Innova n° 25 – Marrakech

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DOSSIER. L’EAU, SOURCE D’IDÉES ET DE TENSIONS LES AUTORITÉS ONT FERMÉ LES FONTAINES PUBLIQUES POUR PRÉSERVER L’EAU. UNE NÉCESSITÉ, MAIS AUSSI UNE CONTRAINTE INTENABLE POUR LES PLUS PAUVRES.

HÔTELS ÉCOLOS RECHERCHENT CLIENTS

LE SECTEUR HÔTELIER MAROCAIN SE CONVERTIT AU VERT LENTEMENT MAIS SÛREMENT. UN ARGUMENT COMMERCIAL QUI PEINE TOUTEFOIS À CONVAINCRE.

HORS SÉRIE SÉSAME - JUIN 2017 - N° 25 - GRATUIT

Magazine de l’École publique de journalisme de Tours EPJT – IUT de Tours

MARRAKECH

LE VERT À MOITIÉ PLEIN


Hors série - juin 2017 - n° 25 - 2 euros

Magazine de l’école publique de journalisme de Tours IUT de Tours

éDITO S

ur la route du développement durable : vingt-cinq Tourangeaux, huit jours, une ville, environ 60 kilomètres parcourus à pied. Nous avons traversé Marrakech en long, en large et en travers. Nous avons vécu l’aventure ensemble, par groupe de deux, trois, quatre ou cinq. Avec un seul objectif : apporter un éclairage post-COP22 sur les initiatives naissantes en matière de développement durable dans la Ville rouge. C’est un peu perdus que nous commençons notre travail d’enquête. Marrakech et son presque million d’habitants ont de quoi impressionner. Heureusement, nous avons pu compter sur nos alliés locaux, les étudiants en licence professionnelle Ingénierie du tourisme : Youssef, Fatima Ezzahra, Mustapha, Elarbi, Abdelhadi, Wafaa, Nora et Tangara qui connaissent la ville comme leur poche. Entre l’effervescence de la place Jemaa el-Fna, qui prend un autre visage la nuit tombée, les souks où le marchandage est un plaisir, voire un jeu et la chaleur étouffante, le dépaysement est total. Gardons les pieds sur terre et concentrons-nous sur notre mission. Notre équipement ? Sac à dos, carnet à la main et appareil photo en bandoulière, nous voilà embarqués dans notre course à l’info. Notre unique moyen de transport ? Le taxi, notre meilleur ami pendant le séjour. Pas très développement durable, nous direz-vous. Certains ont même fini à huit dans un taxi cinq places. Nous aurions pu nous déplacer avec une version locale du vélib, lancée lors de la COP22, puisque personne ne semble l’utiliser. Des hammams aux mosquées, des transports à l’agriculture, Marrakech déborde d’idées. Certains ont pu visiter les plus beaux riads, d’autres ont atterri à la décharge de la cité, à une quarantaine de kilomètres. D’autres encore ont échoué devant les palissades de la première « ville verte » d’Afrique : Ben Guerir. Mais nous, journalistes-aventuriers, n’avions ­aucune limite et ne pensions qu’à notre objectif : écrire ce magazine. ­Rêvons un peu. Laissons à la Ville rouge du temps pour mener à bien ses projets. Et donnons-nous rendez-vous dans dix ans : même promo, même saison, même lieu. Les Tourangeaux à Marrakech, l’aventure continue.

Laura bannier et lucie martin pour la rédaction

Innova Tours n° 25. Juin 2017. Hors série. Journal réalisé par les étudiants en deuxième année de DUT journalisme, école publique de journalisme de Tours / IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°02191-4506. Directrice de publication : Laure Colmant. Responsable du projet : Olivier Sanmartin. Coordination éditoriale : David Hury (rédaction en chef), Mathias Hosxe (secrétariat de rédaction), Laure Colmant (multimédia). Rédaction et secrétariat de rédaction : Simon Abraham, Laura Bannier, Simon Bolle, Bastien Bougeard, Maxime Buchot, Medhi Casaurang-Vergez, Théo Caubel, Philippine David, Naïla Derroisné, Corentin Dionet, Mathilde Errard, Martin Esposito, Cyrielle Jardin, Sophie Lamberts, Lénaïg Le Vaillant, Lucie Martin, Salomé Mesdésirs, Colin Mourlevat, Hugo Noirtault, Yleanna Robert, Marcellin Robine, Mary Sohier, Léna Soudre, Maxime Taldir, Manon VautierChollet. Conception graphique : Frédéric Plan. Maquette : Laure Colmant. Iconographie : Philippine David, Martin Esposito. Photo couverture : Manon Vautier-Chollet. Photo 4e de couverture : Martin Esposito. Imprimeur : Picsel, Tours.


HORIZONs - 4 -

Panorama de Marrakech et du Maroc à travers quelques chiffres et informations clés.

Marrakech asphyxié - 6 Bâtir un avenir ARCHIdurable - 10 -

Les constructions en terre sont durables. Une école s’attache à y sensibiliser les architectes de demain.

8. ENQUÊTE

le bus, transport au point mort - 12 -

bienvenue en Utopia

Dans le paysage urbain saturé de Marrakech, la petite place des transports en commun.

Marcelin Robine/EPJT

Reportage au cœur de la palmeraie, le poumon mité de la Ville rouge.

Ben Guerir souhaite devenir la première cité durable d’Afrique. Doutes et possibilités.

DES Vélos pour la déco - 13 Marion Vautier-Chollet/EPJT

Des vélos en libre-service à Marrakech, tel est le pari de Medina Bike. Mais l’avenir de ces « Vélibs » marocains est incertain.

clef verte, label au bois dormant - 14 -

Immersion dans les établissements touristiques qui se veulent tournés vers le tourisme vert.

