Retour aux source - Chapitre 1

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EXTRAIT


Mestr Tom

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Le Cycle des Gardiens _____

D’après le conte et l’univers d’Orobolan de Mestr Tom


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Chapitre 1 Conversation divine Par une chaude nuit d’été, le divin Érébios, grand prêtre des royaumes et ancien conseiller du Roi Cœur de Loup, sursauta. Quelque chose venait de le réveiller. Sentant sa mort prochaine, Érébios s’était retiré de Bénézit, première ville du petit royaume humain, cernée par les immenses montagnes au nord et la forêt du peuple invisible au sud. Quand la guerre se termina, Érébios choisit de demeurer dans cette montagne. Une grotte, qu’il avait aménagée, lui servait d’abri. Elle était modeste mais cela lui suffisait : une couche pour dormir, un fauteuil pour lire, une table pour manger et, partout dans la grotte, un tas de manuscrits qui s’empilaient. Érébios se leva, surpris que quelqu’un ose déranger la quiétude de ce lieu. L’apparition était un être d'allure humaine mais d’origine magique. Érébios fut soulagé que cela ne ressemble pas à un démon. Le mage ressentait son pouvoir. Il se décida à parler. Sa voix se fit murmure : « Qui ose perturber la retraite du divin Érébios, conseillé du Roi Cœur de Loup, premier conseiller du Roi Athan et prêtre des cinq divinités ? — L’une d’elles, justement. — Pardon ? — Je suis l’une des cinq divinités. En fait, je suis la dernière à avoir accédé à ce rang. — Fenrir, le gardien de l’équilibre ? — Oui.

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— Mes excuses. Je ne m’attendais pas à une visite. Je suis peu vêtu et… — Je ne me suis pas annoncé, c’est vrai. Vous auriez préféré des chérubins, des trompettes, une ou deux licornes, annonçant ma venue ? Cela aurait plu à ma consœur Élénia, mais je répugne à utiliser ces artifices. — Que me voulez-vous ? — Te confier un message d’en haut, enfin, des divinités. — Bien ! Mais je suis vieux, j’ai plus de cent trois ans maintenant. — Je sais. Et si tu as atteint cet âge-là, alors que tes semblables meurent vers la cinquantaine, c’est pour une bonne raison. En fait, tu n’es pas humain. — Je ne suis pas humain ? — Non. Tu es ma création. Je t’ai créé à l’image d’un être humain, t’ai donné une vie humaine pour que lui ne te trouve pas. — Qui ça, lui ? Et si je ne suis pas humain, que suis-je ? — La toile est divisée en quatre vents ou puissances : la vie, la mort, le feu créatif et l’eau sacrée, tous gardés par une divinité. Chaque divinité a l’apparence d’une race d’Orobolan. La cinquième est l’absorption complète des quatre essences. Elle est appelée divinité de l’Équilibre. — C’est moi Cela, je le sais. — Bon. Eh bien, tu as été créé à partir de cette essence. Tu es un homme enfant, une créature de l’équilibre. — Bien sûr ! — Tu doutes de moi. Prononce les mots que tu vois apparaître. — Barat salith rotom okum. Bien, voilà, mais qu’est-ce que ce sortilège ? — Regarde-toi. » La créature divine tendit un miroir à Érébios. Celui-ci avait les traits d’un enfant : « Voilà donc pourquoi je voyais des sortilèges apparaître quand j’en avais besoin. — Oui. Prononce le mot Orum et tu vieilliras. Le mot Okum te fera rajeunir.

