ARTICLE SPÉCIAL INTRODUCTION À L’HISTOIRE DE L’ART
ROMAN
LA CITATION
Si l’on vous avait dit tout cela il y a trois jours, vous auriez refusé de le croire ! Trois jours? auriez-vous dit ; il faut trois siècles pour accomplir une œuvre pareille au profit de l’humanité.
Alphonse de Lamartine
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Chères lectrices, chers lecteurs,
Dans ce nouveau numéro de Histo’Mag, nous vous invitons à plonger au cœur du XIXe siècle à travers le thème des « révolutions » et des « restaurations ». Bien que présents dans les programmes scolaires du secondaire, ces sujets restent parfois méconnus. L’équipe de Histo’Mag vous propose de les redécouvrir à la lumière d’études portant aussi bien sur la France que sur l’ensemble de l’Europe. Nos rédacteurs ont eu à cœur de produire des articles de qualité, pour mieux comprendre en quoi ce siècle fut un tournant majeur dans l’histoire, et ce, autant sur le plan politique que sur le plan social et sociétal.
Vous pourrez commencer par explorer le rôle des différents États européens dans les bouleversements du siècle. De la Révolution française à la Restauration, en passant par les guerres d’indépendance grecques ou la révolution belge, découvrez comment ces événements ont profondément marqué l’histoire du continent.
Le second article vous emmènera en France, au cœur du règne de Napoléon III, pour comprendre comment le pays est passé de l’Empire à la République.
Notre troisième rédaction s’intéressera aux nationalismes européens : leurs origines, leurs conséquences, notamment la naissance de nouveaux États, mais aussi les tensions au sein des grands empires multinationaux tels que l’Empire autrichien ou ottoman.
Enfin, le dernier article consacré à cette thématique abordera les mutations de la société européenne à travers la polarisation sociale, l’émergence du monde ouvrier, ainsi que les mutations politiques, sanitaires, sociales et sociétales.
En complément, nous vous proposons également trois articles hors-thème.
Vous découvrirez les origines de Rome, une analyse détaillée de la bataille d’Austerlitz, ainsi qu’un article original sur l’art roman, centré sur l’usage de l’arc en plein cintre – de quoi ravir les passionnés d’histoire de l’art !
Nous espérons que ce numéro vous plaira, nous vous souhaitons une agréable lecture.
KYLLIAN GARSAULT DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
LES ÉTATS EUROPÉENS FACE AUX RÉVOLUTIONS
LE SECOND EMPIRE ET L’AVÈNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE
26
ROME
LES ORIGINES D’UNE CITÉ ÉTERNELLE
20
L’EUROPE DES NATIONALISMES ET DES NOUVELLES PUISSANCES
32
INTRODUCTION À L’HISTOIRE DE L’ART ROMAN SE RÉSUME-T-IL À L’EMPLOI DE L’ARC EN PLEIN CEINTRE ?
30 AUSTERLITZ, LA BATAILLE DES TROIS EMPEREURS
1/LES ÉTATS EUROPÉENS, FACE AUX RÉVOLUTIONS, Découvrez les réactions des différents États face aux révolutions qui secouent l’Europe
2/LE SECOND EMPIRE ET L’AVÈNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE
Avec toute l’admiration qu’il a pour son oncle
3/LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE EN MUTATION
Libertés, émancipation, la société européenne se transforme et vous en découvrirez tous les secrets
4/L’EUROPE DES NATIONALISMES ET DES NOUVELLES PUISSANCES
À côté des démocraties naissantes, l’Europe se recompose et les empires s’affaiblissent
LE XIXE SIÈCLE,
ENTRE RÉVOLUTIONS & RESTAURATIONS
Les États européens face aux révolutions
Mathis FRAPPIER
L’Europe de 1789 est une Europe dans laquelle un pays, la France, sème les braises d’un processus révolutionnaire qui tend à devenir européen. Ce phénomène de grande ampleur, c’est la révolution, le changement de régime par le peuple contre ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Elle conduit à des changements sociétaux profonds. Cette Europe voit la première chute d’une des plus grandes dynasties monarchiques, les Bourbons. La Révolution de 1789 rebat les
La France des XVIIIe et XIXe siècles : un modèle révolutionnaire pour l’Europe
La Révolution française débute en 1789 face à plusieurs crises : un État surendetté, une société inégalitaire, une monarchie contestée et une population face à la misère. L’ouverture des États généraux en mai 1789, convoqués par le roi pour résoudre la crise financière, permet au Tiers-État, représentant le peuple, de s’imposer politiquement en formant l’Assemblée nationale, revendiquant ainsi la souveraineté de la nation. La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, marque le début de l’insurrection populaire et de l’effondrement monarchique. Le 4 août, les députés votent l’abolition des privilèges, mettant fin à l’ordre social d’Ancien Régime. Le 26 août, ils adoptent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, proclamant l’égalité devant la loi, la liberté, la propriété et la souveraineté nationale. Ces réformes fondent une société nouvelle sur des principes universels. Face aux pressions populaires et à la guerre contre les monarchies européennes, Louis XVI est arrêté, jugé pour trahison, et la République est proclamée le 21 septembre 1792. Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné : la tête du roi est tombée, les Français entérinent pour quelques années le pouvoir du peuple. La Révolution bascule alors dans une phase radicale : la Terreur (1793-1794). Sous les Montagnards et Robespierre, le Comité de salut public concentre les pouvoirs pour faire face aux ennemis de la Révolution. Les libertés sont suspendues, les suspects arrêtés, près de 40 000 personnes exécutées. Cette période se termine avec la mort de Robespierre en juillet 1794. Ensuite, un régime plus modéré est instauré : le Directoire (1795-1799). Il repose sur une nouvelle constitution, mais reste instable, miné par la corruption, les complots royalistes ou jacobins, et les difficultés économiques. Ce contexte favorise l’ascension d’un général charismatique : Napoléon Bonaparte. Le 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII), il prend le pouvoir par un coup d’État, mettant fin au Directoire et instaurant le Consulat. C’est la fin de la Révolution française, même si des historiens comme Pierre Serna estiment que le processus se poursuit jusqu’à la chute de Napoléon en 1815. En 1804, Napoléon se proclame empereur des Français et fonde le Premier Empire. Ce régime autoritaire et centralisé rétablit la monarchie tout en conservant certains acquis de la Révolution. Toutefois, il efface progressivement les institutions républicaines et les pratiques démocratiques, marquant un retour à l’ordre et à l’autorité, jusqu’à sa chute en 1815.
Avec le règne de Louis XVIII, la Restauration monarchique est engagée. Il succède à Napoléon en 1815. Louis XVIII reconnaît les droits et libertés du peuple. Il souhaite concilier Ancien Régime et Révolution. De plus, il met en place une monarchie
cartes des pouvoirs en Europe et éveille partout, dans ces territoires, des lueurs révolutionnaires. Ces lueurs n’arrivent néanmoins pas toutes à faire chuter les anciens pouvoirs.
Ainsi, de 1789 à 1848, l’Europe est bouleversée par toute une série de révolutions majeures, face auxquelles les États oscillent entre répression et adaptation, révélant les tensions profondes d’un continent européen en mutation.
constitutionnelle. Mais son règne conduit progressivement à des mesures liberticides et le roi meurt en 1824. Charles X lui succède. Les « Trois Glorieuses » c’est-à-dire les journées du 27, 28 et 29 juillet 1830 prennent place après l’adoption par le roi Charles X d’ordonnances elles-aussi mesures liberticides. Paris se couvre alors de barricades le 27 et la répression fait environ 6 000 morts en trois jours. Le roi est contraint d’abdiquer face au constat de ses échecs politiques et la violence dans laquelle Paris a été plongé à la suite des décisions politiques. Ainsi, le royaume envisage le changement de régime et peut-être un retour à la République. Mais la monarchie s’impose encore du fait que les Républicains ne sont pas encore assez nombreux et soudés. Cependant, la monarchie qui fait suite prend note des échecs politiques de Charles X et des volontés populaires. Ainsi, la révolution a conduit encore une fois à la chute d’un roi, le peuple montre donc bien sa présence politique, mais cette révolution reconduit un nouveau roi au pouvoir. Après les règnes de Louis XVIII et Charles X, un nouveau roi arrive au pouvoir : Louis-Philippe Ier (d’Orléans). Ce roi rompt avec la « traditionnelle » monarchie jusqu’ici en œuvre. Il entend former une monarchie bien plus respectueuse des acquis de la Révolution (il est lui-même un défenseur de l’idée de la République, ayant notamment combattu pour l’armée républicaine). Il met en place la Monarchie de Juillet en 1830. Louis-Philippe devient « roi des Français par la grâce de Dieu et la volonté nationale » et non plus roi de France. Le roi octroie de nouvelles libertés, réduit un peu l’influence de l’Église et élargit le droit de vote chez les hommes. Mais il va vite revenir sur les libertés de réunion et de presse notamment et durcir le régime après des tentatives d’assassinat. Les Français organisent des banquets illégaux et l’inter-
« De nombreuses populations en partie méridionale rejoignent le mouvement et prennent exemple sur les révolutions en France de 1789 et 1830. »
diction de l’un d’entre eux met le feu aux poudres avec des débuts de manifestations réprimées en 1848. Les barricades s’installent une nouvelle fois. La bourgeoisie républicaine prend la tête de la révolte avec notamment Lamartine et Ledru-Rollin. Louis-Philippe Ier abdique en février 1848 et permet la naissance de la deuxième République. Les révolutionnaires ont une nouvelle fois fait plier l’État et permis le retour d’un régime aussi démocratique possible. Le choix se porte ainsi sur la République en 1848.
L’essor des révolutions en Europe : entre transformations durables et insurrections réprimées
La Grèce était sous domination ottomane depuis le milieu du XVe siècle. En mars 1821, le patriarche (chef religieux de l’Eglise orthodoxe) de Patras, Germanos III, proclame le soulèvement contre le joug ottoman. La guerre d’indépendance grecque est marquée par des violences des deux côtés, notamment des représailles grecques contre des populations turques, suivies de répressions ottomanes brutales, dont le massacre de Chios en 1822. Ce dernier choque profondément l’opinion publique européenne et renforce le philhellénisme, notamment en France et en Angleterre. Entre résistances et répressions, les combats se poursuivent jusqu’en 1827, lorsqu’une intervention militaire des puissances russe, française et britannique abou-
tit à la destruction de la flotte ottomane lors de la bataille de Navarin. Après un long processus diplomatique, la Grèce obtient son indépendance en 1830, mais au prix de lourdes pertes humaines, avec environ un quart de sa population décimée. Ainsi, la nation grecque, grâce à la guerre d’indépendance, a su surmonter le joug ottoman avec ses alliés et réinstaller sa souveraineté. Au lendemain du congrès de Vienne de 1815 qui réorganise l’Europe après Napoléon Ier, le roi des Pays-Bas, Guillaume Ier d’Orange-Nassau, intègre les Pays-Bas méridionaux (équivalent de la Belgique actuelle) dans son royaume. Mais cette réunification est assez artificielle puisque la langue, la religion et l’économie sont assez différentes. Les catholiques, au Sud, n’acceptent pas la religion protestante du royaume et constituent le pilier de la révolution. En effet, le mouvement contestataire connaît un essor en 1830. De nombreuses populations en partie méridionale rejoignent le mouvement et prennent exemple sur les révolutions en France de 1789 et 1830. Par ailleurs, des révolutionnaires français de 1830 viennent soutenir ce mouvement. Le pouvoir royal sous-estime ces révoltés qui prennent de plus en plus de place dans le royaume et conquièrent de nombreuses terres. Constituant un front, les révolutionnaires belges expulsent fortement la plupart des Néerlandais du nord. Le Congrès national formé par les insurgés, proclame l’indépendance de la Belgique le 4 octobre 1830. En 1831, Léopold Ier est choisi par le Congrès comme roi du nouveau royaume de Belgique. Les Belges, d’abord sous la main des Néerlandais ont su se lever pour protester contre leur intégration forcée. Avec la réussite de leur mouvement, ils ont su installer un régime en accord avec leurs choix.
La Pologne n’était plus depuis 1795, absorbée par la Prusse, la Russie et l’Autriche. En 1815, avec le Congrès de Vienne, elle est placée en grande partie sous l’autorité du tsar Alexandre Ier. Le tsar respecte cette part de son royaume tant culturellement que religieusement et laisse une certaine autonomie aux Polonais. Mais les Polonais insatisfaits de la tutelle russe développent des velléités d’indépendance. Avec l’arrivée sur le trône de Nicolas Ier,
La Prise de la Bastille, dessin de Jean-Pierre Houël, 1789
l’opposition est grandissante face à un souverain plus autoritaire et moins conciliateur. De plus, selon certaines informations, le tsar aurait souhaité envoyer les Polonais combattre les insurgés français et belges. Les Polonais ne l’entendent pas de cette manière. L’insurrection prend place le 29 novembre 1830. Des officiers polonais prennent le Palais du Belvédère pour assassiner le frère du tsar de Russie, à la tête du royaume de Pologne. Le dirigeant s’enfuit et Varsovie est prise. Un gouvernement provisoire est formé. Cependant, le tsar ordonne la soumission des rebelles en 1831 et une guerre polono-russe se met en place. Les troupes polonaises sont défaites le 6 septembre et Varsovie retombe aux mains des Russes. Ainsi, les Polonais se sont eux-aussi élevés contre un pouvoir trop autoritaire à leur égard mais cela aura été de courte durée. Les Polonais ont néanmoins secoué l’État russe et jeté les bases d’une future insurrection voire d’une future révolution.
