c’est aussi l’euskara, que nous le parlions couramment, ou qu’on l'ait oublié, nous l’avons récupéré », précise gravement Patxi. Quant au patronyme, il n’est certainement pas dû au hasard, Begiz begi ou, si vous préférez « droit dans les yeux ». Ceux qui pratiquent le chant dit de comptoir ou festif connaissent bien cette noble attitude de chant adoptée quand on se passe d’un maître de chœur ou d’un affligeant karaoké ; il s’agit d’être parfaitement en osmose avec celui dont on partage les koplak (couplets). C’est de famille ! Les cinq sont issus du chaudron traditionnel et c’est ce qui peut-être façonne et

Savante alchimie où la douceur de la tradition le dispute à l'ombreux du rock

guilloche le son Begiz begi. Si Peio a grandi au son de la Zarpai banda et s’est nourri des chansons de Benito Lertxundi, Nicolas a accompagné à l’atabal les pastorales, Patxi sait parfaitement tresser un frejat (entrechat souletin) comme il vous tourne au débotté un fandango à l’accordéon, le violon sorgindua (ensorcelé) de Xabi est capable de vous celtiser la plus labourdine des mélodies, quant à Sébastien, il connaît par son père ce que dantzaldi (bal populaire) signifie. Un entretien pas vraiment de tout repos, contraignant à passer de l’un à l’autre sans jamais perdre le fil de la conversation : « Une envie de participer à la culture basque… » commence Patxi « avec la volonté de transmettre la langue basque par des textes choisis… » enchaîne aussitôt Xabi, « chacun apportant sa pierre en défendant une esthétique commune », conclut Peio comme pour affirmer une symbiose. Pas toujours facile, du reste : « Ce serait comme un ménage mais… polygame », résume Sébastien, pincesans-rire, alors qu’ils évoquent ce qu’ils appellent leurs séjours en résidence, des week-ends complets de répétition, crédibilité oblige. L’esthétique rock bien sûr qu’ils avouent utiliser naturellement sans que l’euskara, l’expérience des anciens l’a amplement prouvé, ne soit un obstacle. Les thèmes ? Betikoak, ceux de toujours : l’amour (nora joan) l’amitié (laguneri)… Ils gardent précieusement en mémoire la tournée de 2009 effectuée en Corse, aux côtés de I Muvrini et L’Arcusgi, une sacrée reconnaissance pour ceux qui se dédient au chant de leur terre. Et puis, outre des tournées en Occitanie, Catalogne du sud et Ardèche, les incontournables, comme Musikaren eguna d’Urdiñarbe (Ordiarp), Mintza lasai de Miarritze et cet inoubliable hommage au prêtre koblakari, Roger Iriart (1931-2009) sans oublier les fêtes de Maule ou d’Eskiule. On les aura vus à Durango, au passage obligé de décembre et sur quelques scènes d’Hegoalde. Et puis ce disque en 2015, comme une escale sur le long trimard. Begiz begi ? Une savante alchimie où la douceur de la tradition le dispute à l’ombreux du rock. Ce sont eux qui l’affirment… les yeux dans les yeux. Zinez, entzun itzazue ! Vraiment, écoutez-les !

Mots-clés/Hitz gakoak Tournée : musika bira Scène : agertoki, eszena Violon : biolin Thème : gai


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Donostiako Kaldereroak, mailukada alaia

Étymologie Gitans vient de l'espagnol gitano, déformation d'egyptiano, accréditant l'idée que les Roms viendraient d'Égypte, d'où l'anglais gipsy.

Donostiako Kaldereroak, le joyeux martelage Otsailaren lehen ebiakoitzean, malukada alai batek hots egiten du Donostiako kaleetan zehar. Hiriko elkarteek, haien gisaz, kaldereroak ospatzen dituzte.


tradition

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini

posantes de sa ville et qui ne fait jamais rien comme les autres, depuis 1884, rend hommage ce jour ou plutôt cette nuit-là, à cette frange de sa population que sous d’autres cieux, aujourd’hui on a tendance à exclure.

Bohémiens Arrivés au Pays basque au XIXe siècle, ils se sont parfaitement assimilés.

Rom et euskara mêlés En euskara on les appelle Buhameak (bohémiens), Ijitoak (gitans). Arrivés au Pays basque au XVe siècle, malgré bien des vicissitudes, ils se sont parfaitement assimilés jusqu’à donner même naissance à l’Erromintxela, une langue où s’entremêlent le rom et l’euskara. Alors, le premier samedi de février, les sociétés gastronomiques de Donostia réveillent les échos d’un métier dont les Bohémiens hongrois se firent une spécialité : Kaldereroak, chaudronniers étameurs. L’elkarte Aizepe (sous le vent) porte bien son nom. Située sur le passage en escalier par lequel souffle à perpétuité, venant du port, un courant d’air marin tranchant comme une lame de morutier, la vénérable société fondée en 1924 >>

L

e Donostiarra, il le reconnaît et s’en réjouit, a un début d’année chargé. Comme tout un chacun, il célèbre Urtatsa, le nouvel an mais à peine émerge-t-il de ces brumes qui, généralement, oblitèrent la première ligne du nouveau calendrier que les Errege Magoak (Rois Mages) viennent faire baraquer leurs chameaux dans l’oasis de l’Alderdi Eder. À peine ceux-là ont-ils levés leur caravansérail qu’au cri de txotx ! le 19 janvier vient ouvrir la bonde des cidreries et surtout rouler les ras serrés de la Danborrada, qu’aucun sirimiri (méchante pluie fine et tenace) au monde n’empêchera le Donostiarra de célébrer. À Donostia, comme on a le sens de l’Histoire et de l’humour, on en perpétue les grands moments et, des plus tristes — la Danborrada en est un bon exemple qui rappelle la funeste occupation napoléonienne — on en fait une martiale pantalonnade et, en une élégante et fastueuse revanche, l’occasion de célébrer les fêtes patronales de la capitale du Gipuzkoa. Et puis arrive le premier samedi de février. Donostia qui aime sans exclusive les com-

Donostia rend hommage à une population, que sous d'autres cieux, on a tendance à exclure


tradition

Hommage Quelque 5 500 participants endossent les mêmes habits que revêtaient, jadis, les Kaldereroak. Une petite révolution

Aizepe admet les femmes, ce qui est bien pratique pour distribuer les rôles de bohémiennes.

