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De La Fraternité
Le MEC Peter Lowndes, Pro Premier Grand Principal s’est ensuite exprimé pour faire constater à l’ensemble des Compagnons que l’Office de Grand Maître était indissociable de celui de Premier Grand Principal et qu’il trouvait remarquable que SAR le Duc de Kent les ait constamment exercés durant 50 ans, demandant à toute l’assemblée d’accueillir cette prouesse comme il se devait. Les 1 500 Compagnons présents se sont alors levés et exécutés. Inutile de décrire l’émotion qui s’en est dégagée…
Dans son allocution, SAR le Duc de Kent – qui fêtait son jubilé des 50 ans passés à la tête de la Grande Loge et de son Suprême Grand Chapitre - a alors cité nommément les quatre membres de notre délégation à laquelle il a rendu un bel hommage.
Il a ensuite félicité les nouveaux promus, leur précisant que les honneurs devaient également être compris comme des encouragements à poursuivre leurs efforts.
Il a enfin remercié le MEC Peter Lowndes pour la gentillesse de son propos et salué l’excellence du travail du Grand Scribe E. et du Grand Directeur des Cérémonies (et de leurs équipes respectives).
Enfin, SAR Le Duc de Kent a fermé le Grand Chapitre (lui-même) et s’est mis à disposition du Grand Directeur des Cérémonies, lequel – nous intégrant dans son cortège – l’a fait raccompagner en grande escorte. Nos Compagnons et Frères anglais, ayant généralement - pour l’apéritif qui s’en suivit - quelques bonnes habitudes (Cherry pour tout le monde), nous ont alors fait la surprise de remplacer celuici par du Champagne…
Puis, notre délégation a été invitée à prendre place à table, dans un salon qui en comptait une cinquantaine, les TTEECC Didier Gomez et Guy Bruandet étant conviés à partager celle de SAR le Duc de Kent et du Pro Premier Grand Principal Peter Lowndes.
Après la clôture des Travaux du Banquet, un important cortège (dont notre délégation) a alors raccompagné SAR le Duc de Kent jusqu’à sa voiture, escortée de près par un important (mais discret) dispositif de sécurité.
Enfin, et avant de nous séparer, le MEC Peter Lowndes nous conduisit dans un salon où, entouré des Deuxième et Troisième Grands Principaux, il nous remercia chaleureusement de notre visite, remerciements que nous lui retournâmes - à notre tour et au nom de notre TE Premier Grand Principal Jean-Pierre Servel pour la grandeur et la chaleur de l’accueil qui nous avait été réservé.



LA FRATERNITÉ

DE LA FRATERNITÉ : DEUX OU TROIS CHOSES QUE l’ON SAIT D’ELLE
Yves Hivert-Messeca
La fraternité est un mot à la fois complexe, polysémique et opaque, mais c’est également un objet insaisissable et un sentiment fort et troublant que chaque humain peut ressentir. On laissera de côté la question du genre, encore qu’il soit loisible de se demander si la sororité1 est identique à la fraternité ! Le français ne dispose pas d’un nom collectif signifiant à la fois "sœur(s) et frère(s)", au contraire de l’anglais siblings ou de l’allemand Geschwister.
***Fraternité, fratrie, fratricide.
Stricto sensu, la fraternité (du latin fraternitas) désigne le lien de parenté biologique et de sentiments mutuels entre frères, et par extension entre enfants d’un même couple. L’amour fraternel (la relation affective adelphique2) est souvent fort et durable entre frères et sœurs, pouvant aller comme dans la fratrie de Musset jusqu’à une empathie fusionnelle et fictionnelle. Paul (1804-1880) vouait à Alfred un véritable culte tandis que ce dernier considérait Paul comme un modèle, une muse et une mère au point que l’auteur de La Confession d’un enfant du siècle (1836) voyait dans la fraternité stricto sensu le modèle de toute relation et qu’il proposera à George Sand en guise d’amour, une "camaraderie fraternelle".