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— Je serais une créature, bon, si vous le dites … mais « lui » c’est qui ? demanda Érébios, de plus en plus affolé. — J’y viens. Le créateur a placé les créatures sur Orobolan, puis il a décidé d’élever quatre gardiens au rang de divinité, qui seraient ses yeux et ses oreilles, et un cinquième pour être l’équilibre, ça tu le sais. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que je ne suis pas ce gardien de l’équilibre. Le gardien de l’équilibre était un enfant innocent. Mais il s’est fait corrompre par le mal, au point de devenir ce mal. Il a été renversé et j’ai pris sa place. Je vais te raconter comment. Mais, avant, je vais jeter un sortilège sur cette grotte. Ce sera un sanctuaire et le mal ne pourra pas y pénétrer. Si toi ou ta descendance le désirez, retourne le sablier et cent ans te paraîtront une journée. Je vais le ralentir juste un peu pour nous donner le temps, car le temps presse. Il a réussi à sortir de sa prison et il projette de détruire Orobolan, alors nous devons faire vite. » La divinité montra au vieil homme une vision du passé : quelque part, en dehors du monde d’Orobolan, quatre personnes discutaient. Un homme immense, la barbe et les cheveux blancs, déclara : « J’aimerais que l’on reparle de la distribution des dons. Quand Orobolan a été reconstruit, nous avons tous choisis des dons pour nos peuples, ainsi qu’un territoire. Il a fallu d’ailleurs reconquérir ce territoire aux démons. Mais, moi, je trouve dommage que mon peuple ne sache pas chanter et que le don de la création soit limité à mon peuple. » Une jolie jeune femme aux oreilles pointues répondit d’une voix mélodieuse : « C’est l’équilibre qui veut cela. Nos peuples pour- raient se battre entre eux, ou pire ! Imagine que nos peuples deviennent comme les humains… — Oui, en effet. Polinas, mon ombre préférée, comment va ton peuple ? » Un homme en robe de bure, le visage, blafard, en partie caché par sa capuche, arriva : « Si vos peuples se font la guerre, j’aurais trop de travail. Je suis chargé de récolter les âmes pour vous tous, je vous le rappelle, et j’ai déjà bien à faire avec mon peuple. Il a une vie très courte, il

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n’arrive pas à vivre dans ces montagnes. Et, en plus, au lieu de s’entraider, ils s’entretuent ! Je trouve que, côté malédictions, mon peuple en a reçues une bonne part. — Eventuellement, tu pourrais leur envoyer un homme qui les guiderait près des forêts, du moment qu’ils ne touchent pas à la forêt sacrée, répondit la jeune femme. — C’est à voir. La dernière fois, je leur ai donné le feu et les armes, ils n’ont fait que se taper dessus ! déclara le géant. — Là, c’est vrai… Mais bon, ils ont reçu le territoire le plus austère d’Orobolan. Ils ont une vie courte et une faible constitution, fit remarquer la douce Élénia. — J’ai une solution, déclara un cinquième homme, qui venait d’arriver. Si les hommes étaient des vecteurs de dons ? Je m’explique : ils recevraient les dons des Élénians et ceux des dragons, et auraient pour mission de les faire circuler. — Krystal, aussi séduisante que soit ton idée, j’ai peur que la contrepartie ne soit trop chère à payer. Si le créateur en a décidé ainsi, je pense qu’il doit y avoir une raison. Mais il est vrai que les hommes ne vivront pas vieux sur la montagne. » La dernière à s’être exprimé se nommait Mogdolan la Sage. Son peuple était minoritaire car elle avait été la dernière à le créer. Il vivait dans une région à l’est du monde. Ce peuple possédait la ruse des Élénians, l’agilité du peuple dragon, mais également l’apparence humaine. Comme elle n’était pas très grande, elle décida de faire un petit peuple : les gnomes. « Ma petite moitié, répondit le géant, il y a un risque évidemment, mais mon peuple aimerait entendre de la musique et faire bénéficier tout le monde de son savoir de création. — Donnons une chance aux hommes, déclara Krystal. » Il fut décidé par tout le monde que les pouvoirs seraient redistribués, pour que chaque peuple ne soit pas lésé. Mogdolan n’était pas d’accord. A part les conflits internes du peuple humain, il n’y en avait pas sur Orobolan. Krystal s’ingénia ensuite à les monter les uns contre les autres et Mogdolan, la pauvre petite Mogdolan, essaya, du mieux qu’elle put, de calmer les conflits. Non, les humains ne détruiront pas la forêt sacrée, et non, ils ne domestiqueront pas les dragons. Personne

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n’asservira non plus son peuple. L’Équilibre était là, pour préserver tout le monde de la guerre. Mais l’Équilibre, c’était Krystal, et Krystal contrôlait fort bien le peuple humain. Il lui restait encore du chemin à faire avant de contrôler tous les peuples d’Orobolan et d’évincer ainsi les quatre autres gardiens. La vieille Mogdolan était trop rusée pour se laisser berner. Elle s’inquiétait de voir Krystal diriger les autres peuples, car leurs gardiens étaient trop occupés à se quereller. Quand Krystal lança une malédiction sur son peuple, elle se décida à parler : « Mes frères, Krystal a lancé une malédiction sur mon peuple. — Moi, je crains que le peuple de Polinas n’empiète sur la forêt. Je sens qu’une guerre va éclater. Je leur ai laissé la plaine, pas la forêt, tempêta Élénia, furieuse. — Et qui a donné l’idée aux tiens de vouloir nous chevaucher ? Jamais un askari, ou un humain, ne chevauchera un dragon, rugit Tholl. — Et les armes, hein ? Tu les as bien offertes aux humains pour détruire la forêt. Pourquoi des maisons en bois et pas en pierre ? Y en a trop dans ta montagne ! — Assez ! Vous ne voyez pas que Krystal contrôle tous les pouvoirs, tous les peuples ? Tout ça parce que vous ne pouvez pas vous entendre. Grâce aux humains, vos peuples ont créé une discorde, et vous êtes toujours aussi aveugles ! — Ce n’est pas moi, c’est les autres, répondit Tholl, fâché que la naine le réprimande, lui, le géant. » D’un seul coup, la dame des eaux s’effondra, comme touchée en plein cœur : — Un malheur vient d’arriver. Mogdolan avait raison, Krystal vient de faire un terrible don à mon peuple. — Quoi ? S’inquiéta Polinas. — Le meurtre, l’envie de tuer un de ses semblables, répondit Élénia terrorisée. C’était la malédiction des humains. Aucun autre peuple ne devait l’avoir. — Il vient de donner la cupidité à mon peuple, dit Polinas complètement affolé. — Et il vient de donner le goût du pouvoir au mien, déclara Tholl, livide.

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— La malédiction de la servitude au mien, mais ça, je vous l’avais déjà dit. Vous ne m’avez pas écoutée. Evidemment, ici, je compte pour une demi-personne. — Tu nous as prévenus et on ne t’a pas écoutée. Pardonnenous, Mogdolan, tu es la plus sage d’entre nous et nous t’avons ignorée. Krystal a donné un terrible don à chacun d’entre nous. — Que faire ? demanda Tholl désemparé. — Aller voir le créateur, répondit Élénia. » En chemin, Élénia raconta aux autres comment Krystal avait pris deux frères, vivant ensemble dans la forêt, Ikan et Leba, et leur avait dit de faire un sacrifice à Dieu. Leba sacrifia une de ses bêtes et Ikan donna tous ses joyaux. Krystal, ensuite, dit à Ikan que le créateur avait plus apprécié le cadeau de Leba, car il se séparait de quelque chose qu’il aimait, de la chose pour laquelle il avait eu beaucoup d’affection. Alors Ikan, voulant montrer sa loyauté au créateur, tua la chose qu’il aimait le plus sur terre, son frère Leba. Le créateur fut attristé par cette nouvelle. Il convoqua les divinités près de lui : « Après la chute de Sourtha, je pensais recréer un monde d’harmonie, mais il n’en est rien. Vous vous chamaillez pour des futilités au lieu d’apprendre à vos peuples à se respecter. En châtiment, vous devrez des- cendre sur terre pour trouver le gardien de l’équilibre, un enfant innocent qui n’a jamais fait le mal. Pendant tout le temps où vous serez sur terre, et à chaque fois que vous devrez y retourner, vous n’aurez aucun de vos pouvoirs divins. Telle est ma décision. Aucune des malédictions ne sera levée. Toi, Krystal, au crépuscule de Sourtha, tu étais l’homme le plus innocent. Le pouvoir t’a corrompu, je te chasse donc. Tu seras le gardien de la dimension du mal que tu as créée. Tu auras la charge des âmes maléfiques. Mais je te laisse une chance : tous les deux mille ans, tu pourras sortir de ta dimension. Si tu réussis à faire le bien alors tu pourras revenir ici. » Krystal prit très mal le bannissement de l’Unique, et se jura de tout faire pour le renverser. Puis l’éternel se tourna vers Ikan, qui se demandait qui était cette voix venue d’en haut, dans cette lumière aveuglante.