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n’avait pas encore décroché des poutres les guirlandes xuri urdin (blanc et bleu) de la Danborrada. En cette après-midi moribonde, diluvienne et venteuse, les membres s’affairaient à dresser les couverts pour les agapes qui seraient prises en commun bien plus tôt que d’habitude. Harri, la mémoire historique d’Aizepe, évoquait avec chaleur une tradition codifiée depuis 130 ans. « La célébration des Kaldereroak vient après la Danborrada et annonce Ihauteria, le carnaval ; la météo ne changera rien à nos habitudes, nous avons tout connu jusqu’à la tempête de neige, c’est le lot des fêtes d’hiver ! », affirmait-t-il. Comme souvent en Hegoalde, les célébrations les plus festives s’apparentent à un rituel auquel les générations ne dérogent pas. Il ne serait bientôt plus question d’honorables sociétaires d’associations aussi emblématiques que Gaztelubide, Artesana, Artikutza Ur, Kresala, Euskal billera… qui, du Vieux Quartier à Amara, sortiraient aux 21h 45 sonnantes mais les membres de seize tribus qu’il serait bien difficile d’identifier >> sous la fripe et le noir de fumée. « Quelque 5 500 participants, endossent les mêmes habits que revêtaient jadis les Kaldereroak,

Les célébrations festives s'apparentent à un rituel auquel les générations ne dérogent pas

décrits en détail dans les archives de la ville : costume noir, grand chapeau avec plumes, cheveux longs, barbes, boucles aux oreilles, chaînes et médailles… » Comme nombre d’elkarte aujourd’hui, Aizepe admet les femmes en son sein, une cinquantaine pas plus, sur les 300 elkarkide (sociétaires), une authentique révolution de mœurs qui s’est révélée bien pratique quand il s’est agi de distribuer les rôles des indispensables zingarela (bohémiennes). À l’heure des lampes, du patxaran et des vapeurs de cigares hectométriques, l’association avait perdu l’allure de distingué cercle gastronomique pour se muer en bivouac de romanichels. Chacun avait amené ses noirs effets depuis le feutre à large bord jusqu’à l’indispensable veste d’étoffe épaisse en passant par les indispensables zartaginak (petites poêles) et mailuak (marteaux) lesquels, génialement, par une seule et crépitante magie sonore, évoqueraient un métier disparu. Mais surtout chacun et chacune y allaient à falbalas et bimbeloterie que veux-tu, dans une surenchère soigneusement étudiée de tape-à-l’œil. Harri, en ajustant un large médaillon, achevait son rappel historique avant de s’abandonner à son office d’étameur d’une nuit : « La première sortie des Kaldereroak a eu lieu le 1er février 1884, il s’agit quelque part d’une parodie donnée au jour de la Chandeleur, mais aussi un hommage


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rendu à cette frange de la population de Donostia. » L’Église prompte à condamner toute forme de sabbat, argua bien de son refus de considérer la Chandeleur comme un jour de fête, mais il en aurait fallu bien plus pour faire renoncer les Donostiarrak à cette forme de charivari.

L'aventure débute en 1854 Les trombes d’eau n’avaient rebuté en rien la population donostiarra qui se repaissait d’avance des pièces musicales composées au XIXᵉe siècle pour la circonstance par le maestro Raimundo Sarriegi, l’auteur des célèbres pièces de la Danborrada, autant de rythmes qu’ici l’on sait du berceau à la tombe, « ceux des Kaldereroak, pour être syncopés et à contretemps, bien plus difficiles à tenir que ceux de la Danborrada », avaient reconnu quelques uns de nos étameurs. Un martelage sur poêle respecté à la mesure près et qui donne tout son scintillement à la fête. La pâle lumière des réverbères du vieux quartier floutait le rideau de pluie et les kliski klaska (cliquetis) du marteau sur les zartaginak, mêlés aux phosphorescences de la joncaille vestimentaire, conféraient à l’ensemble des allures d’une joyeuse bacchanale. Alors que le cortège s’élançait, les

paroles du vieux chant rebondissaient sur les murs de la vieille ville sous la direction vétilleuse d’un énergique maître d’enclume et des première et deuxième zartagin. Dans un souci d’ordre et de hiérarchie, les zingarelak (bohémiennes) et tambourins vont devant, la reine et ses dames — rôle tenu par des hommes pour que la parodie soit complète — vont derrière et roulent carrosse ; quant à l’ours et son montreur, ils vont des uns aux autres. Quant aux étapes devant les bars, d’où jaillissent bouteilles de champagne et gobelets empilés comme casques romains après déculottée, valent brasero. Une halte pour un chant hongrois , le tout agrémenté d’une complexe mailukada et le cortège de s’écouler de rues en ruelles jusqu’au monument au compositeur Sarriegi qu’il convient de célébrer. Le campement traditionnel s’impose enfin où la reine dans un discours débridé salue le peuple donostiarra qui va se délecter des pièces musicales complètes, de la mazurka jusqu’au puissant et mâle Begi urdin bat. L’écran de pluie emmaillote Donostia et vernit le pavé, les bohémiens ont levé le camp que déjà Ihauteria frappe à l’huis de la ville. Que voulez-vous, l’attachement à la tradition impose des sacrifices !

Vieux chant Zein ederra ! Zein xarmanta ! Donostiko lura ta hiria Herri jator donostiarra, agurtuz dugu atsegina Hungariako kalderero gara etorririk Donostiarra .

Mots-clés/Hitz gakoak Marteau : mailu Poêle : zartagin Bohémien : ijito, buhame Chaudronnier : kalderero


sierra de lokiz

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Lokiz

la vallée du diamant noir diamante beltzaren harana Ezezagutua, Lokizeko haran nafartara, dudarik gabe, Euskal herriko altxor bat da. Boilura, bere pipita beltza.

C

omme si elle entretenait la nostalgie des Pyrénées, la Navarre des terres lointaines de Lizarra (Estella), chiffonne brutalement de longs arpents que l’on pensait dédiés seulement à la plaine à blé pour rucher, en de minérales fronces, les falaises de Lokiz. Impressionnante, elle court la sierra, de Zudaire à Zuñiga, pareille à un verrou qui aurait contraint les habitants des vallées assoupies de Lana ou de Allin, à établir des villages de fin de chemin, serrés sous la carapace de leurs toits de tuiles, aux pieds mêmes de l’élégante barrière calcaire : Artavia, Galdeano, Muneta, Aramendia, Ganuza, Ollobaren, Ollogoyen, enfin Metauten. D’une avenante teinte de porcelaine aux feux de l’aurore, elle semble une menaçante barre en fusion à la bascule du jour, détaillant crocs, tours, cornes et griffes, autant d’obstacles qui éteindraient tout espoir d’atteindre le plateau sommital. Lokiz se précipite de 400 m dans un enchevêtrement de chênes verts aux racines déchaussées, un collier végétal qui ne serait pas sans rappeler la collerette de plumes enserrant

le cou chauve du vautour fauve. Les gens d’ici l’appellent la sierra oubliée. Comme l’homme a préféré les attraits de la ville, fatalement la nature a gagné, les sentiers ont été dévorés par une végétation gloutonne et le touriste parce qu’il y trouvera plus d’infrastructures et des sentiers balisés, lui a préféré les sierras voisines de Andia et Urbasa. Merveilleuse sierra de Lokiz que d’aucuns considèrent, comme l’une des plus belles d’Euskal herri et dont les boucles démesurées de ce S minéral sont creusées par ce que les géologues appellent joliment des reculées de bout du monde, plus prosaïquement des successions de cirques sculptés à force d’affrontements du calcaire et de l’eau. S’y frayer un passage, c’est prendre rendez-vous avec la Navarre d’avant, celle du temps des ikazkin (charbonniers), des bergers transhumants et des vieilles croyances récupérées par les nouvelles, lesquelles ont dû composer en semant dans la montagne d’invraisemblables ermitages : San Kosme ou Santiago, autrefois San Cucufat, littéralement enchâssés dans le buis. Le berger d’ici a cherché et trouvé la faiblesse dans la cuirasse, a utilisé la moindre

Reculées du bout du monde Moins connue et moins fréquentée que d'autres sierras navarraises, la sierra de Lokiz est creusée dans ce que les géologues appellent joliment des « reculées de bout du monde ».

Cinq villages et une vallée Ci-contre, l'un des cinq villages de la vallée de Lana, Ulbarri, vu depuis la Cueva de los Moros, sur les murailles d'Irasabela. Au loin on aperçoit la sierra de Toloño.


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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s S a n t i a g o Yaniz Aramendia


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sierra de lokiz


sierra de lokiz

Entre Nature et Esprit Le village de Cirauki à l'aube, ci-dessus, et à droite, l'hermitage de Santa Eulalia, au pied des peñas de Sardegi, et quelques-uns de ses trésors.

Fenêtre La ventana de san Prudencio laisse découvrir la beauté de la sierra jusqu'aux horizons du rêve et même au-delà.

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échancrure dans l’armure pour y tracer d’acrobatiques sentiers étayés par des murets de pierre en équilibre sur éboulement.

Un précieux trésor

L’audacieux ne regrettera pas de s’être aventuré dans le chablis, le dédale des chênaies et d’un buis pareil à du barbelé. Formidables moments — ils renvoient véritablement dans un autre continent — alors que l’on chemine dans la sombre et inquiétante faille d’Ollobarren où le jour ne parvient qu’à peine et que l’on franchit comme on pousse une porte sur un envers du monde. Souvenirs d’errements infinis sur les infinis rasos et les grandes pelouses de Mojoi luze jusqu'à débouler le soir, fourbu, au fond du canyon de Markillano après être passé sur la lèvre déchiquetée de la sierra coûturée d’aiguilles et de suggestives cucas, fantastiques belvédères sur les villages d’en-bas. Sous les flancs de cette citadelle, courent les veines d’un précieux trésor longtemps insoupçonné, dont les pépites, depuis l’Antiquité, ont aiguisé bien des convoi-

sur les flancs de cette citadelle courent les veines d'un inestimable trésor : le diamant noir !

tises. En basque on la dénomme boilur, en français, la truffe (Tuber melanosporum). Pour évoquer sa rareté, on l'appelle aussi le diamant noir. Chencho Zugasti nous avait donné rendez-vous à Metauten, l’un des villages qui étire sa poignée de maisons au pied même de Lokiz. La saison battait son plein et la trentaine de truffiers que comptait la vallée était à leurs affaires, les chiens, toutes… truffes frémissantes, leur battant les talons. Chencho portait la sacoche de cuir en bandoulière, signe distinctif du chasseur de truffe — et oui, on la chasse, on ne la cueille pas — et à la main, il tenait le machete trufero, sorte de truelle à la pointe aiguisée. « Je venais d’acquérir une maison ici, et un matin, dans mon jardin, j’ai trouvé une truffe, et là tout a commencé, il y a sept ans, une véritable fièvre, ça ne me quitte plus. » Nous parvenons à peine à la plantation de chênes verts, que Trufo, l’un des deux chiens, se met à gratter furieusement la terre, Chencho s’accroupit, fouille le sol à l’aide de son machete et déterre la truffe, tubéreuse et urcéolée, d’un noir tirant sur l’anthracite de la taille d’une belle patate. Il la gratte à peine, la tourne entre ses doigts et la considère comme le ferait de sa pierre précieuse un diamantaire d’Anvers et nous l’offre à sentir. Exhalaisons indéfinissables mais puissantes, il faut sans doute un nez habitué pour en séparer toutes les harmoniques, ça n’a pas l’odeur du champignon, plutôt des arômes de sous-bois, de terre fraîche et d’humus gazéifié… Chencho, enthousiaste, allait du pied d’un arbre à l’autre sur les traces des chiens Trufo et Manuel, zizaguant, furetant, fouaillant et mettant


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sierra de lokiz


Ville

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sierra de lokiz

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Nez et arômes Le chien reste le meileur allié du chasseur de truffe et celles de Navarre n'ont rien à envier, question arôme, aux tuber melanosporum d'Italie, du Périgord ou d'ailleurs.

