CLGB_REIMS#16

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Open Art Revue

© Pierre La Police

Janvier février 2012 /// Reims /// Gratuit


Photo : Crapaud Mlle • Coiffure : Jean-Noël • Modèle : Luciole • Maquillage : Sophie


Où il est question du bonheur et de ses terres inconnues. Texte / Jérôme Attal • Photo / © Mathieu Zazzo

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Les temps sont peut-être rudes, difficiles, prompts à l’équinoxe, néanmoins la nouvelle reine du Bouthan est vraiment très jolie, et toutes les filles du royaume s’en félicitent. Attendez, vous avez bien lu ce que je viens d’écrire ? Vous avez déjà vu des filles se féliciter qu’une de leur congénère soit très jolie ? Pas sous nos latitudes, en tout cas. Pour un tel exploit, il faut au moins se trouver dans un royaume pas plus grand que la Suisse, coincé entre le Tibet et l’Inde, et qui a pour indicateur économique le bonheur national brut. Quand le moral de ses résidents faiblit, le gouvernement, par mesure de prévention, leur demande de faire attention à n’avoir pas la fesse triste, et, comme moyen de locomotion, de privilégier le célèbre Bouthan train. C’est quoi d’ailleurs, cette mode soudaine au bonheur ? Une valeur refuge plus précieuse que l’or ? Une nostalgie intime où jamais personne ne pourra installer de douane ? L’autre soir par exemple, à la télévision française, le fringant Frédéric Lopez a consacré une émission entière au bonheur. Une sorte de déclinaison naturelle de son fameux Rendez-vous en terre inconnue, tant ces derniers mois le bonheur semble être devenu pour beaucoup d’entre nous un mât de cocagne, une loterie clandestine, une planète étrangère. Ne me dites pas que vous n’avez jamais regardé : Rendez-vous en terre inconnue ? Mais si, cette émission où durant quinze jours l’animateur entraîne des gens qui ne sont jamais sortis du périph’ à la rencontre de gens qui ne quitteront jamais leur pampa. Sur le principe qu’il est toujours plus facile

de lier des amitiés indéfectibles avec des personnes qu’on ne gardera pas trois mois en pension et qu’on ne reverra plus jamais de sa vie. Si vous êtes déjà partis en camping avec des amis pour une durée supérieure à trois semaines vous comprendrez de quoi je parle. Il n’empêche, chaque fois que je regarde les émissions de Frédéric Lopez, je pleure comme une madeleine de Commercy. Ce n’est peut-être rien que ça, le bonheur : pleurer pour des raisons qui ne sont pas tristes. Se laisser submerger, soudain. Il y a tellement de violence et d’injustice au programme de nos quotidiens désenchantés qu’on se prend à être attentifs aux symptômes du bonheur avec la passion d’un cueilleur de champignons – et en sachant pertinemment qu’il existe des bonheurs vénéneux (l’amour, toujours). Oui, le bonheur est une promenade minutieuse sous une averse imperceptible. Pour qui a croisé dans sa journée un être qui lui plaît, être infiniment heureux revient à presque rien. Aussi ne boudons pas notre plaisir, soyons heureux dans les interstices, éveillés dans ce qu’on nous laisse en somme, heureux dans l’élaboration d’une surprise comme dans l’inattendu, au détour d’un visage, d’un sourire, d’une rue passante ou d’une page qui se tourne, et souhaitons en cette année qui arrive que notre capacité au bonheur fasse un vrai malheur ! (Dans le bon sens du terme). Après tout, il y a toujours un peu de lumière qui filtre, même sous les portes qu’on se prend dans la gueule !

AU LOIN, UNE ÎLE ! + Good morning England + SANDRINE PELLETIER + The ideal crash + LE TAMPOGRAPHE SARDON + Auto-tamponneur + ART&RAPY + L’art comme une thérapie + ITEM IDEM + Bis repetita + IDA TURSIC & WILFRIED MILLE + D’après photographies + NEXUS + Accompagner les artistes + PIERRE LA POLICE + Tout est normal (presque) + AWO + Architectes du XXIéme siècle + GUITAR WOLF + Le rock venu de l’espace + CAROLE BRIANCHON + Aller-retour vers le futur + L’ART SUBTIL DU POGO + De la survie dans la fosse durant un concert de Motörhead + CHLOÉ BRUGNON + Théâtre de nouvelle génération +

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Isabelle Giovacchini • Photos / © Uriel Orlow / The Short and the Long of it, 2010. Vue d’installation (détail) Courtesy Campagne Première, Berlin.

AU LOIN, UNE ÎLE ! + GOOD MORNING ENGLAND +

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laire Jacquet établit des ponts, creuse des tunnels. Entre des pays, des villes, des personnes. Ainsi, la directrice du FRAC Aquitaine a proposé cet automne à Marie Canet et Vanessa Desclaux, deux jeunes commissaires bordelaises, de traverser la Manche pour explorer l’Angleterre, mythique territoire insulaire. L’expédition s’est avérée fructueuse puisque nos deux téméraires aventurières ont rapporté dans leurs bagages un butin des plus fantasmagoriques, prenant la forme des œuvres de Louis Benassi, Marcel Broodthaers Marc Camille Chaimowicz, Ian Hamilton Finlay, Susan Hiller, Bethan Huws, Ian Kiaer, Uriel Orlow, Amalia Pica et Jessica Warboys. À la façon d’un étrange oiseau migrateur, l’exposition « Au loin, une île ! » se pose maintenant à la Fondation d’Entreprise Ricard de Paris, dans une forme renouvelée.

• L’exposition Au loin, une île ! réunit des artistes de différentes générations, issus de la scène britannique ou ayant travaillé autour de thématiques liées à l’Angleterre. Pourquoi avez-vous choisi de défricher cette île en particulier ? Claire Jacquet : Mon idée est d’exposer une scène étrangère tous les deux ans au Frac, en mettant en lumière un pays qui soit lié à l’Aquitaine. Ce nouveau projet fait donc suite à Heidi au pays de Martin

Kippenberger, consacrée à la scène artistique allemande et plus particulièrement le Land de Hesse, région avec laquelle est jumelée l’Aquitaine depuis de longues années. Pourquoi donc cette année le Royaume-Uni ? Plus que jamais le Royaume-Uni est une île. Plus que jamais l’Aquitaine se sent une relation particulière avec la Grande-Bretagne. Un fonds régional d’art contemporain agit à partir d’un territoire géographique, donc d’un contexte qui comprend un passé, qu’il est aussi

important de relire que de réactiver par le prisme des œuvres et des artistes. Ce passé est autant une histoire commune, celle des cousins Plantagenêt dès lors qu’Aliénor épousa au XIIe siècle le futur roi Henri II. Histoire partagée, et largement relayée par le commerce du « clairet », ce breuvage clair produit aux environs de Bordeaux, obtenu par « saignée » et qui reste longtemps le vin préféré des Anglais… À partir de ces liens historiques, économiques et même politiques, j’ai eu envie

d’impulser un projet artistique que j’ai confié à deux jeunes commissaires, d’origine bordelaise et résidant à Londres, ce qui leur permettait d’avoir ce double regard sur deux cultures.

• En effet, Marie Canet et Vanessa Desclaux sont les deux commissaires de l’exposition. Comment s’est déroulée cette “partition à six mains” ? C.J. : Marie et Vanessa sont deux filles fantastiques, pleines

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« Et puis il y a de bonnes raisons de s’exclamer de temps en temps, même dans une exposition d’art contemporain, non ?

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d’idées et d’énergie et qui ont été immédiatement emballées par ce projet. L’idée était de partir de la GrandeBretagne et elles ont eu envie de mettre l’accent sur le motif de l’île. C’est important qu’un lieu institutionnel comme un Frac soutienne aussi les jeunes commissaires dans leurs recherches et démarches critiques, en même temps que les artistes émergents. C’est très intéressant de voir comment chaque nouvelle génération regarde l’art et considère certaines «problématiques», à l’heure de la globalisation et de cursus universitaires bien souvent européens et/ou internationaux... C’est aussi une forme d’engagement et de partage.

• Pourquoi avoir choisi ce titre exclamatif, “Au loin, une île !” ? C.J. : Au loin, une île ! résonne toujours comme l’exclamation primitive du matelot découvrant par la focale de sa longue vue l’amorce d’une terre venant briser la monotonie d’une ligne d’horizon, instable et invariablement liquide ; elle dit d’emblée l’excitation de cet accès à l’inconnu : fenêtre sur un autre monde. Entre la France et l’Angleterre, contre vents et marées, il y a une longueur de « Manche », quelques fameuses batailles, maintes réconciliations, mais toujours, un étonnement à se découvrir « ailleurs ». Et puis il y a de bonnes raisons de s’exclamer de temps en temps, même dans une exposition d’art contemporain, non ?

• Tout-à-fait ! D’autant plus que l’île génère elle aussi beaucoup de fantasmes qui donnent envie de s’exclamer : utopies, naufrages, autarcie, exotisme... Avez-vous tenté de tramer ces différents thèmes au cœur de l’exposition, ou bien avez-vous privilégié un point de vue en particulier ? Marie Canet & Vanessa Desclaux : Nous nous sommes justement intéressées à ces fantasmes dans la mesure où ils nous ont semblé apparaître dans les

œuvres des artistes. Mais les œuvres ne sont pas choisies pour illustrer ces thèmes, ce que nous avons cherché à mettre en valeur, c’est comment l’île et les idées (fantasmes, représentations, mythes…) qui s’y attachent pouvait nous aider dans notre lecture, notre analyse et le développement d’un point de vue original sur une scène artistique étrangère. Donc il y a bien un point de vue singulier : nos deux regards de commissaires. Mais ces regards ont été jetés avec à l’esprit de nombreuses lignes directrices qui nous ramenaient toutes à l’île.

• Comment les avez-vous sélectionné les 10 artistes présentés ? Est-ce en partie d’après les œuvres présentes au sein de la collection du FRAC Aquitaine ? M.C. & V.D. : Non, il n’y a pas de lien entre les colletions du FRAC et les œuvres présentées, même si nous aurions très bien pu sélectionner certaines des pièces du FRAC. De manière large on peut dire que la sélection s’est faite sur des critères de qualités formelles et thématiques, bien évidemment. Les artistes présentés et les œuvres sélectionnées ont toutes en commun cependant un sens de l’exploration et de l’expérimentation : Jessica Warboys, Louis Benassi ou Ian Hamilton Finlay, pour ne citer qu’eux.

• L’exposition se tiendra en deux temps. Tout d’abord au FRAC Aquitaine du 30 septembre au 18 décembre 2011, puis ensuite à la Fondation d’Entreprise Ricard, qui l’accueillera du 9 janvier au 11 février 2012. Y aura t-il des différences notables entre ces deux volets de l’exposition ? M.C. & V.D. : Oui, les différences sont importantes. Le premier volet au FRAC a tenu à donner à l’exposition une portée historique en montrant des œuvres des années 70 et 80 (Marcel Broodthaers, Ian Hamilton Finlay, Marc Camillle Chaimowicz et Susan Hiller). Cela s’explique car le FRAC est un lieu dont la collec-

tion partage cette dimension historique. À la Fondation d’Entreprise Ricard, nous avons recentré l’exposition autour d’œuvres plus récentes. À Paris nous présenterons l’artiste Gail Pickering qui ne se trouve pas dans l’exposition du FRAC. Les œuvres de Marcel Broodthaers et Ian Hamilton Finlay ne seront quant à elles présentées que dans le volet bordelais. Enfin, il faut noter que les espaces des deux lieux ont des qualités physiques très différentes et les expositions ont été pensées en fonction des spécificités de chaque lieu. • Dans votre communiqué de presse, vous parlez de «point de fuite». Quel rapport établissez-vous entre les idées d’insularité et de «point de fuite» ? M.C. & V.D. : Le lien existe en effet. Il y a une métaphore visuelle que nous avons choisie car elle nous semble pertinente : l’île se présente comme un point dans l’espace dont on s’approche ou s’éloigne par l’intermédiaire de l’étendue maritime. Cette image a été exploitée par les graphistes qui ont travaillé sur les supports de communication (invitation, catalogue). On avance vers l’île : ce mouvement trace une ligne qui relie le continent à l’île. Dans le domaine des arts visuels, on représente aussi souvent le regard porté sur les œuvres comme une ligne : c’est la représentation de la perspective, comment notre œil perçoit la représentation d’un espace sur la surface plane de la toile. L’exposition est la synthèse de deux regards jetés sur les œuvres d’une dizaine d’artistes. Elle devient donc une sorte de carte où se dessinent des lignes et des liens, à la fois formels et conceptuels.

répondent ou qui peuvent se répondre. La question de la pratique artistique est la question des possibles. En cela, le positionnement de l’artiste est comme obligatoirement insulaire, à la fois résistant, immergé, bien que parfois submergé. Entre l’île est la question de l’art le lien, vous l’avez noté, est idéologique.

• Au loin, une île ! est donc une exposition bâtie par deux commissaires, qui voyagera dans deux espaces d’exposition et qui aura un catalogue en deux parties ! Pourquoi ce choix «bipolaire» ? M.C. & V.D. : Mais même s’il y a deux expositions, c’est deux fois une seule exposition qui s’est construite à travers une dynamique de dialogues et de discussions. Le projet a démarré sur la base d’un échange de points de vues, d’une conversation dans laquelle deux voix se sont exprimées : cette dualité se manifeste particulièrement dans le catalogue. Et évidemment il y a deux langues : le français et l’anglais.

• Justement, le catalogue a-t-il été pensé comme un condensé sur papier de l’exposition, ou bien est-il son pendant la complétant et l’enrichissant ? M.C. & V.D. : Le catalogue est plus qu’un catalogue et moins que cela. Il est réellement un prolongement de l’exposition. Le graphisme est une réelle proposition en soit qui répond au thème et à l’exposition. Les designers ont d’ailleurs créés une typographie pour cela. De plus, chaque artiste a répondu par une proposition visuelle produite pour le livre et les commissaires ont elles-mêmes contribué par l’écriture de deux essais.

• Comment créez-vous des ponts entre ce positionnement insulaire et le « continent artistique contemporain » ? M.C. & V.D. : Tout dépend de l’interprétation et de la fonction que vous attribuez au champ même de l’art. Il y a des significations qui se

Au loin, une île ! Commissariat

: Marie Canet et Vanessa Desclaux sur une invitation de Claire Jacquet (FRAC Aquitaine) et Colette Barbier (Fondation d’Entreprise Ricard).

+ Du 9 janvier au 11 février 2012 + Avec : Louis Benassi, Marc Camille Chaimowicz, Susan Hiller, Bethan Huws, Ian Kiaer, Uriel Orlow, Amalia Pica, Gail Pickering, Jessica Warboys FONDATION D’ENTREPRISE RICARD • 12 rue Boissy d’Anglas • 75 008 PARIS

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Texte /

Isabelle Giovacchini • Photos / © Sandrine Pelletier / Courtesy Super Window Project

SANDRINE PELLETIER + THE IDEAL CRASH +

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e ses formations de graphiste et de scénographe, l’artiste suisse Sandrine Pelletier a conservé le goût du tramage et de l’expérimentation. Son oeuvre réunit des univers et tonalités de prime abord totalement opposés : tapisserie et science-fiction, vanité et adolescence, artisanat et minimalisme, black metal et folklore. Ce bricolage étudié et maîtrisé engendre une imagerie sombre et délicate, fantastique et foisonnante, accidentée parfois, qui semble pouvoir, du fait de son apparente fragilité, s’évanouir sous nos yeux avant même que la rétine n’ait pu les imprimer. C’est à partir de ce processus mouvant que Sandrine Pelletier tisse sa propre «Esthétique de la disparition» (Paul Virilio), sorte de fiction qui semble se délier et se déliter à mesure qu’elle se construit.

« Disparaître avec

élégance, c’est bien ! • Pouvez-vous vous présenter ? Sandrine Pelletier, 35 ans. Je vis et travaille à Genève où j’enseigne la scénographie à la HEAD-Haute Ecole d’Art & Design. • Est-ce que vos formations initiales de graphiste et scénographe orientent votre façon d’aborder l’espace au travers de vos oeuvres, qui se font de plus en plus monumentales au fil du temps ? Mes deux formations m’ont appris à anticiper un espace pour pouvoir ensuite composer à l’intérieur d’un lieu ou créer un visuel grâce à une suite de formes, de lumières et de textures. Lorsque je pense à mes dernières installations, qui sont un peu plus imposantes on va dire, elles sont le reflet de mes préoccupations tandis qu’auparavant elles s’appuyaient sur les problématiques de gestion d’espace et de mise en scène. La tension dans mon travail se joue principalement à la lisière entre le décoratif et le conceptuel ; peu à peu la métaphore a pris le dessus sur la technique. Scénographe ou artiste, la différence est là où on décide de la marquer. Je me considère plutôt comme diseuse d’aventures, bonnes et mauvaises, et donc parfois aussi comme un escroc.

• Vous travaillez souvent à partir d’une imagerie baroque et fantastique, qui fait penser à Edgar Poe voire à Lovecraft. Comment sélectionnez vous ces différentes sources d’inspiration ? J’ai découvert la revue Metal Hurlant, Frank Frazetta et la littérature fantastique très jeune. Ce type d’univers a toujours provoqué quelque chose chez moi de rassurant et de… cosy. La description d’un paysage onirique et fantastique sera par exemple retenue puis transposée dans mon travail grâce au trompe l’oeil et à l’installation. Il en va de même pour certaines pièces comme le pentagramme anamorphosique Aeg Yesoodth Ryobi Elle_Emdrill ! dont le titre - qui est en réalité une suite de marques d’outillages - va puiser directement sa source au sein d’un récit Lovecraftien. Ce ne sont pas directement des chroniques ni des mythes que je souhaite remettre en scène. Je veux plutôt me réapproprier l’ambiance fantastique et baroque de mes

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diverses sources d’inspirations. J’aime utiliser au sein de mon travail le storytelling en puisant dans des anecdotes souvent banales pour refléter diverses préoccupations universelles telles que l’abandon, la mort, la religion ou la jeunesse perdue.