Les résistances des monarchies, entre répressions et restaurations du pouvoir royal Pour tourner la page des guerres de la Révolution et des guerres napoléoniennes, les États coalisés se rencontrent à Vienne lors du Congrès de Vienne de septembre 1814 à juin 1815 et traitent de la manière de réinstaller la paix en Europe mais légitiment aussi les régimes monarchiques. Avec l’habile Talleyrand comme ministre des Affaires étrangères et le roi Louis XVIII, l’Europe ne souhaite pas humilier la France et entreprend de lutter avec le nouveau Bourbon contre les possibles révolutions. Il y a donc une constatation commune des menaces que peuvent faire peser les révolutions sur les pouvoirs monarchiques et l’équilibre européen.
Les monarchies prussienne, russe, autrichienne et britannique s’entendent donc sur la façon d’envisager une Europe post-napoléonienne et postrévolutionnaire. La France est intégrée aux concertations européennes (congrès) suivantes dès 1818. Les monarchies ont donc pris conscience de la puissance réformatrice des possibles révolutions et leurs conséquences sur les pouvoirs monarchiques et l’équilibre en Europe.
En 1814, Louis XVIII accède au pouvoir et cherche à concilier Ancien Régime et Révolution. Il octroie la Charte, garantissant plusieurs droits et libertés, et instaure une monarchie constitutionnelle. Toutefois, en 1815, les Cent Jours constituent la période pendant laquelle Napoléon Bonaparte est de retour, mais dont l’influence s’affaiblit dans une société transformée. Dans ce contexte, les ultra-catholiques gagnent du pouvoir, entraînant la « Terreur blanche », marquée par des violences contre les bonapartistes. Après la défaite définitive de Napoléon, Louis XVIII restaure sa politique, mais dès 1820, la libéralisation du royaume s’interrompt. Sous la pression des ultras, il adopte une ligne plus réactionnaire, avec une Assemblée dominée par les ultra-royalistes et un retour de la censure. À sa mort en 1824, c’est son frère Charles qui devient roi. Avec Charles X la morale religieuse retrouve un rôle clé, la liberté de la presse est encore restreinte. Le roi dissout même l’Assemblée en mai 1830 et se créent de plus en plus d’oppositions. Dès juillet 1830, il prend des ordonnances liberticides, dissout la Chambre, et modifie le corps électoral. L’opposition éclate le 27 juillet et marque le début des « Trois Glorieuses » (27, 28 et 29 juillet 1830). Le roi est contraint d’abdiquer. Ainsi, malgré la révolution de 1789, la monarchie a porté un projet qui, au début, semblait concilier les acquis révolutionnaires et le régime monarchique mais qui, finalement, se rapprochait plus d’une volonté de restauration de la société traditionnelle d’Ancien Régime.
Les révolutions n’ont pas toutes été fructueuses. En effet, on a déjà cité les insurrections polonaises, des insurrections qui n’ont pas été jusqu’à la révolution et qui ont été réprimées. Mais il y a aussi dans l’Europe du XIXe siècle des révolutions qui ont été arrêtées avant leur mise en œuvre. En Espagne, en 1820, une insurrection éclate pour le retour de la Constitution de 1812. Le roi d’Espagne Ferdinand VII est contraint d’accepter des réformes mais demande le soutien des autres puissances monarchiques. Louis XVIII répond aux demandes de Ferdinand VII et envoie son armée qui réprime les révoltes et restaure la puissance monarchique de Ferdinand VII. Au même moment, en 1820-1821, des mouvements révolutionnaires libéraux émergent un peu partout en Italie. Mais le royaume d’Autriche, qui a autorité sur la Vénétie depuis 1815 (la Vénétie qui est une partie du territoire italien), intervient en arrêtant et réprimant les révoltés. Cela se poursuit en 1830-1831, en effet, des insurrections éclatent une nouvelle fois en Italie, inspirées par les révolutions en France. L’Autriche envoie une nouvelle fois ses troupes et réprime les soulèvements. En Prusse, des révolutionnaires réclament une monarchie constitutionnelle. Le roi fait quelques concessions mais reprend le pouvoir après la répression. Enfin, en Autriche des révoltes éclatent dans les grandes villes. L’empereur Ferdinand Ier abdique mais son successeur François-Joseph rétablit durement l’ordre. Ainsi, les insurrections et révolutions ne sont pas toutes arrivées à terme et n’ont pas toutes eu les mêmes incidences, freinées par les puissances monarchiques qui ont su répondre à leurs velléités révolutionnaires.
La Charte de 1814, conservée aux Archives nationales.
Bataille d’Ostroleka, aquarelle de Juliusz Kossak
DOSSIER
Le Second Empire et l’avènement de la République
Par Victor BELLE
Le Second Empire a été traité dans l’historiographie comme un intermède du XIXe siècle. Victime notamment d’une très mauvaise image lors de la IIIe République, la mémoire du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, la fête impériale et la défaite de Sedan sont encore bien présents dans les mémoires. Plus encore, lors de la débâcle de la guerre de 1870-1871, le traumatisme de l’occupation dans le Nord-Est, l’annexion de l’Alsace-Moselle, et du traité de Francfort, défavorable à la France, constituent des arguments pour la rancoeur envers ce régime et l’Empereur des Français. Parmi les ouvrages qui ont contribué à développer cette image négative du Second Empire, on peut compter en tête de liste Les Châtiments de Victor Hugo, ou encore Maxime du Camp dans ses Souvenirs d’un demi-siècle. Le premier à avoir abordé ce régime sans passions politiques est Pierre de la Gorce, tout en étant hostile à l’Empereur. Par la suite, des études autour de l’œuvre sociale et économique ont analysé et nuancé le jugement postérieur de ce régime. Aujourd’hui, ce régime est analysé sous plusieurs angles. Le Dictionnaire de Jean Tulard en 1995 est précurseur d’un grand travail sur le sujet. Ce travail a donné une nouvelle génération d’historiens spécialistes de la période. Éric An-
ceau développe notamment le champ politique, le champ de l’histoire culturelle est étudié par Xavier Mauduit notamment dans son ouvrage Le Ministère du Faste sorti en 2016, Yves Bruley s’attarde quant à lui sur les questions militaires et diplomatiques, ayant consacré sa thèse sur le Ministère des Affaires étrangères.
Le Second Empire est une période de l’Histoire de France qui s’étend du 2 décembre 1852, correspondant au rétablissement de l’Empire, un an jour pour jour après le coup d’État de Napoléon III, jusqu’au 4 septembre 1870, date de la proclamation de la IIIe République. C’est un régime dont le coup d’État « constitue le péché originel du Second Empire »(1) selon Eric Anceau. Le régime a été l’occasion, dans sa période autoritaire, de réaffirmer la place de la France dans le concert des nations européennes. Lors de la phase libérale, Napoléon III a plutôt déployé une politique sociale et économique, souhaitant accompagner le développement du capitalisme ainsi que du commerce extérieur. La place de l’Europe sera analysée dans cet article pour montrer la vision que les pays européens ont de ce nouveau régime ainsi que des conflits au cours des années 1860-1870.
« La Seconde République est donc institutionnellement instable. »
La Seconde République et ses acquis
La Seconde République a permis un mouvement de rétablissements de certaines libertés. La liberté de réunion, la liberté de la presse, ou encore le suffrage universel masculin ont permis une diffusion plus importante des idées politiques. L’abolition définitive de l’esclavage devient effective au cours de l’année 1848, permise par Victor Schœlcher mais aussi aux luttes dans les colonies et îles comme la Réunion ou la Martinique. Dans l’imaginaire historique, on applique souvent à cette République la réputation d’une république conservatrice. En réalité, ceci est dû à l’impressionnante montée du parti de l’Ordre entre l’Assemblée nationale de 1848, où elle représente 23% des voix, et l’Assemblée nationale de 1849, où elle représente 50.2% des voix. Cette montée du parti de l’Ordre peut s’expliquer par le contexte difficile du moment : le procès des républicains manifestants du 15 mai 1848, l’expédition militaire à Rome. Viscéralement anti-socialistes, le parti de l’Ordre est davantage une coalition conservatrice qu’un vrai parti structuré. La Seconde République est donc institutionnellement instable, elle possède une majorité conservatrice à l’Assemblée et son président, Louis-Napoléon Bonaparte, est isolé sans cette assise parlementaire. Malgré une tournée nationale durant l’été, où il va donner des discours très différents à chaque étape, il n’arrive pas à arranger la situation, alors qu’au même moment, des tentatives de révision de la Constitution ont lieu, notamment sur la non rééligibilité du mandat de président.
Le coup d’État et la réaction internationale
La mise en place de ce coup d’État, appelé l’opération « Rubicond », se fait par l’occupation des imprimeries parisiennes et continue la parution de journaux favorables au régime. Ensuite, toutes les armes constitutionnelles sont utilisées par le Prince-Président : il déclare l’état de siège, il dissout l’Assemblée Nationale et le Conseil d’État. Il appelle à la rédaction d’une nouvelle constitution et convoque le peuple français à un référendum pour approuver cette nouvelle loi suprême. L’étude des sources locales font part que des résistances régionales, notamment dans les bastions du républicanisme, ont lieu. C’est le cas à Millau où 31 personnes sont condamnées à des peines de bagne. Louis Girard résume la
vision historiographique actuelle du coup d’État : (2) « Louis-Napoléon aurait, de beaucoup, préféré, une prolongation légale de ses pouvoirs […] mais la solution légale étant impossible, il se résolut au coup d’État » (2). Les réactions internationales sont « contrastées » comme l’évoque Yves Bruley, dans son article publié dans la Revue du Souvenir Napoléonien en 2008 (3). Des pays comme l’Autriche ou les États pontificaux, qui ont vu une expédition militaire sur leur sol en 1850, accueillent la nouvelle avec joie. Sur sa Dépêche écrite le 10 décembre 1851, le comte de Rayneval, ambassadeur de France près du Saint Siège, relate une citation du cardinal Antonelli, secrétaire d’État du pape : « la fin de très grandes et bien terribles incertitudes, et des gages incontestables de sécurité pour l’avenir »(4). D’autres provinces italiennes comme le Piémont-Sardaigne, prennent des mesures face aux révolutionnaires de 1848 qui se réfugient dans son territoire. Les journaux anti-bonapartistes sont également visés (5). À l’inverse, des États allemands sont réticents, notamment ceux du sud, qui voient les risques d’un impérialisme français. Il y a aussi la Russie qui, malgré un soutien apporté par le tsar, saluant notamment la fermeté du Prince-Président, voit en ce coup d’État, la tentative de ranimer un Empire complètement diabolisé avec les campagnes napoléoniennes. En conclusion, ce coup d’État est accueilli comme une remise à l’ordre de la République qui menace les monarchies européennes. Cependant, le spectre de l’Empire napoléonien fait frémir les couronnes d’Europe, qui craignent en la figure de Napoléon III le renouveau d’une France belliqueuse et impérialiste.
L’empire autoritaire puis libéral
L’empire autoritaire permet à Napoléon III de s’affirmer, par la fête impériale, le ministère du Faste, mais également par son mariage avec l’impératrice Eugénie, espagnole, fin janvier 1853. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, elle incarne une modernité. Comme l’explique Xavier Mauduit, ce choix de cœur plutôt que d’une raison d’alliance permet de montrer que malgré un ancrage conservateur évident (6), Napoléon III prétend incarner la nouveauté. Si nous revenons à la politique en France, ce Second Empire a accompagné de meilleures manières, l’évolution ambiante du capitalisme et permis à la France de rattraper son retard de développement notamment sur l’Angleterre, pays dans lequel il a voyagé. En matière sociale, Napoléon III accorde davantage de crédit à cette question que son oncle sous le Premier Empire : dans De l’extinction du paupérisme écrit en 1844, il résume sa pensée par une coagulation intellectuelle de théories, qui ne se conjuguent pas forcément : le libéralisme et le socialisme utopique. La politique sociale prend de l’ampleur lors de la promulgation de la loi Emile Ollivier le 25 mai 1864, inspirée par le Manifeste des soixante, un programme de revendications sociales mené par 60 prolétaires. Cette loi reconnaît pour la première fois le droit de grève sous certaines conditions. En 1866, le droit de réunion à caractère syndical est reconnu sans pour autant mener à une loi qui ne sera votée qu’en 1884, sous la IIIe République. Enfin, des lois sur l’éducation notamment menées par Victor Duruy qui porte une ambition « d’instruction du peuple ». Il ouvre l’éducation aux filles notamment l’enseignement secondaire et impose à la fin de son ministériat que les communes de plus de 800 habitants se dotent d’une école pour filles. Ces progrès sociaux s’inscrivent dans la phase de l’empire dit libéral. Une période où Napoléon III doit composer avec la montée de l’opposition. La plus grande progression se ressent lors des élections de 1869 où les opposants gagnent 39 députés que ce soit des républicains ou
des royalistes. Malgré tout, les élections et les plébiscites au suffrage universel masculin ne font pas pour autant de ce régime une démocratie pleine et entière. En effet, lors des plébiscites, l’armée est présente dans les bureaux de vote, et les personnes souhaitant voter contre la question formulée doivent amener eux-mêmes leur bulletin avec la mention « non ». Lors des élections législatives, des candidats soutenus par le régime sont davantage mis en avant que les opposants dans la presse. L’empire libéral est marqué aussi par des conclusions de conflit comme des renouveaux diplomatiques.
