Ibilka #12

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ibilka

le magazine

NUMÉRO 12- 2016 UDABERRI/ PRINTEMPS

Mascarade

En Soule, la mascarade est bien plus qu'une simple fête, c'est à la fois la célébration de la danse et de la langue basques, et un moment fort d'union entre les générations.

Almadia

Aussi loin qu'ils se souviennent, les hommes de la vallée du Roncal ont vu les bois flottés pour rejoindre leur destination finale. Une tradition perdue, mais un savoir-faire sauvegardé, et aussi une occasion de faire la fête.

Mémoire

Les images de télévision, en noir et blanc, datent de 1959. Les paysages ont peu changé, la vie des bergers un peu plus. Nous sommes partis à la recherche des acteurs de l'époque.

Cagots

Bozate est un quartier d'Arizkun à la bien triste mémoire.

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Laia

les dents de la terre

Laia, luraren hortzak

Laia laborantzaren tresna zahar eta nafartar bat da. Bizi bizimodu komunitatearenaren lekukotasunetako bat da. Gaur egun, kiroletako erabilera ezagutzen du.

t e x t e Txomin Laxalt / photographie Musée Basque

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rien. Les laiariak en ligne, laia dans chaque ar bonheur, il reste le précieux main, s’appuient d’un même pied sur le documentaire des frères Pio et fer horizontal pour en ramener vers eux le Julio Caro Baroja, Navarra las long manche dont la judicieuse et légère cuatro estaciones ( Navarre des courbure intérieure participe de facto d’un quatre saisons ), tourné dans effet de levier permettant une manipulales années 1970 et 1971, dans tion plus aisée même pour les femmes. cette décade de toutes les bascules dont un Une gestuelle d’ensemble qui confère à la choc pétrolier pour des bouleversements qui besogne solemnité et puissance, comme à n’épargneront aucun recoin de la planète. sa dimension communautaire un sentiment Un effet papillon qui, en venant à bout d’éternité. On utilisera laia jusqu’au milieu de modes de vie séculaires, se chargerait du XXe siècle. d’apposer le sceau d’une fin de siècle. L’inestimable témoignage des Baroja nous Julio Caro Baroja est formel, on n’a usé laia renvoie, entre autres, vers les raboteuses qu’en Hegoalde et selon la constitution du sol, terres navarraises de San Martin de Unx. laia se présente différemment. En Navarre, On y voit cinq paysans au coude à coude où la terre est plus dure on favorisé laia à attachés à retourner la terre à l’aide d’un manche long (50-60 cm) pour multiplier curieux outil agraire : laia. Sa configuration l’effet de levier, quand dans les provinces simplissime – la forme d’un h – lui accorde, occidentales où le sol est meuble, on aura de prime abord, une incomplétude, un préféré laia à manche court (35 cm) mais aspect bancal. Une plus longue obsertoujours d’un poids de quelque 4 kg. vation convainct qu’en Les représentations de toute logique l’outil rusl’instrument agraire ne Mots-clés/Hitz gakoak taud fonctionne en paire manquent pas dont les Outil : tresna et que sa conception, à plus anciennes, sous Manche : eskuleku première vue basique, se forme de sculptures, Compétition : lehiaketa révèle en fait le produit or nent la façade de d’une réflexion autorisée. l’église de Santa Maria de Forger : forjatu L’asymétrie de cet outil Olite/ Erriberri ( Navarre ). forgé permettait une implication plus Qui l’aurait imaginé ? Aujourd’hui, curieuse importante du poids du corps. Seul celui destinée de l’outil, laia n’est plus utilisé que qui sait le douloureux prix que le corps paie lors de courses organisées par les communes à la terre quand il l’affronte au quotidien navarraises de Artaxoa (Artajona) et Gares pour simplement en vivre, a pu concevoir (Puente la Reina ), où les concurrents monlaia lequel, dans une complexité dépouillée, tés sur le fer comme ils le seraient sur des fait preuve d’une prodigieuse efficacité. échasses, se doivent d’effectuer un parcours Laia bien sûr, mais toute son efficience dont la montée pavée vers le Cerco (remparts ) ne peut se manifester qu’au travers de d’Artaxoa relève de l’exploit. Que ne faut-il la souscription communautaire, venant pas faire pour que les granges ne soient plus ainsi rappeler que l’homme seul ne vaut de seules boîtes à souvenirs ?

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ÉDITORIAL

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Raconter des histoires

Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Couverture : Santiago Yaniz Aramendia P. 16-19 : Noir et blanc : © INA P. 20 : © Musée Guggenheim, Bilbo P. 20 : Etxauz : Santiago Yaniz Aramendia P. 22 (droite) : DR. P. 20 : Santiago Yaniz Aramendia (Etxauz) P.24 : DR. Remerciements à l'Institut National de l'Audiovisuel (INA)

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our ce numéro printanier, nous avons décidé de vous raconter des histoires, mais pas n'importe lesquelles. La première se déroule en 1959 et met en scène des bergers du côté du col d'Arnostegi, au sud de Saint-Jean-Pied-de-Port. C'est un émouvant film de l'époque, réalisé par la seule chaîne de télévision d'alors, qui nous présente leur vie quotidienne. Nous avons été émus par ces images en noir et blanc, grésillantes et un rien cramées, par ces héros de l'ordinaire et nous sommes partis à leur recherche. Soixante ans plus tard, les lieux ont peu changé, certains acteurs ont disparu, mais d'autres sont toujours présents, ici, au Pays basque, ou ailleurs dans le monde. C'est en Californie que nous avons retrouvé Aña. Nous lui avons parlé par téléphone, de Bayonne à San Francisco où elle réside depuis plus de cinquante ans. Quant au Père Adrien, nous l’avons rencontré à l’abbaye de Belloc où, âgé de 95 ans, il vit une belle retraite et ils racontent, pour vous, le souvenir de ce tournage et de cette époque comme si c’était hier. Deux témoignages exceptionnels, émouvants car tellement authentiques et sincères. La deuxième histoire nous conduit au fil de l'eau, quelque part dans la vallée d'Erronkari, là où confluent deux rivières, et où des hommes entretiennent une très ancienne pratique, celle du radelage, aussi spectaculaire que surannée. Cette technique de transport du bois par flottage que l’on pense réservée aux grandes rivières du Canada ou d’ailleurs, était également utilisée dans nos Pyrénées, pas très loin de chez nous. Plus triste, mais tellement actuelle, est notre troisième histoire qui nous transporte dans le Baztan, à Bozate, mais aurait pu nous entraîner un peu n'importe où dans les Pyrénées. C'est celle de ces exclus, hommes ou femmes, cagot ici, « agote » sur l'autre versant, qui vivaient tels des parias dans leur propre village. Enfin, nos pas - de danse bien-sûr - nous ont conduit en Soule pour assister à ce qui est avant tout une fête, mi-carnaval, mi-charivari, la mascarade. L'art du don à travers, ces symboliques prises de barricades par quelques habiles pas de danse, et ces récompenses - libations et agapes - offertes par des vaincus honorés. C'est aussi la fête de l'euskara et de notre identité culturelle. Bonnes lectures à tous, et à très bientôt pour de nouvelles histoires.

Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication

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PORTRAIT

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

ivianne

delpech

PATUARI TRUFA KEINU BAT

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PORTRAIT

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2000 : départ à Alicante

2002 : concert de Noir Désir à Euskal Herri Zuzenean

2012 : soutenance de thèse sur Abbadia

2013 : naissance d’Amaya

DATES CLÉS

UN PIED DE NEZ AU DESTIN Benetako arteen enbaxadorea, diasporari buruzko ikusmolde desberdin bat proposatzen digu Viviane Delpech-ek. Alimaleko lan bat Abbadiako gazteluari buruz egin du ere.

