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Le besoin d’un cric

erronées. Ainsi nous pouvons, par exemple, avec un regard critique, remarquer que ce qui semblait être un serpent, est en fait un bout de tuyau d’arrosage. L’angoisse disparaît aussitôt et est remplacé par un sourire de soulagement. Ceci souligne à nouveau l’aspect cognitif des émotions.

Pour mieux comprendre les émotions, il semble intéressant d’introduire la notion de besoin. Un bon modèle est celui de la faim. Quand l’organisme a besoin d’éléments nutritifs, il en résulte une sensation désagréable, la faim, qui nous pousse et quasiment nous oblige à chercher de la nourriture. La faim est une expression du besoin de manger. Cela illustre trois choses: une émotionnaît d’un besoinet mène à l’action.

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Besoin => émotion => action

Les émotions et sensations désagréables, dites négatives, sont des signaux qu’il y a une insatisfaction au niveau d’un ou plusieurs de nos besoins. Le besoin fondamental de chaque vie est le besoin de vivre, le besoin de rester en vie et de continuer à vivre. Ce désir fondamental s’exprime dans des besoins et des désirs concrets qui, d’après un schéma classique mais toujours d’actualité d’Abraham Maslow, peuvent être organisé et hiérarchisé en un certain nombre de niveaux :

Besoins d’accomplissement de soi

Besoins de l’ego Besoins sociaux

Besoins de sécurité

Besoins physiologiques

Ce schéma montre que les différents besoins forment pour ainsi dire une pyramide avec les besoins les plus fondamentaux comme base. Les besoins physiologiques sont en rapport avec l’homéostasie de l’organisme et avec la survie physique. Ceci comprend le besoin de nourriture, de boisson, de sommeil, de chaleur et de reproduction. Les besoins de sécurité motivent l’individu à rechercher la sécurité face aux adversités et aux désastres. Ces besoins on donné lieu à notre système sociale de protection, de justice, de sécurité sociale et de multiples autres formes d’assurance.

Les besoins sociauxse manifestent dans le désir d’être accepté, d’avoir des relations sociales, de l’amitié et de l’amour. Les besoins de l’egosont liés au désir de reconnaissance et d’appréciation de sa personnalité originale et unique, de réputation et de respect. Ce besoin mène à la recherche de considération et de statut social.

Le besoin d’accomplissement de soi, aussi appelé le besoin d’autoréalisation ou d’autoactualisation, est le besoin existentiel de développer et de valoriser pleinement son propre potentiel et ses possibilités de croissance. C’est aussi le besoin de sens parce qu’un adulte désire donner un sens a sa vie et veut avoir l’idée qu’il ne fait pas que recevoir, mais qu’il donne également. Il ne veut pas seulement jouir des bienfaits qui viennent à lui, mais veut aussi être apprécié pour le bien qui part de lui. Un adulte ne peut pas être heureux comme un enfant que ne fait que recevoir, mais veut contribuer à la société et à la vie en y laissant son empreinte. C’est le désir spirituel et la source en nous qui en est responsable, est ce qu’on appelle l’âme. Rien ne semble plus évident que de vouloir satisfaire une faim. Mais chez l’homme peu de choses sont vraiment simples et il s’agit souvent d’une « faim psychique ». En effet, dans notre société occidentale d’abondance matérielle les besoins physiologiques et de sécurité sont dans la majorité des cas largement satisfaits. Par conséquent l’attention est surtout dirigée vers les deux besoins suivants de la pyramide de Maslow :  le besoin social, ceci est la « faim » d’acceptation et de sécurité, le désir d’appartenir à de « nous »

 le besoin de l’ego: la « faim » de l’attention et de la reconnaissance de l’individualité, le désir d’être aussi un « moi ».

Les gens sont souvent ballottés entre ces deux besoins et il y a pas mal de souffrance chez des gens qui n’arrivent pas à satisfaire l’un ou l’autre de ces besoins, soit d’acceptation, soit de reconnaissance. En effet, c’est toute une affaire ! D’une part nous voulons bien sûr être acceptés, mais pas au point d’être noyé dans la masse, d’autre part nous voulons être « particulier », mais pas au point de ne plus être accepté. Dans certains cas ces deux besoins peuvent être satisfaits en même temps comme le montre le concept moderne du « beehiving » : c'est-à-dire la participation à des événements de masse comme des festivals de rock, des événements sportifs, des tendances à la mode, des lieux où on doit avoir été, des expériences qu’on doit avoir vécues… ce qui donne un sentiment plaisant d’appartenir à un « nous», alors que le sentiment de «moi» est caressé par l’idée qu’on est quand-même tout à fait différent de tous ces autres qui vont à des événements de masse concurrents mais finalement très semblables.