16. DOSSIER

« Cette ville est plus ouverte » - 22 -

débats des eaux

Ouidad Tebbaa nous donne sa vision du développement durable à Marrakech. Interview.

L’accès à l’eau attise les tensions sociales.

l’homme aux foyers - 23 -

Chauffeur d’eau dans un hammam durable, Abdelati Aït Jilali a vu son métier complètement repensé ces deux dernières années.

Bosser à en perdre la santé - 26 -

Dans la tannerie et la poterie, les maladies sont omniprésentes pour les travailleurs. Des initiatives existent, mais les blocages persistent.

24. REPORTAGE

le prêche durable

la richesse au bout des doigts - 28 -

À Marrakech, les mosquées se mettent au vert. Religion et écologie font bon ménage

cultiver sans se planter - 32 Remettre l’homme et l’environnement au centre des préoccupations, voilà l’objectif de quelques apprentis permacultivateurs.

« Sortir de notre bulle » - 34 Parole donnée à des lycéens sensibilisés aux questions environnementales.

comme des bêtes - 35 -

Des initiatives pour sauver les animaux de la place Jemaa el-Fna.

Mathilde Errard/EPJT

Grâce à l’artisanat, treize femmes handicapées parviennent à trouver du lien social et à s’émanciper économiquement.

Sommaire

Magazine réalisé avec le soutien financier de la région Centre-Val de Loire et de la Direction des relations internationales de l’université François-Rabelais de Tours, avec l’aide de Ouidad Tebbaa, professeure à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Cadi Ayyad de Marrakech et la collaboration des étudiants de la licence professionnelle Ingénierie du tourisme : Youssef Shrir, Fatima Ezzahra Ouzaa, Mustapha Safadi, Elarbi Ait AAlla, Abdelhadi Laaouina, Wafaa Benhsain, Nora Zdoudou, Tangara Seiba. Remerciements : municipalité de Marrakech ; club de l’université Cadi Ayyad ; Institut français de Marrakech ; Maison Denise-Masson ; école nationale d’architecture de Marrakech ; Maison de la photographie de Marrakech ; Fondation Dar Bellarj ; Association architecture et développement ; Musée Mohammed VI de la civilisation de l’eau au Maroc ; Marrakesh Organics.


REPÈRES

ÉCONOMIE DÉMOGRAPHIE GÉOGRAPHIE

Horizons Laura Bannier/EPJT

RÉALISÉ PAR LAURA BANNIER, BASTIEN BOUGEARD ET COLIN MOURLEVAT

MARRAKECH SOUS PRESSION En 2014, la population totale de Marrakech est évaluée à 928 850 habitants, contre 243 000 en 1960, (date du premier recensement). Soit une multiplication du nombre d’habitants par trois, en l’espace d’une cinquantaine d’années. Entre 2004 et 2014, cette population a progressé de 37,8 %. Une telle croissance ne peut être sans conséquence sur la ville et ses alentours. La pression démographique se manifeste à différents niveaux : un accès à l’eau pas

toujours garanti, une gestion des déchets mal répartie, un habitat dégradé… Ce qui n’empêche pas le nombre de logements de doubler entre 2004 et 2013. Cela s’explique en partie par l’étalement urbain qui est limité par la palmeraie, au nord de la ville, qui souffre de cette surpopulation. Au sud, les nouvelles constructions fleurissent. La densité de population atteint 4 000 habitants par kilomètres carrés, contre 3 000 habitants à Tunis, dont la superficie est similaire.

3 000

C’est le faible nombre de manifestants qui ont défilé à la marche mondiale pour le climat, lors de la COP22. Difficile d’intéresser la population à l'écologie.

UN FORT ANALPHABÉTISME En 2014, 32 % de la population marocaine, soit 8,6 millions de personnes, est analphabète. Ce chiffre a beaucoup baissé : en 1982, 65 % des Marocains ne savaient ni lire, ni écrire. Les femmes sont aujourd’hui encore les plus touchées par ce phénomène, 41,9 % d’entre elles sont analphabètes. Le gouvernement a mis en place depuis 1995 des programmes visant à réduire ce taux. L’objectif est d’abaisser l’analphabétisme à 5 % d’ici 2024. LES MARRAKCHIS SUFFOQUENT

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la concentration de particules fines dans l’air à Marrakech est de 58 microgrammes par mètres cubes. Marrakech arrive donc deuxième au classement des villes marocaines les plus polluées, derrière Casablanca et devant Tanger. Dans un rapport publié fin 2016, l’OMS tire la sonnette d’alarme et s’inquiète de l’augmentation des maladies respiratoires et cardiovasculaires liées aux particules fines. La densité du trafic et la prévalence des moteurs diesel dans le parc automobile sont pointées du doigt.

AFP

AFP

OBJECTIF AUTOSUFFISANCE Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord sans ressource de gaz naturel. Il est le principal importateur de la région : en 2014, il importait plus de 88 % de son énergie. Les énergies fossiles assurent la majorité des besoins en électricité du pays (charbon : 54,3 %, gaz : 19,2 %, pétrole : 12,9 %). Les énergies vertes, en plein essor, représentent 13,6 % en 2014 (7 % hydraulique, 6,6 % éolienne). L’État veut porter cette part à 42 % d’ici 2020. L’objectif est de devenir autosuffisant en matière de production électrique et de s’affranchir de la dépendance au gaz algérien.