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e ne pouvait être ailleurs qu’à Eusko Ikaskuntza, cette légation bayonnaise du savoir basque, que la rencontre devait avoir lieu, mais cela aurait pu advenir aussi sous une poutre chantournée du château d’Abbadia qu’elle connaît comme un régisseur son domaine. La tentation est aussi forte que rassurante, d’assigner un lieu idoine à celui dont on veut tracer le portrait. La méthode du chacun dans sa boîte ne fonctionne pas avec Viviane Delpech (Orléans, 1979) tant cette historienne de l’art, chargée de cours à l’Université de Pau, mais aussi missionnée pour la recherche et le développement au sein d’Eusko Ikaskuntza, ne répond pas à l’idée que l’on se fait du chercheur. Avec Viviane Delpech, le parler vrai, l’enthousiasme le disputent à la rigueur scientifique, envolés afféterie et développements rigoristes : « Je n’aime pas l’art académique et d’ailleurs Versailles m’ennuie, quant aux universitaires, ils ne doivent pas rester entre eux mais s’attacher à faire connaître au grand public », assène joyeusement cette iconoclaste, un rien provocatrice. Souletine pour partie, mais aussi évoquant quelque racine aragonaise du côté d’une grand-mère, Viviane ne cache pas un attachement viscéral au Pays basque auquel elle consacre une >> grande partie de ses recherches. Derrière une revendication de pyrénéenne, on décèle les riches accents de cet universalisme culturel qui, au XIXe siècle, fit florès entre Canigó et Larroun. Viviane ne fait pas croire à quelque prédestination qui l’aurait précipitée du berceau vers l’esthétisme : « Le chemin s’est fait naturellement dans un contexte familial favorable mais surtout je conçois mon parcours comme un pied de nez au destin. » Elle décroche une licence de Lettres Histoire de l’art et archéologie, « l’art bien sûr, sans imaginer seulement que je pourrai vraiment y accéder un jour » avec, valant diplôme, une émancipation comme une bouffée de vie inhalée à la lecture, un midi de septembre 2000 d’une annonce pour jeune fille au pair en Espagne. Le même jour, à l’heure des lampes, elle se retrouve à Alicante ! De retour de bohème, un master d’ingénierie touristique (2005) lui fait croiser la route d’un certain Antoine dont, malgré la très grande différence d’âge, elle partagera la vie dix années durant. En effet, des recherches sur le parc du château d’Abbadia vont l’amener de la rédaction d’un mémoire « Château d’Abbadia, enjeu culturel et touristique de la restauration du parc », à celle en 2014, pour les besoins de sa thèse, d’une

Pendant 10 ans, elle partagea la vie d'Antoine d'Abbadie

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somme consacrée à Antoine d’Abbadie (1810-1897) de mère irlandaise et de père souletin, et à son grand œuvre, le château. Cette exception architecturale, expression d’un orientalisme rêvé demeure encore tout imprégnée de celtitude dans son environnement, reflet de l’enfance du maître des lieux. Cet Honnête homme, dans l’acception philosophique et scientifique du terme, « fut à la genèse du régionalisme et du mouvement identitaire, un défenseur inconditionnel de l’euskara ». Un travail exhaustif et passionnant rédigé d’une plume alerte qui ne laisse rien passer d’un personnage éclairé, certes mais un brin psychorigide et pétri d’intégrisme. « Quand, comme j’ai dû le faire, on lit toute sa correspondance, on estime dommage qu’il n’ait pu me répondre ! » (1) fait-elle observer en riant certes, mais comme on en finirait avec une relation par trop pesante.

Art et diaspora

Un master 2 d’histoire de l’art après un passage à Irun (2007) au Musée Oiasso, et une vraie reconnaissance avec le Prix de la culture basque Eusko Ikaskuntza-Ville de Bayonne qu’elle reçoit en 2013. C’est enfin à Viviane Delpech que l’on doit de découvrir que la diaspora basque, ce peuple aux nouvelles racines, n’est pas seulement une communauté qui chante et danse au pied des Andes ou des Rocheuses, joue au mus et pique-nique entre Boise et Reno. Commissaire d’une remarquable exposition itinérante consacrée à l’art et la diaspora (2), riche de supports aussi différents que la photo, la peinture, la mosaïque et le multimédia, elle a enfin apporté un regard inédit permettant d’enrichir un pan de l’histoire du Pays basque. « Venus témoigner, lors du colloque organisé sur deux jours à Bayonne et Donostia, en nous en ancrant dans la contemporanéité, ces artistes proposent une approche universelle de ces identités métissées, de toutes les minorités contraintes un jour de partir. » Convaincue du bien-fondé de sa mission d’ambassadrice, Viviane Delpech, pour avoir su en déchiffrer les arcanes, s’attache simplement à démontrer que l’art reste à jamais un projet du présent. (1) Abbadia, le monument idéal d’Antoine d’Abbadie, Presses Universitaires de Rennes. (2) Regards d’artistes sur la diaspora basque, Eusko Ikaskuntza, 2016.

Mots-clés/Hitz gakoak Exposition : erakusketa Recherche : ikerketa Racine : sustrai Monument : monumentu

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LES MASCARADES l’éternel retour Identité À la fois théâtre, danse, charivari, carnaval, la mascarade souletine reste avant tout un moment identitaire très fort.

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MASKARADAK, BETIKO ITZULERA Zer litzateke Zuberoa maskaradarik gabe ? Zuberotarrek ez lukete deusetan truk erritual hori huts eginen. Horregatik, herriz herri pasatzen da maskarada.

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TRADITION

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Cédric Pasquini

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tines, la pratique de l’euskara pour, depuis la périphérie, effleurer mais à peine les abords du nucleus — gardez à l’esprit qu’en Baxabürü (littéralement extrémité sauvage) il existe la Haute-Soule et… le reste du monde.

Un théâtre rural très strict L’aubaine, c’était Éric Dicharry pour nous aider à déchiffrer ce qui relève d’un protocole strict, d’un théâtre rural, du mode de pensée d’une communauté à travers l’expression de sa mémoire collective. Anthropologue, diplômé de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et parfaitement bascophone, Éric Dicharry est surtout l’auteur de Du rite au rire, le discours des mascarades au Pays basque (L’Harmattan, 2012), fruit de sa thèse de doctorat. Une étude qui l’a ancré en Zuberoa, lui permettant d’acquérir de haute lutte entre 1995 et 2007, en particulier dans le village de Barkoxe (Barcus), avec l’usage du souletin, une espèce de droit du sol, ce dont, soit dit au passage, Kabana et Pitxu (personnages noirs de la mascarade) se f… comme de leur première ribote ! De Kaserna, le quar-

Rouges et noirs Le bien et le mal, l'ordre et le désordre s'incarnent à travers les personnages de la mascarade. Les noirs incarnant les paillards, sauvages et violents.

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orsque l’on s’avise de franchir la brèche qui s’ouvre aux jours les plus courts et les plus gris du calendrier, on pourrait espérer une embellie météorologique. Ce n’était pas le cas, une méchante brouillasse enveloppait la montagne. Bref, un temps à ne pas mettre un Zamalzain (homme cheval) dehors. C’était mal compter avec maskaradak, les mascarades, que tout village de Zuberoa attend comme l’assurance que l’année dégouttera naturellement ses jours à la force éprouvée du rituel, lequel garantit la cohésion de la communauté. Pour avoir accès au plus sibyllin des usages carnavalesques — Agusti Xaho l’évoque déjà en 1836 — il ne suffit pas de s’y rendre, même si le superbe isolement géographique de Santa Grazi, confère au village une ambiance propice à l’appréhension du mystère. Si comprendre l’euskara favorise certes l’approche, seule la maîtrise de l’euskalki (dialecte) souletin permettra véritablement d’appréhender la pensée souletine, pour entrer dans le second cercle, le premier étant strictement réservé aux acteurs du rituel et surtout aux premiers intéressés, les habitants du village visité. Nous avions de la chance ; des origines soule-

Seule la maîtrise de l'euskalki souletin permet d'appréhender vraiment la mascarade

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Danse La danse souletine est le vecteur essentiel de la mascarade, d'où la nécessité d'entretenir un savoir-faire fort complexe et très exigeant.