Enfin, le besoin au niveau le plus élevé, le besoin d’accomplissement de soi, peut être à l’origine de moult problèmes et de difficultés et peut faire de sorte que les gens qui, aux yeux des autres et même à leurs propres yeux, « ont tout pour être heureux », ne le sont quandmême pas. Ils ressentent une « faim », un « vide » dans leur vie, un « manque » et ils ne comprennent souvent pas ce que ceux-ci pourraient signifier. Souvent cette découverte ne se fait qu’assez tardivement dans leur vie, quand la carrière professionnelle touche à sa fin ou quand les enfants ont quitté la maison et que les soucis du quotidien ne les préoccupent plus trop. Alors jaillit souvent la question inquiétante du sens de la vie. La vie qu’ils ont menée

jusqu’à là est mise en question et le futur semble vide de promesses. Souvent on appelle ceci « des idées noires » et si on questionne le monde médical, la personne se voit attribuer le diagnostic de « dépression » qui ouvre le chemin vers un traitement, généralement avec des antidépresseurs et/ou des hospitalisations. D’ailleurs, on peut également essayer d’assouvir une faim persistante du passé. Des personnes qui dans leur jeunesse ont connu trop peu de chaleur, de sécurité ou d’affection, peuvent dans le reste de leur vie continuer à faire des efforts désespérés pour apaiser cette « faim » en mangeant, en buvant, en fumant, en multipliant les activités sexuelles, en voyageant ou en collectionnant des chefs d’œuvre à outrance ou par une consommation excessive de relations humaines sans que cela puisse étancher leur faim. On peut le comprendre, en effet une nourriture du présent ne peut jamais apaiser une faim du passé. Par ailleurs, une faim d’un niveau supérieur ne peut pas être soulagée par la nourriture d’un niveau inférieur. Plus précisément, une faim existentielle ou spirituelle, le plus haut niveau, c'est-à-dire le ressentiment d’un « vide » dans la vie, ne peut pas être apaisé par une nourriture pour le corps ou par des plaisirs sensoriels. La « faim de l’âme » ne peut pas être apaisée en mangeant, en buvant, en ayant des activités sexuelles, des vacances, des weekends touristiques ou d’autres plaisirs de notre culture d’amusement et d’abondance. Les besoins forment un tissu bigarré de désirs et d’angoisses qui réclament notre attention. Certains de ces désirs ne restent que des rêves (« Je voudrais bien… »), d’autres deviennent un projet que nous « voulons » vraiment et pour lequel on s’investit pour le transformer en réalité. De cette façon nous construisons notre vie. Les émotions peuvent être vues comme des signaux qui nous incitent à entreprendre des actions avec l’intention de satisfaire les désirs dont on vient de parler. Pour celui qui a faim, la nourriture est attirante. Pour celui qui vient de manger un repas copieux, la nourriture n’est plus attirante mais devient plutôt repoussante. L’envie ou le dégout que nous ressentons n’est donc pas une caractéristique de la nourriture en soi, mais des besoins de l’individu et de son degré de satisfaction. Nous pouvons donc nuancer le schéma donné plus haut :

Besoin => observation déformée => émotion => action

Comme on vient de le voir, l’appréciation de ce qui nous entoure, est, sous l’effet de nos besoins, déformée et le monde s’en trouve divisé en phénomènes désirés et non désirés. Nos besoins sont comme un filtre entre l’observation et la réaction émotionnelle. Telle observation mène à telle émotion et donc à telle action seulement et seulement si elle est significative pour la satisfaction ou non d’un certain besoin. Une ville, un touriste la voit d’une toute autre façon que celui qui y recherche un travail.

Une illustration :

