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L’amour de Don Juan

survécu parce qu’il correspond à l’évolution générale vers plus d’ordre. Comme toutes les règles et commandements religieux, cet ordre aussi a une solide base biologique et évolutionnaire. La guerre, aussi bien entre pays qu’entre des individus, n’est pas seulement contraire à la vision chrétienne, mais semble aussi être contraire au cours de l’évolution de la vie.

Pour André Comte-Sponville47, suivant en cela Saint Augustin, l’amour est la plus grande vertu car pour celui qui est dans l’amour, le reste en découle facilement. Toute la morale peut être résumée dans ce seul principe.

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Nous pouvons choisir l’amour au lieu de la haine, la paix au lieu de la guerre, le bonheur au lieu de la souffrance. Cela ne demande pas des années d’ascèse, de la méditation, d’étude ou de thérapie ; cela demande tout simplement de l’attention pour une vie plus consciente, avec plus de réflexion. A la fin de son livre remarquable et magnifique, où il relate l’expérience de son fils malade qui meurt très jeune, Harold Kushnerarrive à la conclusion : «… ceci ne devrait pas être un livre larmoyant sur comment toute cette expérience a été dure et douloureuse, mais un livre qui devrait dire « oui » à la vie » et plus loin : « … l’amour n’est pas l’admiration de ce qui est parfait, mais l’acceptation de ce qui est imparfait ». 48

Dans une interview, Charlie Chaplindisait : « Faites de votre vie une lettre d’amour à la vie ».

L’amour comme émotion est certainement la forme la plus connue, la plus chantée, la plus commentée et désirée de l’amour. C’est l’expérience d’être amoureux, d’être ébahi, d’avoir le coup de foudre, l’expérience qu’une personne est apparue dans notre vie qui est tellement belle et éblouissante, tellement désirable, que tout en nous se met à s’exclamer

47 André Comte-Sponville. Petit traité des grandes vertus. PUF, 1995

48 Harold Kushner. When bad things happen to good people (Quand le mal frappe les gens bien). Schocken Books Inc., 1981

irrésistiblement « Oh ! Oui ! ». Cette apparition engendre le jaillissement d’un courant émotionnel intense, qui attire inéluctablement toute notre attention en qui remplit toute notre conscience de la figure de la personne aimée. On n’arrive plus à penser à autre chose, on est comme abasourdi. C’est comme si on avait rencontré l’incarnation de la perfection. Nous sommes incapables d’y déceler le moindre défaut. Tout notre être, notre corps et notre esprit baignent dans un état de bien-être extrêmement plaisant. Nous marchons sur des petits nuages et nous remercions les dieux d’avoir envoyé un être si parfait et si délicieux dans notre vie. Nous ne pouvons pas nous imaginer une vie sans la personne aimée et encore moins que nous serions capable de ressentir la même chose pour une autre personne. Pour le poète Persan Rumi, qui vivait au XIIIe siècle, tomber amoureux n’est rien d’autre qu’être frappé par le divin dans l’autre.

Etre amoureux c’est l’expérience qu’une personne est apparu dans notre vie qui est tellement belle, éblouissante et désirable, que tout en nous se met à s’exclamer «OUI!»

Ce qui met en mouvement nos émotions, est une représentation, un rêve, une attente inconsciente de plénitude et de satisfaction de tous nos besoins. En coulisse, c’est la logique du jeu évolutionnaire qui est à l’œuvre. Nous sommes transportés par nos émotions qui entrevoient la possibilité de la satisfaction de nos besoins. Nous sommes comme un bébé qui donne un grand sourire à ce qu’il a éprouvé comme agréable. En effet, un bébé donne son « amour » comme récompense pour un comportement de l’autre qu’il désire renforcer. Bien entendu, un bébé ne se sert pas de cette stratégie d’une façon consciente. Il ne sait pas qu’il le fait et il ne « choisit » pas ce comportement. Il est comme dirigé par la logique d’un pattern ancestral qui, au cours de millions d’années, s’est ajusté et raffiné afin de promouvoir la vie. Il vit comme une abeille qui collecte le nectar sans savoir qu’elle contribue, par la pollinisation, au processus de la vie. Un bébé est par nature, égoïste. L’état amoureux, aussi, est par nature égoïste. L’amoureux veut prendre et posséder. Cela explique l’idée que la haine et l’amour, selon une sagesse populaire, seraient proches l’un de l’autre. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas, comme on le verra plus loin, mais nous pouvons facilement comprendre que si l’amour est suscité par la promesse de la satisfaction des besoins, le contraire, l’insatisfaction de ces mêmes besoins, sera source d’émotions déplaisantes, de déception, de colère, voire de haine. Seules les attentes déçues sont proches de la haine. Les sentiments déplaisants font que nous ferons tout pour chasser la source du mal-être de notre vie. Ça aussi, un bébé le « connait » parfaitement et il peut avec une grande force signifier qu’un certain état de choses lui déplait fortement. Il peut, alors, se jeter sur le dos et pousser des cris jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut. Ça aussi, c’est un schéma de comportement inconscient, biologique, inné, qui a pour but d’assurer notre survie. C‘est, encore une fois, le jeu évolutionnaire. Ce même schéma de comportement est tout aussi présent chez des adultes. Ainsi, la souffrance, le chagrin, à la fin d’une relation a pour but de faire savoir que nous n’avons pas l’intention d’accepter ce développement des évènements. Comme noté plus haut, toute souffrance est une non acceptation, un « NON ! », un rejet de la réalité telle qu’elle est. L’ego se sent rejeté et ça, c’est la dernière chose qu’il veut. La souffrance est une stratégie de l’ego qui est destiné à faire disparaître la cause de cette souffrance. En d’autres mots: on souffre parce que l’on essaye précisément de ne pas souffrir. Seulement, nous ne

sommes pas conscients de cette stratégie paradoxale, tout comme un bébé n’est pas conscient du fait qu’il se jette sur le dos et pousse des cris.

On souffre parce que nous essayons de ne pas souffrir

La logique semble implacable : aussi longtemps que nous permettons que nous soyons rendus heureux par la présence de quelque chose ou de quelqu’un, nous nous préparons à être malheureux lorsque ce quelque chose ou ce quelqu’un disparait ou menace de disparaitre de notre vie. De la sorte, nous donnons à l’autre le pouvoir, comme la télécommande de nos émotions, parce que nous n’avons pas appris à le prendre nousmêmes. Beaucoup de personnes traversent des cycles au leitmotiv de : tomber amoureux, puis être heureux, puis être malheureux lorsque l’autre ne correspond pas à nos attentes, puis souffrir, puis tomber de nouveau amoureux, etc. La nature en grande partie automatique, inconsciente, non réfléchie de ces expériences, repose sur des croyances magiques et mythiques concernant l’amour : celle, romantique, que l’amour doit nous arriver, qu’on doit avoir la chance de trouver l’amour, que l’amour est une question de donner et de recevoir, que l’amour ne peut pas venir que d’un seul côté, que l’amour vrai peut vaincre tout, que l’amour guérit toutes les blessures, que la souffrance après un divorce ou après un décès est un signe d’amour …

Figure 3

Les mythes sont responsables d’habitudes gênantes comme la négativité, le désir de possession, les exigences et les jugements. A leur tour, ces attitudes mènent à un « non » et aux sentiments négatifs.

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