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Réinvestir nos Temples

Bruno Pinchard EVENEMENT

Ted conférence

QUATRE TEMPS POUR DÉCOUVRIR L'ÉTERNITÉ

Ce soir-là dans le Grand Temple de la GLNF, le temps s'est suspendu l'espace d'un court instant. Quatre-vingt minutes, quatre fois vingt minutes, pour quatre conférences uniques dédiées au "Temps". Des conférences courtes, incisives, poétiques - dites par cœur et avec le cœur, par un chef d'orchestre, un historien, un neurologue et un philosophe.

Pour commencer, le musicien Philippe Fournier a pris le temps de parler tempo. Celui du corps : le premier signe de vie n'est-il pas un son, le son du cœur qui bat ? Un son qui se transforme aussitôt en rythme, dans un battement rappelant celui du métronome, pendule aux vibrations infaillibles gradué entre 40 et 200 battements par minute. Soit très exactement le rythme le plus lent ou le plus rapide que le corps humain "comprenne"... En dessous, on perd le tempo, au dessus également.

Mais le temps musical pour Philippe Fournier, s'exprime surtout à l’Opéra, dont le génie consiste à dissocier perception et compréhension : « il y a d'abord le temps où je comprends ce qui se passe en écoutant les paroles, puis vient ensuite le temps où je ressens l'émotion, véhiculée par la musique», explique-t-il. Un second temps plus lent, qui prend son temps et n'est pas dans le même rythme que celui de l'intellect. Voilà pourquoi le chef d'orchestre qui doit dissocier les temps des instruments pour les rendre harmonieux n'est pas le chef « au-dessus des autres » - meilleur que les autres - mais tout simplement celui chargé de dire à l'orchestre quel sera le temps suivant. Celui qui a un temps d'avance. L'espace de quelques secondes, l’assistance réunie pour ce moment exceptionnel a cru ressentir, derrière cette remarque, un guide oublié pour quelque Vénérable Maître désireux de s’assurer qu’il possède toujours un temps d'avance sur les Frères dans le déroulement des cérémonies.

Vint alors - avec l'historien Yves Hivert Messeca - le temps de parler mémoire et histoire, en débutant par cette sentence : « Le temps passe ! La mémoire s’efface ! L’histoire balbutie ! » À la différence de l'harmonie musicale du chef d'orchestre, « Temps et histoire ne marchent pas d’un même pas » nous confie le second conférencier. Le temps est l’espace où le passé se déploie, mais le temps passe, « coule » s’efface. La « résurrection objectivée du passé par l’histoire est donc en partie illusoire ». Ce qui entraîne des liens difficiles entre mémoire et histoire. « La mémoire est un vécu à la fois sélectif, évolutif et émotionnel, partiel, partial pouvant atteindre un caractère collectivement sacré », rappelle Yves Hivert-Messeca. Elle est constituante des corps sociaux, et change avec le temps. À l’inverse de la mémoire, l’histoire se définit comme un savoir, une démarche scientifique. Dans ces conditions, « l’historien

a un droit de mémoire, mais pas un devoir de mémoire ». En revanche, il a un devoir d’histoire et un devoir d’enquête « en se souvenant que le mot histoire vient du grec ancien , historía, l’enquête, la connaissance acquise par l’enquête, le récit de ce que l'on a appris ».

Il fut temps, alors, de parler éternité, immortalité, avec le professeur en neurologie Pierre-Marie Lledo. « Y-a-t-il une limite à l'espérance de vie ? Peut-on repousser le temps de vie ? » Terribles questions assénées dans un Temple Jean Mons plongé dans l'obscurité. De prime abord, la réponse, est non. Le temps humain est fini et rallonger le temps de vie signifie trouver la capacité de régénérer tout ou partie de notre corps, ce qui ne pourrait se faire qu'à l'aide des cellules souches. Or, miracle récent de la science, on a découvert au cours des dernières années qu'il existe aussi de cellules souches dans plusieurs partie du corps humain, le foie par exemple, mais aussi le cerveau. Elles seraient même capables, dans certaines circonstances, de générer de nouvelles cellules, donc de prolonger la vie de cet organe clef.

Saint Augustin l'avait compris, déjà, lorsque dans le Livre XI de ses « Confessions», il évoque les trois temps du présent. D'abord le « Présent du passé », la mnésique, qui permet de se souvenir pour ne pas répéter nos échecs passés. Le second temps est le "Présent du présent" celui du passage à l'acte. Lorsqu'il en retire du plaisir le cerveau produit de la dopamine qui nous invite à recommencer. « C'est le syndrome grandissant de l'addiction, prévient PIerre-Marie Lledo, un mal qui ronge notre société où l'on souhaite avoir les choses tout de suite, au présent. Adictus, d'ailleurs, était le nom donné à l'esclave devant payer une dette à son maître ».

