SUPPLÉMENT GRAND RAID 2022 COLLECTOR

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SPORTS É D IT I O N

C O L L E C T O R M A R D I 1 8 O C T O B R E 2 0 2 2

Retrouvez tous les évènements marquants de 1993 à 2022 !

30

années de passion !



Mardi 18 octobre 2022

SO M M A I RE

30 ANNÉES DE PASSION !

AVANT 1993 Depuit 1989 des courses traversent La Réunion, véritables laboratoires du Grand Raid.

DE 1993 À 2002 Les coureurs réunionnais dominent la première décennie, sur leurs sentiers.

DE 2003 À 2012 Le Grand Raid s'internationalise, les coureurs extérieurs font main basse sur le palmarès.

DE 2013 À 2022 Deux pages se tournent: celle de Robert Chicaud et celle de Saint-Philippe.

ET DEMAIN Que deviendra le Grand Raid ? Tentative de réponses.

Un cœur qui bat

I

l suffirait bien évidemment pour toucher l'ampleur du Grand Raid d'aligner les chiffres, le nombre de participants, les bénévoles, les kilomètres, les dénivelés, retombées économiques, budget. Toutes ces statistiques donneraient le tournis, elles prouveraient que, mais elles ne diraient pas l'essentiel.

Le Grand Raid n'est pas une affaire de mathématique, pas une affaire de sous. Le Grand Raid a à voir avec la passion et il n'existe pas, il n'existera jamais, de règles, de cartes ni de théorèmes, pour quantifier la passion. Il ne faut pas compter l'amour, il faut le vivre, l'écouter et le vivre. Depuis trente ans, depuis cette année 1993 où quelques passionnés se sont assis sur le rebord du monde pour croire à leurs rêves, cette traversée de l'île par les sentiers, les pitons et les cirques, cette traversée du Nord au Sud est un cœur qui bat, le cœur de La Réunion, qu'elle révèle, peut-être mieux que personne. Nulle part ailleurs, un événement sportif n'a autant épousé le territoire qu'il emprunte, nulle part ailleurs, une épreuve n'a autant révélé l'identité et le pouls d'une population. Trente ans que La Réunion et le Grand Raid ne font plus qu'un. La Réunion est le Grand Raid et le Grand Raid est La Réunion. Raconter l'un, comme dans ce supplément anniversaire, c'est raconter l'autre.

“ Spécial Grand Raid ”, supplément gratuit du Quotidien • Directrice de la publication : Carole Chane-Ki-Chune • Directeur : Vincent Vibert • Responsable du service des ventes : Raymond Romero • Responsable de développement des produits : Jean-Pierre HUGOT • Rédaction : Frank Poirier • Photographes : Emmanuel Grondin, Philippe Chan Cheung, Yann Huet, Jean-Claude Feing, Thierry Villendeuil, David Chane, Raymond Wae-Tion, Bruno Bamba • Maquette et relecture : Prépresse SAFI • Régie publicitaire : 0262 92 15 12 - email : resa.regiepub@lequotidien.re • Prépresse et impression : Imprimerie SAFI ZI du Chaudron 97490 Sainte-Clotilde

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30 ANNÉES DE PASSION !

Le laboratoire Grand Raid du

Imaginée par une poignée d'irréductibles passionnés, la traversée de l'île par les cirques prend forme en 1989 sous un format officiel de course, avec la Marche des Cimes pendant un an, puis la Grande Traversée durant trois ans. Un laboratoire à ciel ouvert avant l'avènement du Grand Raid.

L

' identité de La Réunion, c'est bien au-delà de ses plages et de son lagon, son relief montagneux qui fourmille de pitons et de ravines, à l'intérieur de ses trois cirques, sans oublier son volcan, le Piton de la Fournaise. Inspiré par cette topographie exceptionnelle, le Département crée ainsi le comité départemental du tourisme (CDT) en 1986, pour développer les activités de montagne. Un an plus tard, en 1987, la Maison de la montagne ouvre ses portes à Cilaos. Jean-Jacques Mollaret, ancien commandant du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne (PGHM) de Chamonix, en prend la direction, assisté de Jacques Bertola et Roger Fagonde.

Un dossard mythique, celui de la première traversée de l'île en 1989.

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En mai 1988, cette équipe-là est à l'initiative de l'organisation du cross du Piton-des-Neiges, la première course de montagne réunionnaise. Un mois plus tard, les gendarmes Tarlet et Kocajda effectuent pour leur part la première traversée de l'île par les cirques en partant du Tremblet pour arriver à Saint-Denis. La dynamique est lancée. Personnage central de cet essor de la course de montagne, Jean-Jacques Mollaret initie le projet de la Marche des Cimes. En juin 1989, avec Roger Fagonde, Roland Bigez et un garçon de Chamonix, ils expérimentent le parcours de cette grande traversée de l'île, en partant du Barachois,


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pour arriver dans le Sud, à Saint-Philippe via La Roche Ecrite, Cilaos, le coteau de Kerveguen, Mare-à-Boue, et le volcan. Jean-Jacques Mollaret a alors la bonne idée de s'associer à Didier Le Méhauté, spécialiste en événementiel, pour mettre sur pied la première édition de la Marche des Cimes, organisée du 28 au 30 octobre 1989. La course partira de Saint-Denis et rejoindra le Sud et la pointe du Tremblet à Saint-Philippe, soit environ 100 km et 5 400 m de dénivelé positif. Seule traversée qui s'effectuera dans ce sens, les principales difficultés de la course seront : l'ascension de la Roche Ecrite et la descente effrénée vers Grand-Ilet, la traversée de Mafate, la montée du col du Taïbit et celle du coteau Kervéguen.

DES VOIX DISSONANTES Une telle distance nécessite minutie et professionnalisme afin d'évaluer les temps de passage des coureurs, les emplacements des postes de secours et de ravitaillement. La sécurité est donc la priorité des organisateurs. Une équipe médicale est alors constituée afin de veiller au bon déroulement de la course. Tout cela n'empêche pas les divisions et les débats autour du danger inhérent à l'afflux de 500 fous sur les sentiers escarpés de l'île. Malgré les doutes à son sujet, la Marche des Cimes est lancée le samedi 28 octobre à 5 heures du matin, du Barachois. Pour bon nombre de ces pionniers, le classement final est accessoire. Il s'agit surtout de se prouver que l'on est capable de traverser La Réunion de part en part, avec sa tente et son réchaud ! Gendarme au PGHM de Chamonix, Gilles Trousselier remporte l'épreuve. Il boucle les 112 km en 16 h 02' devançant Laurent Smagghe, le favori des bookmakers, et Fred Marie-Françoise (Marie-Thérèse Maussion gagne chez les femmes en 25 h 40'). Derrière le trio de tête, ils sont 314 à terminer la course.

Avec Jean-Claude Kocadja, Jean-Claude Tarlet est le premier à avoir gravé sur PV cette traversée de l'Île.

DEUX PIONNIERS DE LA GENDARMERIE  En 2010, Jean-Claude Tarlet interpelle Robert Chicaud lors de la 18e édition du Grand Raid en lui signifiant que la première traversée de l'île a eu lieu les 3 et 4 juin 1988, contrairement à ce qui était raconté jusqu'alors. Document à l'appui, article du Quotidien en copie, le gendarme raconte au président de l'association son épopée sur les sentiers de La Réunion. Cette traversée inédite Sud-Est-Nord, du Tremblet à la Redoute, a mûri dans son esprit et celui du maréchal des logis chef Jean-Claude Kocajda. Il raconte que le vendredi 3 juin, au petit matin, avec Kocajda, ils ont rendez-vous à Saint-Philippe. Entraînés, préparés, ils ont planifié leur parcours, chiffré la distance à avaler. Ils ont également soigné leur condition physique. Dans leur sac à dos, ils ont emporté le strict minimum : une “ration de guerre”, selon leurs mots. Elle est composée d'une boîte de bœuf en conserve, de biscuits, nougats, caramels, café et soupe soluble, le tout accompagné de trois litres d'eau par personne. Guidés par leur lampe frontale, les deux hommes se lancent dans l'aventure. Elle est tout de suite douloureuse. Car la pluie a fait

son apparition. Sur un sol glissant et boueux, ils avancent d'un pas lent et hésitant. A certains endroits, le sentier emprunte le lit de la rivière et nos deux compagnons d'infortune sont obligés de progresser les pieds dans l'eau, quand ils ne sont pas contraints de franchir des petits ponts “à quatre pattes”, rapportent-ils. Ils ne se découragent pas et atteignent grelottants et trempés le Nez Coupé du Tremblet. La pluie redouble d'intensité, le chemin est irrégulier et boueux. “Il n'est pas rare de nous enfoncer jusqu'aux genoux dans de véritables marécages”, témoigne Tarlet.

“LA VUE EST FÉERIQUE” Mais en traversant bientôt le paysage lunaire de la Plaine-des-Sables, le soleil les réchauffe enfin. L'accalmie est de courte durée car au pied du Piton Textor, les grains font à nouveau leur apparition. Puis redoublent du côté de la Plaine-des-Cafres, où deux collègues les attendent à proximité d'une bergerie pour effectuer le pointage. Déjà neuf heures qu'ils marchent sous une pluie régulière. Le mental est mis à rude épreuve.

Mais ils repartent en direction du col de Bébour, où la nuit les guette. Courageusement, ils poursuivent malgré tout leur périple vers le Refuge de la forêt de Bélouve puis entament dans l'obscurité et sous une pluie ardente la descente vers Hellbourg, où ils sont accueillis par leurs collègues de la brigade locale. Après deux heures de repos, à quatre heures du matin, nouveau départ. Fini la pluie. “Jusqu'à notre arrivée, le soleil sera désormais de la partie”, affirmeront-ils. Mais la difficulté ne s'estompe pas. Bien au contraire. Après avoir passé sans encombre Grand-Ilet, les choses sérieuses reprennent avec l'ascension de la Roche Ecrite, rude, éprouvante et vertigineuse. Certains endroits du sentier sont en effet détruits par des éboulements et il faut faire attention à assurer ses pas. Après deux heures quinze d'efforts, ils parviennent au sommet. “La vue est féerique”, constate Tarlet époustouflé, avant d'emprunter la piste qui redescend vers le Brûlé d'où ils rallient par la route la caserne de la Gendarmerie de La Redoute. Leur défi prend fin à 14 h 35 le 4 juin, au bout de 29 h 30 de marche et 107 km avalés.

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Avec seulement 38% d'abandons, les organisateurs affichent ainsi leur satisfaction. C'est mieux que les prévisions de départ. “Je rends un grand hommage à Didier Le Méhauté qui a eu le flair de penser que les gens allaient vouloir faire de l'ultra, commente Gilles Trousselier. Il a été un précurseur. Le mérite de ce premier succès lui revient plus qu'à nous les coureurs.” Tandis que Jean-Jacques Mollaret prend du recul, Roger Fagonde s'implique quant à lui encore davantage, aux côtés de Didier Le Méhauté, dans l'organisation future. Car le succès de cette première Marche des Cimes en appelle d'autres. Il a confirmé l'attrait patent du public pour les pratiques de pleine nature, non fédérales, ces courses hors stade qui symbolisent l'aventure sportive, faite d'aléas, de risques mesurés - loin des sports beaucoup plus codifiés, traditionnels en somme - où l'individu met à l'épreuve ses ressources propres, son endurance, son courage, dans une quête d'épanouissement personnel. Face à l'engouement général, la course est reconduite l'année suivante, mais avec des transformations. D'abord, son nom change. Ce sera désormais la Grande Traversée, durant trois ans, pour éviter la confusion avec le Triathlon des Cimes. Ensuite, la structure juridique de l'organisation évolue aussi. La dimension associative initiale laisse le champ à Parad'isles Organisation, une société privée de production d'événements sportifs dirigée par Didier Le Méhauté, qui s'emploie à développer le sponsoring avec un certain succès car les partenaires affluent. Sauf que des voix discordantes s'élèvent. Elles reprochent à l'organisation de gagner de l'argent avec un événement financé en partie sur des fonds publics, ceux du conseil général et de la Région notamment. Par la voix de son président Paul Canaguy, la Ligue réunionnaise d'athlétisme relaie ce discours, s'étonnant du fait que les collectivités locales et l'Etat cautionnent sous forme d'aides finacières une entreprise commerciale, même transformée par les circonstances en association loi 1901, sous prétexte de développement économique et touristique de l'île. En fait, la LRA cherche aussi à garder la main sur un mouvement d'ampleur, celui de la course à pied hors stade, qui échappe à son contrôle.

© PHOTO : PHILIPPE CHAN CHEUNG

L'ESPRIT DE PARTAGE

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Malgré ces pressions, l'organisation résiste. Et innove durant les trois ans que durera la Grande Traversée. En collaborant étroitement avec l'ONF, pour la protection de l'environnement ; en informatisant le traitement des dossards et le suivi de la course, afin de la rendre plus lisible et captivante aux yeux des spectateurs.

En 1991, Gilles Trousselier et Patrick Maffre franchissent la ligne d'arrivée, main dans la main.


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LE PREMIER À JAMAIS

Il n'a gardé que peu de souvenirs de son épopée réunionnaise. Juste une pierre de basalte surmontée d'une plaque en bois où est incrustée le parcours de la Marche des Cimes 1989. “Cette pierre occupe une place importante dans ma maison et dans mon coeur”, lâche-t-il pudique. A 65 ans, Gilles Trousselier ne s'attarde pas trop sur le passé. “Je préfère regarder devant”, dit-il en évoquant le chalet qu'il est en train de se construire à quinze minutes de Chamonix. Ou ses projets de vacances à La Réunion en 2023. Car l'île intense reste évidemment intimement liée à sa vie. Le guide de haute montagne en Haute-Savoie y a réalisé trois exploits consécutifs entre 1989 et 1991. Triomphant notamment lors de la Marche des Cimes, ancêtre de la Diagonale des Fous, la première course traversant l'île en 1989. Un hasard heureux selon lui. “C'est un concours de circonstances, raconte-t-il. Je suis d'abord invité sur le Cross du Piton des Neiges en août 1989. Je retourne ensuite en famille à La Réunion au mois d'octobre. C'est là qu'un ami qui travaille sur place au Secours en montagne, me parle de la Marche des Cimes. Il me convainc d'y participer et m'inscrit.” Gilles part alors une dizaine de jours, juste avant la course, à l'île Maurice, pour s'entraîner. Et revient, confiant. En tant que montagnard, il a déjà l'expérience des courses de 24 heures. “Dans mon esprit, la Marche des Cimes c'était la face nord des Grandes Jorasses, narre-t-il. Je suis parti dans cet esprit-là.” Sans pression. Mais pleinement conscient de ses forces et de celles de ses rivaux. “Laurent Smagghe était donné favori, poursuit-il. Il avait fait tout le road-book avec les temps de passage et je crois qu'il pensait gagner la course. Mais, je le connaissais bien pour avoir couru contre lui. Il ne m'impressionnait pas. Je me suis dit que s'il était donné vainqueur, je pouvais peut-être lui damer le pion.”

“JE LUI AI FILÉ DES PÂTES DE FRUITS” Son début de course le confirme ce 28 octobre 1989. Lancé dans l'ascension de La Roche Ecrite, après le départ du Barachois, Gilles est “dans son tunnel”, comme il dit si bien. Concentré sur son rythme, il ne s'occupe pas de la concurrence et creuse l'écart. “A la Roche Ecrite, j'avais déjà une demi-heure d'avance sur Laurent Smagghe”, se remémore-t-il. Et même si ce dernier le rejoint à GrandIlet, il ne change pas ses plans, maintient son allure de métronome dans Mafate, sentant déjà que Smagghe est sujet à des petites défaillances. “Je lui ai même filé des pâtes de fruits dans la montée du Taïbit !, glisse-t-il dans la conversation. Il est alors reparti comme une balle dans la descente vers Cilaos. Mais ça n'a pas duré. Dans la montée du Kervéguen, il a littéralement explosé. Il avait trop fait le yoyo et je ne l'ai plus revu.” La course a choisi à la loyale son vainqueur. Trousselier peut alors se laisser aller au plaisir des paysages. “Je me souviens m'être régalé sur les contreforts du volcan à la tombée de la nuit, avec un magnifique coucher de soleil”, raconte-il encore. Il rallie le Tremblet en vainqueur (16h02) avec près de deux heures et demi d'avance sur Smagghe. “Je suis fier d'avoir gagné, dans le sens où j'ai l'impression d'avoir contribué lors de cette première à ouvrir la voie aux autres, conclut-il. J'ai fait la trace en quelque sorte.” Premier à jamais.

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Trois fois vainqueur de l'épreuve, Patrick Maffre et sa moustache sont très vite entrés dans la légende de la course.

En 1990, le sens de la course est inversé. Départ de la Marine Langevin à Saint-Joseph et arrivée au Port. Autre changement, ils ne sont plus 500 mais 947 sur la ligne de départ. D'où des mesures de sécurité renforcées d'autant plus que le parcours est rallongé (126 km, 5 206 m de dénivelé positif) . Gilles Trousselier double la mise et s'impose facilement chez les hommes en 17h11. Les Réunionnais Jacky Murat (17h58') et Patrick Maffre (18h43') se classent respectivement deuxième et troisième de cette édition. Guylène Calpetard l'emporte chez les femmes (31h58'). L'année suivante, en 1991, la distance est encore augmentée (134 km, 6 500 m de dénivelé positif) . Le profil évolue car La Grande Traversée part cette fois-ci de la

Gilles Trousselier, le premier coureur à avoir inscrit son nom au palmarès de cette traversée.

Caverne des Hirondelles pour se terminer à l'aéroport de Gillot. La course se résume à un mano a mano entre Gilles Trousselier, encore lui, et le Réunionnais Patrick Maffre. “On était à la bagarre avec Patrick, nous confie Gilles Trousselier.. Plutôt que se tirer la bourre, on a passé un deal en se disant qu'on allait faire un morceau de la course ensemble. C'était intéressant car on a pu papoter ensemble. On a fait les trois quarts du chemin comme ça. Puis Patrick s'est retrouvé un peu en difficulté dans Mafate. Il avait des problèmes de tendinite. On s'est arrêté, je l'ai massé. C'était un moment de partage.” Patrick Maffre témoigne à son tour : “En 1991, on s'est fait “la guerre” en début de course avec Trousselier. Mais au fil des

kilomètres, on s'est mis à discuter. Et en plein accord, on a décidé de poursuivre notre route ensemble jusqu'à l'arrivée. Quand on descendait, je l'attendais un peu. Et quand on grimpait, comme il est beaucoup plus fort que moi dans ce domaine, il me tirait.” De sorte qu'ils franchissent la ligne main dans la main (18h28') et sont classés ex æquo. Chez les femmes, Marie-Annick Laude l'emporte en 33h09'. En 1992, c'est la dernière édition, sous l'appellation Grande Traversée. La course a lieu en novembre, et non pas en octobre. Le départ est donné le 6 novembre de la Marine de Vincendo, à Saint-Joseph. La distance a été réduite par rapport à l'année précédente (124 km), mais le dénivelé positif est inchangé (6 817m).

MAFFRE, LE CABRI DE LA PLAINE  La moustache chevron est restée dans les annales. Ce fut sa marque de fabrique. Noire il y a trente ans, grise aujourd'hui. A 63 ans, Patrick Maffre, trois fois vainqueur de l'épreuve-phare du calendrier (une fois de la Grande Traversée, deux fois du Grand-Raid, dont une en 1993, sous l'appellation Course de la Pleine Lune), n'a rien perdu de ce visage bonhomme souriant, qui a symbolisé le début de quinze années de règne réunionnais sur la course légendaire. Premier Créole à gagner le Graal réunionnais, il a longtemps fait l'admiration du public pour ses qualités de descendeur hors pair. Sur le parking de la Pointe-des-Diables, ce samedi-là, l'affable Patrick, surnommé le cabri de la Plainedes Cafres, raconte sa passion pour la course. “Je continue de m'entraîner encore 10 km tous les jours, j'ai besoin de ça”, dit-il en ouvrant le coffre de sa voiture. “Regardez, j'ai ma tenue, mes chaussures. Après mon entretien avec vous, je vais partir courir.” Il y a cinq mois encore, il était à Grand-Bassin, pour une petite rando-plaisir. Un sentier qu'il connaît comme sa poche, quand l'accident est survenu, confesse-t-il, en montrant ses deux mains abîmées.

