Contes du Grand Chêne (Extrait)

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EXTRAIT


La Grande Fée

Les contes du Grand Chêne

Propos recueillis par

Elodie Greffe

Dans l’univers créé par

Mestr Tom

Illustrations : Romane Gobillot Couverture : Chabarb


Frère Gail

Gail grimpa quatre à quatre les escaliers et se jeta sur son lit. Il attrapa son oreiller, hurla dedans puis en couvrit ses oreilles pour ne plus les entendre. En bas, ses parents se disputaient. Sa mère pleurait, encore, et son père était une nouvelle fois de mauvaise humeur. Il fit glisser ses doigts sur la photo de leur famille, accrochée à côté de son lit. Ils étaient heureux tous les trois, avant. Surtout depuis que maman était tombée enceinte, il se réjouissait tellement à l’idée de devenir grand frère ! Un jour, tout s’était écroulé, et même si on ne lui avait pas expliqué grand-chose, Gail avait bien compris que quelque chose s’était mal passé et que la petite sœur ne viendrait pas. Depuis sa mère pleurait et son père travaillait plus et souriait moins. Il avait bien essayé de poser des questions mais il avait l’impression que cela rendait sa mère encore


plus triste, alors il avait arrêté. Il pensait à son anniversaire, il aurait huit ans dans une poignée d’heures. Il se demanda si ses parents y penseraient vu les circonstances. Sa grandmère lui avait dit que si l’on faisait un vœu, avec tout son cœur, la nuit précédant son anniversaire, alors une fée se chargeait de le réaliser. Il n’avait jamais trop cru aux histoires de fées de sa grand-mère mais c’était peutêtre le moment d’essayer. La Grande Fée s’éveilla en même temps que le jour, elle n’avait dormi que quelques heures, mais c’était bien suffisant pour une fée comme elle. Elle parcourut les couloirs du Grand

Chêne,

quasi

vides

à

cette

heure

matinale. Les quelques fées qui croisèrent sa route lui firent de respectueuses révérences avant

de

retourner

à

leurs

occupations.

Chaque fée avait un travail, une mission et par conséquent bon nombre de choses à faire. Depuis le départ de Big, la demeure lui paraissait étrangement calme. La grande Fée s’ennuyait,

les

mèches

rousses

et

les

plaisanteries du garçon lui manquaient. Bien


sûr, il y avait au Grand Chêne des fées maladroites et facétieuses qui exigeaient sa surveillance et occupaient ses journées, en plus de la gestion du Royaume des Deux Comtés, mais il n’y avait rien de comparable à la présence d’un enfant. Elle tourna à droite en direction des chambres des jumelles. Les Fées Ci et Ça étaient les fées des obligations, des panneaux de signalisations, des règlements intérieurs, des formulaires en tout genre et des démarches alambiquées. La Grande Fée, à la faveur de son nouveau temps libre, s’était aperçue qu’il valait mieux garder un œil sur elles car elles pouvaient être la source de bien des désordres et complications. En particulier administratives, surtout lorsqu’elles n’étaient pas d’accord entre elles, ce qui était le cas la plupart du temps. On avait ainsi vu fleurir des sens uniques qui ne menaient nulle part, et des formulaires qui se contredisaient eux-mêmes deux pages plus loin, ce qui était fort gênant et compliquait la vie de tous les habitants des deux

comtés.

Les

deux

sœurs

étaient

absentes, ce qui ne rassura pas la Grande Fée,


elle alla voir la Fée Léloi, son adjointe, qui s’occupait aussi des entrées et sorties du palais. Cette dernière n’avait aucune trace du départ des jumelles. Gail se réveilla sur un lit de paille dans une chaumière. La chambre donnait sur la pièce principale de la maison dont le toit bas, fait de bois et de paille, était à moitié écroulé. Le sol était en terre battue. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il était. Il n’eut cependant pas le temps d’avoir peur, une petite fille blonde d’environs quatre ans sanglotait dans un coin, assise par terre. Visiblement il n’y avait qu'elle dans la maison : — Bonjour, Je m’appelle Gail et toi ? La petite leva sur lui deux grands yeux terrifiés noyés de larmes mais n’ouvrit pas la bouche. — Je ne te ferais pas de mal, tu es seule ici ? Elle fit oui de la tête. Il fouilla dans ses poches de pyjama et tomba sur le morceau de chocolat qu’il avait pris à la cuisine avant de monter se coucher. Il le déballa et le tendit à


