grandbag / open art revue #25

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MARS 2013

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Mensuel gratuit

Photo / Š Julien Berthier


Vorsprung durch Technik

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25.02.2013 10:10:18


Et alors ! Texte / Eric

Fournel • Photo / © Robert Filliou - La Joconde est dans les escaliers / Bin in Zehn Minuten Zurück. Mona Lisa, 1969

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ans un contexte budgétaire où chacun doit faire des efforts, l’idée est de s’orienter vers une stratégie plus qualitative que quantitative, a rappelé la ministre de la culture et de la communication Aurélie Filippetti, dans un entretien accordé sur le budget de son ministère. En effet, la ministre a choisi de mettre un terme à une politique de grands projets dispendieux dans son budget, dès 2013, pour porter son attention sur la diffusion de la culture sur tout le territoire, notamment auprès des jeunes. « Il faut permettre à tous les jeunes gens de notre pays cette rencontre intime avec les œuvres, les artistes, les processus de création et les pratiques culturelles. On ne doit plus se contenter d’expérimentations mais viser l’universalisation de l’éducation artistique et culturelle, qui est un droit pour tous les élèves, de la maternelle à l’université » a-t-elle déclaré devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée le 11 juillet 2012. Un objectif que le Centre d’art contemporain / Passages s’applique à mettre en œuvre avec une attention particulière portée sur la rencontre avec les publics. Les expositions, les résidences d’artistes, les actions hors les murs contribuent à l’élargissement et à la diversification des publics en région. Le Centre d’art contemporain / Passages est aussi très attentif au développement de l’éducation artistique et culturelle comme en attestent la série de conventions signées depuis quelques années avec l’Éducation Nationale et le service universitaire de l’action culturelle sur l’intégration des pratiques artistiques et culturelles dans les cursus. Face à la mise en place d’un projet scientifique et culturel du pôle muséal troyen, est aussi venu le temps d’une révision des missions du Centre d’art contemporain / Passages. L’élaboration d’un nouveau projet artistique et culturel s’inscrit dans la continuité des actions du Centre d’art contemporain / Passages, qui s’attache depuis 30 ans à renforcer le travail du rapprochement entre les publics et l’art contemporain. Le Centre d’art contemporain / Passages souhaite continuer d’affirmer son ancrage à la fois local et régional. Mais certains écueils subsistent pour insuffler une nouvelle dynamique. Le Centre d’art contemporain / Passages souffre ainsi d’un déficit de visibilité évident. D’abord physiquement, au vu de sa position en retrait du cœur de la Ville de Troyes. Un handicap géographique accentué par le nouveau dessin de la ville qui entrave son potentiel d’attraction auprès d’un public touristique non informé, contrairement à certains bâtiments publics aux gestes architecturaux démonstratifs. Ensuite sur un plan identitaire,

DANIEL DARC

notamment par manque de moyens, le Centre d’art contemporain / Passages, n’est pas encore parvenu à s’affirmer distinctement dans la cité des tricasses. Alors que paradoxalement, sur un plan national, il bénéficie d’une belle reconnaissance… Autant de difficultés auxquelles le Centre d’art contemporain / Passages a choisi de faire face aujourd’hui, en renforçant notamment la relation aux publics, grâce à la mise en place d’un poste dédié à la médiation. Il s’agit pour le Centre d’art contemporain / Passages de mettre l’art contemporain sous le signe d’une conception humaniste, affirmant son attachement au sensible et à l’intuitif. La priorité en la matière concerne les écoles, les universités et les citoyens, auxquels des médiations ciblées doivent être proposées. L’objectif est également de continuer à développer des relations étroites avec le Frac Champagne-Ardenne, les musées et le tissu associatif local, afin de mettre sur pied des événements. Enfin, le caractère public, ouvert à tous, doit prendre en compte la mise en place d’un projet in situ, peut-être sous la forme d’une commande publique, permettant aux visiteurs de trouver un espace d’accueil, d’information, d’échange contribuant à faire du Centre d’art contemporain / Passages un véritable lieu de vie artistique et culturel sur le territoire troyen. Appartenant au réseau national de développement des centres d’art, le Centre d’art contemporain / Passages doit gérer la conception, l’organisation d’expositions d’œuvres significatives de la création contemporaine et l’élaboration de dispositifs ayant vocation à favoriser l’émergence de projets originaux et d’actions permettant l’accès du plus grand nombre à l’art contemporain. L’expérimentation est une modalité de travail caractéristique du Centre d’art contemporain / Passages, qu’il s’agisse de la production d’œuvres, de la conception d’exposition, de la diffusion ou de la manière de travailler avec le public. La diversité et la qualité des projets, la vitalité du partenariat avec les collectivités territoriales, constituent des atouts qu’il faut préserver. S’il n’est pas souhaitable d’uniformiser le fonctionnement des centres d’art contemporain à l’échelle nationale, il est en revanche nécessaire de confirmer leurs missions et objectifs. L’enjeu est de mieux identifier et structurer le Centre d’art contemporain / Passages en lui offrant une meilleure visibilité, d’améliorer l’inscription du lieu sur son territoire et de garantir la réalisation de son Projet artistique et culturel en lui offrant la stabilité nécessaire.

+ Hommage +

RUBIN STEINER

+ La musique justement +

RICHARD SCHLANG

+ Esthétique de l’aléa +

LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET DOMINIQUE GHESQUIÈRE JULIEN BERTHIER FRANCE FICTION ÉMILIE PITOISET

+ Objets (in)usuels +

+ Détournement de regard + + Le mystère est aussi une glace + + Objets aériens +

FRANCESCO ARENA FRÉDERIC BOYER

+ Art Performa(c)tif +

+ 11427 fois 24 heures +

+ Écriture en olifant +

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MUSIQUE

DANIEL DARC HOMMAGE Propos recueillis par / Claire Beheyt et Maxime Ducrot • Texte / Alexis Jama Bieri • Photo / © DR

« Le seul

truc qui est important pour moi, c’est que je fais partie d’un moment

»

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aniel Darc s’en est allé le 28 février 2013 pour rejoindre le paradis, pas artificiel, des légendes de la musique du 20e siècle. Rock, pop, synthétique, torturé, sensible, inoubliable ! En hommage, Grandbag republie l’interview de cet artiste attachant, qui faisait suite à une inoubliable rencontre en marge d’un de ses derniers concerts.

Pouvez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ? Me présenter aux gens qui ne me connaissent pas, ils ont de la chance, je m’appelle Daniel Darc et j’écris des chansons.

Comment qualifieriez-vous votre univers ? J’espère qu’il soit honnête. Mon truc c’est le

rock’n roll. Le seul truc qui est important pour moi, c’est que je fais partie d’un moment.

Comment vous vient l’inspiration ?

Je ne sais pas. Je ne me pose pas de questions, c’est

lié à ma vie. Je suis beat « où je pose ma tête est mon foyer ». Ma musique vient de l’écriture. Quand j’étais môme, je voulais être écrivain, mais je n’en suis pas capable car un roman c’est trop long à écrire pour moi, je préfère la formule courte de la nouvelle. Quand je pars en tournée, je fais ma valise avec des bouquins de Jacques Rigaud, Blondin, Céline qui sont mes incontournables et j’emporte toujours une machine (maintenant un notebook) pour écrire la nuit. J’emporte également un ukulélé pour composer car ça ne prend pas de place et un tout petit lecteur de vinyle avec quelques disques de country et de Dylan. L’inspiration me vient en lisant et en

écoutant les gens. Pour ne pas être trop touché par les choses, la défonce me permet une sorte de myopie supplémentaire.

Quelles sont les thématiques qui vous intéressent ? Je ne m’intéresse pas aux fringues :

un vieux jeans, un cuir me suffisent. Je vais m’acheter une grotte en Bretagne pour aller y passer du temps et faire du vélo.

Est-ce que vous travaillez dans l’urgence ? Oui, j’écris au dernier moment. J’ai par

exemple composé mon dernier album en trois semaines.

Quand on voit votre répertoire, votre histoire, n’êtes-vous pas au fond iconoclaste et provocateur ? Je suis protestant, alors

on peut dire que je suis iconoclaste.

Vous êtes un peu écolo, non ? L’écologie ne m’intéresse pas spécialement. Disons que je ne suis pas hystérique sur ce sujet.

DANIEL DARC

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Exposition ouverte au public du 8 mars au 6 avril 2013 AUDI REIMS LE VIGNOBLE La citĂŠ de l'automobile - ZAC Croix Blandin - 14 Rue Lena Bernstein 51100 REIMS Tel: 03 26 79 83 33


MUSIQUE

RUBIN STEINER LA MUSIQUE JUSTEMENT Texte / Alexis Jama Bieri • Photo / © DR

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ubin Steiner est avant tout musicien, érudit, faiseur de musique juste. Jouer, inventer, c’est ce qui importe, loin de la fausseté et des paillettes. Rubin Steiner propose une musique humaine, donc vitale, à écouter ou à vivre, une musique qui s’inscrit en de nombreux albums, dont « Discipline in Anarchy » sorti en 2012 chez Platinum records. Avec ce titre, Rubin Steiner symbolise quelque part l’esprit de sa musique. Ici tout est dit…ou peut-être, tout peut être dit et reste à dire, dans les espaces libres qu’il invente. Le 30 mars, Rubin Steiner se produira en Live lors de la soirée de clôture du festival Elektricity, Équinoxe de printemps. RUBIN STEINER

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MUSIQUE

« Je n’ai pas d’autre ambition que de m’amuser » Peux-tu te présenter, à ceux qui ne te Qu’est-ce qui t’a attiré dans l’électro, En tant que musicien, que souhaites-tu connaîtraient pas encore ? plus que dans les autres musiques ? réussir ? Aïe aïe aïe... je suis un jeune Tourangeau né juste après l’élection de Giscard, et je fais de la musique et des disques sous le nom inventé de Rubin Steiner depuis 1998. J’ai sorti plusieurs albums et on m’a collé tout un tas d’étiquettes à la con, comme « french touch », « électro jazz », « électro rock », « hip-hop », « krautrock », « nu disco » et, le pire de tous : « touche-à-tout ». Tout cela est bien entendu complètement faux, je fais juste de la musique qui danse et qui fait pleurer les plus sensibles, ou rigoler les plus pervers.

Depuis très longtemps, j’ai besoin d’écouter de la musique que je n’ai jamais entendue avant. La musique électronique est encore un territoire à explorer, contrairement aux vieilles guitares. Même si j’entends très bien que ce que je viens de dire est complètement con. En réalité, l’organisation de ma vie fait que je n’ai pas d’autre solution que de composer et d’enregistrer seul : l’ordinateur me sauve la vie. Sur scène en revanche, nous sommes cinq, avec guitare, basse, batterie, congas et quatre synthés. Pas vraiment « électro » donc.

Comment es-tu devenu musicien ?

Si tu devais décrire ta musique en une phrase, quelle serait-elle ?