Au-delà de toutes les particularités des parcours individuels, la fraternité repose entre autres sur la consanguinité, la vie commune et la durée car, le plus souvent, les relations dans une fratrie ont plus de chances de se prolonger si elles se sont appuyées sur une histoire riche, partagée et longue durant l’enfance. Néanmoins, faites d’inclination profonde, de solidarité matérielle et affective et de complicité, les relations au sein d’une fratrie sont tout sauf simples. La recomposition des familles (qui est un phénomène très ancien) n’a pas simplifié le problème3. Les rapports au sein de la fratrie sont complexes et changeants, la rancœur, la jalousie, voire plus, peuvent ne pas être très loin de l’affection. Le mot fratrie d’origine latine est porteur de cette ambiguïté alors que les grecs distinguaient la phratia4 (les liens affinitaires) et l’adelphie (les liens du sang). Ambivalence qui se retrouve dans les arts et les lettres comme dans Les frères Karamazov (1879/80) de Fiodor Dostoïevski où chacun des fils s’identifie à un idéal-type de la psychologie et de la société russes ou chez les sensibilités des Quatre filles du Docteur March de Louisa May Alcott (1868). Dans l’œuvre de Victor Hugo, on note même un apparent contraste entre les évocations adelphiques, heureuses dans sa poésie sombres dans ses romans. La psychologie et la psychanalyse ont investi la thématique des rapports infra-fraternels. Jacques Lacan popularisa le concept explicite de frérocité tandis que Philippe Caillé5 et Robert Neuburger parlent de fratitude, état de concurrence mimétique, la fratrie sans la fraternité. En effet la fraternité ne s’identifie pas toujours à la fratrie car la fratrie est aussi le lieu du fratricide. Au-delà des crimes réels6 , l’inceste et le fratricide sont une constante incontournable et fondatrice de nombreuses mythologies (Osiris/Set ; Caïn/Abel ;
1 - L’anglais dispose de deux mots pour traduire cette notion : sorority traduit les liens entre filles nées d’une même mère et sisterhood, les relations d’affinités et/ou de proximité entre femmes. 2 - Adelphie : naissance d’une même mère. 3 : L’empereur Auguste, cousin au 4e degré, puis fils adoptif et héritier de Jules César, adopta à son tour comme fils et héritier Tibère, fils d’un premier mariage de sa 3e femme Livie, laquelle fit ensuite adopter à son empereur de mari, un de ses arrière-petit-fils issu de sa première union Caligula, et les recompositions continuèrent au sein de la dynastie Julio-claudienne. 4 - Fratrie latine et phratria grecque. La phratria (de phratêr, membre d’un même "clan") désignait une association d’individus liés par des rites et usages communs et qui se disaient apparentés. 5 - Fratries sans fraternité dans "Cahiers critiques de thérapie"…, 2004/1, no 32, p. 11/22. 6 - Cf. Haddad Gérard, Le complexe de Caïn. Terrorisme, haine de l’autre et rivalité fraternelle, Clamecy, éditions Premier Parallèle, 2016. Remus/Romulus ; Gilgamesh/Enkidu7 ; Gwyn/Gwythyr8 , Sunda/Upasunda9 et nolens volens Hiram et ses "frères" mauvais compagnons).