• Comment parvenez-vous à jouer des caractères oniriques, séduisants et même surannés de certains des matériaux que vous utilisez (miroirs, cendre, tapisserie, broderie…) ? Le suranné ou l’objet emprunté aux Arts & Crafts sont les éléments qui à nouveau racontent des histoires et provoquent des scénarii. Il s’agit pour moi d’absorber la pratique artisanale dans un dialogue perpétuel entre l’objet et sa représentation, entre la matière et le symbole, avec les outils de l’art conceptuel et de l’art minimal associés au folklore, aux superstitions, et à l’ordinaire de la vie. Le déchet, l’objet fonctionnel et insignifiant est métamorphosé, détourné puis d’une certaine manière honoré. Ce sont l’exploration esthétique et la symbolique des failles et imperfections que je cherche à mettre en avant dans mon travail. La revanche du laid, ou l’Armée des Ombres.

• Quelle place accordez-vous à l’expérimentation, à l’erreur et au non-fini ? Une place importante car l’erreur, l’accident et l’échec font partie de mes thèmes favoris. L’expérimental me semble être la base très saine d’une recherche artistique. Le non-fini évoque quelque chose de suspendu dans le temps et raconte ainsi plusieurs scénarii qui invitent tour à tour à la démolition ou à la finition. L’esthétisme fragile de l’inachevé me séduit particulièrement dans ses détails qui peuvent paraître au premier abord insignifiants. Certaine pièces textiles ou d’autres compositions en miroir reposent principalement sur l’inachevé. Ce sont d’ailleurs ces travaux-là qui restent parmi mes préférés.

• Vous avez souvent recours aux techniques artisanales, au «fait-main». Est-ce justement parce que ces techniques ne sont pas mécaniques

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et donc imparfaites qu’elles vous intéressent ? Les techniques sont-elles pour vous autant de terrains d’expérimentation ? Une technique «faitemain» et artisanale comme le crochet ou la faïence est tout d’abord facilement abordable et permet ainsi un terrain de jeu et d’exploration relativement large et immédiat. Je pense être avant toute chose dans le “faire” car cela reste un besoin, celui d’être en contact direct avec la «masse modulable et transformable». Dans un deuxième temps plus poussé et plus onéreux, la matière devient à la fois symbole et partenaire. La technique se fait alors plus discrète et laisse plus de place à la conceptualisation et à l’intellectualisation.

• Ces techniques artisanales entrent souvent en collision avec l’imagerie que vous intégrez à votre oeuvre (UFO Attacks qui représente en broderie une scène d’invasion extra-terrestre, etc.). Est-ce là une façon de nous narrer vos propres fictions, de vous approprier l’imaginaire d’une autre époque ? Au contraire je pense que c’est un imaginaire

tri-dimensionnelles. D’autre matériaux comme le bois brûlé, le miroir ou le plexiglas apparaissent alors comme une évidence dans mes recherches, alors axées vers quelque chose de plus brut et minimal.

• Certaines de vos pièces sont très fragiles (Goodbye horses), voire périssables. Comment envisagez-vous l’idée que vos pièces puissent facilement disparaître ? Goodbye Horses est une pièce moins fragile qu’il n’y paraît. La structure filaire est imbibée de latex, de goudron puis de colle de peau de lapin qui est un excellent conservateur. Ceci dit l’idée que mes pièces puissent complètement disparaître ne me dérange pas… J’aime la discrétion et l’éphémère, du moins en théorie. Disparaître avec élégance, c’est bien ! En revanche lorsque mes réalisations impliquent une autre personne que moi-même je suis très vigilante et j’assume volontiers par exemple un processus de retissage à l’infini, tant que j’en suis encore capable.

très actuel et désormais totalement inscrit dans notre époque car l’Apocalypse, les zombies, UFOS et autres créatures légendaires n’ont jamais autant été en vogue.

• L’idée de dégradation semble faire partie intégrante de votre production. Est-elle une forme de vanité ou bien une façon de montrer que des objets peuvent se tenir dans des états intermédiaires ? L’esthétisme de la dégradation

• Vous avez beaucoup travaillé le tissu et la broderie, mais depuis quelque temps ces matériaux se font plus discrets dans votre production. Pourquoi cette évolution ? Ce sont des

est quelque chose sur lequel j’aime particulièrement travailler. C’est avant tout une forme de vanité évoquant l’usure et le caractère transitoire de la vie humaine.

supports pour le moment qui sont mis de côté puisque je n’ai plus grand chose à exprimer avec eux. Les Wild Boys existaient justement grâce à cette tension entre le sujet et le medium : portraits brodés et détournements d’agencements, d’intérieurs du XIXe siècle sont inspirés de la vie quotidienne de lutteurs de Backyard Wrestling et créent avec ce sujet violent un mariage improbable. Le même type de décalage est utilisé pour l’abécédaire misanthrope, dont le lettrage en démolition est ainsi détourné de sa fonction principale. Les chevaux en carcasse filaire marquent clairement une étape de transition entre l’image et les installations

• Pouvez-vous me parler des pièces que vous allez exposer à Monaco (Goodbye Horses, Parade, UFO Attacks) ? Parade est une pièce conçue initialement pour une exposition à Kyoto dans le jardin japonais de ma galerie, à l’extérieur, mais elle a aussi été présentée à l’intérieur. Constituée de filets de camouflage, Parade imite un rassemblement au sol de feuilles mortes noires et en décomposition. Son titre renvoie à la fois à sa fonction d’objet de camouflage comme une réplique de la nature mais également à l’idée d’un feu de camp éteint à cause de sa forme


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Wildboys1 • Courtesy Super Window Project

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Mysanthropy • Courtesy Super Window Project

parfaitement circulaire et à sa texture vaguement résiduelle. À la fois réplique et trompe l’oeil, cette pièce emprunte ses codes esthétiques au rituel, à la procession et à la légende. Ufo Attacks est une pièce plus ancienne fonctionnant un peu sur le même principe que Parade : c’est un objet trouvé puis détourné. Sur deux crochets de vestibule, une attaque d’extraterrestres a été peinte puis rehaussée de cristaux et de broderies dont les fils ont été laissés volontairement pendants. C’est la représentation même d’une attaque venant d’un extérieur hostile et sans merci. Les extraterrestres signifient ici l’inconnu et la métaphore de tout ce qui

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échappe à nos croyances orthodoxes. Goodbye Horses est le déploiement dans l’espace de mes premiers travaux de broderies. Cette installation met en scène les quatre chevaux de l’apocalypse grandeur nature tissés à l’aide de fils de laine et solidifiés ensuite avec du goudron et du latex. Les silhouettes équestres fantomatiques sont délibérément laissées inachevées et donnent ainsi l’impression de disparaitre en fumée. L’alternance de vides et de pleins qui compose ces chevaux joue sur les mêmes effets graphiques qu’un dessin avec le blanc de la page. Ceci caractérise d’ailleurs parfaitement mon envie de passer du graphisme et des travaux d’aiguilles

à des installations plus monumentales. Goodbye Horses convoque plusieurs aspects qui me sont chers : la transformation par maniement des matières et l’iconographie populaire. Ils sont avant tout un moyen d’expérimenter un territoire se situant entre abstraction et figuration. Le processus de réalisation est ici l’un des facteurs essentiels, car les chevaux ont été en effet ici dessinés et improvisés directement dans l’espace avec fil, goudron et latex. Cette technique est similaire au croquis sur papier mais de façon aérienne et tri-dimensionnelle.

• Quels sont vos projets ? Les six prochains mois sont consacrés à ma résidence d’artiste au Caire. Mon projet consiste à suivre une tribu de black-métalleux, forcés de rester discrets et à devoir ranger dans un tiroir leurs accessoires diaboliques et leurs tenues peu courantes dans les rues égyptiennes. Je compte également suivre de près les techniques d’artisanat local pour pouvoir m’en inspirer afin de les réinterpréter dans mon travail.


Texte /

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Nicolas Giraud • Images / © Le Tampographe Sardon

LE TAMPOGRAPHE SARDON + AUTO-TAMPONNEUR +

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e blog est sans doute la tumeur la plus maligne du narcissisme 2.0. Dans cette boue quotidiennement déversée par ceux qui cherchent à trend-setter leurs pathétiques existences, le blog du tampographe Sardon brille, telle une pépite d’uranium dans un décor de dévastation morale. Distillant, d’une plume alerte, de la violence gratuite et un nécessaire désespoir, le tampographe remplace aisément et sans effets secondaires la prise quotidienne d’antidépresseur. Les objets qu’il réalise dans son atelier pourront vous fâcher avec des pans entiers de votre belle-famille, sans parler de vos collègues de bureau. Après un recueil de bons points paru cet automne, un livre compilant ses méfaits sort fin janvier à l’Association. Pour plus d’effet, il est conseillé de le faire relier avec la peau d’un animal domestique.

• J’hésite toujours quand je fais des interviews entre le «vous» vilement flagorneur et le «tu» vulgairement familier, contournons l’obstacle : Après une carrière dans la Bande dessinée et l’illustration, notamment pour le journal de gauche Libération, Vincent Sardon s’est tourné vers la production de tampons en caoutchouc, créations diverses qui combinent aphorismes, images éducatives et gaufrettes déprimantes. Est-ce un choix réfléchi, une manière de quitter le monde devenu trop glamour de la BD ou une idée venu à la lecture du supplément entreprendre des Echos dans la salle d’attente d’un spécialiste ? Je n’ai pas fait de choix réfléchi. Ma pratique de tampographe s’est développée petit à petit, en marge de mon travail de dessinateur. Plus je me faisais chier dans ma vie professionnelle, plus j’avais des idées de tampons. C’était une sorte de soupape. J’avais de plus en plus de mal à supporter les conneries de Libération, leur discours économico-politique faux cul. Je me suis barré, j’ai travaillé au Monde, je sais pas si c’était mieux, je crois pas, mais au moins ça changeait un peu. Je bosse encore pour eux. La bande dessinée me pesait depuis belle lurette. J’ai fini par constater que mon boulot de tampographe avait peu à peu bouffé tout le reste, et que je me contrefichais de bosser pour la presse, ou de raconter des histoires en bande dessinée. Le monde de la bande dessinée c’est vrai que c’est glamour, pour s’en convaincre il suffit d’aller à un festival en province, d’y dédicacer ses livres dans une salle polyvalente avant d’aller bouffer un menu à 15 euros dans la seule brasserie ouverte le soir et de dormir dans un deux étoiles entièrement décoré avec de la moquette marron. On ne prévient pas les auteurs, quand ils débutent, que tout ce travail, ça débouche sur ça.

• Le tampon c’est un medium à part, un choix plutôt marginal. Il évoque ce qui peut sortir d’une imprimerie clandestine, mais il traîne aussi derrière lui des liens avec des courants artistiques comme le mail art, le scrapebooking ou la bureaucratie. Je n’y connais rien en mail-art et en scrapbooking. Le mail-art à priori je trouve que c’est de la poésie graphique à deux balles, du collage à la sauce surréaliste pénible. Le tampon c’est une forme d’imprimerie rapide, portative, qui se prête bien à reproduire des messages rentre-dedans. C’est un outil simple d’uti-

• En reparcourant le site, je pensais aussi aux Crimes Exemplaires de Max Aub. De la réplique coup pour coup, non pas sur la place publique, pas en défendant des Idées ou des Principes. Du coup, il y a quelque chose de cathartique dans ton travail. Qui ne serait pas touché au plus profonde son être par une phrase comme : « Le Tampographe passe son chemin et va déposer son vélib sur une borne à vélib, en espérant que personne ne l’a vu sur un véhicule aussi grotesque. Il s’éloigne tandis que retentit un puissant BIP qui signifie que la mairie de Paris prend les choses en main.» Ou pour certains d’entre nous plus sauvage : « J’écoute un album d’easy listening des Beastie Boys pour essayer de me persuader que je suis un mec super cool alors qu’en fait je ne rêve que de cramer des baraques, massacrer des villages, piller, empoisonner des puits, tuer, détruire, arracher des vêtements, baiser sans enlever mes bottes. Mais bon, on ne fait pas toujours ce que bon nous semble dans la vie et donc j’écoute plutôt les Beastie Boys en buvant du café ». Bref, dans tout cela le blog n’est pas seulement un moyen de diffuser la production, le texte a presque autant d’importance que les tampons. Le blog est une chose à part entière (je dis «blog» faute d’un meilleur terme, peutêtre peut-on parler de réseau asocial si l’on note, par exemple, la salutaire décision de bloquer les commentaires) ? Tiens c’est marrant que tu me parles lisation, qui permet aux gens de s’approprier mon boulot et aussi de le diffuser. C’est vrai que c’est connoté, que ça évoque l’administration, mais c’est par là même propice à des effets parodiques. C’est une pratique très marginale, c’est vrai, mais bon, j’aime bien ça, être le seul à faire ce que je fais.

• Ce côté parodique est aussi, souvent, comme un geste de résistance ; parfois politique, parfois un peu plus anarchiste, parfois un majeur levé haut devant la médiocrité, parfois les trois à la fois. Ça aurait un sens de parler de Desproges - qui est d’ailleurs un voisin ? Desproges c’était une lecture d’adolescent, avec Boris Vian et Topor, les textes de Topor, pas ses dessins. Desproges c’était une sorte d’idole absolue, et puis son style a fini par me faire un peu chier, maintenant je trouve ça ampoulé et trop

écrit. Je ne me réclame pas de lui, cela dit, mais il fait partie de mes influences. J’ai une sorte d’attachement aux idées anarchistes, parce que ma famille est d’origine espagnole et que mon grand-père a milité à la CNT pendant la guerre civile. Il a fini sa vie en exil en France. C’était un homme sérieux, l’anarchie c’est sérieux, il n’aurait jamais plaisanté avec les sujets que je traite. Je ne veux pas prendre mon travail trop au sérieux. Le rire de résistance, les conférences du théâtre du rond-point, tout ça, c’est pas trop mon truc. Je ne résiste pas à grand chose. Parfois à l’envie de tout envoyer chier, éventuellement. À la connerie des directeurs artistiques, aux gens qui me demandent si je vis de mon travail, à la difficulté de la vie à Paris, aux gens qui vous disent ce qu’il faut que vous fassiez. Enfin j’essaye, je ne sais pas si j’y arrive.

de Max Aub. J’ai lu les Crimes Exemplaires quand je suis arrivé à Paris, en 1995. J’étais un petit provincial, je trouvais les rapports humains très durs et les gens très cons. J’avais des envies de meurtre, par moments. J’ai pris pas mal de plaisir à lire ça. Un voisin libanais m’a dit un jour « j’ai grandi sous les bombes à Beyrouth pendant la guerre, et je peux te dire que je n’ai jamais vu autant de haine qu’à Paris ». Je crois que ce qui fait l’énergie de cette ville c’est la haine, l’agressivité, la violence rentrée. C’est un matériau intéressant, du moins si on tente de faire un certain genre d’humour. Je me nourris de cette haine, de cette connerie et de cette agressivité. J’ai mis un moment à comprendre que toute cette haine c’était de la belle et bonne énergie. J’aime bien Paris, maintenant. Mais j’ai toujours des envies de meurtre. Je ne crois pas être asocial. Je dois communiquer avec beaucoup de personnes pour faire

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c’est une sorte de moulage du blog ? Qu’est-ce qui change avec le passage au livre ? Et puis est-ce l’aube d’une nouvelle mue de Vincent Sardon ? ou le préalable à une mise en bourse de ton activité ? L’idée de faire un livre avec mon travail c’est

tourner mon truc. Mais ça me demande parfois un effort. J’ai bloqué les commentaires sur mon site parce que je n’ai aucune attirance pour le masochisme. J’ai un peu tenté de les laisser ouverts, et ça a été immédiatement un flot de bêtise crasse, de messages anonymes, de flagorneurs, de tarés. Tout ce qu’on déteste dans Internet.

• Oui je connais, ça m’arrive d’avoir de ces visions pures et extrêmement détaillées où l’on se voit calmement taper la tête d’une grosse dame sur les carreaux en faïence de la station Jacques Bonsergent. Pourtant je suis quelqu’un de gentil, je pleure même, des fois, à la fin des comédies romantiques. Et justement, à mon sens, le travail du tampographe permet de ne pas se faire complètement bouffer par ça. Pendant des mois, j’ai eu une gaufrette avec écrit «À QUOI BON VIVRE» en fond d’écran, et tous les matins c’était un peu de joie et de calme quand j’allumais mon ordinateur (note : en plus de réaliser des tampons, le tampographe travaille à des prototypes de gaufrettes déprimantes sur le modèle des gaufrettes amusantes)... Oui bon, je formule parfois dans mon travail une certaine envie de se foutre en l’air. J’imagine que ça peut avoir des vertus, de formuler ça pour faire marrer les gens. Je crois qu’on peut pas donner tout à fait tort à une personne qui se flingue. C’est le sens de mes gaufrettes. Ce sont des biscuits offerts par une mémé pessimiste, des sucreries négatives pour vous vous pousser au suicide. Il y a plein de mémés de ce genre, qui disent que ça va mal se passer, que ça ira pas, que la vie c’est de la merde. Elles vous disent ça en vous servant le thé, c’est souvent accompagné de nourriture, peut-être parce que ce sont des empoisonneuses dans l’âme. On repart de chez elles vidé de toute énergie vitale. J’ai imaginé ces gâteaux à partir de cette idée. Les gaufrettes seront fabriquées en 2012. C’est très compliqué à fabriquer, il faut des moules en fer blanc, un tunnel de cuisson, du matériel sérieux. Je pourrais les fabriquer moi-même, mais pour ça je devrais renoncer à utiliser des matériaux toxiques, les mêmes que j’utilise pour la fabrication de mes moules. Je vais plutôt bosser avec un vrai pâtissier, ça sera mieux fait et personne n’ingèrera d’ammoniac et de résine photopolymère. Juste de la gaufrette et de la confiture de framboises. Ou de la ganache au chocolat. On est pas fixé sur les garnitures

• Pour revenir sur ta production, une chose qui me frappe c’est que tout ces objets que tu produits, les tampons, les gaufrettes, ou les bons points qui sont publiés ces jours-ci en un recueil édifiant pour la jeunesse, tous ces objets ont quelque chose de désuet. Certes, cela participe du décalage qui les rend drôle, mais on a aussi l’impression que tu révèles au grand jour que la France vit encore secrètement sous la troisième république... Je suis influencé par des oeuvres datées, par le Collège de Pataphysique qui a connu ses heures de gloire dans les années 50, par les vieux numéros

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« Plus je me

faisais chier dans ma vie professionnelle, plus j’avais des idées de tampons

»

d’Hara-Kiri, par les maquettes des éditions JJ Pauvert. J’utilise un style un peu désuet pour donner une forme sympathique à mon travail. Mon recueil de bons points est mis en page de manière à le faire ressembler à une vraie édition des années 40. J’espère qu’en librairie il se trouvera des nostalgiques de l’école à l’ancienne pour s’attendrir devant ça, pour prendre le livre en se remémorant un instituteur qui a compté dans leur vie. J’espère qu’ils l’ouvriront en se disant « aaah enfin on reparle des bons points et des méthodes d’enseignement qui ont fait leurs preuves ». Ils seront très déçus

en découvrant l’intérieur. Les autres se marreront peutêtre en découvrant les images.