J’ai d’abord chanté dans un groupe de lycée, puis joué de la guitare dans un groupe punk minimal wave. Ensuite, j’avais le choix entre continuer de faire de la radio, faire des fanzines, organiser des concerts et aller à la fac : j’ai finalement fait barman et musicien. Aujourd’hui je ne regrette pas, et j’ai même un vrai métier depuis trois ans, je suis programmateur du « Temps Machine », la salle de concert de Tours.

Que signifie pour toi être musicien, et plus généralement artiste ?

Cela signifie être égocentrique, prétentieux, ambitieux et angoissé. Cela signifie avoir besoin de jouer et être convaincu que ça en vaut la peine. C’est très bizarre. C’est assez pourri en fait. Moi je suis tout ça, mais je m’amuse, alors ça va. J’assume. Mais je n’ai pas d’autre ambition que de m’amuser, donc ça va, je suis assez détendu avec tout ce cirque.

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RUBIN STEINER

Electro weirdo coolio punko exotico tropico.

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Plein de choses, mais la basse et la batterie sont les bases de l’univers.

Comment as-tu travaillé concevoir ton dernier album ?

pour

Composer à raison de cinq minutes par-ci parlà pendant quatre ans (anarchie) et enregistrer consciencieusement et rapidement au dernier moment (discipline).

Comment trouves-tu les titres ? Que signifient-ils, ou plutôt quel(s) univers symbolisent-ils ?

Trouver des titres, c’est comme faire un statut Facebook. Ce n’est pas important.

J’aimerais vraiment réussir à trouver une semaine pour jouer non stop avec mon groupe, en improvisation totale, tout enregistrer et sortir mon meilleur album en découpant le résultat dans tous les sens.

As-tu des icônes et des maîtres à penser ? Je suis bêtement fan de Stereolab, de Jimi Tenor, de Lou Barlow et James Murphy.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

En ce moment même, pendant que je réponds à cette interview, j’écoute « Some I Know, Some I Don’t » du Glasgow Improvisers Orchestra, dirigé par Jim O’Rourke sur la BBC3, une pièce basée sur l’indétermination de John Cage et les Obliques Stratégies de Brian Eno. Super cool.

demande si ce n’était pas le premier truc qu’il faisait sous le nom de Yuksek. En tout cas, il n’a pas traîné pour faire parler de lui ensuite. J’aime bien ce garslà. Il est vraiment gentil.

Peux-tu nous parler de tes projets à venir ?

J’ai vraiment envie d’enregistrer vite un nouvel album que j’appellerai peut-être «Suicide commercial». Vraiment envie de ça. Ce sera un peu comme si on était encore dans le Lower East Side en 78 et que James Chance tombait par hasard sur un live d’ESG au Max’s, avec Suicide en première partie et Brian Eno dans la salle. rubinsteiner.com

Y a-t-il des artistes avec qui tu aimerais travailler ? Non, pas spécialement.

Tu viens te produire à Reims en mars dans le cadre du Festival Elektricity. Mais tu étais déjà venu il y a quelques années. Quel souvenir gardes-tu de ce passage à Reims ? Je me souviens surtout de la fois où Yuksek nous avait invités pour une soirée Travaux Public (notre label de foufous), en 2003 je crois... c’était déjà Elektricity ? Il m’avait donné un cdr avec son remix de « Can you touch me » de The Film. Je me

Samedi 30 mars 2013 à 20h00 THE SHOES(DJ) + MIDNIGHT MAGIC + RUBIN STEINER + PHONOGRAPHE CORP. La Cartonnerie 84 rue du docteur Lemoine 51100 Reims


LA CARTONNERIE & CÉSARÉ PRÉSENTENT

REIMS

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27 AU 3O MARS 2O13

MUSIQUES DU TEMPS PRÉSENT

LESCOP ALINE

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THE SHOES

MIDNIGHT MAGIC

RUBIN STEINER

:

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DJ

YAYA HERMAN DUNE

GRINDI MANBERG

:

CIE AXE ENSEMBLE

PHONOGRAPHE CORP. WWW.ELEKTRICITYFESTIVAL.FR une production


PHOTOGRAPHIE

RICHARD SCHLANG ESTHÉTIQUE DE L’ALÉA Texte / Alexis Jama Bieri • Photos / © Richard Schlang

« Le numérique donne des prises de vues incroyables. On dompte des instants de matière complètement magiques ! »

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ichard Schlang est un photographe et vidéaste français, qui vit et travaille à Paris. En 1991, il sort diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Lyon. Lors de ses études en section Communication visuelle, il réalise un court-métrage de 35 minutes produit par la FEMIS. En 2005, il monte Secondlife, une agence de communication artistique où il débute un travail personnel au titre récurrent : « Détail », déclinant toujours la même thématique. En parallèle, il continue à réaliser des courts métrages. Afin d’exposer son travail, il présente ses œuvres sur les cimaises de plusieurs galeries et participe à différents festivals. Afin d’exprimer son travail dans de nouveaux supports, il crée en 2010 le site Web Oeill.com, où sont présentées des photographies et vidéos d’art réalisées uniquement avec un Iphone.

Par quels chemins êtes-vous arrivé à la pour une de vos créations ? Comment création visuelle ? opérez-vous alors ? Je pourrais dire que j’y suis arrivé par force et détermination…

Quels artistes vous ont permis de développer votre regard sur l’image ?

Ils sont nombreux. Pour en citer quelques-uns, il y a notamment Edward Hopper, Wim Wenders, David Hockney, Christian Boltanski et Nam June Paik.

Si vous deviez décrire votre œuvre en une phrase, quelle serait-elle ?

En studio on se complaît dans un endroit dont on contrôle l’univers. Chaque série est vraiment différente.

Qu’est-ce qui vous attire plus particulièrement dans les modèles féminins, et dans UN modèle que vous sélectionnez pour le mettre en image ? Le charisme est très important et le féminin est un corps que je comprends bien.

table et éphémère d’un art que chacun tez-vous brouiller, ou briser les codes pourrait faire, ou du moins que cha- pour révéler votre message ? cun pourrait croire faire ? Mes codes s’associent à la personne qui regarde mes Cela est un jeu avec les gens qui parlent de photographie noir et blanc argentique. C’est un fauxsemblant. En effet, la recherche d’une photo iPhone en noir et blanc prend beaucoup de temps. C’est beaucoup moins instantané que l’on pense. En fait, c’est un laboratoire d’expérimentation qui m’intéresse particulièrement.

Quelle part donnez-vous à l’expérimentation ?

photos. Le mélange de mes séries donne de nouvelles histoires. C’est lors des expositions qu’elles prennent un sens. Le support joue beaucoup. Par exemple, la vidéo ou un châssis change considérablement l’aspect d’une photo.

Quelle est la destination de vos œuvres ? Sont-elles destinées à être exposées à un public ciblé en galerie ou au plus grand nombre, notamment sur le web par l’intermédiaire de votre site ?

Comment décririez-vous votre ap- L’expérimentation en photographie concerne, pour proche de la lumière et des couleurs, moi, la lumière. La distribution est aussi un sens d’expérimentation. Les progrès sont considérables en édition d’image. Quelles sont les choses qui déclenchent et plus généralement ce qui caractérise chez vous l’idée d’une création ? votre signature photographique ? Vous dites : A force de voir les choses Je crois à une diffusion au rythme de ses propres Un croquis ou une envie d’univers, retranscrire L’instantanéité dans un projet défini est très inté- et de les interpréter, il faut un jour les envies. quelque chose au fond de moi-même. ressante. Le numérique donne des prises de vues montrer. Comment le détail devientincroyables. On dompte des instants de matière il l’objet de la subjectivité ? Le regard Pouvez-vous nous dire quelques mots Comment procédez-vous pour créer complètement magiques ! est-il pour vous le sens premier de la sur votre site ? une de vos œuvres ? poésie ? Je mets à jour mon site Internet en temps réel, car Cela dépend du lieu. En studio, en décor naturel, Vous réalisez des œuvres avec des prises Le regard est propre à chacun mais on peut avoir des c’est en définitive ma première plate-forme de communication. en extérieur, intérieur, c’est une imagination qui de vues effectuées par iPhone. Est-ce émotions communes. s’adapte au lieu. pour être au plus prêt de l’instantanéité du monde contemporain et pour Vous jouez sur les symbolismes actuels richardschlang.com Quelle est la part de travail en studio offrir une réflexion sur le caractère je- par mélanges et oppositions. SouhaiLe détail, le détail d’un objet ou d’une émotion.

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RICHARD SCHLANG


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PERFORMANCE

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LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET


PERFORMANCE

LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET ART PERFORMA(C)TIF Texte / Alexis Jama Bieri • Photos : Page 14 / Le Plateau, Paris, Prisonniers du Soleil, performance - lecture, 15.03.2010 - Courtesy Marcelle Alix, Paris • Page 16 / Francis, 2010 - vitrine, carrelage, papier, plastique, bois, peinture, tissu, métal, objets archéologiques - 83,5x151x61,5cm - Vue de l’exposition La caverne du dragon ou l’enfouissement, Marcelle Alix, Paris (photo : Aurélien Mole) - Collection FNAC Paris - Courtesy Marcelle Alix, Paris

« Nous envisageons la performance comme notre laboratoire de travail »

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ées en 1981, Louise Hervé et Chloé Maillet vivent et travaillent à Paris. L’une est diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts de Paris, l’autre est doctorante en anthropologie historique à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. En 2001, elles ont créé l’association International Institute for Importants Items, une plate-forme administrative de fiction, et développent leur travail. Depuis, elles expriment leur créativité au travers d’expositions/performances en de nombreuses institutions d’envergure nationale et internationale, notamment au palais de Tokyo, au Centre Pompidou, au Centre d’art de Genève, à la synagogue de Delm, aux FRAC Nord-Pas-de-Calais et Champagne-Ardenne et aux Abattoirs de Toulouse. Du 16 mai à fin juin 2013, elles participeront à Géométrie Variable, le grand événement d’art contemporain qui se tiendra au prestigieux domaine des Crayères, à Reims.

Comment et quand est née votre collaboration ?

Notre collaboration est née en 2001, lorsque nous avons fondé l’I. I. I. I. (International Institute for Important Items) dont Chloé Maillet est actuellement la présidente, et Louise Hervé la secrétaire.

Comment concevez-vous vos œuvres ? Par quelles étapes passez-vous ?

Nous envisageons la performance comme notre laboratoire de travail : nos projets donnent lieu à des films et à des installations, mais nous documentons les étapes successives de leur élaboration par des performances dialoguées, données une seule fois en public. Le processus peut être assez long : nous commençons par des étapes de discussion, de repérages, d’écriture, puis de répétition.

Paris. Pouvez-vous nous parler de cette expérience intitulée Dynasty ?