***Fraternisation, confrérie et fraternité.
a) La fratrie est un fait, la fraternité reste à faire. La fratrie est une donnée sociale et ethnologique, la fraternité est un concept moral et spirituel. Si la fratrie est génétique et reçue (liens du sang), la fraternité est symbolique et volontaire. Ainsi la fraternité serait de se comporter dans les rapports interpersonnels, et plus largement dans les rapports sociaux, comme des frères/ sœurs, il faudrait préciser comme de"bon(ne)s" frères/sœurs. On ne choisit pas sa famille10, mais on peut choisir son équipe, son club, son parti, son église, son association, sa loge. On sort de la famille biologique pour entrer dans une famille construite, adoptée11, plus vaste : cette sortie/entrée prend des formes plus ou moins denses, de la camaraderie juvénile, professionnelle ou politique12 à la fraternité d’armes13. La fraternité présuppose la fraternisation, l’alchimie de se constituer frère. Elle relève d’une logique sentimentale, de l’inclination, de l’affect, de l’attachement, l’idée de sexualité en étant théoriquement exclue14 . Fraterniser suppose la rencontre, l’échange, l’apprivoisement de l’altérité, la réconciliation. Comment ne pas noter que la fraternisation désigne également ce temps de suspension des hostilités entre belligérants ou ces moments le plus souvent fugaces (quelques jours, voire quelques heures) durant lesquels une sorte d’égrégore sociale semble abolir les frontières infrahumaines comme le "moment fraternité"15 qui suivit la révolution parisienne de février 1848 ou la semaine de juillet 1998 qui vit la victoire au mondial de football de l’équipe black blanc beur sur l’air de I will survive.
b) La fraternité est également le ciment d’un nombre certain d’associations16, légales ou non, secrètes ou non, plus ou moins ritualisées dont les membres se considèrent comme frère (sœur) le plus souvent à la suite d’une réception plus ou moins cérémonieuse, d’une intronisation ou d’une initiation. La fraternité initiatique, ou plus exactement la fraternisation (au sens de se construire comme frère avec l’autre) dans le processus initiatique présuppose un corpus et des modes d’amalgame qui constituent le moyen d’agrégation du néophyte, de sa déconstruction/reconstruction et de sa transformation. Entre frères (et sœurs) choisi(e)s, la socialisation, la fraternisation au sens psycho-affectif, passe ainsi par des conduites d’initiation qui comprennent des pratiques rituéliques, des discours partagés, des homologations symboliques et le plaisir d’être inclus ensemble. La fraternité/fraternisation comme composante
7 - Mythologie mésopotamienne 8 - Mythologie galloise. 9 - Mythologie indienne. 10 - C’est vrai pour sa famille utérine, mais on peut construire sa famille conjugale. 11 - Néanmoins dans de nombreuses sociétés, les initiations d’âge sont quasi-obligatoires. 12 - Cf. la proposition de la révolutionnaire féministe russe Alexandra M. Kollontai (1872/1952) d’une nouvelle devise : Liberté, égalité, camaraderie, ce dernier terme désignant une nouvelle morale sentimentale, l’amour-camaraderie ou l’amitié érotique. 13 - Paradoxe, la fraternité d’armes est d’origine belliciste. Elle n’est pas empathie mais construction contre l’ennemi. On se fait frère contre l’autre. 14 - Cf. l’expression : vivre comme frère et sœur. 15 - Le 27 février 1848, la nouvelle République adopte pour la première fois comme devise officielle "Liberté, Égalité, Fraternité". La Constitution du 4 novembre 1848 précisera dans son article IV que la République "a pour principe la Liberté, l'Égalité et la Fraternité" et "pour base la Famille, le Travail, la Propriété et l'Ordre public". 16 - Sans être exhaustif, citons les Fraternités ou Sororités d’étudiants (comme la célèbre Skull and Bones, de l’Université Yale, au Connecticut), les groupes scouts, les Loges maçonniques, certaines confréries religieuses ou corporations de métier, mais également des sociétés secrètes politiques comme l’Irish Republican Brotherhood, voire des associations criminelles ritualisées (Cosa Nostra, Triades chinoises, Yakusas japonais).