Les relations avec l’Europe Comme vu précédemment, le coup d’État est majoritairement salué malgré quelques réticences. Concernant l’Europe, nous remarquons une montée des nationalismes, traitée dans l’article suivant. En tant que penseur politique, Napoléon III est un partisan des nations et d’une coopération entre populations. En tant qu’empereur, il a placé la France dans un rôle important dans la construction de nouveaux États, par différents moyens. Grand lecteur, la maxime
de Clausewitz : « la guerre est la continuation de la politique, par d’autres moyens » (7) résonne beaucoup quand on parle de l’héritage diplomatique du neveu de Napoléon Ier.
La guerre occupe une place forte, et même s’ il a déclaré dans un discours à Bordeaux : « l’empire, c’est la paix », il est amené à faire la guerre. Il gagne des crédits de chef de guerre avec la guerre d’Orient, qu’on appelle aujourd’hui la guerre de Crimée. La France prend alors la tête d’une coalition contre les troupes de Nicolas Ier, et ressort grande gagnante du conflit. Des victoires importantes sont gagnées, notamment le siège de Sébastopol qui se termine le 11 septembre 1855. Eric Anceau écrit dans un article publié dans le magazine Areion en 2020 : « C’est la France de Napoléon III qui est la grande bénéficiaire de la guerre. Elle a fait d’abord une démonstration de force militaire, puis une autre de modération diplomatique en ne demandant rien pour elle-même et en se posant en championne du concert européen dans le cadre d’un nouveau multilatéralisme très moderne dont elle devient la promotrice ». Cette guerre marque le début d’une apogée de la politique internationale. En effet, le XIXe siècle est marqué sur le plan diplomatique par l’importance qu’à pris le Congrès de Vienne. Dès lors, le congrès de Paris qui met fin à la guerre de Crimée permet de centrer sur la France, le concert des Nations européennes, et Napoléon III, d’en être le chef d’orchestre. Fidèle à son engagement auprès des constructions nationales, Napoléon III souhaite l’unification de l’Italie, et sa politique italienne commence avec une guerre marquée par des victoires qui sont aujourd’hui des adresses : les batailles de Magenta ou Solférino en 1859. Les liens avec le Royaume-Uni et sa reine Victoria sont fondés sur des appréciations mutuelles mais aussi un traité commercial signé en 1860. Xavier Mauduit explique qu’il est « un manifeste à la modernité » (8) dans un contexte de protectionnisme économique omniprésent. Enfin, en guise de requiem à cette apogée, la création de l’Union latine, le 23 décembre 1865. Cette union monétaire avait pour but de faciliter les transactions entre pays, dans un contexte de développement du commerce international et des idées autour du libéralisme économique (Smith, Riccardo). Malgré tout, Napoléon III est un partisan des nationalismes. Cette union latine se fait donc avec les monnaies
Portrait de Carl von Clausewitz, général de l’armée prussienne lors des guerres napoléoniennes et théoricien militaire.
La proclamation de l’empire allemand dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles en 1871. Peinture à l’huile sur toile, 250 cm x 250 cm, 1885, conservée au Musée Bismarck.
de référence de chaque pays. Simplement, on paie avec le poids en or et non la devise. Au total, 26 pays adhèrent à cette union.
La guerre franco prussienne, une chute de régime pour un nouveau
L’autre image d’Épinal de ce Second Empire, en plus de ce coup d’État, signe d’un péché originel, est la Débâcle, signe d’une fin en apocalypse. La guerre de 18701871 est le point d’orgue d’un régime. Cette chute de régime a été expliquée par le contexte politique en interne, l’échec diplomatique avec la dépêche d’Ems, ou encore par les mauvaises stratégies militaires côté français. Atteint de la maladie de la pierre, ce qu’on appellerait les coliques néphrétiques, Napoléon III vient quand même sur le champ de bataille. Le régime a véritablement chuté lors de la guerre. Le 2 septembre 1870, Napoléon III est capturé. Le lendemain, la nouvelle est apprise par la presse. Malgré la régence de l’impératrice Eugénie, le palais Bourbon est envahi, les républicains proclament la déchéance de Napoléon III, puis ils se rendent à l’Hôtel de ville de Paris. Léon Gambetta et Jules Favre sont en tête de file et proclament la
IIIe République le 4 septembre 1870. La proclamation de cette IIIe République s’accompagne d’un gouvernement de la Défense nationale, qui ne peut rien faire face à l’avancée de l’Allemagne. Le coup de grâce est amené par la proclamation de l’Empire allemand en janvier 1871, au palais de Versailles. La paix de Versailles du 26 février 1871, fait porter une véritable créance à la IIIe République avec 5 millions de francs-or d’amende et une occupation du territoire pendant 3 ans.
Que retenir de ce Second Empire ?
Au-delà des faits nationaux, le Second Empire est perçu par l’Europe comme une réaction honorable au républicanisme qui commence à se développer dans les cercles de réflexion politique lors de la IIe République. Malgré tout, le poids du vote conservateur notamment dans les campagnes permet le maintien de forces réactionnaires monarchistes au sein de l’Assemblée avec une nette progression en 1849. Le coup d’État change évidemment la donne, notamment dans les politiques appliquées. Elles sont davantage centrées sur les questions de politique extérieure, afin de montrer un visage moins guerrier et plus unitaire (politique d’unification italienne, guerre de défense en Crimée avec les Européens, expédition en Syrie considérée comme la première opération humanitaire pour les chrétiens menacés de persécutions). Malgré tout, ce régime doit composer avec des oppositions, certes muselées mais qui progressent dans les élections. C’est donc une nouvelle phase qui s’ouvre sur la décennie 1860, où des politiques sociales sont menées ainsi que la progression du libéralisme, inspiré du modèle anglais. Le Second Empire a donc amené des nouvelles avancées, sur le plan social et économique, inspirant la IIIe République.
La société européenne en mutation
Sophie POINSIGNON
Une nouvelle société politisée, le cas français
Sur le plan politique, la société du XIXe siècle devient, au fur et à mesure, une société plus politisée. Dans la plupart des pays européens, une constitution est adoptée. Il s’agit d’une loi fondamentale définissant les rapports entre les gouvernants et les gouvernés conformément aux principes de légalité et de représentativité. Au moment de la Restauration, Louis XVIII promulgue la Charte de 1814, faisant de la France une monarchie constitutionnelle libérale assurant aux Français les acquis de la Révolution sans pour autant garantir la séparation des pouvoirs. Bien que ce régime ne soit pas encore démocratique ni parlementaire, il est avant tout libéral et constitutionnel. Il fait émerger une vie politique avec la création de partis politiques qui organisent l’opinion. Se forment ainsi deux partis, celui des ultra-royalistes (pour le retour à l’Ancien Régime) et celui des libéraux (soutiens des idéaux de la Révolution). De plus, entre ces deux partis, un troisième est créé, celui des constitutionnels, où leur idéal est celui d’une monarchie constitutionnelle. Malgré la création de ces trois partis politiques, il ne reste pas moins que le vote, au moment de la Restauration, est un suffrage censitaire, c’est-à-dire que seuls les hommes de 30 ans payant une contribution de 300 francs peuvent voter. De plus, dès 1820, les électeurs payant le plus d’impôts ont le droit de voter deux fois. Lors des Trois Glorieuses en 1830, un essai de monarchie parlementaire soutenu par la bourgeoisie libérale est mis en place, le suffrage y est toujours censitaire mais le cens passe de 300 à 200 francs, l’âge requis pour voter passe de 30 à 25 ans et la loi du vote double est abolie. Ainsi, le droit de vote est élargi, le nombre d’électeurs passe de 90 000 à 167 000 en 1831 puis 241 000 en 1847, mais le droit de vote reste limité. En effet, ce système conduit à une forme d’immobilisme politique et il est de plus en plus contesté car il apparaît comme un régime tenu par la bourgeoisie. De plus, lors de la révolution de 1848, le peuple français a été l’acteur principal. François Guizot, président du Conseil des ministres et soutien de Louis Philippe Ier, affirme que, selon lui, la monarchie constitutionnelle calquée sur un système électoral censitaire est un bon régime. Il pense que le gouvernement doit être exercé par des élites, car riches et éduquées. Ainsi, il s’oppose à toute réforme qui pervertirait ce système politique : il refuse d’abaisser le cens à 100 francs voire de faire voter les « capacités », c’est-à-dire laisser voter les hommes instruits même s’ils ne payaient pas le cens. Après plusieurs incidents, Louis Philippe Ier renvoie Guizot le 23 février 1848. Des manifestations ont lieu à Paris : le 24 février, la capitale se couvre de barricades. Découragé, le roi abdique et les chefs républicains constituent un gouvernement provisoire qui proclame la IIe République. Le régime de Louis Philippe Ier n’ayant pas pu comprendre les transformations sociales provoquées en partie par l’industrialisation, cette seconde République permet de mieux intégrer les hommes dans la vie politique. Ainsi, le suffrage universel masculin est adopté par le décret du 5 mars 1848 : les électeurs sont désormais tous les Français âgés de 21 ans, jouissant de leurs droits civils et politiques, le droit d’être élu est fixé à 25 ans. Les premières élections sont législatives, elles ont lieu le 23 avril et permettent
d’élire plus de 900 représentants envoyés à Paris pour rédiger une nouvelle constitution. Cette seconde République est donc légitimée par le vote populaire.
Une société grandissante et mobile
Un autre élément qui caractérise aussi cette société européenne du XIXe siècle est la croissance démographique. En effet, le poids humain de l’Europe est renforcé, elle regroupe dans ses territoires le quart de la population mondiale en 1900. Cet élan démographique est surtout véridique à l’ouest de l’Europe : les îles britanniques comptent en 1900 plus de 42 millions d’habitants, la France, qui a certes perdu l’Alsace-Lorraine en 1871, compte plus de 38 millions d’habitants en 1900 et l’empire allemand plus de 56 millions d’habitants. Cette croissance démographique entraîne un surpeuplement, mais cette nouvelle population ne reste pas immobile. Par les facilités des moyens de transport qui sont plus fréquents et moins chers par rapport au XVIIIe siècle et les passeports n’étant pas encore obligatoires, les mouvements migratoires se font de plus en plus, témoignant ainsi d’une mutation profonde des sociétés européennes. Ainsi, les Européens partent vers des destinations lointaines, que cela soit l’Amérique, l’Afrique ou encore l’Australie. Les migrants sont, au XIXe siècle, souvent issus des catégories modestes, des opposants politiques, des minorités, des Juifs, mais peuvent aussi être motivés par la recherche des meilleures opportunités financières, économiques à l’autre bout du monde. Entre 1870 à 1873, 350 000 européens émigrent, mais ce chiffre est doublé entre 1885 et 1890 avec plus de 779 000 départs.
Néanmoins, cette mobilité ne s’effectue pas seulement à l’échelle internationale, dans la mesure où elle est aussi nationale. Les villes attirent contrairement aux campagnes qui, au XIXe siècle, n’offrent plus assez de travail. La société du XIXe siècle, étant une société industrialisée, déclenche un exode rural, c’est-à-dire un départ massif des popula-
tions rurales vers les villes, souvent motivé par la recherche de meilleures conditions de vie. La croissance démographique a eu un rôle essentiel dans cet exode rural : les campagnes se sont surchargées et une des seules solutions a été d’immigrer. La ville est par conséquent attractive, ne serait-ce que par les nouveaux emplois qu’elle procure et une sensation de liberté, étant donné que les individus ne sont plus cantonnés aux communautés villageoises. Cet exode rural avait déjà été préparé par les migrations saisonnières de ruraux qui allaient travailler dans les villes les plus proches pendant les temps vides du travail agricole, comme les maçons creusois souvent embauchés sur des chantiers parisiens. Ainsi, plus le XIXe siècle avance, plus ces mouvements pendulaires deviennent définitifs. Les besoins de l’industrie naissante, le recul progressif des industries rurales engendrent des flux migratoires en direction des villes. En 1800, l’Europe comptait 23 villes de plus de 100 000 habitants qui regroupent en tout 5,5 millions d’habitants, tandis qu’en 1900, 135 villes rassemblent 46 millions de citadins. Cette urbanisation est lente en France, mais dès 1851, les villes réunissent en tout 25,5% de la population : la ville de Saint-Etienne, centre métallurgique, voit sa population tripler entre 1800 et 1850. Cependant, en Grande-Bretagne, l’urbanisation est importante étant donné qu’elle abrite le plus de citadins par rapport aux autres pays européens : entre 1800 et 1851, les villes de plus de 100 000 habitants voient leur population multipliée jusqu’à dix. En tout, l’Europe, à la fin du XIXe siècle compte six agglomérations de plus d’un million d’habitants (Paris, Londres, Vienne, Milan, Rome et Berlin).