à jour le champignon d’ébéne. Posément, tout à sa chasse, il continue ses explications : « Il y a aussi une autre façon de détecter la truffe, grâce à une mouche, la Helomyza tuberivora qui pond ses larves là où se développent les truffes dont elles vont se nourrir, c’est plus sympa avec les chiens non ? »

Une vente au top-là Des sous-bois aguicheurs Ci-contre, Narkue dans la vallée de Lana et au-dessus, la forêt d'Otzamendi.

Il y a seulement 25 ans que les truffiers de la vallée exploitent la truffe. Autrefois, seuls les Catalans venaient qui connaissaient le champignon, la méthode de chasse et son exploitation. Bons princes, ils les leur ont enseignées. Pourtant, ainsi que nous le rappelle Chencho, jusque dans les années 60, sur la péninsule ibérique, la cueillette comme la consommation de la truffe étaient interdites par l’Église : « Un produit souterrain et noir ne pouvait que venir de l’Enfer… Une interdiction qui ne concernait évidemment pas le clergé ! » conclut-il, hilare, bien au fait de l’Histoire. Désormais, la Navarre s’est hissée au rang du Périgord, de l’Italie, des régions de Teruel (Aragon) quant à la qualité du produit.

Désormais la navarre s'est hissée au rang de l'italie, de la catalogne ou du Périgord

À l’heure des œufs au plat truffés, Chencho avait tiré d’une boîte de fer — préservation d’arômes oblige — une pépite de son trésor infernal, cérémonieusement râpée au dessus de nos caquelons. Il fallait bien un trait d’un vin de Navarre, à peine frais, pour accompagner ce mets d’ecclésiastique. Chencho reste volontairement vague quant à la production annuelle de la vallée, préférant s’attacher à la production nationale : « Le marché reste variable, sur toute l’Espagne, 30 tonnes en 2012, 100 tonnes en 2013. » Une vente directe qui se fait à la parole, au tope-là et droit dans les yeux. Le secret de préparation de la truffe ? Sachez que c’est toujours crue qu’on l’accommode. La puissance de son parfum est telle que l’œuf en sera imprégné au travers de sa coquille. Abandonnée dans un réfrigérateur, ce sont tous les produits réfrigérés qui en seront imbibés. Vous en oublierez cependant quelques copeaux dans votre boîte à sel, exquis ! et en laisserez tomber dans votre pot à riz, quel bouquet ! La Navarre n’en finit pas de réserver des surprises, tous ses trésors ne relèvent pas de l’art roman.

Mots-clés/Hitz gakoak : Truffe : boilur Sierra : mendilerro Fouiller : miatu Parfum : usain


histoire

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t e x t e Txomin Laxalt / photographies Museo naval de Donostia

Quand

asaia

partait sur les bancs

Sardetara Pasaia joaten zelarik Abenturak mende erdi bat iraun zuen. Pasaiako arrantzaleak Ternurat eta Groenlanderat joaten ziren arrainerik septentrionekoena arrantzatzeko, bakailoa.

O

n peut encore les croiser. Du grand océan, ils ne s’en éloignèrent guère et leurs pas les mènent au quotidien jusqu’au dernier ponton de Pasaia avant que le goulet ne s’ouvre sur le grand large. De Trintxerpe, le cœur battant de Pasaia, ils sont les derniers témoins d’une aventure marine à jamais enfermée, comme bateau en bouteille, dans leurs souvenirs. D’eux, on dit qu’ils furent les forçats de l’Océan comme ceux de Fécamp, de Saint-Malo ou de Bordeaux. Eux, ce sont ceux de la confrérie des Terre-neuvas, une congrégation qui condamnait à la terrible solitude des navigations subarctiques en ces confins de bout de tout, aux noms sonnant comme épopée : Ternua, la Terre-Neuve des Basques, Labrador, Groenland. Des infinitudes qui ne sont que grisaillements et ciels plombés sous lesquels divaguent des cathédrales de glace et leurs chapelles de growlers, des icebergs miniatures qui déchirent l’acier comme vulgaire papier. La morue (gadus gadus) alors poisson du pauvre, avait valeur de symbole depuis les débuts du christianisme, lequel imposa


histoire

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longtemps, outre le jeune obligatoire du vendredi, une charretée de fêtes de stricte observance durant lesquelles le poisson s’imposait. À la portée de toutes les bourses, la morue entrait dans tous les foyers sous cette forme rédhibitoire dont les plus anciens se souviennent : empesée par le sel, dans l’odeur tenace de saumure et de vieille marée. Il fallait le génie de la cuisinière pour accommoder de succulente façon le poisson venu des glaces. Les quais de Pasaia étiraient alors le maillage bronze des chaluts et non pas ces mornes alignements de xatarra (ferraille) ou de véhicules neufs destinés à l’exportation. Pendant un demi-siècle, le port vécut à la fièvre des grands embarquements. Depuis 1927, quand la famille Legasse, originaire de Bassussary — elle avait créé La Morue Française sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon où elle régnait sur les corps et les âmes, elle y eut un évêque — donna naissance à la mythique entreprise PYSBE (Pesqueria Y Secaderos de Bacalao de España ). Pasaia renouait alors avec une vieille tradition marine interrompue en 1713 quand le Traité d’Utrecht mit fin à la présence cantabrique sur les grands bancs de Terre-Neuve.

À la portée de toutes les bourses, la morue entrait dans tous les foyers, dans l'odeur tenace de saumure.