Un homme se déplace le soir en voiture et a soudainement une crevaison. Quand il prend sa roue de secours, il remarque qu’il n’a pas de cric. Il se trouve sur un chemin isolé et est presque désespéré, quand il voit au lointain une maison éclairée. Plein d’espoir il s’y rend pour demander s’il pouvait emprunter un cric. Mais chemin faisant, il se mit à douter : « Imagine-toi que les habitants ne veulent pas prêter leur cric à un étranger ! » A cette idée, il sent monter en lui une indignation et de la colère. Puis le cours de ses idées se modifie : « Mais non, bien évidemment ils vont vouloir me prêter leur cric pour aider quelqu’un en difficulté. » Et plein de courage il continue son chemin. Un peu plus loin il est à nouveau envahi par le doute : « Mais que vais-je faire s’ils ne voulaient quand-même pas me prêter leur cric ? » Il est à nouveau découragé et sujet à un sentiment d’impuissance et d’injustice. « Je n’ai quand-même rien fait de mal ? Pourquoi alors ne m’aideraient-ils pas ? Mais non, bien sûr ils voudront bien m’aider… Mais supposons quand-même que… Mais non… » Finalement il arrive à la maison et il sonne. Quand les habitants ouvrent la porte, il les rabroue : « Gardez donc votre cric, je n’en veux même plus. »

Cet homme a clairement un besoin. La maison lointaine lui est importante car elle peut répondre à ce besoin. S’il n’avait pas été dans ce besoin, il ne l’aurait sans doute même pas remarquée. Pendant son cheminement, l’homme a vécu toute une série d’émotions sans qu’il n’y ait eu le moindre changement dans le monde extérieur. D’où sont donc venues ses émotions ? Bien entendu ce sont ses propres réactions à ses propres représentations et pensées. Sans son besoin, le cric, il n’y aurait pas eu ces pensées et ces émotions. Nos émotions ne sont donc pas directement induites par le monde extérieur ou par les autres et ils n’en sont donc pas une réaction immédiate. Nos émotions sont, par contre, des réactions sur nos propres images et pensées du monde extérieur ou des autres. Quand nos représentations internes et nos images changent, immédiatement nos émotions changent aussi, comme chez l’homme dans l’histoire ci-dessus. Quand on apprend que votre partenaire de vie est décédé(e) dans un accident de la route, ce sera immédiatement la cause d’une grande tristesse. Mais si une heure plus tard on vous annonce qu’il s’agissait d’une erreur et que votre partenaire n’est pas du tout décédé€, il y aura un grand soulagement. Dans ce cas aussi, les émotions n’étaient que purement des réactions à ses scénarios internes. Ces idées sont à la base de la thérapie à succès, qu’est la thérapierationnelle-émotive (TRE) du psychologue thérapeute américain Albert Ellis. Pour cela, Ellis développait le schéma connu ABC :

Activating Event -> Belief -> Conséquence (sentiment) Evènement déclencheur -> Croyance -> Conséquence (émotion)

En français on parle du schéma OIE :

Occasion => idée => émotion

Un schéma comparable, le schéma AIM d’Ed Diener, met également l’accent sur l’interprétation d’un événement significatif qui a attiré l’attention et sur la mise en mémoire de la conclusion qui a été établi par l’interprétation.

Attention -> Interprétation -> Mémorisation

Souvent nous ne suivons pas un tel schéma de pensée car nous croyons spontanément ou intuitivement, c’est à dire sans réfléchir, que les émotions désagréables sont dues aux autres ou à des causes externes. Pour nous en libérer, nous essayons donc de modifier le comportement des autres ou d’influencer les circonstances. Les émotions ont également une dimension sociale et jouent un rôle important dans la vie sociale quotidienne car nous essayons en permanence d’influenceret de manipulerle comportement des autres. Ainsi, la colère est une façon facile et efficace pour faire entendre aux autres que leur comportement est loin d’être celui qu’on souhaite. Une stratégie qui, elle aussi est beaucoup utilisée, est de convaincre l’autre qu’il est à l’origine de notre souffrance et de lui donner en conséquence des sentiments de culpabilité. Les enfants semblent, dès leur naissance, comprendre l’efficacité et l’importance des pleurs et de la bouderie, sans qu’on ait eu besoin de le leur apprendre ou de le leur montrer. Il est donc clair qu’il doit s’agir d’un schéma évolutionnaire, génétiquement programmé car déjà l’animal peut gémir de façon si déchirante que même pour l’homme le plus insensible il est très difficile d’y résister. La satisfactiondes besoins engendre des émotions agréables, dites positives. Ces émotions sont aussi vécues comme une récompense et une motivation pour le comportement concerné. La façon la plus facile pour récompenser quelqu’un d’un comportement et de l’inciter à le refaire, est de sourire. Pour les parents, le sourire de leur bébé est une récompense et une motivation forte. Les travaux, entre autres de Barbara Frederickson, démontrent que des émotions négatives réduisent notre champ de vision à ce qui est vu alors comme le problème.20 A l’inverse, les émotions positives élargissent, elles, notre vision des problèmes et surtout de leurs solutions