« En 1800, l’Europe comptait 23 villes de plus de 100 000 habitants qui regroupent en tout 5,5 millions d’habitants, tandis qu’en 1900, 135 villes rassemblent 46 millions de citadins. »
Emergence de la classe ouvrière et lutte des classes sociales
Les sociétés paysannes sont en déclin au profit des sociétés urbaines, mais pourtant les paysans ruraux restent la catégorie socio-professionnelle la plus importante jusqu’à la fin du XIXe siècle. Cependant, profitant de l’industrialisation, les prémices du mouvement ouvrier apparaissent, dans lequel Karl Marx y voit la formation d’une nouvelle classe sociale réduite à vendre sa force de travail. Les ouvriers sont minoritaires pendant la première moitié du XIXe siècle, et leurs fonctions sont multiples : ils peuvent être astreints au domicile, à l’usine ou dans l’artisanat. Ces ouvriers sont tous soumis au problème de l’insécurité : les conditions de travail sont dures, dangereuses, le salaire est faible, etc. En bref, l’industrialisation est encore trop récente pour que les ouvriers aient les moyens d’obtenir une amélioration de leurs conditions. Les premières lois sociales s’attachent seulement à limiter l’âge et la durée du travail pour les enfants (1819 en Grande Bretagne, 1841 en France) afin d’éviter de mettre à mal la conscription. Cette mesure s’étend : en Grande Bretagne, les associations ouvrières sont autorisées en 1824 et en 1833 un corps d’inspecteurs du travail est créé. Ces mesures ne suffisent pas à calmer les revendications des ouvriers. Les villes et les campagnes, dans la première moitié du XIXe siècle, se caractérisent par des inégalités sociales, ou, selon Tocqueville, un « combat de classes » (9) entre les dominants et les dominés. Ces dominants sont, dans le paysage rural anglais, l’aristocratie foncière, plus communément appelé les landlords qui ont accaparé les quatre
Portrait de Karl Marx par John Jabez Edwin Mayall, vers 1875.
cinquièmes du sol en raison de la politique des enclosures mais aussi la gentry, noblesse ayant des domaines gérés par des fermiers ou par des régisseurs salariés. En France, il existe des notables ruraux qui disposent d’un patrimoine dans lequel la terre a une grande place. Dans les campagnes, il est certain que la petite paysannerie s’écrase sous l’effet des Grands : en Grande Bretagne, les petits paysans ne tiennent plus que 15% du sol et l’abolition des Corns Laws en 1846 accélère la disparition de la petite paysannerie. En France, les paysans s’endettent, hypothèquent leurs terres au profit des notables qui en sont les préteurs. Les villes sont aussi le théâtre entre les dominants et les dominés puisque la ville est le lieu principal où résident les élites sociales, qui détiennent une partie des capitaux, mais aussi le lieu de résidence d’une grande partie des classes ouvrières. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation est favorisée, accélérant la transformation du monde ouvrier, c’est-à-dire que l’ouvrier devient un travailleur salarié dans le cadre d’entreprises, devenant de plus en plus florissantes. Par cette transformation, cela favorise la prise de conscience d’une identité, la formation d’une organisation avec des droits à conquérir et à défendre. Les ouvriers deviennent de plus en plus nombreux dans les pays qui ont été industrialisés : en Grande Bretagne, le nombre d’ouvrier passe de 5,7 millions en 1881 à 8,6 millions en 1911 mais en France aussi, où les ouvriers ne sont pas seulement cantonnés aux industries manufacturières mais aussi aux industries textiles, alimentaires. Leur nombre atteint, en 1906, six millions. De même, dans les pays qui s’industrialisent précocement, la présence d’ouvriers est aussi à signaler dans la mesure où des pôles se dessinent, que cela soit à Milan ou Gênes en Italie, à Vienne dans l’Empire Austro-Hongrois voire dans l’Empire Russe à Bakou, dans le Donbass, etc. Les conditions restent cependant difficiles car les ouvriers vivent pour la plupart dans la misère, la vie quotidienne est tout aussi dure : les congés sont rares, la journée de travail est autour de dix heures, les accidents sont fréquents tout comme l’exposition aux maladies. De plus, avec l’organisation scientifique du travail, développé par l’ingénieur américain Taylor, l’effort de l’ouvrier s’intensifie sous l’œil des contremaîtres tout en requérant un effort physique important. Au cours de la seconde moitié du XIXe, les conditions de vie ouvrière s’améliorent légèrement : les salaires augmentent mais restent compensés par la hausse des prix. Toutefois entre 1873 et 1896, les crises économiques rendent précaire la situation des ouvriers, surtout qu’après chaque période de crise, les salaires continuent à diminuer. Malgré ces périodes de crise, les salaires ont tout de même augmenté par rapport au début du siècle, permettant la constitution d’une épargne et la diversité de l’alimentation est désormais possible économiquement. En lien avec la politisation, les progrès de la démocratie vont de pair avec les revendications ouvrières : les mesures adoptées concernent avant tout la durée de travail et la question du repos. En 1854, la Grande Bretagne impose deux jours de repos par semaine et en Allemagne une loi de 1891 fixe à onze heures la durée journalière du travail pour les femmes et adolescents. En France, le repos dominical qui a été suspendu en 1880 n’est seulement rétabli qu’en 1906. C’est aussi à cette période où les ouvriers s’organisent face aux élites sociales, notamment la bourgeoisie d’affaires, ancrée dans le capitalisme industriel et financier des entreprises, ou face à la petite bourgeoisie aspirant à s’élever socialement. Les ouvriers prennent conscience qu’ils sont opprimés par les élites :
le mouvement ouvrier s’organise de plus en plus contre cette société dominante et devient un mouvement à part entière en créant ses propres journaux, écoles du soir et en définissant des valeurs qui lui sont propres.
Progrès scientifique et libéralisation des médias
Avec la Révolution française, l’industrialisation et la montée du libéralisme, le XIXe siècle permet un renouvellement des idées, une modernisation de la société tout en engendrant des progrès scientifiques majeurs. Le XIXe siècle est la continuité au niveau intellectuel et scientifique du siècle des Lumières étant donné que l’idéologie du progrès est l’idéologie primordiale qui rythme le XIXe siècle. La science, durant la première moitié du XIXe siècle, est institutionnalisée et réorganisée dans de grandes écoles comme l’ENS dès 1794, Polytechnique dès 1795, des Universités, des musées d’histoire naturelle, qui aménage des observatoires, des laboratoires ou encore des bibliothèques. Ces lieux permettent aux chercheurs un meilleur cadre de travail et, in fine, de favoriser le développement de la science. Par rapport au XVIIIe, le XIXe siècle ne cherche pas seulement à accumuler des connaissances en les triant mais à les affiner. Les chercheurs prennent pour habitude de peser, de classer, de mesurer les éléments observés. Ainsi, la multiplication et la qualité des mathématiciens engendre des progrès en arithmétique, la physique mathématique apparaît au grand jour notamment avec Joseph Fournier qui, dans sa Théorie analytique de la chaleur, pose les bases de la propagation de la chaleur. La chimie reste tout aussi importante en raison des travaux de Pelletier et Caventou qui réaffirme la théorie atomique, où la matière est entourée d’atomes spécifiques, indestructibles et indivisibles. Ces années sont des années importantes pour la recherche dans la mesure où par une meilleure compréhension et plus précise des phénomènes, la science se perfectionne tout en permettant l’avènement d’une société plus moderne. Les évolutions scientifiques les plus emblématiques du XIXe siècle sont celles touchant à la santé.
Ainsi, Louis Pasteur (1822-1895) prouve le rôle des micro-organismes dans la fermentation et affirme le rôle des microbes dans la propagation des maladies infectieuses : en s’appuyant sur l’expérimentation (affirmer une hypothèse par l’expérience) il
créé en 1879 le principe scientifique de la vaccination et le concrétise avec la mise au point du vaccin contre la rage en 1885. Le premier vacciné est un enfant alsacien du nom de Joseph Meister, garçon mordu 14 fois par un chien. En 10 jours, celui-ci en recevant 13 injections, ne développera plus jamais la rage. Grâce à cette réussite, des « mordus » de France ou de l’étranger, se rendent à l’École normale supérieure et pour faire face à cette foule, Pasteur crée en 1887 l’institut Pasteur pour la recherche médicale, le traitement des maladies ou comme un lieu de vaccinations. Ces améliorations médicales ont permis de mieux
maîtriser les autres maladies infectieuses, de réduire la mortalité infantile, d’augmenter l’espérance de vie à 50 ans à la fin du XIXe siècle, etc. De plus, la vaccination a été tout autant bénéfique pour le monde ouvrier étant donné qu’ils étaient entassés dans des conditions insalubres, travaillaient dans des environnements pollués et donc étaient plus vulnérables aux maladies telles que la variole, le choléra ou encore la tuberculose. L’invention du vaccin permet aux ouvriers de rester en bonne santé, d’éviter l’absentéisme, de continuer à générer des gains de production tout en amenant une véritable réflexion sur les conditions de vie des classes populaires, notamment sur les règles d’hygiène et de sécurité. Une loi française de 1898 crée une assurance contre les accidents de travail tout en faisant porter la charge sur les patrons.
L’industrialisation, les découvertes scientifiques, contribuent au foisonnement de la culture, plus particulièrement la culture des médias. La société du XIXe siècle est touchée par le recul de l’analphabétisme en raison de l’extension de l’instruction avec les lois Forster en 1870 en Angleterre ou les lois Jules Ferry entre 1880 et 1881 en France, rendant gratuite et obligatoire l’école primaire. De plus, grâce à la révolution des transports, la circulation des informations est plus aisée grâce à l’invention du télégraphe. Cette instruction et la transmission des informations donnent lieu à l’apparition d’une presse populaire, qui est de bon marché et largement diffusée. En France, Le Petit Journal, premier journal populaire au prix de 5 centimes naît en 1863 par le banquier Millaud. Ce premier journal est un succès : en 1863 plus de 38 000 exemplaires sont tirés et en 1887, il est le premier journal au monde à atteindre le million d’exemplaires. Dans cette frénésie de la presse écrite, la guerre de Crimée de 1853 à 1856, opposant l’Empire russe face à une coalition formée de l’Empire ottoman, de l’Empire Français, du RoyaumeUni et du royaume de Sardaigne, a donné lieu aux premières photographies de guerre. Deux journalistes avaient été envoyés par la Reine Victoria, il s’agit de Roger Fenton puis de James Robertson. Ces deux photographes ont pour mission de montrer la guerre de Crimée comme une guerre propre : aucune photographie de blessés, morts, de combats ne sont diffusés dans la presse. L’opinion publique étant très hostile à ce conflit, la photographie doit donc donner une image positive de cette guerre. Ainsi, les deux photographes diffusent plutôt des images des soldats et officiers au repos dans le camp. La guerre de Crimée est donc une guerre censurée dans la mesure où la population ayant davantage accès à la presse, celle-ci peut plus facilement influencer l’opinion publique. Toutefois, la fin du XIXe siècle est marquée par la liberté de la presse, loin de la censure des pouvoirs politiques. Après la chute de Napoléon III à Sedan en 1870, la proclamation de la IIIe République le 4 septembre 1870 cherche à rétablir une société fondée sur des principes démocratiques. Les gouvernements républicains assurent aux citoyens des droits fondamentaux : entre 1879 et 1884, de nombreuses lois furent adoptées notamment celles sur la liberté de la presse. La société du XIXe siècle se libéralise en matière de journalisme : la loi du 29 juillet 1881 assure un régime libéral pour la presse. Cette loi dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Par cette mesure, il s’agissait de garantir une liberté d’expression tout en faisant disparaître tout ce qui pourrait s’apparenter à de la censure.
Une du premier exemplaire du Petit Journal paru en 1863.
L’Europe
des nationalismes et des nouvelles puissances
Cassidy DIJOUX
Le « printemps des peuples » est une vague révolutionnaire qui se propage au sein de l’Europe en 1848. Cette période est aussi marquée par une poussée du nationalisme chez certains peuples qui ne sont pas encore unifiés. Cette émergence du nationalisme redessine les frontières de l’Europe qui reste profondément monarchique. Ce modèle politique reste dominant car il représente l’unification nationale autour d’une seule personne qui joue le rôle d’arbitre. Ce moment de bascule entre l’Ancien Régime et l’époque contemporaine
construit les concepts libéraux et nationaux qu’on retrouve tout au long du XIXe et XXe siècle. Le nationalisme est un terme qui change au cours du XIXe siècle. En premier lieu, il s’agit du sentiment d’appartenance au sein d’une communauté à travers son histoire ou sa langue qui se délimite par des frontières cohérentes. Plus tard, il s’agit d’une exaltation du sentiment national et d’une prédominance de la nation par rapport aux autres. Ce concept est né au moment de la Révolution française et connaît un premier écho en Europe.
Otto von Bismarck photographié en 1890
« Les guerres napoléoniennes jouent un rôle clé dans l’unification des États, en renforçant la volonté de faire nation face à une menace extérieure. »
Émergence du nationalisme
L’éveil des nations traduit la volonté de reconnaissance des droits au sein d’un État-nation, unifiant gouvernement, territoire et population supposée homogène. Cependant, ce modèle est à nuancer, car de nombreuses populations vivent encore dans des empires multinationaux. Au XIXe siècle, il s’agit de légitimer l’État-nation et d’exalter des valeurs nationales. Ainsi, les Hongrois cherchent à se réunir autour de leur histoire commune, perdue après l’annexion de leur royaume au XVIe siècle. En 1817, leurs élites redécouvrent leur passé médiéval avant leur intégration à l’Empire autrichien. La nation est alors perçue comme une communauté unie, indépendamment du souverain, de la religion ou du statut social. En France, le nationalisme repose sur un contrat citoyen fondé sur un héritage historique et un projet collectif. En revanche, le modèle germanique, théorisé par Fichte en 1807, définit la nation selon des critères culturels, ethniques et religieux. Issue des guerres napoléoniennes, cette conception repose sur une langue commune, une culture partagée et la religion luthérienne. Dans les années 1890, Otto von Bismarck lance la politique du Kulturkampf, visant à réduire l’influence catholique en Allemagne. Dès les années 1860, le nationalisme évolue vers l’exaltation d’une nation supérieure, accompagnée de xénophobie, de racisme et de l’isolement économique. Cette radicalisation est illustrée par l’affaire Dreyfus en France : accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne, ce général alsacien et juif est condamné à tort en 1894, dans un contexte de revanche post-guerre de 1870. Son procès divise profondément la société entre dreyfusards et antidreyfusards avant sa grâce présidentielle et la reconnaissance de son innocence par l’armée un siècle plus tard. Parallèlement, l’Empire ottoman réprime violemment les Arméniens, en raison de leurs revendications autonomistes. Entre 1894 et 1896, entre 110 000 et 130 000 Arméniens, toutes confessions confondues, sont massacrés. Pour étouffer toute révolte, le pouvoir central instrumentalise des bandits pour terroriser les campagnes arméniennes.
