Ibilka #13

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ibilka

le magazine

NUMÉRO 13 – 2016 UDA/ÉTÉ

Lekeitio

Le petit port de Bizkaia a surtout connu ses heures de gloire à travers la pêche qui fut, jusqu'au milieu du XXe siècle, l'activité essentielle. Depuis, le tourisme a, peu à peu, pris le dessus, sans que pour autant Lekeitio n'y perde son âme.

Cesta punta

C'est la discipline la plus spectaculaire de la pelote basque. Mais elle est aussi une formidable ambassadrice du Pays basque partout dans le monde.

Dolores Redondo

Auteure de la Trilogie du Baztán, énorme succès d'édition, l'écrivaine donastiarra Dolores Redondo, confie à Ibilka l'origine de ses différentes sources d'inspiration.

Le géant d'Altzo

Joaquim Eleizegi Ateaga, le Géant d'Altzo, eut le triste privilège d'être l'homme le plus grand du monde…


Les sonnailles

Zintzarriak padanpa !

padanpa !

Azantz ezaguna gure Pirinioetan zehar, zintzarrien oihartzunak durundatzen du mendi bizi baten sinbolo gisa.

t e x t e Txomin Laxalt / photographie Santiago Yaniz Aramendia

L

accorde un orchestre, on programme zintzarrada es sonnailles pourraient être à la (l’assortiment de cloches) « L’ensemble comprenait moyenne montagne, quand un parfois 21 cloches, généralement 16 ou 17. Huit ou dix méchant brouillard l’enveloppe, joare et huit ou dix küsküllü et une ou deux txintxa ce qu’est pour le marin la corne (petite clarine), attribuée à une chèvre », rappelle Phide brume à l’approche des côtes. lippe Etchegoyen (Mémoires souletines, II, Bergers et Sans écarter le danger inhérent qui kayolars, Elkar). Küsküllü, est la cloche des grandes se cache derrière l’opacité aqueuse, les sonnailles occasions, celle réservée aux plus belles brebis ou signalent au marcheur harassé, voire perdu, le retour, au bélier ; d’ailleurs en Soule on use de l’expression quoiqu’encore incertain, vers les hommes. Il en est Ahairik ejerrena tzintzarririk gabe (le plus beau ainsi de cet étage montagnard, dernière marche bélier sans cloche) pour signifier qu’on néglige un avant une nature jamais hostile, mais seulement invité. On se déplace pour voir passer le troupeau superbement et définitivement indifférente. Le à la montée en estive comme à la berger s’y est aménagé une place Mots-clés/Hitz gakoak descente, simplement parce que pour le meilleur comme pour le ces deux séquences, pareilles à des pire. Comme la cabane en est son Troupeau : saldo solstices, entérinent deux saisons : havre, les sonnailles affirment haut Cou : lepo l’été et l’automne. Enfin, parce que et fort une fragile domination sur le Agneau : bildots la rassurante musique des sonnailles temps et l’espace. Les mots pour les Bélier : ahari, marro en se situant dans l’ordre des choses, désigner en euskara, résonnent de résonne comme l’affirmation de toute la force de l’allitération : Joare, l’essence même de la montagne basque. zintzarri, bulunba… et, padanpa ! padanpa ! passe Les sonnailles tintinnabulent au long des Pyrénées, ou paît le troupeau, harmonieux dans son unicité. même si elles se font plus rares dans les vallées Zintzarria pour les bergers, c’est bien plus qu’une orientales et méridionales. On ne peut passer sous cloche que l’on suspend au cou de la brebis. Zintzarria silence, ce magnifique rituel qui, en vallée de Chistau signifie l’attachement sans faille à un métier dont (Aragon), la nuit du 17 janvier, réunit les habitants gestes et rituels sont immuables et à un troupeau des cinq villages qui vont faire résonner de leurs dont on est fier et qui nécessite des années – on mains dans un même allant, les Trucos (sonnailles) parle de dix ans – pour en assurer la cohésion. Se jusqu’à parvenir à une forme de transe. N’est-ce moquer de la grégarité des brebis, c’est ne rien compas une façon de s’assurer ainsi que ni l’exode, ni prendre au fonctionnement de saldo, le troupeau, les vicissitudes d’un monde en mutation ne vienun ensemble indissociable. dront à bout du plus ancien espace de travail entre Alors, au jour de la montée en estive, les brebis sont Atlantique et Méditerrannée ? soigneusement tindaturik (fardées) et comme on


ÉDITORIAL

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La Pelote bien-aimée…

Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Couverture : Cédric Pasquini P. 20 -21 : D.R. P. 24 : Claude Labat

N

otre Seigneur Dieu a mis en ce monde, Des oiseaux qui chantent dans la forêt et des brebis dans les montagnes, Des marins et leur bateau en pleine mer, Et la pelote bien aimée du côté du Pays Basque », écrivait Pierre Etxahun-Iruri, poète et koblakari basque du début du XXe siècle dans son hymne à la pelote Pilotarien Biltzarra. Il va sans dire que la pelote est l’une des parties constitutives de l’identité du peuple basque. Une enquête la place en quatrième position des « aspects les plus importants qu’évoque la culture basque », derrière la langue, le chant et les danses. Depuis plusieurs siècles, l'art, la peinture, la littérature témoignent de cette osmose entre pelote et identité et la figure du pilotari réside toujours dans nos mémoires, comme un emblème du Pays basque. Si, dans ce nouveau numéro d’Ibilka, nous avons souhaité vous présenter l’une de ses nombreuses spécialités, la cesta punta, ce n’est, bien sûr, pas dans le désir d’installer une quelconque hiérarchie entre elles, mais simplement pour rendre hommage à celle qui est, peut-être, l’ambassadrice de toutes les autres et sans doute du Pays basque à travers le monde, celle qui a traversé les océans. « Là où a immigré un Basque, s’est dressé un jai alai », écrit Txomin Laxalt. Partout, à Buenos Aires, Miami, Orlando, Macao, La Havane, Melbourne, le claquement sec de la pelote ouvre le corridor de la mémoire et transporte les spectateurs vers Euskal herria. Ibilka vous invite également en Biscaye, dans ce magnifique petit écrin de Lekeitio, un port riche d’histoire(s). Enfin, nous vous réservons une belle surprise avec l’interview que nous a accordée Dolores Redondo, l’auteur de cette époustouflante trilogie du Baztán. Bonne lecture et très bel été à tous. Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication


PORTRAITS

MARIO

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

RÉMY


PORTRAITS

PAGE 5 DATES CLÉS

1978 : Début des collaborations

1985 : Indigo groupe avec

1993 : Rémy

2000-2001 :

de Mario avec Peio eta Pantxoa, Martikorena, Etxamendi et Larralde, Estitxu, Aritzak, Azul musicantes.

Mario, Nicolas Filiatreau, Sylvain Luc et Frédéric Gaillardet.

intègre son premier groupe de rock : Iluneko mamutzak.

Rémy rencontre Anje Duhalde, disque Brassens.

ZE’ GACHIS !

QUELS GACHIS ! Atipikoak Euskal herriko musikaren munduan, Mario eta Rémy Gachis-ek, aita eta seme, baltsako gauza bat daukate : haien musika besteen zerbitzuko da.