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“J'étais dans la remontée de Grand-Bassin quand un éboulis de roches m'est tombé dessus. J'ai eu les deux mains bousillées, trois côtes cassées, les vertèbres touchées et un traumatisme crânien. J'ai juste eu le réflexe de protéger ma tête avec mes mains sinon je ne serais plus là. Mais les mains ont tout pris. J'ai fait un mois et demi à l'hôpital et j'en suis déjà à trois opérations de la main droite. Je risque de perdre l'usage de mon annulaire. Malgré tout, je cours encore, comme vous le voyez.”

“ UN ACCIDENT IL Y A CINQ MOIS ” Gardien de prison dans le civil, il est toujours autant accro à la course à pied. Et les aléas de la vie n'y changeront rien. “Quand je serai tout à fait remis, je repartirai à Grand-Bassin. Ça ne me fait pas peur.” Comme souvent, il sera reconnu sur les sentiers. Car Maffre a laissé un souvenir indélébile. En 1991, il a ouvert la voie des sacres main dans la main, avec son ami Gilles Trousselier, en passant un pacte de nonagression, qui a marqué les esprits et sera imité plus tard par d'autres. Et en 1997, il a gagné le Grand Raid

“le plus dur” auquel il a participé. Après ce triplé historique, il annonce la fin de sa carrière. Lui qui a tant donné, n'en peut plus. “J'ai arrêté à 38 ans parce que j'avais des soucis de genou, confie-t-il. Je me suis fait opérer plusieurs fois. Il fallait que je raccroche.” Il reste malgré tout proche de la course. “Il m'est arrivé ponctuellement de conseiller les Réunionnais sur l'entraînement, l'alimentation, reprend-il. Mais je n'étais pas disponible pour m'investir à plein temps.” Il a laissé tomber la compétition. Mais pas la course à pied, lui qui a quand même couru le marathon de Paris en 2h33' en 1994. Il se consacre désormais à sa famille, ses enfants et petits-enfants. Il bricolait surtout, son autre passion. Jusqu'à cet accident récent. Qui le fait souffrir moralement. Car il ne sait pas s'il pourra à nouveau utiliser sa main droite. Malgré tout, son caractère de champion reste. “Je traverse une passe difficile, conclut-t-il. Mais j'ai appris ça sur les sentiers. Quand vous avez un coup de mou, c'est le mental qui fait la différence. Je m'en

sers aujourd'hui.”


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Le 25 octobre 1989, le Quotidien consacre une page à la Marche des Cimes.

Cette fois-ci, c'est aux femmes de finir victorieuses main dans la main. Thérèse Derolez et Mireille Séry finissent premières ex æquo en 28 h 21'. Chez les hommes, le Réunionnais Jean-Philippe MarieLouise s'impose largement en 1 7 h 20'. Il devance Gilles Fontaine, de plus d'une heure. La Grande Traversée a été un succès durant trois ans, en dépit de certaines critiques. Jean-Pierre Charron, qui a rejoint Didier Le Méhauté en cours de route à la tête de l'organisation, en tant que directeur technique, est optimiste. Avec plus de 1 000 participants, l'événement apparaît déjà comme un rendez-vous phare du calendrier sportif ■ Jean-Marie Charron veut s'aligner cette année au départ de la course dont il fut à l'origine il y a trente ans.

CHARRON ET SON PARI INSENSÉ  Il sera sans doute l'une des attractions sur la ligne de départ de la Diagonale à Saint-Pierre. Il ne s'agit pas d'un des anciens lauréats. Mais de Jean-Pierre Charron. Le premier président de l'équipe organisatrice du Grand-Raid en 1993, cheville ouvrière de la Grande Traversée depuis 1990 aux côtés de Didier Le Méhauté, sera en effet l'un des invités d'honneur du 30e anniversaire de l'épreuve cette année. Mais à 81 ans, l'ingénieur atomiste, qui a travaillé dans le monde entier, sur des centrales nucléaires et des complexes pétrochimiques, aux Etats-Unis surtout, mais également en Angleterre et dans le golfe Persique, ne se contentera pas de recevoir les honneurs dus à son rang de sauveur de la mythique course réunionnaise. Il va carrément prendre le départ de la course, “avec la cinquième et dernière vague de coureurs”, nous dit-il très sérieusement au bout du fil, chez sa soeur aux Avirons. Il est en effet

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arrivé la veille à La Réunion, une île qu'il chérit plus que tout. Et ce n'est pas pour y faire des emplettes ou manger le fameux cari poulet qu'il mettait au menu des raideurs naguère. C'est, nous dit-il, la passion chevillée au corps, pour rallier carrément l'arrivée à La Redoute.

interdire les touristes d'utiliser le sentier. Je

“POUR M'ENTRAÎNER, J'AI GRIMPÉ 386 ÉTAGES”

Que l'on juge le pari totalement insensé ou pas,

Il a même sollicité un dossard auprès de l'organisation. Mais cette dernière n'a pas pu accéder à sa demande. A bientôt 82 ans, Jean-Pierre a en effet largement dépassé la limite d'âge fixée par les organisateurs pour participer à l'épreuve. Il n'a donc pas obtenu la dérogation qu'il implorait. Ce qu'il a compris. Mais pas tout à fait quand même. Car notre ancien patron de la Course de la Pleine Lune est têtu. Il a quand même décidé de s'aligner. “Je n'aurai pas de dossard, mais l'organisation m'a dit qu'elle ne pouvait pas

de sa quête de l'impossible. Pour ce faire, il

vais donc me mettre en queue de course et je vais avancer à allure constante, modérée, sans accélérer car j'ai bien conscience d'avoir 81 ans. Mon objectif est d'aller jusqu'au bout. Et si je dois arriver dernier, je serai dernier.” déraisonnable et irréaliste au possible, JeanPierre Charron s'est mis en tête d'aller au bout s'est entraîné d'arrache-pied aux Etats-Unis, où il réside aujourd'hui. “Comme aux alentours de Houston, où j'habite, il n'y pas de montagnes, j'ai remplacé cela par les gratte-ciel !, confie-il en jubilant. Pour m'entraîner, j'ai grimpé par exemple 386 étages. Ça m'a mis le mental au plafond ! La passion motive ma volonté.” Et, Jean-Pierre de conclure sur un ton espiègle. “Si mon corps veut bien continuer à me suivre, je passerai la barre des 100 ans sur les sentiers. C'est ça la passion de la course à pied !”


2008 GT 128g CO2/km

D E F G

PERFORMANCE DAYS

Consommation mixte (l/100km) WLTP cycle combiné : de 5,7 - émission de CO2 (g/km) WLTP : de 128. Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo. SAINT-DENIS ZI CHAUDRON 0262 48 86 00 • LE PORT CH. DES ANGLAIS 0262 42 61 61 • SAINT-PAUL CHAUSSÉE ROYALE 0262 42 61 61 • SAINT-LOUIS AV. DOCTEUR 11RAYMOND VERGÈS 0262 25 05 48 • SAINT-PIERRE ZAC CANABADY 0262 25 05 48 • SAINT-JOSEPH RUE RAPHAEL BABET 0262 31 91 97 • SAINT-ANDRÉ AV. ILE DE FRANCE 0262 48 86 00


DE 30 ANNÉES DE PASSION !

Les Réunionnais maîtres du jeu

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© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

Le Grand Raid succède à la Grande Traversée. La décennie est marquée par la domination réunionnaise symbolisée par la quatrième victoire de Jean-Philippe Marie-Louise et l'avènement de la Reine Marcelle Puy, mais aussi par la mort de deux raideurs sur la course en 2002.

L

'année 1993 marque un tournant. A sept semaines du départ de la 5e édition de la Grande Traversée, l'organisateur Didier Le Méhauté se retire. Il explique qu'à cause de la conjoncture économique, ses partenaires privés et institutionnels ne peuvent pas lui garantir les subsides qui lui permettraient de boucler son budget sécurité. Dans ce contexte

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L'édition de l'an 2000 est forcément spéciale : Gilles Diehl et Thierry Técher terminent main dans la main. morose, un homme refuse de baisser les bras : JeanPierre Charron, le directeur technique. A six semaines du départ, il reprend les rênes de l'organisation, en s'appuyant sur une structure associative Bourbon Rando. “C'est la passion au départ qui me pousse à relever le défi avec Roger Fagonde et d'autres, raconte Jean-Pierre Charron. Je ne pouvais pas admettre que cette course soit abandonnée.”

Avec Patrick Lefloch, Charron dessine alors les contours d'un nouveau projet. “Je voulais que ce soit grand et beau”, résume le nouvel homme fort. Il met donc toute son énergie, pour réaliser cette profession de foi. En tant que passionné de photographie, il veut mettre en avant les plus beaux points de vue de La Réunion. “Je voulais que le plaisir soit le dénominateur commun de cette course”, ajoute-t-il.


Mardi 18 octobre 2022

MARIE-LOUISE, L'HOMME-VOLANT

Il a gardé un pied dans la montagne. Quatre fois vainqueur de l'épreuve (une fois la Grande Traversée en 1992 puis trois fois le Grand Raid en 1994, 1995 et 1996), Jean-Philippe Marie-Louise est en effet en contact au quotidien avec les habitants de Mafate. “Je m'occupe de les assister en tant qu'adjoint à la Mairie de Saint-Paul. Je suis donc toujours sur les sentiers”, nous confie-t-il, signe qu'il n'a pas abandonné les cirques qui ont fait sa renommée. Jean-Philippe Marie-Louise a en effet été un personnage incontournable du Grand Raid au carrefour des années 90. Et pourtant, le Saint-Paulois est venu très tardivement au sport. “A 26 ans, j'ai commencé par le vélo”, précise-t-il. A l'époque, il n'a pas d'ambition particulière, si ce n'est de participer gentiment à la première Grande Traversée en 1990. “Je l'ai finie à la 40e place (36e, ndlr)”, confie-t-il. Il se prend alors au jeu, termine 7e l'année suivante. Ce qui lui donne des idées. “Après cette place d'honneur, je me suis dit que ça valait peut-être la peine de m'entraîner sérieusement, reprend-il. J'ai donc mis le paquet et j'ai surtout fait un pari avec mes collègues de boulot et ma famille.” Jean-Philippe travaille alors en tant qu'ambulancier à SaintDenis. Et le pari est osé. “Je leur ai dit à tous qu'en 1992, je gagnerai la Grande Traversée.” Pari tenu. Le résultat est même sidérant. Marie-Louise survole la course longue de 124 km et remporte l'épreuve en 17 h 20'. “A partir de là, je me suis entraîné comme un fou, dit-il. Je faisais la navette tous les matins entre Bois-de-Nèfles Saint-Paul où j'habitais et Saint-Denis où je travaillais en crapahutant dans la montagne.”

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

LA RIVALITÉ AVEC MURAT En 1994, il gagne pour la deuxième fois. Mais cette fois-ci, la victoire a un petit goût amer. C'est sur tapis vert qu'il remporte le Grand Raid, après la disqualification de Jacky Murat, arrivé premier à La Possession mais coupable selon la direction de course de ne pas avoir pointé à La Roche Écrite et Saint-Bernard. Vingt-huit ans après, Marie Louise n'a rien oublié de cet épisode rocambolesque. “Je suis passé à un premier pointage, raconte-t-il. J'ai interrogé les contrôleurs qui m'ont dit qu'ils n'avaient vu personne passer. J'ai donc continué ma course jusqu'à un autre pointage où l'on m'a encore assuré que j'étais en tête. Vous imaginez bien que quand j'ai vu que Jacky Murat était annoncé premier sur la ligne d'arrivée, ça m'a évidemment étonné. Par où était-il passé ? Je ne sais pas.” Toujours est-il que sur le coup, Marie-Louise digère mal cette victoire dont on lui a un peu volé la célébration quelque part. Les doutes qui s'expriment à son égard l'ont carrément blessé. Et on sait qu'une bête blessée devient dangereuse. Aiguillé par sa rivalité exacerbée avec Jacky Murat, il se prépare donc comme un dingue en 1995 et devance largement Cléo et Yvon Libelle. “Dans mon esprit, cette victoire était une revanche sur le mauvais sort, souligne Jean-Philippe. Une vengeance, même. Murat m'attendait au tournant. Il voulait gagner. Mais, il n'a pas réussi.” La rivalité prend encore une autre dimension l'année suivante, quand Marie-Louise s'impose en 16 h 20', devant cette fois-ci son adversaire de toujours, qui termine en 17 h 30'. Il signe sa quatrième victoire. Ce qui en fait le co-recordman de l'épreuve avec François D'Haene. “Ça me fait plaisir, ça fait plaisir surtout à ma famille, conclut Jean-Philippe. Je ne sais pas, c'est peut-être arrivé un peu par hasard. Mais bon, je prends ce record. Ne dit-on pas, champion un jour, champion toujours !”

Quatre victoires en dix ans : Jean-Philippe Marie-Louise est le grand homme du début du Grand Raid. 1313 13


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© PHOTO : DAVID CHANE

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Avec deux victoires, Thierry Técher a mis de l'émotion dans le cœur des Réunionnais.

Il double le prix d'inscription aussi, de manière à

lier seul de Patrick Maffre qui s'impose au terme des

sourire aux lèvres. Le parcours leur a plu par la mise en

garantir la sécurité, et rebaptise la Grande Traversée en

129 km (6 600 m de dénivelé positif) en 16 h 30' devant

valeur des sites emblématiques de l'île, comme le voulait

Course de la Pleine Lune, première édition en 1993 du

Jean-Philippe Marie-Louise, le vainqueur de l'année pas-

Charron. Les ravitaillements nombreux et achalandés

Grand Raid dans sa version finale.

sée (17 h 14'), et Cléo Libelle (18 h). Chez les femmes,

ont été une réussite. “De par mon expérience des grands

Le 29 octobre, ils ne sont finalement que 461 à prendre

Etienne Régine est la gagnante en 27 h 26'. Elle devance

chantiers internationaux, sur les centrales nucléaires ou

le départ à Cap Méchant.

Anne Legarrec (28h01') et Mireille Séry (28 h 53').

sur les raffineries pétrochimiques, j'ai le souci du détail,

La course, chez les hommes, se résume à un cava-

A la Possession, terme de l'arrivée, les coureurs ont le

confie Charron, avec le recul.

TÉCHER, CŒUR DE LION

C'est Gisèle, sa femme, qui raconte son Thierry. “Le Lion”, comme l'avait si joliment dépeint Patrick alias Michel Vergoz dans ses envolées lyriques radiophoniques, était un être à part, “au grand cœur”, dit-elle. Jamais avare de compliments sur les autres, altruiste, jusqu'au plus profond de son âme. “Il me tirait sans cesse vers le haut”, confie pudique Richard, son cousin, compagnon d'entraînement de “La cuisse”, autre surnom dont on avait affublé Thierry, légende du trail réunionnais, double vainqueur du Grand Raid en 2000 et 2002, décédé le 16 décembre 2020 d'une longue maladie. Cabossé par des débuts chaotiques dans la vie, le Saint-Louisien s'en était relevé grâce à la seule force de son caractère, conjuguée à sa rencontre avec la montagne, alors qu'il naviguait au bord du précipice. Denis Boullé, éducateur en milieu pénitentiaire, avait

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tendu en effet la main à l'ancien détenu, l'incitant à partir courir sur les sentiers, puis à participer à l'aventure du Grand Raid. Thierry avait saisi la perche tendue. Sa résilience le porta sur les sentiers de la gloire. Il gagna le respect de tous, grâce à sa hargne autant que sa gentillesse légendaire. Un épisode cristallisa la valeur de l'homme. On était sur le GrandRaid 2000. Le Breton Gilles Diehl faisait la course en tête, quand il s'égara avant d'arriver au Colorado.

“SIMPLE, GENTIL, GÉNÉREUX” Ce fut Thierry, arrivé de derrière, qui le remit sur la bonne route, l'éclaira quand Diehl constata la panne de sa lampe. “Je n'oublierai jamais ça, confie encore touché le Morbihannais, vingt ans après. L'image de générosité de Thierry me restera jusqu'à la fin de ma vie. Il a incarné ce jour-là ce qu'est l'esprit sportif.”

Les deux hommes franchiront la ligne main dans la main, laissant au passage l'image symbolique et fraternelle d'un zoreil et d'un créole, unissant conjointement leurs efforts, pour un bien commun. Une démonstration par le truchement du sport de ce qu'est le vivre-ensemble en somme, initiée par un Técher, à la noblesse d'âme rare, sachant “donner aux autres”, dixit Diehl, en toutes circonstances. Tel était l'homme qu'a connu Gisèle. “Simple, gentil, généreux, qui pleurait de rage quand il abandonnait”, dit-elle. Un cousin, “qui n'aimait pas l'injustice”, prolonge Richard. Forte personnalité, fort mental, qui l'amènera à gagner une deuxième fois le Grand Raid, en solitaire, cette fois-ci, en 2002. “Il a mis de l'émotion dans le cœur des Réunionnais avec ses victoires”, conclut sa femme.


Crédit photos : ???

Crédit photos : René Carayol

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© PHOTO : DAVID CHANE

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A 60 ans, Cléo Libelle s'alignera cette année sur le Trail de Bourbon.

LIBELLE, LE MAFATAIS

Ah Mafate ! A peine évoque-t-on le cirque, que le visage de Cléo Libelle s'éclaire, sur le tartan du collège Jean Albany. Le double vainqueur de la Diagonale 1998 et 1999 a beau être installé “sur la côte”, à la Possession, depuis 1988, son cœur est à Ilet-à-Malheur. Définitivement. “Je suis toujours Mafatais dans ma tête. Fier de l'être”, confie-t-il avant de raconter son enfance sur les sentiers du cirque. “J'y ai vécu de 0 à 18 ans. On faisait beaucoup de marche à pied, on allait chercher les commissions à Bélier, Grand-Ilet ou à la Rivière-des-Galets, depuis Ilet-à-Malheur. On portait tout sur notre dos ou sur notre tête, les sacs de ciment, la tôle, les denrées alimentaires. A 10 ans, je portais déjà régulièrement 30 kg.” Une vie de labeur, qui lui a forgé des cuisses de titane, des capacités d'endurance inépuisables et un mental d'acier. “La course à pied coule dans le sang des Mafatais, reprend Cléo. On est né sur les sentiers. C'est en nous. On est fait pour ça.” Cléo a eu le mérite d'être l'un des premiers d'entreeux à se distinguer sur le Grand Raid. Ensuite, les autres ont suivi. “Je suis fier d'avoir montré l'exemple avec Yvon, mon cousin, aux jeunes

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générations de mon cirque, souligne-t-il. Quand je vois aujourd'hui les résultats de mes jeunes cousins Jean-Pierre Grondin, Benoît Grondin, Ludovic Libel et Gilberte Libel, je suis content de cette tradition des “champions” mafatais qui se perpétue avec eux.”

SUR LE BOURBON, CETTE ANNÉE Grand tonton des jeunes du cirque, Cléo s'occupe aussi des populations situées sur la côte. Ce jourlà, sur la piste qui jouxte le collège des Hauts de la Possession, il a rendez-vous avec les traileurs de son groupe d'entraînement du Caposs, où il officie en tant que coach. “Je m'occupe d'une quarantaine de personnes, dit-il. Je les prépare au Grand Raid en particulier.” L'occasion de retrouver Mafate, durant ces entraînements. Il y a quelques jours, il y était encore avec son groupe. A crapahuter, non loin de la maison qu'il possède à Ilet-à-Malheur. Pour préparer le prochain Trail de Bourbon auquel il participera à bientôt 60 ans. Histoire de garder la forme. Le moral, aussi. Qu'il avait perdu en 2006,

quand sa femme est subitement décédée. “Je me suis retrouvé tout seul à élever mes quatre enfants, avoue-t-il. Je me suis alors complètement retiré de la course. Heureusement que j'ai eu des amis, des journalistes et des sportifs en particulier, pour m’aider à surmonter cette épreuve difficile. Si je suis encore là, c'est grâce à tous ces soutiens. Ils m'ont aidé à me reconstruire.” Depuis, il a repris goût au sport. Comme au temps de sa splendeur. Lorsqu'il avait pris Gallissiaz et Marie-Louise de vitesse en 1998, pour l'emporter. Ou en 1999, quand il avait constitué un ménage à trois, avec Yvon et Gilles Diehl, qui promettait de finir ensemble jusqu'à ce qu'Eddy Myrtal joue les trouble-fête, vienne remettre en cause ce pacte, en les dépassant. Cléo avait alors réagi promptement et gagné au sprint “avec une minute d'avance” sur Myrtal à la Redoute. Comme un coureur kenyan, capable de dynamiter un dernier tour de 10 000 m, en accélérant subitement la cadence. Et si les Mafatais étaient les Kenyans de La Réunion ? Cléo sourit. “Oui, tout à fait”, conclut-il sans hésitation.


