INTERVIEW CULTURE
Chiara Dahlem,
« Je me penche sur ce que la société a du mal à digérer » Point trop n’en faut, Chiara Dahlem n’y va pas par quatre chemins et explique très vite ne pas aimer les contraintes, à l’image d’ailleurs de son travail pluridisciplinaire qui ne s’embête pas de coercitions. Artiste de la génération Y, la Luxembourgeoise livre dans ses installations, toiles ou fresques, sucrées d’apparence, le triste reflet de notre société, celle qui s’obstine à tout déglinguer sur son passage. Entre écologie, émigration, surveillance, les thématiques qu’elle a choisi de faire graviter dans sa pratique artistique font d’elle une artiste critique, engagée, en lutte… Pourtant, pas de pessimisme chez elle, juste l’envie de percuter son spectateur et peut-être l’inciter au changement.
N°206 |
GODEFROY GORDET | PHOTOGRAPHIE CHIARA DAHLEM
Entre l’installation, l’art conceptuel, le street art ou encore la peinture sur toile, votre approche artistique est plurielle. Comment la définiriez-vous ? En 2015, j’ai réalisé une série de peintures, pour une exposition en Belgique. Depuis ce jour, j’ai construit ma recherche artistique. Mon style s’apparente à un « mixmédia » via les matières que j’utilise, même si je n’aime pas le fait de devoir catégoriser mon travail. Je ne veux pas me limiter, je me laisse tous les horizons ouverts. Ce qui m’intéresse en premier lieu c’est soit le médium, soit l’idée. Je suis esclave de ces deux éléments. Votre travail est incisif, on y trouve de la violence, la guerre, le corps traumatisé, le massacre, la terreur… Une imagerie de la douleur, remaniée pourtant en couleur et en fluorescence. Vous considérezvous comme une artiste critique ? On me définit comme une artiste critique. Mais c’est une considération sociétale : 42 | SEPTEMBRE 2019
on a tendance à mettre à l’écart, à exclure le négatif de nos vies. Cela cause plus de douleur que si on en parlait plus ouvertement. La vie n’est pas toujours rose, personne n’est constamment heureux. Tout ce qui dérange, est gardé caché, mais fait pourtant partie de la vie. J’aime montrer que la vie n’est pas uniquement belle, qu’il y a des moments durs. Je me penche sur ce que la société a du mal à digérer, à exprimer. Ces dernières années, votre problématique artistique semble s’être faite plus insistante encore. Vous pouvez nous parler de cette confrontation latente qui existe dans vos œuvres, entre ce vivre à l’occidentale et les conséquences qu’il implique ? J’aimerais préciser que je suis très heureuse et reconnaissante de vivre à l’occidentale. Je ne pourrais pas avoir les mêmes libertés dans d’autres pays. Des scolaires sont venues voir mon travail sans y voir de « négatif ».
Ce sont les gens qui transportent une certaine expérience qui y voient quelque chose de dur. C’est une association de références qu’ils joignent aux toiles et motifs qu’ils voient pour créer un sentiment négatif. Vous êtes plus dans le constat que dans la polémique… Oui. Ce que je montre c’est l’état actuel d’un moment précis dans l’histoire, le temps et une société. Une personne extérieure viendrait prendre un petit moment d’une société donnée. Je ne souhaite pas juger, simplement montrer avec le maximum de distance. Ce qui guide votre travail vient donc de l’actualité ? Dans mes installations, j’essaie de mettre en évidence ce vers quoi va la société. Tandis que mes toiles sont tantôt intimes, tantôt critiques. Je ne mixe jamais une critique sociétale avec un état personnel. Mon travail est soit personnel, soit global.