S

i la guitare possédait une légation en Euskal herri, ils en seraient ambassadeurs. Leur nonciature ? Tout dépend du jour et de l’heure ; une scène des plus prestigieuses de l’Hexagone ou l’un de ces derniers comptoirs, escale avant le retour vers la vie rangée. Il nous souvient d’une nuit dans un bar aimable de Donibane Lohitzun comme le beltz (vin rouge) avait atteint le niveau de crue suffisant pour dénouer les cordes vocales et nous pousser vers la Navarre. Mario Gachis (1954, Tyrosse) avait débarqué pour le verre d’après concert. Les accents d’une jota, certainement malmenée, lui avaient fait faire demi-tour, non point que ses oreilles eussent été heurtées par nos rémolades mais pour aller quérir sa guitare. Le vétilleux rythme ¾ du compas navarrais, momentanément égaré, retrouva le rail de la portée, les voix égaillées s’y posèrent naturellement comme hirondelles sur leur fil et la jota exista. Le professionnel s’était mis au service du dilettante : « La musique c’est aussi affaire de copains… », avait minimisé Mario, tout de pudeur, au rappel de ce témoignage de générosité. Comme son père, Rémy Gachis (Pau, 1977) qui côtoie volontiers ces archanges ou loups-garous, chers au poète Bernard Dimey, et que l’on ne croise qu’aux petites heures, aurait agi de même pour tenir de l’engeance de ceux dont les >> universités furent autant conservatoires que hasard de rencontres. Mario, bercé par les trois B magiques : Brel, Brassens, Beatles, a choisi la guitare pour un apprentissage en solitaire. Passage obligé en ces années 70 : le bal ; Mario y fait ses rudes classes avec les orchestres de Pedrito Percal et Louis Camblor, les incontournables de l’époque. Au menu, rock mais aussi trad basque : « De 16 heures à 20 heures avec, tout aussi traditionnelle, la partie de castagne vers les 17 heures ! », évoque-t-il, un brin nostalgique. L’aventure de Mario avec Los Mochicas relève d’une affaire de cœur. L’Amérique latine sur les bords de l’Adour peutêtre mais on s’y serait presque trompé. Faut-il préciser que les membres du groupe avaient tous tâté de la cordillère, s’étaient nourris des Quilapayun, du Jara et de la Sosa, tant pour la musique que pour les idées ? Quand on l’interroge sur ses goûts musicaux, Mario ne s’autorise aucune exclusive : « Je ne suis pas quelqu’un qui déteste beaucoup, quant au classique c’est une culture utile que hélas je n’ai pas eue. » Rémy, un anar qui serait fidèle à la partition, en rit derrière sa barbe de sapeur. Il a décroché tous les diplômes avec, à la clé de sol, une licence de musicologie dont le mémoire ayant pour thème la chanson paillarde ou l’humour en musique, fait s’esclaffer son Mario de père qui rajoute complice, comme on avance une excuse : « Je lui ai appris la guitare quand il avait huit ans. »

Pour Mario, la reconnaissance vient en 1977, avec le premier disque d’Estitxu Robles Aranguiz (1944-1993) et ses frères, une belle symphonie familiale dont il tisse les arrangements. En 1978, il accompagne Peio eta Pantxoa à l’occasion de leur deuxième disque. La rencontre avec Erramun Martikorena est essentielle, il l’accompagne dans ses enregistrements mais aussi sur scène. Son récit de la tournée à l’Olympia demeure un morceau de bravoure : « Erramun est le seul chanteur qui s’est produit sur la scène de l’Olympia… entre deux avions, ou plutôt entre deux traites de brebis ! »

Le cœur aussi gros que sa mailloche

Mario et Rémy, auteurs-compositeurs, entretiennent, lot des vrais artistes, l’élégance de faire accroire que tout coule de source. « L’écriture ? Comment ça marche. La composition ? Toi, ce que tu en fais », résume Rémy, digne surgeon de Barthélemy Rosso, Victor Apicella et Joël Favreau, les guitaristes de Brassens. Il suffit pour s’en persuader d’écouter dégoutter sa guitare quand il seconde Anje Duhalde, pointilleux traducteur en euskara et brillant interprète de l’auteur du Gorille. La gratte reléguée, Mario donne volontiers du saxo et du cuatro cubain quand Rémy préfère la grosse caisse. Acteur de trottoir accompli, roulant des yeux et du corps, il joue avec une telle maestria de la mailloche, tantôt comme un bûcheron avec sa cognée, tantôt comme un magicien avec sa baguette qu’il persuade que le plus rustaud des instruments a un cœur aussi gros que le sien ! Percussionniste de Burrunka et du talentueux groupe Txarangaita, dont il fait les arrangements et à l’occasion compose quelques pièces, Rémy affirme : « Tu écris parce que tu sais que dans la rue tu vas passer un moment incroyable. La musique ? Un merveilleux prétexte. » Outre qu’ils sont professeurs de conservatoire, on l’oublierait presque, Mario et Rémy Gachis ont en commun de pratiquer une guitare remarquable laquelle, entre chanterelle et bourdon, dispose d’une septième corde. On l’appelle accointance.

Tu sais que dans la rue tu vas passer un moment incroyable

Mots-clés/Hitz gakoak Guitare : gitarra Corde : soka, Portée : boslerroko, pentagrama Arrangement : moldaketa


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D’OSIER DE CUIR ET DE PIERRE


PELOTE

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini

ZUMEZ, LARRUZ ETA HARRIZ

La Fédération Internationale de pelote, dans une désignation stricte, l’appelle fronton couvert de 54 m, avant de décliner un cahier des charges faisant de ce temple, un abrupt parallélépipède de béton aux sévères parois agrémentées d’une monotone géométrie de lignes normatives. Les pilotazale ont préféré désigner l’enceinte du bien plus enlevé nom générique Jai Alai ou fête joyeuse pour une discipline qui ne l’est pas moins, la cesta punta. Il ne sera pas question ici, exercice bien trop périlleux, d’établir des 15 spécialités de pelote laquelle est la plus noble ou la plus méritante mais seulement de s’arrêter sur la plus jeune d’entre elles, la plus mal aimée peut-être, mais de par son aptitude à avoir traversé les continents, sans doute parmi les plus intéressantes pour son rôle d’ambassadrice de toutes les autres. En 1945, à l’issue d’une partie au Jai Alai de La Havane, inauguré en 1901 – on l’appelait aussi El Palacio de los gritos (le Palais des clameurs) – Ernest Hemingway, qui le fréquentait assidûment, répondit sans hésiter comme un journaliste mexicain lui demandait quelle spécialité de pelote il affectionnait : « La cesta punta, la plus difficile, la plus rapide, la plus impétueuse. Parmi les joueurs, je compte de grands amis. » Mais, histoire de ménager les susceptibilités, l’auteur de Le Soleil se lève aussi rajouta aussitôt : « Les Basques sont un peuple admirable, noble. Et les pilotaris basques, s’ils se mettaient à se comporter sur la cancha comme

à table, toutes les parties finiraient à égalité ! » Il en est d’un fronton comme de tous les lieux de la planète, il ne devient intéressant qu’au moment où l’esprit qui l’habite se manifeste. Ainsi, au Jai alai de Biarritz ou Gernika, de Saint-Jean-de-Luz ou Markina-Xemein, de Garazi ou Miami, de Mauléon ou Djakarta, les glauques parois – le vert émeraude répond à des nécessités télévisuelles – perdent derechef leur uniformité ubiquitaire dans la parenthèse d’une partie, car tout zestari (puntiste) vous le dira, il n’y a pas un mur qui répond de la même manière. En devenant à la fois le réceptacle d’un affrontement et le premier auxiliaire des participants, les limites pourtant inanimées de cet espace de 54 x 10 x 10 m vont soudain régenter, orienter le jeu en inspirant chez le pilotari, l’ingénieux tracé d’invisibles mais souvent impitoyables trajectoires.

Réception La cesta punta est le sport, toutes disciplines confondues, dans lequel la vitesse de la balle est la plus grande. Si la pelote rebondit dans le chistera, ce qu'on appelle un pumpa, la pelote est faute.

