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Éditorial

Les histoires de soi sont les mises en récit de notre vie et sont au fondement de notre psychisme et de notre self, de notre identité. C’est par la narration d’histoires qu’on se définit, qu’on s’invente, avec l’aide du miroir que l’autre représente.

Le premier numéro de ce magazine s’inscrit dans la continuité du projet d’Histoires de soi, Espaces de psychothérapie et d’enseignement, par la mise en circulation et en discussion d’intérêts, de connaissances et de savoirs issus des sciences humaines, de la philosophie et de la littérature. Pour nous, ces domaines des sciences humaines sont liés, ou tout au moins connexes: ils cherchent soit à comprendre le fonctionnement du vivant – humain en particulier, mais pas seulement –, soit à décrire, raconter des événements, des épisodes, sous forme de narration. Différents espaces d’enseignement et d’échanges débuteront dès le mois de juin (voir le programme sur notre site internet histoires-de-soi.ch) avec comme objectif assumé de créer un lieu fédérateur pour l'échange de connaissances. Un lieu convivial, culturel, de vulgarisation scientifique et de circulation des idées et des connaissances, en Gruyère. Ces Espaces sont ouverts à tout le monde (hormis les cours-séminaires pour professionnels de la santé) et en particulier aux curieux, à celles et ceux qui ont envie d’échanger autour de thématiques actuelles, mises en perspective à l’aide des sciences humaines. Réfléchir aux problématiques de notre époque en se donnant le temps, en s’octroyant des parenthèses dans le flux quotidien plus propice à l’accumulation, à l’instantanéité, qu’à la pensée qui donne du temps au temps, c’est l’ambition d’Histoires de soi.

Notre objectif est également de collaborer avec différents acteurs scientifiques et culturels de la région autour de conférences, afin de proposer des éclairages sur diverses préoccupations et problématiques qui concernent tout un chacun. Non pas tellement dans le but d’accumuler des connaissances, mais bien plutôt afin de trouver d’autres sens à sa vie et au monde, et ainsi de pouvoir reconquérir la liberté de se définir une vie telle qu’on la souhaite, en dehors des injonctions de performance et de productivité. Finalement, peut-être, de pouvoir réenchanter le monde devenu un amas de matérialité et aussi, paradoxalement, d’immatérialité (la musique, les écrits, la communication se passant majoritairement de support matériel). Société à la fois matérialiste et vaporeuse (les fameux cloud).

Dans notre pratique de psychothérapeutes, les histoires de soi sont tissées par les récits de nos patients en séance, par la manière dont ils mettent en scène leur vie, par la manière dont ils se rapportent aux événements de leur existence. Ces récits adressés à un thérapeute révèlent leur self, leur rapport à eux, aux autres et au monde. L’objectif thérapeutique est alors de les aider à restaurer une cohérence dans leur histoire, ainsi qu’à y intégrer les incohérences ou les traumatismes pour mieux les dépasser. Ceci afin de devenir autant que possible sujet de leur histoire de vie, de retrouver un espace de jeu ou une marge de manœuvre par rapport aux éléments douloureux. Certains patients arrivent chez nous en disant ne plus se reconnaître. Leur self est comme éparpillé, il s’agit alors de les aider à se rassembler et à assembler les différentes facettes du self.

Histoires de soi peut sembler être centré sur l’ego, il n’en est rien: nous avons la conviction qu’au cœur de tout être humain se loge, certes son moi profond, mais également ce qui est encore plus profond et intime: son rapport à l’autre. Le noyau du self est constitué par le rapport aux autres. La narration d’histoires a ainsi pour fonction tout autant de se comprendre soi-même que de comprendre l’autre. En d’autres termes, nous (nous) racontons des histoires pour donner du sens à notre vécu, à nos relations et au monde dans lequel nous vivons. Cela nous a d’ailleurs inspiré une nouvelle forme de thérapie par la marche dans la nature, en pleine conscience de la vie qui nous entoure et de notre attachement essentiel à notre environnement naturel.

Un des objectifs d'Histoires de soi est de proposer des espaces de mise en commun de compétences avec des collaborations de spécialistes de différents domaines, ainsi qu’avec la participation de tous ceux qui souhaitent s’enrichir de connaissances.

Ainsi, les histoires de soi mettent en jeu la personne tout entière. En tant que psychologues, nous nous centrons notamment sur le sens, le mouvement et les mémoires, en particulier sur la mémoire autobiographique des épisodes de vie. La psychothérapie peut changer le passé, contrairement aux croyances populaires. Non pas ce qui s’est passé, mais bien ce que nous en retenons, la manière dont ce passé nous influence au quotidien. Les remaniements des traces mnésiques peuvent modifier notre rapport au passé, ce qui finalement est l’essentiel.

En ce qui concerne notre Espace d’enseignement et d’échanges, les histoires de soi sont alimentées des grandes œuvres de la psychologie, de la littérature et de la philosophie, et bien sûr des échanges que nous aurons à propos des thèmes existentiels proposés. Il s’agira d’aborder ensemble des textes pouvant aider à mieux se comprendre et à mieux comprendre la société et la culture qui est celle de notre époque. Ces trois domaines permettent de rendre plus intelligible l’expérience de l’existence et de tout ce qui constitue notre condition humaine et notre rapport aux choses, au monde, à la liberté, au temps, à la vérité, etc.

Dans ce numéro vous trouverez des éclairages que la psychologie peut proposer sur des domaines classiques, mais aussi sur des domaines plus innovants. Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir dans la lecture de ce premier numéro et nous espérons vous rencontrer lors d’une de nos soirées organisées à Bulle.

Dr Sacha Roulin Psychologue-psychothérapeute FSP, thérapeute de couple, sexologue, ancien chargé de cours Unilet enseignant au gymnase (collège).

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