Le troisième temps, « le Présent du futur » est l'envie de réaliser une action en sachant qu'elle nous fera du bien. C'est le désir, une stimulation mentale du plaisir à venir. Et par un incroyable effet de la nature humaine, cette pensée située dans le lobe frontal, génère de la sérotonine permettant justement de réveiller les cellules souches. Au fond, vivre éternellement c'est donc désirer en permanence, rêver toujours d'un futur idéal. À ce rêve d'éternité, succéda enfin « l’instant-monde », l'éloge de l'instant, par le philosophe Bruno Pinchard. « C'est très décevant l'instant, ca s'en va, cela ne se stabilise pas...alors je vous propose de parler de la pureté de l'instant, de la scander en quatre actes ». Le premier acte de l'instant c'est la création. « Qu'est ce qui caractérise la piqure de l'instant ? C'est sa fécondité ! raconte le philosophe. L'instant dans son premier geste est une création. Un germe fécondé, un grand instant créateur qui produit des suites et ces suites dans les traditions de pensées ce sont les mondes, les desseins des cieux, la providence ».

Dès lors, la fécondité de l'instant se mue en flamme, sans partage, c'est l'étincelle de l'instant qui se forme, qui jaillit. Ce deuxième acte est celui de la forme. Hélas, à un moment où un autre la forme ralentit, s'affaisse, obligeant à passer au troisième acte de la vie instantanée, « le baiser ». Car « ce qui permet aux différentes formes de la création de traverser les états divers, c'est l'amour : les choses par le monde se cherchent, se désirent, cherchent à créer une harmonie avec une telle intensité qu'on en vient à parler de la vitesse infinie de l'amour qui nous dévore, nous broie, dissout nos frontières », explique le dernier conférencier de la soirée. Une fois cet amour recomposé, il faut alors basculer dans le quatrième et ultime acte, «l'évènement», ce qui s’est passé et peut être recomposé et raconté.

« Puisque nous avons recomposé l'amour. Il nous reste, après avoir aimé, l'instant ensemble à célébrer l'étincelle du monde. C'est l'intelligence en tant qu'elle est vouée à la vérité. Le point de rencontre entre le temps et l'éternité. L'intelligence aime l'ordre, c'est pourquoi elle égrene les instants ». Au fond, « l'instant n'est pas un maintenant, c'est « le geste » plein de l'esprit, ce que l'on appelle la synthèse qui rassemble une diversité, la donne à partager et la met sous la lumière de l'éternité ».

Quelle meilleure conclusion donner à cette soirée rythmée, qui s'inscrira dans les mémoires des participants comme un instant emprunt d'éternité. Un moment volé au temps qu'on ne lui rendra pas !

SYMBOLISME

Réinvestir nos Temples et embellir les rituels : une ardente obligation !

Investir le Temple pour le réinvestir ; investir dans le Temple, pour qu’il ne soit pas qu’une pièce accueillant une cérémonie mais qu’il soit lui-même la cérémonie, qu’il devienne le rituel et fasse corps avec lui. Ce sont sûrement des évidences pour nous tous qui avons été initiés dans une Loge transformée en un espace sacré.

Et pourtant…qui d’entre nous n’a pas eu, pendant une cérémonie, son attention détournée par une chaise vide posée au milieu de nulle part, un compas à la pointe élimée, une caisse mal dissimulée, un tableau de Loge sans âme, des couleurs mal orientées ? Autant de petits détails négligés qui nuisent à la concentration et finissent, mis bout à bout, par casser l’égrégore et la beauté de la cérémonie.

Depuis cinq ans, la GLNF a consacré des moyens financiers très importants pour que chaque Province dispose de Temples modernes, aux meilleures normes de sécurité, accessibles facilement et pratiques pour tous les Frères. Mais il faut désormais passer à la seconde étape, qui constitue un axe majeur de la politique voulue par notre Grand Maître, le TRF Jean-Pierre Servel : remettre de la beauté dans chacun de nos Temples, élever le niveau de nos cérémonies, pour le plus grand profit de tous les Frères.

Nos Loges doivent réinvestir dans les Temples, mettre les moyens nécessaires à les rendre beaux, signifiants. Les trésors des Loges doivent être utilisés en partie pour racheter des décors dignes de ce nom, qui ne fassent pas "kits" mais donnent le sentiment d’être vrai, pour que les Frères présents aient le sentiment de vivre une véritable cérémonie. Cinq Frères se sont réunis pour discuter du Temple idéal. Un architecte (Yves Pennes), un metteur en scène (MES) - qui a préféré garder l'anonymat - un directeur artistique (Olivier Recurt) en compagnie de Paul Versini le responsable immobilier de la GLNF et de Daniel Denys, le secrétaire de rédaction de GLNF Magazine. Leurs libres propos visaient autant à dresser le portrait robot du Temple idéal qu’à donner quelques conseils de bon sens aux GrandsMaîtres Provinciaux et aux Vénérables Maîtres qui voudraient réinvestir le temple pour le bien de tous les Frères.