20 Fredrickson, Barbara. Positivity: Groundbreaking Research Reveals How to Embrace the Hidden Strength of Positive Emotions, Overcome Negativity, and Thrive. New York: Crown Publishers, 2009

concevables. Elles génèrent plus de créativité et de flexibilité. Les émotions positives sont donc directement liées au succès et à la résolution des problèmes. Un comportement ne peut, d’un point de vue évolutionnaire, continuer d’exister que s’il mène à une récompense dans la satisfaction de certains de nos besoins. Cela peut toutefois être le cas à travers des cheminements très inattendus et sinueux. S’accrocher à de vieilles habitudes familières peut, par exemple, satisfaire notre désir de sécurité et de prévisibilité. Même l’inconfort et la souffrance peuvent être tellement familiers et sécurisants que beaucoup préfèrent la sécurité et l’obstination d’avoir eu raison, tout en sachant qu’ils vont en souffrir, sur une vie inconnue et angoissante, même si celle-ci promet d’être sans souffrance. En effet, la souffrance et la victimisation peuvent répondre au besoin d’être particulier, voire unique. Certains en distillent une espèce d’identité héroïque et y trouvent la compréhension et la reconnaissance sociale.

L’art de vivre

Comprend que les désirs parlent toujours de toi-même, tout comme les émotions parlent de toi-même. Nous n’avons pas de besoins pour les autres. Cela veut dire qu’on agit toujours partant de ses propres besoins et émotions. Demande-toi pourquoi, concrètement, tu fais ce que tu fais. A quel désir veux-tu satisfaire ? Si ta réponse est : « Parce qu’il le faut ! », alors demande-toi pourquoi « il le faut » et comprends qu’en tant qu’adulte « il ne faut rien ». Un adulte ne doit rien mais agit d’après ses propres choix basés sur ses propres besoins. (Voire « Le stress » pour plus d’informations.) Si ta réponse est : « Je le fais pour les autres » (un parent, le conjoint, un enfant..), demande-toi pourquoi as-tu besoin de faire quelque chose pour ces autres ? Si ta réponse est : « Pour rendre l’autre heureux », alors demande-toi pourquoi tu as besoin de rendre l’autre heureux. Si tu continues ainsi à te questionner sur le pourquoi du pourquoi, inévitablement tu vas aboutir à ton propre besoin. La source de tes émotions et de tes actions est donc toujours en toi. Pour beaucoup de gens, qui ont l’habitude d’attribuer leurs émotions aux autres ou aux circonstances, c’est est une vraie révolution, une sorte de révolution Copernicienne, comparable à la transition du géocentrisme biblique (le soleil tourne autour de la terre) vers l’héliocentrisme (la terre tourne autour du soleil). Beaucoup trouvent ceci difficile à accepter parce que ce serait une forme d’égoïsme. Pense alors que si tu veux vraiment faire quelque chose pour l’autre, le mieux que tu puisses faire c’est d’être la meilleure version de toi-même. Quelqu’un d’heureux est le meilleur cadeau pour les autres. Si tu fais quelque chose de bien pour toi-même, les autres aussi, immanquablement, vont en ressentir les bienfaits. Si tu fais quelque chose de bien pour les autres, immanquablement, tu en ressentiras les bienfaits pour toi-même. La distinction entre faire quelque chose pour soi-même ou pour les autres est une distinction artificielle qui, en y regardant de plus près, disparaît. Celui qui fait le bien, le fait aussi bien pour soi-même que

pour les autres. Comprend qu’agir par sacrifice n’est en rien bénéfique pour l’autre à long terme.

Il y a deux formes d’égoïsme. Le premier est quand je me fais le plaisir de me faire plaisir. Le deuxième est quand je me fais le plaisir de faire plaisir aux autres.

ANTHONY DE MELLO (1931-1987)

De la difficulté à s’exprimer

Pour avoir une certaine emprise sur cette immensité du terrain des émotions que les hommes peuvent manifester, la plupart des auteurs proposent l’idée d’un nombre restreint d’émotions élémentaires basiques. Ainsi l’anthropologue Paul Ekman en distinguait six : l’angoisse, la joie, l’étonnement, la tristesse, la colère et le dégout. Plus tard il y ajoutait encore la culpabilité et la honte. 21

Les émotions de base sont des émotions primaires qui ne découlent pas d’autres émotions. Elles sont constitutives de l’être humain, et elles font, depuis toujours et dans toutes les cultures, parti de son existence. Cette thèse, à l’origine proposée par Darwin, a été confirmé par Paul Ekman. Toutes les autres émotions sont des émotions secondaires, déduites, qui, notamment sous l’influence des patterns culturels, peuvent être composées à partir d’émotions primaires, comme le chagrin, la colère anxieuse ou l’étonnement joyeux, mais aussi le confort, la convivialité ou le fameux saudade, le sentiment typiquement portugais transmit par le fado, ou le duendedu flamenco espagnol. Beaucoup d’émotions secondaires ne peuvent pas être décrites directementen paroles, parce que tout simplement ils n’y a pas de mots adéquats. Souvent, on donne alors une description ad hoc d’une circonstance dans laquelle cette émotion pourrait se produire, afin que l’autre puisse se l’imaginer. Ainsi on peut dire : « Je me sens comme quelqu’un qui serait perdu dans la brume » ou « Je me sens comme si le sol s’était dérobé sous mes pieds » ou

21 Ekman, Paul. Emotions revealed. New York: Owl Books, 2007.

encore « Je me sens comme quelqu’un qui aurait reçu une gifle ». Ainsi on commence à comprendre la nature inexprimable et incommunicable des émotions, qu’on peut seulement suggérer d’une autre façon : notamment une façon non verbale comme le langage corporel, la musique, la poésie, l’art… Les émotions s’entourent donc facilement d’un halo de mystère, comme si elles étaient une forme supérieure ou même presque transcendante de connaissance ou de compréhension du monde. Effectivement, il y a nombre d’expériences, de sensations et d’états d’âme que nous ne pouvons pas dénommer, bien que nous soyons quand-même convaincus qu’il y ait quelque chose, souvent appelée alors intuitionou ressenti. Cela n’a absolument rien de mystérieux mais n'est qu’une conséquence du fait que les expériences, les états d’âme et les phénomènes forment une continuité et sont donc en principe insaisissable, alors que le langage, elle, consiste de concepts discontinus et donc en principe délimités. Nous connaissons une situation semblable avec les couleurs. Un ordinateur peut produire des milliers de couleurs, alors que nous n’avons que quelques mots pour les dénommer. En d’autres termes, notre langage ne dispose pas suffisamment de richesse et de précision sémantiques pour cette palette verbale des couleurs. Pour y remédier, le système de couleurs de Pantone ou de RVB a été conçu pour pallier à ce problème. Cela ne veut évidemment pas dire que les couleurs ne soient en principe pas communicable ou qu’elles seraient l’expression de quelque chose de plus profond, comme nous l’avons décrit ci-dessus pour les émotions. La même chose vaut pour les goûts, les odeurs, les états d’âme ou les états amoureux… De même pourrions-nous inventer pour tous ces sensations et états d’âmes un équivalent du système PMS (Pantone Matching System) ou encore le système RVB (Rouge, Vert, Bleu) pour pouvoir les décrire avec plus de précision. En principe il est possible d’inventer des mots pour nommer les émotions. Ainsi, le Sanscrit a au moins vingt mots pour désigner ce que nous appelons « âme » et les esquimaux ont une cinquantaine de mots pour la neige. Même s’il existait quelque chose qui serait intransmissible, ce n’est pourtant pas la pauvreté linguistique qui en serait un argument convaincant. Seulement, nous ne disposons, jusqu’à présent, pas de vecteur de communication non-linguistique qui pourrait faire mieux.

La logique évolutionnaire

Les émotions ont pour but d’initier un mouvement, elles sont une « mise en movement ». A l’inverse, sans émotion, il n’y aura aucun mouvement. Il n’y a donc, pas d’êtres humains sans émotions, tout comme il n’y a pas d’êtres humains sans muscles. Il est, par contre, possible qu’un homme ne montre aucune émotion, comme s’il n’en avait pas, tout comme un homme affalé sur un divan face à sa télévision, peut sembler ne pas avoir de muscles. Mais au moindre facteur déclenchant il mettra ses muscles en action. De même pour les émotions, les personnes qui depuis un temps plus ou moins long ne semblent pas s’activer et ne pas montrer d’émotion, peuvent être étiquetées, selon la terminologie courante, comme dépressives. (voir infra) Si nous ne voulons pas attribuer le comportement humain aux dieux ou à des forces mystérieuses, alors nous devons partir du principe qu’il s’agit d’un comportement compréhensible qui rentre dans une certaine logique. La seule logique qui, à ce moment, semble convenir, est la logique évolutionnaire. Comme on l’a vu plus haut, dans cette logique un comportement n’a un sens que s’il sert à la survie. Mais la survie de l’être humain n’est

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