LE MAROC MISE SUR LE SOLAIRE

Dans sa course aux énergies renouvelables, le Maroc mise sur sa plus grande richesse naturelle : le soleil. À 200 km au sud-est de Marrakech, près de Ouarzazate, se trouve la centrale solaire Noor (lumière en arabe). Ses immenses champs de miroirs à la porte du Sahara s’étendent sur 480 hectares, une surface équivalente à la ville de Rabat. Alors que Noor a été inaugurée en février 2016, l’ouverture de trois autres sites est prévue avant 2020. Elle est déjà la plus grande jamais construite en Afrique.

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REPÈRES

Pendant douze jours en novembre 2016, de nombreuses négociations ont eu lieu à Marrakech, où était organisée la COP22 (Conférence des parties). L’objectif était d'accélérer le processus pour mettre en œuvre le plus rapidement possible l’accord de Paris, signé en 2015 lors de la COP21. Défi réussi puisque la mise en application de l’accord a été avancée à 2018. Les états se sont aussi engagés à verser des financements pour aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique. La COP22 a mis en avant les initiatives lancées à l’échelle de l'Afrique, comme l’Adaptation de l’agriculture africaine (Triple A). Elle compte 27 pays et aide les agriculteurs à faire face aux aléas climatiques. Prochain rendez-vous : la COP23, du 6 au 17 novembre 2017, à Bonn, en Allemagne. Elle sera organisée par les Fidjiens, qui ne peuvent accueillir sur leurs îles les 20 000 personnes qui participeront à l'événement. Le cycle mettra en évidence les conséquences du réchauffement climatique sur les États insulaires.

AFP

Salaheddine Mezouar, président de la COP22

En marge de la COP22, l’Africa action summit s’est tenu à Marrakech le 16 novembre 2016. Cet événement était dédié aux conséquences du changement climatique en afrique. L’objectif de la convention : affirmer la volonté des États africains d’œuvrer collectivement contre le réchauffement climatique. Comme l’Afrique est le premier continent à souffrir des effets néfastes de ce dérèglement, l’urgence est la préservation de l’eau. l’accent a été mis sur le développement de l’agriculture durable. Pour le Maroc, il s’agit aussi d’affirmer son influence sur le continent.

Lucie Martin/Epjt

Leader africain

COP MAROCAINE

“Le royaume s’attache à assurer la protection de ses ressources naturelles.”

LE ROI MOHAMMED VI

UN ARSENAL LÉGISLATIF POUR UN PAYS PLUS VERT

Sources : Conseil régional du tourisme, Haut commissaire au Plan, Maroc Météo, Medina de Marrakech

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LE ROI DU MAROC AGIT EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT DURABLE depuis 2003, l’objectif prioritaire du roi Mohammed VI est l’écologie. Avec la société Nareva, il a mis sur pied quatre parcs éoliens et deux champs de panneaux solaires. Il a aussi créé la Fondation Mohammed-VI pour la protection de l’environnement. Les programmes de sauvegarde du littoral, de réhabilitation des parcs, des jardins et des bâtiments sont les missions de la fondation. Le monarque a aussi institué un Prix international pour le climat. Il souhaite poursuivre la dynamique née grâce à la COP22.

AFP

Infographie : Laura Bannier avec Piktochart/EPJT

En 2009, le Roi Mohammed VI a appelé le gouvernement à rédiger une Charte nationale pour l’environnement et le développement durable. Cinq ans plus tard, elle a été promulguée et appelle les citoyens et les institutions du royaume à protéger le patrimoine naturel du pays. Le plan Maroc vert a aussi été mis en place. Il incite les agriculteurs à optimiser la gestion de l’eau. La faune et la flore sauvages font également l’objet d’une protection.


REPORTAGE Commerçant dans la palmeraie, Abdelrahmann Hankar, assiste, impuissant à la chute d’un palmier.

PALMERAIE

MARRAKECH ASPHYXIÉ

LE POUMON VERT DE MARRAKECH N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT. DEPUIS UNE VINGTAINE D’ANNÉES, LA SÉCHERESSE ET L’IMPACT DU TOURISME ONT TRANSFORMÉ LE PAYSAGE DE CETTE OASIS.

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errains de golfs verdoyants et hôtels de luxe entourés de palmiers éclatants de ­santé bordent la route qui mène à la palmeraie. Au loin, la chaîne montagneuse de l’Atlas est encore enneigée. Ici, tout est ocre. Les murs qui encerclent les hôtels, les maisons et même le sol. La route bétonnée, qui traverse le territoire, et le vert des palmiers contrastent avec le reste. Mais l’illusion est de courte durée. La végétation devient vite clairsemée et les palmiers défeuillés. Certains sont même déracinés, couchés sur le sol. Tombés à cause de la maladie, du vent ou du manque d’eau. Bien loin du paysage de carte postale auquel tout le monde s’attend, la palmeraie

fait peine à voir. Difficile d’imaginer que les villages, où vivent plusieurs milliers de personnes, se sont construits à l’intérieur. À dos de dromadaires, les rares touristes se baladent entre les palmiers encore debouts. Seule l’arrivée de jeunes sur des quads vient troubler, quelques instants, la tranquillité environnante. Après leur passage, le nuage de poussière reste en suspens. Cachés par de grandes enceintes, les complexes hôteliers semblent inaccessibles. Leurs abords sont déserts. Le calme est troublant. Aucun bruit ne laisse soupçonner la présence d’activités touristiques. À l’origine, la palmeraie représentait une vaste oasis verte qui couvrait une surface totale de 12 000 hectares. Les palmiers y poussaient jusqu’à perte de vue. On en Innova

