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LE PARFUM DES FLEURS LA NUIT Leïla Slimani - Équilibriste en quête de beauté Lauréate du prix Goncourt en 2016 pour son second roman Chanson douce, Leïla Slimani apporte sa contribution à la belle collection « Ma nuit au musée », chez l’éditeur Stock et saisit le prétexte d’une nuit blanche de réclusion parmi les œuvres de l’exposition « Luogi e Segni », à la pointe de la Douane, à Venise, pour se confier sur l’appartenance, l’enfermement et l’épanouissement.
TEXTE : JEAN-JACQUES VALES, LIBRAIRIE ALINEA
Être bornée à un temps et un espace clos semble agir sur l’auteure comme la privation d’un sens qui décuplerait tous les autres
N°222
de la contrainte qui est imposée à leur corps par le vêtement, par les lieux, par le regard des autres ». Autre réticence, quelle finalité, quel livre écrire? Leïla Slimani glisse qu’elle ne se trouve pas « à Collection Ma nuit au Musée l’aise » avec l’art contemporain : « Dans ce musée, Édition STOCK je n’ai pas peur mais je me sens mal à l’aise, gourde. Je vois bien que je dérange (…) ». D’une Fin 2018, Leïla Slimani se plume belle et sincère, elle s’empare du lieu et voit proposer par l’éditrice de la suspension du temps pour digresser depuis de cette collection de ou autour des œuvres et le fait selon ses propres consentir à s’enfermer ©Philippe Matsas / Stock règles : elle vit l’instant, et le rapporte avec une seule, pour quelques sincérité et une profondeur touchantes. Les pieds heures entre le crépuscule nus, la nuit, libre, à la Pointe de la Douane. Un leporello d’Etel et l’aube, dans la Punta della Dogana à Venise. Le lieu, Adnan l’entraîne à Beyrouth, à Sarajevo, parmi les hommes et les récemment retravaillé par l’architecte Tadao Ando, femmes écrasés par la guerre, puis fait surgir le souvenir sonore abrite les collections de la Fondation Pinault. du chant du muezzin à Rabat. Être bornée à un temps et un espace clos semble agir sur l’auteure comme la privation d’un Le premier tiers du livre est celui de la genèse même du livre, car la proposition l’interpelle : pour elle qui porte – par le métier qu’elle a sens qui décuplerait tous les autres. Les œuvres s’y prêtent, choisi – l’appétit de liberté, d’émancipation, son désir du « dehors » telle cette installation qui offre à une plante, un galant de nuit, né dans son adolescence au Maroc, s’enfermer, se soustraire de contenir sa floraison, et ravive chez Leïla Slimani le souvenir au monde pour écrire et exister reste cependant au cœur de sa vibrant de son père, celui de ses escapades nocturnes méthode de travail quand d’autres auteurs, souvent masculins, scandées par ses fragrances de jasmin. louent la quête de l’inspiration dans la marche et le plein air. « Je vis dans cet inconfort constant : peur des autres et attraction Et sous la plume de Leïla Slimani, l’enfermement ou la liberté, pour eux, austérité et mondanité, ombre et lumière, humilité et ambition ». La nuit s’achève quand un gardien des lieux réveille ce dedans/dehors, révèlent d’autres enjeux, d’autres tiraillements la romancière assoupie, échappée enfin dans une Venise à peine qu’elle entend questionner, comme ce qui découle de sa lecture de sortie de sa torpeur avec un livre à écrire, dont tout nous apprend Virginia Woolf : « La question féminine est une question spatiale. que ses tiraillements nourrissent un grand appétit de vivre, On ne peut comprendre la domination dont les femmes sont l’objet sans en étudier la géographie, sans prendre la mesure et d’écrire encore. ●
44 | AVRIL 2021