La gnôle et le tabac pour le moral

Un homme d’affaires gipuzkoan, Luis Pradera, devait prendre la tête de la PYSBE avec, comme principal actionnaire, le monarque Alfonso XIII. La PYSBE dominera le marché espagnol, voire le marché international de 1927 à 1974 grâce à la pêche et au conditionnement, le salage en l’occurrence, noms des montagnes du Gipuzkoa, quand la PEBSA Exposition de milliers de tonnes de morue débarquée chaque (Pesqueria Española de Bacalao S.A ) confiera ses unités Le Musée Naval de Donostia année : 1968 : 63 100 tonnes, 1974 : 25 000 tonnes, aux saintes du calendrier. Les navires travaillaient par accueille une exposition qui retrace 1982 : 10 000 tonnes. L’entreprise phare disparaîtra paires, selon une technique héritée de la Méditerranée. l'histoire de la pêche à la morue du victime de son infatuation, de la législation des Pour les marins qu’importe la concurrence, ils roulee XVI siècle jusqu'à nos jours. 200 miles et de l’épuisement des stocks de morue. raient tous bientôt dans la même houle atlantique. Visible jusqu'au 29/11/2015. Mais la PYSBE n’exista que par ceux qui embar« Nous travaillions 24 h sur 24 pour des cadences de quaient pour sept à huit mois d’enfer, généralement 12 heures de travail et six heures de repos sur lesquelles au lendemain de la saint Sébastien, au lendemain des fêtes il fallait enlever une heure et demie pour se laver. Le lit ? Un de Noël. Les plus jeunes n’ont pas quatorze ans. Sur les quais carré de bois avec un couchage rempli de copeaux ou de feuilles les bous de arrastre, chalutiers armés pour les bancs, quelque de maïs. Des fois tu te pieutais à minuit et à minuit et demi on 150 à Pasaia, attendaient les équipages bord à bord. Bochorno, t’appelait pour monter sur le pont », témoigne José Miranda Regañon, Huracán, Zefiro, Vendaval, autant de navires baptisés Errondosoro (Historia de la pesca en Terranova, Ed. Zabaltzen ). à la PYSBE de noms de vents. Une compagnie plus modeste, En cette moitié de XXeᵉsiècle, hygiène et confort sont ignorés des compagnies morutières. La gnôle distribuée sans mesure, la Laboa S.A, préfère apposer sur la coque de ses navires les le café et le tabac soutiennent le moral. Le ciré n’existe pas, une grossière veste de toile huilée protège le marin. Le moindre déplacement sur le pont, souvent pris par les glaces, balayé par la mer, requiert circonspection. Le labeur de pont à ciel crevé est une chaine unique dans l’histoire du travail. Dans un froid qui « t’améne la morve aux genoux », sous les coups de fouet des embruns et les copeaux de neige, alors que le navire roule et plonge dans l’océan, les hommes, relèvent le chalut, taillent, coupent, énoctent en pataugeant dans les mucosités, le sang et l’eau, le geste de l’un conditionnant celui de l’autre. La morue, une fois jetée dans la cale, est salée avec mesure, trop de sel la brûlerait, et soigneusement empilée. Sur le quai de Trintxerpe, un ancien nous avait confié : « Il a fallu que je sois à la retraite pour savoir ce qu’est un arbre en fleurs. »

Mots-clés/Hitz gakoak : Morue : bakailao Chalut : sare larriak Iceberg : izozmendi Houle : tirain


culture

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t e x t e s Jean-Paul Bobin

L'engagement et le pardon

L

es décennies de lutte armée menée par ETA ont laissé des traces indélébiles dans la société basque. Javier de Isusi (Bilbao 1972) raconte trois histoires, trois destins, étroitement liés à l'histoire contemporaine du Pays basque. Celui d'Anton, prêtre catholique, dont le père a été tué par ETA et qui pardonne aux assassins ; celui de son ami d'enfance Josu, etarra qui purge une longue peine de prison en France et enfin celui d'Emmanuel un ancien du GAL (Groupes Antiterroristes de Libération), qui se retrouve dans la même prison que Josu. Les personnages sont rongés par la douleur, la culpabilité et hantés par la question de l'engagement, dans la lutte ou dans la foi. Le récit ne propose pas de réponse morale, et à toute vérité universelle, il préfère celle de chacun des protagoniste, de leurs interrogations et de leur dialogue : « Nous avons fait la même guerre » dit Emmanuel à Josu. Tout en sobriété, la bande dessinée, inspirée de fait réel — la rencontre d'etaras et de membres du GAL en Ils n'ont pas de prénoms, encore moins de prison — est peuplée de fantômes, ceux des expériences noms, on les appelle, le Grand et le Petit, politiques qui se font et se défont. deux frères prisonniers au fonds d'un puits de terre, perdu au milieu d'un forêt. Ils On songe aux conceptions sartriennes de l'engagement tentent vainement d'en sortir et commence et de la liberté, au moins concernant Josu. L'engagealors pour eux un combat pour la survie. La ment est alors lié à une condition humaine, Josu est faim — ils disposent d'un au sac de victuailles condamné à s'engager, comme il est condamné à être donné par leur mère, mais… — la soif, les libre. Une question les hante tous : au bout d'une vie, bêtes sauvages, les pluies torrentielles, le que reste-t-il ? temps qui passe… Se nourrissant de racines, Le trait volontairement estompé et des teintes évad'insectes, d'asticots, d'herbes… Le Petit nescentes renforcent l'impression poétique qui flotte dépérit physiquement et mentalement. Le tout au long des pages. Un travail remarquable de Grand se sent investit de la responsabilité délicatesse. de sauver son frère. Comment en sont-ils

Survivre et après ?

Voir des baleines, Javier de Isusi. Éd. Rackham. 22 €

arrivés là, survivront-ils ?

Ce court texte du jeune auteur biscayen se lit comme une fable poignante et cruelle. Les émotions nous assaillent en même temps qu'elles traversent les deux héros : abnégation, chagrin, violence, dégoût, haine, folie, rire… Qui est l'ennemi ? Ceux du dehors qui ne viennent pas à leur recherche, chacun pour l'autre, ou plus simplement le puits, ce lieux clos, métaphore de tous les impossibles ? Yvan Repila parle d'amour, de rage et de vengeance et transporte le lecteur dans un conte dont il ne sort pas indemne. Le Puits est le premier roman d'Yvan Repila (Bilbo 1978). Le Puits, Yvan Repila. Éd. Denoël.


culture

Deux langues maternelles

Une épure de l'âme de Sare

C'est sans doute bien davantage qu'un simple livre, c'est la rencontre entre un artiste, Dominique Duplantier et un village Sare. Le résultat n'est qu'émotion, une épure de l'âme du village labourdin, un très beau livre que l'on découvre au fil des pages, comme on parcourt le village, avec des pauses. Maisons de Sare – Sarako etxeak. Dominique Duplantier, Francine Callèd, Odile Contamin, Nelly Audenot. Éditions Keogui.

Musique classique basque

Karlos Sanchez Ekiza, professeur d'histoire de la musique à l'Université du Pays basque signe ce livret de vulgarisation intitulé La musique classique basque, publié dans une version trilingue : basque, anglais, français, en format numérique. Il s'agit d'une coproduction entre l'Institut culturel basque et l'Institut Etxepare. Il s'agit du cinquième volume de la collection Culture basque, constituée de douze synthèses destinées à diffuser auprès du plus grand nombre, des éléments de la culture basque. Les quatre précédents ouvrages étaient consacrés à la danse basque par Oier Araolaza, à la chanson basque, par Jon Eskisabel ; au cinéma basque par Joxean Fernadez et à la littérature basque du XXe siècle par Estibaliz Ezkerra. Ce volume, comme les autres, est téléchargeable gratuitement en PDF. http://files.eke.eus/liburutegia/euskal-literatura-litterature-basque.pdf

« Mon pays, c'est ma langue » disait Cioran et nul n'a oublié la célèbre formule de Camus : « Ma patrie, c'est la langue française. » On pourrait citer Amos Oz, qui malgré ses déchirements envers Israël écrivait : « Pour moi l’hébreu est ma lyre, l’instrument de musique qui soutient ma pensée. Je ne suis pas chauvin pour tout ce qui identifie mon pays, mais je le suis pour ma langue. ». Frédéric Aribit (Bayonne 1972) s'inscrit dans cette grande lignée, lui qui, pour son premier roman, interroge son histoire personnelle, y puise la substance de sa réflexion. Trois langues dans ma bouche débute par une référence à Deszö Kosztolànyi et à sa nouvelle Le contrôleur bulgare qui relate le dialogue plein d'humour absurde entre deux personnes de pays différents, ignorant chacune, la langue de l'autre. Elle renvoie l'auteur à sa propre expérience. C'est la langue, ou plutôt le souvenir de celle qu'il entendait enfant, qui le préoccupe lui le Basque, qui a vécu sur une terre où l'on parle deux langues, celle officielle de la Nation et celle de sa famille. Une lecture schizophrénique du monde qui l'oblige sans cesse à choisir son camp et à travers ce choix, opter ou non pour les luttes de son peuple. Alors que lui est habité uniquement par le sentiment de la langue qui devient celui de la littérature et qu'il ne peut pas, ne veut pas choisir. On ne peut pas avoir deux langues maternelles, celle des grands-mères « m'est tombée dans le fond de la gorge ». À travers une très belle langue (française celle-là) Frédéric Aribit revit les tensions des années 70 et les déchirures du Pays basque. Un très beau roman. Trois langues dans ma bouche, Frédéric Aribit. Belfond. 17 €

Niki de Saint Phalle

A

rtiste multicéphale, à la fois peintre, plasticienne, réalisatrice de films, Niki de Saint-Phalle (1930-2002) s'est imposée par ses œuvres et son engagement politique et féministe. Actrice marquante du Néoréalisme, dans la lignée des Larry Rivers ou Rauschenberg, cette artiste autodidacte a su sortir des chemins tout tracés pour construire une œuvre originale, rebelle, notamment à travers sa série des Tirs. Après le Grand Palais, c'est le musée de Bilbo qui lui offre une rétrospective qui montre la trajectoire de l'artiste franco-américaine qui révolutionna la place de la femme dans l'art du XXe siècle. Jusqu'au 11 juin. Musée Guggenheim à Bilbo.

éVéNEMENT

mémoire

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Courir pour l'euskara C'est entre Urepele et Bilbo que se déroulera la dix-neuvième édition de la Korrika, du 19 au 29 mars. Organisée tous les deux ans par AEK depuis 1980, cette courserelais, sans interruption, est destinée, d'une part à renforcer la mobilisation autour de la langue basque et d'autre part à récolter des fonds pour développer l'apprentissage pour les adultes. Et pour pouvoir rejoindre la korrika à tout moment, vous pouvez télécharger l'application Korrika qui fournit, en temps réel, toutes les informations sur la course.

Quatre voix pour les Pyrénées On nous propose une traversée polyphonique des Pyrénées. Didier Sorbé, photographe, a convié ses amis Marc Girard, géophysicien, Olivier Delord, aquarelliste, et Jean-François Labourie à se joindre à lui pour offrir au lecteur quatre points de vue, quatre voix et peut-être autant de voies, différents. Celui, esthète et témoin, de la photographie « comme trace et expression du paysage », celui de l'itinéraire, celui du pyrénéisme. Au résultat, un magnifique livre — comme toujours au Pin à Crochets — où l'émotion le partage à la connaissance. Traversée à 4 voix : D. Sorbé, M. Girard, O. Delord, J-F. Laborie. Pin à Crochets : 50 €


village

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Céderic Pasquini

Urdiñarbe, dans des nuances bleutées Urdiñarbe, nabardura urdinxketan

Arbailak pean, Urdiñarbe historiaz kargaturik da. Herri atsegina dudarik gabe, baina bere auzoek, behereko mendixketan barreiaturik, bisita merezi dute.

I

l n’y a aucun doute possible, c’est par Ozkaxeko lepoa (col d’Osquich) que l’on se doit d’aborder Zuberoa, venant de Basse-Navarre. Pour peu, abordant les premiers lacets de la descente vers Muskildi (Musculdy), que des floches de brume tapissant le fond de vallée ne laissent apparaître que la ligne floutée des Pyrénées, la pyramide de l’Auñamendi (Anie) et, entre effilochures, des bribes de labours assoupis et le clocher d’Urdiñarbe (Ordiarp), l’émotion peut-être à son comble. Urdiñarbe c’est une séquence que l’on pourrait croire à jamais fixée dans le temps, sur lequel l’Histoire serait passée en l’ignorant superbement alors que c’est tout le contraire ! Un fronton que prolonge une placette ombragée, une rivière, l’Arangorena venue des Arbailak (Arbailles) et qui, lézardant à fleur de rive, impose, dans sa traversée du village, une étrange démarcation entre la place et l’église Saint-Michel d’ordonnance romane (XIIe). Deux ponts, l’un piétonnier, l’autre routier, pas moins , l’enjambent. La pente de l’un et la gracieuse voussure de leurs arches accordent au bourg que l’on embrasse d’un seul regard un parfum de temps accumulé. Qui pouvait mieux en parler que Jean-Mixel Bedaxagar (Urdiñarbe, 1953), koblakari, danseur, musikari, auteur de pastorale (dont Akitaniako Alienor, 2014), enfin un de ces veilleurs de tradition auxquels quelques villages de Zuberoa donnent régulièrement le jour, évitant ainsi les Alzheimer de la mémoire collective. Un mal impensable dans un village qui s’honore du plus grand nombre de pastorales, trois en 1909 ! et de l’incontournable Müsikaren egüna de Pentecôte. Le premier café du jour, partagé avec Jaun mera, Monsieur le maire — il nous confirma les 540 habitants du dernier recensement — nous avait cueilli à l’auberge de la place. Forgeron de la sixième génération, Jean-Mixel Bedaxagar

évoqua de la plus belle façon une vocation : « J’ai été bercé par le son du marteau battant l’enclume de mon grand-père dont la forge se trouvait sous ma chambre. » Urdiñarbe ? « L’essentiel de mon existence » avoue celui que l’on salue de Maule à Bilbo. Avant de poursuivre plus avant, il fallait bien débrouiller la signification toponymique. Son ami, le linguiste Jean-Baptiste Orpustan, avait opté pour : le bas du rocher bleu (urdin : bleu, haitz : rocher, pe : dessous). « Tu n’as pas remarqué en venant comme ici la montagne et la forêt ont des teintes bleutées ? », nous avait-il demandé ingénument. Une évidence Jean-Mixel ! D’un Moyen-Âge qui gratifia le village d’une commanderie, un hôpital de pèlerins, la Maison fortifiée de Jentañe qui abritait l’un des dix podestats de Soule où Beñat Goienetxe Matalas, curé de Mitikile et meneur d’une terrible jacquerie, fut arrêté en 1661 avant sa décapitation, tout respire à une Histoire mouvementée. Un château, celui d’Ahatzia (1743), qui possède l’un des plus beaux linteaux du Pays basque et, tout aussi historique, « plus connu de Baiona à Oloron, que la généalogie des vicomtes de Soule, le Coucou des Bois ! », la mythique discothèque célébrée par Niko Exart, rappelait Jean-Mixel, pince-sans-rire. Urdiñarbe c’est aussi son maillage de quartiers, Lanbarra, Ahetzia, un savoureux Baiona ttipia (Petit-Bayonne), autant de hameaux qu’il faut aller découvrir sur le piémont et les premiers embrouillaminis des luxuriantes Arbailak. Garaibie dont les eaux ferrugino — sulfureuses firent jusqu’en 1965, les belles heures des Bains de la famille Bordechar est le passage obligé avant de rejoindre Napale, un col fatal pour la palombe le plus emblématique des oiseaux migrateurs quand il étire sa pantière aux lumineuses journées d’octobre. C’est vrai, Jean-Mixel, il y a vraiment du bleu dans l’air.

Mots-clés/Hitz gakoak : Brume : lanbro Gué : ibi Forgeron : arrotz Improvisateur : koblakari


à découvrir

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Céderic Pasquini

Maison Joanto accueil,

inventivité, saveurs

Maison Joanto, harrera, asmamen, ahogozoak Beskoitzeko apezetxe jatetxe bat bihurturik. Leku apartekoa, La Maison Janto-k fama bildu du harrera bakanari esker eta jaki prestakuntza asmakorengatik.

N

on ! Dieu merci non ! Les murs d’un ancien presbytère ne renvoient pas ad vitam æternam les effluves suiffés de cierges mal éteints, des fragrances d’eaux lustrales. Preuve en est la Maison Joanto de Beskoitze (Briscous) qui s’est avisée depuis juillet 2013 d’établir que le paradis existe, du moins sa légation sur terre. On doit cette heureuse… conversion à Jean-François Bibarnaa et Didier De-Arroyave, les nouveaux prêtres qui ont fait de la maison curiale, un temple du goût. Les deux prennent jeunes le goût de la cuisine. Le premier, Jean-François Bibarnaa, après un passage au Régina (Biarritz) et à Chantaco (Saint-Jean-de-Luz), passe cinq ans comme chef au Sénégal, deux ans au Maroc et un an à Bruxelles « une belle expérience, ne serait-ce que pour l’échange de cultures mais qui m’a inspiré aussi dans ma cuisine comme l’usage d’épices. » Une propension à traîner dans les cuisines des restaurants lors des repas familiaux dominicaux, a allumé les feux de la vocation chez le luzien Didier. Un riche parcours le mène du >> Grand-Hôtel de Saint-Jean- de-Luz à La Presqu’île de Cassis en passant par Le Plazza de Bâle mais surtout au Sénégal, où durant dix ans il œuvre comme chef. Un long passage au Restaurant du Trinquet d’Arcangues l’ancre définitivement au pays natal. Leurs chemins se recroisent et ils décident de faire partager leurs savoir-faire. Jean-François, en cuisine et Didier en salle : « Un autre métier mais un choix délibéré, nous nous complétons ; l’avantage c’est que tous les deux nous avons une bonne connaissance des produits. » Et quels produits ! À la Maison Joanto, un lieu au décor épuré à dessein permettant de donner toute sa mesure à la séquence culinaire « tout à fait dans notre style de cuisine qui mêle l’ancien et le contemporain », on défend avant