La formation de nouveaux
forçant la volonté de faire nation face à une menace extérieure. L’unification allemande s’opère en plusieurs étapes, autour de la langue commune, pour unifier les 38 États de la Confédération germanique, incluant l’Empire d’Autriche en 1815. La presse et les étudiants sont les moteurs de ce mouvement : en 1817, lors des 300 ans de Luther et des trois ans de la bataille des Nations, 20 000 étudiants brandissent des drapeaux tricolores à Wartburg. Bien que pacifique au départ, cette révolution devient plus radicale. La Märzrevolution éclate en 1848 à Prague le 11 mars, à Vienne le 13 mars et à Budapest le 17 mars, entraînant l’abdication du Kaiser Ferdinand Ier. Des figures comme Kossuth réclament l’indépendance hongroise, mais la révolte est écrasée par l’Autriche et la Russie en août 1849. Une tentative de régime parlementaire avec le Vor-Parlement de Francfort (1848-1849) échoue lorsque le roi de Prusse refuse la couronne allemande. En 1861, Guillaume Ier devient roi de Prusse et nomme Otto von Bismarck Premier ministre, amorçant la dernière phase de l’unification.
États
Les guerres napoléoniennes jouent un rôle clé dans l’unification des États, en ren-
Otto von Bismarck cherche à unifier l’Allemagne sous l’égide de la Prusse, multipliant les conflits. Après avoir attaqué le Danemark, il obtient, en 1866, la neutralité de Napoléon III avant de vaincre l’Autriche à Sadowa. En 1870, il défait la France à Sedan, entraînant l’annexion de l’Alsace et de la Moselle. L’unité allemande est proclamée en 1871, avec un empire constitutionnel où le Kaiser conserve le pouvoir. L’unification se poursuit avec le Zollverein, supprimant les taxes douanières internes, et le Bureau impérial des chemins de fer, harmonisant les horaires ferroviaires. Le mark devient la monnaie nationale en 1871. Bismarck impose une germanisation des minorités, notamment en Alsace, où l’allemand devient la langue administrative et les noms français sont bannis. En 1910, 400 000 immigrés allemands y résident, soit 1 Alsacien sur 6. Le Kaiser Guillaume Ier incarne l’unité du Second Reich en instaurant une fête nationale le 2 septembre, célébrant la victoire de Sedan. L’élan nationaliste culmine en 1883 avec l’inauguration du Niederwalddenkmal, statue de douze mètres symbolisant l’Allemagne unifiée. Au XIXe siècle, l’Italie est divisée entre plusieurs royaumes : un Sud absolutiste, un centre sous contrôle papal, et un Nord-Est partagé entre deux royaumes. La Révolution française et l’occupation napoléonienne font émerger le Risorgimento, mouvement initié par Gioberti en 1847, prônant une unité politique, économique et culturelle. L’italien étant peu pratiqué, l’unité repose sur un compromis entre les monarques piémontais et les libéraux. L’unification débute en 1848 avec une vague constitutionnelle et les Cinq jours de Milan du 18 au 22 mars, où des nationalistes se révoltent contre l’Autriche. En 1849, deux Républiques voient le jour : la République romaine, dirigée par Mazzini, et la République de Saint-Marc. Garibaldi, mercenaire et chef militaire, mène les combats. Le pape tente une unité sous son autorité, mais échoue face à la montée du mouvement nationaliste. Après le Congrès de Vienne, qui réprime le nationalisme, Louis-Napoléon Bonaparte rétablit le pape en avril 1849. L’Italie, dont la Vénétie est sous contrôle autrichien depuis le Congrès de Vienne, mène trois guerres d’indépendance contre l’Empire des Habsbourg. La première, de 1848 à 1849 voit le Piémont-Sardaigne soutenir le soulèvement milanais en Lombardie-Vénétie, mais se solde par des défaites au cours de l’année. Malgré cet échec, c’est le premier effort collectif italien. En 1859, Cavour déclenche la deuxième guerre, avec l’appui de
L’Attaque de Malakoff, lithographie de William Simpson, 1855, conservée à la Bibliothèque du Congrès américain.
Napoléon III. La victoire de Solférino permet l’annexion de la Lombardie, tandis que Garibaldi chasse les Bourbons du sud en 1860. En 1861, Victor-Emmanuel II proclame le Royaume d’Italie, cédant Nice et la Savoie à la France pour obtenir son soutien. La dernière guerre en 1866 permet d’annexer Venise grâce à une alliance avec la Prusse contre l’Autriche. En 1870, après la défaite française, l’Italie s’empare des États pontificaux, faisant de Rome sa capitale. Le pape, se déclarant « prisonnier », excommunie Victor-Emmanuel II. Ce conflit, la « question romaine », est résolu en 1929 avec les accords de Latran, sous le régime fasciste de Mussolini.
La subsistance de grands empires
L’Empire autrichien, dirigé par François-Joseph Ier de 1848 à 1916, est un État multiethnique vieux de 800 ans. Les Autrichiens ne représentent que 24 % de la population, aux côtés d’Italiens, de Hongrois, de Tchèques, de Roumains, de Polonais et d’autres minorités. Le multilinguisme inquiète le pouvoir, car ces ethnies cohabitent sans unité linguistique, religieuse ou territoriale. En 1848, les Hongrois tentent de se détacher de l’Empire des Habsbourg, mais leur révolte est écrasée par les Russes. Jusqu’en 1867, leur
langue est interdite. Après la défaite contre la Prusse en 1866, l’Autriche se recentre et adopte le compromis austro-hongrois, créant une double monarchie avec deux parlements : Cisleithanie (Autriche) et Transleithanie (Hongrie) en 1867.
L’Empire ottoman, surnommé « l’homme malade de l’Europe », est en déclin face aux grandes puissances. Le sultan dispose d’un double pouvoir : le sultanat, qui lui confère des pouvoirs politiques et le califat, qui lui procure le pouvoir religieux. L’empire, multiethnique, protège certaines minorités : des Juifs, des Arméniens, des Orthodoxes et des Chrétiens en échange de taxes. L’ère des Tanzimat débute en 1839 pour moderniser l’État sous influence occidentale. Une justice égale pour tous est instaurée, indépendamment de la religion, et l’administration est réformée concernant l’armée, les impôts et la justice. Après la
guerre de Crimée de 1853 à 1856, le sultan, en échange de son intégration à la diplomatie européenne, établit l’égalité entre musulmans et non-musulmans. En 1856, de nouvelles réformes introduisent des lycées, l’imprimerie et les armes à feu, mais sans modifier les fondements politiques. L’aide financière étrangère, censée stabiliser l’Empire, le rend en réalité dépendant des puissances européennes.
En 1865, le mouvement des Jeunes-Turcs conteste la modernisation et exige une constitution. En 1876, après la destitution du sultan Abdulaziz, son neveu Abdülhamid II accède au pouvoir et promulgue la première constitution ottomane sous pression européenne. Cependant, en 1878, il dissout l’Assemblée nationale, l’accusant d’être responsable de la défaite contre la Russie. En 1889, une société secrète réclame le rétablissement de la
constitution de 1876, mais Abdulhamid II conserve son pouvoir absolu. Après des mutineries militaires (1908), il abdique et est remplacé par Mehmet V, rétablissant la constitution. Le mouvement « Al-Fatat » réclame à son tour l’indépendance des Turcs en 1911. L’empire, affaibli, perd la Roumanie, la Serbie, ainsi que l’Égypte et la Tunisie à la fin du XIXe siècle.
Au XIXe siècle, l’Empire russe, dernière grande puissance impériale, cherche à s’étendre vers l’Ouest pour s’affirmer comme une puissance européenne. Son principal défi est l’absence de frontières naturelles, nécessitant la création d’un glacis défensif. Le tsar Nicolas Ier, autocrate orthodoxe, prône l’unification des Slaves sous son autorité. En 1861, l’oukase, un édit du tsar, du 19 février abolit le servage, offrant aux serfs leur liberté et la possibilité d’acheter leurs terres via un prêt sur 49 ans. Cependant, en 1885, plus de la moitié de la population reste asservie. Après sa défaite en Crimée, la Russie entreprend des réformes institutionnelles et économiques pour se moderniser. L’industrialisation accroît les tensions sociales, les bourgeois restant exclus du pouvoir détenu par l’aristocratie. La violence politique s’intensifie avec l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881 et de figures clés comme le Premier ministre Stolypine en 1911, marquant une instabilité croissante.
Un autre conflit accélère le déclin de l’Empire russe : la guerre contre le Japon pour le contrôle de la Mandchourie, territoire stratégique en bordure de la Chine. Dès 1860, la Russie s’installe à Vladivostok, mais en 1895, le traité de Shimonoseki expulse ses troupes sous la pression japonaise. Cette défaite, aggravée par l’impact sur l’industrie sidérurgique, affaiblit l’image du tsar et alimente les révoltes de 1905. Le 22 janvier 1905, une manifestation générale est brutalement réprimée, entraînant 3000 exécutions entre 1906 et 1909. Sous pression, le tsar accorde une constitution instaurant un régime parlementaire, mais celui-ci est rapidement vidé de son sens : seules les élites peuvent siéger à la Douma, la Chambre des députés russe, en 1906, signant l’échec du parlementarisme. En 1917, face aux révoltes, la dynastie Romanov est renversée, laissant place à un régime parlementaire, prélude à la révolution bolchevique.
A travers cet article et les exemples mentionnés, on peut observer la création des nouvelles puissances européennes avant la Première Guerre mondiale. Tout d’abord, il peut s’agir d’une unification autour de la culture comme l’unification hongroise. Il peut également traiter de la volonté de réunir tous les peuples d’une même ethnie au sein d’un territoire cohérent comme le projet de Bismarck. Mais ces indications peuvent détruire d’autres formes de régimes mis en place depuis des siècles comme l’unification hongroise dans l’Empire Habsbourg ou encore le nationalisme turc au sein de l’empire ottoman ou la crise russe qui met en place un régime parlementaire. De nouveaux États se forment comme l’Italie, l’Allemagne ou encore la Belgique, ce qui change la géographie européenne. Après 1848, aucune nation d’un point de vue politique existe mais l’émergence de la nationalité y compris les régimes autoritaires montre une évolution politique qui commence en France et qui se termine au cours du XXe siècle. La monarchie reste le modèle politique dominant mais ce régime se parlementarise dans les jeunes États unifiés au cours du XXe siècle. Les processus d’unification se concrétisent lors du XXe siècle après la Première Guerre mondiale et permettent de comprendre les relations au sein de l’Europe contemporaine.
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COMMENT UNE PETITE CITÉ SITUÉE SUR LES RIVES DU TIBRE EST-ELLE DEVENUE LE CŒUR D’UNE CIVILISATION QUI A PROFONDÉMENT MARQUÉ L’HISTOIRE ? AUX FRONTIÈRES ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ, LA FONDATION DE ROME INTRIGUE ET FASCINE DEPUIS DES SIÈCLES. LES RÉCITS LÉGENDAIRES, COMME CELUI DE ROMULUS ET RÉMUS, S’ENTRELACENT AVEC LES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES ET LES ANALYSES HISTORIQUES POUR OFFRIR UNE PERSPECTIVE UNIQUE SUR LES ORIGINES DE CETTE CITÉ ÉTERNELLE. À TRAVERS CES RÉCITS, UNE VISION SE DESSINE : CELLE D’UNE VILLE QUI, DÈS SES PREMIERS JOURS, SEMBLAIT DESTINÉE À LA GRANDEUR. FONDÉE, SELON LA TRADITION, EN 753 AVANT J.-C., ROME N’ÉTAIT AU DÉPART QU’UN MODESTE REGROUPEMENT DE VILLAGES NICHÉS SUR LES COLLINES DU PALATIN ET DE L’AVENTIN. CES PREMIÈRES COMMUNAUTÉS, BIEN QU’ÉTANT DE SIMPLES VILLAGES, ÉTAIENT DÉJÀ DOTÉES D’UNE POSITION GÉOGRAPHIQUE STRATÉGIQUE AU CŒUR DE LA PLAINE DU LATIUM, QUI JOUA UN RÔLE CENTRAL DANS LEUR EXPANSION. GRÂCE À UNE COMBINAISON D’ATOUTS NATURELS, D’ÉCHANGES CULTURELS ET D’UNE VOLONTÉ POLITIQUE REMARQUABLE, ROME SE TRANSFORMA RAPIDEMENT EN UN CENTRE DE POUVOIR ET D’INFLUENCE. ÉTUDIER SES ORIGINES, C’EST AUSSI COMPRENDRE LES BASES SUR LESQUELLES CETTE PUISSANCE S’EST ÉDIFIÉE.
