8 minute read

Entrepreneuriat: L'agro-entrepreneuriat met les voiles

ENTREPRENEURIAT MET LES VOILES

Advertisement

« En avril, ne te découvre pas d’un fil », dit le dicton météorologique. Si la période actuelle correspond à la transition de la saison hivernale vers celle estivale au-delà des Pyrénées, en deçà et précisément au Cameroun, le mois d’avril amorce le début de la saison pluvieuse dans au moins 7 des 10 régions qui composent le triangle national. Et qui dit pluies, dit germination, récolte ou semailles, selon l’endroit où l’on se trouve.

11

L’ELDORADO DE L’ENTREPRENEURIAT

L’agriculture était assimilée il y a peu et pour le commun des mortels, à une activité exclusivement villageoise. Parce qu’effectuée de façon traditionnelle voire rustique, cristallise aujourd’hui toutes les convoitises et tous les intérêts. C’est le secteur d’activités le plus exploité par l’univers entrepreneurial. Principale pourvoyeuse de croissance économique et de devises au Cameroun dans les années 1970, l’agriculture est quittée d’environ 63% à 44% dans le PIB, avec l’avènement de l’or noir. Les chiffres actuels parlent d’un certain regain dû essentiellement à l’exportation, et à l’essor des produits agro-alimentaires estampillés Made In Cameroun. L’agriculture demeure la principale occupation pour 56% de la population en âge de travailler, bien que seulement 15,4% des terres soient arables, à cause de la politique inadéquate de gestion des terres.

Fort de ses 5 zones agroécologiques (la zone sahélienne qui englobe le septentrion et une partie de l’Adamaoua, la zone de savane de basse altitude sur le plateau de l’Adamaoua et une partie du centre, la zone de savane humide d’altitude à l’ouest et au nord-ouest, la zone forestière

composée du centre, sud et est et enfin la zone des mangroves dans le littoral et le sud-ouest), le Cameroun a vu naitre, hormis les cultures vivrières et d’exportation, un nouveau type de cultures non traditionnelles, une agriculture dite péri-urbaine dans la zone de mangroves, précisément dans les localités de Douala et Buéa.

L’agro entrepreneuriat a si bien pris ancrage dans l’économie locale, que des pépites comme le poivre blanc de Penja ont atteint une renommée internationale. La pastèque autrefois réservée à une certaine catégorie sociale, s’est popularisée au point de rendre millionnaires certains de ses acteurs de la filière. Les producteurs et revendeurs d’oranges, ananas, mangues, safous (prunes, NDLR), maïs, manioc et autres auront le vent en poupe en ce début de saison de pluies. Du moins, tant que le spectre de la covid19 ne se fera pas plus menaçant.

ENVIRONNEMENT MI-FIGUE, MI-RAISIN

La pandémie a entrainé un bouleversement non négligeable dans le secteur agricole. Beaucoup d’agro entrepreneurs ont vu leur chiffre d’affaires drastiquement réduit du fait de la fermeture des frontières. Qui ne se souvient pas des déconvenues des produc

12

teurs de tomates l’an passé, qui se sont retrouvés en train de « liquider » leurs produits à la criée à tous les coins de rue, faute de pouvoir revendre aux pays voisins ?

Le ministre de l’Agriculture et du Développement Rural(MINADER) a relevé, lors de la cérémonie de restitution des résultats de l’analyse Cadre Harmonisé d’identification des zones à risques et des populations en insécurité alimentaire et nutritionnelle, que : « un ménage actif agricole sur dix a été affecté par les effets de la pandémie COVID-19, forçant plus de 2,5 millions de personnes à des stratégies d’adaptions des moyens d’existence( ...) ». Menée dans les dix régions du Cameroun, ladite analyse révèle en outre que la pandémie a constitué un sérieux frein à la production d’environ 42% des actifs agricoles,occasionné une augmentation des pertes post-récoltes, provoqué la raréfaction des denrées alimentaires de base et crée l’enchérissement des prix d’achat de 3% par rapport à une situation normale. Sans oublier l’impact néfaste de la situation sécuritaire qui prévaut dans les régions du Nord, Extrême-Nord et NoSo.

MALGRE TOUT

Néanmoins, ce qui sonne comme un Armageddon dans beaucoup secteurs pourrait constituer, paradoxalement, une bouée de sauvetage pour la consommation intérieure des produits agricoles. L’entretien ci-contre avec l’ingénieur des Travaux Martin Paul ZE ONDJA’A, édifiera davantage les lecteurs sur les fondamentaux et les perspectives du secteur.

RESILIENCE ET ESPOIR,

13

ZINZIN MAGAZINE: Qui est Martin Paul ZE ONDJA’A ?

Martin Paul ZE ONDJA’A: Je suis Ingénieur des Travaux spécialisé dans l’Agriculture biologique et Technique Moderne d’Irrigation. Je suis sorti du CRA (Collège Régional d’Agriculture, Ebolowa) avec un BTS en Conseil Agropastoral. J’ai ensuite obtenu une bourse pour Israël avec le programme Agrostudies, où j’ai effectué une formation en Agriculture et Technique Moderne d’Irrigation. J’ai été Assistant Planification Suivi et Evaluation à la GIZ (Coopération Allemande au Cameroun), et par la suite, Co-consultant en récolte de données (suivi et évaluation des producteurs pour les chaines de valeurs Cacao, Aviculture villageoise et Pommes de terre) dans le Nord-ouest. J’ai eu une expérience professionnelle à Dangote Ciment en tant que Mark Developpper (Responsable de Yaoundé 1 à 7). La COVID-19 a interrompu les activités, et j’ai ouvert ma propre entreprise de Réalisation de Travaux Agricoles. Nous accompagnons les producteurs du montage de projet jusqu’à la récolte, l’écoulement des productions et la transformation des produits. J’ai 29 ans et deux enfants, je suis célibataire.