Une gestuelle incomparable

On a tout dit du caractère spectaculaire de la cesta punta qui rend le spectateur avide de grimpers au mur, de non moins attendus revers couchés, autant d’attitudes qui relèvent non pas de l’épate mais d’une nécessité technique, la seule réponse convenant à une orbite scélérate ajustée bat-batean (soudainement), comme fuse un bertsu (improvisation), par l’adversaire. Cette gestuelle incomparable apparente fatalement cette discipline dont tout l’art consiste à se situer idéalement dans l’espace pour, à l’aide de cet outil de précision qu’est un gant d’osier de 500 gr, contrarier l’objectif de la course fulgurante de la pelote – 302 km/h est à ce jour sa vitesse maxima enregistrée (José Ramón Areitio à Newport, USA, 1979) – à une véritable chorégraphie. « Pour tout joueur, le charme de la cesta punta réside dans la vitesse, une sensation unique, ça rend fou et puis il y a cette décision qu’il faut prendre instantanément, à cette vitesse c’est intuitif : “cette pelote qu’est-ce que j’en fais ?” >>

L

Pilotaren diziplinen artean, maitasun faltan da zesta punta. Zerbait penagarri eta zuzengabekoa. Ezen, diasporaren katearen azken maila, zesta punta, munduan zehar, beste diziplinen enbaxadorerik hoberena izan zen.

Avoir présent à l'esprit que tu joues contre la pelote, pas contre un adversaire !


PELOTE

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et avoir toujours présent à l’esprit que tu joues contre la pelote pas contre un adversaire. Par rapport aux autres disciplines, il s’agit d’un lancer pas d’une frappe », nous avait confié sur la cancha Serge Camy, ancien champion du >> monde (1970). Car on l’a bien compris, il ne s’agit pas de se débarrasser de la pelote en se contentant de la renvoyer vers le frontis (mur de face) mais instinctivement d’élaborer une stratégie : « Si tu permets à l’avant adverse de récupérer la pelote, tu as toutes les chances de perdre le point, donc l’arrière, tout de force, doit faire en sorte de permettre à son avant, généralement vif et alerte, de récupérer la pelote. »

La txula, pelote très basse sur mur du fond, est un must réclamé par le public

Intensité du moment

Équipes Une partie de cesta punta se joue à deux équipes constituées, chacune, d'un avant et d'un arrière.

Le règlement, sur ce point conjectural, stipulant que le joueur doit relancer la pelote dans le mouvement, ce dernier, à sa réception, ne dispose que d’une broquille de délai, disons l’intervalle d’un anhélant cycle respiratoire, pour opérer. Seul un instructif ralenti permettrait de saisir toute l’intensité du moment. Instants décisifs quand, à la sèche et brève crépitation du cuir contre la pierre, succède le heurt étouffé du cuir bloqué contre l’osier, preuve tangible dans le temps vrai, l’œil du spectateur entraperçoit seulement – que le joueur n’a

fait qu’intercepter l’avis de l’adversaire. Gant horizontal, légèrement ramené vers le corps, observez comment l’osier – prolongement innervé du bras – est imperceptiblement secoué, pour localiser la pelote, s’assurer de la fugace maîtrise de ce boulet rouge, avant de décider quelle forme de réponse on va dépêcher à l’adversaire. C’est selon. Une pelote cueillie dans un espace ouvert va autoriser, outre une assise, un confortable armé du bras en même temps que s’effectue cette flexueuse mais violente rotation du buste avant renvoi exprimé par tout le corps. Une pelote récupérée dans l’élan, près du mur, va imposer l’acrobatique et aventureuse grimpette le long de la paroi, parfois deux trois pas et dont certains, tel Francisco Churruca Iriondo, s’étaient fait une spécialité. L’infexible loi de la balistique autorise pourtant sur la cancha, pour qui sait en utiliser les finesses, à influer sur l’écliptique du projectile, en usant de techniques aussi abouties que rares et souvent imparables. Elles ont pour nom outre le classique carambolage (mur de gauche, frontis et grillage), le txik txak (sol, mur du fond) engendrant une perfide rasante, la txula (pelote très basse sur mur du fond) – un must réclamé dans les gradins en Hegoalde au cri récurrent de txuuuuula ! – et faisant littéralement s’écraser la pelote au sol en même temps que l’adversaire. Seul le feulement du gant fouettant l’espace permettra de traduire une victoire éphémère sur les contraintes de


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Geste De la réception de la pelote au lancer, le geste décomposé par Yon Curver que nous remercions.

Engagement Le but s'effectue à hauteur de la ligne 10 et la pelote doit rebondir entre les lignes 4 et 7.


PELOTE

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Chistera La confection d'un chistera, avec de l'osier, est une affaire d'artisan. Jean-Louis Gonzales et son fils Pierre maintiennent la tradition, à Anglet.

la cinétique. Alors, libérée, à peine la pelote aura-t-elle à nouveau déflagré qu’il faudra déjà à ces duellistes remonter à l’assaut. Sans l’inexorable relation de cause à effet, en l’occurrence la naissance en 1884 à Senpere (Saint-Pée-sur-Nivelle) Maison Oiha Kontenera, de Jean de Ithurbide lequel, à la fin du XIXe siècle eut le trait de génie de s’emparer d’un panier de bois tressé appelé shistera pour expédier plus loin et plus fort la pelote, nous ne serions pas aujourd’hui au Chistera, désignation appropriée pour la plus bayonnaise des auberges. Autour d’une généreuse tablée, la fine fleur pionnière de la cesta en Iparralde, avec le bagout associé à l’heure des verres plus ventrus, rallumait des feux mal éteints. La plupart, dont >> Jean-Pierre Marmouyet, maître de céans, le luzien Pierre Irungaray, Serge Camy bien sûr, avaient croisé le gant de longues années durant, dans les Jai Alai américains, de Miami à Fort Peers, d’Orlando à Hartford. Quant à Lilou Etcheverria, aujourd’hui Président de la Fédération de pelote – quatre fois champion d’Europe et, aux côtés d’un certain Jean-Paul Inchauspé, deux fois champion du monde (Mexique, 1982 et Gasteiz/Vitoria, 1986) – il n’aurait manqué cette eucharistie pour aucune partie au monde. Issus du jeu en place libre,

Deux philosophies de jeu opposent Pays basque Nord et Pays basque Sud

tous avaient fait leur apprentissage en Hegoalde où s’étaient développées en même temps que la nouvelle spécialité, les Mecque de la cesta : Gernika, Markina jusqu’à l’avènement, entre la fin des années cinquante et 80, des Jai Alai d’Hossegor, Saint-Jean-de-Luz, Biarritz, Garazi et Maule.

Le rêve américain

Ceux qui firent l’expérience des USA, ultimes maillons de la diaspora nord-américaine, n’en gardent pas un souvenir impérissable. « Le seul bon côté, c’est un sentiment d’appartenance, d’avoir fait partie des meilleurs, le rêve américain sans doute mais un rêve empoisonné même si nous avons gagné de l’argent », avait confié sans regret cependant, Serge Camy. Les Jai alai y pratiquent un frustrant et complexe système de jeu fondé sur le pari, la quiniela, qui pour mieux déjouer toute forme de fraude, se base sur la rotation des joueurs – huit équipes de deux – à chaque point marqué. « Si on apprend beaucoup techniquement, il est difficile de s’éclater sur la cancha », avait reconnu J.P Marmouyet. Dans les années vingt, alors qu’il contrôlait les jeux à Chicago, Al Capone ayant voulu mettre la main, mais en vain, sur le Jai alai de la ville, déclara déconfit : « J’ai corrompu des juges, des flics, des sénateurs mais il m’a été impossible de corrompre ces bigots de Basques. » C’est vrai que les joueurs de cesta punta, – cette


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saga d’un siècle compte d’authentiques stars – forment, si ce n’est une caste, une authentique aristocratie. Demandant une adresse exceptionnelle, de solides qualités physiques, cette spécialité difficile autant qu’onéreuse – un gant coûte dans les 350 euros et ne survit guère au-delà d’une dizaine de parties – ne peut, dans sa pratique, connaître la même popularité que la pala ancha par exemple, ne serait-ce que pour la solide logistique qu’elle demande, en Iparralde l’indispensable soutien de partenaires en l’occurrence. Un jeune qui tente l’aventure doit savoir qu’il n’aura que peu de chances de participer aux prestigieux Gants d’Or de Biarritz ou Internationaux de Saint-Jean-de-Luz. Un particularisme dans l’univers populaire, bien que fermé, de la pelote et que l’on reproche lourdement aux intéressés, conscients d’être peu aimés des zélateurs des spécialités traditionnelles considérant injustement la cesta punta comme un spectacle destiné aux seuls touristes. Aujourd’hui deux philosophies de jeu opposent Pays basque sud et Pays basque nord. La première, tenante d’un professionnalisme verrouillé par les empresas qui gèrent théocratiquement leurs joueurs comme dans la boxe ou la corrida. La seconde, défend farouchement l’amateurisme, ce qui fait dire, non

sans certaine ironie, à Serge Camy : « Ici on gère par les compétitions, en Hegoalde par des exhibitions. » Finalement la meilleure façon de faire contre mauvaise fortune bon cœur et Lilou Etcheverria s’y attache avec conviction, c’est encore de mêler sur la cancha les deux conceptions.