Un BIP Gourmand vient de couronner la Maison Joanto

tout le producteur local. Nous avons le souvenir d’une txuleta de porc de chez Manex (Garazi), fondant en bouche. Quant aux légumes, ils viennent des potagers voisins de Xabi Irigoien et Pascal Jocou. Une cuisine traditionnelle revisitée avec, par exemple, cette coquille saint-Jacques œuf mollet avec ventrèche… simple mais d’une redoutable efficacité. Un menu du jour à 12 € faisant joliment passer les jours ouvrables et qui, ce jour-là, déclinait un filet de lieu sauce espagnole et des penne, plus dessert.Une carte (25 € ) changée toutes les dix semaines. Les fins palais ne s’y sont pas trompés qui y auraient ici, presque leurs ronds de serviette. Quoi de meilleur pour adoucir un hiver maussade qu’un cappuccino de châtaignes et jambon fermier de chez Ospital et que suivrait un tournedos de merlu sauce hollandaise en émulsion et couteaux a la plancha ? À moins que vous n’optiez pour le pavé de veau et la tête croustillante façon gribiche. Quant aux desserts, tous faits maisons, ce sera sans hésiter, le délicat Baba au rhum, ou alors, un sommet dans le raffinement, le mille feuilles au chocolat à la fève de tonka. Comment ne pas évoquer l’accueil se traduisant par une attention sans ostentation ? Complices, ils se doublent d’esthètes qui proposent trois fois l’an, des soirées thématiques jazzies voire des détours culinaires africains un lundi par mois, des ateliers de cuisine, une histoire de concélébration encore. La messe est dite, amen. Maison Joanto-Chemin du Village 64 240 Briscous. Tél. : 05 59 20 27 70 maisonjoanto-restaurant.fr

Mots-clés/Hitz gakoak : Presbytère : apezetxe Épice : gozagarri Producteur : ekoizle Accueil : harrera


mythologie

page 24 « Il suffit à l'homme d'enfiler la peau de la bête pour faire l'ours », commente Michel Pastoureau.

Gizona ikusi duen hartzak Nahiz eta Euskal herrian desagertu, hartzak presentzia handi bat du gure legendetan, kantuetan eta batez ere gure ihauterietan.

C

’était il y a quelques années dans le village navarrais d’Arizkun, (vallée du Baztan), le souvenir est encore cuisant. Ihauteria, le carnaval, ce matin-là avait atteint son acmé, et Hartza, l’ours, avait jailli d’une maison, bousculant attelages et gens. Les prérogatives qu’inconsciemment s’accordent les journalistes pour se placer plus avant et mieux que les autres, ne jouent guère dans le pays de l’envers du monde et se payent. Les coups plurent dru et même donnée avec le plat de la main, une mornifle de berger distillée avec toute la conviction de l’acteur pénétré de son rôle, a vite fait de vous envoyer tâter du goudron. Pour un mendizale qui rêve d’observer l’ours de près me direz-vous, l’occasion était trop belle ! Maigre consolation, Hartza zain, son gardien, ne fut pas mieux loti qui s’efforçait de tenir la longe, pas plus que le villageois que la curiosité attirait. Dans sa dimension la plus violente, Hartza, est terriblement présent, mythiquement parlant, on l’aura compris… non seulement en Euskal Herri mais sur toute la chaîne pyrénéenne avec laquelle le Pays basque partage bien des mythes. Est ce que cela expliquerait cette attirance répulsion que manifeste envers l’emblématique plantigrade, la communauté pyrénéenne ? Txomin Peillen qui connaît bien sa Soule natale rappelle que l’ours y est humanisé à tel point que longtemps il fut considéré comme l’ancêtre de l’homme : « Lehenagoko eüskaldunak gizona hartzetik jiten zela sinesten zizien » (les anciens croyaient que l’homme a été fabriqué à partir de l’ours). D’ailleurs nos voisins béarnais l’appellent Lou Moussu (Le Monsieur) et disent : « L’ors ? quasi un omi » (L’ours ? pratiquement un homme). Dans son livre, L’ours. Histoire d’un roi déchu, (Seuil, 2007), Michel Pastoureau évoque le bestiaire médiéval qui le situait déjà entre humanité et animalité :

L’ours qui a vu

l’homme

Mots-clés/Hitz gakoak : Animal : abere Pyrénées : Pirinioak Mythe : mito Métamorphose : itxuraldatu

« L’ours est l’autre de l’homme : même stature, même position debout, même disposition des organes. Il suffit d’ailleurs aux hommes d’enfiler la peau de bête pour faire l’ours ». Pour être lié au réveil de l’ours, généralement au mois de février, l’ours a repris droit de cité dans nos Ihauteri. Les Momotxorro d’Alsasu (Ibilka n° 5) ne sont pas sans rappeler Hartza. Le carnaval d’Ustaritze (Labourd) l’a merveilleusement bien adopté et d’ailleurs Ihauteri s’inscrit dans un intéressant festival qui s’appelle Hartzaro (la saison de l’ours) ainsi que les mascarades de Ziberoa où, explique Claude Labat, « il sert à traiter par le rire les conflits entre chasseurs et écologistes partisans de la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées. » Hartza est présent au carnaval de Markina (Bizkaia) et Zalduondo (Araba). L’ethnographe Thierry Truffaut s’est attaché à analyser la présence de l’ours dans les carnavals navarrais et en particulier ceux d’iturren-Zubieta alors qu’il mène les célèbres et énigmatiques joaldun. Quant au mot artzain, (berger) il n’est que la contraction des mots artz, ours et zaina, le gardien, dans ce sens, étant celui qui protégerait les brebis du plantigrade. De Xan de l’Ours du Pays basque à Joan de l’Os du pays catalan, la légende est la même qui raconte l’histoire d’un enfant né des amours d’un ours et d’une bergère. Car, et là, n’est pas le moindre de ses défauts, hartza aurait la fâcheuse réputation de courir la pastourelle ou plutôt de la forcer. Poussant plus loin l’anthropomorphisme, Pline l’Ancien affirmait que « les ours s’accouplent non pas à la façon des quadrupèdes, mais tous deux couchés et s’embrassant ». Le naturaliste Buffon, avec ce sens rassis qui prévaut chez le scientifique et qui l’emporte sur le merveilleux, rétablira la vérité biologique, on le regretterait presque. Bref, la mémoire collective ayant… bonne mémoire, comment s’étonner que Hartz, Moussu ou Ors aient mauvaise réputation au long de nos chères Pyrénées ? Saura-t-on jamais la vérité ? De l’Atlantique à la Méditerranée, il sera de plus en plus rare l’homme qui a vu l'ours…


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