• Quand mes étudiants m’emmerdent avec la révolution du livre numérique, je prends un gros bouquin, je prends leur ipad et je jette les deux par terre pour leur montrer la différence technologique. En plus de ton recueil de bons points pour les nostalgiques de l’école à l’ancienne, tu publies bientôt une somme sur ton travail de ces dernières années. Est-ce qu’on peut dire que

Jean-Christophe Menu qui l’a eu. Comme c’est un bon éditeur, j’imagine que c’est une bonne idée. De mon point de vue il y a trop de livres qui sortent, j’ai dû vaincre toutes sortes de réticences bien ancrées dans ma tête pour arriver à faire des pages et à penser à un bouquin cohérent. Les visions de surproduction éditoriale dans les librairies, de livres entassés sur les tables, les accumulations d’invendus, les solderies que je fréquente pour acheter des livres d’artistes bazardés à 5 euros, tout ça me déprimait. C’est Florent Ruppert qui m’a vraiment convaincu. Il était un peu bourré et un peu chiant, il m’a dit un soir que je ne pouvais pas me contenter de produire mes trucs à vide, qu’il fallait leur donner une existence concrète dans un livre, et pas dans un blog qui n’est malgré tout qu’un peu d’électricité qui fait briller un écran. Il m’a dit que le livre était une contrainte douloureuse à respecter, et que c’était ça qui rendait la chose intéressante. J’ai dû tordre mon travail pour le faire rentrer dans le livre. Tout mettre à plat, regarder mes boulots le plus objectivement possible, trier, jeter, refaire des choses, voir mes tics, c’était pas agréable du tout, ça donnait envie de partir en vacances tout de suite. J’ai fini par y arriver, à tout ranger mais pas trop, à tout corriger mais pas trop non plus, à trouver la bonne distance, c’était très difficile à faire, ça m’a pris des mois et des mois pour arriver à sortir des pages qui se tenaient. Mon blog c’est un empilement chronologique, mon livre c’est un journal de création abondamment illustré, pour utiliser des mots un peu prétentieux. Ça raconte sur un mode humoristique quatre années de boulot et de crises diverses, c’est une démarche autobiographique. Pour ce qui est d’une entrée en bourse, je ne crois pas, je resterai fauché toute ma vie. Une mue c’est plus probable. Je m’emmerde vite, j’ai besoin de nouveauté sinon je me mets à déprimer. Je ne sais pas du tout ce que je ferai après le livre. Je continuerai le tampographe, c’est certain, mais je crois que je reviendrai au dessin que j’ai un peu laissé de côté. Peut-être aussi que j’écrirai un peu plus, j’ai pris du plaisir à écrire mes textes, je ne m’y attendais pas du tout. En 2012 je vais faire quelques expositions. J’en prépare une pour le festival d’Angoulême, une autre au Japon en octobre (je sais ça fait je me la pète). Pas d’expo à Paris pour le moment faute de galerie. Comme quoi il y a encore du pain sur la planche. La mue attendra encore un peu que j’aie terminé ce tunnel de boulot.


ART

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GALERIE

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photos / © Art&Rapy

ART&RAPY + L’ART COMME UNE THÉRAPIE +

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ntre mobilier d’architecte et design d’avant-garde, Art & Rapy, la galerie de Delphine Pastor, invite à un voyage au cœur de ce qui fait l’âme des demeures enchanteresses. Noblesse des lignes pures, faste des matières : meubles rares pour amateurs éclairés des XXème et XXIème siècles. Interview de Vanessa Knaebel, directrice.

« Conviction, nouveauté, coup de coeur et partage » • Quand avez-vous ouvert votre galerie ? La galerie • Comment s’est passée votre collaboration avec Baron Osuna, le commissaire de cette exposition ? Baron nous a proposé un choix de pièces en

est présente en principauté depuis 2004.

• Pourquoi avoir choisi le nom d’Art & Rapy (parce qu’au-delà de la création, l’art pourrait soigner les (in)consciences) ? En 2008, sous l’impulsion de Delphine Pastor elle fut rebaptisée Art & Rapy : L’Art comme une thérapie.

• Si vous deviez décrire votre galerie en 4 mots ? Conviction, nouveauté, coup de coeur et partage.

• Quelle équipe œuvre pour votre galerie ? Delphine Pastor valide tous les choix artistiques de la galerie dont je suis la directrice.

• Vous avez présenté des expositions de design, notamment une exposition de mobilier d’architecte du XXème siècle : Michel Boyer / Maria Pergay / Pierre Jeanneret / Oscar Niemeyer / Jean Royere / Pierre Paulin. Votre galerie est-elle justement spécialisée dans le design, ou présentezvous des exposition d’autres types de créations ? Nous affectionnons le design, qu’il soit vintage ou contemporain. C’est une direction que nous revendiquons. Déjà en 2004, nous avions organisé avec le concours de Jousse Entreprise et de Guillaume Decasson, une exposition s’intitulant Les Designers Sculpteurs de Métal, marquant le début d’une série d’événements illustrant cette thématique. Notre sensibilité pour cette discipline est aujourd’hui récompensée quand on voit l’engouement des collectionneurs dans le secteur. Le design des années 50 à nos jours fait d’ailleurs partie intégrante des grandes foires d’Art contemporain du

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moment. Dans le cadre de nos expositions consacrées au design nous nous efforçons de rapprocher le Mobilier d’Architectes du XXème du Design contemporain. La galerie défend en première ligne l’Art contemporain, qu’il s’agisse d’artistes renommés tels que David Lachapelle, Donald Baechler, ou d’artistes prometteurs tels que Scott Campbell ou Markus Hansen. Nos collaborations avec des galeries de références (Air de Paris, Nilufar...) nous permettent par ailleurs de présenter des expositions appréciées des initiés. • Justement, quel est votre regard sur la création actuelle en matière de design ? Le design de par son caractère fonctionnel s’inscrit dans le quotidien de tous et les techniques de pointe offrent aujourd’hui des possibilités illimitées aux designers. Le salon du meuble de Milan est un authentique prescripteur de tendances dans la mesure où il donne à une fraction seulement des pièces présentées un écho industriel quand beaucoup d’entre elles resteront à l’état de prototypes. Ces prototypes font habituellement l’objet d’acquisition par les collectionneurs avisés. D’autre écoles font d’emblée le choix d’une production à compte d’auteur, privilégiant des méthodes artisanales. Ces productions sont plus confidentielles comme la Design Academy d’Eindhoven.

• Et quels sont les designers références, selon vous ? En ce qui concerne les designers contemporains, nous affectionnons tout particulièrement le travail de Tom Dixon, des frères Bourellec, d’Ingo Maurer pour ne citer qu’eux.

• Quels sont les créateurs émergents (dont vous suivez particulièrement le travail) ? Pour ce qui est des designers émergents Maarten Baas, Joe Meesters, Ineke Hans, Victoria Wilmotte, mais nous portons aussi notre regard vers le design italien avec Nucleo, un groupe de designers turinois, le studio Glithero, Emmanuel Bable. Ces jeunes designers sont pour la plupart représentés par notre galerie et nous suivons leur travail avec beaucoup d’attention !

accord avec l’esprit et l’identité de la galerie. Cette collaboration m’aura permis de présenter à nos amis collectionneurs des artistes que nous suivons mais que nous n’avons pas exposé jusqu’à présent. L’événement fut un succès et me permis de rencontrer une belle personnalité que celle de Baron. • Il vous arrive de collaborer avec des galeries

étrangères, fonctionnez-vous souvent sur ce principe d’invitation, de carte blanche donnée à un curateur ? Nous collaborons régulièrement avec des galeries étrangères. Le lancement du magazine CLGB a été pour nous l’opportunité de donner carte blanche à un commissaire. L’idée nous a séduit en raison du contenu et de la durée de cette exposition.

• Et quels sont vos projets à venir ? Lors de l’exposition CLGB, nous avons présenté le travail d’Artus de Lavilléon, et avons en projet une collaboration future.

• Combien d’expositions réalisez-vous par an ? Nous réalisons six expositions annuelles au plus. • Pouvez-vous nous parler de l’exposition Chezle-

grandbag qui a eu lieu en décembre à la galerie ? Le lancement du magazine CLGB en Principauté avec pour cadre notre galerie est à l’initiative de Boris Terlet. Afin de mieux asseoir ce lancement dans le paysage culturel monégasque j’ai proposé d’organiser une exposition capsule. Boris s’est donc tourné vers Baron Osuna en tant que commissaire de cette exposition.

Galerie Art & Rapy 11 avenue Princesse Grace 98000 Monaco +377 93 25 27 14 art-et-rapy.com


GA LE R IE

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Texte /

Isabelle Giovacchini • Photo / © Item Idem / Courtesy Super Window Project

ITEM IDEM + BIS REPETITA +

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omment mixer art, design, mode et communication ? Comment détourner les différents médias liés à la société de consommation ? Comment édifier une oeuvre qui soit à la fois décloisonnée, foisonnante, et cohérente ? Cyril Duval, artiste français installé à New-York, tente de répondre à ces questions par le biais de son travail. Cet inlassable collectionneur d’images glanées au fil de ses voyages et de ses prolifiques collaborations est moins connu sous son propre nom que sous le pseudonyme d’Item Idem, alter ego conceptuel lui permettant de brouiller encore plus les pistes, de se détourner aussi lui-même de façon à réellement devenir l’opérateur et la matière même de son travail de création.

• Pouvez-vous vous présenter ? Cyril Loup Aimé Duval Hörlin du Houx, aka Item Idem. Je suis artiste conceptuel et je travaille au carrefour de l’art, du design intérieur et produit, de la mode et de la communication visuelle. • Comment avez-vous choisi le nom de votre alter-ego, Item Idem ? J’utilise ce patronyme depuis le début des années 2000. J’étais encore étudiant quand je l’ai inventé. Je pense que mon inconscient a essayé de définir un concept qui pourrait expliquer mon intérêt pour le mélange de genres, mais aussi ma capacité à fusionner conceptuellement les idées, les esthétiques et les formes au sein d’un seul media unique qui me serait propre. Évidemment, on peut y voir une forme s’approchant du genre de l’appropriation, mais cela ne représente en fait qu’une petite partie de mon travail.

• Vous explorez aussi bien l’art contemporain, que le design ou la mode et même le marketing. Avez-vous malgré tout un médium de prédilection ? Non, car c’est la jonction de tout ces mediums qui définit l’essence de mon travail. Plus j’hybride ces genres, et plus ma pratique artistique devient unique et personnelle. Ceci dit, c’est tout de même à l’art conceptuel que je suis le plus attaché, ainsi que l’humour et l’intelligence intemporelle de mouvements comme FLUXUS, ou DADA.

• Quelle importance accordez-vous au bricolage ? Pas plus d’importance qu’à autre chose. Je travaille souvent avec mes mains, lorsque s’impose à moi la décision d’obtenir un résultat visuel avec un langage simple et artisanal. A contrario, je suis tout à fait capable de faire intervenir n’importe quel corps de métier si je recherche un résultat parfait et lisse. Chaque problématique induit une réponse précise et adaptée. En ce sens, je pense que mon style, à proprement parler, est par essence indéfinissable.

• Vous travaillez souvent à l’aide d’images que vous trouvez. Quels sont vos critères de sélection ? Je choisis des images selon des critères d’originalité, d’étrangeté. Il faut qu’elles génèrent de la surprise. Bien sûr, j’accorde beaucoup d’importance à la composition visuelle, spatiale, et les références culturelles, sociales, ou idéologiques qu’expriment de façon sousjacente ou directe ces images.

• Est-ce que ce travail de récupération d’images est plus un travail de collectionneur, d’archiviste ou de sampleur ? Les trois à la fois. Je recherche et je collectionne pour le simple plaisir et car je suis curieux par essence. Je fais ensuite appel à des éléments que je trouve propices à illustrer et sur lesquels référencer mes idées créatives, mes problématiques.

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« Je considère

qu’une bonne oeuvre d’art n’est réussie que si le spectateur se forge lui-même ses propres pistes de lecture et donc son commentaire personnel

»

• Pourquoi tramez-vous si souvent l’imagerie liée au luxe à des formes plus prolétaires (logo Mc Donald transformé en une installation reprenant le logo de Chanel, etc) ? J’aime mettre en contradiction et/ou rapprocher des genres et codes visuels prétendument inassimilables... C’est ma façon de faire du «populisme culturel» (rire). J’essaye cependant de ne jamais introduire un commentaire précis, car je considère qu’une bonne oeuvre d’art n’est réussie que si le spectateur se forge lui-même ses propres pistes de lecture et donc son commentaire personnel.

• Peut-on être encore subversif avec ce genre d’associations, de nos jours ? Oui et non. L’art et la mode c’est un sujet un peu ringard... De mon côté, j’essaie de ne jamais faire de mon travail un commentaire seulement anti-establishment, ou d’en faire quelque chose de revendicatif. Ce qui m’intéresse beaucoup plus, une fois encore, c’est lorsqu’une pièce a plusieurs niveaux de lecture possibles ; c’est la discussion que je crée entre les ingrédients idéologiques et sculpturaux au sein mon travail qui définit l’essence même de mon medium artistique.

• Pouvez-vous me parler de l’oeuvre qui sera exposée en décembre à Monaco ? Il s’agit des numéros 3 et 4 de mes essais sculpturaux allant à la rencontre avec la production de mode, le rééchantillonage et la «re-fabrication». Les visiteurs pourront donc admirer deux kimonos dorés et argentés, créés à partir de faux sacs Louis Vuitton (cette collection a été faite en collaboration avec Richard Prince). Ils sont décomposés et recomposés avec du plastique iridescent fondu et des couvertures de survie. Ces pièces ont été créées comme des artefacts, des images d’une archéologie du futur. Elles étaient destinées au pop-up bar de la galerie de «032 magazine» à Berlin en 2009. Ces pièces ont ensuite voyagé et été montrées à Kyoto, au Japon, avant de se diriger maintenant vers Monaco.

• Vous travaillez souvent en collaborant avec des créateurs et structures venant de tous les horizons : AA Bronson, Colette, Tobias Wong... Comment se déroulent ces collaborations ? Comment parvenez-vous à vous adapter au regard et aux méthodes de travail de quelqu’un d’autre ? Vous touchez là à un point intéressant. Je pense que l’essence même de mon travail se situe dans ce processus de rencontre, de discussion, d’échange et de collaboration. Cela me permet aussi de pousser mon travail dans ses retranchements de façon à le redéfinir constamment, le mener aux confins de genres créatifs et culturels que je n’ai pas encore explorés.

• En mars 2011, vous avez dessiné les décors d’une pièce de théâtre du réalisateur Bruce LaBruce. Comment avez-vous abordé cette nouvelle activité et cette collaboration ? Bruce et moi sommes amis et collaborateurs de longue date. La direction artistique de cet opéra représente notre projet le plus abouti à ce jour. Il a demandé plusieurs mois de conception et recherche, avant de finir par un séjour de 2 mois à Berlin. Nous y avons dirigé une équipe complète pour la réalisation et la construction de cette pièce. C’est certainement mon projet le plus spectaculaire !

• Justement, quels sont vos projets ? Je finalise mon nouveau site web qui devrait être assez novateur et articuler de façon claire et lisible mon interaction au cours de ces six dernières années avec tout les genres créatifs auxquels je me suis essayé : installation, direction créative, stylisme, mode, design intérieur et produit, architecture, développement conceptuel, sculpture industrielle, vidéo, performances, lectures, marketing, branding, consulting etc. Ce qui fait beaucoup !


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Texte /

Nicolas Giraud • Photos / © Ludovic Combe / Courtesy Super Window Project

IDA TURSIC & WILFRIED MILLE + D’APRÈS PHOTOGRAPHIE +

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da Tursic et Wilfried Mille construisent, à quatre mains, une œuvre picturale qui confronte la peinture au règne de l’image. Les deux artistes travaillent clichés, jpeg ou pages de magazines, non seulement comme sources, mais comme matières premières. Ils ne peignent pas ce que représentent les images, mais les images elles-mêmes. Leurs œuvres où se superposent le motif, la peinture et les signes qu’ils charrient, laissent affleurer une stratification où l’histoire de l’art est reprise par les médias avant d’être à nouveau réinvestie par les artistes. Les vernis, glacis, collages, effets de flous ou de 3D tiennent le regardeur à distance. Ils rappellent que l’on ne regarde qu’une image et questionnent sa définition - son sens comme sa précision. Peintres de la vie moderne, Tursic et Mille suivent notre regard tourné vers l’écran.

« Nos modèles sont des filles de

papier et des images virtuelles, il faut qu’elles prétendent à quelque chose qu’elles ne sont pas encore

»

• Vous travaillez à deux, est-ce un choix ou une décision qui s’est imposée d’elle-même ? Les choses se sont faites naturellement.

• Comment est-ce que cela influence votre pratique ? Avez-vous une division particulière du travail ? Est-ce que vous réalisez parfois des pièces en solo ? Cela nous a permis d’avoir une double ouverture

font partie ; s’il s’agit des pages arrachées, la «strate» ou la distance sera réduite au minimum, c’est-à-dire une image arrachée peinte sur le fond de la toile. S’il s’agit de nos peintures argentées, l’image fait au contraire un mouvement en arrière, elle occupe tout le tableau mais est recouverte d’une épaisse couche d’argent translucide ; ici la strate est physique et le sujet fantomatique.

d’esprit, mais aussi d’enrichir notre palette technique, donc de nous éloigner d’un rapport monomaniaque à la peinture.