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tier bas de Santa Grazi jusqu’à Senta, son quartier haut, une dizaine de kilomètres que séparent crêtes escarpées, sous-bois et pâturages abrupts au long desquels s’intercalent onze quartiers et ce jour, cinq barrikada (barricades) à franchir pour les honorer. Nous attendions donc la mascarade d’Idauze Mendi (Idaux Mendy), le village organisateur, cette année, de l’éprouvante odyssée à travers la province qui mobiliserait une trentaine de jeunes gens durant treize dimanches. « Une heureuse façon de participer à la survie d’une culture », avait confié Éric Dicharry. Dans le hululement des klaxons et les cris gutturaux, buhameak (bohémiens), kauterak (chaudronniers) et toute la compagnie dite de la beltzeria (noircerie), représentant les étrangers au monde souletin auxquels on autorise tous les débordements, avaient investi le lieu en amont de la barricade que matérialisait la longue table prometteuse d’un premier apéritif. « Autrefois, les jeunes du village visité s’organisaient pour défendre les barricades en s’armant de fourches et de fusils », rappelle Éric, « aujourd’hui, la barricade reste un moment clé qui scande >> le bon déroulement de l’action. » Nous gardions en mémoire la précieuse vidéo des mascarades montées par Altzürükü (Aus-

Organiser une mascarade est une heureuse façon de participer à la survie d'une culture

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surucq), tournée en 1968 à Pagola (Pagolle) et Ligi (Licq) par Jean-Dominique Lajoux, ethnologue au CNRS, et où les barricades sont… sobrement, signalées par des bouteilles de vin posées au sol. Hiératiques, les Rouges, paisibles et bons danseurs, représentant les autochtones, honnêtes et travailleurs, s’attachaient à rivaliser d’adresse dans les frisak (pas). Éric nous faisait remarquer combien les anciens étaient attentifs aux pieds des danseurs, la danse étant, en Zuberoa, un élément essentiel de la tradition.

Un an de mobilisation Buhame Jauna (le chef des Bohémiens), Laurentx Bereziartua les jours ouvrables, nous conta la genèse d’un engagement qui impliquait Idauze Mendi durant plus d’un an, à partir du moment où la jeunesse avait décidé, seize ans après leurs pères, de remonter les mascarades. « Un long travail, depuis le choix des danseurs, la confection des costumes, l’accord des communes visitées, la distribution des rôles en fonction de la connaissance de l’euskara que pour certains il aura fallu améliorer, l’apprentissage de rituels et de symboles que nous nous devons de pérenniser. Pour cette œuvre de transmission, nous nous appuyons sur les anciens. » Laurentx parle volontiers de la résistance physique que requiert la participation aux mascarades. La gestuelle, surtout pour les Noirs, est souvent

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violente et l’alcool, un élément inhérent à un rite festif. Cependant, Laurentx demeure évasif quant à la partie la plus délicate et sans doute la plus attendue de la journée : predikuak, ces discours railleurs improvisés, destinés au village visité. « Ce qui menace les mascarades, c’est leur transformation en spectacle. La survie doit passer par l’improvisation, la création, non par la reprise de textes fixés par écrit » avait confié Éric, Un complexe et discret travail d’enquête en amont sur les faits les plus marquants de l’année implique le tissage d’un subtil réseau d’informations à remonter ; la mascarade comme une météo locale.

Chambouler l'ordre du monde Là réside tout l’art de Kabana : fronder, brocarder, ironiser, gouailler sans jamais blesser. « Pour jouer Pitxu, Kabana, le chef des chaudronniers ou Buhame jauna, parler basque est la condition sine qua non, garantie de la continuité d’une littérature orale détenue par une petite partie de la population. Les mascarades leur permettent d’exprimer qu’ils sont fiers de cequ’ils ont appris oralement. », expliquait Éric. Les pitreries de Pitxu, les grivoiseries de Kabana, les outrances des bohémiens ne feraient pas oublier l’essentiel : les flèches décochées,

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les dits, même cruels, débités de derrière les oripeaux des Noirs : « Ils témoignent des préoccupations des auteurs, certains sont étudiants, d’autres agriculteurs, paysans, éleveurs ou fonctionnaires, mais aussi de la transformation de la société souletine, depuis la diminution des exploitations agricoles jusqu’aux menaces pesant sur l’euskara », insistait Éric Dicharry. L’après-midi tirait à sa fin et le rituel avait été rigoureusement respecté : Kabana, Pitxu et les bohémiens usèrent de leurs droits de satire et, en l’ignorant superbement, chamboulèrent l’ordre du monde. Les Xorrotxak (rémouleurs) en parfaite gémellité, introduisirent les séquences et affûtèrent l’épée de Jauna (Seigneur), Kerestuak (hongreurs) castrèrent Zamalzain. Après sa mort violente, Pixtu ressuscita d’entre les morts parce que ce n’était jamais qu’une comédie. Le chien et loup étendait son ombre sur Santa Grazi. « Une fois passées, les mascarades meurent » avait conclu Éric Dicharry comme chacun s’en retournait qui vers sa maison, qui vers l’auberge pour le dernier verre, le dernier chant. Morte cette mascarade, sans doute mais à l’image de Karakoiltzea, la danse en rond dont le cercle ne se referme jamais, le gage d’un éternel retour.

Zamalzain L'homme-cheval, zabalzain, fait partie des rouges, les meilleurs danseurs de la troupe.

Mots-clés/Hitz gakoak Zamalzain : homme cheval Rémouleur : xorrotx Hongreur : kerrestu Oralité : ahozko

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RADELAGE

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s S a n t i a g o Yaniz Aramendia

ALMADIAK, OIHANAK UR GAINEAN ZEUDENEKO DENBORAN Duela erdi mende bat, Erronkariko haranean, almadia, oso ofizio zahar bat, desagertu zen. Urtero, maiatzaren lehen asteburuan, Burgitarrek tradizio horren sua berpizten dute.

Almadiak le temps où les forêts flottaient

Bois flotté Au premier samedi de mai, la vallée du Roncal ranime l'ancestrale pratique du radelage, pour le bonheur des spectateurs et pour… ne pas perdre un savoir-faire très pyrénéen.

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our leur malheur, les rivières des Pyrénées n’ont pas échappé à l’air du temps. Dans un monde allant se corsetant et contraint de baser la gestion de la nature sur l’économie et non pas sur la biologie, elles ont été les premières victimes. En ces années où on les désignait du joli nom de rivières libres, elles couraient de leur source à leur embouchure, toujours recommencées. En de subtiles noces, ces torrents spumeux : Irati, Ezka, Cinca, Ara, Esera, de la Navarre à la Catalogne, en apaisant leur course,

mêlaient leurs eaux nerveuses à celle de l’Aragon, du Sègre, de l’Ebre pour s’offrir un nouveau périple. La sapinière rejoignait l’oliveraie, les neiges de Pyrène la Méditerranée. Le XXe siècle avait déjà une cinquantaine d’années quand, versant sud, l’homme s’avisa de les dompter. Versant nord, c’était chose faite depuis les premières décades quand il se rendit compte que l’hydrographie pyrénéenne permettait aisément la conversion de l’énergie cinétique fournie naturellement par les rivières en énergie électrique. Franco, pour punir l’Aragon et la Catalogne de lui avoir résisté, en bridant, après celui des hommes, le destin des rivières, se jeta, à détestation perdue, dans l’édification de barrages dont certains ne furent pas mis en eau quand d’autres se révélèrent néfastes pour l’environnement. Ils engendrèrent un inexorable exode rural et contribuèrent aussi à mettre un point final à l’un des plus beaux offices pyrénéens qui avait cours entre Navarre et Catalogne : la almadia ou, en français, le radelage, la descente des troncs par flottage. La chose est désormais entendue : au premier samedi de mai, Burgi (Navarre), la roncalaise, rallume les feux de ce vieux métier pour ne rien perdre de cette manifestation du génie rural. Rien de plus normal, dans ce village de 230 habitants, il

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Transmission Les jeunes générations mettent la main au tronc, pour aider à construire les radeaux. La meilleure manière de transmettre le savoir-faire des bûchrons.

