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BOOKS

Texte Sarah Braun

note sur 5

NINA BOURAOUI SATISFACTION

Algérie, fin des années 70. Si le pays a retrouvé son indépendance, il est pourtant prêt à exploser. Alors que la plupart fuient, Michèle Akli et son mari, Brahim, directeur d’une usine de papier, ont décidé de vivre à Hydra, un quartier d’Alger, avec leur fils Erwan. Michèle Akli a fantasmé cette Algérie ; la réalité est bien différente. Aux yeux de tous, ils sont des étrangers. Elle, surtout. Apatride, ses espoirs d’acceptation déchus, elle choisit de ne pas lutter et cultive son intériorité : son jardin aussi luxuriant que dangereux, sa cuisine généreuse et charnelle, son appétence pour l’ivresse, ses fantasmes les plus interdits. Dans ses petits carnets, elle confesse ses mauvaises pensées qui se voient décuplées lorsque Erwan fait entrer le loup dans leur chaumière et brise l’équilibre – déjà fragile – de sa famille. Michèle Akli voit d’un très mauvais œil Bruce, cette petite fille habillée en garçon qui éloigne son fils d’elle. Et puis il y a Catherine, la mère de Bruce, sensuelle, libre, qui cristallise tous les fantasmes de madame Akli…

« EN FAISANT PARLER MADAME AKLI, J’AI DONNÉ LA PAROLE À CES ADULTES QUI NE COMPRENAIENT PAS L’ENFANT QUE JE FUS »

De son écriture élégante et éminemment poétique, Nina Bouraoui scrute et déploie la folie de cette femme dont la haine d’elle-même nourrit sa haine de l’autre. Un roman sublime met en scène une nouvelle Emma Bovary, perdue dans l’Algérie de la fin des années 70, qui cherche par tous les moyens de s’extraire de sa condition, d’échapper à son ennui, même si cela la conduira inexorablement à sa perte.

SATISFACTION ÉDITION JC LATTÈS

QUESTIONS À L'AUTEUR Quel a été le point de départ de ce récit ? Un souvenir d’une fête à Alger dans une villa à la fin des années soixantedix. J’avais dix ans et je regardais les adultes ivres de joie, d’alcool et de musique danser sur la chanson des Rolling Stones, Satisfaction. J’ai eu un mauvais pressentiment.

« LE RACISME DE MADAME AKLI, SA HAINE DES AUTRES PROVIENNENT DE SA PROPRE HAINE » J’ai compris que certains allaient partir, quitter le pays, ne jamais y revenir, que d’autres allaient disparaître, qu’un danger nous guettait. La chanson, 18

l’ivresse, ont été les deux déclencheurs de cette histoire. J’ai imaginé une vengeance. J’avais sa fin avant même d’avoir commencé à en écrire le début. En le lisant, on se dit que votre roman devait être lu à voix haute. Qui serait la voix de Michèle Akli ? Elle serait voix monocorde, mélancolique et parfois emplie de fureur et de puissance. Je l’entends par le timbre de voix de Marie France Pisier, peut-être. Comme Madame Akli, votre héroïne, pensez-vous que l’on « manque de temps pour déchiffrer le cœur de chacun » (p.135) ? L’autre est à tout jamais une énigme, c’est ce qui constitue la force des hommes et des femmes qui sont sur notre route. On ne sait jamais les

sentiments, joies et tourments des autres, pour cette raison l’humanité est un mystère et une hypnose. Ainsi s’opèrent le charme et l’intensité des rencontres. L’autre est l’aventure d’une vie. Votre héroïne réprime ses penchants homosexuels et refuse catégoriquement que son fils soit homosexuel : comment êtes-vous parvenue à créer ce personnage aussi loin de votre réalité ? J’ai tant écrit sur la différence, sur la honte, sur la difficulté à s’assumer que je voulais changer de place et interroger ceux qui rejettent les autres. J’ai cherché des réponses à mes questions. En faisant parler Madame Akli, j’ai donné la parole à ces adultes qui ne comprenaient pas l’enfant que je fus, qui l’ont parfois violemment rejeté, jugé. La violence naît de la violence. L’homophobie, le racisme


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