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La réalité psychologique

fait normal qu’il a une autre relation, il a, lui aussi, quand-même droit à de l’affection. » Ceci est le langage de bienveillance, de gentillesse et de compassion. D’après ce que la personne concernée vous tient à cœur ou non, vous ferez une lecture bienveillante ou malveillante des faits, et vous donnerez donc une « description » positive ou négative dans des propos de gentillesse ou d’hostilité. Ceux-ci confirmeront à leur tour votre jugement initial.

Aussi longtemps que nous nous attachons à des concepts de bien et de mal le monde continuera à se manifester à nous de cette manière.

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PEMA CHÖDRÖN

Nous pouvons distinguer plusieurs types de langage et de grilles de lecture :

- le langage purement descriptifde l’observation sensorielle : « Je vois quelqu’un qui me regarde de travers ! »

- Le langage conceptuelqui explique en utilisant des concepts abstraits, philosophiques ou scientifiques : « J’ai une phobie sociale, j’ai trop peu de confiance en moi »

- Le langage symbolique, métaphorique, poétique de l’expérience: « Je me sens comme si le sol se dérobait sous mes pieds ». Surtout ce dernier langage, celui de l’expérience, est important ici car il permet de comprendre le monde personnel des expériences vécues. Dans le langage poétique on peut communiquer des réalités existentielles qui ne sont pas communicables en des termes philosophiques ou scientifiques. Quand un poète dit que « le cerisier a revêtu sa robe de marié » ou quand un amant dit à sa bien-aimée que « chaque baiser est une fleur dont la racine est ton cœur », ce sont, là, des expériences qui ne peuvent jamais être communiquées ou même évoquées en des termes scientifiques. Comment pourrait-on décrire autrement qu’en des termes poétiques, métaphoriques, l’expérience d’un baiser, de la beauté d’un quatuor à cordes, d’une rose, d’un paysage ou d’un être aimé ? Les métaphores ne sont donc pas vraies ou fausses, ce sont simplement des façons d’exprimer et de communiquer une émotion ou un vécu. L’expérience a donc une propre « psycho- » logique qui n’a rien en commun avec la logique scientifique. Dans la communication ce niveau métaphorique est le plus important, les métaphores permettant, en effet, de partager un vécu, une émotion ou une expérience. Cet aspect se perd dans le langage conceptuel, scientifique, dans lequel les individus se sentent donc souvent incompris. Pour exprimer leur vécu, les gens utilisent des phrases métaphoriques, non-scientifiques comme:

- je suis bloqué - j’ai perdu quelqu’un

- le sol s’est dérobé sous mes pieds - mon monde s’est écroulé - je suis tombé dans un trou noir - je sens que mes blessures ne sont toujours pas cicatrisées - je sens un blocage émotionnel - j’ai perdu mes repères - je voudrais me débarrasser de mon passé - je veux vider mon sac.

Philosophiquement, tout ceci est, bien évidemment, absurde : aucune de ces propositions n’est vraie. Il ne s’agit toutefois pas d’une vérité philosophique,mais bien d’une vérité psychologique. Ce langage métaphorique exprime des réalités de l’expérience, de l’épistémologie intime de l’homme, de son modèle du monde, de sa relation avec la vie. C’est la réalité vécue de la personne. C’est cette réalité mentale qui est pour la personne sa vraie réalité psychologique qui est donc toujours vraie. C’est cette réalité interne qui va déterminer ses émotions et par conséquent son comportement. Aussi bien pour nous comprendre nous-mêmes que pour comprendre les autres, il suffit d’être à l’écoute du vocabulaire et des propos symboliques, métaphoriques. C’est aussi de cette réalité qu’il faut partir dans toute entreprise à visée psychothérapeutique. En effet, pour changer le vécu, il suffit de changer le paysage symbolique interne. Nous ne pouvons pas exprimer notre réalité psychologique, notre expérience de qui nous sommes et comment nous sommes dans le monde, dans des concepts abstraits, généraux. Nous pouvons, par contre, beaucoup plus facilement les cerner et les comprendre par des images, des métaphores, des propos ayant la forme : « Je me sens comme si … ». Souvent ces images sont automatiques et donc non réfléchies. Cela n’empêche pas qu’elles déterminent notre regard sur nous-mêmes et sur le monde. Cela est donc intéressant d’essayer de devenir plus conscients de ces images. Pour celui qui se décrit par exemple comme un prisonnier, c’est sa réalité psychique vécue personnellement. C’est sa « psycho- » logique, peu importe que cette expression soit oui ou non rationnelle et logique. Pour celui

qui se décrit comme quelqu’un qui est perdu dans le brouillard ou qui a perdu ses repères, c’est sa réalité.32

D’un point de vu psychothérapeutiqueou d’une approche empathique, cela n’a pas beaucoup de sens d’entamer une discussion philosophique sur leurs propos. Alors, les gens objectent souvent que c’est de la pure théorie qui n’a rien à voir avec leur vécu et ils vont souvent se sentir incompris et partent déçus. Ceci est la différence la plus importante entre une approche philosophiqueet une approche psychothérapeutique ou empathique. La langue est le système de représentation le plus important avec lequel nous bâtissons notre modèle de la réalité. Comme un tissu est constitué de fibres, une pensée est constituée de mots. Les mots et le langage sont comme la palette de couleurs pour la carte que nous nous peignons du monde et que nous confondons la plupart du temps avec le monde lui-même. Le langage décrit l’expérience, mais n’est pas l’expérience elle-même. Nous ne pouvons jamais connaître la réalité elle-même, nous ne pouvons qu’en parler. Les mots organisent et donnent des significations aux expériences. Les mots peuvent changer la vie de quelqu’un en transformant une croyance constrictive en une croyance plus émancipatrice avec une perspective plus vaste et des choix plus étendus. Les mots peuvent aussi bien créer la confusion, nous limiter et paralyser, qu’ils peuvent nous inspirer et nous faire évoluer. Considérez par exemple les exemples suivants de métaphores que peuvent utiliser les personnes pour décrire leur réalité psychique :

La vie est une souffrance La vie est une lutte La vie est un chaos La vie est un panier de crabes La vie est un commerce La vie est un champ de mines La vie est une jungle La vie est une partie de poker La vie est une école La vie est un cadeau La vie est un jeu La vie est une dance La vie est un théâtre La vie est un long fleuve tranquille La vie est sacrée La vie est une grande famille

32 James Lawley & Penny Tompkins. Metaphors in Mind. Transformation through Symbolic Modelling. The Developing Company, 2000.

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