Des senteurs de résine D'Izaba à Burgi, d'Erronkari à Urzainki, les empilements de grumes font partie du paysage aux senteurs derésine et de bois coupé.

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n’est de famille dont un membre ne fut almadiazain (radeleur). La vallée d’Erronkari (Roncal) naît à Izaba, là où confluent les eaux de l’Uztarrotz et de Belagoa pour former l’Ezka ; une vallée presque canyon, et que fend, au niveau de Burgi, une hoz, entaille géologique démesurée. Les Pyrénées y poussent des reins, tapissées d’infinies sapinières que les hommes de la vallée, avec mesure cependant, n’ont jamais cessé d’exploiter. D’ailleurs d’Izaba à Burgi, en passant par Erronkari (Roncal), mais aussi Garde et Urzainki, les empilements de grumes font partie du paysage et l’on y respire à l’année longue les fragrances de résine et de bois coupé. La veille du grand jour, quatre kilomètres en amont de Burgi, au pied de la Vierge du chemin, sur la plage de galets dite d’Olokiegi, ils sont déjà à l’ouvrage, comme on tisonne le passé. On y noue les dernières branches de noisetier, on s’assure de la bonne articulation des trains de bois, de la cohésion de l’ensemble des improbables radeaux.

En courant après la branche

C’était un temps où le rugissement stridulent de la tronçonneuse n’avait pas remplacé le choc sourd de la cognée qui seul, crevait le silence forestier. Travailleurs de force les bûcherons- les plus habiles venaient du village voisin d’Itzalzu (vallée de Zaraitzu/Salazar) - jouaient de la cognée avec maestria, anticipant à quelques cen-

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timètres la chute de l’arbre. À peine jetés au sol, les géants se voyaient écorcés et, réduits à des troncs nus. À l’herminette, ils étaient biseautés sur leur circonférence de manière trapézoïdale afin de s’adapter parfaitement les uns contre les autres. Enfin, mesurés à l’aide d’une baguette mesurant deux varas (1,60 m), le brazal, on les sectionnait à la longueur retenue pour le flottage. Leurs dimensions pouvaient varier, un decen mesurait cinq varas, soit quatre mètres, un docen, six varas, soit 4,80 m. Les aguilones de huit mètres, voire les velas qui atteignaient les douze mètres, provenaient d’arbres exceptionnels. Une tâche rude qui s’effectuait au cœur des clairières, des ossuaires végétaux où, gorgés de pluie et d’éclairs, souches et branches mortes, achevaient de blanchir. L’affrontement du fer contre le bois, deux matériaux hostiles, demandait attention et synchronisation dans une hâte tranquille imposée par l’espace calendaire qu’accordaient les basses eaux. Besogne suspendue par les seules pauses cigarettes, intermèdes casse-croûte et trago de vin au jet incisif du xahako. Avec une courte hache, la escarba, il s’agissait ensuite d’arrondir l’extrémité du tronc, et, à l’aide de la barrena, une imposante tarière, de percer l’extrémité des grumes. Fagotés par lots de trois de quatre ou cinq, les troncs étaient reliés à une chaîne laquelle, passant les trous percés, était fixée à un solide licol assujetti à l’encolure d’un robuste canasson. Il suffisait, en conservant un axe rigoureux de les débarder à travers bois jusqu’au pratique atadero, une plage de galets naturelle, patinée par les siècles, pour assembler les almadias. Une des plus anciennes et curieuses coutumes pratiquées en Erronkari (Roncal) consiste en cette enchère dite corriendo el ramo ou adar korrika, que l’on pourrait traduire par en courant après la branche. Ayant désormais force de loi, elle permet, de vendre les lots de bois. Les enchères se déroulent dans le bâtiment de la Junte de la vallée située dans la commune de Erronkari (Roncal). Au premier étage est aménagée une salle, tout en longueur, nue et austère avec, de chaque côté, des gradins de bois destinés aux acheteurs. Au milieu, un espace vide, meublé seulement à chaque extrémité, sur un espacement de cinq mètres, de deux colonnes de bois sur lesquelles sont plantées une branche de buis. Quand le commissaire-priseur lance : « Qui offre ? », l’acheteur inté-

Les bûcherons jouaient de la cognée avec maestria

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Vie agitée Le savoir-faire transmis permet d'éviter les redoutables écueils des rivières. Rencontre Ce premier samedi de mai, la vallée est un lieu de rencontres entre radeleurs et public, entre passé et présent.

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ressé par le lot proposé, s’avance, touche le brin de buis et, posément, se dirige vers le second pied qu’il effleure et s’en revient dans le sens inverse des aiguilles de la montre, donnant ainsi le temps à la surenchère. Le lot est acquis à condition que l’intéressé ait accompli une rotation complète sans que n’intervienne un mieux-disant. Un moment fort, économiquement parlant mais aussi dans ce qu’il exprime d’un sentiment d’appartenance. Il ne restait plus qu’à colporter les lots sur les places de vente, échelonnées sur le maillage des rivières courant vers la Méditerranée. Un demi-siècle après que le bitume et les camions qui vont avec ont définitivement eu raison de l’almadia mais non de son souvenir, on comprend l’importance que revêt ce premier samedi de mai pour la communauté roncalaise. Les derniers témoins de la geste ont su transmettre plus qu’une technique élaborée mais l’art abouti d’articuler les trains de bois grâce à de seules branches de noisetier, savam-

Les derniers témoins de la vallée ont su transmettre l'art d'articuler les trains de bois

ment et patiemment torsadées, une subtile séquence de nœuds végétaux plus solides que les bras articulés les plus éprouvés, la branche de noisetier comme le symbole d’un authentique mode de vie. La saison de l’almadia débutait quand, làhaut, les neiges débâclaient, gonflant les eaux et faisant s’impatienter les hommes.

Anticiper

Le premier samedi de mai à Burgi, même si le décor est le même, ne pourra jamais évoquer qu’une brève séquence de cette geste pyrénéenne. Dans sa fidèle et précieuse reconstitution, la symphonie annuelle ne renverra qu’un bref écho de la vie de l’almadiero. « Vie agitée, vie romantique, vie dangereuse », disait d’eux l’ethnologue Pio Caro Baroja, renvoyant aux temps où pas moins de 1 000 almadias descendaient l’Ezka convoyant jusqu’à 15 000 m³ de bois. Ce samedi-là, les embruns glacés soulevés par le souffle aqueux du torrent, fouettaient le visage des hommes emmitouflés dans leurs peaux de chèvres, cramponnés aux longues de barres de huit mètres alors qu’ils s’apprêtaient à franchir la redoutable prise d’eau de Burgi, un condensé de l’adresse de l’almadiero. La foule des curieux avait remplacé les lavandières d’antan qui accueillaient le passage des radeaux aux accents égrillards et complices : Almadieeeeros, dindilindero, mucha bolsa y poco dineeeero ! (almadieros, dindilindero, grande bourse mais peu d’argent !) L’aventure durait, selon les occasions de vente, parfois plus d’une semaine pour se renouveler jusqu’à l’étiage. Une fois passés les villages, les équipages s’enfonçaient dans la solitude mouvante et circonscrite par des rivages cariés, entre les parois accores et lardés de sapins des sombres congostos (canyons), barattés par les eaux. Une chute dans le maelström écumeux était fatale, l’almadia ne pouvant faire demi-tour. Eux, savaient la rivière sur le moindre de ses biefs et cascatelles, le plus sournois des récifs. Ils savaient anticiper sur un méandre, un rétrécissement et, jouant de tout leurs corps et de leurs jambes, agissaient sur les barres pour maintenir le lourd ensemble dans un axe parfait. Aussi vrai que l’eau a une mémoire, Erronkari n’en aura jamais fini avec la sienne.

Mots-clés/Hitz gakoak : Train de bois : almadia Torrent : uhaitz Débit : emari Tronc : enbor

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t e x t e Txomin Laxalt / photographies INA et Cédric Pasquini

Ellande

Etchehandy berger sans terre, les dessous d’un tournage

LURRIK GABEKO ARTZAIN, FILMAZIO BATEN ALDE GORDEAK 1959-ean, frantses telebistak artzain baten bizipenari buruzko dokumentario hunkigarri bat aurkezten zuen. Hona hemen, filmazioaren alde gordeak.