• Il y a dans vos pièces des références récurrentes

• Vos pièces sont souvent constituées de plusieurs strates. Comment préparez-vous ces compositions ? Montages, collages, compositions numériques ? La stratification fait partie de la nature même

tiques de notre temps, le pop et le porno chic (ou pas) ne nous intéressant pas plus que cela. Nos modèles sont des filles de papier et des images virtuelles, il faut qu’elles prétendent à quelque chose qu’elles ne sont pas encore. Notre choix est peut être affectif...

de la peinture, puisqu’elle est le résultat de couches successives. Plusieurs strates de lecture sont aussi possibles entre la littéralité du tableau et le signifiant de la représentation, que l’on ait recours à un ou plusieurs modèles. Cela dépend aussi des séries dont nos oeuvres

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à la pop culture, au porno chic. Est-ce que c’est un matériau visuel ou une manière d’aborder le présent ? Ce sont simplement des images embléma-

• En regard de la culture de masse, vos œuvres font signe vers les travaux d’artistes comme Christopher Wool ou Ed Ruscha. Est-ce que ce

sont pour vous des références ou est-ce que ce sont également des matériaux ? Je crois que les peintres sont toujours des références et des matériaux pour les autres peintres et en l’occurrence nous aimons beaucoup ces deux-là.

• Comment ces deux champs - pop culture et peinture contemporaine - s’interpénètrent ? Estce que finalement, si l’on pense par exemple à Koons, ces deux domaines ne sont pas déjà liés plus profondément que l’on ne le pense ? Sous cet angle là, on peut considérer Lucas Cranach ou Jérôme Bosch comme des peintres pop. • En revoyant certaines de vos pièces, notamment

les toiles d’incendies je repensais à Glamorama et cette alliance entre le glamour et la destruction. Est-ce que le glam mène forcément à la mort ?

phique. Quel rôle a-t-il dans votre travail ? Est-ce une source d’inspiration ? Une extension de votre atelier ? Les deux : le travail d’atelier se nourrit de lui même :) • Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la pièce que vous présentez au sein de l’exposition Chezlegrandbag à la galerie Art & Rapy (Monaco) ? La mise au carreau des cercles imparfaits est une composition géométrique réalisée à main levée. C’est un papier peint créé pour Wallpapersbyartists.com. Nous avons créé un tampon à partir de la forme produite par l’assemblage de quatre cercles concentrés dans un carré... Cette forme sans nom est ainsi répétée sur du papier, donnant naissance a des cercles imparfaits en réserve blanche.

Nous ne savons pas ce qui n’y mène pas.

• Est-elle pour vous une œuvre abstraite ? Est-ce que, plus largement, l’abstraction est pour vous un enjeu ? C’est tout à fait figuratif, on distingue très

• Vous montrez sur votre site un diary photogra-

bien des cercles imparfaits.


ART

Vintage 3D III • 2008, Huile sur toile, 250 x 200 cm • Collection privée

ID A TU R S IC & W ILFR IE D MILLE - 21


GALERIE

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photo / © EKTA

NEXUS + ACCOMPAGNER LES ARTISTES +

N

exus est un nouveau lieu d’expression artistique ouvert depuis un peu plus d’un an dans une cité populaire en périphérie du centre-ville de Reims. Ce lieu de médiation est le successeur d’un projet plus ancien destiné à soutenir la jeune création contemporaine. Il est dirigé par Céline Picaud, jeune trentenaire, diplômée, d’une part, en philosophie spécialisée en esthétique et, d’autre part, en administration culturelle et développement local, ex-présidente fondatrice de NEXUS et désormais chargée de développement du lieu.

« Faire en sorte que l’artiste

ne soit plus perçu comme un marginal qui aurait un hobby • Comment et quand est né Nexus ? Est-ce la continuité d’Appartement 16 galerie ? C’est en effet la continuité d’Appartement 16, qui est la première galerie que nous avons ouverte à Reims. Appartement 16 galerie est un projet qui s’est arrêté aussi vite qu’il est né, après une unique exposition qui a accueilli environ 500 visiteurs en un mois, dont 200 personnes au vernissage. Très vite nous nous sommes rendus compte que nous n’étions, hélas, pas du tout sur la même longueur d’ondes que les propriétaires du commerce qui, à l’époque, nous mettaient gracieusement le lieu à disposition. Après avoir pendant presque deux ans développé ses événements en mode nomade, notamment à la Cartonnerie et au Centre culturel Saint-Exupéry, l’association s’est installée, en septembre 2009, dans un local commercial du quartier du Chemin Vert, toujours à Reims. Ce nouvel espace a ouvert ses portes au public en septembre 2010, après un an de finalisation du projet. Avec ce nouveau lieu il nous est alors paru évident de changer le nom de l’association en Nexus.

• Quelle est son équipe ? L’équipe de Nexus est plutôt restreinte et varie en fonction des projets. Nous collaborons très fréquemment avec des créateurs comme GMTW, Antonin Leclere, SM Chocolate & Pastry, TTDMRT et plusieurs bénévoles. Pour des projets plus ponctuels nous travaillons avec diverses associations. Nous sommes d’ailleurs en recherche constante de personnes motivées pour s’investir dans le projet, afin de renouveler les envies et les motivations. • Quelle est l’originalité de votre lieu ? Le lieu est installé dans une petite maison de cité jardin, sur deux niveaux d’exposition (cave et rez-de-chausée). L’étage comporte une partie habitation et fournit des conditions d’accueil assez confortables aux artistes en résidence. Nous nous y occupons essentiellement à soutenir les jeunes créateurs, de la production jusqu’à la diffusion, et militons pour qu’ils puissent travailler dans des conditions professionnelles, avec paiement d’honoraires et conditions professionnelles d’accro-

22 - N E X U S

chage. Nous pouvons soit leur communiquer des informations de base sur le métier d’artiste, soit relire un dossier ou revoir un budget, soit encore produire leurs expositions en nos murs. La dernière exposition que nous avons menée avec GMTW est pour nous exemplaire à ce titre : nous lui avons proposé notre espace avec carte blanche et budget de production, l’aide de notre équipe de bénévoles et de notre régisseur, la prise en charge de la communication, la réalisation d’une micro-édition avec rédaction de textes critiques, et à la fin de l’exposition le règlement des droits de monstration. L’accompagnement de Nexus se poursuit après l’exploitation de cette exposition avec l’édition d’un catalogue pour lequel nous nous occupons du montage financier. Cet ouvrage servira d’outil pour permettre à l’artiste de diffuser son oeuvre en démarchant d’autres espaces d’exposition en France et à l’étranger. Nexus c’est le lien, la connexion en latin, et c’est le cœur, la raison d’être du projet : nous cherchons à mettre en lien, en connexion les artistes avec le public, les institutions, les collectivités, les structures de diffusion, les autres artistes et essayer de créer de l’émulation entre tous. Ma vision, à titre plus personnel, est politique, au sens premier du terme : Je souhaite faire que mon temps et mon activité professionnelle au sein de la société soient dédiés à l’art, à la fois pour les artistes et pour le public. Je souhaite par conséquent replacer l’artiste au cœur de la vie de la cité en proposant une rencontre entre l’art, le public et le créatif, en lui offrant des conditions dignes d’exercice en tant que professionnel dont le travail doit être justement rémunéré et faire en sorte que l’artiste ne soit plus perçu comme un marginal qui aurait un hobby sur lequel il faudrait porter un regard de manière ponctuelle.

• Quels types de créations souhaitez vous mettre en avant, avec Nexus ? Nous avons décidé de mettre en avant la création graphique contemporaine. Pour autant, plus le temps passe plus nous aimerions exposer de la photographie, car nous constatons qu’on ne voit plus d’expositions photo et c’est dommage ! En ce qui

concerne le rapport à l’œuvre, nous pouvons être dans des choses très pointues qui nécessitent une médiation ou un accompagnement comme dans des choses beaucoup plus « relâchées » plus simple d’accès.

• Combien d’artistes avez-vous accueilli à Nexus depuis son ouverture ? Dans l’ordre, nous avons exposé le collectif Mercurocrom (5 artistes), Ephameron (artiste belge), Emilie Vast, GMTW, EKTA (artiste suédois).

• Pour toi, quel est l’impact que peut avoir un projet comme Nexus en matière de développement du paysage culturel local ? Quand nous avons démarré le projet, il y a presque 5 ans, c’était pour ma part une suite à mon mémoire de fin d’études qui portait sur la question du soutien à la jeune création en arts plastiques sur l’agglomération rémoise. A l’époque de ma soutenance l’on m’avait dit : « ce n’est pas un mémoire, c’est un pamphlet », mais pour être franc il n’y avait quasiment rien à Reims pour la jeune création hormis le Centre Culturel Saint-Exupéry. Il n’y avait pas de bourses, pas de politiques d’ateliers, pas de salles d’exposition, pas de structures d’accompagnement. Clairement, j’ai souhaité, par le biais de l’association, répondre à un manque et, si ce n’est exercer une pression, du moins émettre un cri d’alerte vers les pouvoirs publics et les institutions. La première exposition de notre association s’intitulait What We Are Doing… afin de mettre clairement un coup de pied dans la fourmilière. Elle n’était constituée que d’artistes vivant sur le territoire rémois et ayant exposé ailleurs, mais jamais dans leur propre région. Ceci permettait à la fois de dire : « voilà ce que nous faisons, nous artistes, ici et en ce moment » et de poser la question « que faisons nous, nous structures, collectivités, public, de ces artistes » ? Nous avons créé notre association car nous pensions que c’était pertinent de le faire. Ce qui se passe autour de nous prouve que nous avions totalement raison. Désormais, il existe une bourse d’aide à la création délivrée par la ville de Reims, il y a la pépinières de jeunes entre-

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prises pour les étudiants de l’ESAD (j’espère d’ailleurs qu’elle s’ouvrira à des projets hors ESAD), il y a Maison Vide, Nexus et très dernièrement de nouvelles structures de production qui émergent. Alors en tenant compte de ce paysage culturel rémois actuel, nous avons décidé de travailler en complémentarité avec tous et ouvrir un peu nos murs à différentes propositions pour accompagner ces structures de productions et d’exposer des travaux d’étudiants de l’ESAD. La friche culturelle qui se met actuellement en place ne pourra pas accueillir pleinement le public pour diffuser l’aboutissement de ses résidences. Sur certains de ces projets, Nexus pourrait certainement jouer un rôle. Enfin autour du quartier et des nombreux groupes scolaires avoisinants nous sommes en train de construire des propositions artistiques.

• Est-ce donc un choix de vous être installés dans un quartier populaire et distant du centre ville ? Non. L’espace est idéal pour notre projet, mais sa localisation l’est beaucoup moins ! Nous sommes à 15 mn en bus ou en vélo du centre-ville, mais le public se déplace très peu. Il vient en masse pour le vernissage de l’exposition qui reste un événement dans l’esprit des gens, toutefois la suite de l’exploitation de l’exposition se déroule plus difficilement. C’est pour cette raison que nous avons décidé de travailler sur rendez-vous pour organiser des visites de groupes, notamment scolaires.

• Quel est ton regard aujourd’hui sur le paysage artistique rémois ? Du point de vue de l’art contemporain et des artistes vivant sur le territoire, je pense qu’il y a un noyau d’artistes professionnels pour lesquels j’aimerais juste entendre un peu plus qu’ils n’exposent pas uniquement à Reims, à l’instar de ce qui se passe dans la musique. Je constate qu’on ne parle pas assez de ce que ces artistes talentueux sont amenés à faire à l’étranger, comme par exemple Emilie Vast qui travaille régulièrement en Espagne et en Suisse, Ismaël Kachtihi del Moral qui vient de clore une très belle exposition dans une galerie très réputée de Valencia et


GA LE R IE

EKTA

+ Exposition jusqu’au 29 janvier 2012 + Nexus - Galerie, Art shop, Bar • 2 allée des Monts de Champagne - Reims • 03 51 01 52 28 Ouverture : samedi et dimanche de 14h à 19h et sur rendez-vous.

GMTW qui revient d’une résidence en Roumanie. La communication pour ces artistes intervenant dans l’art contemporain est beaucoup moins forte que pour les artistes exerçant dans le domaine de la musique. L’économie et les moyens ne sont pas les mêmes, et pourtant c’est là, ça existe et ça n’est pas moins important !

avons entamé depuis la rentrée culturelle 2011 un début de collaboration avec des entreprises mécènes. Les choses sont en train de se mettre en place doucement et, nous l’espérons, sûrement!

• Quels sont les rapports de Nexus avec les institutions intervenant dans l’art contemporain : FRAC, ESAD…? Ces rapports sont plutôt bons. Les

rôle d’accompagnateur dans ce projet dont le concept émane entièrement de GMTW qui est venu nous trouver afin que nous l’aidions à monter ce projet administrativement et d’un point de vue partenarial. D’édition en édition, Nexus a joué un rôle grandissant de coordination entre les partenaires et d’accueil d’un artiste international du monde du graphisme contemporain, invité chaque année à exposer une oeuvre dans la rue : un MUPI senior (340 X 220) au centre ville et une monographie à l’espace Nexus.

Amis du FRAC viennent régulièrement visiter les expositions de la galerie, les étudiants de l’ESAD participent à Dixplay, il est également question de mener des expositions en co-productions avec l’ESAD.

• Collaborez-vous avec les mécènes qui développent des actions liées à l’art contemporain, comme le Champagne Vranken-Pommery ? Nous

• Peux-tu nous parler du rôle de Nexus dans le concours de graphisme Dixplay ? Nexus endosse un

• Peux-tu nous parler des événements actuels et des projets à venir de Nexus in situ ou hors ses murs ? Actuellement, dans le cadre de Dixplay #3, Nexus reçoit EKTA, un artiste suédois illustrateur et peintre pour sa première exposition en France, alors qu’il a déjà exposé à Londres, à Berlin et à Milan notamment. Cette exposition sera certainement prolongée par un échange en Suède, puisqu’EKTA y tient également une structure de production et de diffusion avec un collectif d’artistes. Nous comptons par ailleurs mettre en place toute une série d’ateliers autour de la sérigraphie, en partenariat avec le Centre Culturel Saint-Exupéry entre les mois de février et d’avril, avec en parallèle une exposition de sérigraphies à la galerie. Ensuite, autour du mois de mai ou juin (à une date qui reste à définir si nous obtenons l’ultime accord de la Ville de Reims), nous allons organiser un événement populaire au Parc de la Patte d’Oie qui se veut

la prolongation de l’extra #1 réalisé en 2009. C’est un événement qui sera une réflexion autour de la question de l’occupation des espaces verts, proposer un week-end aux rémois qui pourront venir pique-niquer, siester dans des hamacs, pratiquer le street golf ou le badmington et le soir danser autour du Kiosque sur une programmation de musiques électroniques.

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Texte /

Nicolas Giraud • Photos / © Pierre La Police

PIERRE LA POLICE + TOUT EST NORMAL (PRESQUE) +

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ierre la Police, tel un Thomas Pynchon, dessine secrètement un monde au bord de l’effondrement. Comme l’humour anglais ou la secte du temple solaire, son travail restera à jamais hermétique pour certains tandis qu’il est pour d’autres une source sans fin de plaisir. S’il a beaucoup dévoyé la bande dessinée, Pierre la police a également maltraité l’illustration et l’animation. Depuis peu il est accueilli par le monde de l’art contemporain, sans doute un peu par facilité, un peu parce qu’il ne rentre dans aucune autre case. Même parmi ceux qui font profession d’originalité, Pierre la Police garde sa puissance de sidération intacte, peut-être parce que son rire ne s’appuie pas sur une recherche d’effet, mais naît d’une angoisse profonde, celle de notre propre normalité.

• L’humour de Pierre La Police est singulier, sorte de collage ou de cut up. On pourrait parler de non-sense, mais il me semble y entrevoir quelque chose de froid (je trouve dans mes notes les termes fusion à froid et pression à froid). On raconte que la formule de cet humour est déposée avec celle du Coca-Cola. Pouvez-vous, sans trahir son secret nous en donner votre définition ? Il peut m’arriver d’éclater de rire en regardant un meuble ou un paquet de chips. On a tous besoin d’être stimulés et parfois les ressorts comiques trop usés ne fonctionnent plus, on devient gourmands de nouvelles connexions. Je me fais rire tout seul en pensant à des agglutinations de mots, d’idées et d’images. Parfois je découvre des choses que je m’efforce de faire partager à travers mon travail, même si l’humour n’est pas le principal moteur de ce dernier. Avec le recul, je prends conscience de l’arsenal de filtres et de procédés linguistiques et formels qui opèrent mais il reste autre chose qui m’échappe et que je me garde de trop analyser ou expliquer. Je préfère garder un pied dans la pénombre.

• Votre dessin, comme votre langage, est un mélange de raccourcis et d’approximations que l’on sent précisément calculés. Est-ce que vous doutez de la possibilité d’exprimer le réel ? J’ai besoin de mettre une sorte de distance entre ma perception du monde et la forme que je choisis de lui donner. Chaque mot est pesé pour offrir une résonance particulière. Mon sujet n’est pas tant le réel que les multiples représentations que nous nous en faisons. C’est dans cet ordre d’idées que je me plais à refléter certains aspects du langage, comme passés à travers des filtres déformants.

• La science-fiction, dans ses variantes de B à Z, est un élément récurrent dans vos travaux. Est-ce parce qu’on y retrouve un même art du mash-up absurde (après tout c’est le même principe qui permet de faire Godzilla contre Hercule et Lionel Jospin fait du rap) ? Est-ce parce que vous partagez une même idée du monde au bord de l’effondrement, comme si nous pouvions tous fondre comme autant de statues de margarine à nos propres effigies, si vous me permettez ce médiocre pastiche ? Comme dans l’exercice du dessin, le domaine de la science-fiction est libéré du poids de la réalité tout en offrant un regard pertinent sur celleci. Le monde d’aujourd’hui me fait penser à certains

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« Je pense que

dans les prochains mois nous retournerons à l’âge de pierre, les magasins La Halle aux Chaussures seront pillés, la ville d’Aix Les Bains sera rayée de la surface du globe ...