d’un processus initiatique (à la fois comme mise en chemin (initium/initio) et comme objectif/but (télétè/télos) implique ainsi, engendre et soutient de nouveaux rapports à soi et aux autres.
c) Par élargissements successifs, cette acception a débordé le cadre familial et confraternel pour investir le champ du politique, du social, du philosophique et du religieux à un niveau plus vaste, y compris jusqu’à la nation/état17. C’est le cas de la France. Progressivement, la fraternité fut associée à la liberté et à l’égalité durant la période révolutionnaire, avant que ce triptyque ne soit adopté comme devise officielle d’abord le 27 février 1848 (Seconde République), puis le 14 juillet 188018 (Troisième République). Néanmoins, les trois termes ne sont pas isonomiques. La liberté et l’égalité relèvent du contrat social, de la loi, du droit, du statut. Elles peuvent être définies par des bénéfices et des devoirs. La fraternité est un impératif moral. Elle assure par l’affect, le sentiment, le regard vers l’autre, l’équilibre entre la liberté et l’égalité, valeurs antagonistes et complémentaires. C’est elle qui devrait empêcher la liberté d’être individualiste et l’égalité d’être niveleuse.
À cause de sa nature présumée sensible, voire romanesque, d’aucuns ont pensé lui préférer deux notions censées être plus concrètes, plus objectivées : la solidarité et/ou la laïcité, deux termes éloignés de la dimension émotionnelle et de la fragilité conceptuelle de la fraternité. Dans ce nouveau triptyque, la fraternité serait la vertu par laquelle les concitoyens admettent qu’ils sont amis, libres, ressemblants et solidaires et qu’ils acceptent de faire à la fois communauté et différence ensemble. La solidarité est l’expression concrète du contrat social, destinée à maintenir et conforter la cohésion sociale, en mettant en œuvre une justice distributive, par un transfert des revenus et des richesses. La laïcité, dans son principe, peut être définie comme un lien constitutif obligatoire de la cité démocratique. Elle permet à tous les individus d’un pays, qu’ils croient au ciel ou qu’ils n’y croient pas, qu’ils fassent partie d’une institution religieuse ou pas, qu’ils pratiquent ou non une religion ou qu’ils se réfèrent à une spiritualité ou une philosophie particulière ou à aucune, de participer en citoyens à la vie publique, à égalité de droits et de devoirs. Si la solidarité et la laïcité peuvent être définies concrètement, juridiquement, la fraternité reste toujours un sentiment d’appartenance, de reliance, voire plus si affinités, diffus et imprécis plus qu’un principe de droit. On ne peut légiférer sur la fraternité.
*** Du Frère à l’autre, au tout-autre comme frère.
Lien, mode et éthique familiaux et socio-politiques, la fraternité est aussi un lien, un mode et une éthique universelles. Il est difficile de préciser quand ce sentiment a germé chez l’homo sapiens, où et comment dans le long et lent processus d’humanisation, il est devenu (ou plutôt qu’il a eu l’intuition qu’il pouvait être) homo humanus fraternitatis. Peu ou prou, la fraternité est présente dans diverses religions, spiritualités et philosophies dès l’antiquité.
Le Lévitique élargit les rapports des frères à l’autre en général :
"Tu ne te vengeras point et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (XIX, 19).
Le Bouddha préconise l’amour familial et l’amitié tout en cultivant Maitrï, la bienveillance incommensurable pour tous les êtres :
"Ainsi qu'une mère surveille et protège son unique enfant au péril de sa vie, ainsi doit-on chérir tout être vivant avec un esprit sans limite"19 .
L’École pythagoricienne fut en même temps une société ésotérique fermée sur ses spécificités et une société exotérique ouverte sur l’universel.
L’adelphie se déploie dans le Nouveau Testament, notamment les Actes des apôtres. La fraternitas apparait au IIe siècle chez des auteurs chrétiens. Elle est présente dans les paroles de Muhammad :
"Nul ne sera véritablement croyant tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même20".
19 - Metta Sutta [Metta = Maitrï] en pali (vieille langue indo-aryenne)][Sutta de la bonté bienveillante] / Suttïanipâta = Choix d’instructions, I, 8. 20 - Selon deux recueils de hadîth [propos tenus par Muhammad et rapportés par ses compagnons] le Sahîh d’Al-Bukhârî & le Sahîh Muslim.