Il s’agissait de prendre la mesure de l’architecture des deux ailes du Palais de Tokyo, bâtiment néoclassique construit dans les années 1930, en plaçant face à face, dans chacune des deux ailes, correspondant au Palais de Tokyo et au Musée d’Art Moderne respectivement, Hercule et Maciste, personnages emblématiques des péplums. Maciste, créé en 1914 par d’Annuzio à partir d’une épithète herculéenne a en effet pris son autonomie dans les péplums italiens, mais il est, comme Hercule, l’homme le plus fort du monde à chacune de ses apparitions. Nous avions donc préparé deux petits films, l’un sur une lanterne magique, l’autre sur un rétroprojecteur à transparents, à partir d’une enquête archéologique sur le film à sujet antique. Aucun film parmi les centaines produits en Italie entre 1958 et 1964 ne donne d’ailleurs la réponse : qui des deux est l’homme le plus fort du monde ?

Pour donner un exemple, le musée gallo-romain de Fourvière, à Lyon, est un bâtiment en forme d’hélice, creusé au sein de la colline et construit juste à côté du site de l’amphithéâtre. L’une des salles tente de faire imaginer au spectateur l’amphithéâtre à partir de plans des différents états, à travers les siècles, de la construction, à partir d’une maquette, avec des vitrines d’objets découverts pendant les fouilles. Par la fenêtre, on aperçoit l’amphithéâtre en ruine. La reconstitution du site n’est ni dans les plans ni dans la maquette ni dans les artefacts, ni dans l’état actuel du site, elle est dans l’esprit du spectateur qui peut se représenter mentalement une image du bâtiment à l’intersection de toutes ces formes. C’est ce que nous tentons de faire dans nos projets.

ris, qui nous soutient dans tous nos projets.

Comment allez-vous appréhender votre participation, votre création dans le cadre de Géométrie variable ?

Nous allons écrire un texte pour une visite guidée, à une seule occurrence, du jardin. Ce jardin en Champagne nous a immédiatement fait penser à la petite cour du musée Le Vergeur à Reims où un collectionneur du début du XXe siècle a déplacé des morceaux de bâtiments épars prélevés dans toute la ville après la Première Guerre Mondiale. Il a ainsi reconstitué une sorte de maquette grandeur nature, mais dans laquelle les façades ne débouchent que sur du vide...

Que lisez/écoutez/regardez-vous en ce moment ?

Quels sont vos projets à court et moyen terme ?

Le mot archéologie revient assez souvent dans votre travail. Ne faites-vous pas, en quelque sorte, une archéologie du 21e siècle par vos objets, images et Vous avez exposé au Palais de Tokyo et installations et par le « regard dans le Avez-vous une galerie ? au musée d’art moderne de la Ville de rétroviseur » qu’elles proposent ? Nous travaillons avec la galerie Marcelle Alix, à Pa-

marcellealix.com

Comment faites-vous interagir vos œuvres avec l’architecture et l’espace environnant ?

Les performances que nous proposons ne sont jamais répétées, et sont écrites en fonction d’un lieu précis, et réagissent parfois à son architecture.

Nous regardons des films de monstres marins (comme Le continent des hommes poissons de Sergio Martino), afin de nous documenter en vue de notre prochain film, qui traitera de conservation, d’archéologie sous-marine, de créatures subaquatiques et de fantasmes de vie éternelle.

Nous avons une exposition en cours à Bristol, un projet à Arnolfini, pour lequel nous écrivons une performance qui aura lieu début avril, un projet de performance sur un bateau aux Sables d’Olonne en mai, et notre prochain film pour début 2014.

LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET

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PERFORMANCE

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LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET


PERFORMANCE

17.05 • 30.06 • 2013 DOMAINE LES CRAYÈRES REIMS

geometrie-variable.com

LOUISE HERVÉ & CHLOÉ MAILLET

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I N S TA L L AT I O N

DOMINIQUE GHESQUIÈRE OBJETS (IN)USUELS Texte / Alexis Jama Bieri • Photos / Page 18 / « tension », 2013 - câble - exposition Terre de profondeur, Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière - Photographie © Aurélien Mole • Page 19 (haut) / « parquet », 2009 - 500 lattes de pin - exposition Vague scélérate, La BF15 - Photographie © Aurélie Leplatre • Page 19 (bas) / « feu de bois », 2010 - branches de filaire - photographie © Jean-Baptiste Ganne • Page 20 / « mur de sable », 2008 - sable, eau, liant - Photographie © Aurélie Leplatre • Page 21 / « tension », 2013 - câble - exposition Terre de profondeur, Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière - Photographie Aurélien Mole

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ominique Ghesquière est née en 1953 aux États-Unis. Après avoir pour suivi des études à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon de 1996 à 2001, elle passe deux années en résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam en 2002 et 2003. C’est peut-être ce séjour qui conféra à son processus créatif une teinte nordique. Les objets qu’elle met en scène prennent alors une dimension presque légendaire. Ses œuvres ouvrent une perspective sur l’imaginaire, parfois avec mélancolie. Dominique Ghesquière expurge des objets usuels, domestiques et quotidiens, leur usage premier et fonctionnel pour recomposer une autre réalité à partir de ces choses si familières. Elle donne alors à voir, au-delà de l’image acquise de l’expérience, par l’intercession de sculptures étranges et intrigantes d’objets refabriqués en atelier. Dominique Ghesquière participera à Géométrie Variable, le spectaculaire événement qui illuminera artistiquement Reims et son prestigieux domaine des Crayères. Champagne ! Pourrions-nous dire…

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DOMINIQUE GHESQUIÈRE


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DOMINIQUE GHESQUIÈRE

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I N S TA L L AT I O N

« Le doute m’intéresse car il est une des portes d’accès au réel. Il permet une certaine prise de conscience » Quelle fut votre première sensation artistique ?

escabeau, j’ai toujours choisi des sortes d’archétypes pour qu’ils soient admis par tous et qu’ils ne se prêtent pas à une analyse sociologique ou de caractère. Car justement, au travers de ces objets dits domestiques, donc ordinaires et banals, il s’agit de laisser transparaître autre chose, de plus vaste (qu’on pourrait appeler l’âme ?).

Longtemps avant de devenir artiste, je me promenais sur un chemin de campagne et je suis tombée sur un seau de ferme en aluminium écrasé par les roues d’un tracteur. J’ai été saisie d’avoir devant moi cet objet entre deux, très présent et en même temps devenu image.

Que vous vient-il à l’esprit lorsque vous venez de terminer une œuvre ?

Comment vous viennent vos idées d’œuvres ?

La venue d’une idée est quelque chose de très subtil, il est très difficile de remonter à son origine. S’il s’agit de participer à une exposition, je me concentre sur le projet, le lieu, l’histoire, le contexte. Je mets l’intention de trouver une idée et puis je passe à autre chose. Les idées viennent d’ellesmêmes. C’est une question d’état d’être, de vigilance, je guette les signes autour de moi. Ils arrivent souvent lorsque je suis occupée à autre chose qu’à chercher une idée. Toutes les idées ne sont pas forcément bonnes, je dois travailler dessus pour les préciser, les améliorer ou bien les abandonner. Après coup, quand l’œuvre est réalisée, je me rends compte que l’idée de départ vient d’un croisement entre un matériau, l’histoire et l’architecture d’un lieu, un sentiment, une sensation, et une pincée d’inconscient.

Je ressens une sensation de disponibilité, c’est le signe que l’œuvre est terminée.

Avez-vous une galerie qui suit votre travail ?

Je travaille avec la galerie Chez Valentin depuis 2009. Il s’agit d’une relation de travail peu formalisée, basée sur la confiance et l’estime réciproque. Ils m’ont offert une exposition personnelle, en 2009, dans leur galerie et ont présenté mon «mur de sable» à la foire de Bruxelles, ce qui a occasionné sa vente et son exposition au MUDAM de Luxembourg. Nous cherchons ensemble à donner de la visibilité à mes pièces. C’est comme ça qu’ils ont eu l’idée de présenter mon «bateau» à la Fiac dans le jardin des Tuileries, en 2012.

Que voulez-vous réussir ?

Par quelles étapes passez-vous pour concevoir vos œuvres ?

La conception, dans mon cas, est la phase de frottement et d’ajustement entre l’idée ou l’intention et ce qui est possible sur le plan technique, de façon pratique, physique, en termes financiers ou de délais.

Et comment sélectionnez-vous les matériaux?

Très souvent, le matériau s’impose, il est même le point de départ. Pour ma pièce «terre de profondeur», le matériau terre était évident. Je l’ai juste transformée par la cuisson pour que les spectateurs puissent marcher dessus. Pour «mur de sable», le sable m’a inspirée pour faire des briques qui semblent si éphémères. Mais par exemple pour ma pièce «oreiller» je pensais d’abord mettre de la poussière dans la taie d’oreiller et je peinais à en réunir une quantité suffisante. En sortant de l’atelier, j’ai croisé un sac de ciment dans la rue par hasard, c’est devenu le matériau adéquat que je cherchais. Pour la réalisation de «tension», j’avais l’intention de dessiner dans l’espace avec un câble haute tension. La forme du dessin ne s’est finalisée que lorsque j’ai eu le matériau entre les mains. Il a fallu un temps d’apprivoisement car le câble avait ses propres lois physiques que je devais découvrir. L’œuvre est apparue progressivement sans avoir été préconçue.

Quel est pour vous le matériau le plus expressif dans sa dimension plastique et spatiale ? Sans doute que chaque matériau existant pourrait être mis en forme dans un contexte précis et devenir une œuvre. Simplement je suis plus inspirée par certains matériaux que d’autres, ce sont ceux que je choisis.

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Concevez-vous vos œuvres comme des témoignages durables, ou des installations éphémères ? En posant cette question de l’œuvre comme témoignage, vous supposez que les œuvres devraient forcément appartenir au domaine du langage, de la pensée, du mental et qu’elles devraient parler. Peut-être qu’elles peuvent aussi parfois être ailleurs, justement dans ce qui échappe au langage? Je ne choisis pas au départ de réaliser une œuvre durable ou éphémère, je recherche seulement la justesse. Certaines de mes œuvres sont durables par leur matière comme «escabeau» tout en faïence, pourtant elles sont fragiles. D’ailleurs un visiteur a détruit récemment «escabeau» par inadvertance. D’autres sont éphémères comme «champ de chaume» ou «ombres électriques» mais peuvent être réactivées à la demande. Cette souplesse ne les rend-elles pas durables d’une certaine manière ? Lorsqu’une œuvre est précise et juste, elle a des chances de rester longtemps dans le souvenir du spectateur, une durabilité qu’elle n’a peut-être pas physiquement.

Avec vos objets, en plein paradoxe, cherchez-vous à insinuer le doute à brouiller les réflexes de représentation du public, par trompe l’œil et détournements ? Le doute m’intéresse car il est une des portes d’accès au réel. Il permet une certaine prise de conscience. En fait, l’on pourrait dire que vous faites partie d’une longue tradition d’artistes qui utilisent le trompe l’œil ? Mais c’est la destination de l’œuvre qui change ici.Je n’utilise pas le trompe l’œil au sens traditionnel de réaliser une performance technique

avec comme seul objectif de tromper l’œil sur ce qu’il voit, par exemple la troisième dimension en peinture ou un matériau. Vous faites sans doute allusion à «échafaudage» en béton, «pluie permanente» en verre ou «escabeau» en faïence par exemple? Leur résonance avec le réel et le leurre sur le matériau soulignent la fragilité du réel, de ses représentations et de nos perceptions et font tomber les idées reçues pour en substituer d’autres.

Garder le plaisir que j’ai à concevoir, jouer avec les matériaux et la forme, donner à voir des œuvres et faire de belles rencontres.

Pourquoi participez-vous à Géométrie Variable ?

J’ai été invitée par Baron Osuna que j’ai rencontré, il y a plusieurs années, dans mon atelier de l’époque à Lyon et que j’estime particulièrement. Je suis ravie d’exposer avec les artistes dont il m’a parlé et de faire la connaissance de certains d’entre eux.

Comment allez-vous appréhender Vos œuvres sont-elles destinées à jouer votre participation, votre création dans avec les éléments, ou sont-elles simple- le cadre de Géométrie variable ? ment un prolongement poétique de Je vais d’abord visiter le lieu, m’y promener, puis passer du temps en bibliothèque, faire des recherches et ceux-ci ? Je joue avec les éléments comme la terre dans «terre de profondeur», l’eau dans «pluie permanente», «écume», «carton» ou «parapluie sous une flaque», le feu dans «feu de bois»... Il s’agit d’expériences de perception.

Quel rapport à l’environnement souhaitez-vous alors créer ?

Comme le dit Michel Collot (dans « La pensée-paysage ») : «le corps est le trait d’union entre l’espace et l’esprit, et c’est grâce à cette médiation que les choses elles-mêmes nous apparaissent en chair et en os». «L’expérience de la perception révèle que le corps est à la fois voyant et visible, touchant et touché, sujet et objet ; il nous ouvre à un monde dont il fait lui-même partie.»

des expériences chez moi.

Quels sont vos projets pour les prochains mois?

Je continue d’accompagner mon exposition Terre de profondeur au CIAP de Vassivière. Au printemps, je vais aider une classe d’enfants de CM2 à créer une œuvre qui sera présentée dans une chapelle du XIII° siècle à Fontenay-le-Fleury. Je vais également lire, aller au cinéma, voir des expositions, avancer sur mes dernières pistes de création et vivre.

Qu’est-ce qui différencie pour vous l’icône de l’objet domestique ?

Si j’ai utilisé des objets domestiques tels que des assiettes, un parapluie, un oreiller, un miroir ou un

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17.05 • 30.06 • 2013 DOMAINE LES CRAYÈRES REIMS

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JULIEN BERTHIER DÉTOURNEMENT DE REGARD Texte / Alexis Jama Bieri • Photos / © Julien Berthier, Courtesy Galerie GP & N Vallois, Paris • Page 23 (en haut) / A Lost, 2011 - Bâche publicitaire (80 x 220 cm), photographie couleur (58 x 72 cm) - Pièce unique • Page 23 (en bas) / A Lost, 2010 - Bâche, photographie couleur, env. 220 longueur- Photographie : 40 x 50 cm - Pièce unique • Pages 24-25 / Hypnos, 2008 - Cinq pigeons naturalisés, résine, peinture acrylique, Dimensions variables • Pages 26-27 / Love-love, 2007 - Bateau, résine, moteur - approx. 600 x 250 x 550 cm • Page 28 / Balcon additionnel 2008 - résine polyester, acier, peinture - 222,5 x 189 x 83 cm • Page 29 / La Concentration des Services 2011, Aluminium thermolaqué, toit végétalisé, accessoires divers, 400 x 240 x 750 cm - Œuvre produite grâce au mécénat culturel de Technilum, France.

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ulien Berthier est un artiste plasticien né en 1975 qui vit et travaille à Aubervilliers. Ses œuvres sont une nouvelle lecture de l’environnement postmoderne. Elles constituent une réflexion sur le vivre et le vivre ensemble. Elles s’expriment comme une action contre un ordre établi. Elles se réalisent comme des œuvres qui désordonnent l’ordre établi pour en ordonner le désordre.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

J’ai fait une école d’arts appliqués, puis les Beaux-arts à Paris. Très vite, alors même que c’était un monde que je connaissais mal et dont je me méfiais absolument, je me suis mis à travailler avec des galeries dans différents pays.

Quelle fut votre première œuvre ?

« Ce que j’aime fondamentalement c’est le doute »

C’est dur à dire car on peut sans doute citer plein de débuts… Je crois que la première fois que j’ai cru sentir que quelque chose se passait, c’était au début des Beaux-Arts. J’avais créé une boîte avec un miroir sans tain fixée au mur à hauteur de tête. On ouvrait la boîte et on y plaçait sa tête, dos au mur. On voyait alors sans être vu et en même temps tout le monde regardait ce corps maladroit avec un visage de miroir. Je ne sais pas si c’est une bonne pièce, d’ailleurs je n’ai jamais pensé la refaire, mais il y avait dans l’expérience de cet objet performatif une tension réelle et paradoxale qui m’a interpellé à ce moment-là.

Travaillez-vous avec une galerie en particulier ?

Je travaille avec la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois à Paris. Ils soutiennent mon travail depuis plus de 10 ans et sont surtout de vrais interlocuteurs pour parler des projets.

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

Tout quand on est en forme. À peu près rien quand on ne l’est pas. Paul Kos fait sur cette question une belle analogie entre l’artiste et le sportif de haut niveau.

Avec l’espace quotidien comme sublime outil narratif, cherchez-vous à nous conter l’(extra)ordinaire ?

Je ne suis pas sûr de vos termes. «Espace quotidien» est par exemple difficile à définir. Les espaces qui me sont réellement familiers sont finalement peu nombreux et assez rarement source d’inspiration. Après, il y a des questions plus vastes comme «La ville». Bien sûr Paris, Cologne et Los Angeles sont des espaces fondamentalement différents. Peut-

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être ce que j’aime le plus, c’est le statut d’étranger, presque de touriste, car on a une sorte de curiosité et de regard très aiguisé sur un endroit tout en étant très à distance de ce qui se joue réellement. C’est un entre-deux qui me semble intéressant.

qui est sûr, c’est que ces termes mis ensemble m’ont toujours interpellé. L’espace public est-il réellement public ? Quelle est la part de décision de tous dans son organisation, dans la définition de sa fonction réelle… etc.? D’ailleurs aujourd’hui, où est l’espace public ? Je faisais un workshop sur cette question avec des élèves de 4eme et le premier espace public auquel ils ont tous spontanément pensé c’était le centre commercial. Un endroit évidemment privé où il est par exemple interdit de distribuer des tracts, donc d’installer du débat. Pour autant je ne peux pas dire qu’ils aient totalement tort.

Vos œuvres, par détournements, jouent en fait avec les codes, avec une grande part d’humour, et, aussi de poésie. Est-ce pour mieux mettre en exergue les failles de l’environnement urbain contemporain, et pour, en paraphrasant une ancienne publicité, insuffler « un peu de douceur dans un monde Pensez-vous vos œuvres comme des de brutes » ? « solutions » ou des questionnements ? Je crois que le plus important pour moi est de ne jamais donner la leçon. Ce que j’aime fondamentalement c’est le doute. Si l’on prend l’exemple du projet «la Concentration des Services» qui, comme vous le dites, «joue avec les codes» en rassemblant en un seul objet tous les services existant en un coin de ville, l’on s’aperçoit en fait que c’est tout à la fois une proposition réelle (la simplification du paysage) et sa critique (le monopole esthétique du mobilier urbain et l’ultra-rationalisation des espaces publics). Mais les deux lectures m’intéressent autant et c’est dans l’ambigüité que me semble résider l’intérêt réel de cette pièce.

Certainement pas comme des solutions ! Ce qui est vrai c’est que je n’invente pas spécialement de formes et qu’il y a donc peut-être quelque chose de familier dans mon travail. Je le pense d’ailleurs souvent comme étant hyper réaliste. Malgré les modifications, le bateau est un bateau, le conteneur est un conteneur… etc. Comme en plus je l’insère régulièrement dans un espace qui n’est pas dédié à l’art, que je le confronte au «réel» sans dire ni cacher que c’est de l’art, j’imagine qu’on peut en faire une lecture de «proposition alternative». Mais ce que je crée, ce sont des situations que j’espère complexes, pas des solutions évidentes.

L’espace public, l’environnement ont- La recette magique de l’ingéniosité ils une place / un rôle à jouer dans vos n’est-elle pas une insolente et intelliœuvres ? gente naïveté ? L’espace public est un des environnements qui m’intéresse au même titre que d’autres. Peut-être que c’est celui sur lequel je me focalise le plus parce que c’est celui où j’évolue le plus, je ne sais pas. Ce

La naïveté est un outil comme un autre. C’est d’ailleurs une des définitions de l’ironie qui m’intéresse : l’action d’interroger en feignant l’ignorance. C’est donc une des façons d’agir, une bonne arme,

à condition que cela reste de la fausse naïveté. Mais je ne pense pas que ce soit l’ingrédient unique de l’ingéniosité.

Quelle place donnez-vous à l’absurde ? (Je pense notamment à votre œuvre intitulée Love Love, qui est en fait un voilier dont la proue est immergée, mais qui peut naviguer ainsi, ce qui, amarré dans une marina, peut avoir un effet plutôt déstabilisant sur le public…).

C’est un peu la même chose que la question de l’ironie ou de la naïveté. Ce qui est beau dans l’absurde ce n’est pas toujours l’absurde en lui-même, mais ce par rapport à quoi un objet ou un geste est considéré comme tel. Comment il oblige à renommer la chaîne du soi-disant bon sens pour affirmer qu’une chose est absurde. Pour parler du «Love Love» ce n’est peut-être pas une image si absurde que ça. C’est l’image d’Épinal d’un instant T d’un navire juste avant la disparition, qui, au lieu de durer quelques secondes est devenue permanente. C’est finalement un moment dramatique mais dont le point final n’arrive jamais. Je trouve que ce qui est intéressant c’est que l’interprétation peut se jouer dans différents sens. En 2008 par un formidable hasard, le bateau a été présenté pour une exposition, à Londres, dans le canal à Canary Wharf, juste devant le bâtiment des Lehmann brothers, deux jours après leur faillite. Bien sûr le projet avait été fait l’année précédente et sans aucun lien, mais il y a eu beaucoup de presse. France 2 dans son JT de 20h l’a même filmé dans un reportage sur la crise financière, non pas comme œuvre (ils ne savaient même pas que cela en était une) mais comme image d’illustration. L’interprétation principale était : c’est une image de la crise, d’un système qui coule. Or, l’objet et son fonctionnement même, démentent cette lecture ! Si on va par là, c’est même pour moi l’opposé qui se joue. Le bateau ne coule pas et il peut naviguer dans cette position. On peut conduire son naufrage et en faire un outil de plaisance. Le système ne s’écroule donc pas, il perdure malgré l’image qu’il renvoie, ce que les années suivantes n’ont cessé de nous confirmer.


