Ibilka #11

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ibilka

le magazine

numéro 11- 2016 negu / hiver

Mundaka

Le carnaval de Mundaka ne ressemble à aucun autre, et c'est bien là ce qui fait tout son charme et son intérêt. À découvrir de toute urgence !

Baldorba

Elle n'est pas la plus connue des vallée navarraise. Pourtant, avec son chapelet de villages, ses trésors romans, une faune et une flore très riches, sans parler de la précieuse tuber melanospérum, la petite vallée mérite qu'on s'y arrête.

Fort San Cristobal

De fort, il n'a que le nom. Prison conviendrait mieux. Perché sur les hauteurs de Pampelune, il témoigne d'une période cruelle de la Navarre.

Pastorale

À l'occasion de Donostia 2016, découvrez l'incroyable destin de Katalina de Erauso.


Argizaiola la flamme des morts

t e x t e Txomin Laxalt / ph o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

Oso estetikoa, argizaiolak aldi berean gure hilak oroitarazten ditu eta bere ikur sinbolikoei esker, artistaren talentua adierazten du.

Argizaiola, hilen sugarra

L

une fine bougie de cire naturelle. Les plus beaux spées Basques se sont toujours accommodé cimens sont exposés au Musée San Telmo de Donostia de l’idée de hila, la mort. À tel point que, mais on peut en admirer aussi au Musée basque et de longtemps elle a fait partie de leur quol’Histoire de Bayonne. tidien, la meilleure façon de l’exorciser Argizaiola, lequel traditionnellement se veut être le sans aucun doute. Pour être à la racine porteur du feu de la maison, est maintenu allumé des mots exprimant le temps qui passe durant les cérémonies religieuses en l’honneur du ainsi de certains astres et de leurs mouvements qui défunt, en particulier lors de la fête des Morts, le le scandent, elle se rappelle à son souvenir dans le 2 novembre. En observant attentivement argizaiola, langage. L’astre de la nuit, la lune, ilargia, signifie la on remarquera que sa forme n’est pas sans évoquer un lumière des morts, le cimetière, ilherria, le village des corps allongé avec bras et jambes légèrement en croix, morts ; quant au mois, ilabete, il renvoie au cycle de en une représentation traditionnelle d’une dépouille la lunaison. Et pour démontrer qu’en Euskal Herri humaine. Cependant, grâce au talent on s’arrange avec la Camarde, il fut Mots-clés/Hitz gakoak de l’artiste, ce qui pourrait être un même un temps, plus précisément outil morbide, devient un objet à avant l’avènement du christianisme, Flamme : sugar l’esthétique unique qui participerait où l’on enterrait ses proches dans Maisonnée : etxekoak presque à nous faire aimer notre le jardin, une façon de ne pas s’en Cire : argizari condition de mortel que l’on a souvent éloigner, de leur faire comprendre Graver : zizelkatu tendance à oublier. Tout le talent de qu’ils continuent finalement à faire l’artiste s’exprime sous son ciseau qui partie de la maisonnée sans avoir guilloche en miniature les plus subtiles expressions de pour autant, et pour cause, à en partager les tâches. la symbolique euskarienne. Un objet pourtant, argizaiola, mérite toute notre Il était de coutume que etxekoandere (la femme de attention tant pour sa beauté que pour la belle et la maison), en son absence la fille aînée, se charge forte symbolique qu’il véhicule en un extraordinaire d’allumer argizaiola et de le déposer à l’église devant condensé. Argizaiola, à travers lequel se décline tout les chaises gravées aux initiales de la famille concernée. l’art du menuisier il est vrai, est surtout présent en Le lien était ainsi maintenu entre la maison et l’église. Gipuzkoa et au nord de la Navarre où son utilisation Dans un monde où seul le beau et un fallacieux perman’a jamais été remise en question. nent ont droit de cité, où l’on a remisé la Mort dans le Argizaiola se présente comme un rectangle de bois non-dit, argizaiola dans une esthétique achevée vient long de quelque 50 cm, généralement en hêtre ou en en heureux rappel de l’inéluctable. chêne, richement ouvragé et autour duquel s’enroule


Éditorial

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Urte berri on

Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Couverture : Santiago Yaniz Aramendia P.2 1 : DR

L'

histoire, la grande, celle que l'on écrit en majuscules ; la tradition, tellement présente et si riche chez nous, celle qui nourrit l'anthropologie sociale ; enfin, la découverte de trésors naturels, sont nos guides principaux pour ce nouveau numéro d'IBILKA. C'est d'abord en Navarre, que nous vous convions à une réflexion sur la mémoire historique. Direction les hauteurs de Pampelune, là où se tapit - comme pour se faire oublier - la forteresse San Cristobal. Un observateur attentif y décèlera les fantômes des victimes d’une guerre indigne qui déchire encore aujourd’hui tout un peuple. Luis Garde Iriarte rend compte de cette période trouble de la Navarre dans son livre Ehiztarien isilaldia, (Le silence du chasseur). Plus légère, la tradition nous entraîne en Biscaye, sur les bords de l’Océan, jusqu’à Mundaka, plus célèbre, il est vrai, par sa légendaire vague gauche que pour son carnaval, et pourtant… Aratuste - le nom du carnaval local - ne ressemble à aucun autre. Relativement récent, il n’en est pas moins devenu un rendez-vous incontournable, dont l’origine et l’histoire restent savoureuses. Les chants, la bonne humeur et l’hospitalité festive accompagnent carnavaliers comme simples spectateurs. Pour se remettre de cette escale vouée à l’intempérance, quoi de mieux qu’une belle découverte ? Alors, les paroles de la chanson de Benito Letxundi pour cicérone, partons vers la vallée de Valdorba ou Boldorba. Un écrin naturel qu’il faut absolument découvrir, riche de sa vingtaine de villages caractéristiques, d’une faune unique et de son diamant noir qui laisse augurer de délicieuses bombances. Depuis trois ans, déjà, ce numéro d’hiver d’IBILKA nous fournit le plaisir de vous présenter nos meilleurs vœux et de vous souhaiter une très belle année remplie de bonheur et de découvertes. Et nous espérons qu’IBILKA y participera grandement. Urte berri on et bonne lecture !

Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication


PORTRAIT

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

begiradaz eta bihotzez


PORTRAIT

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1989-1991 :

1994 :

2001 :

Algérie et Front Polisario

Chiapas, rencontre avec Marcos

Regards d’enfants

2013 :

dates clés

Elle crée le Festival de courts-métrages d’Hendaye

par le regard et par le cœur Argazkilaria eta ibiltaria, sineste sendoko emazte bat da Angela Mejias. Mundua kurritzen du begirada bat biltzera, besteen amodioak gidaturik.

I

l y a à la fois de l’Ella Maillart (voyageuse, 19031997) et de la Gerda Taro (photographe, 19101937, front de Madrid) chez Angela Mejias (1958, Valdelacalzada, Extremadura) ; la curiosité du monde de la première et l’engagement de la seconde. Une vie ne suffira pas à Angela – elle croit que c’est faire le temps plus long de ne s’accorder que quatre heures de sommeil – pour faire le tour du globe et en conter en images les riches et douloureuses heures. Si l’on s’avise d’en tracer le portrait, éviter le commentaire du style : sacré petit bout de femme ; elle vous fermerait à jamais sa porte et ce serait dommage, elle qui ne sait pas ce qu’est une clé. Angela, c’est dans tous les sens du terme une femme sans fards et surtout, selon les mots du grand Kessel, un témoin parmi les hommes. Quand elle en a ras la coupole, de la société course au fric qu’elle n’aura jamais et dont elle se fout comme de sa première pige, elle prend son Nikon tout cabossé : « Quand je serai grande j’aurai un Leica », et va cueillir un regard d’enfant sous une tente de réfugiés du Sahara occidental ou, dans leurs grottes, partager les rites visionnaires des Indiens Tarahumara, descendants des Apaches. Quand elle n’est pas rendue à l’humanité du monde, Angela vous reçoit dans sa tanière de Senpere (Saint-Pée) tapie au pied d’un coteau, >> une vieille ferme labourdine ouverte aux quatre vents et, fatalement, aux gens qui les amènent. Ici même ses poules ont le droit d’entrer ! Elle a la voix griffée par le tabac, les mains du journalier habitué à tailler son chemin et sous la crinière, des yeux enjoués, un rien guillochés par les sillons de cent soleils et d’autant d’incertitudes. Elle a 12 ans quand elle débarque à Irun (Gipuzkoa), au quartier populaire dit Moscú, le bien nommé. Ce sont les années de feu, des états d’urgence, et des graffitis comme des cris sur les murs qui parlent du Nicaragua et d’un Christ barbu au béret à l’étoile. « Je savais que j’irai un jour là-bas. » Aînée de cinq, peu de temps pour les poupées et l’école, sinon pour s’occuper de la fratrie, bosser à droite et à gauche. La part de rêve et d’inspiration, elle l’entretient à observer autour d’elle, car hors l’atelier de couture, à Irun comme à Hendaye où la famille s’installe, son université c’est la rue. La photo ? Elle l’avait découverte dans son village extremeño, grâce à deux sœurs, vieilles filles, lesquelles par quel hasard de la vie, gouvernaient le studio local : « Tu sais, le chiffon noir sur la tête et les clients endimanchés posant le coude sur le guéridon. N’empêche, elles me permettaient d’assister au développement, magique ! » Son premier appareil ? Gagné grâce aux points d’achat des magasins SPAR qu’elle détour-