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P

our monter au col d’Arnostegi il faut bien, en démarrant de Beherobi, trois heures à pied. La cabane d’Arnostegi, se niche au creux d’un vallon, sous la borne frontière 205 et l’énigmatique tour d’Urkulu qui, depuis plus de mille ans, veille sur l’un des plus vieux couloirs migratoires européens. Le vent, les orbes de sai, le vautour fauve et, comme surgissant de la mémoire vive de ce territoire, crevant la ouate du brouillard, la voix énergique d’Ellande : « Xauri ! xauri ! » (Venez ! venez !) rameutant la tache mercurielle de ses brebis à l’estive. Été 1959. Ellande Etchehandy (Eyherelarre/Saint Michel, Maison Kondichenia 1912-1994), comme tous les matins depuis déjà trois mois, rejoint l’échancrure du col où il confie le produit de la traite du jour à Primo, le boulanger-pâtissier de Garazi, pourvoyeur du pain mais aussi des précieuses nouvelles d’en bas. Quotidiennement, il assure sa tournée en jeep par une piste plus que cahoteuse, le seul lien avec la vallée. Mais sur le col historique Ellande, plus souvent qu’à son tour, s’affronte

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Ce documentaire est un modèle de récit où le journaliste et la caméra s'effacent, laissant place aux silences.

au garde navarrais, Marcelino. Ah ! Marcelino l’imprévisible, s’effacent, où les regards et les silences prévalent, où l’euskara Marcelino madarikatua (le maudit) ! Le cauchemar, le tourment triomphe parce qu’il n’en saurait être autrement tellement permanent des bergers qui estivent entre Errozate et Arnostegi. il féconde les hommes d’ici et désigne le paysage. Bref, une Les brebis jugent parfois plus goûteuse l’herbe d’un versant merveilleuse chronique qui fait de vies discrètes des destins sud plutôt tatillon en ces années d’après toutes les guerres. qu’on envierait. Alors, à peine franchie la vaine ligne virtuelle que matérialise, L’écran de télévision n’était pas encore entré dans les maisons de la vallée que la caméra avait pourtant pénétré pareil à un doigt accusateur, la borne gravée plus que Éternité Kondichenia, la ferme familiale d’Ellande - les choses centenaire, Marcelino menace, Marcelino verbalise, Le lieux n'ont guère changé en s’étant faites naturellement nous confiera-t-on - levant Marcelino confisque. Roitelet étriqué de ces terres près de soixante ans. La borde est un coin de voile sur l’intimité du plus emblématique confuses, il pratique l’inique bahitzea ou l’antique toujours là et on entendrait presque signe d’appartenance de ce pays, etxea, la maison, en droit de pignorer (prendre les bêtes en gage pour les « xauri, xauri » d'Ellande ! révélant sa douillette austérité, la réserve des femmes garantir le paiement d’une amende). qui partagent le dur labeur des hommes, les remplaLe temps s’égrappe lentement à Arnostegi et la çant dans la vallée quand ils sont en estive jeune télévision française, alors en veine d’inspiration, avait Rien n’aurait pu se réaliser sans le Père Adrien Gachiteguy choisi de l’égrener en compagnie d’Ellande (https://www. (Aldudes, 1921), ingénieur agronome de formation, diplômé youtube.com/watch?v=IlkMAhOAH7c). Plus qu’un documentaire, le reportage se révèle un authentique chant de la de l’Université de Berkeley, fin connaisseur du pastoralisme, terre, une séquence ethnographique qui récapitulerait mille auteur du remarquable Les basques dans l’Ouest américain ans d’histoire, un modèle de récit où journaliste et caméra (1955). Il fut le médiateur avisé entre Ellande Etchehandy et

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Ne pas faire n'importe quoi Le père Adrien, aujourd'hui à l'abbaye de Belloc, se souvient du tournage, de ses anecdotes cocasses et du plaisir pris par tous.

Étienne Lalou, génial producteur - les plus anciens n’oublient pas Cinq colonnes à la une. Un demi-siècle après, depuis sa retraite de l’abbaye de Belloc, le Père Adrien qui accompagna l’équipe durant les jours de tournage se souvient : « Il n’était pas question de laisser faire n’importe quoi, de donner une vision folkloriste du métier, de trahir Ellande, un homme d’une exceptionnelle énergie qui s’était prêté avec générosité au reportage. Parfois j’ai même dû me fâcher. » Et de narrer, encore amusé, le colportage à dos d’âne du groupe électrogène et d’un matériel de tournage imposant à l’époque, bien trop fragile pour endurer les secousses de la jeep. Si la personnalité attachante d’Ellande transparaît, tout n’a pu être dit dans le reportage. Archétype même du berger sans terre, voué au célibat, cadet de famille sacrifié, Ellande vit dans l’etxola (cabane) familiale l’été et dans une chambre l’hiver, du côté d’Oloron, tenu de louer des terres pour son troupeau. Comment évoquer l’isolement d’Ellande que quatre heures de marche séparent de la ferme ? Le temps long de l’estive ? La neige de printemps qu’il faut dégager à la pelle ? Les brebis qu’il faut arracher à plusieurs de leurs gangues gelées ? Et comment faire entendre, sublimant une forme de déclassement inhérent au statut, pour reprendre les mots forts de l’anthropologue Danielle Lassalle : « La petite musique intérieure du sentiment de liberté… la puissance du berger sur la nature et sur les choses, jamais sur les autres ? »

Un regard anthropologique

Par ailleurs, nous confiera le Père Adrien, l‘équipe de télévision s’étonnera de la capacité d’Ellande à faire face aux situations surtout quand il entreprit d’agrémenter le repas alors que les journalistes n’avaient prévu que de navrantes boîtes de conserve. « Baina, haurrak bezalakoak dira ! » (mais ils sont comme des enfants !), s’écriera désolé, le berger. À l’initiative du Père Adrien, Étienne Lalou réunira dans les studios parisiens les protagonistes du reportage, Ellande bien sûr mais aussi son frère Geaxia (1897-1995), son neveu,

Émotion Sont-ce la nostalgie d'une monde disparu ou bien les regrets de l'avoir laisser disparaître qui procurent l'émotion devant ce reportage de la télévision française ?

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Manex (1925-1993) et, comme un ange tutélaire dans ce rude monde d’hommes, intervenante avisée, Aña (Eyherelarre, maison Kondichenia, 1935), la nièce d’Ellande, 24 ans à l’époque. Nous l’avions retrouvée grâce au réseau Internet de la diaspora sur lequel le soleil ne se couche jamais et par l’entremise de Johnny Curutchet, le bertsolari le plus célèbre à l’ouest du Mississipi. Avec une suite inespérée accordée au film, le précieux témoignage d’Aña en les resituant, réhabilitait des existences tenues hors champ de la caméra.

