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Un QR code pour le cacao

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Désirée Klarer

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Le cacao parcourt généralement de grandes distances avant d’arriver en Suisse pour être transformé en délicieux chocolat. Différentes entreprises ont recours à des solutions numériques pour rendre les chaînes d’approvisionnement plus transparentes.

Le séchage des fèves de cacao prend jusqu’à deux semaines.

Tout le monde sait que celles et ceux qui cultivent les matières premières nécessaires à la confection de nos aliments de luxe vivent dans le plus grand dénuement. Selon l’organisation humanitaire allemande Inkota, une famille de producteurs de cacao ghanéenne de six personnes possédant moins de quatre hectares de terres gagne en moyenne 178 francs suisses par mois, alors que, dans le pays, le minimum vital est estimé à 368 francs, soit un peu plus du double.

Lorsque l’on examine les chiffres concernant la récolte de l’an dernier, on peut penser que les revenus des cultivateurs de cacao ont augmenté en 2021. Pourtant, d’après une étude de l’Université agricole de Wageningen (WUR) aux Pays-Bas, il n’en est rien. On estime ainsi qu’au Ghana et en Côte d’Ivoire, deux millions de planteurs de cacao, soit 75 pour cent d’entre eux, vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Or la production de ces deux pays représente près de 60 pour cent du marché mondial. Il faut par ailleurs savoir que, dans un même temps, le chiffre d’affaires d’un fabricant de chocolat comme Barry Callebaut a augmenté de 4,6 pour cent alors que le cours du cacao a baissé.

Fairtrade: un centime de différence

Christopher Gilbert, professeur d’économie à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, dans le Maryland (USA), a étudié à la loupe le prix d’une tablette de chocolat. Résultat des courses: 44,2 pour cent des revenus sont encaissés par les détaillants, 35,2 pour cent par le fabricant et seulement 6,6 pour cent par les cultivateurs, l’industrie de transformation, les intermédiaires et les pouvoirs publics se partageant les 14 pour cent restants.

«Par tablette de chocolat, les planteurs de cacao gagnent environ dix centimes, ce qui est insuffisant pour couvrir leurs besoins en nourriture et en médicaments ou pour envoyer leurs enfants à l’école», explique Florian Studer, codi-

Les cabosses mûres arborent différentes couleurs, leur teinte allant du jaune-vert au rouge foncé. D’après l’expert Boris Haefele, elles contiennent entre 20 et 60 graines, appelées fèves de cacao.

Au Ghana et en Côte d’Ivoire, 75 pour cent des cultivateurs de cacao sont pauvres. La production de ces deux pays représente près de 60 pour cent du marché mondial.

recteur de la maison Schöki, un fabricant lucernois qui s’est donné pour mission de confectionner du chocolat réellement équitable. Mais que signifie ici «réellement équitable»? Chez Schöki, cela veut dire du chocolat qui est produit sans travail des enfants et sans pauvreté.

En tant que consommatrices et consommateurs, nous supposons généralement que le prix du chocolat Fairtrade permet de rémunérer équitablement les cultivateurs de cacao. Mais, selon Studer, malgré le prix minimum garanti et les primes versées, il n’en est rien: «Ils touchent certes plus d’argent, mais ils ne gagnent quand même pas assez pour sortir de la pauvreté. Par tablette de chocolat Fairtrade, ils n’encaissent qu’un centime de plus», dit-il.

Un nouveau logiciel

La maison Schöki affirme que les planteurs de cacao qui travaillent pour elle touchent un salaire leur permettant de vivre décemment. Or, très bientôt, il sera possible de savoir si cette promesse est tenue. Vers le milieu de l’année en cours, la première version de «Suschain», un logiciel open source initié par Schöki, sera en effet intégrée à sa chaîne d’approvisionnement.

«Grâce à «Suschain», toutes les informations concernant l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de la matière première au produit fini, sont saisies en temps réel et pourvues d’une signature cryptographique, ce qui permet de les mémoriser sans qu’il soit possible de les falsifier», souligne Florian Studer. Le grand public peut dès lors vérifier ces informations en scannant l’ID du pro-

Bon à savoir:

Parmi les quelque 500 arômes que contiennent le cacao et le chocolat, deux chercheuses de la Haute École des Sciences appliquées de Zurich ont identifié les substances aromatiques jouant un rôle décisif dans la formation du parfum et du goût du cacao. En s’appuyant sur ces connaissances, Irene Chetschik et Karin Chatelain ont ensuite créé un kit composé de 25 flacons qui servent de références aromatiques et peuvent notamment être utilisés pour contrôler la qualité du cacao et du chocolat lors de la production. On peut aussi y avoir recours pour développer les facultés gustatives et olfactives de celles et ceux qui le souhaitent.