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comptait au total 180 000. Aujourd’hui, la palmeraie n’en abrite plus que 100 000. Sa superficie a diminué de moitié. LE BERCEAU DE LA VILLE

« Marrakech sans la palmeraie, ce serait comme un corps sans âme ! » clame ­l’Observatoire de la palmeraie de Marrakech (OPM), chargé de la préserver. C’est le berceau même de la ville. Aziz, chauffeur de taxi, raconte la légende la plus connue sur son apparition. La première dynastie des Almoravides, venue du Sahara, y aurait établi son camp au XIe siècle. Ce peuple berbère mangeait souvent des dattes et ­jetait les noyaux dans la nature. Les dromadaires et les chevaux labouraient le sol avec leurs sabots. C’est ce qui a permis la planta-


URBANISME

Lorsqu’il y a une construction, nous faisons en sorte que l’architecte choisisse la zone où il y a le moins de palmiers à déplacer. »

par la Fondation Mohammed-VI, les problèmes de ressource en eau persistent. L’irrigation des palmiers est un des principaux freins au développement de ce territoire. Autrefois, ils étaient irrigués par l’intermédiaire des khettaras. Un système qui permettait de capter l’eau des nappes phréatiques et de la faire remonter à la surface. Depuis 2007, grâce au plan de sauvegarde et de développement de la palmeraie, une nouvelle méthode est testée, alliant ­développement durable, économie d’eau et irrigation raisonnable des palmiers. Il s’agit de réutiliser les eaux usées. « Avant, nous

Photos : Lucie Martin/EPJT

VI pour la protection de l’environnement, 500 hectares ont été détruits en l’espace de vingt ans pour la construction d’établissements touristiques. « Lorsqu’il y a une construction, nous faisons en sorte que l’architecte choisisse la MOHAMED CHAÏBI, zone où il y a le moins de palPRÉSIDENT DE L’OBSERVATOIRE DE LA PALMERAIE miers à déplacer. Et quand nous en déracinons un, nous tion des palmiers. La palmeraie se serait le replantons avec cinq autres. Ces derniers donc créée spontanément. Elle fait en tout sont fournis par notre pépinière », explicas la fierté des Marrakchis qui n’imaginent quait Mohamed Chaïbi, président de pas leur ville sans. Abdelrahmann Hankar, l’OPM, au site Atlas Info. Les palmiers un commerçant, a choisi de s’y installer il y constituent une ressource à préserver et le a une vingtaine d’années. Cet homme de gouvernement marocain l’a compris. En 52 ans explique qu’il « apprécie le calme de 2007, une loi a été promulguée pour les ce lieu ». Et, même si son échoppe ne lui protéger. Elle interdit notamment leur rapporte pas beaucoup, il ne se voit pas ­arrachage sans autorisation, sous peine vivre ailleurs. d’une amende allant de 5 000 à 10 000 diProtéger et préserver la palmeraie de Mar- rhams, l’équivalent de 460 à 920 euros. rakech est devenu primordial. L’attention des promeneurs y est retenue par de grands LES PROBLÈMES D’EAU PERSISTENT panneaux. Ils expliquent le plan de sauve- Malgré le nombre d’installations, l’agencegarde et de développement du site. Lancé ment du territoire reste donc très contrôlé. en 2007 par la princesse Lalla Hasnaa, sœur « Il est interdit de construire une villa sur du roi Mohammed VI, il vise à reconstituer un terrain de moins de 1 hectare », indique l’écosystème du territoire, repenser la Driss Jellouli, membre de l’OPM au site ­gestion de l’eau, ralentir l’urbanisation et ­Atlas Info. La répartition des terres de la inclure la population et les associations palmeraie ne facilite pas non plus son amé­locales dans ce projet de conservation. Près nagement. Il y a trois grands propriétaires : de 500 000 jeunes pousses de palmiers l’État, les particuliers, appelés les habous, et ­auraient été plantées entre 2007 et 2015. les promoteurs immobiliers. « Cette diverMais il faut jusqu’à vingt ans pour qu’un sité des acteurs nous empêche d’utiliser palmier devienne adulte. certaines parcelles de terre pour l’agriculAu Maroc, tourisme et développement du- ture, détaille Abdelrahmann Hankar. rable ne semblent guère pouvoir s’allier sur Chaque propriétaire dicte ses propres le long terme. La palmeraie de Marrakech règles. Donc la palmeraie n’est pas entreteen est un exemple criant. Elle concentre nue partout de la même manière. » tous les problèmes qui affectent le patri- Les pousses des palmiers récemment planmoine des oasis du pays. Très prisée par les tées côtoient de nombreuses mauvaises promoteurs pour l’espace qu’elle offre et herbes et des puits asséchés. Preuve du l’imaginaire qu’elle cultive, elle souffre du manque d’intérêt pour l’aspect esthétique tourisme. Selon la fondation Mohammed- de ce territoire. Malgré les efforts fournis

n’avions pas besoin de nous pencher pour voir la quantité d’eau dans les puits. Maintenant, quand nous lançons une pierre, elle met plusieurs secondes avant de toucher l’eau, explique Abdelrahmann Hankar. Il ne reste plus rien pour les palmiers. » Les complexes hôteliers s’implantent dans la palmeraie alors que « Marrakech, avec ses grands projets, a atteint son développement urbain maximum », constate Saïd Boujrouf, professeur en géographie. Malgré le plan de sauvegarde qui semble être une bonne initiative, le poumon vert de la ville demeure en partie asphyxié par l’intensification du tourisme, la gestion lacunaire de l’eau et l’assèchement des puits. Pour des palmiers éclatants de santé, une ordonnance et un traitement dignes de ce nom seraient nécessaire à la palmeraie.

LUCIE MARTIN ET YLEANNA ROBERT

UNE OASIS EN DANGER

À dos de dromadaire ou à pied, les touristes se promènent dans une palmeraie qui, depuis plus de vingt ans, perd de sa surface et des palmiers (ci-contre). L’environnement de cette oasis s’est métamorphosé, entre autres à cause de la construction d’établissements touristiques (ci-dessus).

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URBANISME

BIENVENUE EN UTO

À UNE HEURE DE MARRAKECH, LA VILLE DE BEN GUERIR SOUHAITE, GRÂCE À L’UN DE SES QUARTIERS, DEVENIR UN MODÈLE EN MATIÈRE D’ÉCOLOGIE. AUTOPROCLAMÉE PREMIÈRE VILLE VERTE D’AFRIQUE, LA CITÉ EST UN NO MAN’S LAND. CE QUARTIER COUPÉ DE TOUT RESTE À L’ÉTAT DE PROJET.

U

ne palissade sert de frontière entre la Ville verte et le reste de Ben Guerir. Cette barrière de 3 mètres de haut laisse apercevoir, à travers quelques panneaux grillagés, le quartier résidentiel Hay Moulay ­Rachid. Située à 70 kilomètres au nord de Marrakech et à 180 kilomètres au sud de Casablanca, la cité paraît double. D’un côté, une ville ocre où les enfants jouent à éviter les voitures en courant, où dans l’air se mêlent odeurs de grillades, pollution des mobylettes, fumée noire suffocante et grains de sable ­balayés par le vent, mais qui grouille de vie. De l’autre côté, à trente minutes de marche du centre, au milieu de nulle part, un immense quartier calme, très calme. On remarque d’emblée deux constructions récentes entourées de panneau solaires qui appartiennent au Green ­Energy Park, un centre de recherche et d’expérimentation en énergies renouvelables de l’université Mohammed-VI Polytechnique. Inaugurées par le roi, le 12 janvier 2017, elles font partie de la « Ville verte Mohammed-VI », comme la baptisée l’Office chérifien des phosphates (OCP), le maître d’œuvre du projet. Ville verte ? Une éco-ville qui cherchent à diminuer son empreinte écologique par la construction

­ ’habitats peu énergivores et l’utilisation de resd sources renouvelables. À Casablanca ou à Rabat, les tentatives n’ont jamais vu le jour. L’OCP lance son projet de ville verte à Ben Guerir en 2009. À proximité de l’une de ses mines de phosphates. L’entreprise nationale décide d’implanter une université en plein cœur du nouveau quartier pour développer son ­futur. Pour elle, « le Une ville verte, projet est porteur d’un ce n’est pas ­impact urbanistique, écoet social remarune couleur, c’est nomique quable sur la ville ce qu’il y a dedans. Même de ­mitoyenne de Ben Guel’extérieur, je me suis dit que rir. » En 2015, l’Office décela ne pouvait pas être vert gageait un chiffre d’affaires avec de l’amiante et du ciment. » de 4,7 milliards d’euros. ­ Actuellement, le quartier MOHAMED OUSSAMA, EARTH DEVELOPMENT vert de Ben Guerir compte entre 4 000 et 4 500 habitants si on en croit Rachid el-Mrabet, directeur des appels à projets et de l’innovation à l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (Iresen). Cet organisme, créé sous l’égide du gouvernement marocain, chaperonne le Green Energy Park et assure la consommation énergétique de l’université Mohammed-VI. D’après Rachid el-Mrabet, de nombreuses de villas

Marcellin Robine /EPJT

Originaires de la vieille ville de Ben Guerir, Azzedine et Younss observent les logements du quartier vert Hay Moulay Rachid protégés par une palissade de 3 mètres de haut.

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SOCIÉTÉ

Derrière la palissade, entre 4 000 et 4 500 habitants vivraient dans ces logements pas si écologiques.

sont réservées aux chercheurs de cette université qui n’accueille que 300 élèves. Le projet global de l’OCP prévoit d’accueillir 10 000 habitants supplémentaires d’ici deux ou trois ans et 100 000 d’ici à 2040. Soit le double de la population actuelle de Ben Guerir. Pourtant, quand on leur parle de la ville verte, les ­habitants de la province de Rehamna (dont Ben Guerir est le chef-lieu) ne semblent pas comprendre. Dans leur esprit, il ne s’agit que d’une ville nouvelle consacrée aux travailleurs de l’OCP. Et les 88 000 habitants du « vieux » Ben Guerir ne se sentent pas ­directement touchés par cette extension. Il faut dire que ce quartier est éloignée du centre. « ROME NE S’EST PAS FAITE EN UN JOUR »

taayoushcity.ma

ÀILLEURS Situé au sud de Marrakech, Taayoush City est un projet de ville coopérative imaginé par Mohamed Oussama. Cet ancien exportateur de mobilier urbain a réuni 44 hectares de terre en vingt ans. « Je veux retrouver l’esprit de la medina dans laquelle j’ai grandi », expliquet-il. Les 3 000 logements, qui doivent accueillir 12 000 habitants, seront construits en terre. Les terrassements auraient commencé en février, mais le projet attend des investisseurs. Après avoir présenté ses plans lors de la COP22, Oussama Moukmir, spécialiste en bâtiment durable, souhaite terminer la première tranche de construction pour la COP23. Pour lui, ce projet est plus pertinent que celui de Ben Guérir. Il l’assure, « la dimension humaine est là. »

Marcellin Robine /EPJT

PIA

À droite de la rue Hassan-II, le bâti se fait moins dense et les routes désertes. Un homme âgé indique que derrière le mur, il s’agit bel et bien des logements verts de l’OCP, dans le quartier de Hay Moulay ­Rachid. Le logo de l’entreprise est même présent sur sa casquette. Des hommes en uniforme militaire photographient et questionnent les curieux sur la raison de leur venue. Ils contrôlent leurs papiers d’identité et les incitent à quitter les lieux. Le manque de transparence de l’OCP ne permet pas de savoir si les maisons sont habitées. Les quelques vêtements ­étendus aux fenêtres sont un maigre signe de vie. Ces habitations n’ont rien d’écologiques commente Mohamed Oussama, président de Earth Development. Lui souhaite bâtir une « véritable ville durable » à Amizmiz : Taayoush City. « Une ville verte, ce n’est pas une couleur, c’est ce qu’il y a dedans. Même de l’extérieur, je me suis dit que cela ne pouvait pas être vert avec de l’amiante et du ciment. » Le choix de Ben Guerir est lié à l’élection de Fouad Ali el-Himma à la tête de la municipalité en 1992. Proche conseiller du roi depuis 2011, il a fait entrer sa ville dans une nouvelle ère. D’après l’OCP, la Ville verte Mohammed-VI « a pour vocation d’offrir un cadre de vie attractif ». En réalité, le Green Innova

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Energy Park est l’unique lieu attrayant de la ville. Pendant la COP22, un à deux bus amenaient tous les jours une cinquantaine de visiteurs venus du monde entier pour visiter les lieux. Aujourd’hui, c’est plus calme. Ahmed Benlarabi, responsable des systèmes photovoltaïques au Green Energy Park, l’admet : Ben Guerir n’est pas assez vivant. Originaire de Rabat et résidant à Marrakech, lui-même ne connaît pas vraiment le site : « Je passe devant pour aller au travail, mais je n’y ai jamais mis les pieds », avoue-t-il. Kawtar Belrhiti Alaoui, chargée de l’énergie photovoltaïque à l’Iresen « préfère vivre à Marrakech pour les loisirs ». Quand on l’interroge sur ce désintérêt, Badr Ikken, directeur de l’Iresen, relativise : « Rome ne s’est pas faite en un jour. » La plate-forme a pourtant comme objectif de devenir la locomotive du Maroc en matière d’écologie. Une deuxième tranche du projet portant sur les bâtiments durables doit débuter avant septembre 2017. Elle sera financée à plus de 50 % par l’Agence sud-­ coréenne de coopération internationale qui aide les pays en développement. Le chef de projet de l’Agence française de développement, Pierre-Arnaud Barthel, écrit dans Le Maroc au présent, que la ville verte s’inscrit dans une logique globale : « L’urbanisme de grand projet est devenu l’une des clés du dispositif de mise à niveau et d’entrée dans la globalisation. » Mais pour Badr Ikken, l’OCP n’a pas les compétences pour conduire un tel projet : « L’Office peut être sponsor, mais ne peut pas construire des villes. » Présentée comme la première ville durable d’Afrique, la Ville verte Mohammed-VI laisse pourtant un goût d’inachevé, neuf ans après son inauguration. Un tel projet se construit cependant sur le long terme et l’OCP est ­décidé à investir dans le durable, comme en témoigne le projet de pôle urbain de Mazagan, sur la côte sud de Casablanca, ou la mine verte de Khouribga, au centre du Maroc. Des fleurons écologiques marocains sans doute, des villes vertes, pas encore. MAXIME BUCHOT ET MARCELLIN ROBINE


Photos : Henry Girard/EPJT

BÂTIR UN AVENIR ARCHI DURABLE

À MARRAKECH, DES FORMATIONS EN ARCHITECTURE S’ORIENTENT VERS DES NOUVELLES PRATIQUES. LES ÉTUDIANTS UTILISENT DES MÉTHODES ET DES MATÉRIAUX RESPECTUEUX DE L’ENVIRONNEMENT. UNE RECONVERSION DURABLE QUI CORRESPOND MIEUX À LA TRADITION MAROCAINE. RENCONTRES.

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ur un vaste terrain, broussailles et mauvaises herbes côtoient des panneaux solaires. C’est la green platform de l’Agence ­marocaine pour l’efficacité énergétique (Amee), où des organismes privés testent des technologies écologiques. Ici, des chauffe-eau solaires. Là-bas, des éoliennes. El Khansae Rahmouni connaît parfaitement les lieux. La jeune femme est spécialisée dans le gros œuvre pour Archidev, une association de solidarité internationale fondée en 1997 en France. La technicienne s’arrête devant une maisonnette à l’apparence austère. Une terrasse relie deux bâtiments clairs. Un auvent de cannisses la ­surplombe. Au fond, des pierres confinées dans un grillage métallique forment un

muret. Des fils électriques pendent dans le vide, comme si les travaux n’étaient pas terminés. A l’intérieur, les murs ont été recouverts de chaux. Quelques rayons de soleil transpercent les volets de bois. Une fraîcheur agréable y règne. La particularité de cette maison ? Aucun sac de béton ni ­aucune tige d’acier n’a été utilisé lors de la construction. « Les murs sont érigés à partir de pierres confinées ou MPC (fil de fer tressé et remplis de pierres, comme le muret, NDLR). L’isolation a été réalisée à partir d’un mélange de roseaux et de plaques de plâtre », détaille El Khansae Rahmouni. L’architecture de la maison permet de se passer de climatisation en été, ce qui induit un gain énergétique. Le projet comportait initialement un hammam, deux pièces à vivre, une classe, une serre et un patio. Seuls deux modules ont finalement vu le jour. Le chantier a avancé lentement, à cause d’un manque de connaissances pratiques. « Les ouvriers ­apprenaient au fur et à mesure les techniques particulières du MPC. » La formation est la clé de voûte de l’architecture durable. Au Maroc, comme partout, les édifices en béton ont été privilégiés pendant des décennies. Revenir à un mode de construction plus traditionnel, avec des maCette structure a été conçue par les élèves de l’École d’architecture de Marrakech, lors d’une des premières sessions pratiques. Objectif : maîtriser les matériaux propres.

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tériaux naturels, est difficile. Ni l’École ­nationale d’architecture de Rabat ni ses ­filiales de Fès et de Tétouan ne forment leur millier d’élèves aux techniques traditionnelles. En 2012, sous l’impulsion d’Abdel­ ghani Tayyibi, son directeur, une nouvelle antenne a ouvert dans la Ville rouge. L’École nationale d’architecture de Marrakech (Énam) est devenue autonome en 2015. UNE FORMATION CONVOITÉE

Son directeur se démarque de ses homologues en proposant un enseignement en lien direct avec des pratiques locales et ancestrales. Dans son établissement, les 130 étudiants, répartis en quatre promotions, découvrent les matériaux traditionnels. L’objectif est de sortir avec un diplôme, tout en étant capable de les utiliser. Parmi les matières enseignées, quatre thématiques se démarquent : les cultures constructives marocaines, le paysage, ­l’environnement ou encore l’histoire de l’architecture marocaine. Un lien est tissé entre l’art et les formes des bâtiments arabes traditionnels. Représentant de la chaire Unesco Architecture de terre, cultures constructives et ­développement durable au Maroc, ­Abdelghani Tayyibi accorde une importance fondamentale au patrimoine de son pays. « Il faut que nos futurs architectes soient respectueux du passé, soutient-il. La construction de demain se doit d’être ­responsable. » Trois demi-journées par se-


URBANISME ment une communauté de pensée qui ­défend l’utilisation des matériaux propres. Leur ­objectif commun est de démocratiser cette méthode de construction. Des initiatives, individuelles à l’origine, se transforment en associations collectives. La structure Archidev a établi l’année dernière un partenariat avec l’Énam afin d’imaginer une cafétéria dans la cour d’entrée de l’école. LES AUTORITÉS, UN MUR À FRANCHIR

Cet élan autour de l’architecture verte n’a pourtant pas pari gagnée. Les autorités marocaines se montrent frileuses lorsqu’il s’agit de soutenir et de multiplier ces projets. « Elles vont donner quelques subventions si elles connaissent les matériaux, insiste la technicienne El Khansae Rahmouni Le MPC est un outil que nous testons, mais que nous ne sommes pas parvenus à maîtriser totalement. C’est donc plus compliqué pour avoir des subventions. » Du côté des institutions, l’accompagnement de ces projets n’est pas à l’ordre du jour. Malgré ce défaut d’investissement public, les associations, mais aussi le système éducatif, s’évertuent à

Prénom nom/EPJT

Oussama moukmir gère la société Argilex. Il l’a fondée en 2004, à une époque où le béton était la norme. huit ans plus tard, il est passé à l’architecture en terre, notamment pour éviter les accidents et les maladies auxquels ses ouvriers étaient exposés. Cet homme de 45 ans défend le retour aux matériaux traditionnels plus durables. Il a réalisé une salle de classe en terre démontable. Ce prototype sera peut-être choisi pour devenir un modèle dans les zones rurales. Sa double casquette de professeur et d’entrepreneur est un cas unique à Marrakech.

Photos : Laure Colmant

PORTRAIT

LES PIEDS SUR TERRE

maine sont consacrées à l’étude de l’architecture durable dans le monde. « Les deux premières années permettent d’aborder l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables », ajoute-t-il. Les étudiants mettent également la main à la pâte. « Nous proposons des ateliers durant lesquels nous les emmenons dans des carrières où ils peuvent appréhender les propriétés de la pierre. » Après cinq ans d’existence, cette formation est victime de son succès : « Nous avons reçu 6 000 candidatures en première année pour la rentrée 2016, pour seulement 50 admis », précise Abdelghani Tayyibi. Pour y entrer, la note de 16 sur 20 au baccalauréat est exigée. La plupart des étudiants ne ­s’attendent pas à être confrontés aux enjeux du ­développement durable. Pour Imane, étudiante en deuxième année, le premier rôle de l’architecte n’est pas de proposer un habitat au design original, mais d’« assurer la sécurité de la personne qui y vivra. Les matériaux naturels restent stables dans le temps. » Sa camarade Aya renchérit : « L’architecture de terre permet de limiter la circulation d’ondes électromagnétiques qui sont vecteurs de maladies. » La qualité

La classe démontable, un concept conçu par Oussama Moukmir « pour impressionner les décideurs ”.

de la formation a convaincu les élèves de défendre l’architecture verte. « Le souci, c’est de trouver des enseignants spécialisés », reconnaît le directeur. Intervenant à l’Énam, Oussama Moukmir a été repéré par Abdelghani Tayyibi pour son engagement en faveur des matériaux naturels. Cet entrepreneur intervient dans des ateliers de construction [voir ci-contre]. Désireuse de voir ses élèves maîtriser les enjeux environnementaux, l’Énam complétera sa formation avec un cours dédié à l’eau dès la rentrée prochaine, animé par le chercheur et géographe Thierry Ruf. Tous ces acteurs, qu’ils soient marocains ou étrangers, forInnova