CET ARTICLE EXPLORE LES FONDEMENTS DE LA GRANDEUR ROMAINE À TRAVERS TROIS AXES PRINCIPAUX : LES MYTHES QUI ENTOURENT SA CRÉATION, SES DÉBUTS HISTORIQUES CONCRETS ET LES FACTEURS CLÉS QUI ONT PERMIS SON ESSOR. ENTRE LÉGENDE ET RÉALITÉ, CETTE EXPLORATION DES ORIGINES DE ROME DÉVOILE LES RACINES PROFONDES D’UNE CIVILISATION QUI A MARQUÉ À JAMAIS L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ. ELLE MET EN LUMIÈRE COMMENT DES RÉCITS MYTHIQUES ET DES DÉCISIONS PRAGMATIQUES ONT FORGÉ UNE CITÉ ÉTERNELLE.
JULES COCHET
les origines d’une cité éternelle
La louve capitoline, sculpture en bronze réalisée à la fin du Moyen Âge, conservée au Musée du Capitole à Rome.
Le mythe fondateur a fondation de Rome, telle qu’elle nous est parvenue, mêle étroitement légende, symbolisme et aspirations collectives. Selon la tradition rapportée par des auteurs antiques tels que Denys d’Halicarnasse et Tite-Live, l’histoire commence avec Romulus et Rémus, jumeaux nés de l’union du dieu Mars et de Rhéa Silvia, une vestale vouée à la chasteté. Condamnés à être abandonnés sur les eaux du Tibre par leur oncle Amulius, les deux enfants furent miraculeusement sauvés par une louve, symbole puissant de force et de protection, qui les allaita dans la grotte Lupercale. Cette scène emblématique a traversé les siècles, incarnant les débuts héroïques de Rome. Plus tard, un berger nommé Faustulus les recueillit et les éleva avec son épouse Laurentia, leur offrant un cadre simple mais propice à leur épanouissement.
En grandissant, Romulus et Rémus décidèrent de fonder une ville à l’endroit même de leur sauvetage. Toutefois, une dispute éclata entre les deux frères, portant à la fois sur l’emplacement exact et sur le rôle de dirigeant. Ce conflit, profondément symbolique, culmina avec le meurtre de Rémus par Romulus. Cet acte dramatique, bien que tragique, est souvent interprété comme un sacrifice nécessaire pour assurer l’unité et la stabilité de la cité naissante. En 753 avant J.-C., Romulus traça les premières limites de Rome avec une charrue sacrée, un rituel marquant le caractère sacré de la ville et symbolisant les bases de son organisation future. Le Pomerium, par ses limites sacrées, délimitait l’espace protégé par les dieux, où toute violence était
Les récits entourant cette fondation ne sont pas de simples contes, mais des outils de légitimation politique et culturelle. En attribuant à leur cité une origine divine et héroïque, les Romains cherchaient à renforcer leur identité collective et à justifier leur domination croissante. Le courage, la piété et le sens du devoir, incarnés par ces récits, reflétaient les valeurs fondamentales de la société romaine et inspiraient un sentiment d’appartenance partagé.
La symbolique de la louve allaitant les jumeaux est devenue un emblème universellement associé à Rome, représentant à la fois la protection maternelle, la résilience et la puissance brute. De même, le geste de Romulus traçant
le Pomerium, les limites sacrées de la ville, souligne l’importance des rites religieux dans la structuration politique et sociale de Rome. Ces mythes fondateurs expriment une vision où religion et tradition se mêlent pour cimenter l’identité d’une communauté en plein essor.
Enfin, l’histoire de Romulus et Rémus transcende son caractère légendaire pour révéler les aspirations et les défis d’une société en formation. Ce récit reflète les tensions entre fraternité et rivalité, unité et individualité, tout en offrant une base idéologique puissante. Aujourd’hui encore, ce mythe continue d’alimenter l’imaginaire collectif et de rappeler les origines extraordinaires d’une cité destinée à devenir éternelle. Rome, dès sa fondation, portait en elle les germes d’une ambition qui redéfinit le monde antique. Les débuts historiques de Rome
Au-delà des récits mythiques qui entourent sa fondation, les débuts historiques de Rome s’appuient sur des faits et des découvertes archéologiques qui éclairent les premières étapes de son développement. Fondée au VIIIe siècle avant J.-C., Rome était au départ un regroupement de villages situés sur les collines bordant le Tibre. Parmi ces collines, le Palatin occupait une position centrale en raison de sa hauteur stratégique et de sa proximité avec le fleuve. Ces hauteurs naturelles, offrant protection et points d’observation, étaient idéales pour établir des habitations durables.
Les premières communautés, composées principalement de pasteurs et d’agriculteurs, vivaient dans des cabanes rudimentaires faites de bois et de torchis. Les fouilles réalisées sur le Palatin ont révélé ces structures, confirmant la simplicité des débuts de Rome. Cependant, malgré leur modestie, ces villages bénéficiaient d’une organisation sociale naissante et d’un environnement géographique avantageux. Le Tibre, artère essentielle, jouait un rôle clé en assurant un approvisionnement en eau, en facilitant les échanges commerciaux et en reliant Rome aux autres communautés du Latium et au-delà.
L’influence des Étrusques fut déterminante dans l’évolution de ces communautés vers une cité plus structurée. Ce peuple voisin, établi au nord de Rome, apporta des avancées significatives en matière d’urbanisme, d’architecture et de gestion politique.
L’introduction de l’arc en architecture, par exemple, permit des constructions plus solides et plus ambitieuses. De même, des infrastructures comme le Cloaca Maxima, un système d’égouts destiné à drainer les zones basses de la ville, témoignent de cette influence technique. Les Étrusques jouèrent également un rôle dans l’instauration des premiers rites religieux et dans l’organisation politique, comme en témoigne la liste des premiers rois de Rome, dont certains étaient probablement d’origine étrusque.
Par ailleurs, les échanges culturels avec d’autres peuples de la Méditerranée, notamment les Grecs établis dans le sud de l’Italie, enrichirent considérablement la culture romaine naissante. Les Grecs introduisirent l’écriture, certaines pratiques religieuses et des éléments artistiques, contribuant ainsi à la formation d’une identité hybride et dynamique. Ces interactions permirent aux Romains d’assimiler des savoirs et des techniques qui posèrent les bases de leur future expansion. Ainsi, les débuts historiques de Rome ne se résument pas à un simple regroupement de villages. Ils reflètent un processus d’adaptation, de fusion culturelle et d’innovation. Cette période de formation, bien que marquée par la simplicité, contenait déjà les germes d’une organisation complexe et d’une ambition qui permirent à Rome de se développer et d’affirmer sa place dans l’histoire. Les premières fondations de la cité témoignent d’une intelligence stratégique et d’une capacité à tirer parti des influences extérieures, des atouts qui définissent la grandeur future de Rome. Les facteurs de croissance La transformation de Rome, d’un regroupement de modestes villages en une puissance régionale, s’explique par une combinaison unique de facteurs géographiques, politiques, militaires et culturels. Ces éléments interconnectés ont permis à Rome de se développer rapidement et de poser les bases d’une domination durable. L’emplacement stratégique de Rome fut l’un des moteurs principaux de sa croissance. Située au carrefour de routes commerciales terrestres et fluviales, la ville contrôlait les échanges entre le nord et le sud de la péninsule italienne. Le Tibre, navigable sur une grande partie de son cours, facilitait le transport des marchandises et offrait une source d’eau indispensable. Par ailleurs, la proximité de la mer
Tyrrhénienne permettait des contacts avec d’autres cultures tout en offrant une protection contre les incursions maritimes. Sur le plan politique, Rome se distingue par son système républicain, introduit après la chute des rois étrusques. Ce modèle politique offrait une organisation stable et adaptable. Le Sénat, institution clé, jouait un rôle central dans la gestion des affaires publiques, tandis que les magistrats élus garantissaient une certaine représentativité. Cette structure maintenait un équilibre entre le pouvoir des élites et les besoins de la population.
L’intégration des peuples conquis fut un autre facteur crucial. Contrairement à d’autres cités-États, Rome adoptait une approche inclusive, en accordant progressivement des droits de citoyenneté ou en établissant des alliances. Cette politique d’intégration renforçait la loyauté des territoires annexés et minimisait les risques de révolte. Comme l’écrit l’historien André Piganiol, « Rome n’était pas seulement une conquérante, mais une fédératrice des peuples ».
Militairement, Rome possédait une armée redoutable, caractérisée par sa discipline, son organisation et sa capacité d’innovation. Les légions, constituées de soldats entraînés et bien équipés, étaient flexibles et pouvaient s’adapter à différents types d’ennemis et de terrains. Les Romains adoptaient et perfectionnaient souvent les tactiques de leurs adversaires, renforçant ainsi leur efficacité sur le champ de bataille. Cette force militaire joua un rôle clé dans l’expansion territoriale et la sécurisation des frontières.
Enfin, les infrastructures romaines contribuèrent directement à l’unité et à la prospérité de l’Empire. Les routes pavées, comme la Via Appia, facilitaient non seulement le déplacement rapide des troupes, mais également le commerce et la communication entre les provinces. Les aqueducs, quant à eux, apportaient de l’eau en abondance dans les villes, améliorant les conditions de vie et soutenant une population en pleine expansion. Ces réalisations techniques témoignent de l’ingéniosité romaine et de leur capacité à planifier sur le long terme. Ainsi, la croissance de Rome repose sur un équilibre subtil entre pragmatisme, innovation et vision stratégique. Cette combinaison unique d’atouts transforma une cité modeste en le centre d’un empire dont l’influence continue de se faire sentir à travers les siècles.
Rome, qu’elle soit perçue à travers ses récits légendaires ou ses origines historiques, incarne l’essence d’une civilisation qui a su transcender les époques. Ses fondations, mêlant mythes édifiants et réalités pragmatiques, offrent une leçon universelle sur la résilience, l’ambition et la vision humaine. Le mythe de Romulus et Rémus, bien qu’imprégné de symbolisme, forgea une identité collective forte, unifiant les Romains autour de récits porteurs de sens et de fierté. Parallèlement, les débuts historiques de la ville témoignent de l’ingéniosité avec laquelle ses habitants exploitèrent un environnement favorable tout en assimilant des influences culturelles variées.
Ce qui distingue Rome, cependant, ce
n’est pas seulement ses origines, mais aussi sa capacité à se réinventer tout en demeurant fidèle à ses valeurs fondatrices. Les facteurs ayant soutenu son essor, intégration des peuples conquis, infrastructures avancées, discipline militaire et institutions politiques innovantes, ont permis à Rome de se développer rapidement et de poser les bases d’une domination durable. Ces éléments témoignent de la capacité de Rome à s’adapter aux dynamiques sociales et territoriales, bien que ces mêmes dynamiques aient parfois révélé des limites dans sa gestion. Ces éléments expliquent pourquoi Rome ne fit pas seulement croître son influence, mais domina le monde antique, posant les bases d’un héritage durable.
Rome, dans sa complexité, incarne une leçon intemporelle : les grandes civilisations naissent de la conjonction de multiples forces. Elle démontre qu’un équilibre entre tradition et innovation, ancrage local et ouverture universelle, est essentiel pour bâtir une puissance durable. Aujourd’hui encore, son héritage perdure dans nos institutions démocratiques, nos systèmes juridiques et notre culture. Elle continue d’alimenter les imaginaires collectifs et de rappeler combien les leçons du passé éclairent le présent. Ainsi, l’histoire de Rome dépasse celle d’une simple ville. Elle est le récit d’un modèle de civilisation qui sut conjuguer mythe et réalité, puissance et résilience, pour devenir un symbole intemporel de grandeur et d’innovation. Rome ne fut pas seulement une cité : elle demeure une inspiration, un miroir de l’humanité dans ce qu’elle a de plus ambitieux et de plus durable.
La naissance de Romulus et Rémus, peinture à l’huile sur toile de Nicolas Mignard, 148,5 cm × 145,1 cm, 1654, conservée au Musée d'histoire de l’Art de Dallas.
“En préservant la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, nous nous efforçons de préserver la paix“
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Dossier de presse
Dossier de presse Their memory, c’est quoi ?
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Histoire, missions, projets
La bataille des trois empereurs
« ENFIN, LE SOLEIL PARUT, ET, DISSIPANT LES BROUILLARDS, INONDA DE CLARTÉ CE VASTE CHAMP DE BATAILLE. C’ÉTAIT LE SOLEIL D’AUSTERLITZ, SOLEIL DONT LE SOUVENIR RETRACÉ TANT DE FOIS À LA GÉNÉRATION PRÉSENTE, NE SERA SANS DOUTE JAMAIS OUBLIÉ DES GÉNÉRATIONS FUTURES »(10), CE SONT LES MOTS QU’UTILISA L’HISTORIEN THIERS POUR DÉCRIRE CETTE BATAILLE AUX CONSÉQUENCES DURABLES. AINSI À L’AUBE D’UN NOUVEAU SIÈCLE, LA GUERRE EST DE NOUVEAU PRÉSENTE. UNE NOUVELLE FOIS ORGANISÉE PAR L’ANGLETERRE AVEC SA TROISIÈME COALITION (RUSSIE, AUTRICHE, ANGLETERRE, NAPLES, SUÈDE), LA GUERRE EST DÉCLARÉE EN AOÛT 1805. COMMENT NAPOLÉON A ALORS SU MENER SES HOMMES AU COMBAT FÉROCE D’AUSTERLITZ ? COMMENT CETTE BATAILLE, RÉSULTAT DE DEUX MOIS DE STRATÉGIE MILITAIRE, A-T-ELLE AMENÉ LA LÉGITIMÉ QUI MANQUAIT À NAPOLÉON SUR SON TRÔNE DANS LE MONDE DE SON ÉPOQUE ?
a stratégie vient alors du grec stratos et ageîn, signifiant armée et conduire. Napoléon évoque : « La stratégie est l’art des plans de campagne et la tactique, l’art des batailles »(11). Le 23 août 1805, Autrichiens et Russes avancent. Les plans de débarquement en Angleterre échouent. De plus, les Autrichiens prennent Ulm en Bavière et en font le centre de leur quadrilatère stratégique. Ils menacent la frontière mais ils cèdent par la rapidité, la diversion et le mouvement sur les arrières des Français. La ville et
ALEXIS GERBET
les 25 000 hommes de Mack se rendent le 20 octobre. Les Français avaient atteint le Rhin en moins de deux semaines (25 septembre). Ils ont donc mis en moins d’un mois hors de combat un tiers de l’armée autrichienne. Ulm est l’exemple du non-affrontement pour celui d’un encerclement. Les restes de l’armée autrichienne se retirent sur le Danube pour rejoindre les Russes, qui étaient encore loin. De la fin octobre jusqu’à mi-novembre, commence une poursuite contre Koutouzov, le général en chef russe. Les combats de l’arrière-garde de Bagration ont du suc-
cès mais le 13 novembre, Vienne est prise. Napoléon pensait que si une capitale tombait cela amènerait à une bataille décisive qui clôturerait la guerre et apporterait la paix. Malgré cela, les Russes se replient vers le Nord. Napoléon établit son quartier général à Brünn, à l’intermédiaire de la route Vienne-Olmütz. Commence une politique d’observation des deux côtés, soit jusqu’à fin novembre. Les Austro-Russes, rejoints par leurs renforts, se préparent à Olmütz et les Français à Brünn. Reconnaissance, préparation tactique et diffusion de fausses informations, la
François Gérard, Napoléon à la bataille d'Austerlitz, peinture à l’huile sur toile de 1810, 510 cm x 958 cm, conservée au Musée national du château de Versailles.
stratégie est terminée.
Toutefois, pour comprendre une armée, avant d’analyser la tactique, il faut d’abord étudier les soldats et leurs chefs. On voit alors dans les mœurs de l’époque, deux oppositions : la jeunesse en quête de gloire et de l’autre, celle des traditions aspirant à l’équilibre. Le combat des idées face à celui des têtes couronnées. Forcément, l’engouement n’est pas le même côté français ou du côté des soldats de la Coalition. Au lever de la Révolution, celle des Droits de l’Homme, font apparaître ces mots : Liberté et Égalité. Malgré la force de la loi Jourdan qui dicte que « Tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie »(12), le réservoir français voulait en effet garantir ses idéaux et les faire traverser les frontières. C’est un patriotisme et une sorte de nationalisme qui émergent. Ils sont formatés après leurs années au camp de Boulogne et grâce à la propagande. Face à eux, les soldats des Coalisés. Eux, ont des armées de métier et de volontaires. Il n’existait pas de conscription universelle mais des tirages au sort. Se bat alors une classe qui n’a pas excessivement de valeur au combat mais aucune généralité n’est à faire. Les systèmes sont féodaux, absolutistes, centralisés et où les privilèges sont encore présents comme en Autriche ou en Russie. Cela laisse donc peu de place aux idées d’émancipation et d’évolution de la condition des petites gens, qui voient de plus, un peuple venu de l’Ouest arriver avec des idées nouvelles. Cette corrélation d’un État aux pouvoirs démesurés mais qui ne lutte pas forcément dans l’intérêt de sa population et d’un esprit libertaire, amènent à un manque d’envie de se battre. Hugo disait en son époque : « On résiste à l’invasion des armées ; on ne résiste pas à l’invasion des idées » (13)
Les belligérants ont des principes et des chefs bien différents. Les Français ont des jeunes gradés davantage issus des classes populaires, le maréchal Murat est fils d’aubergiste par exemple. Beaucoup de généraux ont été nommés dans la trentaine, Napoléon l’a été à 24 ans. C’est une modernisation, la jeunesse contrôle cette entité ancestrale et sacrée : l’armée. De l’autre côté, l’on trouve des chefs certainement plus aguerris mais plus vieux. On trouve aussi des jeunes chefs qui ont reçu leur commandement par le titre honorifique de leur classe qu’ils ont reçu comme l’archiduc Ferdinand qui a 36 ans, frère de l’empereur François II du Saint-Empire. Malgré cela, il y en a des excellents tels que l’archiduc Jean mais il est en Italie. Les Russes, eux, ont des généraux experts mais qui ne veulent qu’une victoire assurée par tous les facteurs présents comme Koutouzov,
mais aussi des jeunes, partisans de la gloire personnelle et du panache. Tout cela sous l’équilibre du Tsar. D’un côté, tout le talent de jeunes expérimentés s’exécute, c’est une génération de généraux, alors que d’un autre, le commandement est spolié soit par des privilégiés soit par des « octogénaires » (reprise de Tolstoï). La Révolution porte des officiers nouveaux et permet une réforme de la guerre. L’œuvre de Guibert fait l’éloge d’un nouveau style, celui des divisions. Du partage de la masse armée en plusieurs plus petites pour couvrir un plus grand terrain tout en étant plus rapide et autonome. Napoléon les perfectionne pour que s’élancent sept corps d’armée (des regroupements de 2 à 4 divisions) en 1805. On voit alors une friction entre les mœurs anciennes et nouvelles, la guerre de mouvement réapparaît et la recherche de cette bataille décisive en est l’accomplissement. De l’autre côté de la frontière, les réformes ne sont pas encore advenues et copiées. Les armées sont des masses lentes, mal organisées et mal commandées vu leur nombre. L’héritage de la Guerre de Sept Ans n’a pas évolué. Par conséquent, la qualité du chef doit être indiscutable, comme chez les Français qui y vouent un culte.
À la fin novembre, la préparation tactique commence. Les Coalisés ne fuient plus car ils ont eu leurs renforts, les fixant à un nombre supérieur aux Français. Napoléon paraît affaibli, divisé et isolé et c’est ce qu’il veut : paraître. Son piège se renferme comme lorsqu’il envoie Savary auprès du Tsar pour négocier. Il répond, le 30, en envoyant le prince Dolgoroukov auprès d’un Napoléon maussade à la face sombre. De plus, Bonaparte qui a pris le plateau du Pratzen avec Soult, en aval d’Austerlitz et au Sud de la route Brünn-Olmütz, s’en retire sans affrontement. Seuls, les dragons de Treillard résistent lors du combat de Wischau, le 28. Les Français reculent, ils laissent une hauteur. Comprendre la tactique militaire, c’est examiner le futur champ de bataille pour arriver à créer un plan. Le village d’Austerlitz n’est pas un hasard, car s’y trouve le château des Kaunitz, l’ex-chancelier des Habsbourg : c’est le symbole. Austerlitz est à l’Est du Pratzen, qui s’élève au milieu des plaines du Nord et de l’Ouest, des marécages et étangs gelés du Sud avec les villages de Telnitz et Sokolnitz. S’étend le Goldbach du Nord au Sud. Le général Weyrother s’impose chez les Coalisés pour créer leur plan. Ils s’opposent à Koutouzov ou à Langeron, un émigré français, qui veulent attendre les renforts de Charles. Lui, veut piéger les Français. Il mettrait alors le corps de Bagration assez conséquent au Nord pour faire pression pendant qu’au centre quatre
colonnes (Langeron, Kienmayer, Dokhtourov, Przybyszewski) dévaleraient le Pratzen et attaqueraient l’aile droite française affaiblie pour leur couper toute issue de retraite sur Vienne. C’est un mouvement tournant, il veut flanquer l’aile adverse, la retourner, prendre l’armée en étau et créer un encerclement. Au Nord, Bagration (15 000 hommes) doit garder la pression, Kolowrat (17 000 hommes) au centre doit temporiser pendant que les colonnes (43 000 hommes) attaquent au sud. La garde russe de Constantin (5 000 hommes) et les cavaliers de Liechtenstein (7 000 hommes) au centre sont derrière le dispositif et avec 280 canons. C’est une opération en trois temps. Napoléon, lui, a affaibli son flanc droit. Il veut les contre-piéger car ceux qui pensent leur couper leur option de retraite au sud se trompent car il est organisé à Brünn. La moitié des Coalisés vont au Sud, ils laissent leur centre affaibli. Le IVe corps de Soult avec les divisions Vandamme et Saint-Hilaire (20 000 hommes) doit prendre Pratzen par surprise et couper les ennemis en deux. Au Nord, le Ve corps de Lannes (15 000 hommes) et la cavalerie de Murat (8 000 hommes) créent de la menace. Au sud, la division Legrand et la cavalerie légère de Margaron, du IVe corps, tiennent Telnitz et Sokolnitz à un contre quatre. Napoléon compte sur ses corps d’armée. Ils doivent être autonomes et doivent se regrouper très rapidement. C’est ce que devra faire le IIIe corps de Davout (20 000 hommes), situé à Vienne et où les divisions Friant et la cavalerie Bourcier feront 110 kilomètres en 48 heures pour atteindre les villages du Sud. Il a donc sauvegardé son brouillard de guerre le plus longtemps, c’est-à-dire la dispersion de ses forces jusqu’au jour de l’affrontement pour tromper l’ennemi sur le nombre de l’effectif français présent. La réserve de la garde de Bessières dont les grenadiers d’Oudinot (5 000 hommes) et ceux montés d’Ordener au centre, ont le soutien du Ier corps de Bernadotte (13 000 hommes) au Nord. Leur parc a 140 canons. S’oppose ainsi deux modèles, l’un sur le piège de l’insouciance, l’autre sur la surprise de l’expérience.
Rapidité, cohésion, commandement, duperie, moral, discipline, le tact français aura triomphé. Austerlitz créa une nouvelle carte de l’Europe et un nouveau rapport de force sur l’échiquier des grandes puissances avec en son centre : l’empereur des Français. Quand le soleil d’Austerlitz s’est levé à 8 heures, l’affrontement des trois empereurs amena la gloire des uns et le malheur des autres un 2 décembre.
L’ART ROMAN SE RÉSUME-T-IL À L’EM-
PLOI DE L’ARC EN PLEIN CINTRE ?
Introduction à l’histoire de l’art roman.
MAXIME FORVILLE
’est à partir du XIXe siècle que les érudits et chercheurs se sont intéressés à l’art roman. « L’art roman » est alors mis en opposition à « l’art carolingien » et « l’art gothique ». Le terme « roman » apparaît d’abord au XVIIIe siècle afin de désigner l’ensemble des langues vernaculaires dérivées du latin. Mais des termes plus précis comme « saxon », « normand » ou encore « lombard » prennent le dessus afin de décrire un art, du Xe et XIe siècle notamment, considéré comme régional, surtout en France, la question pour d’autres pays européens étant plus complexe. Pendant longtemps, l’analyse de Pierre Francastel, datée de 1942, a paralysé l’approche chronologique pour l’étude et la classification des édifices romans, au profit de caractéristiques régionales. Souvent caractérisée d’austère, l’architecture romane a été dévalorisée conduisant ainsi souvent à dater des édifices du XIe siècle à des périodes souvent beaucoup plus tardives. C’est également un art qui a souvent été décrit comme un art « évoluant de la maladresse à la virtuosité », mais cette vision a été dénoncée par Henri Focillon, notamment dans le cadre de la sculpture romane, car elle peut mener à des malentendus de compréhension dans la façon dont les hommes du XIe ou du XIIe siècle abordent leur art. L’art roman continue pourtant de se confronter au problème des enquêtes régionales, lors du XXe siècle, mais c’est avant tout la mise en catalogue de ces édifices qui fait passer en second plan les préoccupations chronologiques alors que chez d’autres la réflexion typologique mène aux mêmes problèmes. L’importance des monographies est ainsi centrale afin de pouvoir aborder d’une façon plus globale l’art roman. C’est en cela que L’art roman en France d’Éliane Vergnolle, publié en 1994, permet d’aborder l’art roman d’une façon plus globale par des monographies comparatives permettant la compréhension à la fois de la diffusion des modèles architecturaux mais aussi des liens inter-régionaux. C’est d’ailleurs cet ouvrage qui va servir à construire le propos
Figure 1 : Description générale d’une église, Wikiversité
de notre article, bien qu’il soit très synthétique. Aujourd’hui, l’art roman fait partie des programmes scolaires, notamment lors des dernières années de primaire et les premières années de collège, mais il est encore trop souvent simplifié à la définition d’un art austère, caractérisé par l’utilisation de l’arc en plein cintre.
Nous nous devons ainsi de redonner les caractéristiques plus précises de la période romane qui est avant tout un moment de réflexion, d’expérimentation et de
questionnement autour des questions liturgiques du Xe jusqu’au XIIe siècle.
Afin d’accompagner et de faciliter la lecture, voici un plan descriptif des parties d’une église.