l’enfant en s’approchant. Elle renifla l’offrande et la goba d’un trait. Elle paraissait plus sereine mais elle ne parlait toujours pas. Gail retenta sa chance : — On est où ici ? Je dois rentrer chez moi. Tu sais où je dois aller ? Pas de réponse. — Je vais sortir, tu comprends ? Aller voir dehors, voir si je peux trouver de l’aide et voir où on est. La petite fille se leva d’un bond, couru vers lui et lui prit la main. — Ah. Oui. Oui tu peux venir avec moi. On va y aller ensemble. La maison délabrée prenait place dans un village qui l’était tout autant et semblait désert. A quelques centaines de mètres, de l’autre côté d’un précipice dont on ne voyait pas le fond, se trouvait une terre sombre, couverte de brume et de nuages noirs qui fit frissonner Gail d’angoisse. La petite n’était pas rassurée non plus et le tirait par la manche pour l’entrainer dans l’autre sens. En traversant le village, ils tombèrent sur deux grandes jeunes femmes.


Elles

se

ressemblaient

parfaitement,

semblaient bienveillantes mais avaient une drôle de façon de parler, chacune finissait la phrase de l’autre en permanence. — Bonjour, je m’appelle Gail et je ne sais pas qui est cette petite fille, je l’ai trouvée dans une maison là-bas, est-ce que vous pouvez nous aider s’il vous plait ? Où sommes-nous ? — Bonjour, ça fait — Beaucoup de questions. — Je suis la Fée Ci et voilà ma — Sœur Ça, — Nous sommes les fées des obligations, ajoutèrent-elles en cœur. — Vous êtes au Royaume des deux Comtés, repris la première. Vous êtes au Comté des Fins Heureuses, mais — là-bas, derrière vous, continua la seconde, se trouve le Comté de la nuit. Beaucoup de monstres vivent là-bas — Il ne faut pas y aller. — Des monstres ? demanda Gail qui n’était pas sûr de tout comprendre. Attendez, vous dites que vous êtes des fées ?


— Exactement, confirmèrent-elles en cœur, alors que deux ailes translucides se déployaient dans le dos de chacune. — Mais, c’est impossible, ça n’existe pas, je suis en train de faire un rêve c’est ça ? Les

fées

interloquées :

jumelles

se

enfant,

de

un

regardèrent créateur

de

surcroit, qui ne croyait pas aux fées ! Elles n’en avaient jamais vu. Bien sûr elles avaient déjà entendu des rumeurs là-dessus mais elles n’y avaient jamais cru. — Vous êtes — Perdus ? — Oui ! Est-ce que vous pouvez nous aider ? insista Gail qui commençait à perdre patience. Les deux sœurs se lancèrent un regard de connivence et commencèrent à parler entre elles, comme si les enfants ne les entendaient pas : — Tu penses — A la même chose que moi ? — Certainement ! Ils seront — Parfaits pour l’occuper.


— Nous allons vous conduire — A la Grande Fée, terminèrent-elles en le regardant cette fois. Gail était perplexe, il n’était pas sûr de pouvoir faire confiance à ces prétendues fées, mais la petite fille avait l’air plus rassurée depuis leur arrivée et elle avait le sourire depuis qu’elle avait entendu parler de cette « Grande Fée ». Elle paraissait décidée à les suivre et il n’allait pas la laisser seule. Il l’avait trouvée, il s’en sentait responsable : — D’accord, on vous suit. La Grande Fée, sur son trône sculpté à même le tronc du Grand Chêne, examinait les derniers rapports fournis par le Seigneur Loup. Elle était préoccupée, ces derniers signalaient plusieurs

incursions :

vampires,

sorcières,

mais aussi hommes garous étaient à l’origine d’incidents, mineurs certes, dans la forêt aux abords du gouffre qui séparait les deux comtés.



Il semblait que le pont de bois était régulièrement emprunté par les créatures de la nuit. Cela faisait écho aux plaintes récentes des villageois de la zone. Elle allait écrire une missive à l’attention de la Fée C, en charge du comté de la nuit, afin qu’elle contrôle mieux ses

créatures,

provenance

du

mais

un

couloir

brouhaha

l’empêcha

de

en se

concentrer. Elle allait se lever pour aller voir et réclamer le silence quand la porte de la salle du trône s’ouvrit à la volée laissant entrer les deux fées jumelles poussant devant elles deux enfants : un enfant de créateur et une petite

minuscule

en

haillons.