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Comment procédez-vous pour concevoir une œuvre ?

Il n’y a malheureusement aucune formule. Cela dépend des contextes d’invitation, des capacités de production, parfois même de raisons beaucoup plus intimes comme, par exemple, l’envie de prendre un risque dans le travail. C’est très varié au fond. Chaque œuvre pose ses questions. Malgré les réflexes que l’on développe (et dont il faut d’ailleurs se méfier car ils sont autant des pièges que des aides) il faut à chaque fois inventer une réponse, ce qui est à la fois excitant et épuisant.

Vos installations urbaines sont-elles le fruit d’une collaboration avec les institutions publiques, ou sont-elles mises en œuvre comme un acte sauvage…et quelque part, au-delà de l’artistique, comme un acte politique ?

Les deux. «La Concentration des Services”, par exemple, a été présentée lors d’une Nuit Blanche sur une invitation du Mac Val, offrant une chance rare de faire exister cette pièce au cœur même de la ville, là où elle doit être. Mais la plupart du temps c’est vrai que c’est sauvage, donc illégal. Au départ, plutôt parce que demander empêcherait de faire, mais aussi parce que ce sont des interventions sans commanditaires. Je pense notamment à la fausse façade «Les Spécialistes» réalisée avec Simon Boudvin. Après, il y a des actions plus problématiques sur cette question de la légalité comme «Les Corrections» que je pratique dans les villes ou les prélèvements négligeables de la pièce «Matière première» réalisés à Cologne en 2009. Je peux d’ailleurs parler un peu de ce projet car il est assez révélateur

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de cette pratique d’une «illégalité non agressive». Quand on observe minutieusement les barrières de protection dans cette ville, une évidence s’impose : certaines sont sur construites. Ainsi, une barrière de protection autour d’un arbre peut posséder 8 pieds tandis que sa voisine, pourtant de même taille n’en possède que 4 (un nombre largement suffisant à sa résistance). Elle est construite autant du côté de la chaussée que du côté piéton, bien qu’à ce dernier endroit, l’objet ne puisse subir aucun choc susceptible de l’altérer. «Matière première» a donc consisté à prélever de ces barrières des bouts de tubes totalement inutiles à leur résistance mécanique. Il s’agissait donc de les modifier, mais sans les fragiliser et sans en dégrader l’usage (ce qui est la définition de cette action que j’ai intitulée «prélèvement négligeable»). Ces bouts de tubes ont ensuite été soudés ensemble pour former un nouveau tube de 48 mm de diamètre par 6 mètres de long (longueur standard de conditionnement des profilés métalliques à l’achat) afin de rendre cette matière à nouveau disponible. Ce n’est pas vraiment l’illégalité du geste qui m’intéresse, mais plutôt la réflexion sur l’action individuelle dans l’espace public. De même l’objet est une matière disponible mais ce n’est pas moi qui dis à quoi elle pourrait servir. Pour répondre à votre question, si cette action est politique, en tout cas, ce n’est pas frontal. J’aimerais beaucoup, mais je ne crois pas à l’impact immédiat de l’art sur le politique (peut-être à de rares exceptions contextuelles près). Je peux penser qu’on a déplacé la question des choix urbanistiques dans le champ de compétences des techniciens, comme si le politique n’avait plus son mot à dire ou comme s’il se délestait des maux qui lui incombent sur des spécialistes et des objets,

mais ce n’est pas ça qui va faire œuvre. Et ce serait une erreur aussi de forcer l’œuvre à ne dire que ça.

qu’ils sont jeunes.

C’est plutôt le monument qui m’intéresse. Le monument qui fonctionne dans l’espace urbain comme outil signalétique mémoriel. Le projet «monstre» parlait de sculpture, de l’histoire contemporaine de la sculpture, mais aussi bien sûr de monument et de l’autorité de la sculpture en bronze. En ce qui concerne le rapport au patrimoine, je ne sais pas. Parfois c’est bien de figer une mémoire, parfois cela bloque les choses. Je pense toujours aux églises construites sur une telle durée qu’on peut voir du roman finir en gothique. Cela produit quand même des mélanges fascinants ! Aujourd’hui, on historicise de plus en plus rapidement les choses, donc ce qui a 20 ans fait parfois partie du patrimoine historique. Mais ce n’est pas vraiment quelque chose qui rentre comme réflexion dans mon travail pour le moment.

m’éclate vraiment à lire les interviews de Bruce Nauman. Plus que les pièces elles-mêmes, il y a une liberté dans sa pratique absolument inspirante.

Et votre coup de cœur artistique du Quel est votre rapport au patrimoine moment ? et à la monumentalité ? Ce n’est pas très actuel, mais en ce moment je

Quelle serait, selon vous, l’œuvre d’art ultime ?

De toute façon si on la trouvait on continuerait toujours à faire de l’art ne serait-ce parce qu’il y a de plus en plus d’artistes pour en faire, et qu’on voit mal un consensus collectif sur une notion aussi étrange que celle d’œuvre d’art ultime...

Quelle est votre perception de la jeune création contemporaine ?

Je crois que je ne regarde pas la jeune création comme telle. Je vais voir des expositions, je regarde le travail d’autres artistes, et parfois, il se trouve

Pouvez-vous, enfin, nous dire quelques mots de vos projets en cours ?

En ce moment, je mélange une pratique d’atelier (je travaille sur des malaxeurs cinétiques, c’est-à-dire des sculptures en métal un peu génériques qui se mettent au bout d’une perceuse, comme une histoire de formes transformées en outils) avec des projets plus spécifiques à des lieux. Par exemple, je rentre de Los Angeles où je viens de meuler les marches d’une maison pour les vieillir comme si des gens, ainsi que beaucoup de temps, étaient passés. C’est chez une femme qui a une histoire formidable. Je propose une nouvelle version de cette pièce à une institution à Eindhoven qui va s’installer dans une ancienne usine Philips. Je travaille aussi sur une intervention sauvage qui consiste à mettre une grille dans un coin de ville. En ce moment, sans raison particulière, je suis dans des interventions très ténues, presque invisibles. Ça m’intéresse beaucoup. Comme de siffler une partition écrite pour un orchestre philharmonique.

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FRANCE FICTION LE MYSTÈRE EST AUSSI UNE GLACE Texte / Alexis Jama Bieri • Photos / © France Fiction • Page 30 / Anticoli, 2012 - Sac en plastique orange, clés, photographie, plateau miroir, bois - Dimensions variables - Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris • Pages 31 et 34 / Le Mystère est aussi une glace - 2012 - Composition : Glace à la vanille (lait écrémé réhydraté, crème fraîche liquide 20%, sirop de glucosefructose de blé, sucre, lait écrémé concentré, lactose et protéines de lait, extraits de vanille 0,5%, émulsifiant : mono- et diglycérides d’acides gras d’origine végétale, stabilisants - farine de graines de caroube, gomme de guar, carraghénanes-, gousses de vanille épuisées broyées, colorant : betacarotène), éclats de noisette. Un objet «Mystère», taille et materiau variable. Assemblé le : 01 février 2013 - Date limite de consommation : avril 2013. À conserver à une température inférieure à -18°C) : 5 Mystères, 5 certificats, 5 boîtes isotherme Isostar ® (18 x 18 cm), 1 congélateur (57 x 59 x 50 cm), 1 socle (110 x 50 x 60 cm) - Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris • Pages 32-33 / Hammam, 2012 - Sac en plastique noir, cheveux, strass, paillettes, miroir, boîtes laiton, assiette - Dimensions variables - Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris.

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rance Fiction est un collectif artistique, fondé en 2004, constitué de Stéphane Argillet, Marie Bonnet, Éric Camus, Lorenzo Cirrincione et Nicolas Nakamoto. Expérience artistique et curatoriale, France Fiction est aussi un espace d’exposition et un magazine. Les utopies et la science-fiction sont parmi leurs préoccupations centrales, de même que les traces des figures oubliées du passé, les futurs non-écrits et les points aveugles du savoir. Les membres pratiquent les réunions mystiques et la dissémination encyclopédique. En plus de jouer aux billes, ils pratiquent une subjectivité poétique et scientifique itinérante, explorant les dimensions occultes et mélancoliques de la vie. En février 2013, France Fiction a présenté, à la Galerie Patricia Dorfmann à Paris, une exposition hommage à André du Colombier. André du Colombier, né en 1952 à Barcelone et mort en 2003, est un des artistes les plus énigmatiques de sa génération. S’il déclenche souvent le rire, son travail est néanmoins nourri d’une réflexion profonde sur des faits précis dont l’identification est toujours problématique et suscite la réflexion. Face à ce vertige de l’incompréhension, ce fonctionnement perturbé du langage, cette perte apparente de sens il n’y a pas de clé. Ses œuvres jouent sur tous les registres, la répétition d’un mot, d’une phrase qui s’affrontent dans les majuscules et les minuscules, qui se renvoient à eux-mêmes comme une sorte d’anamorphose : les virgules, les accents ont leur entité, tout ce qui pourrait être évident devient secret, métaphysique, musical, sonore, poétique et, philosophique.

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« Nos propositions sont aussi réelles (et fictionnelles) qu’une déclaration de guerre ou la découverte d’un vaccin contre une maladie » Que signifie France Fiction ?

Pensez-vous que l’art contemporain, rapport aux règles admises ou imposées socialement. au-delà de la réflexion qu’il ouvre sur C’est un jeu sur les frontières du réel qui tente de le monde, soit également une sorte décentrer notre perception de «qui est» ou de ce qui d’exutoire aux vertus thérapeutiques «devrait être». (aussi bien pour les artistes que pour le public) ? Certains individus semblent pourtant Cette définition (exutoire aux vertus thérapeu- vivre dans une réalité fictionnelle, folktiques) s’applique bien davantage à des modes de lorique et superstitieuse. Au nom de sociabilité plus spontanés et agglutinants comme la leurs superstitions et en conséquence musique, le clubbing, la religion, la drogue ou le de leur incapacité à comprendre le Vous considérez-vous votre groupe sport. L’art contemporain est une activité bien plus geste artistique, ils s’insurgent contre comme un artiste à part entière, com- retranchée, réfléchie, sophistiquée et donc aux abois. certains événements d’art. Quel est plémentaire et distinct de vos propres Il ne provoque que très peu de débats en dehors du votre regard sur cet aveuglement ? petit public auquel il s’adresse (et encore…). Son Ces mouvements comprennent au contraire très individualités artistiques ? Ce nom a été trouvé quelque temps après nos premières « parties de billes » au Palais-Royal, au moment où nous avons décidé d’ouvrir un «club house» qui allait devenir le point de départ de nos activités. De fait, c’est le résultat de notre première expérience de travail collectif. On a failli s’appeler «Justine Robot». Bernanos, Sade et déjà la SF rôdaient dans la place.

C’est la formule qu’on emploie souvent.

Quelles actions développez-vous concrètement ?

Nous jouons aux billes, prolongeons autant que nous pouvons la mémoire de Demetrius d’Exarque, adolescent mort en 1876 à Paris et dont la tombe abandonnée était sur le point d’être vidée, fabriquons de l’encre destinée à servir de médium à des idées que nous cosignons alchimiquement, tournons des films pornographiques de science-fiction, creusons des trous dans la campagne anglaise, organisons des séances de rêve collectif, gravons le nom de nos expositions dans le marbre, ouvrons des musées de dessins imaginaires et quelques autres choses.

Que souhaitez-vous exprimer et promouvoir ?

Chacun de nous a une idée différente sur la question. Et nos spectateurs ou collaborateurs occasionnels aussi. C’est sans doute la seule question dont nous ne discutons quasiment jamais ensemble.

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action est souterraine et élitiste. Si c’est une thérapie, c’est un traitement long, insidieux, qui distille très discrètement son remède. C’est ce qui en fait un espace paradoxal de liberté. Nous l’abordons en ce qui nous concerne sur un mode non discursif, comme un espace d’expérimentation de l’action collective, et de ce sur quoi ce «collectif», cette abdication volontaire et soigneusement organisée du «je» peut aboutir. C’est une chambre noire dans laquelle nous guettons l’apparition d’un «autre».

bien ce qui se passe. Ils tentent d’être subversif au même titre que les œuvres d’art qu’ils attaquent, c’est-à-dire qu’ils participent à cette vaste entreprise, toujours renouvelée, de redéfinition du réel et de son «centre». Ce sont des tentatives brutales de recentrage, mais utilisant la violence physique plutôt que la discussion. Un peu comme quelqu’un qui, au milieu d’une discussion, sortirait un revolver ou une massue comme argument. France Fiction étant un espace de discussion permanente et de recherche éreintante d’une certaine harmonie, nous nous trouvons sûrement aux antipodes de la démarche des intégristes.

culeux. C’est un moment où justement nos discussions s’arrêtent pour laisser place à un contentement silencieux, à la fois partagé mais secret pour chacun de nous. Cette satisfaction n’est sans doute presque jamais «parfaite», mais c’est «la plus grande possible» pour chacun.

Pouvez-vous nous parler de l’exposition que vous venez de présenter à la Galerie Patricia Dorfmann en hommage à André du Colombier ?

Cette exposition est à la fois un hommage, un commentaire, une introduction, une rencontre et un prolongement de ce que nous pensons avoir compris de l’œuvre de cet artiste. C’est une exposition «sur» et «avec» André du Colombier. Il y a dans son œuvre un art de l’ellipse, une grâce, une économie de moyens et un sens de l’humour qui est naturellement entrée en résonance avec notre façon de concevoir et de pratiquer «l’art». Il y a un respect très sensible du point de vue que nous pouvons ou que nous devrions avoir sur les choses.

Par « fiction », vous souhaitez vous situer hors du réel, ou du moins à côté (pour montrer que « La vérité est ailleurs » )? Quelle est pour vous la plus grande La fiction n’est pas un lieu en dehors, mais au cœur satisfaction, en tant qu’artistes et coldu «réel», ou en tout cas, elle s’attaque à ce cœur lectif ? supposé. Nos propositions sont aussi réelles (et fictionnelles) qu’une déclaration de guerre ou la découverte d’un vaccin contre une maladie. Rien n’est «joué», il n’y a pas « d’en dehors » qui serait «la vraie vie». Mais oui, il s’agit sans doute d’un mode particulier d’être au réel, qui prend plus de liberté par

Chacun de nous trouve une satisfaction différente. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’après un certain temps de conflit, de discussion, de travail, d’opposition, de compromis plus ou moins douloureux, il arrive un moment où une proposition trouve un état d’équilibre mystérieux et mira-

France-Fiction.net Patriciadorfmann.com Galerie Patricia Dorfmann 61 rue de la Verrerie • Paris 04


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ÉMILIE PITOISET OBJETS AÉRIENS Propos recueillis à Radio Primitive • Texte / FRAC Champagne-Ardenne • Photos / © Martin Argyroglo

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milie Pitoiset est née en Île de France en 1980. Après avoir étudié aux Beaux-arts de Paris et effectué des résidences au Palais de Tokyo à Paris et à la Box à Bourges, elle travaille et vit entre Paris et Berlin. Plusieurs de ses œuvres sont entrées dans la collection du FRAC ChampagneArdenne en 2007. Elle a par ailleurs été lauréate du Audi Talents Awards en 2010 et a obtenu une bourse et résidence de la Fondation Hermès en 2011. Émilie Pitoiset a récemment exposé au Confort moderne à Poitiers, au Casino de Luxembourg et à la Bielefelder Kunstverein. Elle est représentée par la galerie Klemm’s-Berlin. Au sein des œuvres d’Émilie Pitoiset, la narration oscille entre le document et l’invention, et renvoie le visiteur à ses propres facultés de perception, elles aussi limitées par des contraintes comme le besoin de discerner à tout prix la vérité de l’illusion. Sa démarche s’articule également autour du déséquilibre entre le dernier point d’appui et la chute, dont le mouvement conduit d’un point à un autre. Émilie Pitoiset est exposée au FRAC Champagne-Ardenne jusqu’au 21 avril 2013. ÉMILIE PITOISET

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Comment pourriez-vous définir votre univers artistique ?

Je m’intéresse au mouvement, au déséquilibre ou à l’équilibre précaire, à des situations qui basculent. Ce qui m’intéresse, en réalité, c’est ce mouvement de bascule qui me permet d’introduire de la fiction et de poser la question de ce qu’il a pu se passer dans l’intervalle. C’est un peu comme si vous vous posiez la question : « Comment cela a pu arriver ? », lorsque vous chutez. Cela devient une trame narrative à partir de laquelle j’invente une fiction. Mon univers est porté, du fait du mouvement, vers la chorégraphie, la danse, la performance suggérée à travers des objets qui contiennent une action.

Pouvez-vous nous parler de votre exposition « Les actions silencieuses » qui a lieu au FRAC Champagne-Ardenne ?

Je me suis vraiment posé la question de la particularité des objets et notamment de l’objet ritualisé, de ce passage d’un objet commun à un objet ritualisé, qui devient un objet exposable. J’aime prendre l’exemple, pour être simple et donner une image directe, de cette cuillère en argent que l’on offre pour les baptêmes des enfants et qui ne rejoint finalement jamais les couverts de la maison, mais qui a une spécificité car elle contient un contexte qui est celui du baptême, et donc d’un rituel. Cependant, je ne traite pas du rituel au sens religieux, ni même ethnographique ou tribal, il n’y a pas ici d’histoire contenue mais plutôt une fiction. C’est donc un rituel singulier qui n’a pas de référent direct à l’Histoire, la sociologie ou l’ethnographie. C’est vraiment cette bascule, ce passage d’un état à un autre, ce mouvement, cet entre-deux, qui m’intéresse.

Comment avez-vous investi l’espace d’exposition du FRAC ?

En tout premier lieu, je me suis posé la question de l’endroit où se produit ce rituel, puisqu’il fallait contenir l’action quelque part en la suggérant, sans véritablement la réaliser. J’ai donc construit un plateau, une manière de rehausser le sol. Cela permet aussi de délimiter l’espace. À partir de là, j’ai éclaté les objets. Cette fois, ceux-ci ne sont pas sur le plateau, mais bien à l’extérieur. Il y a une sorte d’attente entre ces objets qui sont à l’extérieur et qui

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ÉMILIE PITOISET

« Je me suis vraiment posé la question de la particularité des objets et notamment de ce passage d’un objet commun à un objet ritualisé »

vont peut-être, ou pas, s’animer sur ce plateau. Tout reste contenu. Le plus difficile a été de travailler avec des objets dont il fallait suggérer la charge, mais une charge dynamique, tout en restant avec des objets statiques. C’est une chose qui m’intéresse particulièrement car dans le spectacle vivant, par exemple, il y a la scène et le public, chacun a sa place définie. On entre dans un système de rite parce qu’on devient spectateur lorsque le spectacle se produit puis on regagne notre identité en sortant. Le temps de l’exposition est différent car celle-ci va durer du 1er février au 21 avril, et ce temps n’est pas un temps d’une heure et demie mais un temps qui s’étale sur plusieurs jours et mois. L’idée, ici, c’est comment contenir une énergie, un dynamisme, sur une durée qui n’est pas celle d’un spectacle justement. Ce qui m’intéresse le plus, c’est comment contourner ou détourner le temps du spectacle vivant… même si un jour peut-être, j’y viendrai aussi.

Qu’est-ce qu’une structure telle que le FRAC vous apporte et a pu vous apporter dans votre parcours ?

Le FRAC Champagne-Ardenne est le premier à avoir acquis une de mes œuvres en 2007, intitulée Hard To Explain. J’avais cassé une guitare à la masse que j’ai ensuite recollée. C’est un FRAC intéressant du fait de son ouverture à l’international. Ses missions sont multiples, car c’est un FRAC exposant énormément sa collection en Région, mais aussi un FRAC ayant une ouverture très claire sur ce qui se passe ailleurs, travaillant avec de nombreux artistes différents, et qui n’est pas centré uniquement sur la scène française. Je pense donc que c’est un FRAC très riche, notamment dans la diversité de sa collection. emiliepitoiset.net

Du 1/02/2013 au 21/04/2013 frac champagne-ardenne fonds régional d’art contemporain 1, place museux • 51100 reims contact@frac-champagneardenne.org


ART

FRANCESCO ARENA 11427 FOIS 24 HEURES Texte / FRAC Champagne-Ardenne • Photos / © Martin Argyroglo

F

rancesco Arena est né en 1978 en Italie à Torre Santa Susanna à Brindisi. Il vit et travaille à Cassano Delle Murge à Bari. Il a reçu le prix « Premio New York » 2012-2013 attribué par l’Académie Italienne, le Ministère des Affaires étrangères et l’Institut culturel italien à New York. L’histoire politique récente de l’Italie est le matériau premier utilisé par Francesco Arena. À travers ses sculptures et ses installations, il mesure et se mesure en effet à l’Histoire, tout en portant un regard très personnel sur l’héritage de certains courants artistiques tels que le Minimalisme ou l’Arte Povera. Prenant pour point de départ des évènements politiques, sociaux, culturels ou religieux passés, il développe une œuvre qui, conjuguant des aspects aussi contradictoires que l’objectivité et la subjectivité, la dimension historique et individuelle, peut tout à la fois être perçue comme une représentation personnelle de moments historiques fondateurs ou un portrait de l’artiste en tant que produit de l’histoire. Le projet pensé par Francesco Arena pour le FRAC Champagne- Ardenne, et intitulé Onze mille cent quatre-vingt-sept jours, est le résultat d’un long processus de réflexion dans lequel les interventions sur la forme et la matière ne représentent que l’étape finale d’un engagement sur des thèmes liés au contexte de présentation de l’exposition. Francesco Arena a récemment réalisé des expositions personnelles au Museion – Museo d’arte moderna e contemporanea, Bolzano ; Fondazione Ermanno Casoli, Fabriano ; Peep Hole, Milan ; De Vleeshal, Middelburg ; Brown Project Space, Milan. Il est représenté par la galerie Monitor-Rome. FRANCESCO ARENA

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ART

« L’Arte Povera est l’une de mes références visuelles comme l’est le Minimalisme américain » Pouvez-vous nous présenter votre travail ?

Dans mon travail, les pistes de réflexion proviennent des histoires qui se mêlent à mes souvenirs et mes expériences personnelles, les dates, les distances et les images se condensent ainsi dans des sculptures en pierre.

C’est la première fois que vous réalisez une exposition personnelle en France. Où avez-vous présenté votre travail auparavant ?

C’est ma première exposition monographique en France, j’ai participé auparavant à des expositions collectives à la Kunsthalle de Mulhouse et au Magasin de Grenoble et j’ai été accueilli en résidence à la Villa Arson à Nice.

L’Histoire, et plus spécifiquement la période qui va de l’entre-deux-guerres à la fin de la période de la guerre froide joue un rôle important dans votre travail. De quelle manière a-t-elle influencé vos œuvres ?

Pour cette exposition, j’ai choisi d’examiner quelques-uns des événements relatifs à la période de l’entre-deux-guerres et de la fin de la Seconde Guerre mondiale car ceux-ci sont étroitement liés à la ville de Reims, mais pas seulement, il s’agit aussi d’événements qui ont pour origine ce lieu et qui ont touché l’Europe entière.

Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée votre résidence à Reims durant l’été 2012 ?

Cet été à Reims, j’ai fait des recherches plus approfondies en consultant les archives de la bibliothèque Carnegie, car c’est important pour moi lorsque je suis en phase de recherche de séjourner sur place, même sans but précis, et de prendre le temps de regarder les choses telles qu’elles m’apparaissent par hasard.

Pouvez-vous expliquer le titre de votre exposition, Onze mille cent quatre-vingt-sept jours ?

Le chiffre, qui donne le titre de l’exposition, est la distance entre la date du premier bombardement de la cathédrale de Reims le 19 septembre 1914 et celle de la signature de la reddition allemande, à Reims, le 7 mai 1945. Durant toute cette période, la cathédrale a été partiellement détruite et reconstruite, une guerre a pris fin en Europe, de nouveaux régimes sont nés et ont grandi, une nouvelle guerre a commencé et s’est terminée…

Pouvez-vous nous parler de la performance réalisée dans votre exposition au FRAC ?

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FRANCESCO ARENA

Le titre de la performance est Superficie con linea (2013) [Surface avec ligne] et rappelle le titre d’un tableau abstrait. Tous les jours, durant toute la durée de l’exposition, une personne enfilera des chaussures qui n’ont jamais touché le sol, montera sur une grande table qui est aussi une sculpture et la parcourra d’une extrémité à l’autre 429 fois, de sorte qu’à la fin des 70 jours d’exposition les chaussures enfilées par le performeur auront parcouru 150 km, soit la longueur de l’ancien Mur de Berlin.

Dans l’œuvre Pilastro (2013), vous recouvrez un étai d’argile à la hauteur que votre taille vous permet d’atteindre. C’est en quelque sorte, un « non finito » ?

Pilastro est en réalité le contraire d’un “non finito” parce que l’œuvre indique l’endroit où je finis, où mon effort pour construire quelque chose, sans m’élever du sol en utilisant une chaise ou une échelle, se termine.

L’esthétique de vos œuvres semble évoquer l’Arte Povera. Quels liens entretenez-vous avec ce mouvement ?

L’Arte Povera est l’une de mes références visuelles comme l’est le Minimalisme américain car ils ont tous deux un lien avec le paysage dans lequel j’ai grandi, le paysage du nord de Salento, dans les Pouilles, une région avec de vastes étendues de terres et quelques maisons où vous pouvez vous rendre compte des dimensions en termes de largeur, de profondeur et de hauteur.

Quels sont vos projets à venir ?

Je suis à New York pour une résidence jusqu’à la fin du mois de mars, après je retournerai en Italie pour travailler sur mon projet pour le Pavillon italien de la prochaine Biennale de Venise. francescoarena.com

Du 1/02/2013 au 21/04/2013 frac champagne-ardenne fonds régional d’art contemporain 1, place museux • 51100 reims contact@frac-champagneardenne.org


ART

FRANCESCO ARENA

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ART

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FRANCESCO ARENA


PUBLI-RÉDACTIONNEL

COMÉDIE

FRÉDÉRIC BOYER ÉCRITURE EN OLIFANT Texte / Alexis Jama Bieri • Photo / © Helene Bamberger

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rédéric Boyer est un écrivain français né en 1961 qui a travaillé sur des traductions de «la Bible» et de textes de penseurs («Les aveux», nouvelles traductions des confessions de Saint-Augustin en 2008, «La Bible» nouvelle traduction en 2001) et l’écriture de nombreux textes («Le vertige des blondes» en 1998, «Une fée» en 2000, «Mauvais vivants» en 2003, «Techniques de l’amour» en 2010, «Phèdre les oiseaux» en 2012…), dont certains pour le théâtre. La pièce «Rappeler Roland», écrite par Frédéric Boyer et mise en scène par Ludovic Lagarde, sera jouée à l’Atelier de la Comédie du 19 au 23 mars 2013. FRÉDÉRIC BOYER

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COMÉDIE

PUBLI-RÉDACTIONNEL

Quel a été ton premier déclic avec l’écriture ?

Je n’ai pas eu particulièrement de déclic. Il s’agit plutôt d’une sorte d’acclimatation progressive avec l’ennui de l’enfance, la honte de l’adolescence... et enfin le bégaiement jusqu’à l’âge de 10 ans, avec la difficulté d’exprimer oralement aux autres ce qu’on ressent. À cela, il faut ajouter quelques flashs de lectures d’auteurs, dont Apollinaire, E. E. Cummings, Dostoïevski et Duras. L’écriture, c’est un pis aller qui devient peu à peu une invention.

Qu’est-ce qu’écrire signifie pour toi ?

Écrire, c’est surtout un remède contre l’ennui général, les insomnies chroniques et la peur des heures à venir (heures creuses forcément).

Comment as-tu découvert le théâtre ?

J’ai découvert le théâtre avec le Partage de midi de Claudel, monté par Vitez. J’avais alors 13 ans et j’ai compris que ce ne serait jamais pour moi... Et puis, en 2010, j’ai effectué un travail avec Jean-Baptiste Sastre sur la pièce Richard II de Shakespeare créée au festival d’Avignon dans la cour d’Honneur. J’ai effectué des traductions et j’ai joué deux petits rôles. Mon envie d’écrire pour la scène est née lors de la publication de Phèdre les oiseaux, en 2012, créé à Lorient par Sastre.

Quel est le théâtre que tu apprécies particulièrement ?

Un des derniers spectacles qui m’a bouleversé c’est Castellucci, The four Seasons Restaurant. Ce que j’apprécie particulièrement également c’est le théâtre qui naît et qui s’invente à partir de textes, d’images et de sons. Et puis, j’apprécie beaucoup le travail de Ludovic Lagarde sur l’œuvre d’Olivier Cadiot.

Quel est le propos de Rappeler Roland ?

Pourquoi sommes-nous fascinés, hantés, persécutés par des héros guerriers, perdus dans leur violence, leur trauma de guerre et de batailles ? Nous qui ne nous battons plus... Comment faire revenir aujourd’hui les chants d’autrefois qui nous guérissaient de nos peurs et nous rendaient l’honneur et le courage ?

Au-delà d’une ode à un texte légendaire du Moyen Âge, le plus ancien de la littérature en langue française, est-ce une réflexion sur l’époque actuelle, les guerres, la quête de héros et les symboles perdus ? Oui. L’époque qui multiplie les scénarios virtuels de combat et de destruction (jeux vidéo, films, comics...) travaille à sa façon le trauma des guerres contemporaines aux confins d’un empire mondialisé. Mais nous ne sommes pas si éloignés que cela de la Chanson de Roland qui rappelait un scénario imaginaire et blessant, celui d’un grand empereur tout-puissant et mélancolique, et de combats ultra-

« Écrire, c’est surtout un remède contre l’ennui général, les insomnies chroniques et la peur des heures à venir » violents aux confins d’un monde encore en gestation...

Est-ce une réflexion, voire une mise en garde aussi, sur la récupération de ces symboles à des fins politiques et xénophobes ? Toute récupération est un contresens ou se fonde sur un quiproquo. La Chanson de Roland est un magnifique poème de vétérans sur la défaite et la perte de ses amis, copains morts au combat. Une sorte de méditation violente sur la guerre et l’honneur. C’est aussi le témoignage d’une fascination pour l’ennemi sarrasin, Arabe, représenté comme un double quasi fraternel. Chaque époque doit refaire le travail de réception pour déjouer les récupérations mortifères et haineuses.

Comment ont vu le jour le projet et ta collaboration avec Ludovic Lagarde qui met en scène ton texte ? Je connais Ludovic et son travail depuis plusieurs

L’accusation de blasphème par des chrétiens est un contresens total. Le christianisme naît sur un blasphème, celui d’un homme reconnu fils de Dieu, messie, dans la déchéance abjecte d’une condamnation criminelle et d’un supplice réservé aux bandits et aux esclaves... Théologiquement, il n’y a pas blasphème. Un Chrétien est celui qui devrait recevoir et comprendre jusqu’au bout la déchéance, l’accusation. Pour autant, notre temps, comme vous dites, avec la science, la philosophie (qui s’en soucie sincèrement aujourd’hui ?) n’est pas non plus un modèle de raison ! Notre époque est littéralement blasphématrice... Et l’art souvent ne fait que nous renvoyer à notre propre culte consumériste, idolâtre.

Quelles sont tes lectures en ce moment ?

- Michel Foucault : Du gouvernement des vivants (Cours au Collège de France 1979 - 1980). - Ovide : L’art d’aimer.

• Pour toi, qu’est-ce qu’un bon texte ?

C’est avant tout un texte qui me résiste, qui opère sur moi un détournement, un rapt.

Et un mauvais texte ?

C’est un texte qui m’entraîne et pour finir m’abandonne.

Tu as traduit et écrit sur la Bible. Si tu devais traduire ton écriture en Quel est ton regard sur la religion au- une phrase ? jourd’hui et notamment sur certains «Il s’interrompait aussitôt au milieu d’une phrase s’il groupes religieux qui tentent d’inter- entendait des bruits d’écureuil». C’est un poème Sioux. dire des représentations théâtrales ? Les religions traditionnelles vivent depuis de longues années (dès la Renaissance en réalité) une sorte d’épreuve du feu. Elles me font penser à de très jeunes et de très vieilles veuves qui ont perdu qui leur fils, qui leur frère, qui leur père et doivent réinventer des liens, une vie, un imaginaire. Certains ou certaines vivent dans une réaction violente sur la pensée mortelle d’un refus de toute adaptation, traduction, évolution... Incapables de faire le travail du deuil. La haine du théâtre existe aussi depuis les

• Solness le Constructeur

Quels sont tes projets à court et moyen termes ?