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romans d’anticipation que je lisais dans ma jeunesse et qui me semblaient alors complètement invraisemblables. C’est un peu comme si cet espace des mondes rêvés, des utopies et des catastrophes s’était fondu dans notre réalité. Nous vivons dans la science-fiction. Je ne serai pas étonné de lire dans le journal de demain qu’un Yannick Noah de 60 mètres de haut serait sorti de l’Océan et détruirait tout sur son passage.

• Pensez-vous que la crise économique n’est que l’un des nombreux signes de la fin du monde ? Vous demandez cela à un catastrophiste. Je pense que dans les prochains mois nous retournerons à l’âge de pierre, les magasins La Halle aux Chaussures seront pillés, la ville d’Aix Les Bains sera rayée de la surface du globe, des milliers de personnes prises au hasard seront défenestrées et la télévision ne diffusera plus que des scènes de tortures entrecoupées de publicités pour des produits anti-acariens.

• Vos œuvres dissimulent-elles un message caché ? Et si oui à l’intention de qui ? Mon oeuvre dissimule un message caché, peut-être à mon intention. Quand je l’aurai déchiffré je vous le dirai.

• Cela a-t-il un lien avec votre enfance sur laquelle circulent de nombreuses rumeurs ? Si vous faites allusion à cette rumeur qui dit que je suis né dans un hôpital, c’est complètement faux.

• L’identité de Pierre La Police est un secret farouchement gardé. Cette question contamine en partie votre travail où l’on retrouve souvent des personnages vagues, flous, parfois dépourvus de visage. Est-ce que cet anonymat serait au final une extension de votre travail ? Et a-t-on déjà essayé de se faire passer pour vous ? Je souhaite m’effacer derrière mon travail. Il y a bien assez de têtes partout sans qu’on y ajoute la mienne. Certains de mes personnages ont un visage dont les contours sont mal définis, partiellement flous ou obscurcis. C’est un peu comme une page blanche laissée à l’imagination du lecteur qui peut ainsi y voir sa propre part d’ombre. Un peu comme ces photographes qui proposent un décor peint avec un trou dans lequel on vient insérer sa tête pour se faire tirer le portrait. Lorsqu’il m’arrive de faire de la bande dessinée, j’aime faire évoluer le visage de certains de mes personnages au fil du récit. Parfois ils subissent des opérations de chirurgie plastique et de-


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Extrait de l’iBook Les praticiens de l’Infernal (pour iPhone et iPad)

viennent méconnaissables, parfois ils se transforment imperceptiblement sans aucune explication, parfois ils se cachent ou font des grimaces, parfois on croit les voir mais il s’agit en fait de quelqu’un d’autre. Je pars de l’idée que l’on puisse devenir quelqu’un d’autre, fuir la lourdeur inhérente à la personnalité qui creuse son sillon au fil du temps, échapper à soi-même pour élargir sa connaissance de la nature humaine. Parfois l’habit peut suffire à faire le moine. Il est arrivé que des gens essayent de se faire passer pour moi. Je n’y trouve rien à redire si l’on considère le fait que je me fasse également passer pour des gens.

• On vous décrit parfois comme une personne normale et en général cette question de la normalité semble hanter votre travail, plus encore que celle du monstrueux. Peut-on avancer que la normalité, ou la sur-normalité, est un sujet de votre travail, à la fois une source de drôlerie et de peur ? Étant d’une nature anticonformiste, j’ai toujours voulu être perçu comme quelqu’un de normal et gommer tout ce qui pouvait trahir un décalage. D’où la recherche d’une surface lisse. Il s’agit d’une normalité cultivée comme une forme de snobisme, un luxe excentrique mais invisible, un panache terne. Cet aspect, forcément, transparaît dans mon travail à travers l’exagération des formes qui s’étend de la monstruosité à la sur-normalité, les deux attitudes se situant presque au même endroit. Cela va jusqu’à contaminer ma prose, par exemple à travers l’accumulation systématique de formules toutes faites, formatées à l’extrême et empruntées au langage des médias, on arrive à une banalité de l’énoncé qui, vampirisé de tout sens, confine au monstrueux.

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• Cette question de la normalité me rappelle le

site désormais mythique que vous aviez réalisé autour du langage de l’entreprise. On accédait aux pages en cliquant sur les dents d’un personnages qui semblait sortir d’une nouvelle de Philip K. Dick (l’homme dont les dents étaient toutes exactement semblables), ce projet a-t-il débouché sur d’autres expériences semblables ? C’était il y a presque une vingtaine d’années, j’avais créé ce site au début de l’Internet grand public. À l’époque, il m’avait fallu apprendre le langage de programmation HTML. Plutôt que de faire un site qui serait une simple vitrine de mon travail, j’ai opté pour une création numérique sur le thème du monde de l’entreprise et de son jargon. Je me suis beaucoup amusé avec ça et le site a atteint un taux de fréquentation record. Tous les jours je recevais des mails de patrons de grandes boîtes qui y voyaient un miroir déformant et récréatif de leur domaine d’activité. Dans la même veine de création numérique, mais avec une forme complètement différente, j’ai sorti il y a bientôt un an, la première bande dessinée spécialement conçue pour iPhone et iPad, disponible sur l’iBookstore. Ce n’est pas tant par amour de la technologie que je me suis lancé dans ce projet mais d’avantage par goût de l’aventure éditoriale. J’ai eu envie de retrouver ce que je faisais lorsque j’auto éditais mes recueils de dessins et que je les distribuais dans quelques librairies parisiennes. L’édition numérique permet le contact direct avec le lecteur, une totale liberté d’action, le fait de pouvoir s’adresser au monde avec peu de moyens et de façon très légère. Ce sont des aspects qui me séduisent particulièrement.

• Cet aspect éphémère du site se retrouve dans vos travaux souvent édité en journaux ou magazine (certains édité «en dur» chez Cornelius). Très tôt vos travaux ont été réalisés sur ordinateur. Du coup, même si vous êtes dorénavant représenté par une galerie d’art, peut-on dire qu’il n’y a pas d’original des œuvres de Pierre la Police, que vos œuvres sont d’abord des données ou des fichiers ? Beaucoup de mes dessins n’existent pas en original sous leur forme finale. Cependant, je reste attaché à la noblesse des matériaux, le papier, l’encre ou la gouache. Pour cette raison je n’ai jamais voulu travailler à l’aide d’une tablette graphique. Si parfois mes dessins sont enrichis sur ordinateur, le trait est toujours réalisé en premier lieu sur papier. Dans le même ordre d’idées, je travaille depuis plusieurs années à l’atelier de lithographie Item à Paris où nous réalisons des estampes. La qualité des papiers, des pigments employés et du savoirfaire des gens qui y officient confère aux impressions une vibration particulière qui en fait des objets presque vivants. Un exemple plus évident d’œuvre sans original reste le travail de vidéo. Le dernier film remonte à 2009 et sera montré au Centre Pompidou en 2012. Nous parlions de science-fiction, celui-ci s’en inspire.

• Avec le recul, est-ce que votre séjour au Japon a modifié votre travail ou votre vision du monde ? Est-il vrai que vous faites là-bas l’objet d’un culte ? Sans aller jusqu’à en faire l’objet d’un culte, le public japonais semble très réceptif à mon travail, bien que celui-ci soit peu diffusé et pas traduit. Ce sont des gens qui ont grandi dans un environnement graphique surabondant. Ils savent lire et comprendre un dessin au premier coup d’oeil, leur éducation est déjà faite. Cela permet de gagner du temps. Mes séjours au Japon m’ont apporté une inspiration dont je n’aurais jamais fini de faire le tour. Pour autant, je suis resté sur la même trajectoire. Cela témoigne d’un certain état de la réalité. Il y a plus de vingt ans, le pays de référence pour la jeunesse du monde entier était l’Amérique. Aujourd’hui c’est surtout le Japon. La présence, dans l’imaginaire japonais, de l’idée de catastrophe et de destruction imminente est quelque chose que nous partageons tous aujourd’hui. C’est un domaine qui infuse désormais dans l’imaginaire mondial.

• Sur un autre versant, est-ce que vous collectionnez des objets, des dessins ? Qu’y-a-t-il accroché à vos murs ? Je ne suis pas collectionneur mais j’aime m’entourer de choses que j’aime. Sur mes murs j’ai quelques dessins et photos de Julien Carreyn, d’Antoine Marquis, quelques repros d’Ernst Heckel, un prospectus pour la Foir’ Fouille de Béziers…

www.pierrelapolice.com


Texte /

A R C H ITE C TU R E

Alexis Jama-Bieri • Photo / © DR

AWO + ARCHITECTES AU XXIÈME SIÈCLE +

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n 1852, Eugène Delacroix disait que « L’architecture ne prend rien dans la nature directement, comme la sculpture ou la peinture; en cela elle se rapproche de la musique. ». Envisagée comme un art au cœur de la société, elle se compose en expression et en miroir d’une cité à l’échelle d’un territoire de traditions et d’histoire. Lors des 1ères rencontres d’architectes de Monaco, le 21 janvier 2011, les professionnels de l’architecture participant, dont Marc Barani, Cesare Maria Casita, Joseph Di Pasquale, Jacques Ferrier, Manuelle Gautrand, Francis Sauler, Rudy Ricciotti, Jean-Paul Viguier, ont répondu à l’évolution des conditions d’exercice de leur créativité par une déclaration commune qui rappelle que : « Le monde de la construction a toujours joué un rôle à part dans les sociétés. Par sa qualité structurante, la construction…est fondement et expression d’une société. … Aujourd’hui, le bâtiment garde sa spécificité structurante d’une société, mais…la complexification des modèles et la mondialisation de l’économie, bousculent les habitudes. Plutôt que de réinventer les approches (re-projeter), la société se rassure (et donc s’assure) : elle édite normes, règlements, et certifications, et tente par là d’éviter le risque. Sauf que ces contraintes ont plus tendance à figer qu’à accompagner. » Le réalisme aurait-il alors occulté le rêve et l’utopie artistique d’une cité idéale ? Pour la jeune architecture du XXIème siècle, il n’est pas impossible de concilier l’idéalisme avec les besoins d’usage d’un monde tourné vers le développement durable, condition de sa survivance future, en transformant les contraintes en vecteurs d’inventivité. Les jeunes architectes rémois d’AWO, frère et sœur de 27 et 33 ans issus de l’école d’architecture de Nancy sont de ces créatifs de nouvelle génération. Une génération réaliste dans ses utopies.

• Comment est né votre cabinet d’architecture ? Depuis très jeunes, nous avons été baignés dans le bâtiment, puisque notre père a fondé son bureau d’étude (Projet-Bat) en 1991. Dès la sortie de l’école nous avons par conséquent intégré ce bureau d’études familial. Celui-ci nous a permis d’apprendre notre métier de maître d’œuvre. Cependant nous ne pouvions pas prétendre à exercer le coté créatif de notre métier et nous avons donc cherché à nous développer dans ce sens. Après avoir décroché deux dossiers passionnants dont The West, nous avons décidé, le 31 mars 2010, de créer AWO (Architecture Whispers and Oasis) afin de pouvoir contractualiser ! L’idée de ce nom nous est venue en écoutant la performance de Hall Ronaldo, Glenn Hall et William Hooker, lorsque nous rédigions les statuts.

• Vous êtes donc actuellement maître d’œuvre pour la réalisation de The West, un bâtiment à destination commerciale situé à Les-Clayessous-bois, dans les Yvelines. Comment avez-vous abordé ce projet et quelles en sont sa philosophie et ses caractéristiques ? Dans un premier temps, lorsque Messieurs Catteau nous ont sélectionnés pour le concours, en vertu des délais très courts (4 semaines) pour le réaliser, nous n’avons pas eu réellement le temps de prendre conscience de l’ampleur du dossier qui représente tout de même un investissement total de 100 millions d’euros ! Nous nous sommes déjà concentrés sur l’optimisation du foncier, une parcelle de 22 000 m2 où il faut construire 70 000 m2 de plancher. D’office le projet est résolument Urbain. Ce centre, par son programme, n’annonce pas un aggravement de l’étalement urbain (deux niveaux de parking en sous sol et deux niveaux de centre). Ainsi, au niveau urbain, les enjeux sont de requalifier l’entrée de ville aujourd’hui très angoissante et de réussir à établir une connexion, au moyen d’espaces publics, avec les zones

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de commerce, comme un lieu de vie et d’épanouissement urbain ? La mixité s’avère réglementai-

renouvellement urbain est naturel, il fait partie du cycle de vie de la ville de vie en liaison directe avec le site. Il est important que ce centre, destiné par son activité à des clients situés à plusieurs kilomètres à la ronde, puisse également devenir un espace sociabilisant aussi bien par ces aménagements que par ses espaces intérieurs. En effet, « c’est en ces lieux (centraux) que la vie et l’animation doivent émaner de la matière. La centralité est liée aux notions d’intensité et de concentration » (Laurent Devisme). Au niveau utilisation, il y a deux difficultés majeures, la première étant de réussir sur une parcelle très longue et étroite à organiser des espaces rythmés et non mono-

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tones. Pour cela le projet a considérablement évolué de version en version, pour réussir au final à intégrer trois patios elliptiques venant s’inscrire dans un jeu de courbes définissant les circulations. Ce choix d’utiliser les courbes nous a permis d’avoir en tous points du centre des espaces différenciés avec des vues qui ne soient pas interminables ni bloquées. On devine toujours de nouveaux espaces à parcourir.

• Est-ce un projet qui prévoit une mixité des usages, un projet envisagé, au-delà de sa fonction

rement limitée sur cette partie de la commune de Les Clayes Sous Bois. Cependant, The West accueillera tout de même des espaces dédiés aux activités de commerce, restaurant, de soin et de culture. Par son attractivité, The West sera évidemment un lieu de vie. Toutefois, malgré ces limites, nous avons pensé, dès la genèse de ce projet, aux notions de cycle de vie. Cette démarche mise à l’échelle du bâtiment, nous a amené à anticiper ce que pourrait être sa reconversion en envisageant qu’un jour le squelette tramé puisse éventuellement s’adapter à une reconversion en logements, ou encore en bureaux…

• Dans le contexte des villes nouvelles, comment l’architecte, au XXIème siècle, peut-il instaurer le dialogue entre cet objet artificiel qu’est le bâtiment, avec un environnement vivant ? Doit-il concevoir la construction comme une réorganisation du réel en un espace intelligent, un peu comme la Renaissance avait créé son monde particulier ? C’est l’un des enjeux fondamentaux de ces villes périphériques : construire une vie urbaine à part entière, dense et diverse, c’est-à-dire centrale. L’enjeu vient alors aussi de la forme urbaine qui doit pouvoir tenir lieu d’identité. Les thèmes de rencontre, de promenade, de flânerie sont alors déclinés… anticipés, et sur ce point, les règles générales ont peu évolué depuis la renaissance. Cependant, nous restons très réservés sur ces notions de la réorganisation du réel qui tendent souvent vers des philosophies intéressantes mais très utopistes, où les expérimentations ont vite démontré les limites de leur faisabilité. Et pourtant, toutes les constructions, villes, espaces existent dans le rêve absolu que la société se les approprie pleinement, qu’ils acquièrent ainsi une véritable identité structurante et

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AR C H I T E C T U R E

deviennent ainsi le foyer d’une centralité si chère aux villes françaises.

• Quel impact pensez-vous que peut avoir une forme architecturale sur la perception de l’espace urbain, et sur les habitudes de consommation des citoyens ? Si l’on considère que « la ville est une projection au sol des rapports sociaux », l’architecture est alors la constante à prendre en compte dans l’évolution du comportement citoyen. Par sa forme, elle contribue à construire ou bien à déliter l’urbanité de certains lieux. Nous essayons, au contraire, de consolider l’urbanité chancelante des contextes dans lesquels s’inscrivent nos projets, car la ville, dans ces paysages allotis, ne peut véritablement devenir un centre attractif qu’à la condition, aujourd’hui, d’absorber et ordonner les flux. Viennent ensuite les notions d’attractivité et de centralité, si chères à notre culture, qui imposent aux projets de construire la rue en la délimitant, et de ce fait de cadrer plus étroitement les perspectives. Nous densifions donc les programmes au maximum et limitons ainsi l’étalement urbain. Ce processus permet d’accentuer l’urbanité en conférant une échelle plus citadine et une orientation au lieu. Il permet par ailleurs de limiter le démantèlement de la ville, car une ville ne peut se réduire à n’être qu’un ensemble de boîtes inertes signalées par des panneaux ! En ce qui concerne la consommation des citoyens, nous ne pensons pas que la forme de la ville conditionne le volume de consommation… Les habitudes sont aujourd’hui largement véhiculées par les médias publicitaires. Le citoyen est malheureusement aujourd’hui parfaitement adapté à la non-urbanité… C’est une sorte d’ordinaire qui pourrait même le rassurer : « Notons en passant que la lenteur de la marche à pied et des autobus devient le luxe des « bobos » qui habitent, travaillent, s’approvisionnent et se divertissent au cœur des villes. » (François Ascher Grand prix de l’urbanisme 2009 [France] )

• Quelle doit être, selon-vous, la place du geste et de l’esthétisme en architecture ? La fonction doit-elle primer sur la forme ? À notre sens, un bâtiment existe et vit uniquement par sa fonction et non au travers du fantasme de quelques chevelus. Il faut considérer la fonction au même titre que les règles

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de construction, les règles d’urbanisme, etc... Au début de chaque projet, il est nécessaire de digérer toutes ces règles. Une fois intégrées le geste architectural devient alors libre et efficace.