GLNF Magazine : Quelle est la politique de la GLNF en matière d'aménagement des Temples ?

Paul Versini : À la demande de notre Grand Maître Jean-Pierre Servel, nous essayons de rendre les Temples plus chaleureux. Cela pourrait presque conduire à personnaliser chaque Temple et y amener son propre décor. Ceci est effectivement très difficile car cela oblige à trouver le décor idéal qui ne fige pas le Temple et vise à la rendre le plus polyvalent possible.

Commençons par les questions de contingence. Quels sont les impératifs techniques et de sécurité qui se posent à tous les Temples de la GLNF ?

Yves Pennes : Le principe de base c’est d’avoir deux entrées qui soient aussi des portes de sortie dans tout lieu public accueillant plus de 19 personnes. Ces deux entrées doivent être espacées de plus de 15 mètres. A l'intérieur, les matériaux doivent être ininflammables à commencer par les bougies, ce qui a des conséquences importantes en termes esthétiques. Il faut aussi prévoir une ventilation dont la puissance varie en fonction du nombre de personnes dans la pièce. Idem pour le détecteur de fumée : parfois, un détecteur simple comme chez tous les particuliers suffit mais dans les plus grands temples nous pouvons être obligés

de mettre une alarme dite « sifflet à roulette » sur le plateau du Vénérable Maître. Au-delà de 200 personnes, il faut un système d’alarme générale. Enfin, les sièges doivent être fixes pour qu’en cas de panique nous puissions évacuer par un chemin bien balisé.

PV : Les contraintes majeures portent effectivement sur les évacuations et les sorties de secours. En général, nos Loges comprennent entre 25 et 40 personnes donc la plupart du temps nous nous situons dans un cas de figure relativement normal. Cela ne pose pas de problèmes particuliers pour aménager des temples de façon rituellique, sauf dans quelques rares endroits où l’entrée se fait par un côté plutôt qu’à l’occident, ce qui est un peu perturbant.

Le premier geste des Frères en arrivant dans le Temple consiste à se déshabiller pour se vêtir de ses insignes. À Londres, au siège de la GLUA, chaque Temple est accompagné d’un vestibule de sorte qu’il n’y ait aucun manteau ou affaire personnelle qui traîne dans le Temple. Est-ce faisable à la GLNF ?

YP : Chaque étape, avant d’entrer dans la Loge, doit nous permettre de nous dépouiller. Investir le Temple c’est se dépouiller laisser nos métaux à l’extérieur du Temple. Au siège de la GLNF, rue Christine de Pisan, nous n’avons pas assez de place pour mettre des vestibules partout. La meilleure des solutions consiste donc à utiliser des sièges qui se soulèvent et sous lesquels on glisse les vêtements et les sacs. Le Vénérable Maître doit veiller à ce que chaque Frère le fasse et que rien ne traîne avant l’ouverture des travaux. Daniel Denys : Il ne faut négliger aucun détail dans ce dépouillement. Par exemple, nous voyons trop souvent traîner au fond du Temple la malle contenant les décors de la Loge. Elle est inutile et perturbe la vision : il faut la mettre à l’extérieur si on en a la possibilité ou la masquer en la revêtant par exemple d’un drap noir.

Poursuivons sur cette idée de dépouillement. Jusqu’où faut-il le pousser dans l’aménagement des Temples ?

Metteur en scène : Au théâtre, nous considérons la scène comme « un endroit de nécessité ». Chaque élément présent sur la scène doit avoir sa propre signification de sorte que le premier travail de la mise en scène consiste à supprimer tout le superflu, tout ce qui n’a pas de sens. Puisque le Temple est un espace sacré, doublement signifiant, tout doit être orienté dans ce but. Au théâtre toujours, il existe des seuils successifs : la salle, l’avant scène, la scène, chacun ayant des degrés. La particularité dans nos tenues c’est que chacun est à la fois acteur et spectateur. Le Temple entier est une scène, pas uniquement l’Orient. Lorsque l’on est Vénérable Maître on est pas sur scène

pour faire un show : tous les Frères de la Loge sont à la fois acteurs et spectateurs. Séquencer cet espace consiste par commencer à retirer, enlever ce qui ne sert à rien, tout ce qui n’est pas absolument nécessaire à la tenue. On ne dira jamais assez combien beaucoup de choses ne servent à rien dans nos Temples. Quitte à pousser ce raisonnement, l’idéal serait de n’avoir qu’un espace vide sur lequel on dispose quelques éléments fondamentaux.

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