Je travaille à la traduction, avec Olivier Cadiot, du Roi Lear de Shakespeare, pour un spectacle de Ludovic Lagarde. Et puis, il y a l’écriture quotidienne, une heure ou deux chaque nuit sans trop savoir ni comprendre où l’on va.

Retrouvez toutes les dates sur www.lacomediedereims.fr Réservation conseillée au 03 26 48 49 00

• Rappeler Roland

du 5 au 8 mars

du 19 au 23 mars

texte Henrik Ibsen - traduction Michel Vittoz mise en scène Alain Françon

texte Frédéric Boyer - mise en scène Ludovic Lagarde

Alors qu’un vieil architecte semble avoir abandonné idéaux et désir, la jeunesse frappe à sa porte. Il se reprend finalement à rêver. Alain Françon poursuit son dialogue sensible avec la radicalité de l’auteur norvégien Henrik Ibsen, et s’entoure d’acteurs fidèles pour ce spectacle créé à la Comédie de Reims.

de mille ans. En véritable chamane, Pierre Baux invoque Roland. La bataille est merveilleuse et totale. Le poète et romancier Frédéric Boyer revisite la Chanson de Roland, dans une mise en scène de Ludovic Lagarde.

• La Petite

FRÉDÉRIC BOYER

Le « blasphème », qui leur permet de justifier leurs actes d’agression anticulturelle, est-il encore de notre temps, dans un monde évolué à la lumière des philosophes, de la science et de la laïcité ?

années. Il m’a invité pendant l’hiver 2010 à la Comédie pour lire un travail en cours. Il neigeait sur Reims. La lecture des premières ébauches de Rappeler Roland fut étrange. Dans la foulée il m’a proposé de travailler sur un projet de mise en scène avec le comédien Pierre Baux.

Actuellement à la Comédie

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origines du théâtre et des religions. Sans doute parce que le religieux n’existerait pas sans représentation, sans théâtralité. Ambivalence. Les récentes affaires, notamment concernant l’admirable spectacle de Castellucci Sul concetto di volto nel figlio di Dio prouvent cette fascination ambivalente. Il s’agissait d’une grande méditation contemporaine théologico-théâtrale sur le visage du Christ, sur la faiblesse et la honte au cœur même du scénario familial humain du salut divin, mais les veuves hystériques et inconsolables ne sont plus capables de voir l’image vivante de leur amour.

Un jeune homme d’aujourd’hui tente de rappeler à l’aide un héros mort il y a plus

• La Mouette

du 12 au 16 mars

les 20 et 21 mars

texte, mise en scène et scénographie Anna Nozière

texte Anton Tchekhov - mise en scène Arthur Nauzyciel

Une histoire de théâtre dans le théâtre. La talentueuse Anna Nozière ouvre la scène comme un lieu de maternité impossible. Une chronique intime et fantomatique.

Utopies artistiques et amours mélancoliques nourrissent l’une des plus célèbres œuvres de Tchekhov. Une création remarquée lors du dernier Festival d’Avignon.


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AGENDA

PUBLI-RÉDACTIONNEL

S.U.A.C. Photo / © Alain Julien

Whahay Trio Improvisations autour de Charles Mingus

Jeudi 28 mars à 19h00 / La Villa Douce

Concert en entrée libre dans la limite des places disponibles Avec : Fabien Duscombs - batterie • Robin Fincker - saxophone ténor, clarinette • Paul Rogers - contrebasse 7 cordes

le SUAC en mars, c’est aussi :

• VILLA DOUCE

7 mars

à 19h

Soirée terroir Jambon sec des Ardennes

Le jambon sec des Ardennes est sans doute né d’une tradition locale de salaison qui a amené les fermiers ardennais à rentabiliser au mieux la viande des porcs élevés pour la consommation du ménage. Il s’agit d’un jambon nature non fumé. Le salage se fait par brossages successifs et le jambon est ensuite affiné au minimum pendant neuf mois. Le climat humide des Ardennes, qui permet un séchage et un affinage lents, lui donne ce tendre aspect si caractéristique et relève toutes ses saveurs. Le jambon sec possède une confrérie pour le valoriser et un musée pour le mettre à l’honneur.

21 mars

à 19h

Soirée Harkis de Reims proposée par la Licra.

Projection - Mektoub + film L’Histoire des Harkis de Reims + Conférence de Fatima BesnaciLancou • Histoire et transmission + Collation dinatoire

L’Histoire des Harkis de Reims

Installés à Reims dans le quartier du Canada, dit Le pont de Witry, puis devenu Les Epinettes, les Harkis subissent une double discrimination et leurs descendants eux-mêmes ont reçu le nom de Harkis qui les désigne comme une population à part : ni totalement «Français», ni vraiment «Algériens»...

• SITES UNIVERSITAIRES - Reims bibliothèques universitaires des campus Moulin de la Housse, Sante et Croix-Rouge (Robert de Sorbon) / I.U.F.M / La Villa Douce

16 mars au 26 avril

ART ØTHÈQUE#3 (Vernissage le samedi 16 mars - départ en car à 9h30 - RV devant la Villa Douce) Soucieuse de soutenir la création artistique dans ses différentes disciplines et de permettre la diffusion des œuvres auprès d’un large public, la Région Champagne-Ardenne a lancé en 2008 l’Artothèque éphémère et a confié à l’Office Régional Culturel de Champagne-Ardenne (Orcca) le soin d’en assurer la diffusion. L’Artothèque nourrit des projets d’expositions à partir d’œuvres d’artistes travaillant en région, elle sensibilise les publics à la création contemporaine et investit des lieux éloignés des circuits de diffusion : communes, collèges, lycées, médiathèques, entreprises… Renouvelée en 2012, cette troisième édition de l’Artothèque éphémère présente, jusqu’en 2014, une centaine d’œuvres prêtées par 41 artistes professionnels de Champagne-Ardenne (dessin, peinture, photographie, vidéo, sculpture, installation).

C’est d’abord la rencontre, à Londres de Paul Rogers, contrebassiste issu des terres du free anglais, dont le génie et la singularité ont fait de lui un incontournable de la scène de musique improvisée européenne, et de Robin Fincker, saxophoniste français aux multiples projets, marqué par ses dix années d’expérience dans cette ville. C’est ensuite celle de Robin Fincker à son retour en France avec Fabien Duscombs, batteur polymorphe et engagé, membre incontournable du collectif Freddy Morezon (le Tigre des Platanes, la Friture Moderne, Cannibales et Vahinés...). WHAHAY est le fruit de ces rencontres où, comme cela arrive parfois, l’on se découvre des chemins paral-

lèles, des terrains d’expression communs et des langages complémentaires. On y évoque des lieux ou l’on aurait pu se croiser mais, ne se connaissant pas encore, on ne s’était pas salués tandis que les premières notes jouées ensemble prennent déjà des allures d’évidence. Créé à l’initiative de Paul Rogers suite à l’invitation du Festival Jazz à Luz ce trio d’improvisateurs décloisonnés et aux parcours respectifs impressionnants s’est réuni autour de la musique de Charles Mingus. Le grand compositeur, quatrième invité de cette explosive croisée des chemins, apparaît en filigrane à travers le lyrisme «terrien» de ses thèmes interprétés avec un seul mot d’ordre : champ libre !

INFORMATIONS et RÉSERVATIONS INDISPENSABLES : S.U.A.C. (Service Universitaire d'Action Culturelle) • Villa Douce Présidence de l'Université de Reims Champagne-Ardenne • 9 Bd de la Paix, 51100 Reims www.univ-reims.fr • magalie.ninin@univ-reims.fr • 03 26 91 84 15

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S.U.A.C.



ÉPILOGUE !

Texte / Alexis Jama Bieri

Taxi pour girls « De la musique avant toute chose » (Paul Verlaine)

P

MARS LILLY WOOD & THE PRICK 08 MARS OWLLE VEN

NEMIR 09 MARS GREMS I KELIB I ASHKEN SAM

LOIZEAU 13 EMILY MESPARROW

MARS

20 SUPERBUS PREMIÈRE PARTIE

gratuit pour tous

MER

BALTHAZAR 21 MARS EREVAN TUSK JEU

PSY 4 DE LA RIME 22 MARS MR 16 VEN

INVASION 23 INDUSTRIAL VOMITO NEGRO I VIGILANTE I LARVA I DARK CONTROL OPERATION SAM

MARS

27 30 ELEKTRICITY ÉQUINOXE MARS MARS AVEC LESCOP I THE SHOES I ALINE I YAYA HERMAN DUNE MER

SAM

pour les abonnés, une place achetée = une place offerte

MARS

gratuit pour les abonnés (dans la limite de 100 places)

MER

artant en soirée, j’apprends la triste nouvelle de la mort de Daniel Darc. Cet artiste fut, avec Taxi Girl, groupe de jeunesse au son synthpop mythique, une pièce maîtresse, en France, de ce mouvement de folie, parti du nord de l’Angleterre, qui éclaira les 80’s. Un mouvement qui se transforma en vague déferlante, Punk dans l’esprit, révolutionnaire et novateur dans l’utilisation d’instruments aux sons synthétiques et froids d’une désarmante et simple efficacité. Une voie ouverte aux artistes d’aujourd’hui... Daniel Darc s’est d’ailleurs livré, il y a quelque temps, dans les pages de GRANDBAG, à quelques confidences sur sa musique, sa vie et le chemin qu’il suivait, allant là où ses pas, ses envies, jusqu’aux plus folles et destructrices, le conduisaient. À la soirée Inner Corner, je repense à Taxi Girl et à Daniel Darc, puis je m’imprègne du son synthétique et lourd qui inonde le bar. Je tente de converser avec quelques girls... Mars débute, c’est le mois d’Elektricity, festival des musiques du temps présent. Le présent pour le futur. Rien ne s’arrête. Un mars, et ça repart. Journal à parution mensuelle. Photo de couverture #25 / © Julien Berthier Le Mouvement Perpétuel, 2005 - Chat empaillé, résine, cuir, métal, moteur Collection privée - Courtesy Galerie GP & N Vallois

MIDNIGHT MAGIC I RUBIN STEINER I GRINDI MANBERG CIE AXE ENSEMBLE

Prochain numéro : Avril 2013 (#26)

PLUS D’INFOS SUR WWW.ELEKTRICITYFESTIVAL.FR

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AVRIL HORACE ANDY & JOHNNY CLARKE 02 AVRIL THE BANYANS MAR

ROVER 04 AVRIL JOHN GRAPE JEU

: LE TOUR 11 FAIR MUSTANG I PENDENTIF I DEN HOUSE

JEU

AVRIL

GOJIRA 12 AVRIL KRIGER I HYPNO5E VEN

OLIVIA RUIZ 13 AVRIL PREMIÈRE PARTIE SAM

LA CARTONNERIE I MUSIQUES & CULTURES ACTUELLES

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