• Aujourd’hui, la réflexion en architecture a tendance à se focaliser sur les bâtiments à énergie positive. Or, ces bâtiments n’ont de véritable qualité environnementale qu’isolés. Ne pensezvous pas, pour les univers urbains concentrés (région parisienne, Monaco…) qu’il faille désormais réfléchir à l’échelle d’un territoire à énergie globale positive créant une réelle solidarité performancielle des espaces bâtis ? C’est évident qu’aujourd’hui, il faut penser de la sorte. C’est d’ailleurs ce que CATINVEST a anticipé avec nous, sur le projet de The West. Notre assiette de terrain est située en face de la société informatique Bull, qui possède des serveurs puissants, produisant trop de chaleur. Nous récupérons donc cette chaleur qui est ensuite réutilisée pour les réseaux de chauffage de The West. Nous fonctionnons donc en symbiose ! Cette démarche est en revanche très fastidieuse à mettre en place. Fort heureusement, une grande volonté politique, et l’important travail juridique effectué par CATINVEST vont nous permettre de déboucher sur des accords précis et rigoureux. À plus grande échelle, ce genre de démarche reste encore anecdotique. Mais sans intervention lourde du gouvernement, et une planification territoriale précise sur l’état des activités, des besoins et les co-interactions possibles, cela pourrait ne rester qu’une belle utopie !

• Les qualités environnementales des bâtiments sont labellisées. Toutefois, ces labels n’étant pas soumis à évaluation à postériori ne sont-ils pas plutôt des passe-droits permettant aux aménageurs d’accéder au foncier ou des alibis leur permettant de faire aboutir plus facilement un projet en le faisant bénéficier d’une communication valorisante ? Ce n’est pas faux, mais d’un autre côté, c’est mieux que rien ! Même si la démarche environnementale est réduite au besoin du commerce et de la spéculation, il y a déjà une démarche. Aujourd’hui, c’est loin d’être satisfaisant, nous sommes d’accord, mais notre optimisme nous fait dire que demain la

pratique de qualité environnementale dépassera ces notions de commerce et sera la nouvelle normalité.

• Que répondriez-vous à ceux qui pensent que le HQE engendre des surcoûts en investissements injustifiés et non rentables ? Si l’on considère que pour atteindre les objectifs fixés, il faille recourir à une armada de technologies coûteuses et incertaines, sous prétexte qu’elles sont visibles, alors nous sommes d’accord. Si par contre, on considère que construire durable relève du bon sens tant au niveau de la conception qu’au niveau de l’utilisation, alors le bénéfice pour la maîtrise d’ouvrage et l’environnement peut être total. N’est ce pas ce que nous recherchons tous ?

• Comment intervenez-vous contre l’inertie urbaine ? Pensez-vous que l’optimisation de l’espace passe par une architecture alternative qui investisse les lieux délaissés ? Ne faudrait-il pas, comme à New-York par exemple, permettre des « droits au ciel », certes encadrés, mais désormais nécessaires au développement des villes à forte densité bâtie, en Région Parisienne, à Monaco et ailleurs ? C’est difficile à notre échelle d’intervenir contre l’inertie urbaine, et puis en France c’est assez culturel ! Nous avons tous en tête l’image du centre ville dense, irrégulier, en pierres sculptées… : c’est un patrimoine sociologique! L’inertie par endroit est même le caractère premier de l’attractivité de certaines villes devenues musée. Pour les autres, celles qui ont moins ce fardeau historique à conserver, nous n’avons pas le pouvoir de modifier les réglementations et n’avons aucun rôle politique… Alors c’est à très petite échelle, et au hasard des rencontres avec des maîtres d’ouvrage motivés que nous aussi nous intervenons ! Mais il apparaît évident, qu’il faut avant d’entreprendre une expansion, d’abord investir la « ville en creux ». C’est un travail passionnant et méticuleux de recomposition de la toile urbaine, mais si cette démarche n’est pas appuyée par une volonté politique réelle et forte, alors elle reste marginale et peut même être la genèse de nouveaux cancers pour nos villes déjà fortement métastasées. Le droit au ciel est en effet l’une des solutions possibles pour développer les villes à forte densité. Et puis une telle politique de développement vertical, c’est

le rêve de beaucoup d’architectes…

• Sur quels projets majeurs et innovants avezvous travaillé ? Nous sommes jeunes, notre expérience reste encore limitée, cependant avec José Ignacio Linazasoro comme Architecte mandataire, et Daniel Remy Professeur à l’École d’Architecture de Nancy, nous avons eu l’honneur de pouvoir travailler sur le concours de la Médiathèque Charles Nègre à Grasse, et puis nous avons eu le plaisir de travailler à la conception d’une tour à Abou Dhabi. L’exercice est passionnant !

• Pourquoi ne pas travailler également pour la ville où votre cabinet est installé ? Nous n’avons jamais eu l’occasion de participer aux projets de la Ville de Reims, car les références nous manquent pour l’instant dans le domaine des projets publics, et c’est un cercle vicieux… Nous ne désespérons pourtant pas de pouvoir accéder à ces marchés, et restons certains que la collectivité territoriale finira un jour par faire confiance à ses jeunes architectes et par les soutenir.

• Quels sont, enfin, les projets que vous aimeriez particulièrement réaliser ? Tous les défis sont passionnants à relever ! Si aujourd’hui, nous avons beaucoup de beaux projets privés, répartis sur toute la France, nous entretenons par ailleurs de très bons contacts avec les maisons de champagne et comptons prochainement travailler dans le domaine du luxe.

A.W.O (Architecture Whispers and Oasis) 82 rue du vieux colombier • Reims 03 26 87 08 58


Nouveau à Reims : ouverture d'un lieu d'information et d'actualité culturelle

Informations pratiques :

Place Myron Herrick / aile gauche de l’Opéra Arrêt bus : Rockefeller Arrêt tram : Opéra Ouvert du mardi au samedi de 12h à 19h 03 26 777 776 www.reims.fr


MUSIQUE

Texte /

Nicolas Giraud • Photos / © Nicolas Giraud

GUITAR WOLF + LE ROCK VENU DE L’ESPACE +

J

e me rappelle un millefeuille que j’avais acheté dans une pâtisserie à Tokyo, un millefeuille très bon, qui ressemblait vraiment très précisément à l’idée que l’on pourrait se faire d’un millefeuille, comme si la quantité de crème était mesurée au millimètre, le glaçage réalisé par des machines d’une extrême précision, et pourtant j’ai toujours été perturbé de ne pas sortir de cette pâtisserie pour me trouver sur la place d’une petite ville du Loiret-Cher. Chaque fois que je vois Guitar Wolf en concert, je pense à ce millefeuille.

G

uitar Wolf est un groupe de garage punkrock japonais, qui livre avec la précision d’un camion UPS des sets énervés à souhait, mais empreints d’une dimension rituelle qui en fait toute la saveur. Si Guitar Wolf envoie son rock crade, porté par un guitariste charismatique et un batteur sauvagement efficace, c’est bien la dimension visuelle qui fait des Japonais un groupe à voir sur scène, si possible près de la scène si l’on veut avoir l’honneur d’y monter pour un bœuf. Car Guitar Wolf, c’est d’abord une doxa, une certaine idée du rock. Les membres de Guitar Wolf, en arrivant sur scène, prennent des poses qu’on dirait sorties tout droit du rock’n’roll Hall of Fame, perfectos cloutés, médiators tendus vers le ciel, mimiques enragées ; Guitar Wolf s’engouffre dans la pantomime du rock, et c’est en général là que ça dérape. Comme avec le millefeuille, Guitar Wolf est presque trop parfait et il s’invite en concert un second degré jouissif. Que ce soit cette habitude du batteur de se recoiffer tout en continuant à marquer le rythme, cette manie de prêter sa guitare à un type dans le public ou cette tradition de faire sur scène une pyramide humaine, de préférence en mettant des filles à la base et de solides buveurs de bière au sommet, pour finalement se hisser au sommet et chanter un demi couplet avant que tout le monde ne s’effondre dans la fosse. Guitar Wolf c’est tout cela, et tandis que les lumières sont rallumées, que le public a presque vidé la salle, c’est le guitariste qui revient balancer un solo, une manière bien japonaise de dire : « Alors bande de nazes ! On se dégonfle ? ». Un récent passage en France de Guitar Wolf nous a permis d’aborder ces questions, mais également d’apprendre quoi faire en cas d’attaque de zombies. Seiji, chanteur et guitariste du groupe, a pris le temps de nous l’expliquer en détails, avant de se jeter dans la foule et d’accomplir une fois encore, porté par son public, marchant debout sur la foule, le miracle du rock’n’roll.

• Quand vous êtes sur scène, on sent que vous prenez votre boulot très au sérieux, on a presque l’impression que le rock est une sorte de religion pour vous... Oui, une religion de l’espace. • Une religion de l’espace ? Une religion qui vient d’Andromède.

32 - G U I TA R W O L F

« ...lorsque Guitar Wolf est là, le rock n’roll est là aussi, peu importe l’endroit

• (…) Est-ce que l’on peut mettre cette assertion en rapport avec la thématique SF de certains de vos morceaux ? Oui j’aime les OVNI, et j’ai des antennes, et je suis toujours en train d’attendre, j’attends des messages télépathiques de l’espace. Quand je reçois un bon signal, je peux écrire des morceaux. C’est du space battleship rock (que l’on pourrait littéralement traduire du “rock de vaisseau spatial de combat”, encore que ce soit avant tout une allusion au dernier album de Guitar Wolf intitulé Space battleship love). • Est-ce aussi ce qui fait que vos concerts ont un aspect parfois rituel ? Vous avez en effet une manière particulière de communier avec votre public, comme cette pyramide que vous faites avec les spectateurs... La pyramide, c’est pour une

»

chanson qui s’appelle Kokose action, High School student action. Au début, on ne faisait pas la pyramide et puis c’est venu comme ça, une fois, comme les étudiants quand ils font des fêtes, j’ai eu cette idée une fois sur scène.

• Un truc assez peu logique c’est que lorsque vous faites cette pyramide avec des spectateurs pris dans la salle, vous mettez toujours des filles à la base et les types plus lourd en haut de la pyramide... Non non, ce n’est pas fait exprès, ça arrive juste comme ça, parce que je ne vois pas pendant les concerts avec la lumière et les lunettes noires, donc je prend juste les gens au hasard.

• Même si vous ne voyez rien, vous jouez quand même avec le public, vous laissez votre guitare à quelqu’un que vous choisissez aussi d’une manière étrange, pas toujours celui qui veut monter sur scène, mais celui qui est un peu en retrait et que vous désignez... Quand je prête ma guitare, c’est parce que je veux faire un morceau du MC5, la chanteur n’a pas de guitare. Mais je sais qui doit la prendre, je le sais à chaque fois.

• Un autre inspiration. Oui c’est instinctif. • Il y a un rock spécifique aux Guitar Wolf. Com-

ment le situez-vous par rapport au garage, au punk rock ? Du jet rock’n’roll, c’est notre rock n’roll. J’aime le prix, j’aime la puissance sonore des jets, c’est ce que je cherche a emmener dans ma musique. • Avez-vous des modèles ? Bruce Lee et Godzilla. • Vous êtes plutôt connu en Europe. Est-ce que

pour vous il y a une différence quand vous jouez à domicile au Japon et quand vous êtes en tournée ? Y a-t-il un terrain plus propice à votre musique ? Mmmh, non, il n’y a pas vraiment de lien, parce lorsque Guitar Wolf est là, le rock’n’roll est là aussi, peu importe l’endroit.

• Vous avez joué dans un film, Wild Zero, dans lequel vous jouez un rôle central et avez participé à l’écriture du film. Non, pas du tout, tout est réel, ce n’est pas un film de fiction. • Un documentaire ? (dans le film, un jeune fan de rock aide les Guitar Wolf, qui en échange lui donnent une sorte de sifflet talisman. S’il est attaqué par des zombies, le sifflet lui permet d’appeler le groupe qui vient à son aide). Oui, maintenant, je suis très content, car comme cela le monde sait que nous sommes là pour protéger la terre. Appelez, n’hésitez pas, s’il vous plaît, si vous rencontrer des zombies, utilisez le sifflet. Si on ne peux pas venir alors vous serez mangé par les zombies.


L’éclat de verre, partenaire de l’exposition CLGB à Monaco en décembre 2011. 31, rue du commerce 51350 Reims / Cormontreuil 03.26.40.08.68 Ouvert du mardi au samedi de 9h30 à 12h30 et de 14h à 18h30

www.eclatdeverre.com

Photographies d’Anne Deniau

Exposition présentée du 7 février au 3 juin 2012

Centre des monuments nationaux Palais du Tau 2 place du cardinal Luçon - BP 2062 - Reims (Marne) tél. 03 26 47 81 79

www.monuments-nationaux.fr


LE C T U R E

Texte /

Isabelle Giovacchini • Photo page gauche / © Olivier Rodriguez • Image page droite / © Romain Nougairède

CAROLE BRIANCHON + ALLER-RETOUR VERS LE FUTUR +

J

e suis née dans les années 80. À cette époque, ma mère portait des vestes à épaulettes et, grâce aux talents d’un coiffeur à la pointe de la tendance capillaire, elle était coiffée d’une coupe mulet. Avec sa nuque longue, ses baskets à scratch et son petit short en lycra fluo, elle ressemblait au footballeur Tony Vairelles. Mon chanteur préféré était Lionel Richie et mon film culte E.T. de Steven Spielberg. A six ans, l’acquisition d’un Bontempi m’a laissé croire l’espace de quelques mois à une hypothétique carrière musicale. Je rejouais à l’oreille les bandesson des jeux de ma Nintendo Entertainment System. Mes talents de pianiste n’ont malheureusement jamais dépassé ce stade. J’ai maintenant trente ans. A l’occasion des prochaines soldes, je projette de m’acheter une robe couleur gyrophare dotée de dix bons centimètres d’épaulettes. Via Google Actualités, j’apprends que Tony Vairelles est mis en examen pour avoir participé à une fusillade. Sur ma timeline Facebook, entre un lien Tumblr et un copié-collé Wikipédia, je publie le clip du single Hello de Lionel Richie en espérant être ainsi surlikée par mes amis nostalgiques. En consultant au même moment le Dictionnaire des années 80 de Carole Brianchon et Pierre Mikaïllof, fraîchement édité par les éditions Larousse, je réalise que tout est bien en ordre. “Times they’re a-changing”, disait Dylan dans les années 60 ; “Step back in time”, ajoutait Kylie Minogue en 90. “Times goes by so slowly” surenchérissait Madonna en 2005, tout en se déhanchant dans son body rose certifié 100% Flasdance. En guise de conclusion, il est temps pour moi de vous adresser tous mes voeux pour 2012 et de vous souhaiter un bon Retour vers le futur.

« On voit bien qu’on n’en a jamais fini avec cette décennie tant on la revisite encore aujourd’hui dans des domaines artistiques comme la mode ou la musique » • Pouvez-vous vous présenter ? Je vis à Paris où je suis responsable des relations presse du Jeu de Paume, un centre d’art dédié à la photographie et à l’image. Je produis également des concerts à Reims, au travers du collectif Bye Bye Bayou. Et comme je revendique un esprit assez « touche à tout », je suis aussi l’auteur du Dictionnaire des années 80, paru chez Larousse cette année. • Comment est né ce projet de dictionnaire ? Le projet est né en 2007. Alexandre Civico, qui est aujourd’hui éditeur chez Inculte, m’a proposé d’écrire sur ce qui avait marqué les années 80. Cela m’a intéressée, il y avait dans ce projet une dimension tout aussi importante de recherche que d’introspection ! Je suis une enfant des eighties... J’ai grandi avec ces années et j’ai été marquée par leurs évènements forts : l’élection de Mitterrand en 1981, un souvenir qui pour moi reste ce portrait qui se dessinait ligne après ligne à la télévision, le soir de sa victoire ; et puis à la fin de la décennie,

34 - C A R O L E B R I A NCHON

toujours observée à la télévision, la chute du mur de Berlin. Même si dans un autre registre la page des années 80 se tourne vraiment, en ce qui me concerne, en 1991 avec la mort de Gainsbourg. Entre ces dates butoires, mes années 80 sont celles des parties de Rubik’s Cube, des cassettes audio et des VHS, du Club Dorothée et du Top 50, d’Agrippine et de la silhouette «épaulettes» de ma mère.

• C’est ensuite que vous avez choisi de collaborer avec Pierre Mikaïloff et Gilles Verlant ? J’ai voulu partager ce (gros) travail avec quelqu’un qui avait sur cette décennie une vision différente et complémentaire de la mienne. Je connaissais Pierre Mikaïloff depuis quelques années, c’est quelqu’un qui a une grande

culture, notamment musicale (il a été le guitariste de Jacno), et une écriture élégante (il est journaliste et l’auteur de nombreux ouvrages). À l’époque de mon premier sweat-shirt L.C. Waikiki, Pierre était plutôt perfecto... Mais justement ! Croiser et confronter nos regards et nos souvenirs nous a semblé intéressant et on a saisi cette occasion de travailler ensemble. Finalement le projet n’a pas vu le jour chez l’éditeur qui nous l’avait initialement proposé. Pierre et moi avons continué d’y travailler. Et puis Gilles Verlant en a entendu parler, ça l’a intéressé et il nous a proposé de collaborer au projet en dirigeant l’ouvrage. Avec lui nous avons frappé à la porte des éditions Larousse, et le dictionnaire a ainsi vu le jour, au terme de quatre ans de travail.

• Pourquoi avoir choisi de traiter spécifiquement des années 80 ? Les années 80 ont été un véritable laboratoire. Elles ont profondément transformé notre monde. Dans tous les domaines - politique, technologie, culture... - elles ont marqué un tournant décisif. Au quotidien, il est encore aujourd’hui facile d’en mesurer l’impact : lorsqu’on prend le TGV, qu’on allume un halogène ou qu’on se glisse sous la couette (de pures inventions des années 80) ! Et puis on voit bien qu’on n’en a jamais fini avec cette décennie tant on la revisite encore aujourd’hui dans des domaines artistiques comme la mode ou la musique. On sent une véritable influence des Eighties sur la création contemporaine. Finalement on a beaucoup caricaturé les années 80 (il faut dire que sous certains aspects, il y avait matière) mais c’est aussi le signe que cette époque avait une forte personnalité et de vraies audaces.


P U B LIC ATION

• Pourquoi avoir décidé d’aborder les années 80 sous forme de dictionnaire ? Nous n’avons pas prétendu faire un essai sur les années 80, plutôt d’en donner un panorama. La forme «dictionnaire» permet de ne pas être linéaire. Elle autorise le foisonnement, la diversité, et permet de faire cohabiter des choses très différentes. Ça me plait beaucoup de passer d’Azzedine Alaia à Albator, de Blade Runner à Blondie, de la Golf GTI à Mikhail Gorbatchev, d’Alain Pacadis à Pacman, du SMIC à The Smith. Ce qui m’importe, et que le dictionnaire permet, c’est traiter en les mettant sur le même plan les aspects populaires et plus pointus des eighties, les clichés et les pépites, afin de sortir de la caricature qu’on a souvent faite des années 80.

• Justement, comment avez-vous sélectionné les entrées qui le composent ? Nous avons « listé » tout ce qui nous semblait marquant, important, fondateur. Et ce choix s’est beaucoup élargi au fur et à mesure

que nous écrivions. Bien sûr nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, je crois qu’on pourrait certainement écrire un tome 2, mais les essentiels sont là. Au final le dictionnaire compte plus de 700 entrées.

• Quelles sont les grandes thématiques qui traversent votre dictionnaire ? La politique, l’histoire, la société, la musique, l’art, la littérature, la technologie, la mode, les médias, le cinéma, le sport...

• Pouvez-vous nous citer une des entrées du dictionnaire qui définit selon vous le mieux l’esprit des années 80 ? L’esprit des années 80 est à la fois sombre et léger. Ce sont des années qui font de manière très décomplexée le grand écart entre Restos du Cœur et golden boys, cold wave et italo disco… On retrouve cet aspect dans l’entrée consacrée au fluo : « Comment plonger dans les années 1980 sans évoquer leurs couleurs flashy, leur style un brin ringard

que tous les cahiers de tendances ont pourtant remis au goût du jour et que la mode revisite régulièrement avec jubilation ? Les stars de la décennie sont alors les épaulettes, les pulls à manches chauve-souris, les ceintures larges, les fuseaux, les couleurs fluo, les badges smiley… T’as le look coco ! Coloriée au Stabilo Boss, la mode de la décennie suit des cours d’aérobic : caleçon en lycra brillant, guêtres, tee-shirt large, bandeau tressé porté bien haut sur le front et queue de cheval… Les magasins Boy et Sex, sur King’s Road, à Londres, avaient propagé le fluo (de préférence sous la forme de fuchsia ou jaune vif ) dès 1977 : il est adopté par le sportswear peu après. L’été 1989 en est le point d’orgue. Pas un magazine de mode qui ne vante les nouveaux classiques aux couleurs ébouriffantes. Mais au-delà d’un look risqué, le fluo c’est aussi l’esprit d’une génération qui ose, invente, mélange un peu n’importe quoi, dans un joyeux désordre de couleurs, au son de Like a Virgin de Madonna ou du générique de Gym Tonic. Un paradoxe

de plus dans ces eighties qui oscillent entre no future et légèreté, new wave sombre et pop acidulée. Sur fond gris de crise économique–chômage–sida, certains se fondent et d’autres flashent : look Robert Smith et Nina Hagen versus Véronique et Davina, Doc Martens versus baskets Reebok, chacun pourtant anticonformiste à sa manière.»

Le dictionnaire des années 80 Par Carole Brianchon et Pierre Mikaïloff sous la direction de Gilles Verlant 19,5 x 23,5 cm, 560 pages, environ 200 photos, Intégra avec rabats, 20,90 €.

C A R OLE B R IA N C H ON - 35


Bistrot gourmand

Ouverture février 2012 !

Ouvert le lundi de 9h à15h et du mardi au samedi de 9h à 15h puis de 18h à 22h30. Fermeture les dimanches et lundis soirs.


Cuisine traditionnelle à base de produits frais de saison

23, Avenue Jean Jaurès 51100 Reims • 03 26 47 02 73 Du mardi au samedi, de 11h30 à 14h et de 19h30 à 22h.


DA N S E

L’ART SUBTIL DU POGO + DE LA SURVIE DANS LA FOSSE DURANT UN CONCERT DE MOTÖRHEAD +

A

ucun Jean Rouch n’a encore plongé sa caméra au cœur d’un pogo. L’expérience, il faut en convenir, se prête difficilement au documentaire ethnographique. Peu de caméras sortiraient intactes de l’expérience et ceux qui ont eu le privilège de voir Cocksucker Blues, documentaire maudit du photographe Robert Frank, savent ce qu’il advient des preneurs de sons qui se frottent au rock’n’roll. Le rite est à peine plus jeune que le rock électrique mais il est repris dans toutes ses strates. Il prend la forme d’une danse erratique et sauvage ou chacun se jette, plus ou moins violemment, contre ses voisins. Primitif… mais pas seulement.

S

i le concert est la cérémonie fondamentale du rock, au cœur de cette cérémonie le pogo est sans doute le rituel le plus sauvage et le plus essentiel, celui qui permet une communication directe et physique avec la musique et la puissance qu’elle charrie avec elle. Le pogo traverse tous les genres, du punk le plus brut au métal le plus sombre, des plaines de Donnington aux arrières salles des bars les plus crasseux. Où que l’on soit, passé un certain seuil sonore, le rock ne

38 - L’ A R T S U B T I L DU POGO

peut seulement s’écouter sagement. En chacun monte un irrépressible besoin de marquer le rythme, de cracher une énergie qui s’accumule dangereusement, de se fondre dans le son qui se déverse des murs de Marshalls. Or, bouger au cœur de la foule d’un concert devient vite une question de territoire, il faut jouer des coudes. Le pogo émerge naturellement de la masse des spectateurs, ceux qui sont prêts pour le rituel créent au-

tour d’eux un espace vide où ils peuvent s’agiter, ceux qui les craignent s’éloignent et leur laissent le champ libre. La forme d’un pogo est naturellement circulaire, elle s’étend progressivement jusqu’à ce que la foule qui l’entoure ne puisse se tasser plus. Les danseurs devront défendre cet espace sans quoi la masse des spectateurs se refermera sur les danseurs. Ainsi se lève le pogo, aussi soudain et destructeur qu’une tempête en pleine mer.


Texte /

Nicolas Giraud • Photo / © «Blinky» Hervé Le Luherne www.tanuki.fr / www.18-55.org

« Ainsi se lève le pogo, aussi soudain et destructeur qu’une tempête en pleine mer »

Comme une tempête, le pogo est d’abord un soulagement, on respire mieux en son sein qu’écrasé dans la foule. Mais se jeter dans un pogo c’est aussi accepter un certain nombre de risques ; se lancer contre des colosses tatoués qui peuvent faire plusieurs fois votre poids (en muscles), savoir que la foule vous relancera sans état d’âme au centre de la mêlé, même, et surtout, si vous essayer de fuir la mêlée. Se lancer c’est s’exposer à prendre des coups, non pas des coups intentionnels, mais simplement la force d’un individu moyen qui se jette aveuglement contre ses semblables. Être grand ou petit n’est pas un avantage, les coudes des grands sont souvent très proches de la tête des petits, les coudes des petits souvent trop proches du bas-ventre des grands… Le pogo est un organisme vivant. Les danseurs, comme autant de cellules, participent de leur existence, chacun est là pour relâcher une énergie trop forte. L’énergie dépensée n’est pas seulement la nôtre. C’est l’énergie du groupe, l’énergie du rock qui est dépensé, consumé dans une réaction en chaîne. Cette réaction est non-violente, mais il ne s’agit pas là de moral, il s’agit avant tout de survie. Je me cogne à mon voisin et accepte en retour qu’il me heurte. Lorsqu’un spectateur un peu aviné se révèle trop violent, c’est le groupe qui l’expulse comme une cellule malade. Le processus est naturel, celui qui frappe dur sera frappé en retour, mais il sera frappé durement par le groupe entier, sans agressivité,

comme un simple phénomène naturel. Si mon voisin tombe, je risque de tomber sur lui et cinq, dix autres personnes s’écraseront à leur tour sur moi. Ainsi lorsqu’un danseur tombe il n’a souvent pas le temps de toucher le sol, il y a quatre, cinq bras qui l’agrippent et le relèvent. Nul besoin de service d’ordre, l’encadrement reste mal vu, souvenir sans doute du concert des Rolling Stones à Altamond où le service d’ordre, composé de Hells Angels, avait poignardé un spectateur. Le pogo s’autorégule naturellement selon des lois qui viennent des plus lointains souvenirs de communautés humaines. Des pratiques se greffent au rituel principal. Ainsi, avant certains morceaux, on voit les danseurs libérer le cercle, se masser sur les bords et dégager un cercle vide où tous se jettent dès les premiers accords. L’audience est avant tout masculine, mais il n’est pas rare de voir quelques frêles jeunes filles jeter leurs quarante kilos contre des masses de plus de cent kilos. Elle bénéficie de l’attention des danseurs, mais pas de leur clémence. Il s’agit là du respect dû à quiconque entre dans l’arène. Il n’est pas innocent de penser le pogo comme un rituel. Son aspect barbare et primitif en fait le lieu d’expression d’une agressivité foncière à laquelle les jeux vidéos et les disputes conjugales offrent un bien piètre substitut. Comme toute danse, il porte un ensemble de significations symboliques plus ou moins profondes. Comme pour tout rituel, ses signes sont à double face et ne

peuvent être vraiment lus que de l’intérieur. Pour tout amateur de rock, le pogo est un passage. Comme tout rituel il vise à marquer l’incorporation dans une famille, l’absorption viscérale de certaines valeurs. On voit rarement des gens sortir blessés d’un pogo. Lorsque cela arrive, la source du clash est souvent un décalage, le signe d’une violence mal maîtrisée qui se retourne alors contre le danseur. À l’inverse, celui qui se coule dans le mouvement du pogo se nourrit de son énergie, il peut même atteindre cette impression de plénitude et de calme que l’on ressent dans l’œil d’un cyclone : le souffle alentour est presque doux, des forces sont suspendues autour de lui comme autant de vagues sur le point de déferler. On ressortira du pogo fourbu, les bras souvent couverts de bleus. Ceux qui auront eu la coquetterie de porter badges ou colifichets en retrouveront les débris piétinés. On pourra essorer son tee-shirt et voir couler sur le sol la transpiration de notre propre corps et celle des cinquante et quelques personnes auxquelles on se sera heurté. On ressentira pourtant un calme et un apaisement profonds, on ressentira dans chaque muscle une force souterraine, on percevra le monde comme un lieu calme et assoupi. Pour un temps, on pourra se sentir apaisé et heureux.

L’A R T S U B TIL D U P OGO - 39


CO M É D I E D E R E I MS - Pu b li ré d a c t io n n e l

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photo / Elodie Dauguet

CHLOÉ BRUGNON + THÉÂTRE DE NOUVELLE GÉNÉRATION +

L

e théâtre est un plateau où de coutume se mêlent textes, expression du corps, images, lumière et musique. Il fait du réel une œuvre fantasmagorique à consonance politique, un spectacle total d’où personne ne sort indemne. Le metteur en scène est ce faiseur d’illusion où le réel se révèle dans son irréalité intime. À 25 ans, Chloé Brugnon - originaire de Champagne-Ardenne - met en scène sa première pièce : Une nuit arabe de l’Allemand Roland Schimmelpfennig à l’Atelier de la Comédie. L’intrigue de cette pièce débute par une banale soirée dans un immeuble. Tout est à peu près normal, mis à part une fuite d’eau au septième étage. Des situations qui tiennent du fantasme, du fantastique ou de l’onirique vont s’enchaîner et faire que ce quotidien s’enraye définitivement. Durant cinq représentations servies sur un plateau, du 7 au 11 février, le feu des planches se chargera de réchauffer les esprits engourdis par le sempiternel crépuscule hivernal.

« On peut toujours échapper à une réalité ennuyeuse » • Comment as-tu découvert le théâtre et qu’est-ce qui t’a conduit à la mise en scène ? J’ai découvert la pratique théâtrale en suivant des ateliers au collège, en MJC, et puis au lycée où j’ai obtenu un baccalauréat option théâtre. Mon envie et ma pratique se sont affirmées et affinées au contact de certains metteurs en scène comme Christine Berg qui fut à la fois mon professeur au lycée et celle qui m’a incitée à tenter l’aventure de la classe de la Comédie de Reims. C’est là qu’en 2005 j’ai rencontré Ludovic Lagarde alors qu’il accompagnait son spectacle - Fairy Queen - dans lequel j’ai tenu un rôle de figurante. En 2009, il a été nommé directeur de la Comédie de Reims. Sur sa proposition j’ai alors intégré le Collectif artistique de la Comédie en tant qu’assistante à la mise en scène. L’idée que je présente des petites formes théâtrales - de 20 minutes environ - s’est alors imposée. En 2011, après avoir présenté nos réalisations dans des maisons de quartier et des médiathèques, certains des membres du Collectif artistique ont accepté de m’accompagner à l’occasion de ma première mise en scène consacrée au texte de Schimmelpfennig, Une nuit arabe.

cié dès le début de sa carrière à la Schaubühne de Berlin. Une nuit arabe est la première pièce que j’ai lue de cet auteur. Immédiatement, j’ai été séduite par les esthétiques extrêmement différentes qu’elle met en jeu et par son écriture singulière.

un autre domaine, pour cette mise en scène j’ai été influencée par l’œuvre du plasticien Thomas Demand qui travaille beaucoup sur le rapport entre réel et irréel.

pour la suite : qu’il soit programmé dans d’autres théâtres car un spectacle qui ne tourne pas c’est plutôt triste !

• Tu as par conséquent mis en place un dispositif innovant pour la scénographie ? Tout s’est créé

• Et quel a été ton plus grand plaisir dans la création de ton spectacle ? C’est d’avoir réussi à consti-

• À l’occasion de cette première mise en scène, comment as-tu appréhendé le sujet de la pièce et le chantier à mener ? Était-ce comme un défi ?

en même temps. Les propositions de circulation dans l’espace par les acteurs ont contaminé l’élaboration de la scénographie et du son, et vice-versa. Tous ces matériaux se sont influencés réciproquement et ont contribué à se constituer mutuellement. Je ne voulais pas d’une “scénographie machine” qui fonctionne sans les acteurs. Élodie Dauguet, la scénographe, a apporté de nombreux accessoires : des barrières, des lampadaires… sans en imposer une fonction déterminée.

tuer une équipe et d’être, pour la première fois, moteur d’un projet !

C’est un chantier neuf car c’est une pièce contemporaine. Dès le départ, j’ai réuni une équipe pour explorer collectivement tous les possibles de la pièce. C’est un texte que je qualifierais de “matériau” car il pose énormément de questions d’espace. En effet, la pièce se déroule dans un immeuble ou peut-être dans le désert… Le style d’écriture de cette pièce est à lui seul un défi pour la mise en scène. Le dialogue consensuel, simple moyen de communication, se transforme en une parole intime : les personnages disent ce qu’ils font, ce qu’ils ressentent, et nous livrent ainsi l’intérieur et l’extérieur de leur être.

• Quel est le propos d’Une nuit arabe ? Le texte

• Qu’est-ce qui t’a spécialement influencé dans ton travail de mise en scène ? Quand on lit le

nous montre que l’on peut toujours échapper à une réalité ennuyeuse : on quitte la routine d’une soirée comme toutes les autres pour se laisser entraîner dans un univers tour à tour fantastique, magique ou tout du moins surprenant. Schimmelpfennig est un auteur contemporain parmi les plus montés en Europe, asso-

texte, on pense instantanément aux réalisations de David Lynch : Mulholland Drive ou Lost Highway où il y a entre autres des ellipses et des choses qu’on ne comprend pas immédiatement. Et puis, il y a par ailleurs quelque chose de propre à l’intrigue policière qui m’évoque la série Alfred Hitchcock présente. Dans

40 - C H L O É B R U G N ON

• Quel rôle vont y jouer les costumes, la bande son et la lumière ? Pour ce qui est de la scénographie, des costumes ou du son, nous sommes partis du réel afin d’établir des points de repère, des clins d’œil à la réalité. Le but est de partir de l’identifiable pour aller vers le fantastique et vers le rêve, comme dans les œuvres de Lynch dont je parlais plus tôt. Il faut que, subrepticement, quelque chose s’insinue dans le réel pour le faire “vriller”.

• Quel est ton objectif avec cette pièce ? Le premier objectif serait de faire un spectacle qui nous plaise, qui soit à l’image du travail collectif que nous avons entrepris, et puis bien sûr qu’il rencontre son public. L’idéal

• Quelle est l’importance que revêt, pour toi, la médiation autour du théâtre ? La médiation, c’est avant tout un partage ! Je suis très sensible à la nécessité d’aller chercher le public hors les murs, en inventant des dispositifs innovants et fédérateurs qui nous permettent d’aller à la rencontre de publics toujours plus variés. Pour Une nuit arabe, nous avons accueilli le public à une répétition, puis à un atelier maquette avec la scénographe. À l’issue de la représentation, une rencontre avec l’équipe artistique est programmée le 8 février et un repas thématique, réunissant comédiens et public, aura lieu au bar de la Comédie le 9 février.

• Quels sont tes projets futurs ? J’ai évidemment de nombreuses envies, mais ce ne sont pas encore de vrais projets. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que je retravaillerai très probablement avec l’équipe que j’ai constituée pour Une nuit arabe.


C OMÉ D IE D E R E IMS

UNE NUIT ARABE + DU 7 AU 11 FÉVRIER +

Roland Schimmelpfennig • Mise en scène : Chloé Brugnon Avec Joris Avodo, Stéfany Ganachaud, Déborah Marique, Laurent Nouzille, Samuel Réhault Texte :

UNE SÉLECTION DE RENDEZ-VOUS EN JANVIER ET FÉVRIER 2012 À LA COMÉDIE DE REIMS : + DU 17 AU 20 JANVIER +

+ LES 24 ET 25 JANVIER +

+ DU 14 AU 17 FÉVRIER +

IDENTITÉ

LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS

ROMÉO ET JULIETTE

+ DU 21 AU 24 FÉVRIER +

+ LES 23 ET 24 FÉVRIER +

LA LOI DU MARCHEUR (entretien avec Serge Daney)

LE PETIT CHAPERON ROUGE

De Gérard Watkins « Vos parents sont-ils vraiment vos parents ? »

Texte : Bernard-Marie Koltès Mise en scène : Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang

Texte : William Shakespeare Mise en scène : Olivier Py

Un projet de Nicolas Bouchaud Mise en scène : Éric Didry

De Joël Pommerat à découvrir en famille à partir de 6 ans

Avec Identité, Gérard Watkins interroge l’utilisation politique de la question identitaire à laquelle il fournit une réponse radicale. Présentée la saison dernière au théâtre de la Bastille, cette pièce à la ligne claire – deux acteurs, un décor presque blanc – fut unanimement saluée par toute la critique, tant française qu’européenne, pour la grande force de sa simplicité.

Pour cet homme qui nous parle - incarné sur le plateau par Romain Duris -, la mort est au bout du chemin. Pour retarder cette mort, il lui faut raconter, raconter encore et encore à ce garçon auquel il s’adresse : « Il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile ».

Pièce si célèbre et pourtant si mal connue ! Ici, ce n’est pas malgré le monde, la société, les préjugés, l’hostilité entre leurs deux familles ou leurs propres penchants qu’éclate le coup de foudre : c’est bien plutôt à cause de tous ces obstacles. C’est comme si tout se déchirait – et dans la béance de ce déchirement s’ouvre la liberté vertigineuse du monde vrai, celui que les amants dévoilent l’un à l’autre.

Du théâtre pour amateurs de cinéma ! Un acteur jouant un spectateur. C’est à cette drôle d’expérience que nous convie Nicolas Bouchaud, en prenant pour point de départ les entretiens que donna le critique de cinéma Serge Daney. Seul en scène, devant un écran où sont projetés des extraits de westerns, Nicolas Bouchaud joue comme un enfant de dix ans à être Serge Daney, avec John Wayne et Dean Martin.

Le rapport à la peur est primordial dans ce conte, et en général dans la vie d’un enfant. Aborder la question de la peur avec les enfants, c’est aussi aborder l’autre versant de cette émotion qui est le désir.

Comment réserver à la Comédie de Reims ? • par téléphone au 03.26.48.49.00 • auprès de la billetterie : 3, chaussée Bocquaine à Reims. La billetterie est ouverte du mardi au vendredi de 12h à 19h et le samedi de 14h à 18h (sauf pendant les vacances scolaires) • sur notre billetterie en ligne : www.lacomediedereims.fr

C H LOÉ B R U GN ON - 41


S H O P P I N G - P u b l i ré d a c t io n n e l

Texte /

Oscar Queciny • Photo / © Justine Maillard

PRINCESS BOUDOIR + LE BOUDOIR SE DÉGUSTE EN PHOTOGRAPHIE +

P

rincess boudoir, love store chic et cosy ne se contente pas d’offrir à ses visiteurs des produits et activités anti routine pour le couple, et s’investit dans le domaine de la production et de la diffusion artistique. Fidèle à son esthétique liée au monde de la féminité et du burlesque Princess Boudoir soutient le travail de la jeune photographe Justine Maillard, dont les clichés en noir & blanc semblent à première vue sortis d’un vieil album de pin up.

• Comment as-tu découvert le travail de Justine Maillard ? J’ai l’ai découvert à l’occasion d’une collaboration avec une artiste burlesque lors du lancement du boudoir. Ses œuvres sont à la fois vintage, avec un cachet que l’on pourrait croire exhumé des années 30 à 50, mais toujours avec des éléments constituant dans ses compositions un anachronisme de modernité. Elle développe de nombreux projets, dont des expositions et des éditions d’ouvrages de ses œuvres. Pour soutenir ses projets, elle s’est lancée dans une démarche participative en mettant en place des campagnes de production via Internet. Ce procédé de financement permet à toute personne intéressée de soutenir son travail, pour une somme modique avoisinant 1€. Chacun peut donc devenir le mécène d’une réalisation globale, et ça fonctionne très bien ! Sur une première campagne, il y a eu 900€ de mécénat qui ont permis de réaliser un tirage unique des quelques 1000 clichés que Justine a réalisé. Le but est de constituer un fonds d’œuvres important afin de pouvoir organiser une exposition à grande échelle.

• Comment son travail s’intègre-t-il dans le concept de Princess boudoir ? Son travail correspond totalement à l’esprit de Princess boudoir. Il met en scène un univers basé autour d’une femme séductrice et à l’image glamour échappée du grand écran, une représentation du corps dénudé loin de toute vulgarité qui sublime l’apparence fatale et l’être fragile de cette femme classique et éternelle. De plus, son travail correspond au souci de Princess boudoir de promouvoir et de travailler avec les artiste et créateurs de la région, comme Lady Cocotte que nous avons exposée au boudoir en fin d’année 2011. Mais la première chose qu’il faut que nous trouvions, outre le boudoir qui permet à la fois de faire son shopping coquin et de découvrir des créations artistiques, c’est un lieu d’exposition avec des espaces adaptés et suffisants pour mettre en œuvre des projets ambitieux.

• Quelles expositions a-t-elle déjà réalisé ? Une première exposition de ses photographies a été présentée dans le quartier branché de Bastille à Paris au Bastille design center, mais celle-ci ne concernait qu’une dizaine d’œuvres. Cette exposition a eu beaucoup de succès, à tel point que Justine a été sollicitée pour envisager une édition de ses œuvres en livre. Par ailleurs,

42 - P R I N C E S S B OUDOIR

• À côté de l’exposition des photographies, quelle sera la forme que prendra l’édition des œuvres de Justine Maillard sous forme de livre ? Pour le projet de livre, il est prévu de travailler avec la créatrice de corsetterie burlesque Lily Verda afin de concevoir un écrin pour une bouteille de champagne qui serait vendue avec le livre Paris ma jolie dans un coffret. L’objectif est ici de valoriser à la fois le travail des créateurs régionaux et celui d’un producteur de Champagne partenaire du boudoir.

« Une

• À quelle époque aura lieu votre événement avec Justine Maillard ? L’événement est prévu en 2013

représentation du corps dénudé loin de toute vulgarité

»

avec certainement une pré exposition dans un lieu branché de Reims en septembre 2012, afin de faire mieux connaître Justine et son travail . Tout cela sera en fonction de l’évolution de la campagne de mécénat et de l’adhésion du public. Mais nous sommes très confiantes sur le succès de cette campagne, compte-tenu de la première expérience. Pour cette campagne, Justine a spécialement mis en place un système de cadeaux auquel je collabore et pour lequel les créatrices du boudoir comme Miss gourmandise of burlesque participent. Ces récompenses, proportionnelles au mécénat consenti, sont de petits clins d’œil au monde du burlesque. Pour en savoir un peu plus et satisfaire votre curiosité qui ne doit pas manquer d’être éveillée par cet article, vous trouverez toutes les informations sur le travail, le mécénat et les expositions de Justine Maillard sur son très joli site Internet : www.justinemaillard.com Et n’oubliez si vous êtes sensible a ce projet vous pouvez participer en nous aidant à le financer, les dons même les plus petits sont les bienvenus ! POUR LA SAINT-VALENTIN !

toute la scène burlesque Parisienne la suit depuis cette exposition.

• Quand allez-vous lancer la seconde campagne de mécénat ? Cette campagne est lancée en début d’année 2012 (http://fr.ulule.com/pmj/) pour pouvoir monter un projet d’exposition monographique en région Champagne-Ardenne, dont Justine est originaire et l’édition du livre dont je te parlais précédemment, comprenant une édition collector en partenariat avec

le champagne Robert Faivre. Nous avons un projet en partenariat avec une autre grande maison de Champagne qui nous permettra d’organiser une exposition d’une trentaine de clichés dans un lieu prestigieux, accompagnée d’animations liées au burlesque et à la musique, avec des groupes proposant des mélodies à consonance jazzy et électro. Parallèlement, Princess boudoir proposera dans son store de nombreuses animations liées à l’univers des pin-up, avec des ateliers création et des shootings photos burlesques.

• Stage de Strip-tease chic, le 5 février (45€) • Initiation au modelage sensuel, le 12 février (40€) Soirées Love Shopping, sur demande les vendredis soir (sur réservation au 03 10 16 40 02). Toutes les infos sur www.princessboudoir.fr Page Facebook : Princess Boudoir Love Store chic 3.5.7 rue Condorcet, Reims (1er étage). Du mardi au Samedi de 10h à 19h.


The Sherlock Pub • Place Drouet d’Erlon, Reims • 03 26 40 19 46

www.sherlock-pub-reims.fr


É VÉ N E M E N T - P u b li ré d a c t io n n e l

Texte /

Anne Babb / SUAC • Photo / © DR

LA VILLA DOUCE + 1932- 2012, 80 ANS D’HISTOIRE ET DE CULTURE +

9 février à 19h, lancement des 80 ans de la Villa Douce. Mise en lumière du site et exposition. R

eims bénéficie d’un riche et exceptionnel patrimoine architectural de la période dite « Art déco ». Si certains hôtels particuliers ont, comme la Villa Rapin, été démolis par les promoteurs immobiliers soucieux de bâtir du neuf « rentable », certaines constructions, telles la Villa Douce, ont pu être conservées. La Villa Douce, siège de la Présidence de l’Université de Reims Champagne-Ardenne est en partie inscrite sur la liste supplémentaire des Monuments historiques depuis 1992. Cet hôtel particulier de style Paquebot (Art déco) fut construit par les architectes Pol Gosset et Jacques Debat-Ponsan pour André Douce, notaire. Cette spacieuse demeure, construite en béton armé revêtu de brique rouge, s’ordonne autour d’un hall occupé par un grand escalier suspendu à la courbe soulignée par une rampe en acier. La bâtisse possède une salle de musique dont l’extrémité en forme demi-circulaire ouvre par de grandes portes-fenêtres sur le jardin. André et Marthe Douce ont marqué de leur empreinte le paysage culturel rémois. Leur action dans le domaine musical fut considérable et appréciée de tous, ils facilitèrent l’audition d’artistes à titre privé, ou encore encouragèrent de jeunes talents. André Douce anima la Société Philharmonique, il retraça la biographie de musiciens célèbres. Président de l’Académie Nationale de Reims, il fut aussi Président des Amis du VieuxReims et membre de la Commission de surveillance du Musée des Beaux-arts de Reims et avec bien d’autres engagements sociaux. Aujourd’hui, l’Université poursuit cette ambition culturelle et développe de multiples actions liées à sa mission

44 - L A V I L L A D O UCE

générale. Elle a établi des liens partenariaux avec l’ensemble des structures culturelles du territoire; pour répondre à l’objectif de démocratisation culturelle et diversifie l’accès à différents langages artistiques. Dans cette perspective, elle accueille de nombreux artistes qu’elle associe à son projet de formation et de recherche en soulignant leur travail de création ; Par son soutient aux jeunes talents, L’Université fait le choix de contribuer à l’émergence artistique. UN HABIT DE LUMIÈRE POUR LA VILLA En utilisant la lumière comme outil scénographique, J.-J. Fremaux s’attache à transformer un lieu, un espace, et suscite les curiosités tout en créant un décor aussi immatériel qu’émouvant. Ainsi, sur l’élégante façade en briques rouges de la Villa Douce, des lueurs apparaissent aux fenêtres de l’édifice. Une lumière bleutée révèle son imposante toiture. Un puissant faisceau de lumière traverse la remarquable porte d’entrée et invite le visiteur à y pénétrer. Progressivement une étonnante clarté va envahir le lieu … UNE EXPOSITION DE PASCAL STRITT Au cœur de cet édifice d’une grande élégance dont la perfection vient se conclure et s’enrichir à l’étage, le photographe Pascal Stritt a suivi du regard la majestueuse montée du grand escalier de la Villa Douce, où les lignes de la rampe en courbe très pure, évoque une portée musicale de métal qui côtoient le béton et le verre. Il propose son interprétation du lieu en mêlant les images d’archives aux images sensibles créées pour la circonstance.

ÉVÉNEMENTS À VENIR EN 2012, POUR FÊTER LES 80 ANS DE LA VILLA :

+ 29 mars +

Conférence : la construction de la Villa et la vie culturelle du quartier. Exposition des archives de l’époque et d’objets personnels de la famille Douce.

+ 24 mai +

Concert de l’ AEC (enseignants du CRR) d’Haydn à Martial Solal. Exposition d’instruments du quatuor à cordes par l’atelier de lutherie fjpommet.

+ 25 et 26 Mai +

Rencontres musicales amateurs.

+ 4 octobre +

Conférence sur la restauration-transformation de la Villa dans les années 1980 et visions de jeunes architectes sur l’intérêt architectural de la Villa et son devenir. Exposition des archives de cette réhabilitation et de ces projets futuristes.

+ En novembre +

Concert de musique contemporaine avec Césaré (sous réserve).

Publication d’un ouvrage fin 2012 ou début 2013.



février mars 2012

ÉPILOGUE !

La Cartonnerie

Dernière année avant le chaos "Le monde est un chaos, et son désordre excède tout ce qu’on voudrait apporter de remède" (Pierre Corneille – La Veuve - 1634)

C PONK 04 SHAKA & PREMIÈRE PARTIE SAM FÉV

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COMPLE

NUITS DE L’ALLIGATOR 10 LES AVEC KITTY, DAISY & LEWIS I COMING SOON I URBAN JUNIOR VEN FÉV

I ART DISTRICT I PARAGRAFF T 11 ORELSAN COMPLE SOIRÉE FAIR : LE TOUR

SAM FÉV

16 BENABAR & PREMIÈRE PARTIE JEU FÉV

T

COMPLE

omme se plaît à le rappeler l’industrie cinématographique américaine en se basant sur d’hypothétiques mythologies : 2012 serait l’année du chaos. Au-delà de l’imagerie fantasmée d’un déchainement de forces de la nature, cet événement cataclysmique concernerait plutôt la fin d’une ère économique. Cet effondrement systémique serait l’avènement d’une nouvelle donne des cartes aux mains des financiers de Wall street et de nos gouvernants, jouant, grands salvateurs en smoking, l’avenir d’un modèle économique et la destinée des peuples, un peu comme dans un casino à l’échelle planétaire. Puisque nous évoluons sur un tapis de jeu, pourquoi ne pas alors se jouer de tout, et perdre avec détachement ? Pour le plaisir de perdre, prenons de mauvaises résolutions qui, au fond, sont les seules que l’on tient vraiment, afin de profiter outrageusement de l’instant. Profitons-en surtout pour examiner ce jeu que nous nous contentons de subir et rêvons à de nouvelles règles. Cherchons des clés pour comprendre et plongeons nous spécialement dans les méandres de la création artistique qui déchiffre et exprime les enjeux contemporains et leurs conséquences. Inexorablement tout se dégrade. Le chaos exprime la nature éphémère des choses et leur fin inéluctable, à l’instar de la plus universelle, l’amour, qui, comme l’écrit Fréderic Beigbeder, « dure trois ans ». Ce chaos prophétisé nous investit de nouveaux challenges, en brisant l’ennui d’une routine insipide et ordonnée, entre torpeur et ronflements, où chacun s’enferme par commodité ou par veulerie. Ce chaos c’est la vie, une vie s’épanouissant dans une quête de changements ou de défis à imaginer, et à dompter en une étreinte baroque. 2012 sera donc l’année de la vie. Bonne vie à tous !

(Alexis Jama-Bieri)

17 KYLESA CIRCLE TAKES THE SQUARE I KEN MODE

VEN FÉV

EBRIA 18 NOX AVEC ZADIG I ANOTHER PIXEL

SAM

LIVE

FÉV

DJ

I BERNOIRE I MÜESLIM DJ

DJ

ELECTRO NOISE 23 CABARET AVEC AUCAN I PICORE I DON’T SHOOT THE PIANIST JEU FÉV

SUBWAYS 24 THE THE WEASEL AND THE WASTERS VEN

Journal à par parution bimestrielle. Prochain numéro : mars 2012. CLGB Newspaper est édité par l'association Chezlegrandbag (2 impasse JB de la Salle 51100 Reims). CLGB est une marque déposée. Tous droits réservés. Toute reproduction même partielle est interdite sans autorisation. CLGB décline toute responsabilité pour les documents remis. Les textes, illustrations et photographies publiés engagent le seule responsabilité de leurs auteurs et leur présence dans le magazine implique leur libre publication.

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29 MOMO, LE DOYEN JEU

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MARS

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Boris Terlet (boris.terlet@clgb.net)

+ Directeur artistique + Romuald Gabrel (romuald.clgb@gmail.com)

08 & 09 ENSEMBLE KLANGFARBEN WINSTON 10 CHARLIE MEDI

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KIDZ #10 13 CARTO AVEC LES FRÈRES CASQUETTE

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+ Rédacteur en chef + Alexis Jama-Bieri (alexis.jama-bieri@clgb.net)

+ Régie publicitaire + Isabelle Giovacchini (isabelle.giovacchini@clgb.net)

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DE PIRATE 21 CŒUR & PREMIÈRE PARTIE

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SPRING SESSION 20 AU 24 ELEKTRICITY WWW.ELEKTRICITYFESTIVAL.FR MAR

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STARR 25 JOEY & PREMIÈRE PARTIE DIM

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27 JONATHAN RICHMAN FEAT. TOMMY LARKINS

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AFTER WORK DÈS 18H AVEC CONCERT, SÉLECTEURS & TAPAS

28 BRIGITTE BETTY BOOM MER MARS

29 TINARIWEN & PREMIÈRE PARTIE JEU

À Reims, CLGB Newspaper est disponible gratuitement dans plus de 250 points partenaires. À Monaco, CLGB Newspaper est disponible gratuitement dans plus de 180 points partenaires, avec le soutien de la Fondation Prince Pierre et de la Fondation Albert II. Pour devenir diffuseur, n’hésitez pas à nous contacter : • CLGB Reims 2 impasse JB de la Salle • 51100 Reims boris.terlet@clgb.net • +33 (0) 6 6480 2248 • CLGB Bordeaux 19 cours Pasteur • 33000 Bordeaux audreyk.clgb@gmail.com • +33 (0) 6 8537 0978 • CLGB Toulouse 35 rue Pharaon • 31000 Toulouse dag@clgb.net • +33 (0) 6 7422 8719

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