Les temples de la pelote

On ne répétera jamais assez que la cesta punta fut sans conteste la meilleure ambassadrice de la pelote et, de ce fait, d’Euskal herri à travers la planète. Là où a émigré un Basque, s’est dressé un Jai alai. À Buenos Aires, Las Vegas, Orlando, Tampa, Daytona, Chicago, Bridgeport mais aussi, à Rome, Milan, Florence, Bruxelles et qui le sait ? Au Caire, Shangai et Tsen Shin, Macao mais aussi Melbourne, Tijuana, Sao Paulo, La Havane et Djakarta et encore à Barcelone, Madrid, Tenerife, Seville et La Coruña. À mi-chemin entre opéra et enceinte olympique, ces temples de la pelote furent souvent autant de merveilles architecturales qui mériteraient qu’on s’arrête à leurs histoires. Aux quatre coins du monde ils furent théâtres d’affrontements sans merci, de paris insensés, d’audaces folles, des joueurs y perdirent même la vie. La pelote est un monde, c’est sans doute pour cela que le monde à la forme d’une pelote.

À la commande Le chistera est fabriqué entièrement à la main, et sur commande. Il faut, environ, trente heures de travail pour fabriquer un chistera.

Mots-clés/Hitz gakoak Puntiste : zestari Ambassadeur : Enbaxadore Fronton : pilotaleku, frontoi Osier : zume


PORT

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s S a n t i a g o Yaniz Aramendia

LEKEITIO, MUNDU BATEKO MUTUREKO PORTUA

Lekeitio le port du bout d’un monde

Nahiz eta adituek dioten orain duela 30 000 urte Kristo aurretik hasi zela gizakia bizitzen lur zati honetan, aro garaikidea edo kasik, interesatuko zaigu.

Envolez-vous « La mer, la mer, toujours recommencée ! » écrivait Valéry et même quand le vent ne se lève pas, à Lekeitio on est toujours tenté de vivre.

I

l ne faudra pas compter sur l’autoroute, pas plus que sur une confortable route de pays pour gagner Lekeitio (Bizkaia), qu’on se le dise ! Peu s’en faudrait pour que le très évocateur terme de port de bout du monde ne lui aille comme un roman de Francisco Coloane. À deux heures d’Iparralde et presque autant de Bilbo, nous tempérerons nos affirmations en évoquant plutôt un port du bout d’un monde, tant pour la petite expédition que requiert cette incursion biscayenne que pour une époque presque révolue que Lekeitio reflète.

Nous aurons choisi le dépouillement de la basse saison, de préférence après des journées qu’auront tourmentées ces grains qui plongent le Golfe dans d’anthracites épaisseurs marines. Quand, enfin presque débarbouillé, le ciel s’illumine de lumières hollandaises, ne plus hésiter à emprunter depuis Deba (Gipuzkoa), la funambulesque route de la corniche, une savoureuse mise en bouche pour qui veut déchiffrer les ports cantabriques. Flexueuse et parfois cahoteuse, pour peu qu’un coup de tabac ait écorné son goudron, elle va ourler les contours d’une géographie sentimentale, tantôt à fleur de rivage, tantôt, après s’être fourvoyée dans le fouillis des pins, à touche échine de falaises cariées par le boutoir atlantique. Le kilomètre ne faisant plus rien à l’affaire, il faudra compter plutôt en virages si l’on tient à se référer à un temps désormais peu horloger. À peine ce virage contourne-t-il acrobatiquement un caprice rocheux enveloppé d’une possessive végétation où, plus odorifique qu’odorant, le morne eucalyptus se taille la part belle, que celui-là semble se défenestrer vers une soudaine trouée maritime s’ouvrant en majesté sur une mer où le cobalt le dispute à l’émeraude. Passés Mutriku (Gipuzkoa) et Ondarroa (Bizkaia), alors que le regard s’habitue aux incommensurables lointains cantabriques,


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Vaguelettes asthéniques aux basses eaux, rouleaux puissants au flux, véritable respiration marémotrice, balaient les deux plages d'Isuntza et de Karraspio


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PORT

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PORT

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Pareil à un cétacé échoué, l'île de Garaitz se dresse à 46m d'altitude, à une centaine de mètres du port, reliée à la terre par un cordon de sable

Plaisirs marins L'estran et la marée haute distillent, chacun à sa manière, les plaisirs de la mer Cantabrique. Phare Santa Catalina Le phare Santa Catalina abrite un Centre d'interprétation de la technologie de la navigation où les conditions de vie en haute mer ont été recréées.

le moutonnement brique des toits de Lekeitio se dévoile enfin au voyageur. Et c’est un bonheur que l’on a envie de qualifier de plain-pied. En effet, à l’orée de la ville, point de zone balbutiante destinée à l’entrepôt ou au supermercantilisme. Approche parfaite que double un panneau incitateur : « Eskerrik asko euskaraz emateagatik » (merci de vous exprimer en basque). Une apaisante descente conduit vers l’embouchure de la rivière Lea que l’on franchit sur un pont à l’unique arche comme se dessinent les vagues contours sablonneux d’une ría à la laisse de basse mer. Vaguelettes asthéniques aux basses eaux, rouleaux puissants au flux, balaient les deux plages, d’Isuntza et de Karraspio, une respiration marémotrice entretenue par le vieux moulin de Marierrota. Cependant, ce qui retient le regard du visiteur c'est, pareil à un cétacé échoué et caparaçonné de concrétions, l’île de Garaitz qui se dresse à 46 m d’altitude à une centaine de mètres du port. Un cordon de sable et une sinueuse digue tapissée de mousse la relient à la terre seulement à la basse mer. L’anse au fond de laquelle se blottit Lekitto, ainsi que les 7 300 habitants désignent affectueusement leur ville, et l’île de Garaitz offrent protection aux voiliers qui ont décidé d’y relâcher, comme aux dernières unités de pêche.

Un métier difficile

C’est fatalement vers le port que nos pas se dirigeront en premier, parce que là réside la raison même d’exister de Lekeitio – la ville a engendré outre du corsaire, le Père Resurrección María de Azkue (1864-1951)

premier président de l’Euskaltzaindia (Académie de la langue basque) et infatigable compilateur de nos chants traditionnels – comme vers le quai et le large se tournent les regards des anciens assis, immobiles, sur les bancs de Independentziaren plaza. Sur le large quai principal Txatxo, du nom du marin Lekeitiar qui accompagna Colomb dans son voyage aux Amériques, le souvenir des années fastes se lit sur les façades muettes et les fenêtres passées au blanc de l’oubli. Le bassin principal clairsemé, est occupé surtout par les alignements de voiliers cliquetant de tous leurs haubans et par des batel (barques) d’agrément à l’amarre. L’équipage de l’Atxurra finit de débarquer la pêche : quelques legatz (merlu) et d’impressionnants itsasapo (baudroies). Le patron grille une clope réparatrice et répond, faussement en colère, quand on s’étonne du peu de bateaux : « zazpi itsasontzi bakarrik, ze’ nahi duk txo ! ez da arrain gehiagorik ! » (sept bateaux seulement, mais que veux-tu mon gars ! il n’y a plus de poisson !). Avant le brise-lames Tala, une contraction d’Atalaia (vigie), Arrantzaleen Kofradia (La Confrérie des pêcheurs), le principe vital qui, depuis des siècles, gère la vie du pêcheur basque, du berceau à la tombe qu’elle soit de pierre ou d’écume. Un kafetxo pris avec un responsable pour apprendre que les jeunes se détournent d’un métier difficile. Un ikurriña frappé de l’effigie du Che et le drapeau de l’Atlhetic Bilbo flottent sur le Bide ona bi dont une partie de l’équipage est composée d’Africains maniant parfaitement le biscayen.

Le maire de la Kofradia

Justement nos pas nous conduisent, Kale Ezpeleta, vers l’ancien et imposant bâtiment de la Kofradia, construit en 1803 sous les auspices de San Pedro, le saint patron de la ville. De vieilles photos resurgissent, évoquant les quais, les mêmes pourtant, mais grouillant du va-et-vient des pêcheurs, des empilements de paniers dégorgeant de poissons, des ramendeuses de filets à l’ouvrage à même le pavé. La Kofradia date de 1460 et ses décisions sont sans appel. Entité suprême, à la fois syndicat et caisse de retraite, providence de la veuve et de l’orphelin de tout péri en mer, elle a traversé le temps quand bien même le métier se fragilise. Deux bulles pontificales lui accordaient l’autorisation d’armer en pêche les jours fériés, moyennant, on s’en doute, quelque généreuse aumône. La Kofradia possédait, c’est dire son importance, l’insigne droit d’élire un maire lequel, pouvait exercer parallèlement à celui élu par le reste de la population. Témoin encore l’atabaka, curieuse urne de


PORT

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PORT

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De Pasaia à Bilbao, partout, la Kofradia est une riche expression, chez les plus humbles, de la solidarité et d'une authentique mutualité

Pêche Dans les années soixante, Lekeitio accueillait encore quelque 480 pêcheurs. Katxarranka Pour honorer San Pedro, le danseur exécute une katxarranka, une danse dont l'origine remonterait au XVe siècle.

bois percée de deux trous et gravée pour moitié d’une naïve évocation maritime et pour une autre d’un dessin de côte. Quand le désigné à la météo hésitait, les patrons de pêche votaient : ou tous les équipages sortaient ou tous restaient à terre : « itsaso zantarra dagonian, harrankilia bota eta itxaron » (avec mauvaise mer, jeter l’ancre et attendre). La Kofradia, de Pasaia à Bilbo, une riche expression chez les plus humbles de la solidarité et d’une authentique mutualité.La pêche. Elle fut le principe créateur de Lekeitio dont on s’accorde à reconnaître la fondation officielle en 1325 par Maria Diaz de Haro. Sur son blason figure toujours la baleine même si depuis longtemps la Balaena biscayensis ne souffle plus au large du Golfe. L’irrationnelle rivalité qui existe aujourd’hui encore entre la première voisine, Ondarroa, et Lekeitio, date du temps du harpon. La pêche et le temps restent au centre des conversations parce que les déferlantes viennent de plus en plus fracasser le brise-lames du port et que l’on se plaît à entretenir un temps pas si vieux, les années soixante, où le bassin accueillait quelque 480 pêcheurs pour 74 patrons de pêche, 64 armateurs et quand deux conserveries pouvaient employer jusqu’à 500 personnes en pleine saison.

San Pedro (29 juin), le touriste s’effacera devant le Lekittora quand passe la procession, parce que ce jour, entaché d’aucun folklorisme, est totalement sien. Nul ne s’avisera de sourire quand par deux fois les porteurs de San Pedro effectueront kilin kala, la double bascule de la statue vers la mer, un rite particulièrement attendu et d’une touchante naïveté dont le sousentendu pourrait se traduire ainsi : « Bon Saint-Pierre, assure-nous une bonne année de pêche, sinon comme tu le vois, nous pouvons te virer à la baille. » Quant à Kaxarranka, la symbolique et complexe danse du coffre, exécutée ce même jour et depuis deux cents ans, devant l’image de San Pedro, sur la place Arranegui et devant la mairie, outre qu’elle est l’une des plus curieuses danses de la riche tradition basque, elle identifie singulièrement un puissant sentiment d’appartenance à la fraternité maritime. Le danseur, vêtu d’un frac et coiffé d’un chapeau haut de forme, l’effectue juché sur la kaxa – elle contient les plus anciens documents de la Kofradia – posée sur les épaules de six pêcheurs. Les vieilles murailles qui ceignent le port biscayen, les magnifiques palais qui s’enchâssent naturellement entre les modestes demeures de pêcheurs, permettent, au petit bonheur de la déambulation, une conviviale lecture historique. Les calcaires taillés des palais Uriarte (1677), Oxangoiti, (1674), de Turpin Dorrea (1520), du couvent Santo Domingo (1595) ou de la mairie (1721) accordent une singulière luminosité à la ville même aux jours de tabassée. Fleuron gothique du port biscayen, à mi-chemin entre forteresse et lieu saint, l’église Santa Maria offrira à l’amateur d’art le plus imposant retable gothique flamand de la péninsule. Celui que le souffle de l’épopée enfièvre préférera sans doute le sommet de Lumantza (120 m) pour, depuis la modeste éminence, balayer un horizon immuable du même œil scrutateur que la vigie d’antan. À défaut du Léviathan omnipotence évocatrice de la mer toujours recommencée, c’est le long lignage marin d’une communauté que, dans la houle, son regard harponnera.

Place au tourisme

À Lekeitio il a donc bien fallu composer avec une économie tournée désormais vers un tourisme farouchement agrippé, cependant, à la mémoire. Remonter l’étroite rue Arranegi (le lieu du poisson), la moelle épinière du quartier des pêcheurs, c’est toujours se souvenir, prendre txakolina, au comptoir d’un des bars, est aussi rassurant que le retour de la marée. Au jour de

Mots-clés/Hitz gakoak : Quai : kai Marée haute : itsas gora Marée basse : itsas behera Thon : hegaluze Prendre le large : itsasoratu


INTERVIEW

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t e x t e s Jean-Paul Bobin

INTERVIEW

DOLORES REDONDO

LES LECTEURS RÉCLAMENT AMAIA Romancière à succès, en Espagne et dans toute l’Europe, à travers sa Trilogie du Baztán, Dolores Redondo a répondu à nos questions et rassure les fans de l’inspectrice Salazar, ses aventures ne sont pas terminées.

Ibilka : Pour vous, Donostiarra, était-il important que votre trilogie se déroule dans l'une des sept provinces ? Dolores Redondo : L'origine de la trilogie, c'est de parler des différents aspects de la vie et de la culture du Pays basque et de la Navarre ; des régions différentes du reste de l'Espagne à travers leur culture, très liée au matriarcat, et une charge historique qui s'appuie sur une langue particulière, l'euskara et sur la mémoire des procès en sorcellerie menée par l'inquisition espagnole. >>

La société dans laquelle je vivais, enfant, était très marquée par le matriarcat I. : La mythologie basque est très présentes dans vos romans, qu'apporte-telle à l'intrigue ? D.R : La vallée de Baztan est une scène idéale pour parler d'un sujet si enraciné, telle que la tradition magique qui s'est fondue avec le christianisme et qui, aujourd'hui encore, perdure dans de nombreux rites. Ces deux aspects planent sur toute la trilogie, celui de la foi qui te protège et l'autre foi, perverse, qui justifie le meurtre comme offrande à un Dieu qui se sentirait ainsi flatté.