Les problèmes liturgiques et l’adaptation architecturale : la question des chevets
L’une des premières réflexions aux abords de l’An Mil à propos des églises concerne la célébration du culte et la disposition spa-
tiale. Ces réflexions concernent tout d’abord les parties les plus orientales des édifices, aussi appelées chevet. De fait, c’est dans ces parties que se trouve l’autel majeur des édifices. Mais dans le contexte de la réforme monastique, les autels dans les lieux de culte se multiplient et il faut alors aménager de nouveaux espaces. La première réponse va être d’aligner des chapelles sur le chevet, comme nous pouvons le voir à Saint-Michel-de-Cuxa et Saint-Martin-du-Canigou qui sont les édifices les plus anciens pouvant être considérés comme pré-romans (seconde moitié du Xe siècle). Le modèle utilisé ici est l’alignement de trois chapelles, permettant ainsi d’avoir trois emplacements d’autels supplémentaires. Mais ce modèle est rapidement délaissé, même si l’on peut encore le trouver tout au long de la période, car peu esthétique de l’extérieur. Nous voyons également les chevets à cha-
pelles échelonnées se développer. Nous le retrouvons par exemple à Cluny II, ou encore Saint-Pierre de Baume-les-Messieurs. Mais le type de chevet le plus prestigieux et qui sera le plus utilisé, notamment dans les grands édifices roman comme l’abbatiale du Sauveur à Limoges, la collégiale Saint-Pierre du Dorat ou encore l’abbatiale Saint-Léonard à Saint-Léonard-du-Noblat, est le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Nous n’avons cité ici que des exemples limousins, mais il en existe partout. Le nombre de chapelle peut varier, mais dans la plupart des édifices ayant fait ce choix nous en trouvons trois ou cinq. Ce modèle de chevet permet d’ajouter encore plus de chapelle sans empiéter sur le transept qui, comme nous le verrons, va devenir un lieu important dans la liturgie puisqu’il accueille également des chapelles. Les chevets ont donc été au centre des réflexions
afin de répondre aux besoins liturgiques dans un premier temps, puis aux besoins des fidèles car le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes se retrouve par la suite dans les grandes églises de pèlerinages comme Saint-Martin de Tours, Sainte-Marie-de-la-Mer à Conques ou l’abbatiale du Sauveur de Limoges. La période romane est également marquée par les réflexions autours de la couverture des églises et l’élévation de ces dernières.
La question de la couverture et de l’élévation
Les recherches sur le voûtement se sont faites tout au long de la période sans vraiment s’arrêter sur une solution unique appliquée à tous les édifices. Nombreux édifices font encore partie du groupe des nefs uniques plafonnées, car c’est à la fois un modèle peu coûteux et simple à mettre en place car maîtrisé depuis plus longtemps dans les différentes civilisations. Le second choix est celui du voûtement, mais c’est une technique plus récente et donc nous voyons beaucoup de réflexions sur ce point. Déjà à Saint-Martin-du-Canigou et Saint-Michelde-Cuxa des tentatives de voûtement sont effectuées, notamment dans les cryptes. Puis dans la première moitié du XIe siècle, ce sont les croisées de transept et les nefs qui font l’objet de ces essais. Concernant les croisées, elles sont généralement couvertes d’une coupole, comme à Gigny et Saint-Hymetière ou encore au Dorat mais au XIIe siècle, ou alors d’une voûte d’arêtes. Concernant les nefs, la première moitié du XIe siècle est dominée par l’utilisation du berceau en plein cintre lorsque l’on cherche à voûter cette dernière, mais cette voûte se fait souvent au détriment de l’éclairage notamment dans les nefs hautes. De fait, plus un mur est haut plus il va chercher à pencher, à cause du déplacement de son centre de gravité mais aussi par la pression latérale exercée par la voûte, et donc si l’on rajoute des fenêtres cela ne fait que fragiliser l’édifice. C’est pour cela que les grandes nefs sont encore charpentées, cela témoigne du choix de l’architecte de garder un fort éclairage dans l’édifice.
Mais dans la seconde moitié du XIe siècle, plusieurs solutions sont trouvées afin de pouvoir allier nefs hautes voûtées et éclairage. La première solution consiste à construire des collatéraux, pouvant euxmêmes être voûtés, aussi haut que la nef, permettant ainsi de contrebuter la pression
de la voûte comme à San Pedro Roda. Le second moyen apparaissant dans ces décennies est celui des tribunes. Celles-ci se trouvent dans les bas-côtés, elles sont posées sur des voûtes d’arêtes et elles mêmes voûtées en demi-berceau butant sur les retombées du berceau central. Ce modèle de tribune est notamment adopté dans les grandes églises de pèlerinage comme Saint-Sernin de Toulouse, Sainte-Foy de Conques, Saint-Martial de Limoges.
Cependant il faut également noter d’autres expériences. Comme le fait remarquer Éliane Vergnolle, la nef de Saint-Philibert de Tournus est dotée d’un berceau transversal et non pas longitudinal, ce qui évite donc ce dernier de buter sur les murs gouttereaux en exerçant une pression. Cette dernière se retrouve coincée contre des arcs diaphragmes. C’est ainsi que l’on arrive à y construire une nef de dix-huit mètres de haut tout en ouvrant de grandes fenêtres.
Contrairement à ce que l’on entend encore de façon courante, la voûte en berceau brisé n’appartient pas uniquement à l’art gothique. De fait, les premières tentatives de voûtement en berceau brisé datent de la fin du XIe siècle et du début du XIIe siècle. C’est un élément architectural efficace car il exerce moins de pressions
sur les supports qu’un berceau en plein cintre de par sa poussée plus verticale. Ainsi, son apparition va conduire à l’abandon des tribunes de contrebutement comme à Beaulieu-sur-Dordogne, mais elle permet aussi de construire plus haut. La volonté de construire plus haut s’est également traduite par le choix de l’encorbellement, ce qui permet de construire plus haut par la réduction des poussées de voûtes comme à Cluny III ou encore Paray-le-Monial. L’encorbellement consiste par la construction en saillie et soutenue par des corbeaux.
La place de l’archéologie depuis plusieurs décennies a également proposé de nouvelles façons d’aborder les édifices d’une nouvelle manière, notamment par l’étude des matériaux employés
La question des matériaux employés
Bien que la recherche se soit longtemps concentrée sur des éléments architecturaux pour dater les édifices, depuis une vingtaine d’année l’archéologie du bâti a permis de revoir les datations traditionnelles grâce aux les techniques de cette archéologie (relevé pierre à pierre, datation au carbone 14, luminescence stimulée optiquement ou OSL, fouilles…). C’est ainsi que l’on à souvent considéré les édifices construits
en petits moellons (14), qui sont des pierres non taillées de petit calibre, comme étant exclusifs au XIe siècle. Mais ce matériau est encore privilégié par la suite pour les petites églises rurales. Le XIe siècle voit le moellon comme étant son matériau principal, mais c’est aussi le moment où la pierre de taille se développe et s’impose, tout d’abord dans les parties fragiles (angles, contreforts, piles…) puis elle s’étend à l’ensemble des édifices. Il existe différentes typologies de la pierre de taille mais elle est toujours le signe d’un chantier fortement financé par son commanditaire, alors que le moellon peut être le signe d’un chantier plus compliqué à financer. L’origine de la pierre est également intéressante à étudier dans le sens où l’on utilise pas la même pierre à toutes les époques. Au Moyen Âge, les pierres tendres comme le calcaire par exemple, sont souvent utilisées, mais il y a également le développement du granit qui est une pierre très dure.
Il faut également noter l’utilisation importante des spolia (15) ou remplois dans la construction médiévale. Il n’est pas rare que des colonnes monolithes, des morceaux de corniches, de fronton, ou n’importe quelle pièce d’une construction antique, soient remployées dans diverses parties des édifices, mais principalement
« La science et la recherche ont ainsi encore beaucoup de chemin à parcourir afin que l’on puisse aborder encore plus les matériaux employés et affiner les datations des édifices. »
dans les fondations. Elles peuvent être reconnues par leur forme, mais surtout par leur taille. Ces éléments sont souvent placés dans les parties basses des édifices car beaucoup trop complexes à manipuler durant le Moyen Âge, mais ils peuvent également être retaillés. En plus d’être une économie financière et de temps, les remplois donnent également du prestige aux édifices. Lorsqu’un édifice est reconstruit à la période moderne ou contemporaine, il n’est pas rare de voir des remplois d’anciens éléments d’une église antérieure. Dans ces domaines, les travaux de Jacques Mallet, Daniel Prigent, Nicolas Reveyron, Christian Sapin, pour ne citer qu’eux, ont été primordiaux dans la façon d’aborder les matériaux, les méthodologies à employer, les résultats que l’on peut en tirer, etc. Les matériaux comme le bois sont encore trop compliqués à utiliser comme objet d’études car les menuiseries et charpentes sont souvent refaites plusieurs fois depuis la construction de l’édifice. Il est toutefois possible de l’utiliser de temps à autre lorsqu’un boulin, élément structural de l’échafaudage, est resté sur place par une datation au carbone 14 et la dendrochronologie (16). Il en est de même pour les mortiers et enduits, mais dans de rare cas une datation par OSL est possible. Cette méthode repose sur l’analyse des quartz contenus dans les matériaux et l’enfermement de la lumière à l’intérieur de ces derniers.
La science et la recherche ont ainsi encore beaucoup de chemin à parcourir afin que l’on puisse aborder encore plus les matériaux employés et affiner les datations des édifices.
Pour conclure, nous avons vu par cette brève introduction à l’art roman que ce dernier ne se contente pas à l’utilisation de l’arc en plein cintre. C’est une période de réflexion sur l’articulation, l’élévation et la forme des édifices religieux afin de répondre à des besoins spécifiques. Il n’y a jamais une seule réponse et un seul choix possible. Il faut aussi garder en tête que les architectes et commanditaires des édifices savent ce qu’il se passe dans leur monde et donc il n’est pas possible de parler d’un art roman par région, il faut penser tout cet ensemble dans un seul et même monde en communication.
Figure 3 : Église Saint-Pierre de Baume-les-Messieurs, chevet à chapelle échelonnées du XIe siècle
(1) ANCEAU Éric, Napoléon III, Taillandier, 2008. (2) GIRARD Louis, Napoléon III, Paris, Fayard, 1986. (3) BRULEY Yves, Le coup d’État de 1851 vu par l’Europe, Revue du Souvenir Napoléonien, 2008, 4e trimestre.
(4) Dépêche de Rayneval, Rome le 10 décembre 1851, AMAE, CP, Rome, vol. 997.
(5) BRULEY Yves, Le coup d’État de 1851 vu par l’Europe, Revue du Souvenir Napoléonien, 2008, 4e trimestre.
(6) MAUDUIT Xavier, Napoléon III, PUF, 2023. (7) VON CLAUSEWITZ Carl, De La Guerre, 1832. (8) MAUDUIT Xavier, Napoléon III, PUF, 2023. (9) TOCQUEVILLE Alexis, Souvenirs, Paris, Calmann Lévy, 1893
(10) THIERS Adolphe, Histoire du Consulat et de l’Empire livre XIII, Paris, Paulin, 1856.
(11) DE LAS CASES Emmanuel, Le Mémorial de Sainte-Hélène Le manuscrit retrouvé, Paris, Tempus/ Perrin, 2024.
(12)Article premier de la loi du 19 fructidor An VI (5 septembre 1798) ou loi Jourdan-Delbrel (13) HUGO Victor, Histoire d’un crime, Angoulême, Abeille et castor, 2009. (14) Moellon : Pierre de petit et moyen calibre (10 à 50cm de long, pour environ 10-20 cm de hauteur), non taillée. Une typologie a été réalisée par : REVEYRON, Nicolas, « Moellon ou pierre de taille : la surface et la masse » dans PHALIP, Bruno (dir.), D’épiderme et d’entrailles. Le mur médiéval en Occident et au Proche-Orient (Xe – XVIe siècles), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2017, p. 191-206. (15)Spolia : Du latin spolium signifiant « dépouille » (16)Dendrochronologie : Méthode de datation des bois grâce à leurs cernes.
Les États européens face aux révolutions
APRILE Sylvie, 1815-1870 : La Révolution inachevée, Folio, Paris, 2010.
COULON Gérard, Voyager dans l’Empire romain, Paris, Errance, 2001.
SCHMITT Olivier, Rome et ses réseaux : une histoire des connexions, Paris, Belin, 2020.
DUPONT Florence, L’invention de Rome : récit d’une puissance, Paris, Gallimard, 2018.
Bataille d’Austerlitz
DE LAS CASES Emmanuel, Le Mémorial de SainteHélène, Le manuscrit retrouvé, Paris, Perrin, 2024.
THIERS Adolphe, Histoire du Consulat et de l’Empire, Livre XIII, Paris, Paulin, 1856.
L’art roman se résume-t-il à l’emploi de l’arc en plein cintre ? Introduction à l’histoire de l’art roman.
BASSI Marie-Laure, « L’église Saint-Pierre de Baume-les-Messieurs (Jura) : une nouvelle lecture de l’abbatiale romane » dans Livraisons de l’histoire de l’architecture, 25 | 2013, 25-39.
VERGNOLLE Éliane, L’art roman en France, Flammarion, 1994.
NUMÉRO 6
LE XIXE SIÈCLE, ENTRE RÉVOLUTIONS ET RESTAURATIONS
Le mot de la
Ce magazine revient sur un thème très important dans notre histoire contemporaine et dans notre actualité, bien qu’il soit souvent méconnu. Les révolutions européennes du XIXe siècle sont au cœur du processus qui a forgé les régimes politiques du XXe et du XXIe siècle.
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la fin
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En pleine Révolution Française, le gouvernement s’organise autour du Comité de Salut Public, du Comité de Sûreté Générale et du Tribunal Révolutionnaire.
Mais les parlementaires de la Montagne, de la Plaine et de la Gironde se déchirent politiquement et sont menacés par les interventions