14

ZM: Grosso modo : c’est quoi l’agriculture ?

MPZO: Etymologiquement, je dirais un ensemble de travaux pour transformer le sol, afin de produire des plantes et élever des animaux utiles à l’homme. J’ajouterai que c’est un domaine inéluctable à la vie de l’homme, source de revenus et de sécurité.

ZM: Qu’est-ce qui vous a emmené à vous y lancer ?

MPZO: Honnêtement, j’ai toujours voulu être médecin. C’est un grand coup du hasard. J’ai réussi au concours du CRA et échoué à celui de la FMSB (ex CUSS), et je ne voulais pas moisir en fac à l’université de Yaoundé 1. Alors, j’ai essayé et aujourd’hui, je suis passionné d’agriculture.

ZM: La petite saison de pluies s’installe progressivement. Quel type de semailles est préconisé à cette période ?

MPZO: C’est la période de la première campagne annuelle dans les zones agro-écologiques bimodales (où on retrouve deux saisons de pluies au cours de l’année, NDLR), mais je conseille tout type de cultures (à condition de les maitriser). Les maraichères, céréales, agrumes, et pérennes (cultures qui se développent durant de nombreuses années avant de produire, et qui vivent longtemps. Par exemple : palmeraies, manguiers, arbres sauvages exploitables, safoutiers, etc., NDLR) sont au rendez-vous. La pluie permet un bon développement racinaire et une bonne implémentation dans le sol.

ZM: Y a-t-il des périodes plus propices que d’autre pour travailler la terre ?

MPZO: Le travail de la terre voyez-vous, doit être effectué normalement quelques temps avant la tombée des pluies. Cela permet une marge de manœuvre plus grande. En ce moment l’herbe sèche vite, le sol est plus ouvert, et les adventices (ici, désigne les mauvaises herbes, NDLR) sont moins présentes.

ZM: Décrivez-nous vos journées type de travail

MPZO: Sur le terrain toutes les journées se suivent, mais ne se ressemblent pas. Une journée consisterait en : la mise au point des objectifs journaliers avec mon équipe, la vérification des plants ou pépinières, la vérification du matériel, l’évaluation du taux d’avancement, et les apports techniques aux besoins essentiels.

ZM: On a coutume de dire que « la terre ne ment pas ». Quelle appréciation faites- vous de ce dicton ?

MPZO: En effet la terre ne ment pas, à condition de ne pas se mentir à soi-même. Ne pas s’attendre à un résultat positif avec des actions négatives.

ZM: Pensez-vous que le « salut » économique du Cameroun passera par l’agriculture ? Y a t’l des pays qui se sont développés principalement grâce à l’agriculture ?

MPZO: L’agriculture contribuerait énormément au développement économique du Cameroun. Pour cela, il faut un réel soutien aux producteurs, mécaniser l’activité agropastorale et développer la consommation des produits locaux. J’aime bien prendre l’exemple d’Israël qui est classé parmi les plus grands producteurs d’agrumes. L’agriculture représente 2,8% du PIB israélien, ce qui est énorme pour un désert.

ZM: Quel est à votre avis l’apport de l’agriculture dans le Made in Cameroun ?

MPZO: L’agriculture est INCONTOUR- NABLE dans le MIC. -Il faut en plus que nos produits soient davantage transformés par nous-mêmes, afin de générer des emplois, et rendre certains services et produits plus accessibles.

16

ZM: Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre activité ?

MPZO: Je répondrai en tant que producteur d’abord : le manque d’appui effectif en termes d’intrants, la non mécanisation, l’état des routes, pour ne citer que celles-là. En tant que technicien : l’absence d’ouverture à l’emploi, le suivi post formation. Que fait-on de ces jeunes diplômés ?

ZM: Vos perspectives d’évolution ?

MPZO: Je compte développer ma jeune entreprise dans la production bio et industrielle, et aussi toucher au secteur de la transformation. Je veux devenir le DANGOTE de l’agriculture.

ZM: Que fait Martin Paul ZE quand il n’est pas au travail ?

MPZO: Je suis écrivain, poète. Je suis en train de travailler sur un recueil de poèmes intitulé « Du vers au vert » qui traite de l’écologie, de la préservation de l’environnement, de la place du bio pour sécuriser l’avenir et des perspectives de développement durable.

ZM: Si vous aviez un conseil à donner aux jeunes qui veulent se lancer dans l’agro entrepreneuriat, ce serait ?

MPZO: De ne pas hésiter. N’attendre l’aide de personne. C’est un chemin difficile et parsemé d’embuches, mais c’est notre avenir. Le Cameroun avance vers une idéolo gie entrepreneuriale. Il ne faut pas tout attendre de l’Etat.

ZM: Un mot pour la fin...

MPZO: Les jeunes sont le futur. Il n’y aucun plaisir à savourer sans batailler. Il faut éviter la facilité, croire en Dieu, mais beaucoup plus en soi-même. Il suffit d’une étincelle et tout peut changer. Je vous remercie.

Cécile BANGOUB

17

This article is from: