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Courrier international | n° 1096 | du 3 au 9 novembre 2011 Impayés Ils seraient près de 1 million

Dossier Grèce

à ne plus payer leurs factures d’électricité, et 215 000 abonnés ont plus de six mois de retard dans les paiements. Ces chiffres révélés par la compagnie nationale

d’électricité (DEI) concernent les foyers, les commerces, les petites et moyennes entreprises. En sept mois, les dettes envers la DEI ont augmenté de 22 %, atteignant 564 millions d’euros

Exode

Le grand retour à la terre Pour joindre les deux bouts, de nombreux Grecs décident de revenir dans les fermes familiales longtemps délaissées, comme à Naxos, dans les Cyclades. The Independent (extraits) Londres

D

ans le coin, les gens reviennent dans les fermes qu’ils ont abandonnées il y a des années, pour faire pousser des pommes de terre, des choux et des légumes afin de survivre à la crise”, déclare Petros Citouzouris en taillant ses vignes sur les hauteurs de Naxos, la plus grande île des Cyclades. Même les régions les plus isolées de Grèce sont emportées par la catastrophe financière. Indiquant du doigt de nouvelles cultures en terrasses le long d’une ancienne léproserie délabrée à Sifones, Citouzouris ajoute que, depuis le début de la crise, “des maçons et des mineurs sans emploi, ainsi que des retraités, ont commencé à revenir dans les fermes familiales dont ils avaient hérité il y a une génération, mais qu’ils n’avaient jamais exploitées”. Il estime que, sur les vingt propriétés des environs, dix appartiennent aux nouveaux venus. “Ils n’arriveront pas à faire pousser assez de choses pour vivre, mais ça va les aider à tenir”, commente-t-il.

Des habitants qui travaillent dur Si les touristes ont déferlé cette année encore, les autres secteurs de l’économie sont en berne. Tout Naxos est touché, et il y règne une atmosphère d’angoisse à peine voilée, de désespoir manifeste. Partout, on redoute que la situation, aussi dure qu’elle soit aujourd’hui, ne soit encore pire demain. L’île, couverte de vestiges antiques et de tours vénitiennes, n’a rien perdu de son extraordinaire beauté, avec ses villages aux murs blancs et aux terrasses arrosées agrippés aux flancs de montagnes qui dominent des vallées verdoyantes et encaissées. Les oliviers et les vignes prospèrent sur ce sol fertile qui attire les cultivateurs depuis cinq mille ans. Contrairement aux mythes qui ont cours en Europe du Nord et qui veulent que les Grecs se vautrent sans vergogne dans le confort aux dépens des prêts de l’UE, le plus frappant chez les 18 500 habitants de Naxos, c’est de voir à quel point ils travaillent dur. Beaucoup ont toujours eu plus d’un emploi, aucun n’étant vraiment bien payé. Les ouvriers du bâtiment sont généralement aussi des agriculteurs ; ils possèdent des moutons, des chèvres, des oliviers et de la vigne. Cet argent supplémentaire leur permet souvent de financer les études de leurs enfants à l’université.

“Qu’ils s’en aillent tous !” : l’un des slogans des manifestants. Les espoirs, aujourd’hui, s’évanouissent. Naxos regorge de jeunes chômeurs hautement qualifiés qui ne parviennent pas à trouver un travail, quel qu’il soit. “Les jeunes mendient pour travailler”, dit Manoulis Koutelieris, un maçon qui emploie dix personnes. “Hier soir, il y en a un qui m’a appelé pour avoir du travail, et il pleurait.” L’impact de la crise est progressif, mais inexorable. C’en est peut-être fini des espoirs de la classe moyenne embryonnaire, mais d’autres sont dans une misère encore

La dette explose Dette publique (en % du PIB) 200

Grèce

150

Italie 100

Portugal

50

Espagne

Prévisions

0

2009

2011

2013 Sources : AFP, FMI

plus noire. Les réductions des dépenses publiques ont frappé ceux qui, jusqu’alors, joignaient à peine les deux bouts. Dans une maison exiguë de la ville de Naxos, Irène Polykretis nous explique que son mari, un pêcheur du nom de Panagiotis, et elles ont toujours été pauvres. “Quand j’étais enfant, on ne pouvait pas se payer de l’aspirine”, raconte-t-elle. Grâce à sa dot, un petit bateau de pêche, Panagiotis gagnait juste assez pour la famille parce qu’il avait également un emploi de balayeur sur le port.

L’argent ne circule plus Mais les ennuis se sont succédé. Le bateau a été endommagé par un hors-bord, et Panagiotis ne peut s’offrir le luxe de le faire réparer. Au cours du même accident, son fils a été blessé et il ne peut plus travailler. Puis le gouvernement a décrété qu’il avait versé trop d’allocations familiales à Irène et a suspendu tout paiement jusqu’à la fin de l’année. Panagiotis est amer. “Pour eux, nous ne sommes que des déchets”, lâche-t-il. Les salaires des fonctionnaires et des retraités sont en baisse. La plupart des gens du cru sont propriétaires, et c’est avec appréhension qu’ils attendent de voir combien ils vont devoir payer à cause de la nouvelle taxe sur le logement. “Là, le gouvernement a vraiment trouvé le filon”, grince un propriétaire. La nouvelle taxe devrait être perçue par le biais des factures d’électricité, avec la menace

tacite d’une coupure des prestations en cas de non-paiement. Dmitris Lianos, adjoint au maire de Naxos, accuse les banques d’avoir accordé des prêts bon marché à n’importe qui. “Les banques ont aidé les Grecs à devenir fous. Elles proposaient des prêts pour Noël, pour les voyages de noces. Nous vivions dans un monde factice.” Pour l’heure, les banques ne réclament pas d’être remboursées, mais les gens s’inquiètent de ce qui se passera lorsqu’elles le feront. Partout à Naxos, on a le sentiment que l’argent circule de moins en moins. Le bâtiment est le seul secteur à s’être écroulé, mais tout le reste semble fragile. Pour l’essentiel, les affaires se concluent à coups de reconnaissances de dettes douteuses, qui ne sont pas encaissées et, de toute façon, ne pourraient être honorées. “J’ai 30 000 euros de chèques en bois. Qu’est-ce que je peux faire ?” s’interroge Manoulis Koutelieris. Tous se plaignent d’une bureaucratie byzantine. Autour d’un verre d’ouzo, Yannis Karpontinis, propriétaire d’une carrière de marbre, raconte, dépité, comment, pendant plus de deux ans, il n’a pu ouvrir une carrière qui appartenait pourtant à sa famille. Face à la crise, il s’efforce avec un certain succès de parvenir à l’autosuffisance : il fait son propre pain, son huile d’olive, son vin et même du savon. Mais il pense que la Grèce est condamnée à un effondrement économique et social inévitable. Patrick Cockburn


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