I. Était-ce une manière de parler de la fracture sociale et culturelle, entre la ville Iruña et le monde rural ? D.R : La société dans laquelle je vivais, enfant, était très marquée par le matriarcat. Des veuves qui se promenaient toujours seules, endeuillées par la disparition d'un mari qu'elles n'avaient presque jamais vu. La vie dans un port, les funérailles de cénotaphes, des cimetières dans lesquels les morts jeunes sont en plus grand nombre que partout ailleurs dans le pays. J'espère qu'il m'en reste quelque chose, c'est le moins qu'on puisse attendre.

a des années, non loin du Baztán. Il était intéressant de faire revenir l'inspectrice Salazar dans son village natal pour enquêter sur des crimes en série. La nature même des crimes et le fait qu'elle revienne chez elle vont réssuciter d'obscurs secrets qui concernent sa propre famille, ses sœurs, ses parents et elle-même. Ce secret, c'est ce que le lecteur s'évertuera à découvrir à travers les trois romans, tout cela pendant qu'Amaia fait son travail de policier, cherchant un assassin, mais avec des motivations plus profondes que celles de son simple travail d'enquêtrice.

I. : Peut-on voir dans la figure de l'inspecteur Amaia Salazar une représentation du matriarcat de la société basque ? D.R : Traditionnellement, dans le Baztán, les femmes s'occupaient des affaires et de la maison, tandis que les maris étaient des marins qui partaient en mer vers l'Amérique, pendant de longs mois et le rôle de la femme n'a jamais été vécu par les hommes comme un obstacle à leur masculinité. Dans mes romans, de la même manière, on est face à une famille constituée de femmes qui vivent ensemble avec la tension que cela suppose d'appartenir à ce type de famille, mais aussi avec ses responsabilités. Cela renforce la femme de façon extraordinaire devant la société, son couple et professionnellement.

I. : Savez-vous comment vos livres ont été reçus au Baztán ? D.R : Ils ont reçu un accueil fantastique, il y a même une équipe qui organise des visites guidées sur les lieux cités dans les livres et avec laquelle j'entretiens de très bonnes relations.

I. : Pourquoi avoir opté pour une trilogie ? D.R : J'ai toujours imaginé l'histoire comme une trilogie. Elle m'a été inspirée par un crime rituel qui s'est déroulé, il y

I. : Les enquêtes d'Amaia Salazar s'achèvent– elles avec le dernier tome de la Trilogie ? D.R : Il s’est passé quelque chose de merveilleux, c’est que les lecteurs veulent davantage d’aventures de l’inspectrice Amaia Salazar, et c’est une heureuse opportunité car, moi-aussi, je souhaite raconter d’autres histoires avec elle. Mais aujourd’hui, après la Trilogie je ressens le besoin de faire une pause et de raconter d’autres histoires que je porte en moi de puis longtemps et que j’ai très envie d’écrire d’une autre manière. Quoi qu’il en soit, je me documente déjà pour la nouvelle aventure de l’inspectrice Salazar.


CULTURE

VELÁZQUEZ À BAYONNE Dans le cadre de Donostia/Capitale européenne de la culture 2016, Bayonne organise deux expositions, au Musée Basque et au DIDAM. La première intitulée « 1660 - la Paix des Pyrénées. Politique et famille, l'esprit Velázquez », évoque le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, fille du roi d'Espagne, à SaintJean-de-Luz en 1860, à la faveur d'œuvres d'art exceptionnelles de Vélásquez et Charles Le Brun prêtées, notamment, par le musée du Prado. La deuxième, au DIDAM, « 1808 – Abdication de Bayonne : ornement et délit » propose des représentations de la paix dans l'histoire de l'art.

GASTRO >>>

expositions

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LE MEILLEUR RESTAURANT DU MONDE EST BASQUE

Selon le classement du guide britannique OAD (Opinionated about dining), le meilleur restaurant du monde est basque ! Il s'agit d'Azurmendi, du chef Eneko Atxa à Larrabetzu (Biskaia). Six autres Basques figurent parmi les 100 meilleurs restaurants du monde : Etxebarri à Atxondo (10e), Arzak à Donostia (33e), Elkano à Gétaria (42e), Mugaritz à Errenteria (46e), Berasategui à LasarteOria (54e) et Ibai à Donostia (79e).

ERESOINKA

Organisée dans le cadre de Donostia 2016, une exposition, mise en place par Philippe Régnier, se déroule à Sare pour se souvenir du parcours artistique du groupe Eresoinka (lire Ibilka n°6). Du 1er juillet au 28 août à Sare et du 2 septembre au 31 octobre à Donostia.

Musée basque à Bayonne, « 1660 : la Paix des Pyrénées. Politique et famille. » DIDAM : « 1808 – Abdication de Bayonne : ornement et délit ». Jusqu'au 25 septembre.

GUIDE ÉTHIQUE

Une belle idée que celle qui préside à cette collection des guides TAO qui consiste à mettre en avant, pour découvrir une destination, les adresses engagées dans une démarche durable. Toutes les adresses recommandées sont testées (ce qui est loin d'être le cas de tous les guides !). Ainsi, Christine Laugier propose-telle plus de 200 adresses pour découvrir le Pays basque Nord loin des sentiers battus. Beaucoup de découvertes pour ceux qui ne connnaissent pas le Pays basque, et même pour les autres. Guide Tao Pays basque, écolo ethnique. 12,50 €

REMP'ARTS

La Galerie des Corsaires (Bayonne) organise, les 13 et 14 août, la 4e édition des Remp'Arts, exposition en plein air sur le promenoir des remparts Tour de Sault. Une centaine d'artistes présenteront leurs œuvres au public, l'accès étant accessible à tous. Des animations seront également proposées. Entrée libre de 10h à 19h.

ATXAGA AU NEVADA

L

ire Séjour au Névada, c'est un peu comme écouter une fugue avec sa succession de lignes mélodiques. Bernardo Atxaga a passé un an, avec sa femme et ses deux filles, à l'université de Reno et il conte ce séjour, au jour le jour, à travers une écriture contrapuntique, décrivant les rencontres, les amis, les découvertes, la splendeur des paysages : « Tout paysage, comparé au désert, ressemble à un décor », transportant son lecteur autant par cet espace nord américain que dans le temps, les temps plutôt, ceux de l'enfance à Asteasu, son village natal, le temps des souvenirs, bons et mauvais, celui aussi, des rêves du narrateur. Le Nevada, c'est l'un des berceaux de la diaspora basque, celle des bergers, ces hommes pas si éloignés des Indiens Païutes ou Navajos,

ces Basques sans terre victimes de l'exil, mais bien présents dans la mémoire et la culture locales. Les fantômes d'autres Basques, la famille Laxalt ou encore Paulino Uscudun, le b ox e u r s u r n o m m é le Bûcheron basque, hantent le récit où le Pays basque et le Névada se superposent sans cesse en une sorte d'image mi sepia mi polychrome. Une douceur des jours qui s'égrènent, de la vie qui file insensiblement. Le livre est paru en euskara, il y a deux ans, sous le titre Nevadako Egunak. Séjour au Névada. Bernardo Atxaga. Bourgois. 20 €.