Ci

et

Ça

semblaient surexcitées. Léloi entra à son tour, elle avait visiblement été bousculée par les chipies

qui

n’étaient

pas

du

genre

à

s’encombrer des protocoles. Elle bouscula les demoiselles à son tour et passa devant la compagnie : — Majesté, je suis désolée, les fées Ci et Ça ne sont pas inscrites au registre de ce jour mais ont visiblement un rapport urgent à vous…


— Oui, oui c’est ça on a compris Léloi ! Majesté, je pense vraiment —

Que

l’on

devrait

simplifier

les

protocoles afin de — Gagner du temps ! Léloi était effarée, La Grande Fée se retenait

de

rire,

elle

était

habituée

aux

manières particulières de ces deux fées qui étaient une distraction bienvenue après ce qu’elle venait d’apprendre. — Nous avons trouvé ces deux — Enfants. Ils sont perdus et — Orphelins, on s’est dit que — Vous seriez heureuses de vous en — Occuper ! —

Mais

je

ne

suis

pas

orphelin !

s’exclama Gail en se faufilant entre les fées. —

Ça

ne

change

pas

grand-chose,

marmonna Ci. — Excusez-moi Majesté, commença Gail en improvisant une révérence, je ne suis pas sûr de savoir où je suis, ni même si j’y suis vraiment ou si je rêve, mais je sais que quelque part j’ai une maison avec un père et une mère


qui

m’attendent

et

que

je

souhaiterais

rejoindre. J’espérais que votre Majesté pourrait m’y aider. Je vous demande aussi votre aide pour cette petite fille que j’ai trouvée, seule, dans une maison en ruine. Son village est désert. Si elle n’a aucun endroit où aller je suis sûr

que

mes

parents

seraient

ravis

de

l’accueillir, nous attendions une petite fille mais elle n’est pas venue alors il y a une place vide, elle pourrait venir. Il avait dit tout ça d’une traite. Il était essoufflé. Il se trouvait maladroit. La Grande Fée, elle, était impressionnée par ce petit créateur qui semblait si déterminé. La plupart des enfants qu’elle croisait étaient heureux de la voir mais étaient empreints d’un respect mêlé de crainte, cependant, là, ce n’était pas le cas. Elle se leva, les pans de ses robes glissèrent en traines sur le sol accentuant sa majesté et la faisant paraître encore plus grande, ses ailes de cristal se déployèrent dans son dos en un son minéral qui résonna sous les hauts plafonds de la salle du trône. La petite tomba à genoux, les trois fées firent une


profonde révérence, le garçon ne bougea pas. Son regard, planté dans celui de la Grande Fée ne

cilla

pas.

Elle

s’approcha

de

lui

et

s’accroupit pour être à sa hauteur : — Tu ne rêves pas, tu viens d’un autre monde que l’on nomme ici, le monde des créateurs. Tu es au Royaume des Deux Comtés. Je suis la Grande Fée, c’est moi qui dirige, puis-je connaître ton nom ? — Je m’appelle Gail, j’aurais bientôt huit ans, à moins que cela ne soit déjà le cas, quel jour sommes-nous ? — Le temps ne se conduit pas de la même

façon

ici,

jeune

créateur,

mais

l’anniversaire est un jour particulier pour les créateurs, leur pouvoir est encore plus grand alors. — Quel pouvoir ? — Je peux t’aider à rentrer chez toi jeune homme mais il y a une chose dont je suis sûre, c’est que personne n’arrive ici par hasard. Avant de rentrer chez toi, il va falloir trouver pourquoi tu es là. (...) à suivre dans ke roman

"Contes du Grand Chêne"


Dans le même univers : (Par ordre chronologique)

Les Contes de Big et Bang de Corinne Fayet Charra. Les Contes de la terrible fée de Maud Wleck. Les Contes du grand chêne d’Elodie Greffe. Les Contes du soleil levant de Mestr Tom. Les Contes de la nuit de Nimu. Les Contes Hors-série de Mestr Tom Les Contes de Chrysanthème d’Audrey Calviac. Les Contes de l’arc-en-ciel de Pathilia Aprahamian. Les Contes sans retour de Mestr Tom.

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ISBN 978-2-490647-04-0

Editions Kelach Collection Le Bosquet Féérique ISSN en cours

Série des Contes des 2 comtés

Juin 2019


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