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Tout en évitant les dépassements budgétaires, je me soucie d'emblée de l'apport de la nourriture et des boissons à tous les postes, je contacte l'armée pour les lits picots et les tentes, bref je me concentre sur tout l'aspect logistique de la course.” C'est un succès, sur le plan festif. “A Cap Méchant, je me rappelle qu'on avait positionné une haie d'écoliers sur 200 m, témoigne encore Jean-Pierre Charron. Ils avaient dans la main des flambeaux, ce qui donnait un air féerique à ce départ. Je voulais en effet de l'impact visuel à tous les niveaux.” Avec son équipe, Charron contribue ainsi déjà à donner au Grand Raid une dimension spectaculaire, conviviale, “avec des groupes folkloriques” présents sur le parcours, tout autant qu'une dimension touristique en réfléchissant à une politique de communication tournée vers la promotion de l'événement à l'extérieur. La couverture médiatique qui s'amplifie l'y aide. Ce sont plusieurs médias nationaux et internationaux qui diffusent en effet l'épreuve dans leur pays respectif.

© PHOTO : THIERRY VILLENDEUIL

LA DISQUALIFICATION DE MURAT Malgré cette reconnaissance planétaire, le Grand Raid n'échappe pas aux couacs. En 1994, Jacky Murat arrive en effet le premier sur la ligne d'arrivée à la Possession en 17 h 31 (130 km, 6 918 m de dénivelé), devant MarieLouise, second en 18 h 29', mais c'est ce dernier qui est finalement déclaré vainqueur sur tapis vert (Mireille Séry l'emporte chez les femmes en 30 h 47'). Murat n'aurait pas pointé aux postes de La Roche Ecrite et Saint-Bernard. Il s'estime floué mais sa disqualification est maintenue.

Trois podiums pour Yvon Libelle dans les années 1990 : l'un des plus réguliers de ces premières courses. 17 17


DE 30 ANNÉES DE PASSION !

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02 Quant à Marie-Louise, il a l'occasion de faire taire définitivement ses détracteurs, en gagnant les deux éditions suivantes. En 1995, il boucle un Grand Raid record à la Grande-Chaloupe dans le temps canon de 14 h 41' (121 km, 6 376 m). Il devance les deux Libelle, Cléo (15 h 23') et Yvon Libelle (16 h 01'). En 1996, il récidive, empoche sa troisième victoire consécutive en 16h20', la quatrième de sa carrière, qui en fait avec François D'Haene, le co-recordman des victoires à ce jour. Il devance à l'issue des 124 km (7 140 m de dénivelé) dans l'ordre Jacky Murat (17 h 30') et Yvon Libelle (18 h 33') et annonce que ce sera son dernier Grand-Raid. L'année précédente, Jean-Pierre Charron a fait la même annonce. Le patron du Grand Raid a passé la main à Michel Noël, au moment où l'on assiste à l'avènement d'une grande championne. Marcelle Puy gagne en effet en 1995 chez les femmes en 24 h 59' devant Mireille Séry (25 h 0 6') et MarieClaude Moutoussamy (25 h 36'). “C'était mon premier Grand Raid, confie Marcelle. Je n'avais pas d'expérience, je n'avais jamais fait de montagne. Je faisais surtout de la route à l'époque. J'étais donc totalement livrée à moi-même. C'est pour ça que lorsque j'ai gagné, j'ai fondu en larmes.” L'année suivante, Josiane Catois s'impose en 23 h 06'.

LA REDOUTE, SITE D'ARRIVÉE C'est avec ses jambes que Pascal Parny, double lauréat, préférait parler.

PARNY, UN HÉROS TRÈS DISCRET

“Le pompier de service a mis le feu à la course”, titre le Quotidien le 20 octobre 2001. A la surprise générale, Pascal Parny enlève le Grand Raid pour la première fois. Le pompier de la Plaine-des-Palmistes est le premier à être étonné par sa performance. Mais pour les passionnés de l'Ultra-trail, ce succès, qui en appellera un deuxième en 2008, n'est pas franchement un hasard. Pour Michel Jourdan, fin connaisseur et responsable du site Runraid, Pascal Parny est un athlète hors normes. “A mon avis, c'est le meilleur de tous les Réunionnais qui ont gagné le Grand Raid, assène-t-il. Il a fait très peu de courses dans sa carrière, mais le peu qu'il a fait, il était audessus des autres. Si Parny était très fort, il a par contre toujours été très, trop discret.”

“J'AI TIRÉ UN TRAIT SUR LE GRAND RAID” Le Palmiplainois est en effet un ermite pour les journalistes. Il les fuit le plus possible. A Olivier Bessy, auteur du livre référence, Le Grand Raid de La Réunion, il avait déclaré en 2002 : “Tout le cinéma, après le Raid, les journalistes, ça me perturbe. Je préfère rester en dehors. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne prendrai pas le départ cette année, car je n'ai pas envie de subir la pression.

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J'aime passer inaperçu. J'aime rester en dehors de l'agitation médiatique.” Dans ces conditions, on se doutait qu'il serait difficile d'entrer en contact avec lui. Mais à force d'insistance, le double vainqueur de la Diagonale a accepté de forcer sa nature réservée l'espace de quelques minutes. Au téléphone, chez lui, dans sa caserne de pompiers, au milieu de ses amis, il nous a donné de ses nouvelles. “Je vieillis comme tout le monde, commence-t-il par nous dire en rigolant. J'ai 52 ans. Je me consacre au bricolage et à mes animaux sur mon terrain de la Plaine, que je m'efforce d'entretenir. Ce sont mes passe-temps.” Le Grand Raid est désormais loin de ses préoccupations. “J'ai tiré un grand trait sur le Grand Raid, nous dit-il encore. Je ne renie pas ce que j'y ai vécu. Mais, ça fait partie du passé et je n'aime pas trop vivre avec.” Il court toujours en revanche, pour s'entretenir, mais se tient éloigné de la compétition. “Car j'ai un problème au genou, se justifie-t-il. Donc, ça me handicape pour faire des grandes sorties. Je me contente donc la plupart du temps de faire des footings, assez régulièrement certes, mais sur des distances relativement courtes.” Il vit une vie de solitaire. Celle qu'il a choisie et lui convient le mieux.

A partir de 1997, la participation se densifie. On passe de 982 coureurs à 1 415 inscrits ! Le dénivelé positif s'envole : près de 8 000 m ! Et Maffre, le descendeur, s'impose au terme des 125 km en 15 h 37' devant deux autres “locaux” Pascal Parny (16 h 50') et Yvon Libelle (17 h 18'). A l'issue de sa troisième victoire sur la course, le Cafriplainois tire sa révérence. Chez les femmes, les Métropolitaines font la loi. Corinne Favre gagne en 24h35' devant Anne-Marie Bais Leroux (25 h 36') et Christine Rischard (25 h 55'). 1998 marque un nouveau changement. Pour donner plus de relief au Grand Raid surnommé dorénavant La Diagonale des Fous, Michel Noël et son équipe décident de déplacer le site d'arrivée de la Grande Chaloupe au stade de La Redoute à Saint-Denis. Cela permettra d'accueillir plus de public dans un espace clos qui donnera plus de visibilité aux sponsors. C'est dans ce contexte que Cléo Libelle l'emporte. Le Mafatais d'Iletà-Malheur s'impose au bout des 128 km en 17 h 45' et devance de seulement trois minutes Théodule Gallissiaz (17 h 48') et de dix minutes Jean-Philippe Marie-Louise (17 h 55'). Chez les femmes, Corinne Favre récidive en 22h51' devant Olga Francon (25 h 10') et Anne-Marie Bais Leroux (25 h 20'). Après trois années à la tête de l'organisation, Michel Noël cède sa place à l'avocat Robert Chicaud en 1999. “Toute ma démarche en tant que président va être alors de formaliser, organiser l'implication des Réunionnais(es) dans la course du Grand Raid, explique le nouveau président. Car j'ai toujours pensé que cette course était un héritage culturel qui leur appartenait. Très vite, j'ai d'ailleurs senti que cette course était une partie de leur vie, qu'ils y mettaient toute la simplicité et la générosité qui les caractérisent.” Du Cap Méchant au stade de La Redoute à SaintDenis, soit 125km, c'est Cléo Libelle, une nouvelle fois, qui l'emporte de justesse en 17 h 50'31''. Il ne devance en effet Eddy Myrtal que d'une minute (17 h 51'46''). Son cousin Yvon Libelle est troisième à seulement trois minutes (17 h 53'40''). Mireille Séry s'impose quant à elle pour la troisième fois sur l'épreuve en 2 4h 44'.


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© PHOTO : DAVID CHANE

LE GRAND RAID ENDEUILLÉ

En 2002, Robert Chicaud conclut la course les traits tirés, après les deux décès survenus dans la course.

Le dixième anniversaire de la Diagonale des Fous est marqué par deux tragédies. Président du Grand Raid à l'époque, Robert Chicaud n'a rien oublié de cette année maudite, de ce souvenir douloureux de 2002, encore bien vivace dans sa mémoire, vingt ans après. “On vient d'apprendre le matin le décès d'un concurrent, dit-il. Le premier de l'histoire du Grand Raid (dans la descente du coteau de Kervéguen, ndlr). Une mort d'un infarctus à côté des pompiers, quelque chose d'impossible à déceler et à réanimer. Et puis, survient dans la foulée le décès d'un coureur hollandais qui en voulant doubler dans la montée de la Plaine des Chicots dérape et fait une chute de 300 mètres.” Un accident imprévisible, sur une portion de sentier étroite. “Guus était un compétiteur aguerri, très fort, reprend Chicaud. Quand il a doublé un concurrent réunionnais que j'ai auditionné, ce dernier m'a raconté : “mwin la koz kreol avec li. Mi di a li : double pa la, double pa la ! Mais je crois qu'il ne m'a pas compris. J'aurais dû lui parler en français. Il a alors doublé et il est tombé.” Vous vous rendez compte : il nourrissait un sentiment de culpabilité. Il n'y était pour rien pourtant, le pauvre.” A la suite de ces drames, la direction de course fit une réunion de crise. “On s'est posé la question de savoir si on arrêtait la course, se remémore Robert Chicaud. Mais les autres compétiteurs ne le méritaient pas. La course était partie. On a donc décidé de la laisser se poursuivre tout en neutralisant les derniers concurrents à partir de Grand-Ilet.” L'organisation ne voulait pas prendre de risques avec l'ascension de la Roche Ecrite de nuit. Cela concerna 300 raideurs environ. Robert Chicaud et son équipe avaient beau avoir pris à l'époque des précautions extrêmes en matière de sécurité, les risques encourus par les compétiteurs demeuraient vu le relief escarpé de l'île. En 2012, un autre accident allait endeuiller encore le Grand Raid avec le décès accidentel d'un traileur, au col de Fourche, victime d'une chute. “Depuis, à chaque départ de Saint-Pierre, je ne vis plus, confie Robert Chicaud. J'ai la hantise qu'il arrive quelque chose. J'ai toujours en mémoire ces trois personnes qui ont perdu la vie. Nous avons été entendus par la gendarmerie et blanchis. Malgré tout, dans ta propre conscience, tu ne peux pas t'empêcher de te dire que ces gens-là étaient venus chercher du bonheur sur le Grand Raid, et qu'ils y ont trouvé la mort.”

“MONSIEUR CHICAUD, OU LACHE PA” L'ancien président l'a gardé à l'esprit. Les Ultras comporteront toujours une part de risques. Il vit sans cesse avec cette épée de Damoclès, au-dessus de la tête. A l'époque, après les accidents, il a fallu en effet avoir les reins solides pour encaisser les critiques qui ne manquèrent pas de surgir, remettant en cause jusqu'à l'existence du Grand Raid. “Je me souviens être passé dans une grande surface du côté de Saint-Benoît, juste après les deux décès. En passant, la caissière du magasin m'avait interpellé. Elle m'avait dit : “monsieur Chicaud, ou lache pa hein !” Etranglé par l'émotion, Robert Chicaud s'arrête un bref instant puis reprend difficilement pour conclure. “Ça m'a fait prendre conscience à cet instant-là de ce que représentait cette course aux yeux de la population réunionnaise. Pour cette caissière, le Grand Raid était une part de son identité.”

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DE 30 ANNÉES DE PASSION !

Si Libelle a gagné, il en est un qui a beaucoup appris de cette édition 1999. C'est Gilles Diehl, le Breton. Longtemps, il a fait la course en tête avec la famille Libelle, avec laquelle il s'est lié d’amitié sur le parcours. Mais c'est une autre amitié, qui va se nouer l'année suivante, alors que l'on passe la barre des 2 000 inscrits (2 215). Diehl semble voler vers la victoire quand il se perd vers le gîte des Chicots. “Je me sentais très fort et puis je me suis mis à descendre, descendre jusqu'à perdre les balises de vue, raconte Gilles Diehl. Je suis alors remonté sur mes pas et je suis tombé sur Thierry (Técher) en face de moi, qui m'a remis sur le bon chemin. C'est là qu'on a décidé de finir ensemble main dans la main. Cette image de nous deux me restera jusqu'à la fin de ma vie.” Les deux hommes bouclent le parcours en 16 h 43'. Chez les femmes, Corinne Favre remporte sa troisième victoire en 23 h 25'.

LA MORT AU TOURNANT 2001 voit la confirmation du talent naissant de Pascal Parny. Le Palmiplainois, pompier de profession, domine la course longue de 125 km et s'impose en 16 h 01' devant Charles-André Fontaine (16 h 13') et Cléo Libelle (17 h 51'). Chez les femmes, Corinne Favre l'emporte pour la quatrième fois en pulvérisant le record de l'épreuve (20 h5 6'). Cette décennie se termine sur un double drame. Lors de l'édition 2002, remportée par Thierry Técher en 17 h 55'21'' chez les hommes et Marcelle Puy en 20 h 54'28'' chez les femmes, le Grand-Raid est endeuillé par la mort de deux traileurs, l'un victime d'un arrêt cardiaque, l'autre d'une chute de 300 mètres alors qu'il voulait doubler un concurrent. Le dixième anniversaire du GrandRaid s'achève par un moment de recueillement pour tous ■

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2002 : LA REINE MARCELLE SUR LE TRÔNE

Marcelle Puy, la divine. Non, la Reine Marcelle ! Le surnom dont les Réunionnais l'ont affublée. Devant la cathédrale de la rue de Paris, elle en rit. “Je préfère Marcelle, s'esclaffet-elle. Car la Reine, c'est un peu lourd à porter, non ? Mais bon, je le prends avec philosophie.” Comme une marque indéfectible d'amour. Cet amour inconditionnel du public qui l'a si souvent portée sur les sentiers. Et notamment en 2002. L'année de son plus bel exploit. Celui qui lui a valu la couronne de reine à l'instar de feu Elizabeth II. Tout le monde a gardé en mémoire cette page de l'histoire du Grand Raid. En direct, sur les ondes, les commentateurs vont alors rivaliser de superlatifs pour qualifier ce qui est en train de se nouer sous leurs yeux ébahis. Rendez-vous compte : la petite Possessionnaise a dépassé Charles-André Fontaine au sommet du coteau de Kervéguen. A Marla, au beau milieu de cette édition de 125 km, elle est même pointée en cinquième position au scratch. Encore sixième à Grand-Ilet, elle réalise un exploit majuscule ! “J'avais bossé très très dur, multiplié les entraînements, en amont, raconte-t-elle. Je me rendais même en vélo au travail, pour entretenir la forme physique. Par conséquent, j'étais super bien durant la course. Dès le départ, j'ai eu de très bonnes sensations.” La fidèle du Caposs vole littéralement sur les sentiers. Et ses supporters s'en rendent rapidement compte. “A chaque passage au ravito, les gens m'applaudissaient à tout rompre,, avant de raconter émue. Quand j'ai pointé là-haut, à la Plaine-des-Sables, j'ai vu Marcella, ma jumelle. Elle

avait acheté un petit bandana orange pour moi, avant la course. Quand elle m'a vue au loin avec ce bandana, elle n'y a pas cru. Elle a sauté dans mes bras. Un moment inoubliable, comme plus loin, à Cilaos, quand j'ai croisé le regard de maman et de mes frères. C'est resté gravé à jamais dans ma mémoire et je le dois encore une fois à cette course folle de 2002.”

“J'AI PRIS PEUR” Car Marcelle est sur une autre planète, portée par une force exceptionnelle, à la limite du surnaturel. Elle est carrément en lévitation. Tellement sûre de sa cadence effrénée qu'elle s'en inquiète, à un moment donné. “Quand on m'a annoncé que j'étais cinquième au scratch, j'ai frissonné de plaisir mais j'ai surtout pris peur en fait, confie-t-elle. Je me suis dit que j'étais peut-être partie trop vite, que j'avais surestimé mes capacités et que j'allais le payer. J'ai donc décidé de lever un peu le pied.” Du coup, elle va rétrograder. “J'ai eu en plus un petit coup de mou en descendant La Roche Écrite, où j'étais encore neuvième au scratch, dit-elle encore. Je me suis alors fait doubler par quelqu'un de la Possession.” Finalement, elle termine la course en 10e position au scratch. Exploit retentissant car c'est la première fois qu'une femme intègre le top 10 du Grand Raid. Cette performance s'accompagne bien sûr d'un record. Auteure d'un chrono éblouissant (20 h 54'), Marcelle bat la meilleure marque de l'épreuve détenue jusqu'alors chez les femmes par Corinne Favre. Reine à jamais !

TAPIE : “COMBIEN ÇA COÛTE LE GRAND RAID ?”

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© PHOTO : AFP/GERARD JULIEN

Bernard Tapie n'est plus. L'homme d'affaires est décédé le 3 octobre 2021. Il aura eu une vie aux multiples facettes, jouant plusieurs rôles à la fois : chef d'entreprise, homme politique et ministre, chanteur, acteur. Evidemment président de l'OM aussi, avec lequel il a gagné la Coupe d'Europe des Clubs Champions en 1993. Mais c'est avec la casquette d'homme d'affaires qu'un jour de 2000 ou 2001 semble-t-il, l'incontournable Tapie prend son téléphone. A l'autre bout du fil, Robert Chicaud, le président de l'association Grand Raid, nous restitue la conversation de l'époque : “Ouais allô Robert Chicaud ? c'est Bernard Tapie. Dites-moi, c'est bien le Grand Raid ! Mais c'est combien ? - Pardon, je ne comprends pas monsieur Tapie. - Combien ça coûte ? répète-t-il. - Bah on a toutes sortes de partenaires, je lui réponds.

Même Bernard Tapie était intéressé par le Grand Raid.

- Non, non Chicaud, ne perdons pas de temps. Le Grand Raid, c'est combien ? 100 000,200 000 ? (On parlait en francs à l'époque). 300 000, 400 000 ? - Là je lui réponds : ah monsieur Tapie, je crois

que vous vous êtes trompés. On n'est pas à vendre d'abord et ensuite, on ne souhaite surtout pas n'avoir qu'un seul partenaire. - Ah bon, d'accord, très bien.” Et puis il a raccroché et ça a été terminé. En fait, Bernard Tapie ne veut pas racheter le Grand Raid, “mais être son partenaire unique”, résume Robert Chicaud, avant d'avouer : "J'aurais pu faire monter la sauce. Mais, notre philosophie était à l'opposé du discours de Tapie. On ne voulait être dépendant d'aucune personne. C'est la raison pour laquelle on avait et on a encore un certain nombre de partenaires privés dont aucun en particulier n'est déterminant du point de vue de notre trésorerie.” La discussion a tourné court. Chargé de la communication du Grand Raid, Stéphane André a également eu Tapie au téléphone, lui faisant les mêmes réponses que Robert Chicaud.