BRÈVE HISTOIRE DE LA LANGUE BASQUE

Coproduction entre l'Institut culturel basque et l'Institut Etxepare, le livret de vulgarisation intitulé « Brève histoire de la langue basque », réalisé par Iván Igartua et Xabier Zabaltza, dans une version trilingue, basque, français, anglais, vient de sortir en format numérique. Il s'agit du sixième ouvrage de la collection Culture basque de l'Institut Etxepare, constitué de douze synthèses thématiques : littérature, danse, musique, cinéma, improvisation, langue…. L'objectif est de diffuser les éléments de connaissance illustrés de la culture basque. Ce livret, ainsi que les cinq autres sont téléchargeables gratuitement. http://files.eke.eus//liburutegia/euskararen-historia.pdf


HISTOIRE

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Céderic Pasquini

flanc de piémont, le village d’Altzo (Gipuzkoa), à l’écart des grands itinéraires, reste ignoré du voyageur. Au cœur de la Tolosaldea, fort de quelque 400 habitants et de beaux spécimens de baserri (fermes), Altzo vit au rythme qu’imposent les saisons comme il se doit quand on a vocation d’agriculture et à l’écho des braiements de sa traditionnelle course aux ânes des fêtes de la Saint Ignace (31 juillet). Seul le montagnard de retour du Txindoki voisin notera-t-il le panneau indicateur qui le contraindra à se détourner de son chemin pour peu qu’il se décidât à visiter le village. Un personnage fait la célébrité d’Altzo. Pour son malheur y naquit Miguel Joaquín Eleizegi Ateaga (1818 – 1861), le plus grand homme des terres connues au mitan du XIXe siècle. Quatrième d’une fratrie de neuf, on ne sait que peu de chose sur son enfance à la ferme Ipintza zarra et que l’on suppose celle ordinaire d’un petit paysan dont l’euskara et les travaux de la ferme sont le seul quotidien. Tout ira pour le mieux jusqu’à sa vingtième année quand il fut frappé d’un mal soudain qui plongea à la fois dans la perplexité et l’admiration voisinage et médecine. En effet, Miguel Joaquín se mit à grandir de manière précipitée jusqu’à atteindre une taille inconcevable à l’époque : 2,42 m pour un poids de 202 kg. Les témoignages évoquent comment, pour l’écouter en confession, le curé devait se tenir debout quand lui restait agenouillé ou était capable d’engloutir jusqu’à 23 litres de cidre par jour. Ils parlent surtout d’un homme au visage glabre, affable mais solitaire et souvent empreint de tristesse, adroit aux travaux de maçonnerie. Alors, tout en s’émerveillant, on bichonne, on entretient la singularité villageoise, en ignorant que cette exception de la nature n’est – on le sait aujourd’hui – que l’expression d’une dégénérescence. Miguel Joaquín Eleizegi est en fait atteint d’acromégalie, terme médical s’appliquant au gigantisme, le résultat d’une augmentation de l’hormone de croissance par l’hypophyse, une maladie rare touchant une personne sur un million et provoquant d’irréversibles lésions osseuses, des complications rhumatologiques, vasculaires et métaboliques dont le diabète. Si la communauté scientifique du XIXeᵉse détourne benoîtement de ces bégaiements de la nature, cirques et foires récupèrent pour des raisons évidentes de lucre, ces malheureux

À

LE GÉANT

D’ALTZO ALTZOKO ERRALDOIA

XIX. mendean, Altzo-n sortua, Miguel Joaquín Eleizegi famatua izanen da erraldoi bat izateagatik. Arraroa bezain triste patu bat ezagutuko du.

Sur la place pricipale d'Altzo, la statue représentant Miguel Ateaga grandeur nature, soit 2m42 !

sans plus d’avenir social que de devenir ces « monstres » de foire que l’on vient admirer sous chapiteau moyennant finance. Rappelons-nous du plus célèbre d’entre eux, Joseph Merrick, plus connu sous le sobriquet de Elephant man. Le bruit ne tarde pas à courir à Tolosa et plus loin encore de l’existence du phénomène. L’idée ne tarde pas à germer dans la tête du père, Miguel Antonio, du frère, Juan Martín et de l’intéressé lui-même, d’une fructueuse association avec quelques personnes des alentours. Le contrat valable un an stipulait que Miguel Joaquín Eleizegi, à la disposition de l’entreprise, toucherait 3 onces d’or, fumeur invétéré, qu’il ne manquerait jamais de tabac et qu’il assisterait à la messe tous les dimanches dans quelque lieu qu’il fût, on ne déroge pas à la religion dans la famille. Il n’a que 25 ans quand en 1843, il se produit pour la première fois à Donostia. Les tournées se succèdent, un real l’entrée, un demi-real pour les militaires et les enfants. Sa prestation à Zaragoza obtient un tel succès que la garde doit intervenir pour disperser la foule de curieux enthousiastes. Bientôt les têtes couronnées européennes vont s’arracher Aundiya, le Géant basque, son nom d’affiche.Vêtu en Turc, un must de l’exotisme au XIXeᵉ siècle, ses exhibitions vont le conduire, de la cour de la reine Isabel II à Madrid, à celle de la reine Maria de Lisbonne sans qu’il manque de parader à la cour de la reine Victoria à Londres et bien sûr devant le roi Louis-Philippe à Paris. Lassitude ? Coups de canifs au contrat ? En particulier, raconte la chronique, par rapport à la religion. Aggravation de son état physique ? Herri mina (mal du pays) ? Tout à la fois sans doute. Toujours est-il qu’un jour il s’adresse à son père : « Aita, goazen Altzora ! » (papa, retournons à Altzo !) Miguel Joaquín Eleizegi a gagné de l’argent sans doute, mais pas suffisamment pour vivre véritablement à l’abri du besoin, les archives de la Diputación du Gipuzkoa conservent une demande d’aide qui lui sera refusée. Les géants ne font pas de vieux os. Miguel Joaquín s’éteindra en 1861 à l’âge précoce de 43 ans, célibataire – on dit qu’il avait pourtant bien failli convoler avec une jeune anglaise lors de son séjour londonien – atteint de tuberculose mais aussi de multiples affections inhérentes à son handicap. Il reste aujourd’hui du souvenir de Miguel Joaquín Eleizegi, les encoches encore visibles sur le mur de l’église d’Altzo, de sa prodigieuse croissance, sur la place, une impressionnante statue à sa taille réelle. Le musée San Telmo de Donostia conserve une paire de ses gants, 33 centimètres, une paire de ses albarka (sandales de cuir), 42 centimètres, l’équivalent d’un 63. Les monstres n’existent que dans le regard que l’on porte sur la différence. Rappelons-nous seulement, sous les traits de l’acteur John Hurt, dans le film de David Lynch, le cri déchirant de Joseph Merrick, Elephant man : « Je ne suis pas un animal, je suis un homme ! ».

Mots-clés/Hitz gakoak : Géant : erraldoi Croissance : hazkuntza Maladie : eritasun Contrat : kontratu


RESTAURANT

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Céderic Pasquini

Des souffles de

vent du sud

EL ASADOR, HAIZE HEGOAREN UFAKOAK Baionako El Asador jatetxean, Firmin Belchit-ek, herriko seme bat, gure ekoizleen produkturik hoberenak deklinatzen ditu. Ezkuzabaltasun eta gogaidetasun, bi hitz gako.