Les blockchains sont synonymes de transparence Quelles sont les possibilités d’application de la technologie des blockchains dans le secteur alimentaire? Tim Weingärtner: Elles sont nombreuses. D’une manière générale, on peut dire que la technologie des blockchains ou chaînes de blocs est intéressante dès qu’il s’agit d’établir une documentation transparente et non falsifi able. Dans la branche de l’alimentation, elle peut par exemple servir à déterminer l’origine des matières premières ou à retracer la chaîne d’approvisionnement. «Pour minimiser les Qu’est-ce qui rend risques, il faut le plus grand nombre cette technologie aussi sûre? de participants Les blocs de données sont liés possible.» les uns aux autres de façon chronologique après que l’on ait vérifié que tout s’est bien

Tim Weingärtner, Département Informatique, Haute École de Lucerne (HSLU) déroulé comme il se doit. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations sans autorité centrale se distingue par le fait que tous les

Tim Weingärtner participants ont accès à toutes les données, mais qu’elles ne est directeur peuvent plus être modifi ées. Ils disposent tous d’un historique d’études à la complet de la chaîne de blocs,

Haute École de ce qui garantit qu’on ne puisse plus la modifi er.

Lucerne. Il tra- Quels sont les avantages vaille notamment de cette technologie pour les producteurs, sur le potentiel les distributeurs et les consommateurs?

de la technologie

des blockchains. Grâce à ce système, tous les acteurs savent avec certitude d’où provient telle matière première. Pour les distributeurs, cet accès rapide à ce type d’informations peut s’avérer très utile en cas de rappel d’un produit. Par ailleurs, les blockchains peuvent permettre aux producteurs et aux consommateurs d’entrer en contact. Toute nouvelle technologie comporte des risques. Qu’en est-il dans le cas des blockchains? D’une part, la mise en œuvre d’une chaîne de blocs exige de gros moyens. D’autre part, tous les acteurs en présence doivent se mettre d’accord sur le système qu’ils veulent mettre en place et être prêts à y participer. Et puis il y a la question des données personnelles. Malgré la transparence de cette technologie, ces données ne peuvent pas être stockées dans la blockchain afi n de ne pas enfreindre les règles de protection de la vie privée. Cette technologie en estelle à ses débuts ou est-elle déjà incontournable? De nouvelles applications vont apparaître, surtout en dehors de l’univers des cryptomonnaies. Personnellement, je pense que les blockchains en sont encore à leurs balbutiements. Le nombre d’utilisateurs de cette technologie est aujourd’hui comparable à celui d’Internet en 1998. CONTACT Haute École de Lucerne Zentralstrasse 9 6002 Lucerne Tél. 041 228 41 11 hslu.ch Chaque maillon de la chaîne de blocs joue un rôle essentiel.

PETIT HISTORIQUE DES BLOCKCHAINS

Si l’on en croit l’entreprise Sas, la technologie de stockage et de transmission d’informations dite des blockchains existe depuis les années 1990. Le Bitcoin a été la première véritable application utilisant la technologie des blockchains. Décrit pour la première fois en 2008 et publié en 2009 sous forme de logiciel open source, le Bitcoin est un système peerto-peer de paiement et de gestion d’actifs numériques sans point de défaillance, c’est-àdire sans point informatique dont une panne entraînerait l’arrêt complet du système. Jusqu’au Bitcoin, les tentatives de créer des cryptomonnaies avaient échoué car les transactions numériques pouvaient être copiées, si bien que les usagers pouvaient dépenser plusieurs fois le même avoir. Lors de l’invention du Bitcoin, le problème a été résolu par la technologie des blockchains, qui permet de vérifier, de sécuriser et d’inscrire les transactions dans un registre virtuel universel. Dans le sillage du Bitcoin, d’autres cryptomonnaies fonctionnant avec cette même technologie ont vu le jour et les blockchains intéressent désormais de nombreuses branches d’activité. Dans le secteur alimentaire, des groupes comme Nestlé et Unilever utilisent des solutions s’appuyant sur cette technologie pour quelques-uns de leurs produits. duit se trouvant sur l’emballage. Avec ce logiciel open source, les développeurs de «Suschain» veulent motiver les entreprises de la branche à opérer de façon plus soutenable et plus équitable en garantissant un maximum de transparence.

Une start-up joue cartes sur table

La start-up ghanéo-suisse Koa a pour sa part déjà franchi le pas. Connue pour valoriser la pulpe blanchâtre qui entoure les graines de cacao, ce qui permet aux petits cultivateurs ghanéens d’accroître leurs revenus, l’entreprise mise sur la technologie des blockchains. «Au lieu de nous contenter de communiquer sur nos bonnes pratiques, nous jouons cartes sur table et permettons à toutes et à tous de savoir combien d’argent nous versons aux planteurs de cacao», détaille Anian Schreiber, le directeur de Koa. En scannant le QR code se trouvant sur l’emballage, les clientes et clients peuvent ainsi connaître la somme que les cultivateurs touchent en plus grâce à Koa.

Pour développer son système, Koa a collaboré avec la start-up berlinoise Seedtrace. «Nous vérifions chaque transaction et la mémorisons de manière décentralisée dans une blockchain générant peu d’émissions. Avec Koa, nous avons ainsi créé un nouveau standard qui garantit que ces informations ont été vérifiées, qu’elles ne peuvent pas être manipulées et qu’elles sont accessibles à tout un chacun en temps réel», déclare Ana Selina Haberbosch de Seedtrace. Dans la branche de l’alimentation, Koa et Seedtrace sont deux des rares entreprises à exploiter les possibilités offertes par la technologie des blockchains qui, pour Tim Weingärtner de la Haute École de Lucerne, a un énorme potentiel (voir interview ci-contre). •

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