Mardi18 18octobre octobre 2022 2022 Mardi

© PHOTO : PHILIPPE CHAN CHEUNG

La première décennie du Grand Raid se termine par un exploit : Marcelle Puy finit 10e au scratch.

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DE 30 ANNÉES DE PASSION !

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Le passage à l'internationalisation Pascal Parny est le dernier Réunionnais à gagner la Diagonale chez les hommes en 2008. À partir de 2009, la course devient la chasse gardée des coureurs extérieurs, avec le doublé de la pépite de l'ultra-trail Kilian Jornet. Seule Marcel Puy résiste à cette mainmise en réalisant un quintuplé historique en 2010.

L

a première décennie du Grand Raid s'est achevée en 2002 sur une double tragédie. Elle a marqué les esprits. En 2003, l'accent est bien sûr mis sur le renforcement des mesures de sécurité, même si “le risque 0 n'existe pas”, rappelle en préambule Robert Chicaud qui va doter progressivement son épreuve “d'un pôle sanitaire exceptionnel”

pour parer au maximum à tous les aléas. Cette première édition de la deuxième décennie sonne la révélation d'un pompiste dionysien, au bandana chamarré. Richeville Esparon l'emporte en moins de 18 h (17 h 56') alors que le duo des métros Benoît Laval et Vincent Delebarre finit deuxième main dans la main les 130 km de la course (8 000 m de dénivelé positif), à une heure du vainqueur (18 h 55'). En 2004, Esparon récidive. Alors que les organi-

sateurs ont abandonné la mythique montée de La Roche Écrite et que la barre des 2 000 concurrents est franchie (2 042), le Dionysien profite de la baisse de régime de Pascal Parny, pour faire le doublé, sous la pluie, à La Redoute, en 20 h et des poussières, devançant Vincent Delebarre (20 h 19') et Eddy Myrtal (21 h 01') sur les 140 km du parcours. “Je ne m'attendais pas à gagner en 2003 et 2004, témoigne chez lui, chemin de la Glacière, Richeville Esparon.

ESPARON, LE POMPISTE QUI MARCHAIT AU SUPER

Double vainqueur, Richeville Esparon mène aujourd'hui un autre combat.

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Il faut monter les rampes de Saint-François, par le chemin de la Colline des Camélias, puis le chemin de la Glacière, pour voir Richeville Esparon. Tout en haut de la montagne, avec une vue imprenable sur Saint-Denis, le double vainqueur du Grand Raid 2003-2004 est là, au milieu des siens. Tout près de Sylvine, “madame”, dit-il affectueusement, son bras droit du temps où il participait à la Diagonale. C'est sa femme en effet qui lui concoctait ses repas pour le ravito, prenait soin de lui. Sans elle, sans son entourage, il aurait sans doute pris un mauvais pli. “Je fumais deux paquets de cigarettes par jour, je buvais et je faisais la fête, reconnaît-il. Jusqu'à ce que j'arrête à 28 ans, parce que les cigarettes étaient chères et que j'allais terminer au cimetière.”. Fini “les bars parallèles”, les fameuses boutiques, dit-il en rigolant. A 28 ans, “je me suis mis au sport”, confie-t-il avant d'ajouter : “J'ai découvert Mafate. Mon papa et ma maman en étaient originaires. Ils avaient grandi à Aurère et à Grand-Place-les-Hauts. Je suis parti en somme sur les traces de ma famille, en me mettant à courir dans les cirques.” De fil en aiguille, le pompiste de la rue Lacaussade à Saint-Denis (vingt-sept ans de service, s'il vous plaît !) prend goût à la marche à pied. Il se découvre des qualités : un coeur endurant monté sur des cannes musclées. Et surtout, des nerfs d'acier. “Il faut un gros mental quand vous arrivez au 100e km, explique

Richeville. Sans quoi, vous ne pouvez pas gagner.” Il sait de quoi il parle. En 2003, puis en 2004, il n'était pas le favori. “Les leaders de l'Ultra, c'était plutôt Maffre, Marie-Louise, Libelle, Técher, Parny. Même D'Haene et Delebarre. Mais surtout pas moi. Pourtant, j'ai gagné grâce à ma volonté. Je me suis surpris moi-même.”

”JE ME BATS AVEC MES TRIPES” En 2003, avec un bandana ceignant sa tête, Richeville domine la course, laissant Vincent Delebarre et Benoît Laval finir à une grosse heure de lui. En 2004, il récidive. Parny a craqué devant. Et Esparon, ne laisse pas passer l'occasion de faire le doublé devant Delebarre et Myrtal. “Une belle émotion, j'étais content pour madame”, dit-il pudique, modeste, lui qui se sert de son mental à toute épreuve pour gagner aujourd'hui un autre genre de combat, “beaucoup plus difficile” que le Grand Raid. “Le cancer. Je l'ai appris en 2020, confesse-t-il. Je me bats avec mes tripes comme je le faisais sur le sentier. J'ai bon espoir. J'ai fait une autogreffe. Ça va mieux depuis quelque temps,” Aujourd'hui, Richeville a repris la marche. Il s'occupe de son terrain à Dos-d'Ane, son potager et ses animaux. Il récolte le safran qu'il fait lui-même pousser. “Je suis en arrêt maladie longue durée, conclut-il. Je bouge beaucoup, je m'aère la tête, pour oublier ce truc féroce qui m'est tombé dessus.”


Mardi 18 octobre 2022

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

L'internationalisation du Grand Raid est symbolisée en 2010 par la participation de l'ultraterrestre, Kilian Jornet.

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Crédits photo : Serge Marizy

30 ANNÉES DE PASSION !

Une nouvelle structure pour participer au développement de La Réunion Durable

La SPL EDDEN est créée en mars 2019 sous l'impulsion du Conseil Départemental. Elle est le fruit de la mutualisation de plusieurs entités oeuvrant dans le domaine de la préservation et de la valorisation de l'environnement. La SPL EDDEN fédère différentes expertises au service du territoire.

Les coeurs de métier

PRÉSERVATION & VALORISATION DES ESPACES NATURELS SENSIBLES OBJECTIFS Protéger la valeur universelle exceptionnelle des milieux naturels, enrayer la perte de la biodiversité tout en sensibilisant les Réunionnais et notamment les générations futures.

ENTRETIEN & EMBELLISSEMENT DES PARCS & JARDINS

LUTTE ANTI-VECTORIELLE OBJECTIFS Assurer une mission de prévention et de lutte contre la prolifération de gîtes larvaires menacant les personnes vulnérables.

INSERTION & FORMATION

OBJECTIFS Entretenir et embellir ces espaces pour améliorer le cadre de vie et valoriser le territoire d'un point de vue économique et touristique.

OBJECTIFS Agir pour l'insertion des publics les plus éloignés du marché de l'emploi par l'acquisition d'une expérience professionnelle porteuse de sens, l'accès à la formation et un accompagnement socio-professionnel dédié.

Une SPL citoyenne : penser le Futur

Une SPL Solidaire pour une inclusion sociale

Une SPL de la Croissance Verte

La SPL s'engage pour La Réunion et se mobilise pour préserver et transmettre ce patrimoine d'exception. Une de ses missions fondamentales consiste à sensibiliser le grand public pour favoriser une prise de conscience collective de préservation/valorisation.

La SPL s'est également engagée dans une démarche de co-construction avec les équipes pour bâtir un bienêtre au travail. Cet engagement s'illustre notamment dans la démarche de Responsabilité Sociétale de l'Entreprise.

La Nature Réunionnaise est une richesse patrimoniale et culturelle unique mais c'est également une ressource pour un développement économique raisonné, responsable et éthique.

Préserver & valoriser la nature et une biodiversité unique

Faire du patrimoine naturel le levier d'un développement local raisonné

Engagée pour... Agir solidaire et protéger les plus vulnérables

Au coeur des enjeux d'aujourd'hui et de demain, la SPL EDDEN est un nouvel outil qui oeuvre au service du patrimoine naturel Réunionnais. Elle incarne une ambition du développement durable de La Réunion en alliant inclusion sociale, préservation de l'environnement et développement économique. Elle promeut ainsi un écosystème harmonieux et respectueux de l'environnement.

Béatrice Sigismeau

Gilbert Rivière

Présidente de la SPL EDDEN Vice-Présidente du Conseil Départemental de La Réunion

Directeur Général de la SPL EDDEN

SPL EDDEN La Réunion - 52 route des sables 97427 L'Étang-Salé contact@edden.re - www.edden.re

scannez ici


EDDEN, des femmes et des hommes au service de la nature EDDEN SERA PRÉSENTE SUR LE GRAND RAID AVEC LA PARTICIPATION DE LA TEAM EDDEN AU RELAIS DU ZEMBROCAL TRAIL. Sens du collectif, Engagement, Responsabilité, en écho aux valeurs d'EDDEN, nos coureurs s'engageront dans cette aventure qui reste avant tout une aventure humaine :

• Engagement : en qualité d'acteur engagé et citoyen pour « combattre », protéger, faire évoluer les consciences, se dépasser, puiser au plus profond de ses ressources et potentialités pour en retirer le meilleur ;

• Sens du collectif : pour sa première participation, EDDEN a souhaité mettre en avant cette notion de liens entre les Hommes, du goût du collectif, du coopératif, du « faire ensemble » et de l'importance de tous les maillons d'une chaîne ;

• Responsabilité : l'ADN d'EDDEN l'inscrit dans la mise en oeuvre d'une politique de respect de la nature et de développement responsable de l'île. Aussi, sensibiliser les Réunionnais fait pleinement partie des missions d'EDDEN.

Cette participation au relais du Zembrocal Trail, c'est aussi l'occasion de présenter nos équipes opérationnelles et certains de nos métiers qui participent au quotidien à préserver et valoriser notre biodiversité unique.

Les équipes de la SPL EDDEN interviennent au quotidien sur 14 espaces naturels dont la Grande Chaloupe, le chemin des Anglais, ou encore la Forêt des Hauts de Mont-Vert, traversés par le Grand-Raid. A 62 ans, Jean Marc TATEL, chef d'équipe au sein de la SPL EDDEN, continue avec passion et expertise à protéger et valoriser les espaces naturels de l'ile.

DE LA RÉCOLTE À LA PLANTATION, DE LA GRAINE AU JEUNE PLANT, CHAQUE RELAYEUR VA REPRÉSENTER SYMBOLIQUEMENT L'HISTOIRE DE LA SAUVEGARDE DE NOS MILIEUX NATURELS. Notre parcours commence par la récolte des fruits d'espèces endémiques et indigènes. Ces fruits sont placés dans des petits sachets précisant le nom de l'espèce, le lieu de récolte, la date de récolte, leur nombre,... Les informations sont saisies dans une base de données permettant ainsi de conserver l'origine et la traçabilité des plants. C'est le métier de récolteur. C'est ensuite le moment de la préparation des fruits qui sont pesés, dépulpés, triés. Les graines sont ainsi recueillies en fonction de leur spécificité, afin de permettre leur germination et leur multiplication en pépinière. Elles sont placées dans des bacs à germination, au sein d'un substrat adapté ; régulièrement arrosées, elles vont progressivement germer. Ces jeunes plants vont ensuite être transplantés dans des pots, se développer. Après une phase de sevrage, ils seront prêts à être plantés en milieu naturel. C'est le métier de pépiniériste. EDDEN participe ainsi à la mise en oeuvre du Plan 1 Million d'arbres porté par le Conseil Départemental. Durant le temps de la croissance des plants en pépinière, il s'agira de préparer le terrain, lutter ardemment contre les espèces exotiques envahissantes présentes dans nos milieux naturels. Pour cela, il faudra arracher les jeunes plants envahissants, couper les plus gros, broyer les résidus ou les évacuer, pour enfin planter les espèces endémiques et indigènes. C'est le métier d'ouvrier polyvalent des espaces naturels. Conserver et restaurer une forêt est un travail de longue haleine, qui de surcroît reste dans un équilibre fragile. Aussi, il s'agira de faire connaître, car quand on connait on aime et quand on aime on protège. Sensibiliser et faire découvrir cette biodiversité unique au monde, les espaces et les espèces indigènes de l'île, la problématique des espèces exotiques envahissantes, l'urgence de conservation d'espèces réunionnaises menacées d'extinction au travers d'ateliers ludiques, et au besoin rappeler les règles. C'est le métier de garde animateur.


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© PHOTO : DAVID CHANE

30 ANNÉES DE PASSION !

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Adulé et accueilli comme une star, Kilian Jornet est peut-être et avant tout une antistar.

Je savais que je pouvais faire bien car j'avais un bon mental. Mais je me suis surpris moi-même.” Chez les femmes, Simone Kayser s'impose en 2003 en 25 h 59' devant Martine Harquet (26 h 24') et Margot Hoarau (26 h 36'). Et Alexandra Rousset fait de même en 2004 (2 7h 58') en devançant Margot Hoarau, encore elle (2 8h 19') et Simone Diederich (29 h 10').

LE PARCOURS S'ALLONGE L'année suivante, en 2005, la course (140km, 8 159m de dénivelé positif) se joue dans la montée de Dos d'Ane quand Delebarre craque et abandonne, pour laisser filer Charles-André Fontaine vers la victoire 19 h 49'). Ce dernier devance dans l'ordre Wilfrid

Oulédi (21 h 07') et Sébastien Chaigneau (21 h 10'). Chez les femmes, Sandrine Béranger est la plus rapide (27 h 24') devant Marie-Danièle Séroc (28h27') et Christine Bénard (28 h 40'). À l'issue de cette édition, certaines voix s'élèvent pour critiquer la dureté du parcours et sa longueur excessive. Les organisateurs font le dos rond car en 2006, le format reste le même : 143 km pour 8 700 m de dénivelé positif !

JORNET, L'ANTISTAR

Il est l'ultraterrestre. L'homme qui a fait basculer l'Ultra-trail dans un autre monde, une dimension planétaire. Kilian Jornet a tout raflé : il a gagné quatre fois l'UTMB, cinq fois la Hardrock 100, dix fois la Zegama Aizkorri, neuf fois la Sierre Zinal, une fois la Western States, et on en passe. Il a battu beaucoup de records dont ceux du GR20 et du Tahoe Rim Trail en 2009. Son hégémonie est d'ailleurs éclectique car la légende espagnole est également une pointure en ski alpinisme et en alpinisme tout court où il a multiplié les ascensions les plus emblématiques de la planète, notamment à plus de 8 000 m, dans le cadre de son projet Summits of my life, avec là encore quelques records à la clé. Il est une marque à lui seul. D'ailleurs, après avoir quitté Salomon, il a créé sa propre griffe de trail avec NNormal. Il y véhicule l'image d'un coureur qui lutte pour la préservation de l'environnement et la transition énergétique, un engagement écologique qui lui vaut une partie de ces 1,3 millions de followers sur Instagram. Une star, donc ? L'accueil qui lui avait été réservé par le public sur la Diagonale en 2010 ressemblait en tous les cas à celle d'une rock star, même. Il avait remporté la

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course haut la main, avant de récidiver en 2012, en étant cette fois-ci poussé dans ses derniers retranchements par son compatriote Iker Karrera. Il avait alors gagné le coeur du public réunionnais, qui avait reconnu en lui, pas simplement un athlète d'exception, mondialement renommé, mais aussi une personnalité attachante, à l'opposé du starsystem, simple, humble, proche de la nature.

“LES CERFS-VOLANTS DE KABOUL” Un homme d'une grande humanité qui l'avait démontré en 2015 lorsque le Népal avait été secoué par un terrible tremblement de terre, en aidant lui-même les secours et en récoltant des fonds pour la reconstruction de l'habitat dévasté. De la même manière, cette humanité qui transpire chez lui et est tant appréciée des communicants qui cherchent à vendre cette image auprès du grand public car elle est authentique, la Réunion en avait été témoin en 2013. Touché au TFL (tenseur du fascia lata), distancé par François D'Haene sur la route forestière, descendant du Col des Boeufs,

Jornet s'était assis un instant dans les hautes herbes, face à nous, pour discuter le plus simplement du monde. Malgré la souffrance liée à sa blessure, sa position de super favori en perdition, en tous les cas malmenée, fragilisée, qui aurait pu avoir pour effet de le crisper, le rendre hermétique à la discussion avec un importun de journaliste, il s'était laissé aller à la confidence. On avait parlé bouquins, les Cerfs-Volants de Kaboul, un livre audio retraçant l'histoire pénible du peuple afghan, broyé par les Talibans, qu'il écoutait tout en courant sur le sentier. En le voyant repartir, Urko, son kiné, nous avait confié. “C'est un mec humble. Vous avez vu, il ne se prend pas pour une star. Il fuit la médiatisation même s'il s'y prête volontiers. S'il se met parfois à l'écart, c'est qu'il est timide. Toute cette agitation autour de lui le surprend encore. Ce qu'il aime juste, c'est courir.” En dépit de la souffrance, malgré le fait qu'il n'y ait plus rien à gagner, Jornet avait tenu à aller au bout de ce Grand Raid, rallié en 20e position, 8 h 30' après l'arrivée de D'Haene ! Signes conjoints de son courage et son humilité. Une star, oui. Mais une antistar, surtout.


Mardi 18 octobre 2022

se retrouver

Crédit photo : Johan Drone

et reprendre son souffle

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DE 30 ANNÉES DE PASSION !

À

03 12 À l'image de Julien Chorier, double lauréat, les coureurs extérieurs mettent peu à peu la main sur l'épreuve.

Si la décennie 1993-2002 a été marquée par les victoires réunionnaises, la suivante (2003-2012) est celle de la montée en puissance des coureurs extérieurs, métropolitains et étrangers, sur le devant de la scène du Grand Raid. 2008 symbolise en effet avec Pascal Parny, vainqueur de l'épreuve, le dernier succès d'un coureur local sur la Diagonale. A partir de 2009, les traileurs extérieurs vont truster les victoires. Professeur à l'université, entraîneur, auteur de nombreux ouvrages et articles et consultant télé pour Canal Grand Raid, Eric Lacroix analyse ce changement de paradigme. “La première édition de l'UTMB (2003) marque la montée en puissance de l'ultra-trail en métropole, dit-il. La victoire de Kilian Jornet à l'UTMB en 2008 lance quant à elle le mouvement d'internationalisation de la pratique.” Ces deux phénomènes juxtaposés expliquent selon Lacroix la domination sans partage que vont exercer les métropolitains et les étrangers sur la Diagonale à partir de 2009. Evidemment, les victoires de Chorier (2009, 2011) et Jornet (2010, 2012) ont aussi un effet miroir. “Avant 2009, on avait déjà pas mal de métros qui venaient à La Réunion mais ils ne faisaient pas forcément partie de l'élite, souligne Eric Lacroix. Ils venaient pour le côté lien

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social, le côté populaire de la course. Le fait que les meilleurs mondiaux viennent à leur tour renforce la belle image du Grand Raid auprès du grand public et des amateurs “métros” qui se laissent séduire en grand nombre.” Gilles Diehl confirme. “Mon succès en 2000 à La Réunion a eu un impact en Bretagne, dit le Morbihannais. Au départ, les Bretons parlaient en effet de la “Diag” comme une épreuve de fous, ils en avaient un peu peur. Après ma victoire, ils ont eu envie de s'y essayer. Beaucoup y sont allés, en sont revenus avec plein d'images dans la tête et en ont parlé à d'autres.

LA PROFESSIONNALISATION ARRIVE Le bouche à oreills a fonctionné et l'engouement ne s'est jamais démenti. Aujourd'hui, les Bretons se préparent pendant un an, rien que pour le Grand Raid qui est considéré comme une grosse épreuve en France métropolitaine, le défi ultime, l'une des plus belles courses au monde à faire.” En même temps que l'internationalisation, s'organise la professionnalisation avec l'arrivée des têtes d'affiche venues de l'extérieur. “Avec Jornet en 2010, on voit un coureur très professionnel gagner

le Grand Raid, confie Eric Lacroix. Il a une autre approche de l'entraînement qui se résumait jusquelà à un peu de bricolage. C'est la preuve qu'avec une bonne méthode de préparation, en comprenant comment gérer son sommeil, son alimentation, en réfléchissant à comment s'entraîner sur des parcours plus techniques, comment bien descendre, on peut gagner.” Les coureurs “extérieurs”, les “métros” en premier lieu, mais pas seulement eux, les Japonais, les Américains, les Espagnols qui viennent sur la Diagonale à partir de 2010, ont une démarche à la fois scientifique et empirique en ce qui concerne la préparation. La Diagonale bascule avec eux dans l'ère de la performance. “C'est une richesse à mon avis, prolonge Eric Lacroix. Il y a une frustration chez les locaux parce que ça devient peut-être plus dur de gagner. Mais, avec l'internationalisation, le Grand Raid devient aussi l'une des courses les plus réputées au monde. Il me semble que c'est gratifiant pour les locaux de finir dans le top 10 quand les meilleurs du monde sont présents. Ce serait dommage de faire une course uniquement entre nous. C'est une fierté pour La Réunion d'avoir une course de rayonnement international.”

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

LES “EXTÉRIEURS” ENTRENT DANS LA DANSE


La participation extérieure est en recul. Sans doute, les conséquences de la mauvaise publicité faite par le chikungunya, qui s'est propagé sur l'île. Malgré tout, ce sont bien deux coureurs extérieurs qui vont s'imposer. Deux, et pas un, car Vincent Delebarre et le Suisse Christophe Jaquerod, franchissent la ligne d'arrivée main dans la main en 20 h 39'. Wilfrid Oulédi est troisième (21 h 12'). Chez les femmes, Karine Herry, pourtant perdue à un moment donné, gagne pour la première fois en 26 h 33' loin devant Ghislaine Ribotte (30 h 49') et Margot Hoarau (31 h5 3'). En 2007, le défi extrême que représente le Grand-Raid est plus que jamais d'actualité. 150km sont au programme : l'ère de la démesure guette les organisateurs. Cela ne décourage pas les coureurs extérieurs qui sont de plus en plus nombreux (900 au départ, record absolu). Mais c'est bien un coureur local, un “zoreil” installé à la Réunion, qui va s'imposer. Profitant des problèmes de genou de Delebarre, Thierry Chambry passe en tête à La Nouvelle et rallie l'arrivée en vainqueur, en 23 h 33', devançant Antoine Guillon et Christophe Jaquerod ex-aequos (24 h 46'). Chez les femmes, Marcelle Puy effectue un retour fracassant sur l'épreuve et gagne le Grand Raid pour la troisième fois en 29 h 05' devant Christine Bénard (31 h 35') et Alexandra Rousset (32 h 13').

PARNY, DERNIER DE CORDÉE

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

En 2008, la Reine Marcelle remet le couvert et signe sa quatrième victoire (26 h 20'). La course s'est résumée à un duel Puy-Herry, dans la première partie, avant que Herry n'abdique. Jasmine Rivière est deuxième (31 h 17') devant Nathalie Olasagasti (32 h 26'). Chez les hommes, Pascal Parny et Didier Mussard semblent décider à terminer ensemble une course qu'ils ont dominée de la tête et des épaules. Mais dans la montée de Dos d'Ane, Mussard n'en peut plus et laisse filer le pompier palmiplainois vers la victoire. Pascal Parny s'impose au terme des 147 km (9 184 m de dénivelé) en 21 h 40' devant Didier Mussard (22 h 23') et Richard Técher (23 h 30'). Cette édition 2008 a fait naître des soupçons de tricherie ou de favoritisme sur fonds de rivalité exacerbée entre “métros” et “locaux”. Certaines têtes d'affiche métropolitaines hésitent en effet à revenir, se plaignant du traitement qui leur est réservé sur les sentiers, entre erreurs de balisage, sciemment orchestrées selon eux, et pressions du public jugées excessives à leur encontre. Les coureurs réunionnais rejettent ces accusations, admettant juste

© PHOTO : PHOTO:RAYMOND WAE TION

Mardi 18 octobre 2022

Vainqueur en 2008, Pascal Parny est le dernier lauréat réunionnais du Grand Raid.

qu'ils préfèrent voir gagner un des leurs, face à la montée en puissance de la concurrence extérieure. C'est dans ce contexte tendu qu'approche l'édition 2009, qui va trancher ce débat avec la mainmise progressive des coureurs extérieurs sur la course. Cette année-là, c'est en effet un trio métropolitain qui fait la loi sur la Diagonale. Julien Chorier (22 h0 9'), Ludovic Pommeret (22 h 26') et Antoine Guillon (22 h 47’) raflent les trois premières places dans cet ordre-là. Le premier réunionnais n'est que sixième (Perianayagom). Chez les femmes, en l'absence de la Reine Marcelle, même constat. C'est une quasi inconnue, venue de métropole, Emilie Lecomte qui s'impose en 28 h 58'. Hélène HaegelArpin finit troisième (30 h 39'). Seule, Christine Bénard, deuxième, sauve l'honneur réunionnais (29 h 37'). Dure réalité pour les “locaux”, relayée alors dans la presse régionale, qui s'interroge sur les raisons de ce camouflet. “C'est le début d'une professionnalisation de la pratique de l'ultra trail avec l'arrivée des coureurs extérieurs de pointe”, explique Eric Lacroix, spécialiste de l'ultra-trail.

JORNET, LE PHÉNOMÈNE L'internationalisation de l'ultra et de la Diagonale est en marche. Rien ne va l'arrêter. 2010 est à cet égard symptomatique de cette mondialisation naissante du trail, qui trouve son prolongement à La Réunion. Star incontestée

de la discipline, Kilian Jornet est en effet l'invité des organisateurs qui ont réuni 2 255 participants. L'Espagnol a révolutionné l'ultra. Jusque-là, on considérait qu'il fallait une certaine maturité pour viser la victoire sur des 150 bornes et plus. Lui a prouvé le contraire en remportant l'UTMB à 20 ans seulement en 2008 ! Il confirme sur la Diagonale, en gagnant l'épreuve dès sa première participation. Il boucle les 163km (9 650 m de dénivelé positif) en 23 h 17' loin devant la concurrence incarnée par Antoine Guillon, deuxième (24 h 37') et Thierry Técher (25 h 36'), troisième. Le roi est couronné. Et la reine aussi. Apothéose de carrière en effet pour Marcelle Puy qui enlève sa cinquième victoire sur la course, ce qui en fait la recordman absolu, garçons et filles confondus. La Possessionnaise s'impose en 31 h 48' devant Marie-Danièle Séroc (33 h 04') et Catherine Dubois (37 h 28'). En 2011, le parcours est le même (164 km). C'est le taux d'abandon, par contre, qui bat des records (47% !). La course est dominée par Julien Chorier qui fait le doublé (23 h 56') devant Pascal Blanc (24 h 20') et Didier Mussard (24 h 42'). Chez les femmes, Karine Herry double également la mise après son succès de 2006 (31 h 43'). Elle devance Hélène Haegel (33 h 13') et Christine Bénard (33 h 52').

Karine Herry remporte deux fois la course, dans cette deuxième décennie, en 2006 et 2011. 29


DE 30 ANNÉES DE PASSION !

LES PETITES SŒURS DE LA DIAGONALE Le Trail de Bourbon, depuis 2010, et la Mascareignes depuis 2011, sont venus grossir l'offre du Grand Raid. Les deux petites sœurs de la Diagonale ont elles aussi contribué à la renommée de l'événement du mois d'octobre en permettant à des “Fous” d'un autre genre, sans doute un peu plus prudents ou clairvoyants sur leur potentiel – quoique la vitesse de plus en plus élevée sur ces deux courses des premiers fasse mentir cet adage – de participer à l'événement phare du calendrier. Elles ont en tous les cas permis aux coureurs locaux de se distinguer et d'engranger les succès, là où depuis 2009, sur la Diagonale, ils n'ont plus jamais gagné.

LE TRAIL DE BOURBON. Depuis 2000, le Semi-Raid était une alternative plus courte (60 km) au Grand Raid. Mais la course empruntait alors le départ du GrandRaid pour se terminer à Cilaos. Dans un souci de cohérence, les organisateurs décident alors que ce Semi-Raid doit arriver comme le Grand Raid à la Redoute. En 2010, avec l'allongement de la course l'année précédente, le Semi-Raid est rebaptisé le Trail de Bourbon. Le parcours se densifie. Il passe à 90 km pour plus de 5 000 m de dénivelé, avant d'être encore rallongé ces dernières années, puisqu'il sera long de 109 km (6 256 m de dénivelé positif) en 2022. Il traverse ainsi les trois cirques. Après le départ de Cilaos, il emprunte en effet le cirque de Salazie via Bélouve et Hell-bourg, puis bascule dans Mafate où les concurrents visitent les différents îlets : La Nouvelle, Marla, Roche Plate, Ilet-des-Orangers... La sortie de Mafate se fait par la montée de Dos d’Ane à partir de Deux-Bras. Puis les coureurs passent par la Possession, la Grande Chaloupe, Saint-Bernard et le Colorado avant la dernière descente vers le stade de La Redoute. Sur ce format-là, les Réunionnais ont excellé. Et notamment un : Jannick Sery. Après avoir

déjà enlevé trois Semi-Raids (2005-2006-2007), le traileur de Grand-Bassin a fait un triplé retentissant sur le “Bourbon”, en gagnant les éditions 2012, 2013 et 2014. Un autre Réunionnais lui a emboîté le pas en réalisant un doublé significatif. Il s'agit de l'ancien triathlète, David Hauss, vainqueur en 2017 et 2018. Chez les femmes, Gilberte Libel a également fait très fort en s'adjugeant l'épreuve trois fois (2015, 2016 et 2021).

LA MASCAREIGNES. Avec l'allongement du Trail de Bourbon, les organisateurs du Grand Raid sont obligés de satisfaire les coureurs privés désormais de leur petit format. Ils créent donc la Mascareignes en 2011 pour répondre à l'attente générale. Sa configuration rappelle le Semi-Raid des débuts. La course s'élance la première année de GrandIlet et est longue de 63 km, avec 3 000 m de dénivelé. Tout de suite, la “Masca” connaît un succès retentissant auprès des raideurs, obligeant les organisateurs à effectuer désormais un tirage au sort à l'instar de la Diagonale. Cette année, le départ sera donné de Hellbourg. Les participants devront effectuer 72km et gravir 3880m de dénivelé positif. Le tracé sort de Salazie par le Sentier Scout et plonge dans le cirque de Mafate. Après avoir traversé Mafate, les traileurs retrouvent la côte et se dirigent vers l’arrivée au stade de la Redoute à Saint-Denis. Sur ce format-là, les Réunionnais ont là aussi souvent brillé. Chez les hommes, Jean-Eddy Lauret s'est adjugé la course trois fois : 2013, 2015 et 2017 !

LE ZEMBROCAL TRAIL. il a fait son apparition en 2017 et se court en relais de quatre. Les équipes doivent effectuer en 2022 un parcours de 148,2 km et gravir 7 990 m de dénivelé positif.

Triple vainqueur du Semi-Raid, puis du Trail de Bourbon, Jannick Sery est bien le Roi des petites sœurs du Grand Raid. 30

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Le Grand Raid n'aurait jamais atteint sa dimension actuelle sans le formidable travail des bénévoles.

L'édition 2012 marque le retour du monstre Kilian Jornet sur la course, dans le cadre du 20e anniversaire de l'épreuve. A bien des égards, elle va marquer les esprits. D'abord, par sa longueur : 170km pour 10 800m de dénivelé positif. Ensuite, par le nombre de ses abandons : 48%, record de l'année précédente battu. Cette année 2012 est également marquée par une nouvelle tragédie et la mort accidentelle d'un concurrent

dans un ravin au Col de Fourche sur le sentier Scout, entre Salazie et Mafate. Quelles que soient les mesures de sécurité prises, les risques inhérents à la pratique de l'ultra perdurent. Dans ce contexte tragique, Kilian Jornet remporte la course en 26h33'. Il a pourtant dû se battre contre la fatigue. Son compatriote Iker Karrera lui a mené la vie dure, passant en tête à Marla, avant de défaillir dans la montée du Maïdo et de le laisser filer

vers la victoire. Guillon (27h44') et Lejeune (29h39') complètent le podium. Chez les femmes, Emilie Lecomte réalise le doublé. Après sa victoire en 2009, elle s'impose en 33h03' devant Martinez Urruzola (35h27') et Bottger (39h23). Ainsi, se termine cette décennie marquée par l'internationalisation du Grand Raid et le début de l'hégémonie des coureurs extérieurs sur le Grand-Raid ■

BÉNÉVOLE, UN SACERDOCE !

Ils sont les autres héros de la course. A côté des raideurs, stars ou anonymes, des supporters assidus, des professionnels des médias ou de l'animation, ils représentent une partie de la caravane du Grand Raid. Sans les bénévoles, la course n'existerait pas en effet. Elle n'aurait pas cette aura, bien au-delà des frontières de La Réunion. Quand les stars de la Diagonale louent l'ambiance sur la course, la chaleur humaine qui s'en dégage et les aide à surmonter la difficulté âpre d'un parcours sans beaucoup d'équivalent dans le monde, elles rendent souvent hommage à tous ces bénévoles. Ancien président du Grand Raid, Robert Chicaud les a côtoyés depuis 1999 et son intronisation à la tête de l'association. “Ils sont entre 1 200 et 1 800*, dit-il. Quand j'arrive dans l'organisation, je me rends très vite compte que l'on n'a même pas à faire un appel au bénévolat. Les gens se mobilisent tout seuls. L'élan se fait de manière très spontanée. Les Réunionnais ont en effet d'emblée considéré que le Grand Raid était leur course et qu'ils avaient la volonté d'y participer par un biais quel qu'il soit. Je n'étais pas hostile à cette démarche car j'ai toujours pensé que le Grand Raid était un héritage culturel qui appartient à La Réunion.” Et l'ancien patron de prolonger son discours sur l'identité profonde de ces bénévoles. “Je suis àLa Réunion depuis 1961. J'ai retrouvé dans l'implication

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des Réunionnais envers le Grand Raid, cette simplicité, cette générosité que j'avais découvertes chez eux à mon arrivée. Très vite, j'ai senti que cette course faisait partie de leur vie.” Ils ont envie d'y prendre part. Et leur contribution est large. Toutes les compétences sont représentées chez les bénévoles. Il y a ceux qui sont serre-files, responsables du balisage, ceux qui sont au poste de ravitaillement pour réconforter les coureurs dans la nuit, ceux à la remise des dossards, le mercredi précédant la course, ceux qui s'occupent de la gestion des sacs d'assistance, des transports, de la logistique, de l'informatique, etc...

“LE GRAND RAID, C'EST UNE APPROCHE HUMANISTE” L'un des énormes postes de bénévole est le pôle médical. Robert Chicaud témoigne. “Ça a été l'un de nos chevaux de bataille, dit-il. Mettre en place un pôle sanitaire exceptionnel. Exceptionnel par la diversité et le nombre de personnes qui s'impliquent. On a mobilisé des “médicaux” généralistes et urgentistes, des “paramédicaux”, des podologues, des infirmières, des sage-femmes même, dans un cadre de bénévolat. Ça c'est exceptionnel. Ça n'existe quasiment nulle part ailleurs. Les médecins sont capables de fermer leur cabinet le mercredi soir pour rouvrir le lundi matin après la course. C'est

quand même une perte sèche d'argent. Et tout cela fonctionne ainsi, sur ce modèle de la gratuité, depuis trente ans.” “Le Grand Raid, c'est une approche humaniste, reprend Robert Chicaud en parlant des bénévoles et de leur rôle primordial. C'est un moment de bonheur, où l'homme exprime ce qu'il a de meilleur. On ne voit pas sur cette course, un compétiteur esseulé, au bord du chemin. Ou alors on va vers lui. La solidarité qui n'existe pas toujours dans notre quotidien, elle foisonne sur cette course, en permanence.” Et le bénévolat incarne le mieux cette solidarité. “C'est l'ensemble des bénévoles qui représente une force vive pour l'organisation, relève Eric Lacroix, fin connaisseur de la course. On n'est pas dans l'entresoi. C'est la force collective qui émane d'eux qui attire aussi le public et les coureurs. Ces derniers adhèrent complètement à cet état d'esprit et se surpassent, en retour.” C'est du donnant-donnant. Tu me fais vibrer par ta capacité à te sublimer, je te le rends en me mettant à ton service, en t'encourageant, en te soignant, en te dorlotant, en te renvoyant des ondes positives. Dans une société où presque tout a un prix, où l'on promène le chien de son voisin contre rémunération, où juste donner à l'autre, sans contrepartie, relève presque de l'imposture, les bénévoles du Grand Raid donnent une leçon de vie à la communauté. * ils seront 1 500 en 2022 selon l'organisation.


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Après vingt-trois ans à la tête de l'association, Robert Chicaud quitte la présidence en 2021.

La page Chicaud se tourne La dernière décennie est marquée par la passe de quatre de François D'Haene, désormais co-recordman du nombre de victoires sur la Diagonale des Fous avec le Réunionnais Jean-Philippe Marie-Louise. Elle est aussi ponctuée par le départ de Robert Chicaud, président emblématique du Grand Raid durant vingt-trois ans.

L

'internationalisation est en marche. Les coureurs “extérieurs” de premier plan affluent de plus en plus sur la course. Et à un mois de l'édition 2013 du Grand Raid, la nouvelle de la création d'un circuit mondial, l'Ultra-Trail World Tour, va évidemment renforcer cette tendance. Car le Grand Raid est partie prenante de ce projet ambitieux au même titre que neuf autres des plus grandes

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courses de la planète. En attendant cette Coupe du monde, le Grand Raid 2013 change de lieu de départ. Dorénavant, ce ne sera plus Saint-Philippe. Olivier Rivière et l'organisation du Grand Raid n'ont pas pu trouver de terrain d'entente. Le maire saint-philippois revendiquait une inversion du sens du parcours de la Diagonale, pour que ce ne soit plus le départ mais l'arrivée qui se tienne dans sa commune.

Refus catégorique de Robert Chicaud. Devant l'obstination d'Olivier Rivière, le patron du Grand Raid décide donc de prendre contact avec Michel Fontaine, le maire de Saint-Pierre, pour que la capitale du Sud accueille le départ de la Diagonale. Ce dernier accepte. Les 1 942 compétiteurs s'élancent ainsi de Ravine-Blanche le 17 octobre 2013, pour emprunter un boulevard du front de mer bondé de monde. Conséquence de ce grand chambardement, la Diagonale


© PHOTO : YANN HUET

Mardi 18 octobre 2022

Depuis 2013, le front de mer de Saint-Pierre accueille le départ du Grand Raid. ne passera plus par le mythique Piton de la Fournaise. Mais le parcours reste tout de même particulièrement ardu avec 163 km à parcourir et près de 10 000 m de dénivelé positif. Le plateau est riche, avec notamment un duel épique qui se prépare, entre Kilian Jornet, deux fois vainqueur déjà de la Diagonale (2010, 2012), trois fois vainqueur de l'UTMB en 2008, 2009 et 2011, et François D'Haene qui a remporté lui aussi la course du Mont-Blanc l'année précédente (2012). Mais très vite, Jornet accuse le coup et lâche prise. Blessé au genou gauche (TFL), il souffre le martyr et doit laisser filer D'Haene vers la victoire. Ce dernier s'impose en 22 h 58'

devant le Réunionnais Freddy Thévenin (25 h 40') et Pascal Blanc (25 h 47'). La première femme, Nathalie Mauclair, pointe à la 12e place au scratch et s'impose en 28 h 45' devant la Suédoise Emelie Forsberg (31 h 29') et Christine Bénard (34 h 20').

vite, en s'imposant finalement sur le parcours le plus long (172 km et quasiment 10 000m de D+) de l'histoire du Grand Raid, en 24 h 25'. Il devance Ludovic Pommeret deuxième en 25 h 55' et Aurélien Collet troisième en 27 h 24'. Chez les femmes, Nathalie Mauclair récidive en 31 h 27' devant Juliette Blanchet (34 h 17') et Uxue Fraile Azpeitia (34 h 18'). 2015 marque la consécration d'Antoine Guillon. Trois fois deuxième (2007, 2010 et 2012), l'Héraultais s'offre cette Diagonale des Fous si chère à son cœur. “J'ai ressenti à la fois du plaisir et de la pression, se souvient Antoine. Le plaisir de gagner bien sûr.

172 KM EN 2014 ! L'année suivante, sous bannière UTWT désormais, le plateau est international avec la présence du Lituanien Grinius, des Français Guillon et Thévenard, de l'Espagnol Karrera et de l'Américain Schlarb. Le suspense promet d'être total. Mais François D'Haene, à nouveau présent, y met fin très

SAINT-PIERRE, UN GRAND DÉPART

Jusqu'à présent, l'image de la Diagonale s'incarnait autant dans son arrivée à la Redoute que dans son départ à Saint-Philippe. Mais en 2013, une révolution se prépare. Le maire de Saint-Philippe Olivier Rivière veut en effet remettre en cause le pacte qui lie sa commune aux organisateurs du Grand Raid, notamment parce qu'il considère que les retombées économiques pour sa ville seraient plus importantes si l'on inversait le sens du parcours. “Avec Olivier Rivière, on a travaillé main dans la main pendant dix ans, explique Robert Chicaud. Et puis un jour, il m'a dit qu'il ne voyait plus que le “derrière” des compétiteurs. En somme, il ne voulait plus les voir partir de sa commune, mais les voir arriver à Saint-Philippe. En termes de sécurité, j'ai aussitôt consulté le PGHM, la gendarmerie, le Samu et la Préfecture. Leur réponse fut unanime : ne prenez pas ce risque ou alors vous l'assumerez. L'arrivée au volcan est en effet toujours périlleuse avec le brouillard. La démarche avec le PGHM et le Samu aurait été aléatoire. Au bout de 140 km, les traileurs sont également moins vigilants. Je n'ai pas voulu prendre ce risque. Partant de là, Rivière nous a dit que nous ne prendrions pas le départ de

Saint-Philippe.” Ce conflit débouche alors sur une action en justice intentée par le Grand Raid contre la décision du maire de Saint-Philippe. Deux recours sont déposés par Robert Chicaud devant le tribunal administratif qui sont rejetés en juin 2013. Il y a désormais urgence. Il faut trouver rapidement une solution de repli. Aussitôt, l'équipe du Grand Raid brandit un plan B, en se tournant vers la commune de Saint-Pierre, dont le maire Michel Fontaine répond favorablement à la requête des organisateurs. “Je regrette juste que l'on n'ait pas pu renouer le dialogue avec Sain-Philippe, même si je reconnais que l'accueil qui nous a été réservé à Saint-Pierre a été exceptionnel”, avoue Robert Chicaud.

UN SHOW À CIEL OUVERT Certains esprits acerbes estiment cependant que ce changement remet en cause jusqu'au nom de la course. La Diagonale n'en est plus une, selon eux. Mais la capitale du Sud va complètement retourner la situation à son profit. A la Ravine-Blanche, où les “fous” s'élancent, c'est en effet l'effervescence dès la première année. Au fil du temps, le site va

devenir “incontournable”, dixit Pierre Maunier, l'actuel président. D'abord parce que l'engouement populaire sur la ligne de départ se vérifie très rapidement. Des milliers de personnes affluent de part et d'autre du boulevard Hubert-Delisle. La mairie met aussi en place des scènes musicales, des animations de rue, dignes d'un festival off du Sakifo, l'autre grand événement incontournable de la ville. Très vite, les médias répondent également présent. Des plateaux de direct sont installés aux abords de la ligne, des caméras sont disposées un peu partout le long du boulevard, les journalistes montent sur des quads pour commenter la course en live, filmée par des drones, ce qui donne des allures de véritable show à l'événement. “Les atouts de Saint-Pierre ? s'interroge Pierre Maunier, en conclusion. La place d'abord qu'on a pour faire les départs par vagues, les animations. Ensuite, le fait que la mairie de SaintPierre s'engage beaucoup à nos côtés, au niveau de l'aide technique, la fourniture de matériels.” Le nouveau pacte scellé est une réussite. Le Grand Raid s'est trouvé un grand départ.

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13 22 Mais aussi, la pression liée au fait de me retrouver tout seul devant à partir du Taïbit. C'était des sensations nouvelles auxquelles j'ai dû m'adapter.” Il s'impose en 24 h 17' sur les 164 km (9 900 D+) du parcours et devance Sébastien Camus (24 h 41') et le Réunionnais Freddy Thévenin (25 h 17'). Chez les femmes, c'est l'Espagnole Nuria Picas qui l'emporte en 28h10' devant Emilie Lecomte (28 h 11') et la Suissesse Andrea Huser (28 h 38'). Insatiable, le vigneron D'Haene empoche sa troisième Diagonale en 2016. Il s'impose sur les 165 km du parcours (9 700 D+) en 23 h 44' et devance Antoine Guillon (24 h 15') et l'Espagnol Javier Dominguez-Ledo (24 h 36'). Chez les femmes, victoire d'Andréa Huser en 27 h 44' (11e au scratch) devant Juliette Blanchet (29 h 26') et Emma Roca (30 h 10')

HUSER 8e AU SCRATCH

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

En 2017, en l'absence de D'Haene, l'épouvantail s'appelle Jim Walmsley. L'Américain arrive en effet précédé d'une belle réputation. Mais son pari fou de gagner la Diagonale s'arrête brusquement à Sans-Souci, où il abandonne. C'est en fait un quasi inconnu qui s'impose, en l'occurrence Benoît Girondel. Il triomphe sur les 165 km (9 700 D+) en 23 h 53' devant Antoine Guillon (24 h 26') et Guillaume Beauxis (25 h 09'). Chez les femmes, l'exploit est retentissant : non seulement Andrea Huser gagne l'épreuve pour la deuxième fois en 26 h 34', mais la Suissesse se classe 8e au scratch, du jamais vu ! Elle devance Emilie Lecomte (29 h 02') et Marcelle Puy (30 h 58'). En 2018, D'Haene et Girondel sont présents au départ (165 km, 9 700 D+). D'Haene fait la course en tête avec Maxime Cazajous, avant que Girondel ne fonde sur lui. C'est chemin Ratineau (136e km) que ce dernier effectue la jonction avec le viticulteur du Beaujolais. Les deux hommes ne se quittent plus ensuite et choisissent de passer la ligne d'arrivée main dans la main en 23h18'. Cazajous termine troisième (24 h 40'). C'est la quatrième victoire de François D'Haene sur la Diagonale, qui égale Jean-Philippe Marie-Louise, au palmarès.

D'HAENE, LE DANDY DES SENTIERS

Allure aérienne, port altier et corps gracile, tout dans François D'Haene suggère l'élégance et le raffinement. De sa foulée ample et soignée, il caresse le sentier. Et s'il lui arrive de besogner comme les autres, devant l'âpreté des dénivelés, rarement le quadruple vainqueur de la Diagonale, qui a annoncé son forfait dans la dernière ligne droite de l'événement, le 2 octobre dernier, n'a renvoyé l'image de la souffrance ostensible là-haut, dans les montagnes. Sauf peut-être, sur la Diagonale, justement, qu'il fréquente depuis 2009. A La Réunion, le dandy des sentiers a parfois galéré jusqu'à l'épuisement. Mais jamais, il n'a rompu le fil de sa quête d'absolu, en cinq participations. Jamais, il n'a cédé à l'abandon. Au contraire, il s'est arraché quand il vacillait, comme dans la descente du Colorado, en 2016, année de sa troisième victoire. “Je n'ai jamais autant souffert sur une course, disait-il à l'époque en racontant son épopée. Je suis parti peut-être un peu trop confiant. J'ai effectué une montée du Maïdo un peu trop rapide. Je me souviendrai toujours des crampes qui ont suivi ça, pendant quatre heures, où j'ai même fini par effectuer les descentes en marche arrière.”

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“Depuis, je fais la montée du Maïdo un peu plus lentement”, ajoute-t-il sur un ton espiègle. Signe d'un champion qui respecte plus que tout la montagne, et en particulier les chemins escarpés de la Réunion. “La Diagonale est un mythe, dit-il. Quelque chose de légendaire dans le monde de l'ultra-trail. C'est une course hyper exigeante, peut-être pas la plus difficile, enfin ça dépend pour qui...” Une formule courtoise, comme pour dire, qu'il respecte tous les avis en la matière. Et que le sien est partagé, tant l'affection qu'il porte à cette course de l'autre bout de son monde, est grande. “C'est une course haut en couleur, haut en dénivelé. Elle représente beaucoup dans le coeur des coureurs,” confesse-t-il. Dans le sien, en particulier. Ne serait-ce que parce que la “Diag” fut “mon premier ultra”, ajoute-t-il. C'était en 2009. Il termina 5e.

“C'ÉTAIT UN RÊVE” Depuis, il est revenu quatre fois. Et a gagné quatre fois. Une suprématie incontestable, qu'il a étalée dès 2013, en reléguant Kilian Jornet au rôle de faire-valoir, lors de sa première victoire. Mais encore une fois, sa grande

délicatesse d'esprit lui fait d'abord penser “au mal de genou”, dont fut victime son rival, avant de mettre en avant sa propre performance. “ Je crois que je finis avec 2h40' d'avance, commente-t-il. A l'arrivée, gagner une course de cette ampleur, c'était un rêve.” L'année suivante fut encore plus belle à bien des égards. Car D'Haene réalisa un triptyque gagnant phénoménal en enchaînant des victoires au Mont-Fuji au Japon, puis à l'UTMB, avant d'asseoir son hégémonie sur la Diagonale. “J'arrivais avec un peu de doutes au départ de la Diagonale par rapport à cet enchaînement de trois Ultras, confie-t-il. Je suis parti plus prudemment qu'en 2013. Mais ça s'est finalement très bien passé.” En même temps, il finissait premier du circuit mondial de l'UTWT. Enfin, après 2016, sa dernière victoire sur la Diagonale en 2018, est venu sceller son statut de corecordman des victoires sur le Grand-Raid qu'il partage avec Jean-Philippe Marie-Louise. “Benoît Girondel m'a rejoint juste après le Maïdo et on a décidé de terminer la course ensemble, conclut-il. Un super souvenir commun avec Benoît.” Une élégance de plus du champion savoyard, que de saluer le partage plutôt que sa propre légende.


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En 2016, Gediminas Grinius remporte l'UTWT qu'il conclut en octobre sur le Grand Raid. Chez les femmes, la victoire revient à Jocelyne Pauly (28 h 54') qui gagne devant Audrey Tanguy et Juliette Blanchet, classées deuxièmes ex-æquo (29 h 23').

DEUX COUACS EN 2019 Avec l'édition 2019, deux couacs saisissants vont se produire. L'un sur la Mascareignes. Des coureurs sont en effet contraints à l’abandon à cause d’embouteillages au moment du fran-

chissement particulièrement difficile d’une rivière avant le premier point de pointage de la Plaine-des-Merles. L'autre incident survient sur la Diagonale. Il a trait au balisage. Plusieurs favoris, parmi lesquels David Hauss, Jordi Gamito, Maxime Cazajous ou encore Diego Pazos se trompent en effet de chemin, trois kilomètres avant le pointage de NotreDame-de-la-Paix, en empruntant à tort le tracé du Zembrocal Trail. Résultat, des précieuses minutes perdues, des espoirs

de victoire envolés, et une course entachée par cet épisode malheureux. “Il y a eu deux loupés, concède Robert Chicaud. Un sur la Mascareignes à savoir qu'il y a eu une montée des eaux à Fleur Jaune qui n'a pas été anticipée et a fait un bouchon monstrueux de 400 personnes. On aurait pu y trouver une solution si le directeur de course en avait été informé. Or il a été averti tardivement. Le mal était fait. Des gens ont été éliminés sans possibilité de rattrapage.

L'UTWT, UNE IDYLLE PASSAGÈRE

L'Ultra Trail World Tour voit le jour en 2013. Au départ, l'idée séduit : regrouper les plus belles courses de la planète “ultra”, au sein d'un même circuit mondial. Pour l'intégrer, chaque course doit remplir des critères précis : une distance supérieure à 100 kilomètres, un site emblématique, une course populaire rassemblant 500 participants au minimum, un événement de dimension internationale (20 nations représentées au minimum) et au moins deux éditions déjà réalisées. La première édition se déroule en 2014. Le Grand Raid est au programme des réjouissances. Il sera la dernière épreuve du circuit, ce qui lui donnera des allures de grande finale. “Le Grand Raid a saisi l'occasion de pouvoir être au-devant de la scène internationale, explique Eric Lacroix, spécialiste de l'Ultra. Le World Tour lui a permis d'attirer des athlètes de très haut niveau et de constituer des plateaux exceptionnels. Les têtes d'affiche n'arrivaient pas forcément tous en pleine forme car le Grand Raid était positionné en fin d'année et le problème du World Tour, c'est qu'il générait beaucoup de courses ultra à faire pour les coureurs dans l'année”. Malgré tout, cette première édition est un franc succès. François D'Haene, le vainqueur de la Diagonale 2014 remporte l'Ultra Trail World Tour, ce qui légitime encore davantage le Grand

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Raid aux yeux de la planète trail. Le meilleur ultra traileur du monde est en effet le vainqueur de la légende réunionnaise. Mais progressivement, l'idylle entre le circuit mondial et le Grand Raid va connaître des soubresauts. Le mariage de raison va basculer dans une procédure de divorce. Cause du litige, la remise en cause par l'UTWT du statut du Grand Raid. En 2017, le système de l'Ultra Trail World Tour est significativement modifié. Onze nouvelles épreuves sont ajoutées au calendrier et la cote attribuée à chaque course est repensée. La Diagonale des Fous en pâtit. L’UTMB et le marathon des Sables au Maroc sont en effet classés Series Bonus tandis que le Grand Raid n'est que Series. Les deux courses Series Bonus rapportent 1300 points en cas de victoire alors qu’une course Series n’en ramène que 1 000. Autant dire que le futur vainqueur du circuit devra certainement gagner l'une des courses Series Bonus pour faire la différence.

“LE GRAND RAID N'AVAIT PLUS SA PLACE” Les organisateurs du Grand Raid s'estiment donc déclassés à tort. Ne pas être placés à la même hauteur que l'UTMB, dont la proximité avec les responsables de l'UTWT est manifeste, passe

encore, mais être sous-évalués par rapport au marathon des Sables, qui n'est pas comparable à la Diagonale en termes de dénivelés, est vécu comme un véritable désaveu voire une offense par Robert Chicaud et son équipe. “L'association World Tour a fait la part belle à ses actionnaires, c'est-à-dire l'UTMB et le Marathon des Sables, confie aujourd'hui Robert Chicaud. Elle les a privilégiés, c'est aussi simple que ça. Dans ces conditions, j'ai dit alors que le Grand Raid n'avait plus sa place sur ce circuit. On aurait dû être placé à égalité avec l'UTMB me semblait-il et ce n'était pas le cas. On payait quand même 35 000€ à l'UTWT pour faire partie de son circuit. Ça nous a apporté pendant un ou deux ans des têtes d'affiche. On a quand même essayé de négocier à l'amiable mais on s'est heurté à une fin de nonrecevoir. Après une dernière concession de notre part, on devait avoir une réponse que l'on n'a jamais eue. On s'est donc séparé.” Le Grand-Raid se retire du circuit. Elle ne figure pas à son menu en 2018. “On a décidé alors que l'argent économisé nous servirait à d'autres fins, conclut Robert Chicaud, et notamment à faire venir des têtes d'affiche nous-mêmes, en leur payant tout.”


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Mardi 18 octobre 2022

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© PHOTO : PHILIPPE CHAN CHEUNG

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Au fil des ans, la médiatisation du Grand Raid n'a cessé de se développer. On a quand même cherché des solutions et permis aux coureurs concernés d'éviter le tirage au sort l'année suivante. Le deuxième loupé concerne la Diagonale qui empruntait le même itinéraire que le Zembrocal avant que leurs chemins ne se séparent à une bifurcation où

là, il y a eu une défaillance. Le balisage a été semble-t-il déplacé et surtout il n'y avait pas de signaleur. C'est une erreur que nous avons assumée collectivement. A tous ceux qui étaient concernés, on a dit qu'on leur payait un billet d'avion et une inscription gratuite pour l'année sui-

vante.” Tout ceci n'enlève rien à ceux qui ont triomphé. Grégoire Curmer l'a emporté au terme des 165 km (9 700 D+) chez les hommes en 23 h 33' devant le Réunionnais Nicolas Rivière et Ludovic Pommeret classés deuxièmes ex-æquo (24 h 26').

LA “MEDIALOMANIA”

La grande course scelle les grands destins. Et le destin de Marcelle Puy est intimement lié à celui de la Diagonale, qu'elle a remportée à cinq reprises. Si populaire auprès du public réunionnais, la “Reine” a fait la une des journaux pendant plus de vingt-cinq ans. Elle a incarné la couverture médiatique du Grand Raid, de plus en plus importante, au fil des années. “Au début, c'était très dur de recevoir toute cette attention de la presse, dit-elle. D'ailleurs, sitôt la course finie, je rentrais chez moi, pour échapper aux journalistes. Et puis à un moment donné, j'ai pris conscience du fait que les gens attendaient de moi des confidences, voulaient que je me dévoile un peu, que je raconte mes performances. Alors, j'ai fait un effort avec les journalistes. Aujourd'hui, ça va un peu mieux de ce côté-là. J'arrive à me livrer davantage (rires). Avant, j'avais peur.” Preuve de la place occupée par la presse dans le paysage du Grand Raid. D'abord, la presse locale, papier, radio, télé, et maintenant web, qui en fait le récit depuis trente ans, captivée par le simple fait qu'elle couvre là le seul événement sportif régulier, de dimension internationale, organisé sur l'île. “La couverture médiatique est très bonne d'un point de vue local, affirme Eric Lacroix, lui-même consultant télé pendant l'événement. Les chaînes

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de télévision comme Réunion Première et Canal Plus Réunion sont présentes, la presse papier et les radios aussi, bien sûr. C'est une évidence, on vit à travers les médias locaux au rythme du Grand Raid pendant une semaine. ”Ils ont amplifié la caisse de résonance de l'événement, avec la complicité de l'organisation, qui a bien compris quel était l'intérêt de l'île et le sien à promouvoir les paysages somptueux de La Réunion et a mis les journalistes dans les meilleures conditions pour rapporter des images de la course, en les emmenant par exemple dans les hélicoptères de son organisation. Ces images à couper le souffle ont fait le tour du monde et attiré petit à petit la presse nationale et étrangère, qui à leur tour, sont devenues le véritable catalyseur de la renommée planétaire grandissante de la course.

NHK SUR LE GRAND RAID Ainsi, après avoir consacré bon nombre d'articles et de reportages à distance, cette presse “extérieure” finit par se déplacer à La Réunion. Le Figaro, le Monde, l'Equipe, prennent l'avion. Avec l'arrivée du Grand Raid dans l'Ultra Trail World Tour, le circuit mondial de la discipline, en 2014, la presse étrangère se déplace à son tour. La chaîne japonaise NHK, principal media audiovisuel public nippon,

vient à La Réunion faire des sujets, promouvant la course dans son pays. Depuis quelques années, cette couverture médiatique s'est encore densifiée avec les progrès techniques qui permettent un rendu au plus près de la course. “C'est une révolution depuis quatre ou cinq ans avec les caméras embarquées, note même Eric Lacroix. Avec les faisceaux 4G, les portables derniers cris, on peut filmer en étant derrière les athlètes. On est avec eux.” Le nouveau matériel et les innovations techniques qui en découlent ont changé le traitement journalistique de la course et du coup le regard qui était porté dessus par le télespectateur. Ce n'est pas encore comparable avec la frénésie médiatique de l'UTMB. Mais, c'est un début que Pierre Maunier, le nouveau président, tempère toutefois. “On a des tas de journalistes qui viennent de l'extérieur cette année encore, dit-il. On a l'équipe de Koh Lanta qui se déplace. Mais je crois que l'on n'a pas besoin de plus de publicité que ça. Le Grand Raid est déjà bien connu, comme cela.” Et le même de conclure : “Je vais redemander aux journalistes cette année d'arrêter de ne filmer que les Elites, mais filmer au contraire le ventre mou de la course et tous ces coureurs qui triment. Car c'est aussi ça l'image réelle du Grand Raid que l'on veut véhiculer.”


Mardi 18 octobre 2022

GUILLON, LES SECRETS DE SA LONGÉVITÉ

Il incarne la fidélité au Grand Raid. Cette année, Antoine Guillon fêtera sa 15e participation à l'épreuve. Une incroyable longévité, au plus haut niveau, pour l'Héraultais, qui a remporté la course en 2015 et trusté les places d’honneur : cinq fois deuxième (2007, 2010, 2012, 2016 et 2017 , une fois troisième (2009), quatre fois quatrième (2008, 2011, 2013, 2018) . Encore sixième l'an passé, le temps ne semble pas avoir de prise sur lui. “J'ai 52 ans, confie-t-il. Mais malgré l'âge, la forme est toujours là. Je crois que pour durer sur le Grand Raid, il faut être raisonnable, faire en sorte de forger son corps et son mental à ce type d'effort long, en l'entretenant en douceur, sans le brusquer, le traumatiser, avec un entraînement toujours progressif. C'est en s'écoutant, grâce à l'expérience d'années de pratique, il me semble, que l'on arrive à lutter contre le temps.” Antoine Guillon prend l'exemple de la descente, un exercice dans lequel il n'a jamais excellé, dit-il. “Je n'ai jamais cherché à essayer de m'améliorer dans ce domaine, reprend-il. Chercher à aller trop vite, en risquant la chute, la blessure, aurait été une mauvaise idée. J'ai préféré toutes ces années perdre un peu de temps dans les descentes quitte à le rattraper ailleurs. Aujourd'hui, je crois que j'en récolte les fruits. J'ai respecté mon corps toutes ces années, ce qui fait que j'ai l'impression que je peux encore me battre cette année pour être dans le top 10. Ça me paraît dans mes cordes. Car en termes de performances, je vois bien à l'entraînement que j'arrive encore à absorber les mêmes volumes qu'auparavant, à reproduire les mêmes performances dans les montées. C'est vraiment encourageant.”

Après trois deuxièmes places et une troisième, Antoine Guillon s'impose enfin en 2015.

Guillon n'a jamais rien laissé au hasard et c'est là sans doute la clé de ses podiums successifs, tout au long de ces deux dernières décennies. Rigoureux, pointilleux, sans cesse à l'écoute des moindres indices fournis par son corps, adepte de la démarche empirique, mais curieux aussi de l'évolution quasi scientifique de la préparation athlétique, il n'a cessé de repousser ses propres limites et en a tiré des principes d'entraînement adaptés. “Je ne suis pas très musculeux à la base. Par rapport à d'autres, je suis plutôt fin, souple, reconnaît-il. Mais je m'estime robuste par contre, dans le sens, où je peux absorber les chocs d'un terrain accidenté pendant vingt-quatre heures, parce que je m'entraîne justement en permanence sur ce type de terrain rocailleux, propre au Grand-Raid.” Guillon se questionne en permanence. Cherche des solutions, s'adapte. “Le Grand-Raid est une épreuve exigeante, confie-til encore, avec des conditions météorologiques compliquées, alternance de chaud et de froid. Il faut savoir se préparer à ces variations dans sa tête, être autonome aussi. Ca paraît évident comme cela. Mais quand vous traversez Mafate, vous êtes vraiment seul, sans assistance la plupart du temps. C'est là qu'il faut être débrouillard si vous avez un souci technique, un problème d'alimentation ou de matériel. Il ne faut pas paniquer ou stresser mais être capable de réagir au contraire.” C'est ce qu'il a fait, réagir, après son échec relatif en 2019 (28e). Il s'est posé des questions, faisant évoluer sans cesse sa réflexion sur la préparation athlétique, la gestion de course. Cette année encore, “j'ai fait plus de puissance en vélo, plus de dénivelé positif technique, avec plus de marche sur des terrains difficiles qu'auparavant, confie-t-il, tout cela pour maintenir mon niveau dans les montées.” Et pourquoi pas décrocher un douzième top 5 en quinze participations !

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© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

“IL NE FAUT PAS PANIQUER”

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DE

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© PHOTO : RAYMOND WAE TION)

30 ANNÉES DE PASSION !

À

En 2020, le stade de La Redoute est resté désespérément vide en octobre. Pour la première fois depuis 1998.

220 000€ DE COMPENSATION

“En 2020, le Grand Raid est annulé un peu plus d'un mois avant son départ. Le contexte sanitaire lié au Covid s'est dégradé à tel point que l'île a été classée en zone rouge début septembre. “Nous avons essayé durant ces derniers mois de convaincre les autorités que le protocole sanitaire élaboré par l'organisation permettait d'éviter une contamination par le virus, soulève le comité d'organisation dans un communiqué à la presse. Ce protocole générait de nombreuses contraintes pour le Grand Raid, en termes de gestion des compétiteurs, de précautions sanitaires mobilières, de formation des bénévoles, de recommandations aux compétiteurs et au public, mais c'était sans compter les réactions des maires des communes concernées par le Grand Raid.” Plusieurs maires se sont en effet positionnés contre l'organisation de la manifestation. Ils estiment que la population est inquiète à l'idée qu'un tel rassemblement public puisse se dérouler. Conséquence de quoi le préfet Jacques Billant tranche : il n'y aura pas de Diagonale ! L’organisation propose dans la foulée un remboursement partiel des frais d'inscription à hauteur de 40%. A la lumière de ces faits, Robert Chicaud, l'ancien patron du Grand Raid, qui a quitté son poste de président en février 2021, revient sur l'épisode de l'annulation de ce Grand Raid pour raconter ce qui s'est passé de l'intérieur. “En 2020, le Covid sévissait, dit-il. On avait été obligé de mettre en place tout un protocole sanitaire pour éviter la propagation du virus et rassurer les autorités. Ensuite, il y a eu des réunions. On a fait tout un tas de séminaires avec

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des médecins. On avait même mis en place un protocole très pointu et selon moi impeccable pour parer à la crise, jusqu'au jour où il y a eu une réunion à la Préfecture sous l'égide de Monsieur Le préfet Jacques Billant.

“DE LA PURE DÉMAGOGIE” “Très vite, on a constaté l'hostilité manifeste de tous les maires réfractaires à l'idée de voir partir le Grand Raid 2020. Ils avançaient le fait de vouloir protéger la population. Toutes sortes de sornettes, de la pure démagogie, selon moi. Toujours est-il que le préfet m'a dit qu'il ne pouvait pas aller à leur encontre. Ce jour-là, lors d'un aparté, il a dit à Cyril Sidonie, Frédéric Bénard et moi-même : “vous avez bien compris que mon champ d'action est très limité. Je vous donnerai ma réponse officielle demain. Si je ne peux pas aller contre les élus, je ne vous lâcherai pas. Je vous aiderai pour compenser cette situation.” On en est resté là. Le lendemain, le communiqué officiel est tombé : le préfet ne donnera pas son autorisation pour que le départ du Grand Raid soit donné. Dans la foulée, j'ai appris qu'il y avait des fonds disponibles pour compenser les effets secondaires de la crise Covid, sur le plan financier. Donc, j'ai tout de suite fait une démarche pour obtenir la subvention exceptionnelle d'un montant de 220 000€. Subvention que l'on a eue grâce au préfet qui a donné son autorisation. Après coup, je lui ai envoyé un courrier pour le remercier de sa parole donnée car cette enveloppe nous a permis de compenser nos pertes.”

Chez les femmes, la victoire est revenue à l'Américaine Sabrina Stanley, vainqueur en 30 h 49', devant Marion Delespierre (32 h 05') et la Réunionnaise Alexandra Clain (32 h 10'). L'année suivante, le déclenchement de la crise Covid en mars, oblige Robert Chicaud et son équipe à se ranger à l'avis de la Préfecture, qui décide de ne pas autoriser la tenue du Grand Raid. Une première en vingt-huit ans de course !

“ON FAISAIT UN HÉROS D'UN INCONNU” En 2021, la Diagonale est de retour, au moment où Robert Chicaud décide de passer la main, après vingttrois ans de présidence, marqués par des souvenirs indélébiles. “Ma plus belle émotion, c'était quand j'accueillais non pas le premier, mais le 200e ou le 500e, livre-il. C'était une prouesse et ils le vivaient comme tel. Ils étaient accueillis par le président du Grand Raid, c'était pour eux emblématique. Et je ressentais la même chose : j'avais la sensation de couronner un vainqueur. On faisait un héros d'un inconnu.” Robert Chicaud est remplacé par Serge Valgresy à la présidence, mais ce dernier ne reste en place que six petits mois, suppléé à son tour par Pierre Maunier en juillet 2021, trois mois avant la dernière édition qui est remportée main dans la main par Ludovic Pommeret et l'Italien Daniel Jung en 23h02'. Benat Marmissolle complète le podium (32 h 51'). Chez les femmes, c'est Emilie Maroteaux (29 h 54') qui remporte cette édition 2021 après avoir avalé les 165 kilomètres (9 500 m D+) en 29 h 54', devant Amandine Ginouves (32 h 03') et Sophie Blard (32 h 51'). A l'orée de cette édition 2022, Robert Chicaud continue pour sa part de croire en dépit de l'individualisme qui guette la société que la course de sa vie restera ce trait d'union si particulier entre les hommes. “Parce qu'il permet de se déconnecter de tout ce qui est religieux, politique, statutaire, social, d'échapper à tous ces carcans, le Grand-Raid révèle le véritable être humain que nous sommes, avec tout ce qu'il a de positif en lui”, conclut-il ■


Mardi 18 octobre 2022

© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

En 2017, Andréa Huser fait encore mieux que Marcelle Puy en 2002 : elle termine 8e au scracth.

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30 ANNÉES DE PASSION !

“Fous” d’espoirs Et demain ? De quoi l'avenir du Grand-Raid sera-t-il fait après cette édition 2022 ? Un Kenyan gagnera-t-il la Diagonale ? La Roche-Ecrite sera-t-elle à nouveau au programme ? La course conservera-t-elle son statut de légende ?

Certains imaginent un retour aux sources pour le futur, avec un départ à Saint-Philippe pour refaire une vraie diagonale.

A © PHOTO : YANN HUET

quoi ressemblera le Grand Raid dans dix ans ? En termes de parcours, de participation, sera-t-il tenté par la démesure ? Toujours plus de kilomètres, toujours plus de concurrents, en pensant que la quantité est gage de croissance économique et donc de renommée ? Ou au contraire : tiendra-t-il compte des dangers environnementaux qui guettent la planète en ne cédant pas à la folie des grandeurs ? Toutes ces questions, les acteurs de la course se les posent déjà, pour pérenniser dans le temps l'événement. Et des nuances apparaissent dans le discours

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des protagonistes du Grand Raid. Ancien président, Robert Chicaud est pour une forme de statu quo. Il défend une certaine éthique, non négociable, basée sur le maintien du statut associatif de la structure et une forme d'humanisme désintéressée. “Il faut percevoir le Grand Raid, en termes de cohésion régionale, dit-il. Il regroupe, il réunit, au travers de références moralistes, existentialistes comme le respect de l'autre, la solidarité. Il a pris un ancrage qui va à l'encontre de tout ce qui est mercantile, commercial.” Tout en rejoignant Robert Chicaud sur des principes moraux et réglementaires intangibles, Stéphane André propose néanmoins des pistes de réflexion, sur le déve-

loppement économique de l'île à travers son événement phare. Il s'appuie pour cela sur l'exemple de l'UTMB. “Il y a vingt ans en fait, les pouvoirs publics dans les Alpes ont fait le constat amer que les sports d'hiver généraient de moins en moins de chiffre d'affaires, suspectant qu'à terme le phénomène allait s'amplifier à cause des problèmes d'enneigement liés au réchauffement climatique, dit le responsable de la communication du Grand-Raid. Ils sont arrivés à la conclusion que pour compenser ce dérèglement, il fallait qu'ils créent de l'animation dans leurs massifs l'été, avec de la randonnée, du trail et du VTT et soutiennent des grandes manifestations sportives organisées par des opérateurs privés et associatifs entre avril et fin août."


© PHOTO THIERRY VILLENDEUIL

Chaque année, le Grand Raid génère 40 000 passagers à Gillot.

“12 MILLIONS DE RETOMBÉES ÉCONOMIQUES”

En termes de retombées, quel est le poids du Grand Raid dans l'économie locale ? Président de l'association Grand Raid durant vingt-trois ans, Robert Chicaud a son idée sur la question. “Il y a sept ans, Patrick Serveaux, le président de l'IRT (Ile de la Réunion Tourisme), avait commandé une étude à un organisme référent pour apprécier les retombées économiques du Grand Raid, confie l'ex-patron du Grand Raid. Il y a dix ans, cela représentait 12 millions par an, en comptant les billets d'avion, hôtels, restaurants, etc." Dix ans après, avec un nombre de compétiteurs (7 400 dont environ 2 500 coureurs extérieurs) et d'accompagnateurs en augmentation, ce chiffre est confirmé par Pierre Maunier, le nouveau président de l'association. “12 millions d'euros, ce n'est pas invraisemblable, dit-il. C'est le chiffre qui m'est remonté l'an dernier et évoquait les retombées économiques de quatre jours de Grand Raid sur l'environnement immédiat de la course, c'est-à-dire les petits commerces, les locations de voitures, les hôtels, les gîtes, etc. En outre, les chiffres de l'IRT font état du fait que le Grand Raid génère 40 000 passagers sur trois mois, ce qui n'est pas rien pour les compagnies aériennes.” Une étude de l'Insee réalisée sur les éditions 2015 et 2016 avait démontré que le Grand Raid engendrait un des meilleurs taux d'occupation de l'année pour les hôtels. “La semaine de la course, disait l'étude, 81% des chambres d'hôtel de l'île (étaient) occupées en 2016 et 83% en 2015. C'est sept points de plus que la semaine précédente. L'impact est particulièrement significatif sur le lieu

de départ à Saint-Pierre le mercredi et le dimanche à l'arrivée à Saint-Denis.”

“600 000 € DE PARTENARIAT” L'Observatoire régional du tourisme de La Réunion (ORT) avait pour sa part estimé qu'en 2014, les dépenses totales engagées par les participants s'élevaient à 9,4 millions d'euros, dont 4,9 millions pour les seuls coureurs venant de l'extérieur. Les partenaires institutionnels de l'île l'ont bien compris. Cette manne représente un effet d'aubaine. Chargé de la communication du Grand Raid, Stéphane André détaille ainsi l'investissement des collectivités aux côtés de l'événement. “La Région donne directement une enveloppe en cash. Le Département investit quant à lui des gros budgets via l'ONF pour refaire les sentiers, qui bénéficient au Grand Raid. Les communes sont également à nos côtés avec la mise à disposition de stades. La Redoute, ça a en effet un coût pour la collectivité.” Au total, si les acteurs publics et les sociétés privées (entre 40 et 50), génèrent “600 000€ de partenariat”, dixit André, sur un budget global avoisinant les 1,3 millions, complété par les recettes d'inscriptions, c'est bien parce qu'ils en voient l'utilité en termes de retombées. “Le Grand Raid est une locomotive à un moment important du calendrier touristique, justifie le communicant. On doit faire en sorte que ce soit une vraie aubaine pour le territoire, en termes d'image de marque.”

En étant attractif, le Grand Raid apporte ainsi son écot au développement économique de La Réunion. “On ne contribue pas seulement à populariser le trail dans nos contrées, dit André, on participe à l'essor de la randonnée sur l'île qui est un secteur de masse porteur du tourisme réunionnais.” De la même manière, le package proposé par l'agence partenaire du Grand Raid depuis 2016, comprend les frais d'inscription, de billet d'avion et de trois nuitées obligatoires, moyennant quoi les coureurs extérieurs ne sont pas soumis au tirage au sort. C'est un moyen pour le Grand Raid de gagner de l'argent mais aussi “d'en faire gagner au tissu économique touristique local.”

DU DONNANT-DONNANT En contrepartie, la Région verse son obole au GrandRaid. C'est du donnant-donnant. Mais Robert Chicaud est gourmand. Vu les retombées pour l'île, il estime que la Région pourrait s'investir encore davantage aux côtés du Grand Raid. “Actuellement c'est Corsair notre partenaire aérien. Il s'investit à hauteur de 30 000€, une somme qui profite directement au Grand Raid mais pas aux compétiteurs, confie-t-il. Si on voulait faire de la Réunion une terre de trail encore plus attractive, il suffirait que la Région, qui est quand même impliquée dans Air Austral, dise qu'elle va mettre une enveloppe substantielle pour réduire à une somme raisonnable le prix des billets d'avion. Ce serait à la fois une aide au Grand Raid et en même temps une retombée économique sûre et certaine pour elle.”

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ET DEMAIN ?

© PHOTO : AFP / JEAN PIERRE CLATOT

30 ANNÉES DE PASSION !

Alliés au début, le Grand Raid et l'UTMB sont désormais rivaux. Ou du moins : ne portent pas la même philosophie.

NON AUX 10 000 COUREURS

"De gros événements sont nés comme le Trail des

Le même nuance cependant son propos. Car il ne faut pas

Aiguilles Rouges, le Marathon du Mont-Blanc et l'UTMB.

céder à la démesure pour autant : “Est-ce que l'on veut faire

Tout cela a fait venir beaucoup de gens dans la région.

un Grand Raid à 10 000 inscrits ou à 4 000 par exemple, en

Ils ont organisé leur réflexion autour du développement

étant un peu plus cher, mais en respectant les contraintes

de leur territoire à partir d'événementiels dans le sport.

environnementales ?”, s'interroge-t-il à haute voix, en don-

sager 10 000 coureurs sur les sentiers à l'avenir. Car La

Aujourd'hui, je pense qu'il faut qu'il y ait autour du Grand

nant lui-même la réponse : “Il faut bien admettre que notre

Réunion est petite. Nos communes ont des difficultés

Raid, la même réflexion entre l'association, les pouvoirs

bilan carbone avec tous les gens que l'on fait venir, n'est

durant le Grand Raid même si ça leur rapporte des sous.

publics et les gros acteurs privés locaux, pour imaginer le

pas bon. Pour ma part, je dis oui à une course de dimension

Elles sont confrontées à des problèmes de circulation,

futur de notre événement dans dix ans.”

internationale, mais pas à 10 000 personnes.”

de logement pendant l'événement.

Sur ce dernier point, Pierre Maunier le rejoint. “Cette année, on a refusé des quantités de gens, confie l'actuel président. Je ne pense pas qu'il soit raisonnable d'envi-

UTMB-GRAND RAID : UNE RIVALITÉ EXACERBÉE

C'est un éternel débat entre l'Ultra-trail du Mont-Blanc et la Diagonale des Fous, les deux mythes de l'“Ultra” français. Au jeu des comparaisons, les esprits s'enflamment sur leurs mérites réciproques. D'emblée, une chose ne peut pas être contestée. La Diagonale est plus ancienne que sa cousine alpine. Sa première édition remonte à 1993, tandis que l'UTMB a été créé en 2003. Au départ, l'entente était cordiale. “Je ne dis pas que tout ce que fait l'UTMB est mauvais, commente Robert Chicaud, président du Grand Raid de 1999 à 2021. On s'est même inspiré de l'UTMB parfois. Et eux se sont inspirés de nous. Faut-il rappeler qu'au départ Catherine et Michel Poletti, les responsables de l'UTMB, nous ont demandé de les aider. On a alors parrainé l'UTMB sans aucune arrière-pensée.” Parce qu'elles avaient des points communs : la même passion pour l'Ultra de leurs comités d'organisation et leurs bénévoles respectifs, la même ferveur populaire, des paysages traversés à couper le souffle des deux côtés. Ceci étant dit, la rivalité qui les oppose n'est pas feinte non plus. Au carrefour des années 2010, une guerre larvée a pris forme entre les deux, que l'Ultratrail World Tour n'a fait qu'aviver.

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Cinq ans après cet épisode fâcheux, la pilule a encore du mal à passer du côté des responsables du Grand Raid. “On ne veut pas tomber dans le mercantilisme de l'UTMB où c'est le “tout-pognon””, déclare Pierre Maunier, le président du Grand-Raid. “L'UTMB, c'est une entreprise tentaculaire et commerciale”, tonne à son tour Robert Chicaud avant d'ajouter. “On est à l'opposé. Ils sont certes bons dans le traitement du trail. Ils font de belles images de leur course qui est bien organisée. Mais on se sent plus proche, d'un point de vue philosophique, du Grand Raid des Pyrénées et de la quasi-totalité des organisations qui fonctionnent sur le principe du bénévolat, de la générosité et de l'altruisme.”

“ON VEUT ÊTRE EN DEHORS DU SYSTÈME UTMB” “En matière de ravitaillements, de kinés, de médecins, de podologues, et compte tenu du tarif d'inscription que nous proposons (190€ pour la Diagonale, 305€ pour l'UTMB, ndlr), l'UTMB est en dessous du niveau de nos prestations, renchérit Pierre Maunier. On veut être hors du système UTMB. Et c'est clair pour ma part, tant que je serai là, je garderai cette ligne de conduite.” Ça a le mérite d'être clair. Comme lorsque Robert

Chicaud tranche les mérites réciproques des deux parcours. “Tout le monde reconnaît que la Réunion est beaucoup plus difficile que les Alpes, dit-il. Ce n'est pas comparable. En termes de technicité, il n'y a pas photo.” Pour dépassionner le débat, il faut se tourner vers Eric Lacroix. “Chacune d'entre elles a ses particularismes, confie le spécialiste de l'entraînement. Elles sont différentes du point de vue du territoire qui les abrite. Ce que génère l'UTMB sur le plan économique est monstrueux, avec la présence massive des marques. C'est très connoté marketing. Le Grand Raid incarne plutôt l'image du lien social, du bénévolat. Mais je ne veux pas les opposer. En fait, elles sont complémentaires pour moi.” Stéphane André n'entre pas non plus dans l'opposition radicale. “L'UTMB a un marché de 300 millions d'Européens autour de lui, comparet-il. Nous, on est à 10 000 km des marchés émetteurs que sont les Etats-Unis et l'Europe, et un peu l'Asie maintenant. On a un positionnement géographique qui fait qu'on ne pourra jamais avoir un rayonnement international aussi important que l'UTMB, parce que le Mont Blanc est au milieu de l'Europe. Mais ce n'est pas forcément notre but.”


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30 ANNÉES DE PASSION !

En l'absence de François D'Haene, l'édition 2022 est ouverte et David Hauss peut être le premier Réunionnais vainqueur depuis 2008.

UN RÉUNIONNAIS REGAGNERA-T-IL ?

© PHOTO EMMANUEL GRONDIN

Depuis la victoire de Pascal Parny en 2008, aucun Réunionnais n'a inscrit son nom au palmarès de La Diagonale des Fous. Une pénitence de quatorze ans à laquelle il faut retrancher les victoires de Marcelle Puy chez les femmes en 2010, et celle beaucoup plus récente d'Emilie Maroteaux, qui vit à la Réunion depuis de nombreuses années. Mais, force est de constater que dans la catégorie masculine, ce sont les coureurs “extérieurs”, qui font la loi depuis 2009. Est-ce le signe d'un déclin réunionnais ? L'internationalisation de la course les a-t-elle progressivement poussés vers les seconds rôles ? Eric Lacroix a une réponse toute trouvée qui ne manque pas de pertinence. “Je retourne la question : mais, est-ce qu'un Haut-Savoyard peut encore gagner l’UTMB ?” Le spécialiste d'ultra n'oublie pas en effet que La Réunion est un département français, que la Diagonale des Fous est une course de dimension internationale et que par conséquent il est difficile d'exister dans un espace aussi concurrentiel. Ceci étant dit, Richeville Esparon nuance ce propos. “Bien sûr que la mondialisation est une explication, constate le double vainqueur de la Diagonale. Les gens venus de l'extérieur représentent une sacrée armada qui gagne. Mais ce résultat est somme toute logique : les coureurs réunionnais ne consacrent pas assez de temps à l'entraînement. Jornet s'entraîne en effet trois fois par jour.” Cléo Libelle pense qu'il faudrait d'abord faire évoluer les mentalités. “Les Réunionnais s'entraînent trop souvent seuls, explique cet autre double vainqueur de la Diagonale. Ils ne se préparent pas assez en groupes. En fait, ils ne se font pas confiance. Chacun cherche à gagner dans son coin et je

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trouve ça dommage. Alors que s'ils s'entendaient davantage, partageaient des coaches en commun, se transmettaient des informations, ils pourraient encore gagner le Grand Raid.”

“IL FAUT SE PROFESSIONNALISER” Stéphane André est lui aussi persuadé qu'un coureur local peut encore gagner à condition de s'en donner les moyens, y compris financiers. “Les Réunionnais ont des qualités extraordinaires, dit-il. Il faut juste qu'ils appréhendent les courses différemment, qu'il y ait un encadrement plus structuré qu'il ne l'est aujourd'hui. Mais je pense que des garçons comme Romain Fontaine en ont les moyens. Il faut juste qu'on les aide à “sortir” plus. Il nous manque aussi peut-être la création d'un vrai team, pourquoi pas impulsé par la Ligue et les collectivités, qui mettraient de l'argent.” Eric Lacroix renchérit. “On a des coureurs d'exception sur le plan physiologique, notamment de très bons descendeurs, des garçons très techniques, dit-il. Il y a juste des choses qui manquent dans l'accompagnement mental, la confiance en soi.” Le même privilégierait une structure privée d’encadrement. “Il faut se professionnaliser pour être performant, il faut s'entraîner trente heures par semaine. Ça passe à mon sens davantage par des structures privées ou informelles type entreprises que par la Ligue. Elles prendraient sous leur coupe le coureur et lui permettraient de s'entraîner 35 heures par semaine, en comptant la récupération, les soins, l'alimentation, autour de ça. Sans cela, en s'entraînant 35 heures tout en bossant 60 heures à côté, c'est impossible de gagner.”

Il faut également penser au fait que l'on passe souvent sur des domaines privés, dans des champs qui appartiennent à des agriculteurs. Envisager par conséquent d'augmenter le nombre de coureurs, et donc les gênes que ça pourrait occasionner, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.” Pierre Maunier pose en même temps la question de l'évolution du parcours. Sur ce point, Robert Chicaud formule un souhait très personnel. “Je regrette qu'on ne remette pas au moins une fois à l'ordre du jour un départ de Saint-Philippe ou Saint-Joseph, dit-il. Car pour moi, la Diagonale, c'est ça. On part du sud et on va vers le nord en diagonale.” Stéphane André abonde. “La plus belle Diagonale, c'est la plus pure. Ne plus passer par Affouches ou par La Roche Ecrite, qui restent des endroits exceptionnels, c'est dommage en soi. A l'inverse, descendre à la Possession, monter par le chemin des Anglais, même si je l'ai popularisé, ce n'est pas naturel. Une diagonale, ça doit être direct. Soit on la construit pour sortir de Mafate par la Rivière des Galets et on enchaîne Dos d'Ane, Affouches et le Colorado. Soit on fait une Diagonale qui va dans Salazie, remonte le mur de La Roche Ecrite pour redescendre sur le Colorado. Ce n'est pas une Diagonale qui ferait 160-170 km, mais 130-135 km.” Pierre Maunier reste pragmatique sur le sujet. “Le départ à Saint-Pierre est incontournable parce que l'investissement financier et humain de la mairie de Saint-Pierre est conséquent, soutient-il. De toute façon, la mairie de Saint-Philippe n'a pas les moyens aujourd'hui de pouvoir nous apporter toute la logistique et les budgets que Saint-Pierre met sur la table. Maintenant, si elle s'alignait au même niveau, pourquoi pas.”

LE TDB RÉDUIT L'AN PROCHAIN En attendant, le président n'est pas opposé au changement. La preuve, il annonce que dès “l'année prochaine le Trail de Bourbon sera réduit à 90 km pour avoir quatre courses vraiment différentes. En effet, le TDB était boudé parce que c'était un mini Grand Raid. On va changer cela.” Quant au plateau des coureurs, à quoi ressemblera-t-il dans les années qui viennent ? Depuis quelques années, il est peut-être moins fastueux. “D'abord, il faut que la course conserve son âme réunionnaise, imagine Stéphane André. Ce ne serait pas bon d'avoir une majorité de participants non-résidents. Ça fonctionne parce qu'il y a beaucoup de Réunionnais qui participent et que ça contribue au développement de l'île.” Ceci étant, le même se positionne également sur le sujet des Élites. “Il faudrait consacrer un budget pour être certain que les 15-20 meilleurs coureurs mondiaux viennent chaque année, poursuit-il. Et pour les avoir, il faudrait respecter deux conditions : un, allouer des fonds où l'on prendrait davantage que maintenant les billets d'avion des top coureurs en charge et deux, ne pas verser dans l'excès en ce qui concerne le kilométrage de la Diagonale.


© PHOTO : EMMANUEL GRONDIN

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Mardi 18 octobre 2022

Qui gagnera le Grand Raid dans dix ans. Encore et toujours des extérieurs ? Ou un Réunionnais comme Romain Fontaine ?

La préservation de la faune et de la flore réunionnaises sont l'un des enjeux du Grand Raid dans l'avenir

UN MINI-RAID POUR RÉPONDRE AU DÉFI ÉCOLOGIQUE

Le Grand Raid n'a pas attendu que le défi écologique devienne un sujet prioritaire à l'échelle mondiale pour se prévaloir d'une sensibilité certaine sur le sujet. Sur son site Internet, figure en bonne place une charte à l'attention des coureurs des quatre courses, qu'il convient de respecter en toutes circonstances. “Par définition, un traileur s’engage à respecter la charte du Parc National, l’environnement, sa faune et sa flore qui nous accueillent, qui nous entourent et que nous traversons”, est-il écrit. Par conséquent, le coureur, lit-on encore en substance, “doit emprunter des chemins balisés, et ne pas prendre de raccourcis, utiliser une éco-tasse ou un gobelet réutilisable lors des ravitaillements, rapporter tous ses déchets en utilisant la poche de son sac, faire de l’éducation éco-citoyenne auprès des pollueurs en les incitant à ramasser leurs déchets.” A l'époque, où il était président du Grand Raid, Robert Chicaud a fait attention à entretenir de bonnes relations avec les deux partenaires historiques de la course que sont l'ONF et le Parc National. “L'ONF a toujours été un partenaire irréprochable à nos côtés, dit-il. Le Parc, un peu moins au départ, même si ça s'est arrangé avec le temps. Aujourd'hui, les deux institutions sont

complémentaires à nos côtés.” Le Grand Raid a souvent revu sa copie, après l'intervention de l'un ou l'autre de ces deux partenaires. “Quand on passait naguère au Volcan, se rappelle Robert Chicaud, la Plaine des Sables par exemple était devenue ingérable du point de vue des voitures qui y stationnaient et de la foule qui s'y massait. On s'est vu ainsi reprocher par le Parc National d'être peu respectueux de l'environnement. Il a alors fallu prendre la décision au sein du comité directeur de canaliser le flux en mettant en place un système de navettes.” Les organisateurs ont parfois conçu leur parcours avec à l'esprit la préservation de l'environnement, quitte à s'interdire de passer dans des lieux mythiques de la course. “On ne passe donc plus par exemple par la Roche Ecrite”, insiste Pierre Maunier, le président actuel de l'association. De la même manière, précise Robert Chicaud, “il y a un pacte non écrit avec l'ONF et le Parc pour ne pas aller au-delà du nombre de participants actuel.”

LES SENTIERS SONT FRAGILES Si le Grand-Raid refuse pour l'instant, de céder à la tentation de franchir la barre des 10 000 participants, c'est lié à la volonté de préserver les sentiers. “Ils sont assez fragilisés comme

ça, explique Stéphane André, chargé de la communication. On ne doit pas être dans une stratégie de volume mais de valeur ajoutée.” Pour sa part, Pierre Maunier délivre un message de politique environnementale. “Il faut qu'on laisse une île de La Réunion préservée aux générations futures. Ce n'est pas d'écologie politique pure dont je parle, c'est juste une nécessité si on veut continuer à voir un pétrel de Barau, un paille-en-queue ou un tuit-tuit vivant, plutôt que d'aller voir des ossements de dodo dans un musée à Paris. Au Grand Raid, nous n'avons pas envie en tous les cas d'être les fossoyeurs de la cause environnementale.” Par conséquent, toutes les décisions sont bonnes à prendre, y compris en innovant. “On fait passer des messages sur nos réseaux aux compétiteurs et aux bénévoles, prolonge le même. Un exemple concret : ne jetez plus de peaux de bananes ou d'oranges dans les Hauts car elles attirent les rats, les rats attirent les chats qui se nourrissent d'oiseaux endémiques de la Réunion. On essaie de sensibiliser les enfants à ça avec un projet de mini-raid pour eux que l'on va créer d'ici peu.” Une cinquième course, en somme, orientée vers la protection de la nature.

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Car beaucoup de teams managers me disent que leurs coureurs hésitent à venir en fin de saison, pour faire le Grand Raid et ses 170 km. Ils courent beaucoup plus dans l'année qu'il y a vingt ans et terminer leur saison, dans la chaleur, avec un parcours aussi long, ça devient vraiment compliqué pour eux.” Pierre Maunier confie pour sa part sur le sujet : “On n'a pas envie de devenir une course uniquement réservée aux Elites, même si on a conscience que les Élites attirent les coureurs anonymes venant de l'extérieur qui font l'identité de la course.” A ce propos, Stéphane André imagine à quoi pourrait ressembler le vainqueur de la Diagonale du futur. “J'ai adoré la dernière Zinal en Suisse que Jornet a finie cinquième derrière les Kenyans, dit-il. Ça fait longtemps que je dis que quand les Kenyans viendront sur le Grand

© PHOTO : PHILIPPE CHAN CHEUNG

Président du Grand Raid depuis l'an dernier, Pierre Maunier souhaite que la structure reste associative.

© PHOTO : THIERRY VILLENDEUIL

ET DEMAIN ?

30 ANNÉES DE PASSION !

Eric Lacroix milite pour une “décélération” dans le développement du Grand Raid.

Raid, ils domineront car ils ont des qualités intrinsèques monstrueuses.” Eric Lacroix, quant à lui, “n'est pas convaincu qu'il faille une internationalisation sur un mode économique où un Kenyan vient, gagne et repart en avion le lendemain. Je penche davantage pour une internationalisation mais sur un mode écologique, social, collectif avec un partage encouragé de certaines valeurs profondes.”

millions d'habitants. Ça fait presque peur, en termes d'ordre de grandeur. Il y a le Japon, le Canada, l'Australie, l'Afrique du Sud. Et l'Inde. C'est énorme et c'est à côté de chez nous. Pour échapper à l'UTMB qui a la mainmise sur un certain nombre de pays, en général les plus riches, on a la possibilité de toucher de nouveaux marchés.” Eric Lacroix suit une autre piste que celle du développement tous azimuts. “Il faut que le Grand Raid aille au contraire vers la décélération, dit-il en conclusion. Aller dans la nature et y chercher le silence qui apaise, il ne faut pas perdre non plus cela de vue. Entretenir du lien social sur son chemin mais se préparer à se retrouver seul sur le sentier, c'est chouette ça. Je pense même que cela représentera un luxe dans un avenir proche pour les hommes, et le Grand Raid peut te l'offrir.” ■

“C'EST MONSTRUEUX, LA CHINE !” Robert Chicaud évoque l'idée d'approfondir quand même “les prospectives vers l'étranger” c'est-à-dire aller dans des pays pour faire la promotion du Grand Raid. “Il y a la Chine, avance-t-il. C'est monstrueux, la Chine ! Le moindre village que vous prospectez, vous touchez vingt

ASSOCIATION OU SEM À L'AVENIR ?

C'est très clair, le sujet fait débat. En interne, les voix sont même discordantes parfois, sur le statut juridique qui serait le plus approprié, pour que le Grand Raid puisse continuer à se développer dans de bonnes conditions. Pour l'instant, la structure est régie par la loi 1901. Le Grand Raid est une association, ce qui veut dire qu'elle doit réinvestir ses bénéfices et non pas les répartir entre ses membres. Et même si comme le dit son président Pierre Maunier, “on est presque une entreprise car on est assujettis aux trois impôts sur la société, on paye la TVA concurrentielle et la TVA intercommunautaire”, ce dernier tient au caractère associatif de l'entité dont il est le président. “Pourquoi changer, dit-il, on est bien comme ça.” Sur ce point, il est sur la même longueur d'ondes que son prédécesseur Robert Chicaud. “Au Grand Raid, on ne fait pas de bénéfices que l'on doit redistribuer sous forme de dividendes à des actionnaires, confie ce dernier. On équilibre les comptes, c'est tout. Et on dégage éventuellement un petit pactole chaque année que l'on met de côté. C'est une approche tout à fait différente de l'UTMB, à qui il faut des résultats, pour que les actionnaires y trouvent leurs comptes. Ils font du business. Moi, je souhaite que nous restions une association.” Le même ajoute : “L'UTMB a deux

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structures : une association pour le bénévolat (Association des Trailers du Mont-Blanc, ndlr) et une société pour la gestion commerciale (SAS UTMB Group, ndlr). A un moment donné, j'ai été tenté de le faire, mais c'était trop compliqué.” A la tête de la société qui gère la communication et les partenariats du Grand Raid, Stéphane André respecte ce point de vue, même s'il n'est pas tout à fait d'accord. “Je sais que pour Robert (Chicaud), on doit tous être au service du Grand Raid sans en retirer un avantage”, dit-il en préambule. “Mais l'idée de dire que si ce n'est pas associatif, c'est mercantile, c'est un peu schématique.” Et d'expliquer pourquoi selon lui. “L'UTMB ou ASO avec ses marathons ont mis en place des structures privées parce qu'au vu de la demande, ils ont voulu développer un modèle économique viable, autre qu'associatif. Robert peut contester en disant qu'ils veulent d'abord gagner de l'argent. Moi j'ai une position intermédiaire. Je pense que l'on peut avoir une entreprise privée dans un domaine de passion où l'objectif est certes de ne pas couler la boîte, mais sans faire des milliards.”

L'EXEMPLE DU VENDÉE GLOBE Stéphane André décline deux pistes de réflexion pour l'avenir du Grand Raid. La première copie le modèle de l'UTMB. A savoir, “une gouvernance

bicéphale”, dit-il. “On peut très bien imaginer une structure privée qui assurerait la pérennité sur des tâches administratives comme les dossiers à la préfecture, et techniques, telles que la production vidéo, les inscriptions et le chronométrage. Et en ce qui concerne la partie sportive, l'association conserverait la primauté.” Deuxième piste : la SEM (Société d'économie mixte). “Si l'on prend l'exemple du Vendée Globe, après les déboires des frères Jeantot, explique encore Stéphane André, l'événement a été repris par le conseil général de Vendée. Philippe De Villiers a alors créé une SEM. Aujourd'hui, la répartition du Vendée Globe, c'est 60 %-70 % de capitaux publics avec la ville des Sables-d'Olonne et le département Vendée et 30 % de capitaux privés avec des grosses sociétés locales. Il y a de l'actionnariat pour les deux. C'est un bon modèle, mieux même que la structure bicéphale.” Et le même de poursuivre. “Dans une île comme La Réunion où les collectivités territoriales pèsent d'un poids important, réfléchir à une structure où secteurs public et privé seraient étroitement investis dans le Grand Raid, ne serait pas une mauvaise idée. Si les acteurs publics s'engageaient plus, on aurait une sorte de sécurité financière et structurelle garantie dans le futur pour le Grand Raid.”


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