I

ci Bayonne marque le pas. Entre Château Vieux, cloître et remparts, la franchise commerciale ubiquitaire, dans une filiation naturelle, l’a abandonné à l’établi de l’artisan. Depuis le Moyen Âge, les vieux offices ont toujours eu pignon sur ruelle. Tout anachronisme bu, comment ne pas citer le cher Jean Cassou lequel, en 1927, évoquant ce douillet périmètre bayonnais, invitait à s’y abandonner pour déguster le suc épais des gros vins espagnols. Au 18, rue Vieille Boucherie, le restaurant El Asador a accroché son enseigne et, pour notre bonheur, les vins de la péninsule se sont affinés. Louvoyant entre Errioxa (Rioja), Navarre et Ribera del Duero nous en parlions en guise de prélude avec Firmin Belchit (Larceveau 1977), l’avenant hôte de cette généreuse table bayonnaise, dans un euskara auquel il reste attaché, affaire de racines. Et, en cuisinier avisé, il s’attache à défendre les siennes en les déclinant de la plus savoureuse façon. Une inclination vers la pâtisserie – enfant il réalisait le gâteau dominical – aurait pu le détourner des fourneaux, >> c’était sans compter sur un aita sagace qui estima qu’il n’est de bon pâtissier qui ne connaisse la cuisine. Un C.A.P et B.E.P cuisine doublés pâtisserie, décrochés en 1994 au lycée professionnel de Garazi, il fait ses classes chez un autre Firmin, le prestigieux Firmin Arrambide. « Il avait pris l’habitude d’utiliser les initiales pour nous désigner : FA et FB ! » Entre 1995 et 2000, Firmin B parfait son initiation chez le premier voisin Arbillaga, puis chez Arcé à Baigorri, avec des saisons d’hiver à Paris, au Lutétia, au Taillevent, enfin pâtissier chez le franc-tireur des boulangers parisiens, Jean-Luc Poujauran. En 2003, Firmin prend la gérance du Golf de Zuraide, avant de poser sa toque à El Asador en 2007. « Quarante couverts, une intimité et une clientèle que l’on peut fidéliser », car rien ne satisfait plus Firmin que d’abandonner son piano pour s’asseoir quelques minutes aux côtés du client.

Cuisson à la plancha finie au four

À la casanière assiette – rançon du succès, elle ne quitte pas la carte – calamars frits, iberico, piquillos, croquettes bacalao, piments padrones dont raffolent les zélateurs du a picar antichambre, nous avions préféré le chemin détourné d’une fricassée de chipirons au xipister. Comme on ne se refait pas, nous avions opté pour un Landaluce (Errioxa alavesa, 32€) de la meilleure facture, pêchu et voluptueux, un parfum de versant sud de la sierra de Kantabria (Araba). Un Remelluri, voire un Morgon auraient tout aussi bien fait l’affaire ! Le poisson ayant nos faveurs ce jour, nous avions enchaîné avec un merlu sauce piquillo, décliné avec txistorra (18€), « un plat que l’on peut accommoder tout aussi bien avec une ventrèche grillée et beurre vert », avait précisé Firmin. Influencés par le discret décor — un rien taurin — de la salle, certains s’étonnent des couleurs péninsulaires d’une cuisine « dont je ne fais qu’adapter mes recettes aux produits des deux versants ». Une alchimie qui fonctionne parfaitement, même dans la version cantine où pour 22€, on appréciera la déclinaison, plat du jour, dessert, vin café. « Chez moi, pas de surgelé, tout est travaillé ici, j’affectionne la cuisson à la plancha et finie au four », avait-il résumé. Essayez-vous au txangurro décortiqué, jus de persil, ou à un cabillaud jus et garniture de rougail, une subtile association de txistorra, tomate et vinaigre et vous aurez le Golfe en bouche qui serait caressé par quelque alizé de Martinique. « Je lis beaucoup et je travaille avec l’affectif », confie Firmin Belchit pour expliquer son inspiration et l’origine de la materia prima fournie par un cercle d’amis attachés à cueillir le meilleur des sillons et des pampres de ce pays. Côté saisons, il vous faudra attendre octobre pour renouer avec la crépinette de pied de porc aux cèpes ou les palombes en deux cuissons : devant rôti flambé et cuisses en salmis ou d’ingénieuses noces permettant au petit jus viné d’amadouer la siccité du rôtissage. Après le dessert - sûrement un Liégeois de mangue et mascarpone (7,50€) - Firmin viendra tirer sa chaise pour partager un verre de vin, comme on le ferait avec de vieux amis.

El Asador 19, rue Vielle Boucherie Tél. : 05 59 59 08 57

Mots-clés/ Hitz gakoak : Palombe : uxo Cabillaud : bakailao fresko Crabe : karramarro


MYTHOLOGIE

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t e x t e Txomin Laxalt

La source Ama Birjina à Harambelz et ci-dessous la fontaine d'Ahuski, réputée très diurétique.

Euskal mitologiak, laminak izan ezik, uraren izakiei leku guti uzten die. Alabaina, urak erritualak eta sinesmenak inspiratu ditu, gure arreta guzia merezi dutenek.

L'

eau, les eaux, une infinité de ressources, elles réunissent les trois principes dominants depuis que le monde est monde : source de vie, de purification et de régénérescence. En euskara, deux lettres pour désigner l’eau, ur, pour autant de compositions qui vont désigner ses nombreuses manifestations : d’iturria, la source quand elle sourd de la mousse à u (r) holde (inondation) quand elle manifeste ses colères, en passant par u (r) haitz (torrent) quand elle dévale, urgeldi ou urmael quand elle stagne. À part les lamin qui se plaisent dans certaines eaux

nuit, étaient cause de maléfice. Pour éviter tout sortilège, il suffisait d’y tremper un tison avant de la consommer. Les eaux de source avaient la réputation d’être malignes, nous parlerions aujourd’hui de non potabilité. Les bergers d’Ahüzki dont les vertus de la fameuse fontaine avaient franchi les vallées, avaient pour habitude, avant de remplir phegarra (la cruche), de lâcher un fervent Benedicamus, sinon üra ez zen xahü (l’eau n’était pas pure). Le père José Miguel de Barandiaran, évoque comment à Luzaide (Valcarlos, Nafarroa) on disposait des sonnailles et de l’eau bénite à divers endroits des champs. Mention spéciale à Saint Gregorio mais pas n’importe lequel, le Grégoire Ostiense, mort à Logroño en 1054 qui tint robinet ouvert au sanctuaire de Sorlada, un village navarrais proche de Tafalla. On venait– entre le 9 et le 16 mai, octave du glorieux – de Lekeitio (Bizkaia) recueillir de l’eau efficace contre les vers, de Zaraitzu (vallée de Salazar, Nafarroa) remplir la bonbonne pour évacuer les rats, on accourait même d’Urdiñarbe (Ordiarp, Zuberoa) pour se guérir de la surdité. Quant au lac d’Etxekortia (Zuberoa), connu de tout mendizale, il bénéficie d’une double particularité ; outre que son plan d’eau maintient – le fait est vérifié scientifiquement – un même niveau quelle que soit la saison, on peut, si l’on s’en approche sans bruit, entendre aussi les aboiements du chien qui fut englouti avec le troupeau et son berger, ce dernier ayant préféré l’auberge à la messe ! Il est à noter que, presque systématiquement, où aujourd’hui s’élève une croix isolée, se cache une source. Dans un Pays basque qui, on le sait, fut christianisé sur le tard ne peuton pas voir dans ce protocole chrétien, une manière radicale d’en finir avec des croyances qui ne seraient pas de la meilleure eau… ou de noyer le poisson.

DES SOURCES ET AUTRES EAUX

ITURRIEZ ETA BESTE UREZ – ainsi en Soule à Laminosina (le gouffre des lamin) – l’homme basque n’a accordé que peu de place aux nymphes, néreïdes, naïades et autres entités des eaux claires, sources et fontaines, aucune Vouivre à espérer voir mordre à l’hameçon. Par contre, en louant ses vertus il a contribué à mythifier les lieux d’où elle surgit ou s’écoule. « Non seulement l’eau permet la vie, mais surgissant de la terre, elle fait le lien entre le monde souterrain et le monde exposé à la lumière », ainsi que le rappelle Claude Labat. Légendes et rites n’ont donc pas tardé à s’épandre comme un limon fertile. Ainsi cette habitude qu’entretient la jeunesse de certains villages en se rendant nuitamment au premier jour de l’année au bord de certaines fontaines pour en puiser de l’eau, à ce moment particulièrement bénéfique et en chantant : « Ur goiena, ur barrena, urte berri egun ona » (eaux les plus hautes, eaux les plus profondes, bienvenue à la nouvelle année). On croyait aussi que les eaux extérieures à la maison, apportées de

Mots-clés/Hitz gakoak : Liquide : isurkari Étang : antzira, urmael, urgeldi Source : iturri


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