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« Quant à toi, Ikan, je te maudis. Tu seras immortel, tu ne pourras plus voir le soleil. Celui-ci te consumera à l’infini. Tu auras toujours le goût du sang de ton frère dans la bouche, et chaque mets te le rappellera » Pendant leur recherche, les gardiens n’eurent plus de pouvoirs. Ils furent des hommes parmi les hommes. Cela faisait trois ans qu’ils étaient descendus sur Orobolan, trois ans à parcourir les froides montagnes du bord du monde. Le créateur leur avait dit que l’enfant était dans un village humain. Or les humains habitaient le territoire le plus inhospitalier d’Orobolan. Un soir, alors qu’ils conversaient au coin du feu : « Le feu va bientôt mourir. Dis-moi, Polinas, comment ton peuple vit-il ici ? Il ne vit pas, il survit. À cause de Krystal, je n’ai pas eu le temps de les descendre dans la forêt. — Bon, où pourrait-on chercher ? soupira Élénia qui regrettait son lac. — À chaque fois, nous pensons toucher au but, et à chaque fois, l’enfant possède une part de mal en lui, fit remarquer le géant. — En plus, le fait que les hommes se battent entre eux ne rend pas notre tâche facile, lâcha à son tour Mogdolan. Quelle triste malédiction. — Et ton peuple, comment va-t-il ? — Il grandit, mais la malédiction qui s’abat sur lui va le forcer à venir près des hommes et à devenir leurs esclaves. — Je repensais au dernier village. L’enfant paraissait le plus innocent du monde et pourtant, il avait assassiné ses frères et sœurs pour avoir plus à manger. — Quelle tristesse, soupira la dame des eaux. » Tholl remit une bûche dans le feu et regarda ses amis s’endormir. Ils finirent par trouver un enfant chétif, dans un petit village au bord de la montagne. L’enfant aidait le village courageusement, et sans jamais se plaindre. Il fournissait le travail de trois hommes, aidant aux champs, dans la hutte, et il était attentionné pour ceux qu’il considérait comme ses frères. Il savait déjà tout ce qui était juste, et chacun venait le voir pour lui demander conseil.

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Les gardiens, fatigués par leur voyage terrestre, arrivèrent dans la hutte faite de peaux qu’on leur avait indiquée. L’enfant cessa le jeu qu’il faisait avec ses frères pour venir accueillir les nouveaux arrivants. Patiemment, il leur lava les pieds et s’occupa d’eux. L’enfant avait été découvert parmi les loups. On pensait qu’il était le survivant d’un groupe de nomades, massacré par les animaux. Les gardiens surent que c’était lui et ils le nommèrent Fenrir le Loup. Ils le ramenèrent dans leur dimension. L’enfant reçut alors le médaillon de pouvoir, la source de la toile. Il n’en voulut pas et le brisa en cinq morceaux. Chaque morceau renfermerait une essence divine : celui de Polinas l’essence de la mort, celui d’Élénia celle de la vie, Mogdolan reçut celle de la sagesse et Tholl celle de la création. Pour le cinquième morceau, l’enfant y enferma, non point l’équilibre, mais l’espoir, et il le confia à une bête immonde, chargée de parcourir Orobolan sans jamais assouvir sa faim : Ikan, à qui il promit que, s’il protégeait le médaillon, il serait sauvé. Chaque gardien confia son morceau à un être sur terre. Je dois avouer que je fus très critiqué d’avoir pris cette décision, car les autres pensaient qu’Ikan était responsable de leur malheur. Le créateur fut content de la paix retrouvée, mais il nous prévint que Krystal avait conservé le pouvoir de revenir sur Orobolan grâce aux mauvaises actions des peuples d’Orobolan. Et là, seuls les cinq médaillons, attestant de la bonne entente des peuples, pourront sauver le monde et repousser Krystal. Ta mission est donc de prévenir le collège des six. Ils doivent retrouver les médaillons et fermer le portail. — Comment vais-je faire ? — Prends une apparence jeune pour le voyage et ensuite reprends ton apparence au temple. Dis-leur que le mal est revenu et que seuls les médaillons divins peuvent sauver le monde. — Soit, je vais le faire, mais le mal, quelle forme a-t-il ? — Le mal a la forme d’un général barbare. Son armée de séides attend de l’autre côté du portail. Il va certainement faire appel à des brigands pour retrouver les médaillons. Il a également cinq généraux et des dragons dont la robe reflète la noirceur de leur âme. — Des dragons noirs ? — Maintenant, tu en sais assez, il te faut partir. »

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Le divin posa son doigt sur le sablier et le temps se déroula de nouveau normalement. A voir l’état des bougies, Érébios sut qu’il ne s’était pas passé cinq minutes, alors que cela faisait bien trois heures qu’ils conversaient.



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ISBN 979-24-90647-49-1

Editions Kelach editions-kelach.e-monsite.com Collection Bois des Héros Série Orobolan

Juin 2019


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