La première fois à Paris

« Pour la première fois j’allais à Paris et si je n’apparais pas dans les scènes de montagne c’est que l’été je faisais la saison dans les hôtels de la côte », nous confiera-t-elle dans un euskara qu’elle cultive au quotidien, même à San Francisco où, depuis 1962, elle vit désormais, figure de l’Euskal etxe. De cet intermède télévisé elle s’en souvient parfaitement : « Le reflet d’une vie difficile ; Ellande, montait à la borde traditionnellement le 1er mai pour ne redescendre qu’à la Toussaint. » C’est avec pudeur et émotion qu’Aña nous évoquera Ellande prisonnier et la fin de la guerre : « Comment oublier ce 8 mai 1945 ? J’avais 10 ans, c’était une agréable journée, tous les paysans étaient aux champs à préparer les semailles de maïs ; moi devant les bœufs et aita derrière la herse. Et juste avant midi, les cloches ont commencé à sonner ! À Eiheralarre mais aussi Donibane, Zaro, Aintzile, Ahatsa, quelle belle musique ! Ama est sortie en courant et en criant “gerla fini ! ” (la guerre est finie !) Dans le champ voisin il y avait un vieil oncle, lui aussi devant l’attelage. Il a enlevé son béret et s’est mis à genoux, je voyais sa tête blanche ; nous avons fait de même. Aujourd’hui encore, les larmes me viennent aux yeux quand j’y pense ! Ensuite, les prisonniers ont commencé à revenir mais pas oncle Ellande. Un lundi, ama est revenue du marché avec un télégramme, Oncle Ellande arriverait dans trois jours. Que ces jours furent longs. Oncle Ellande ne parla jamais de sa captivité mais il en souffrit. À son retour, très amaigri, il refusa

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Un caméra qui se fait oublier, regarde simplement pour témoigner de la vie quotidienne d'Ellande, le berger. longtemps de dormir dans un lit, préférant une couverture dans un coin de la salle. » Au-delà de la puissance évocatrice des mots, il reste les images paisibles passées au noir et blanc de la mémoire archivée : une cabane à bardeaux, un feu à perpétuité sous le chaudron, une gourmande giclée de vin arrachée au xahako, l’écho d’un Sorlekua utziz geroz chanté aux quatre vents. Ellande enfin qui, attendant le sommeil, une roulée aux lèvres, savoure une juste revanche sur Marcelino, attentif à l’incongru palpitement du générateur de la nouvelle clôture électrique laquelle, pareille à une comtoise, viendrait battre un temps révolu mais merveilleusement coagulé pour nous.

Mots-clés/Hitz gakoak : Troupeau : ardi saldo Garde forestier : basozain Médiateur : bitarterkari Pastoralisme : artzaingo

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CULTURE

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t e x t e s Jean-Paul Bobin

BILBO

L'ÉCOLE DE PARIS L'exposition rassemble des chefs-d'œuvre de la collection du Musée Salomon R.Guggenheim de New York. Elle couvre la période s'étendant du début du XXe siècle jusqu'à la deuxième Guerre mondiale.

C'

est au Paris du début du XX e siècle, celui qui était la capitale des avant-gardes, que le musée de Bilbo consacre une somptueuse exposition sous forme de rétrospective. Des artistes venus du monde entier s’installèrent à Paris pour créer de nouvelles formes d’art et de littérature. Peut-être pour la première fois dans l'histoire contemporaine, l'art transformait totalement la vie en milieu urbain. En ce début de siècle, Picasso (cidessus ,Le Moulin de la Galette. 1900) et Georges Braque renversèrent les conventions de la peinture, Kandinsky ouvrait de nouvelles

UN BASQUE, UN EURO

Le château des vicomtes de Baïgorri, édifié en 1033 par le roi de Navarre Sanche le Grand, reviendra-t-il dans le patrimoine local ? Mis en vente par ses propriétaires américains, le château d'Etxauz est l'objet de toutes les attentions de l'association Etxauzia qui a lancé, sur Internet, un financement participatif pour espérer en faire l'acquisition. Le slogan « Un Basque, un euro » résume le projet. Si Etxauzia parvient à réunir la somme demandée par le vendeur, elle souhaite consacrer le château à la promotion de l'histoire et de l'économie locale, ainsi qu'à un espace ouvert à la diaspora.

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voies dans l’abstraction et Robert Delaunay a composait des visions de couleur harmonieuse… L’exposition rassemble de nombreuses œuvres de la collection du Musée Solomon R. Guggenheim, dont ce Nu de Modigliani (1917) et couvre la période allant des premières années du XXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. On y parcourt les mouvements clés de l’art moderne du Cubisme au Surréalisme … Cette École de Paris rejeta les esthétiques et transforma à jamais les perceptions du quotidien d'une ville. Musée Guggenheim, Bilbo. Panorama de la ville, l'École de Paris :1900-1945. Jusqu'au 23 octobre 2016.

L'ART AU CLOÎTRE

En écho à l’événement international que représente la désignation de Donostia capitale européenne de la culture 2016, la Galerie des Corsaires organise une exposition collective sous les voûtes séculaires et remarquables du cloître de la cathédrale de Bayonne. Une trentaine d’artistes peintres et sculpteurs, originaires d’Ipar et Hegoalde, exposeront leurs œuvres durant les trois jours du week-end de Pentecôte, les 14, 15 et 16 mai. Galerie des Corsaires, 16, rue Pontrique, Bayonne.

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CULTURE

TRILOGIE

BIG FESTIVAL

LA DERNIÈRE OFFRANDE On a beau le savoir depuis le début, le troisième volume d'une trilogie est souvent une déchirure pour le lecteur, partagé entre le plaisir de renouer avec des personnages familiers et la déchirure de les perdre à jamais. Une fois de plus, Dolorès Redondo tient toutes ses promesses et nous plonge dans une atmosphère cabalistique envoutante, mâtinée des croyances et légendes de ce petit coin de Navarre qui est si cher à l'inspectrice Amaia Salazar. La mort subite d'une petite fille sert de déclencheur à une histoire qui nous transporte dans la vallée du Baztan, bien au-delà du temps présent. Les démons remontent à la surface et on ne sait plus trop si la mémoire est un allié ou un ennemi. Comme dans les deux précédents volumes, Dolorès Redondo nous entraîne dans les méandres mythologiques du Baztan dans les pas de son héroïne qui apparaît plus fragile que dans les précédents romans. Cette trilogie du Baztan frise déjà le million d'exemplaires vendus en Espagne, et une adaptation cinématographique est en cours de tournage dans la vallée. Une offrande à la tempête, Dolores Redondo. Mercure Noir. 23,80 €.

PROCÈS EN SORCELLERIE

C'est aux débuts XVIIe siècle, que les sicaires de l'Inquisition entament une chasse aux sorcières au Pays basque, au Nord comme au Sud. Henri IV envoie une commission royale et sa justice prononcera beaucoup plus de condamnations que l'Inquisition espagnole. À travers un fond documentaire varié, l'auteur, Beñat Zintzo-Garmendia, retrace l'histoire de ces croyances autour de la sorcellerie, revient sur les procès et les condamnations. Un travail extrêmement documenté pour revenir sur un des plus graves complots politico-judiciaires. Histoire de la sorcellerie au Pays basque : Les bûchers de l'injustice. Beñat Zintzo Garmendia. Éditions Privat. 24 €.

L'IMPOSSIBLE OUBLI

I

l en est des mémoires comme des cicatrices, certaines, même refermées, ne guérissent jamais, continuent à démanger, comme pour paralyser l'oubli, l'empêcher d'accomplir sa besogne d'érosion. Le Figuier conte l'histoire de Rogelio Ceron, un ancien phalangiste, de ces hommes qui, pendant la guerre civile, traquaient les « Rouges » et se livraient à des exécutions sommaires, autant par conviction que pour permettre à quelque sycophante de récupérer la maison du « traitre à la Phalange ». Un soir, le regard d'un gamin, Gabino, qu'il vient de transformer en orphelin, fait basculer sa vie. Persuadé que cet enfant le tuera, Rogelio imagine que Gabino lui assigne la mission de garder le figuier qu'il vient de

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planter sur la sépulture de sa famille, creusée de ses propres mains. À partir de ce jour, Rogelio ne quittera plus le figuier, il restera à ses côtés, jours et nuits, pendant des dizaines d'années, comme une bernique collée à son rocher. Jamais Gabino et lui ne s'adresseront la parole, comme ces familles séparées à jamais par la guerre civile. Ce sont tous les tourments de l'Espagne qui sont mis en scène par Ramiro Pinilla (Bilbo 1923-2014), toutes les réconciliations impossibles, dans un roman dont la sobriété confine à l'épure.

GASTRO >>>

édition

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Cela se déroule à Biarritz, du 9 et 16 juillet, et ce sera l'un des événements de l'été sur le littoral basque. Pour cette 8e édition, le Big Festival fidèle à son concept, mélangera « musique, beach, food & fun » autour de trois scènes Un festival revival des grands moments de la musique américaine et californienne des années 70. Une parenthèse dans le temps à ne pas manquer. Renseignements : www.BIGFEST.fr

MÉMOIRE AUDIO DE LA DIASPORA

Le musée basque de Boise (Idaho-USA) vient d'entamer la digitalisation de l'historique programme radiophonique « Basque radio program » consacré aux Basques. Le musée entend ainsi sauvegarder le « legs » des Amerikanuak qui pendant 32 ans, à partir de 1940, ont fait vivre leur langue, sur les ondes d'une radio aux États-Unis, captée jusqu'au Mexique eu Canada. Une mine d'enseignements sur la vie de cette diaspora et ses relations avec son pays d'origine. Le projet consiste à rendre accessibles ces émissions à travers un site Internet. C'est Eneko Tuduri Zubillaga, historien de l'art, (Donostia 1990) qui est en charge du projet. .

PASTORALE

Le Figuier, Ramiro Pinilla. Le Temps des Cerises. 17 €

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HISTOIRE

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t e x t e Txomin Laxalt

histoire des cagots, agotak en euskara, s’inscrit dans un chapitre du long et douloureux livre des exclusions dans une Europe qui, en ce début de XXIeᵉne semble pas encore s’être décidé à en poser le point d’orgue. Qui étaient-ils ? Descendants des Goths, lépreux, bohémiens peut-être, la lumière n’est pas encore faite sur l’origine exacte de ces réprouvés dont il est fait mention sur l’ensemble de la chaîne pyrénéenne. Il ne s’agira pas ici d’essayer de répondre à cette question mais plutôt d’amener à s’interroger sur la raison de cet ostracisme qui a frappé les cagots. « Mystiquement groupés à l’instar des premiers chrétiens attendant le martyre têtes inclinées, les cagots se bornaient à prier avec l’humilité canine des faibles », écrit Félix Urabayen (Ultzurrun, 1883-Madrid, 1943), l’écrivain navarrais qui, en 1924, a consacré un magnifique roman aux cagots du Baztan (1). Il tient, en fait, une chronique sombre autant qu’universelle de l’organisation de nos sociétés quand, depuis l’aube de leur histoire, elles se sont empressées d’imposer des rapports sociaux de pouvoir, basés sur le mépris, la stigmatisation d’une communauté jusqu’à la mener à sa désocialisation sous l’irrationnel prétexte de péril, le temps se chargeant du reste. Air connu. Nous l’avons dit, les cagots se retrouvent au long du chaînon pyrénéen mais plus près de nous, dans la vallée du Baztán, les traces sont encore manifestes. Le lieu vous sera sans doute connu, le contexte peutêtre moins. Aujourd’hui encore, les habitants de Bozate n’aiment pas qu’on leur rappelle l’origine de ce quartier du village d’Arizkun, situé à six kilomètres d’Elizondo. Bozate entretient le lustre de ses splendides maisons navarraises, presque toutes frappées du blason à damier, signe distinctif de la première vallée navarraise que l’on croise une fois passé le col

L’

LES CAGOTS DE

BOZATE BOZATEKO AGOTAK

Maleruski, agoten izatea Pirinioetan zehar aurkitzen den ezaugarri iraunkor bat da. Baztango haranean, Bozate auzoa luzaz haiei eislaturik lekua izan zen.

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Les magnifiques maisons navarraises du quartier de Bozate, dissimulent une histoire peu glorieuse.

d’Otsondo, « cet échiquier de haine dont les cases noires représentent les cagots, les blanches les Baztanais », ainsi que se permet de l’interpréter, avec sévérité, Félix Urabayen par la bouche d’un des personnages du roman. Dans cet environnement bucolique célébré par l‘auteur, rien ne laisse penser aujourd’hui que le bourg fut un terrible ghetto où, du XIIeᵉau début du XXeᵉsiècle, assez tard donc, furent confinés agotak. « Le malheur est que cette Arizkun si grave, si respectueuse du passé, a renié son quartier de Bozate… et qu’elle le hait avec une fermeté paysanne, un fanatisme tenace », dénonce-t-il. Cet irrationnel rejet s’est nourri à travers les siècles grâce à d’iniques codifications sociales, lesquelles ont permis d’entretenir cette abominable ghettoïsation. Rappelons-nous les vers d’une très ancienne chanson d’amour souletine, Agota (Le cagot) : Hori hala balinbada, haietarik etzira Ezi zure beharriak alkhar üdüri dira ; Agot denak ttipiago badü beharri bata, Aitari erranen diot biak berdin tüzüla Vous n’êtes pas de ceux-là En effet, vos oreilles sont identiques ; Tous les cagots ont une oreille plus petite, Je dirai à mon père que les vôtres sont identiques Car il était dans les croyances que les cagots développaient des caractéristiques physiques, endogamie oblige, qui les faisaient reconnaître à coup sûr. Une prétendue sagesse populaire affirmait que les cagots possédaient un embryon de queue, un sang empoisonné et, pour être transmetteurs du péché originel, pas moins, il fallait les tenir éloignés. Si déficiences physiques il y eut, elles sont à attribuer sans doute à une consanguinité consécutive au confinement. Dans une intéressante étude, l’écrivaine Alizia Stürtze, affirme que les véritables motifs étaient économiques. En effet les cagots durant des siècles auraient revendiqué les mêmes droits que les habitants du lieu où ils habitaient et, dans le cas du Baztán, la hidalguia, la noblesse de fait. « Le Pays basque des montagnes était pauvre et, à cause du système du droit d’aînesse, les biens de la ferme étaient destinés à un seul fils. Il n’y avait aucune place pour qui venait de l’extérieur. Devant une telle situation, on avait l’habitude de profiter des cagots sans jamais leur reconnaître le moindre droit. » (2) . Un déni poussé à son extrême : les cagots ne pouvaient pratiquer d’autres métiers que bourreaux et charpentiers, le bois ne transmettant pas de maladies, croyait-on alors. De cette triste histoire, il nous reste le splendide bourg de Bozate, un chant d’amour plein d’espoir et la conviction que nos Pyrénées sont trop belles pour ne plus jamais tolérer de tels errements. (1) Le quartier maudit, Éditions Iru Errege. (2) Agotak, Juduak, eta Ijitoak Euskal herrian in Eusko news & Media, article de Ainara Iraeta Usabiaga, 2000.

Mots-clés/Hitz gakoak : Cagot : Agot Oreille : beharri Lèpre : legenar Bohémien : buhame

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RESTAURANT

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Céderic Pasquini

BELARRA

Une vague de saveurs BELARRA JATETXEA, ZAPOREEN OLATU BAT

Zokoako hondartzan edo kasik, Belarra jatetxeak, duela urte bat, bere suak berpiztu ditu, Pascal Ruiz-i eta Sabrina Guillon-i esker, Nicolas Sulpice-rekin labeen aurrean.

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e plus difficile sera vraisemblablement de rester attentif à son assiette tant les sens, dont la vue, seront sollicités. En effet, le restaurant Belarra - l’enseigne emprunte de sa première voisine de vague - possède, outre celui d’avoir ses fourneaux posés quasiment sur le sable, le privilège non négligeable d’embrasser l’ensemble parfait de la baie de Donibane depuis la vigie de Zokoa et son historique brise-lames de l’Arta, jusqu’à la passe du port. « Au-delà du seul aspect gastronomique, nous étions conscients dans notre choix de ce rapport fort : pays, culture et histoire », nous avait confié Pascal Ruiz, lequel depuis février 2015, avec Sabrina Guillon, a rallumé les feux de l’établissement. Un parcours pour le moins atypique ; Pascal, ci-devant professeur d’éducation physique et Sabrina, issue d’une école de commerce, ont relevé le pari audacieux d’une aventure entrepreneuriale relevée aux saveurs de la gastronomie, une passion, on s’en doute, depuis longtemps entretenue. Nous en avions terminé avec l’œuf croustillant, servi chaud sur sa compotée de légumes de saison que venait souligner >> une crème de xamango (talon de jambon), une étonnante composition dont le subtil mollet tiède déflagrait en bouche. En fond, l’immortel Lau teilatu du groupe Itoiz, aux accents jazzy , interprété par le talentueux duo Smile - le vendredi soir, Belarra propose un concert - et, par-delà la baie vitrée, la phosphorescence dédoublée dans les eaux de la baie, des lumières luziennes, un spot romantique ! Pour revenir à nos entrées, vous auriez très bien pu opter pour le mille feuilles de tomme de chèvre et Granny-Smith caramélisée sur une compotée d’oignons, d’improbables noces, comme du reste le foie gras mi-cuit et sa marmelade de kiwi, le ménage douçain acide à du joli temps devant lui, on vous l’assure, l’alchimie fonctionne. « Nous défendons une carte évolutive, elle change tous les deux mois, tenant compte des souhaits des clients,

Un spot romantique et magnifique

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dans un cadre festif sans pour cela délirant, la cuisine élaborée ne doit surtout pas être synonyme d’ambiance guindée », soulignait Pascal Ruiz, « il s’agissait d’agréger les deux principes, celle d’une cuisine traditionnelle avec celle qui nous ressemble, une osmose des produits et des hommes », parachevait Sabrina… Et un chef cuisinier complice bien évidemment, Nicolas Sulpice en l’occurrence, lequel connaît le Golfe comme son piano ou vice versa, ayant officié sept ans à Atlanthal mais aussi chez Mattin et au Zoko moko. À Belarra, il est des valeurs sûres, marée luzienne ou cibourienne oblige. Ainsi, selon arrivage, le Retour de la criée en Nage corsée, une sélection de poissons frais réalisée par le chef : louvine, maigre ou autres hôtes de haut lignage de nos fonds. Le Suprême de pintade farcie et pleurotes avait eu cependant nos faveurs, curieux que nous étions de la connivence d’une volaille, ô combien traditionnelle, avec ce champignon hébergé par les troncs, peu connu et plutôt mal aimé sous nos cieux et dont la saveur accompagne idéalement un mets au fumet moins prononcé. Justice était enfin rendue ! Les moins aventureux qui se seraient dirigés vers le plus classique filet de bœuf et sa sauce vin rouge auront été sûrement interpellés par la terrine gourmande de pommes de terre fondantes avec crème fraîche et fromage qui l’escorte. Bref, un menu moiré à 35 € € avec desserts maison pour un tour de pays revisité, faisant la part belle à nos producteurs et un service sympathique assuré par Alexandre. Côté vins, une carte particulièrement accessible, de 18€ pour un séduisant Château Plaisance, A.O.C Fronton à 30€ pour un saint-émilion grand cru. Des vins de pays, étonnantes découvertes (Côtes de Roussillon, Cahors) ou valeurs sûres, Irulegi Brana, tous autour de 20€. Quant à ceux qui ne connaissent pas encore le blanc galicien Albariño, ils n’hésiteront pas à se frotter au Deusa nai (25€), une forme subtile de nirvana quand il assiste poissons et crustacés. Le duo Smile achevait délicatement La Javanaise de Gainsbarre, la brise nocturne friselait, mais à peine, les eaux enserrées de la baie, faisant gambiller les lumières de la cité luzienne. De quoi se sentir l’âme corsaire.

Belarra Ciboure 2, Allée André Hiriart Tel. : 05 59 47 43 79

Mots-clés/ Hitz gakoak : Louvine : lupia Pleurote : belarri landu Marée : itsasaldi Filet de viande : xerra

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MYTHOLOGIE

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t e x t e Txomin Laxalt

Euskal herriko mitologian Mateo Txistu personaia bitxia da. Abitua janzten den gizaki bakarra da. Hala ere, horrek ez du erran nahi asaldagarri gutiago izatea. n bien curieux personnage auquel tout mendizale ne peut s’empêcher de songer alors qu’il court les sentiers à l’heure où roussit la montagne. À moins que ce ne soit aux jours les plus courts quand l’écho des aboiements des chiens courants, de la corne et des détonations lui fait passer entre sac et échine un vague frisson, l’aigre pressentiment d’un croisement fortuit sinon avec la trajectoire mortifère du plomb, du moins avec Mateo Txistu, ehiztari herratua, le chasseur

U

Une des multiples représentations de Mateo Txistu, le bien curieux chasseur errant.

Barandiaran, prêtre et ethnologue reconnu raconte de son collègue ecclésial qu’il avait été curé d’Udala et qu’il allait de par le monde en compagnie de ses chiens ; ils aboyaient continuellement. Personne ne les a vus, on ne voit que les flammes émises par la gueule des chiens lorsqu’ils aboient. Du reste abade xakurrak (les chiens du curé), est une expression qui a toujours cours quand une méchante tempête secoue la maison, rappelle Claude Labat et de citer un autre ethnologue Julio Caro Baroja, lui-même évoquant un voisin sien, Don Ladislao de Velasco, écrivain d’Araba : « Lorsque par une nuit d’hiver, souffle la tempête… les tourmentes du vent produisent de sinistres rumeurs, et si une violente rafale survient avec fracas… les femmes et les enfants murmurent : abade xakurra. » Si en Zuberoa on préfère affubler l’inquiétant personnage du très biblique nom de Salomon on le retrouvera en Lapurdi ou Nafarroa beherea, toujours tricotant des pinceaux, toujours courant ruisseaux, ravins, torrents, fourrés, sous le vocable de ehiztari beltza (le chasseur noir), pour son aspect sinistre ou la couleur de la soutane ? Allez savoir. Enfin, entre Èbre et Adour, ce Nemrod maudit de Dieu et des hommes, est condamné à courser éternellement un lièvre dératé. Quand on sait que le symbolisme veut voir dans l’acte de chasse et la mise à mort inéluctable de l’animal, la destruction de l’ignorance et de nos inclinations néfastes, que la recherche du gibier s’apparenterait à la quête spirituelle, on en veut déjà moins à Mateo Txistu, on l’encouragerait presque dans sa démarche salutaire. Les Indiens d’Amérique, pas calottins pour un scalp, en suivant la piste de l’animal ne suivaient-ils pas celles du Grand Esprit ? Claude Labat, revisitant cette activité cardinale de l’homme, considère que « la pratique de la chasse est un indicateur culturel qui permet de replacer l’homme dans la perspective d’une évolution dont nous sommes tous héritiers, que l’on soit chasseurs ou non. Le chasseur contemporain incarne le passage de sauvage à celui de civilisé. » Quant à affubler un mythe païen d’une robe ecclésiastique pour chiffonnée qu’elle fût, n’est-ce pas la meilleure façon de le neutraliser, de lui accorder en quelque sorte le Bon Dieu sans confession ?

MATEO TXISTU,

LE CHASSEUR ERRANT EHIZTARI HERRATUA

Mots-clés/Hitz gakoak : Prêtre : apaiz Lièvre : erbi Chasseur : ehiztari Aboyer : zaunka egin

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errant. Cette entité en perpétuel mouvement qui se soucie de son permis comme de sa première cartouche, au treillis traditionnel et à la casquette qui va généralement avec, leur préfère une soutane élimée, quelque peu déchirée par les ronces et plutôt crottée aux revers pour avoir balayé la gadoue bien pégueuse des tréfonds de nos ravins. Car sa passion furieuse pour l’art cynégétique a contraint l’abbé Txistu Mateo à préférer à la maison du Seigneur, le temple de Diane. Qui ne connaît un curé chasseur me direzvous ? Ils sont légion entre Sare et Bilbo mais lequel se serait risqué, un dimanche, à déserter le Saint-Office, planter ses ouailles, là, entre Kyrie et Confiteor afin de satisfaire au coup du roi ? Txistu Mateo, lui, osa. C’est du moins ce que l’on vous racontera à Ataun (Gipuzkoa), à peu près la même chose à Zerain (Gipuzkoa) où on accole cependant à l’individu le sobriquet de Juanito Txistu. Du côté de Gesalibar (Gipuzkoa) - ce ne sont pas les eaux qui y sont seulement sulfureuses mais les tendances aux safaris d’un certain prélat - on vous évoquera là-bas plutôt un Martin abade. Le Père José Miguel de

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