Angela, c'est un témoin parmi les hommes

nait en faisant les courses pour les voisines. La première pelloche ? Payée par un père taiseux, comme un adoubement. Angela se défend d’être une photographe à la recherche du scoop, de l’image, elle n’a pas le temps : « Doisneau m’em… ! La photo extraordinaire je m’en fiche, ce qui me touche c’est quand les gens, à mes expositions auxquelles je suis toujours présente, me posent des questions et quand les enfants me demandent des enfants d’ailleurs : “ est-ce qu’ils nous aimeraient ? ”» L’image vient en deuxième période quand après plusieurs semaines, le fil relationnel tendu, la confiance établie, au fait de son travail, on s’étonne de ne pas la voir photographier, alors seulement elle tire son Nikon du sac.

Témoigner et créer la rencontre

Angela fonctionne au coup de cœur et sans tocante ; ses départs sont des allers simples, ses déplacements des voyages à pied. En 1989, elle troque Txingudi pour l’Algérie, l’aventure durera deux ans avec un séjour en Kabylie, un job comme photographe, agréée par l’UNESCO, de la faune et la flore du parc national du Djurdjura, des piges à El Watan. La résistance du Front Polisario l’interpelle, elle obtient sans peine une accréditation et se rend à Tindouf sac sur le dos et robe kabyle, désormais sa tenue de reportage. Quand au matin du 1er janvier 1994 elle apprend le soulèvement au Chiapas, elle vend le superflu, un peu de nécessaire et s’envole pour le Mexique ; elle y restera trois mois et demi entre le désert du Potossi et la forêt Lacandona où elle rencontre le commandant Marcos, « il avait compris qu’un conflit ne se règle pas par les armes mais par l’éducation. » En 1992, elle tente l’Afghanistan, Massoud bien sûr, encore un commandant emblématique mais les terres d’Aryana sont bien trop compliquées pour une femme. L’Amérique du Sud encore mais aussi l’Irlande du Nord, le Nicaragua, New York. Pour résumer les sept vies de ce chat, s’imposent un livre et l’expo itinérante qui va avec : Regards d’enfants ( 2001), un voyage en enfances pillées, bouleversant. Consciente de ne pas disposer du don d’ubiquité, Angela détourne le problème et à défaut de pouvoir aller à la rencontre de tous les autres, elle les fait venir grâce au Festival du court-métrage d’Hendaye qu’elle organise depuis 2013, trois jours durant lesquels les minorités linguistiques, ethniques et sociales sont mises à l’honneur. Tant pis pour le Leica Angela, mais surtout ne grandis pas !

Mots-clés/Hitz gakoak Solidarité : elkartasun Curiosité : ikusmin Relation : harreman


FĂŞte / carnaval

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Santiago Yaniz Aramendia

Le Carnaval

de Mundaka


fête / carnaval

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Aratuste, zara Aratuste ! Ihauteri atipikoa, Mundakako Aratustek biltzen ditu Atorrak desfile airos baterako Zuzendariaren gidaritzapean.

En blanc Pour les atorrak, chemise et pantalon blancs, auxquels s'ajoute un foulard rouge autour du cou.

Distibution Dans les carnavals, les rôles sont toujours prédistribués de manière immuable.

L

a légendaire gauche de Mundaka relève de l’impermanence des choses, ce phénomène qui nous régit depuis que le monde est monde. Aux jours de bonace, elle déroule à perpétuité sa vague depuis le môle du port dans un suave ralenti jusqu’à s’effacer de l’autre côté de la ría. Aux jours de fumasse, elle prend son élan de bien plus loin et fait hésiter les plus audacieux surfeurs, venus des quatre coins du monde pour la chevaucher. Ainsi, le carnaval de Mundaka procède du mascaret, il revient chaque année à date fixe sans que l’on se soucie de son origine pas plus que de sa pérennité, farouchement attaché que l’on est à le perpétuer. À >> quoi bon s’enquérir d’une histoire, vous dira-t-on ici, lur azpitik sortu den ohitura bat baino (une habitude qui n’est jamais née que

Aratuste, ne possède aucun des attributs du fonds commun des carnavals basques

de dessous la terre) ? Sauf qu’à Mundaka, Aratuste, le nom du carnaval en biscayen, ne possède aucune des caractéristiques qui procèdent du fonds commun des Ihauteri d’Euskal Herri. Le ciel était lourd de menaces et une méchante bruine oblitérait l’horizon, un vrai temps de février. L’ikurriña géant battait mollement à la pointe de son mât sur la placette du port. La matinée dominicale en était à son orée et les paupières métalliques des nombreux ostatu (bars) étaient encore baissées, à se demander si la météo aurait raison de la célébration carnavalesque. C’était mal considérer les us d’Hegoalde où, quoi qu’il arrive, quels que soient villes ou villages, qu’il pleuve, neige ou grêle, on ne déroge pas au complexe comput grégorien qui associe Pâques au premier dimanche qui suit la première pleine lune de printemps, fixant Mardi gras quarante-sept jours avant Pâques, on suit ? Peu importe !

Le Noir et les blancs Quelques surfeurs ourlaient la vague et, avec les premiers cafés et journaux du jour, Mundaka s’éveillait timidement. À dix heures, les premiers Atorrak (chemises), rôle dévolu aux seuls hommes de la commune, prenaient possession des arcades de la Place de la mairie. Atorrak pour les uns, Marraus pour les autres, plus


Fête / carnaval

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Hommage La tenue blanche est réservée aux hommes, en souvenir d'un petit noble local, chassé de la couche conjugale, et qui se drappa comme il le put !

mal avisé à la nuit avancée, de s’en retourner vers ses pénates passablement pris de boisson. Alors que dans le simple appareil, il s’avisait le plus discrètement possible, de se glisser dans la couche conjugale, sa comtesse d’épouse dont la réputation de maritorne n’était plus à faire, lui passa ce que l’on appelle traditionnellement un bal d’une telle magnitude sur l’échelle de Richter des séismes domestiques que le malheureux n’eut que le temps de s’emparer d’un drap, du jupon de sa femme et d’une taie d’oreiller pour se draper dans ce qui lui restait de dignité avant de fuir l’ire matrimoniale. Les noctambules croisés dans les ruelles de Mundaka, y voyant la dernière lubie du personnage, applaudirent et l’on adopta le déguisement pour la plus païenne des fêtes. Symboliquement, c’est vers la mairie et sous la stèle honorant José Mari Egileor — un important acteur culturel de Mundaka, lequel, à la fin de la guerre civile, s’obstina à rallumer les feux d’Aratuste quand la censure franquiste interdisait toute manifestation masquée — que convergent vers midi 300 Atorrak, impatiemment attendus par les quelque 1800 habitants. L’ultime répétition a lieu au dernier étage de l’école. La mâle assemblée s’y rassemble sous la baguette de Zuzendaria, le Directeur. Le noir de son frac impeccable, et de son >>

Une scène de ménage serait à l'origine de la tenue vestimentaire des carnavaliers qu’un déguisement, cette vêture immaculée accorde toute sa spécificité au carnaval de Mundaka. Une taie d’oreiller joliment brodée sur le devant en guise de capuche, une jupe blanche, en fait azpiko gona ou, autrefois, la sous-jupe des femmes et izara, un drap dans les plis duquel on se drape élégamment, l’ensemble sur atorra, une chemise et un pantalon blanc auxquels s’ajoute un foulard rouge noué autour du cou. L’indispensable hamarretako (casse-croûte) s’apparentant plus à un repas de noces qu’à un coupe-faim, pris en commun dans les tavernes ouvertes enfin pour l’occasion, autorisait encore quelques épanchements ethnographiques. Celui-là, cumulant sous la capuche blanche cinquante-cinq Aratuste – contraction en euskara d’haragi, viande et uzte, laisser, pour rappeler que carnaval annonce Carême – s’était attaché, avec l’application de l’historien, à nous expliquer l’origine de la curieuse livrée. À la moitié du XIXeᵉ siècle, un Jauntxo (petit noble) local, le comte Antón Erreka célèbre surtout pour sa propension à la fête, s’était

haut-de-forme vient en réplique à la blancheur lumineuse des Atorrak qui s’attachent à peaufiner les maquillages, généralement des moustaches en pointes dessinées au noir de fumée, agrémentées de quelques clés de sol sur les joues. Plus qu’un simple chef de musique, Zuzendaria est maître de cérémonie à la gestuelle étudiée, le moteur de cette curieuse entité. Jon mène le groupe. Hissé sur une chaise, il entreprend de faire reprendre en chœur, Maretoie, la composition de l’année. Pour conclure par une brève mais énergique harangue : « Nous ne formons pas un cortège militaire, alors mesedez mutille’, s’il vous plaît garçons, du cœur et de l’harmonie ! »


Fête / carnaval

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Seuls les criaillements des mouettes fêlent le silence. Depuis les balcons, sur la place, Mundaka suspend son souffle. Zuzendaria a levé sa baguette, fait durer le plaisir puis se détendant tel un ressort lance l’entraînant hymne du Carnaval depuis 1960, repris par tous dans ce biscayen inimitable : Aratuste, zara Aratuste Mundakarentzat egun obarik'e Marrau atorra zuriakaz Buruan pañelu sedazko ederrakaz Aratuste, vous êtes Aratuste/Pour ceux de Mundaka, il n’est de meilleur jour/ Les Marrau avec leur chemise blanche/ Et sur la tête le beau foulard de soie

Pas d'instruments traditionnels Le chant et la musique ont la partie belle dans le déroulé d’Aratuste. Une exception en Pays basque, les instruments ne sont pas traditionnels et hormis les accordéons, ils sont à cordes : guitares, mandolines, banjos et violons accompagnent la multitude de chants à ce jour dédiés. Les rythmes vont du passe rues à la habanera en passant

par ceux utilisés traditionnellement par les tunas. En musique, la troupe va sillonner le maillage complexe de rues, ruelles et traboules convergeant toutes vers le coquet petit port serti dans une anse naturelle. Le moment fort est sans conteste la halte sur le quai quand, dans un alignement parfait, les plus emblématiques pièces musicales seront reprises tandis que sont offerts aux spectateurs tostadak, sortes de délicieux pains perdus. La nuit tombe vite en février et quand s’allument les premiers réverbères, Lamiak s’emparent de la ville, yeux passés au noir, visages blafards et longs cheveux de lune. La légende veut qu’elles arrivent de Lamiaran (l’endroit des Lamiak), un lieu-dit entre Mundaka et le port voisin de Bermeo.En fait, depuis plusieurs années, Lamiak est l’impressionnante réponse féminine aux Atorrak masculins. Bientôt, les deux groupes se fondront en un seul pour l’entrée dans la rude nuit carnavalesque. Pas d’inquiétude, il n’y a plus de comtesse à Mundaka.

Repousser les limites C'est la fonction du carnaval d'autoriser la caricature sociale et de repousser toutes les limites. Qu'importe alors qu'un atorra s'autorise un pause lascive devant un quelconque symbole religieux ou que Le Noir, dans son frac impeccable appelle à l a loufoquerie. C'est carnaval, et tout est permis.

Mots-clés/Hitz gakoak Carnaval : Ihauteri, Inauteri, Aratuste Carême : Garizuma Chandeleur : Ganderailu Hymne : ereserki


orbaibar - Valdorba

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Santiago Yaniz Aramendia

Oi Baldorba, oi Baldorba, ahanzten bazaitut

Si je t’oublie

Benito Lertxundi-ren kantu famatuaren oihartzunak datozkigu, Baldorba bisitatzen dutelarik, Nafarroako haranik ezezagunetako bat.

E

n Euskal herri comme dans tous les pays où la mémoire collective fait office de conservatoire, le succès d’une chanson réside dans la puissance évocatrice de ses mots. Alors qu’appuyés à la balustrade ceignant le parvis de l’église romane dressée au-dessus du village d’Orisoain, nous laissons glisser nos regards vers la vallée bosselée d’Orbaibar (Valdorba ou Baldorba), la voix enveloppante de Benito Lertxundi nous parvient : « Oi Baldorba, oi Baldorba ! Esazu nor zen bidetik baztertu zintuen, madarikatua » (oi Baldorba, dismoi quel est le maudit qui vous a écarté du chemin). Comme une mélopée arménienne mâtinée des inflexions joteras, les paroles de José Antonio Urbeltz racontent les lustres éteints, les splendeurs fanées de la vallée navarraise oubliée mais que nimbe une lumière fruitée caractéristique, et la musique de Benito Lertxundi épouse les

caprices géologiques de ce petit pays aux tournures déjà méditerranéennes posé sous les monts Orba. « Baldorba n’est pas une utopie, la vallée existe bel et bien », me glisse à l’oreille Esther Capellán Sanz, responsable de l’association en charge du développement de Baldorba, en référence à tous ceux qui, de Bayonne à Bilbo, entonnent volontiers ce chant déchirant devenu l’hymne de la vallée, sans savoir même la situer ou la confondant avec quelque village, voire un personnage mythique ! Quand Pampelune le cède aux premiers champs de blé, s’annonce la plaine de TafallaOlite. Ni tout à fait pyrénéenne, ni piémontaise, la Valdorba, comme la désignent les Navarrais, doit faire la joie des orographes, tant cette vallée, en fait un altiplano dressé à quelque 500 m d’altitude qui se décline en trois sous-vallées que séparent des sierras (San Pelayo, 963 m, Basagatz, 989 m) - se plaît à sinuer au fond de ravins compliqués, transformant le moindre coteau en montagne.

Vive le vent Le parc éolien Guerinda était, lors de sa construction, le plus grand d'Europe. L'éolien permet de couvrir un peu plus de 10 % de la consommation d'énergie de la Navarre. Ce vieux moulin rénové, en regard des éoliennes d'aujourd'hui, témoigne de l'importnace du vent.

ni tout À fait pyrénéenne, ni piémontaise, la Valdorba est un altiplano de 500 m d'altitude


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sierra de lokiz

t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s S a n t i a g o Yaniz Aramendia


orbaibar - Valdorba

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San Pedro de Etxano, parfaite illustration du roman du XIIe siècle


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orbaibar - Valdorba


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Signe divin ? Par la lucarne, à l'heure où le soleil se lève, un rai de lumière vient frapper le mur opposé, irridiant la crypte aux différents solstices, d'hiver et d'été.


orbaibar - Valdorba

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Route des cryptes La crypte de l'église d'Oriscoain, fait partie d'une Route des cryptes romanes de Navarre avec celles de Leire, San Martin de Unx et Gallipienzo.

L’histoire gît presque intacte, brassée par les moulinets inlassables des éoliennes voisines, victime, non de passions géopolitiques mais d’un inexorable exode rural qui a définitivement ravi à Iruñea (Pampelune) le titre de ville à la campagne pour gratifier Baldorba de celui de « ezkil gabe elizen, eremu emankorra » (désert fertile et d’églises sans clochers), que chante Lertxundi.

Moins de bascophones

Quelque 2 000 habitants vivent dans les dix-huit villages disséminés entre les vallées d’Ibargoiti au nord et San Martin de Unx au sud. Orisoain, Amatrain, Leoz, Olleta mais encore Iriberri, Maquirrain, Lepuzain, Unzue, Benegorri, autant de villages dont la toponymie ne laisse planer aucun doute quant aux origines euskaldun de la zone « Il y a moins d’un siècle, la population était parfaitement bascophone », me rappellera d’ailleurs Esther. Le regard accroche ces villages assoupis comme autant d’ocelles sur l’écru du paysage. On les découvre au débouché d’un virage quand la pente d’un coteau se fait plus aimable, perchés au-dessus de ruisseaux. Ils ont beau se ressembler, les villages et bourgs sont tous différents. Murs de pierre brute, presque aveugles et vampirisés par un lierre glouton, portes char-

retières rehaussées de blasons à l’obscure symbolique, faux désordre de ruelles pavées ou rendues à la terre battue composent une symphonie ocre. Comme jaillie du rocher ou d’une encoignure, quelque plante cactée, un rosier égaré, viennent égayer la rudesse du bâti. Venant briser la quiétude des lieux, le chevrotement de quelque tracteur rappelle l’importance de la terre, ici jamais répudiée. Le soc qui n’a négligé aucune pente, y a dessiné les ellipses romanes de sillons prometteurs. Les villages aujourd’hui vivent cependant à l’heure d’une heureuse réhabilitation. Considérant avec une fierté légitime le splendide grenier à grains d’Iracheta, un trésor du Xe siècle posé sur ses neuf pilastres et qui pourrait abriter un marché, Luis évoque le rallumage des feux : « Les gens reviennent, l’illusion de la ville a fait son temps, grâce à l’autoroute, Pampelune n’est plus qu’à une demi-heure de route. Pour le prix d’un appartement à Pampelune, avant la crise, tu avais la maison et le jardin qui va avec ! » Le temps semble avoir trébuché sur les arcs en plein cintre de l’art roman ici, triomphant. Coiffées du ciborium, le traditionnel clocheton, églises et ermitages, pas moins de 27 dans la vallée, rivalisent d’élégance dans leur simplicité. Comme une invite à y pénétrer, la porte de l’église d’Orisoain était restée entrebaillée. Bien nous en prit.

Les gens reviennent dans la vallée. l'illusion de la ville a fait son temps


orbaibar - Valdorba

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Richesses naturelles La vallée propose des circuits mycologiques, mais elle est aussi celle qui compte la plus grande colonie de rapaces d'Europe.

Aujourd'hui, grâce à la truffe, Baldorba combine tourisme et mycologie

Agrotourisme Valdorba avec son chapelet de 18 villages est une vallée vivante où agrotourisme, richesses patrimoniales, découvertes gastronomiques et énergies renouvelables, proposent de nombreuses visites aux touristes et composent l'art de vivre local.

Mots-clés/Hitz gakoak : Crypte : kripta Solstice : solstizio Grenier : bihitegi Roman : erromaniko

Jésus, non point le divin maître de céans mais le gardien de la mémoire de la vallée, chercheur inlassable de l’association Astrolabio y était venu s’enquérir de documents. Notre intérêt pour l’édifice lui fit nous ouvrir la trappe de la travée du maître autel. Elle découvrait un étroit escalier de pierre bas de voûte qui contraignait à courber les épaules, voire à une génuflexion, pour accéder à la petite crypte. « Ici tout est symbole, signes qu’il faut savoir déchiffrer. Les tailleurs de pierre s’en sont donnés à cœur joie », confie-t-il en désignant des sculptures du XIIeᵉ siècle et dont la base affiche la coquille jacquaire, Baldorba fut un lieu de passage du Chemin. Dans la pure tradition romane, l’autel est orienté vers l’orient cosmique et par la minuscule lucarne de la crypte, à l’heure où le soleil émerge, un étrange rai de lumière vient frapper le mur opposé orienté ouest, irradiant la crypte, aux différents solstices d’été et d’hiver. La magie opére et nous en demandons plus. Jésus ne se fait pas prier qui nous explique les douze sculptures ornant l’abside sur son extérieur et placées de manière irrégulière. « Il s’agit de toute évidence d’un calendrier dont la lecture symbolique se lit à travers les sculptures, chimères qui deviennent faces animales puis visages humains alors que

l’on se rapproche des mois lumineux », poursuit notre guide.

Une foire peu ordinaire

Ce troisième dimanche de décembre, n’est pas un jour comme les autres à Orisoain. Une foule venue des quatre coins de Navarre se presse pour une foire qui sort de l’ordinaire et, pour l’occasion, les accents de la gaita viennent rayer un ciel bleu de safre. Baldorba qui n’entend pas s’endormir sous les archivoltes et les chrismes romans de ses oratoires a pris sa destinée en mains en combinant tourisme et mycologie. Aujourd’hui Baldorba célèbre son or noir, boilura, la truffe, la Tuber melanosporum, un trésor qu’elle partage avec sa voisine navarraise de Lokiz. Une bonne façon d’ailleurs de visiter la Baldorba reste encore d’emprunter l’un des six sentiers de randonnée et d’initiation à la mycologie avec l’assurance de faire une cueillette d’espèces aussi variées que comestibles. Les plus contemplatifs se hisseront sur les hauts de Lerga et, dominant Baldorba chanter encore avec Letxundi : « Oi Baldorba, kantu bat laburra da eta, pentsa zuk esaten ez dizudan hartaz » (Oi Baldorba comme une chanson est courte pense à ce que je n’ai pas pu dire de toi).


Donostia 2016

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l’émancipation à la pointe de l’épée

emantzipazioa ezpataren puntan

F

audra-t-il parler encore en Euskal herri de pastorale souletine ou de pastorale tout court ? L’étonnante métamorphose de ce style théâtral chanté et dépouillé – une survivance du théâtre médiéval qui, curieusement, s’est fixé en Zuberoa – n’est pas étrangère au succès croissant rencontré au fil des années. La modernisation non pas d’une scénographie qui se doit d’être immuable, mais des sujets traités, en est l’éclatante démonstration. Exit les indigestes thèmes bibliques, place à l’actualité, l’histoire proche, à l’engagement et, surtout, désormais, les champs de Soule n’ont plus le monopole du tréteau. Les autres provinces revendiquent le droit au pheredika (récitatif) et, de champêtre, la pastorale est devenue urbaine. Après Gereziaren denbora, en 2014, qui conte la geste des travailleurs des fonderies de l’Adour, voilà, prévue dans le cadre de Donostia 2016, sans doute la plus sulfureuse des pastorales, consacrée à la biographie d’un personnage mystérieux de l’histoire du Pays basque : Katalina de Erauso (Donostia 1585 – Cuilaxtia, Mexique, 1652), signée par Maite Berrogain Ithurbide. Si le genre renoue avec un passé lointain, les thèmes abordés demeurent sacrément d’actualité : la fuite, la recherche d’identité, la transgression et au-dessus de tout, la question du transgénérisme.

La nonne lieutenant Katalina de Erauso, appelée aussi la nonne lieutenant ne relève pas de la fiction, ses mémoires (1625) attestent de son existence et dont une phrase, laconique, suffirait à résumer la vie : « J’ai embarqué, débarqué, j’ai roulé, j’ai tué, blessé, mal agi, vagabondé ». Née à Donostia, issue d’une famille noble, enfant, elle est confiée au couvent. Matines et patenôtres, ne conviennent pas à la donzelle, laquelle, à l’issue d’une rixe avec une professeure désobligeante, s’en échappe non sans avoir barboté quelques réaux d’or à la mère supérieure et, tout un symbole pour qui s’intéresse à sa destinée, une paire de ciseaux, du fil et des aiguilles. En effet, à la bure de nonne envoyée par-dessus le clocher, elle préfère le haut-de-chausses d’homme et s’engage dans une existence de perpétuelle fugitive. « J’ai compté dix-huit fuites pour les quelque vingt-cinq ans que couvre sa narration », souligne Benito Pelegrin, auteur d’une solide étude sur Katalina de Erauso. Sous ses nouveaux atours, les cheveux courts, elle adopte l’identité de Francisco Loyola, clin d’œil ou pied-de-nez à l’Ignace, le plus Gipuzkoan des ecclésiastiques, fondateur de la Compagnie de Jésus. Aux Exercices Spirituels ima-

Donostia 2016eko ospakizunaren barnean pastorala bat eskainia izanen da, Katalina de Erauso izenekoa ; gure Historiaren personaia atipiko baten bizipena kontatuko digu.

Transgenre Des traits masculins, des vêtements d'homme et une vie d'aventures ont bâti sa légende.

À la bure de nonne, elle préfère le haut-de chausse d'homme et devient une fugitive à vie Répétitions Sous la houlette de Maité Berrogain Ithurbide, la troupe se prépare pour les représentations.


donostia 2016

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Représentations À Bayonne, le 5 juin, salle Lauga. À Donostia, le 4 septembre, au théâtre Victoria Eugenia.

ginés par le futur saint basque, elle préférera la taverne et autres lieux interlopes pour se construire ou plutôt, adopter une stratégie de fuite en avant. De Donostia à Bilbo en passant par Iruñea, elle parcourt le Pays basque, enchaînant petits boulots et petites arnaques, séquences se soldant généralement par des départs à la cloche de bois après bagarres homériques. Car malheur à qui raille ce garçon au visage glabre et aux allures à peine efféminées ; la sentence est sans appel : au mieux une correction, au pire la lame au travers du corps.

La question de l'identité se pose Pas moins de onze gaillards finiront cloués sur le pré par Katalina la duelliste. Car la prison et les tribunaux la contraignent à s’embarquer vers le Mexique. « On remarque avec quelle froideur elle énoncera les blessures, souvent mortelles qu’elle inflige à ses adversaires : “ je lui rentrai une pointe je ne sais par où ” ou “je lui traversai les joues” ou encore “je lui entrai une paume de dague dans la poitrine” et même «“je tirai un coup de pistolet et j’en nettoyai un” », cite Benito Pelegrin. Un affrontement à l’épée contre plusieurs adversaires la laisse moitié morte. Pour éviter torture et la peine capitale - sans le savoir, drame de sa vie, elle aurait tué son frère dans cette affaire - elle avoue son identité et… sa virginité à l’Église. Forte d’une solide réputation des deux côtés de l’océan, elle bénéficiera de la protection du pape Urbain VIII qui la recevra, comme de la solidarité des Basques émigrés. Si elle calme ses ardeurs belliqueuses, elle tient toujours la dragée haute. Bruno Pelegrin raconte qu’un jour, à d’accortes demoiselles qui s’enquièrent gentiment : « Madame Katalina où allez-vous ? elle répond : Où je vais ? Mesdames les p…, mais vous donner 100 coups sur le chignon et 100 coups de couteau à qui voudrait vous défendre. » Après un séjour en Pays basque, elle s’en retourne au Mexique où elle s’éteint en 1652. Au-delà d’une vie aventureuse où la légende, sans doute, se taille la part belle, c’est la question de la quête d’identité qui se pose. Le mythe du transgénérisme, s’il est une constante dans l’histoire, à l’inverse de Katalina, ne concernera que des hommes travestis en femmes ainsi du chevalier d’Éon, de l’abbé de Choisy ou de Philippe d’Orléans. Katalina de Erauso revendique haut et fort son indépendance : « Ne sachant que faire ni où aller sauf me laisser porter comme une plume au vent », écrira-t-elle. Tout l’intérêt du traitement de cette pastorale, réside sans doute dans la revendication obstinée de Katalina d’une émancipation qu’à l’époque les femmes n’envisageaient pas et qu’aujourd’hui elles se doivent de défendre sans dague ni rapière mais à la seule force de la conviction.

Mots-clés/Hitz gakoak : Épée : ezpata Bagarre : aharra Fuite : ihesaldi Transformation : itxuraldaketa


Culture

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t e x t e s Jean-Paul Bobin

apprendre

à regarder

Journaliste, photographe professionnel, Santiago Yaniz Aramendia a sillonné le monde. Mais c'est chez lui, au Pays basque, qu'il se ressource. Ce nouveau livre vient consacrer sa triple passion pour son pays, pour la photographie et pour le monde aérien.

Après tant d'années à sillonner et à photographier le Pays basque, vous réserve-t-il encore des surprises ? Absolument oui. Je continue à m’étonner, très souvent, de trouver des endroits que je ne connais pas, même tout prés de chez moi. Par ailleurs, il m’arrive de revenir plusieurs fois sur les mêmes lieux pour de nouveaux sujets, de nouveaux reportages et, à chaque fois, je trouve des nouvelles lumières, des aspects inattendus et surtout, ma manière de regarder et de voir est en train d’évoluer donc, làaussi, il y a de nouvelles rencontres visuelles. Quels ont été vos coups de cœur ? J'ai découvert que mes paysages montagnards, ceux que j’aime surtout ne sont pas aussi intéressants vus d'en haut. Les montagnes perdent leur proéminence visuelle et, à l'inverse, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les grandes villes offrent de très belles géométries. Il en va de même pour le littoral côtier, dont il est difficile de rendre le relief depuis la terre, mais qui, grâce à l'hélicoptère, est très vite sublimé. Il y a surtout un aspect que je trouve merveilleux en volant, c’est de découvrir combien de traces humaines permanentes, de blessures, nous laissons sur la terre, mais aussi de constater que l’action des hommes crée des paysages, des land-arts éphémères, à travers les travaux agricoles, par exemple, et tout cela, on ne peut les voir que d'en haut !

Vous êtes journaliste, photographe, et maintenant éditeur. Lequel de ces métiers est le plus difficile ? Le plus difficile, c’est peut-être de faire les trois métiers en même temps. Je me trouve plus à l’aise comme photographe, mais aller sur d’autres terrains, que je ne domine pas, me fournit de très belles expériences, et l’opportunité d’apprendre. Vers laquelle des sept provinces va votrepréférence ? Je n'ai pas de préférence, j'aime la belle diversité du Pays basque. La Basse Navarre (Nafarroa Beherea) par exemple, c’est la mer des verts, une infinitude de collines pointillées de petits villages ; Zuberua (Soule) c’est l’empire des vallons et des montagnes, comme la Navarre des Pyrénées et des forêts, mais il en existe une autre, celle des plaines et des champs agricoles ; l'Araba, c'est plutôt les vignobles et leurs châteaux. L'Océan, ce sont les sables et les ports qui appellent les images, et partout il y a les industries qu’on ne peut pas oublier.

Voyager lentement, s'autoriser à s'arrêter et apprendre à regarder

Les principales difficultés rencontrées en matière de photo aérienne ? La météo très changeante au Pays basque. Les vents de printemps et d’automne posent bien des problèmes. Il faut aussi s'entendre avec les pilotes pour arriver à une certaine complicité. Quels sont vos projets ? Peut-être une exposition à Bayonne, si je trouve les moyens de financer les tirages. Je travaille aussi sur deux petits livres, l’un sur la côte basque, l’autre sur les montagnes. J’attends l’acceptation d’un budget pour illustrer un livre sur un site du patrimoine roman en Bizkaia et, si j'ai le temps et les moyens, j’ai un beau projet pour éditer moi-même un nouveau livre, toujours sur le Pays basque. Un conseil du photographe pour les lecteurs d’IBILKA ? Voyager toujours lentement. S'autoriser à s’arrêter n’importe où, et à regarder. Juste pour voir ce qu’on arrive à voir. Cette exploration du monde, avec ou sans appareil photo, permet d’apprendre bien des choses sur soi-même.

biblio

Pourquoi avoir choisi la photo aérienne pour thème de ce nouveau livre consacré au Pays basque ? C’était pour moi une question d’inquiétude, un besoin ancré en moi parce que j’avais commencé à travailler avec des hélicoptères depuis une dizaine d’années et depuis, je m’étais promis de réaliser un jour ce sujet. J’ai déjà une belle collection d’images aériennes du Pays Basque, mais dans très peu de temps, elles deviendront anciennes, voire historiques. J’ai proposé ce projet à quelques éditeurs, mais aucun n'a voulu relever le défi. Mais j'étais convancu que c’était le moment de le faire, moi-même ou bien d’oublier. J’ai pris quelques mois pour le réaliser : travailler le dessin, éditer les photos, écrire les textes, et faire la production. Maintenant, c’est fait et le livre est là.

Euskal herria barna (Viaje à la tierra de los Vascos) Euskal herria eta Festa La vuelta al Pirineo vasco Las 50 maravillas naturales de Euskal Herria (SUA Edizioak) Enkarteri (SUA Edizioak) Euskal Herria Goitik Behara. De arriba abajo


culture

Réflexions

gastro >>>

édition

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sur la question basque Pourquoi est-on indépendantiste à Hernani et pas à Bayonne ? Sous ce titre volontairement provocateur, et un sous-titre intriguant : Essai sur une double asymétrie basque, Peio Etcheverry-Ainchart, historien de formation, propose un providentiel ouvrage. Petit dans sa pagination, 89 pages, mais riche dans son contenu, il répond, avec des mots simples, aux questions que l’on peut se poser quand on n’est pas au fait du problème, sur la question basque, ses tenants et aboutissants, d’un côté l’autre des Pyrénées. C’est sur le principe d’état-nation que se base la réflexion de Peio Etcheverry-Ainchart. En fait, l’état précède la nation, ce qui avait fait dire à d’Azeglio au lendemain de l’unification italienne : « L’Italie est faite, reste à faire maintenant les Italiens. » Car un fait est certain, la France comme l’Espagne ont mis des siècles pour se constituer. « Aucun seigneur féodal – fut-il le roi lui-même – ne connaît le concept d’identité nationale : son pouvoir est personnel, hommes et femmes sont ses sujets rassemblés bien plus qu’unifiés », rappelle l’auteur. L’avènement de la philosophie des Lumières, la Révolution

Berger, un métier

française, les mythes fondateurs, participeront de la constitution de la nation à marche forcée, jusqu’à son aboutissement à la fin du XIXe siècle. En Pays basque Nord les deux conflits mondiaux achèveront de souder le sentiment d’appartenance à la France.La construction nationale espagnole se fera plus difficilement et se butera au long de l’histoire à un irrédentisme en Pays basque. Des privilèges perdus en 1876, trois guerres carlistes, une guerre civile (1936), une lutte armée, l’auront opposé à Madrid. Après deux siècles de confrontation avec le pouvoir madrilène, les deux idées nationales se révèlent incompatibles : « On est basque ou espagnol, difficilement les deux en même temps ». Quant au Pays basque Nord, « s’il est vrai qu’une partie de la population se considère uniquement basque et une autre uniquement française, la grande majorité embrasse les deux identités comme complémentaires », constate l’auteur. La Navarre dont l’existence du prestigieux royaume « aurait pu représenter la légitime préfiguration d’un état basque », n’est pas oubliée. Peio Etcheverry-Ainchart laisse aux générations actuelles et futures le

Pour avoir travaillé vingt ans sur le terrain, du Pays basque à l’Ariège, l’anthropologue Danielle Lassalle a toute autorité pour traiter du pastoralisme. Dans un passionnant ouvrage, l’auteure aborde les aspects historiques, économiques et aussi ontologique de cet immuable autant qu’universel art pastoral venu d’Orient, vraisemblablement des steppes syriennes les premières traces remontent au septième millénaire avant J.C. Un récit passionnant et courageux dont les bergers pyrénéens, et plus particulièrement les bergers basques, sont les héros, justice leur étant enfin rendue. En effet, surtout en Pays basque et Béarn, ils restent les derniers nomades, contraints aux

É

Le lehendakari, Inigo Urkullu, a adressé un message aux Basques du monde entier, à l’occasion des vœux du Nouvel an. « Nous pensons à vous, car nous faisons tous et toutes partie d’un réseau qui ne cesse de croître, avec 189 Centres Basques-Euskal Etxeak à ce jour, le dernier récemment à Marseille, et des Basques Clubs ou Maisons basques dans 25 pays… Vous faites parti d’Euskadi, vous représentez Euskadi dans le monde… Notre mission est l’entraide mutuelle au service de notre pays. »

soin de trouver la solution à la question basque « si tant est qu’elles puissent jouir des conditions démocratiques pour y accéder ». Pourquoi est-on indépendantiste à Hernani et pas à Bayonne ? Peio Etcheverry-Aintchart. Elkar, 13 €

mois d’estive. Longtemps assigné au cadet, « esclave de l’aîné », selon l’auteure, cet office a cependant permis à ces déclassés « de faire leur propre loi… cette liberté n’est pas liée à sa place au sein du système économique et politique mais est une identité et une liberté reconstituées dans le travail. » Dans un monde où la possession est le maître mot, le livre vient à point nommé pour nous rappeler que le pastoralisme pratique toujours une gestion collective de la montagne pour une économie distributive de revenus issus de produits de qualité. Berger basque, berger pyrénéen, à la croisée des chemins, Danielle Lassale. Elkar. 19 €.

Écouter la mémoire couter Jean-Mixel Bedaxagar c’est quelque part entendre Zuberoa se repaître de son âme. Oubliée la plus petite province d’Euskal herria, ce gentil conservatoire de traditions. Le dernier disque de JeanMixel, c’est la mémoire vive qui s’exprime. Il suffit de s’attacher au premier titre Belatxa (le faucon), un authentique basa ahaire, cette mélopée sans paroles qui évoque le vol du rapace, une merveilleuse et bouleversante expression qui relèverait presque du chamanisme ou de l’animal totem. J.M Bedaxagar a appris cette technique de la gorge du dernier berger qui la pratiquait, il faut une vie pour en acquérir toute la maîtrise. Un unique témoignage de la solitude des estives. Accompagné au violon (Sacha Carlos Standen) ou à la txülüla par son complice Mixel

Message à la Diaspora

Etxekopar, Jean-Mixel nous offre quelques titres traditionnels Arranoak bortüetan, Errakozü ene partez, la poignante Bereteretxen kantorea mais aussi des compositions dont Ürzoa dédié à son ami Nestor Basterretxea. Ce qui donne toute sa puissance à ce disque, c’est sans aucun doute la façon de chanter, dans cette tonalité traditionnelle du chant souletin, haut perchée à la limite de la rupture et qu’on a abandonnée aujourd’hui car bien trop périlleuse pour la voix. Sublime. Pour paraphraser LeviStauss : « Écoutez la mémoire qui lève ». Belatxa – Jean-Mixel Bedaxagar - Elkar. 15,50 €.

Basques de Californie

À la suite d'un voyage étude en Californie l'an dernier, des étudiants de l'université de Mondragon (Gipuzkoa) réalisent actuellement un documentaire Enbaxadoreak à base d'entretiens filmés sur place. Leur souhait est de mieux faire connaître la réalité et les visages différents de la dispora basque aux États-Unis.

L’euskara fait son entrée à la Sorbonne

Grâce à une convention signée avec l’Institut basque Etxepare, la plus ancienne université de France, la Sorbonne (Paris 3) propose désormais des cours sur la langue et la culture basque. Ces cours permettent de « se familiariser avec cette langue ancestrale et mystérieuse », selon le communiqué de l’université. C’est Argitxu Camus Etchecopar, docteur de l’université du Nevada (Reno), qui est en charge de la formation. Ses recherches portent notamment sur l’émigration et l’étude identitaire des Basques de la diaspora.


Histoire

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t e x t e Txomin Laxalt

a écrit : « Nous sommes tenus non seulement de connaître cette histoire mais aussi de la faire connaître, non pas pour qu’elle ne se répète plus - je ne suis pas candide - mais parce qu’elle se répète. » Luis Garde Iriarte a rédigé Ehiztarien isilaldia (Le silence du chasseur), comme on confie ses doutes en sachant déjà qu’ils sont des certitudes. Plus qu’un essai historique où se mêle le roman, Ehiztarien isilaldia est une bouleversante réflexion sur la mémoire ou plutôt sur les mémoires car si l’Histoire retient volontiers celle des vainqueurs, il n’en demeure pas moins que celle des vaincus n’émerge des brumes du passé que lorsque les derniers témoins n’en détiennent plus que des bribes. Entre les deux, contre l’oubli, il reste ces lieux dont l’esprit, en hantant ruines, plaines, lopins de mer ou lumineux champs de blé, entretient mystérieusement l’écho de grandes tragédies. Ezkabamendi, San Cristobal dans sa version castillane, domine Iruñea (Pampelune), Sans être Iruindarrak, les habitués des Sanfermines connaissent ce sommet coiffant la capitale navarraise du haut de ses 895 m d’altitude. Il est vrai que nulle caractéristique n’accroche le regard de cette morne ligne de crête si ce ne sont de disgracieuses antennes. À regarder de plus près, il semble pourtant que le sommet ait été arasé. Tout Iruindar le sait, dans le cratère artificiel se tapit gotorlekua, la citadelle San Cristobal ou Alfonso XII, et sa tragique histoire. Mais comme on le fait de l’environnement quotidien, on n’y prête plus attention : « Chaque fois que je me trouve à Iruñea, je le vois aplani sur les hauts du nord de la ville ; alors, en remarquant que le fort abandonné veille sur les vieux comme les nouveaux quartiers, protégé par l’invisibilité qu’ont les choses du quotidien, se mélangent mal-être et familiarité. » Du sommet d’Ezkaba, on domine

Mots-clés/Hitz gakoak : Forteresse : gotorleku Chasseur : ehiztari Gibier : ehizaki Silence : isiltasun

IL

Un lieu, un livre,

Ezkaba

Le silence du chasseur Gune bat, liburu bat, Ehiztarien isilaldiadena

Luis Garde-ren liburua, Ehiztarien isilaldia, Historiaren isiltasunari buruzko hausnarketa bat da, leku bat eta bere zorigaitza berbisitatuz : Ezkabako gotorlekua, Iruñearen gainean dena.

Mémorial élevé, sur le mont Eskaba, en souvenir des victimes du Franquisme.

la vaste plaine d’Iruñea dont on décline tous les quartiers. D’une surface de 180 000 m², le fort d’Ezkaba, destiné à protéger Iruñea, fut bâti entre 1878 et 1908 et, paradoxalement ne servit jamais à des fins stratégiques, l’avènement de l’aviation ayant transformé les techniques militaires. Dès 1934, il devient prison destinée aux politiques. L’amnistie républicaine de 1936 permet d’en dénoncer les conditions désastreuses d’hygiène. Mais dès juillet 1936, et jusqu’en 1945, avec la victoire en Navarre des franquistes, il retrouve sa vocation pénitentiaire. En 1937, ce sont quelque 3 000 prisonniers, soldats républicains et gudaris (soldats de l’armée basque), syndicalistes et politiques qui y croupissent. On y meurt de tuberculose, de faim, de mauvais traitements et les seuls échos qui parviennent à Pampelune sont ceux des exécutions quasi quotidiennes, ou des paseos (promenades) nocturnes destinés aux abattages sommaires dans les bois alentours. Le soir du 22 mai 1938, survient une incroyable évasion massive de 795 prisonniers ; un gardien est abattu. S’ensuivent alors une fuite éperdue vers la frontière et une épouvantable chasse à l’homme. Luis Garde, originaire de la vallée, a souvenir de la seule évocation jaillie du cerveau embrouillé de sa grand-mère. Cette nuit-là, son grand-père avait lâché : « Forteko gorriak eskapatu dira, kagoendios ! Akabatuko. » (les rouges du fort se sont échappés, il faut les abattre). Militaires et phalangistes mais aussi paysans du coin, chasseurs invétérés et légitimés pour tuer des hommes comme ils abattent des sangliers, vont s’appliquer à la tache. Sans rancœur, l’auteur essaie de comprendre le long mutisme d’une ville. Le récit d’une rare force tourne autour des silences tout honteux des vainqueurs comme ceux des vaincus, des chasseurs et des chassés. Pour entretenir la seule preuve tangible du drame demeurent les murs d’Ezkaba, les graffitis encore visibles dans les cellules, les fosses communes mises à jour il y a peu sur les pentes, le misérable cimetière des bouteilles récemment dévoilé où l’identification des corps se fait enfin grâce aux papiers griffonnés, mais plus toujours lisibles, placés dans des bouteilles calées entre leurs jambes. Sur les 795 fugitifs, 585, furent repris, 207 exécutés, 3 parvinrent à gagner Iparralde.


restaurant

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Céderic Pasquini

La table de Pottoka

Essai transformé entsegu emendatu Bastidako semea, Baionesa bihotzez, Sébastien Gravé-k, duela urte bat, jatetxea, La table de Pottoka izenekoa, idekia du Baionan. Sukaldaritza asmakor bat, bertako produktuekin moldaturik.

P

our rejoindre la très bayonnaise Table de Pottoka, ce n’est pas vraiment compliqué. Depuis le stade Jean Daugé, il suffit de gagner les bords d’Errobi (Nive). Nous avions opté pour la terrasse, lumineux midi automnal oblige, et déjà la seule lecture de la carte inaugurait un voyage en terra incognita, une bourlingue gourmande annonciatrice d’escales prometteuses enveloppées de senteurs d’épices et de fragrances des marchés de première main. Sébastien Gravé (Bastida,1979) dont il sera difficile d’occulter son attachement à l’Aviron Bayonnais, a décidé en 2015 de faire rougir ses fourneaux à Bayonne parce qu’après tout parcours initiatique, tout impétrant éprouve la légitime envie d’être prophète en son pays. Un (d) étonnant tourteau et houmous avec raviole et gaspacho de betteraves au galanga (sorte de gingembre) suivi d’un lieu jaune en écaille de chorizo, topinambours, artichauts et châtaignes, purée de Tarbais au Xérès, ah, les belles épousailles ! nous avaient donné envie d’en savoir beaucoup plus. Passage obligé pour tous les enfants du pays que les arts subtils de la table attirent, le Lycée Hôtelier de Biarritz fut le second atelier de Sébastien Gravé après la cuisine maternelle et la pâtisserie du frangin. En effet, son aventure procède d’une histoire de famille. « Une grand-mère cuisinière en maison bourgeoise et un frère aîné pâtissier avenue Foch à Bayonne n’ont fait qu’attiser >> une vocation. » Ses classes, Sébastien Gravé les fait au Miramar (1996-1997) à Biarritz avant l’indispensable expatriation parisienne (1999), un superbe parcours constellé : Le Laurent, deux étoiles au Michelin, deux ans chez Joël Robuchon. De retour à Biarritz, il reste deux ans au Palais (20022003). Événement d’importance, il rencontre Laure, issue du Lycée Hôtelier de Toulouse, aujourd’hui son épouse, qui le seconde en salle à Bayonne. Ils décident de repartir à Paris pour une année, ils y resteront 11 ans ! Le Georges V, trois étoiles, parachève joliment sa course sur l’écliptique initiatique quand sonne l’heure de blanchir, blondir et déglacer à l’aune de sa propre inspiration. « Une envie surtout de briser

Mariages audacieux et associations osées

les tabous, de s’interdire les codes. » Un an sous-chef au Violon d’Ingres et enfin, le pas est franchi, comme associé au Fables de la Fontaine où, en 2007, il cueille une étoile. En 2011, comme pour se rapprocher du pays, il monte le Pottoka, un bistro parisien que vient frôler un enbata au souffle gourmand. En 2015, Pottoka s’en revient au paddock bayonnais. Ce qui caractérise la cuisine de Sébastien Gravé, c’est sans nul doute les mariages audacieux, les associations osées, « j’aime jouer avec la mer et la charcuterie, détourner la cuisine d’orient en utilisant les épices. » Il est vrai que le voyage en carte déroute tant les produits utilisés ont un parfum d’inconnu ; ainsi cette réécriture de la butternut, une courge à l’arrière-goût de beurre, idéale pour les veloutés et les gratins « autrefois destinée aux cochons ! », précise Sébastien Gravé qui l’utilise en cappuccino accompagnant foie gras et anguille avec pomme et vinaigrette au parfum de truffe. Un mot sur le pressé de joue de bœuf braisée avec risotto de pâtes au poulpe et émulsion et crumble parmesan ; il se révèle l’occasion idoine pour découvrir la cecina qui l’agrémente, un puissant jambon de bœuf séché et fumé de la province de León (Espagne). Quant à la poitrine de cochon crousti, servie avec potimarron, salsifis au lard et crème d’ail, elle cuit douze heures pour en garantir tout le moelleux avant qu’elle soit croustillée, certainement un des morceaux de bravoure de l’établissement ! Arrivés aux desserts, gardons à l’esprit que Sébastien est aussi pâtissier ; sans hésiter, on se laissera entraîner par un imprévisible riz au lait vanillé aux fruits exotiques ou le suprême de pamplemousse dont l’amertume est aidée grâce à une frangipane et un sorbet crémeux. Il va sans dire que Sébastien Gravé tient à cœur de ne travailler qu’avec nos producteurs locaux. Le pari audacieux de proposer entrée, plat et dessert - la carte inventive change toutes les six semaines pour 35 euros semble gagné. Si Sébastien Gravé se partage entre ses deux Pottoka, l’établissement bayonnais possède sur le parisien l’avantage certain de résonner de l’accent du pays, la décoration du reste étant déléguée à l’inspiration d’un collectif d’artistes bayonnais. Qu’on nous permette de détourner l’adage souletin pour l’adapter au quai bayonnais : Baionako Pottoka Baionan laket, (le Pottoka de Bayonne se plaît à Bayonne). Mais en bord de Nive pourrait-il en être autrement ?

La table de Pottoka Bayonne 21, Quai Amiral Dubourdieu Tel. : 05 59 46 14 94

Mots-clés/ Hitz gakoak : Topinambour : topinanbu, zerri patata Pois chiche : ilarnabar, garbantzu Lieu jaune : abadio Pamplemousse : arabisagar


mythologie

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t e x t e Txomin Laxalt / i l l u s t r a t i o n Claude Labat

Euskal mitologian Jentilek leku berezi bat betetzen dute. Izaki atsegin horien desagerpenak aro baten bukaera iragarri zuen eta Kristautasunaren etorrera. Jentila est le seul être qui ne manifeste pas d'agressivité, qui n'accomplit aucun tour pendable.

ne désignation qui sonne joliment pyrénéen. Les récits sont nombreux qui le à l’oreille pour évoquer les temps mentionnent, du Pays basque jusqu’en Coud’avant, une espèce d’âge d’or, serans (Ariège). Cependant, « étrangement, les légendes quihartzak parlent despresentzia Gentils sont celles un temps où bêtes parlaient, Nahiz etales Euskal herrian desagertu, selon l’expression consacrée, une qui racontent leur disparition », confie Claude handi bat du gure legendetan, kantuetan eta batez ere ère qui nous renverrait vers une uchronie Labat, « on connaît une douzaine de versions chère à Tolkien. On céderait presque à la facile de la légende intitulée “La fin des Gentils”. Elles racontent les circonstances la disparition le Pays basque partagede bien des mythes. tentation traduire Jentilak Gentils mais laquelle ’était il y de a quelques annéespar dans le village d’une quiexpliquerait précéda celle des Est ce “race” que cela cette humainsrépulsion actuels. que Le temps des attirance manifeste Gentilsl’emblématique est l’âge d’or desplantigrade, Pyrénéens. » envers la On sait que dans les récits bibliques communauté pyrénéenne ? Txomin le terme Gentils s’applique aux Peillen qui connaît bien sa Soule dans lesque nôtres, païens ;rappelle Jentila natale l’ours y est est le seulàêtre qui que ne manifeste humanisé tel point longtemps pas qui n’accomplit il futd’agressivité, considéré comme l’ancêtre de aucun tour pendable, âge d’or l’homme : « Lehenagoko eüskaldunak oblige. hartzetik Souvent présentés comme gizona jiten zela sinesten des hommes forts et courageux, zizien » (les anciens croyaient que unefabriqué conduiteàamicale « ils observent l’homme a été partir entre eux et D’ailleurs secourable nos envers leurs de l’ours). voisins Claude en voisins », rappelle béarnais l’appellent LouLabat ; Moussu fait Monsieur) des êtres très chrétiens avant (Le et disent : « L’ors ? l’heure dans (L’ours ? le plus noble sens quasi unetomi » pratiquedu terme. ment un homme). Dans son livre, On ne Histoire le sait que les choses L’ours. d’untrop, roi déchu, (Seuil, ne sontMichel pas faites pour durer en 2007), Pastoureau évoque cette valléemédiéval de larmes ; la le bestiaire qui le dispasituait rition deshumanité Jentilak marque bien déjà entre et animalité : l’entréeestdans lade modernité et les « L’ours l’autre l’homme : même récits ne manquent pas. Anintxi stature, même position debout, même Arana (Aiara,1947), spécialiste de la mythodes organes. Il suffit d’ailleurs aux bien plus complexe. Complexe l’affaire est navarrais d’Arizkun, (vallée du Baztan), le sou- disposition logie raconte nonpour seulement la d’enfilercomment la peau de bête faire l’ours ». mais quelque part onirique, oscillant délicieu- hommes venir est encore cuisant. Ihauteria, le carnaval, christianisation mais technique ont être lié au réveil deaussi l’ours,lagénéralement au sement entre réalité et mythe. Réalité parce Pour ce matin-là avait atteint son acmé, et Hartza, renvoyé vers l'envers du miroir tout cedans qui de février, l’ours a repris droit de cité que, bien qu’il soitd’une admismaison, que les Jentilak sont mois l’ours, avait jailli bousculant constituait lecture d’Alsasu du monde basée Ihauteri.une Les belle Momotxorro (Ibilka n° des êtres mythologiques datant d’avant une nos attelages et gens. Les prérogatives qu’inconsurnel’interdépendance de l’homme son sont pas sans rappeler Hartza. Leavec carnaval christianisation dont on sait qu’elle fut tardive sciemment s’accordent les journalistes pour 5) e proche environnement, la nature. « Les (Labourd) l’aavec merveilleusement enplacer Euskal Herri (entre le IVque se plus avant et mieux les eautres, ne d’Ustaritze ᵉet XII ᵉsiècles), histoires sontetnombreuses qui, ens’inscrit Pays basque adopté d’ailleurs Ihauteri dans jouent guère dans le pays de l’envers du monde on trouve des traces tangibles prouvant leur bien narrent la fin des Laminak, des Mairuak et des intéressant festival qui s’appelle Hartzaro et se payent. coups plurent dru et même existence en Les parcourant notre montagne et un Jentilak. Larraine (Larrau) le Salve Regina saisonÀde l’ours) ainsi que les mascarades donnée avec leCromlechs, plat de la main, unemais mornifle c’est merveille. dolmens aussi (la du Ziberoa curé a chassé, paraît-il, le Labat, Basajaun ; à où, explique Claude « il sert de berger distillée portent avec toute la conviction de de grottes et cavités, leurs noms et c’est Laudio (Llodio) Eibar, la poudre et les traiter par le rire lesarmes ; conflitsà entre chasseurs l’acteur pénétré deque sontout rôle,mendizale a vite fait dedigne vous à pour cette raison dans la vallée lesécologistes ermitagespartisans et les rogations ; de la réintroduction de envoyer tâter goudron. Pources unémouvants mendizale et de ce nom nedu croisera jamais d’Arratia, tramway. » dansleles Pyrénées. » qui rêve d’observer l’ours de près me direz-vous, monuments mégalithiques — on doit aux Jen- l’ours Les Jentilak, la chose avérée,de étaient des est présent auest carnaval Markina Maigre consolation, l’occasion troplabelle ! tilak, entreétait autres, construction du fameux Hartza humains,et preuve en est(Araba). — le récit vient du Père Zalduondo L’ethnographe Hartza son gardien, ne futsans pas s’y mieux loti (Bizkaia) dolmenzain, de Mendibe — sinon arrêter Barandiaran — l’eau des stalactites Truffaut s’est s’écoulant attaché à analyser la préqui s’efforçait de teniravec la longe, pas plus queon le Thierry du moins toujours émotion. Ainsi de la grotte située côté de la chapelle de l’ours dansàles carnavals navarraisde et villageois curiosité attirait. un dolmen sence trouve du que côtéla d’Arano (Gipuzkoa) Gipuzkoa) et où lesalors Jentilak Santailli (Oñati, qu’il particulier ceux d’iturren-Zubieta Dans sa dimension plus violente, est en qui porte le nom delaJentilbaratz (leHartza, jardin des avaientles coutume deet s’imbiber… les génitoires. célèbres énigmatiques joaldun. terriblement présent, mythiquement le nom mène Jentilak). Ceux d’Ataun (Gipuzkoa) parlant, L’eau aau toujours des vertus fertilisantes pour mot artzain, (berger) il n’est que la on l’aura compris… non seulement en Euskal de Jentiletxe, (la maison des Jentilak). Quant Quant la femme en des désirmots d’enfant. artz, ours et zaina, le Herri mais sur toute la chaîne pyrénéenne avec contraction aux Jentilzubi (pont des Jentilak) et autres Jentilzulo (Trou des Jentilak), on les retrouve On aura noté que la disparition des Jentilak qui un peu partout en Hegoalde, rappelle le Père correspond à l’avènement du christianisme, José Maria Barandiaran, ethnologue éclairé. ne s’accorde pas avec leur conversion, mais Le Gentil est sans doute l’ancêtre de l’homme avec leur discret effacement.

U

Jentilak, du temps d’avant

Jentilak, aitzineko denboraz

Mots-clés/Hitz gakoak : Trace : oinatz Circonstance : testuinguru Conversion : fede aldaketa Christianisme : kristautasun


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