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promouvoir l’utilisation des matériaux respectueux. La formation d’architectes spécialisés peut aboutir à un retour dominant de l’architecture en terre, comme l’explique Oussama Moukmir. « Tout ­dépend de leur volonté. Ils vont changer les règles du jeu en fonction de leur conception du métier. » La jeune génération qui sortira de l’Énam paraît très sensibilisée au développement durable. Mais les normes édictées par les pouvoirs publics et les mentalités doivent encore évoluer pour que les constructions durables se mutiplient. Et que le béton cède du terrain aux constructions en terre. BASTIEN BOUGEARD ET MEDHI CASAURANG-VERGEZ


MOBILITÉ URBAINE

LE BUS, TRANSPORT AU POINT MORT

Sur l’esplanade de la mosquée Koutoubia, la frénésie des transports contraste avec l’étonnante ­tranquillité des piétons. Les motocyclettes tentent, à coups de klaxons, de se frayer un chemin entre les nombreux taxis jaunes et les voitures. Au loin, un bus se fond dans le décor de la Ville rouge. Dans cet horizon bouché par les nuages de pollution, il n’y a aucun autre transport en commun. Ici, les véhicules représentent la première source d’émissions de gaz à effet de serre, selon le ministère du Transport. Pour y remédier, la mairie a lancé, en 2011, un plan de développement urbain. L’objectif : tendre vers une mobilité durable dans la ville, en misant sur plus de transports en commun. Il y a huit ans, le bus représentait 4 % des déplacements intraurbains. Loin derrière la voiture (15 %) et les deuxroues (21 %), d’après les travaux universitaires du chercheur Abdelghani Nakhli. EMBRAYER VERS L’ÉLÉCTRIQUE

Un ticket ne coûte que 4 dirhams (soit environ 0,40 euro). Mais les retards fréquents, le manque d’informations aux arrêts, le confort très relatif et le vieillissement du parc n’encouragent pas les habitants à utiliser ce moyen de transport. Mohamed elAklaa, géographe à l’université Cadi Ayyad et spécialiste des questions d’urbanisme, va plus loin : « Les habitudes des Marrakchis ne permettent pas le développement d’un réseau de transports en ­commun. » Et d’ajouter qu’« il n’est pas forcément adapté à la configuration géographique de Marrakech », faisant allusion au fait que les bus ne peuvent pas entrer dans le cœur de la medina. Avec 130 bus à disposition pour une vingtaine de lignes (et près de 1 million d’habitants, soit un bus pour 7 700 habitants), impossible de rivaliser avec les déplacements individuels. La mairie dénombre 4 000 taxis et 250 000 deux-roues. « J’utilise uniquement ma moto, indique Abdelhadi, étudiant en master de tourisme à l’université Cadi Ayyad. Peu importe où je vais, il y a toujours un endroit où il est possible de stationner. » Réduire les émissions de gaz à effet de serre passe aussi par une mutation vers des transports écologiques (éléctriques notamment), et par une prise de conscience de la population. « Le transport ­durable à Marrakech, c’est tout une mentalité. Il ne suffit pas d’installer des bus électriques, mais plutôt de proposer un service confortable et des bus bien équipés pour inciter les habitants à les prendre », précise Youssef Habass, ingénieur chargé des transports au sein de la municipalité.

Simon Abraham/EPJT

À MARRAKECH, LES BUS SE FONT RARES. DÉCRIÉ PAR LA POPULATION, LE RÉSEAU CHERCHE À SE DÉVELOPPER À TRAVERS DES PROJETS DURABLES.

Ce bus rouge, emblême de la ligne 16, est aussi le futur des bus élétriques à Marrakech. Mais cela n’est pas pour tout de suite.

Depuis 2015, des couloirs ont été aménagés sur les grandes avenues pour accueillir deux nouvelles lignes de bus à haut niveau de service (BHNS), censées enrichir le réseau urbain déjà existant. Un bus arriverait toutes les cinq à dix minutes, contre vingt à trente aujourd’hui. Si les travaux de voirie sont terminés, il manque toujours quelques infrastructures. À terme, les deux tiers du trajet seront munis de câbles porteurs, pour alimenter les batteries, comme pour un tram. Mais à l’heure actuelle, les couloirs restent déserts. Lors de la COP22 à l’automne 2016, huit bus ­électriques ont fait une brève apparition dans la Ville rouge. Ils servaient au transport des invités, comme vitrine de ce projet écologique aux yeux du monde­ entier. Depuis, ils prennent la poussière dans des entrepôts. « La commande des bus a été pensée à la hâte pour qu’ils La commande soient présents lors de la COP22, des bus a assure Youssef Habass. Tout est été pensée à encore à faire. » Mohamed el-Aklaa, le prola hâte pour qu’ils soient Pour blème est ailleurs : « Ça coince au présents lors de la COP22. niveau de la gestion des autorisaTout reste à faire. » tions de circulation, particulièreYOUSSEF HABASS CHARGÉ DES ment sur l’homologation des bus. » Les autorités annoncent TRANSPORTS À LA MUNICIPALITÉ une mise en service « pour le mois prochain », un discours répété depuis des mois et des mois. Les taxis jaunes, les motocyclettes folles, les voitures et, au milieu, les piétons, n’ont pas fini de se frayer un chemin. SIMON ABRAHAM,

MEDHI CASAURANG-VERGEZ ET YLEANNA ROBERT

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Simon Abraham/EPJT

TRANSPORTS REPORTAGE

DES VÉLOS POUR LA DÉCO

MARRAKECH ACCUEILLE DEPUIS LA COP22 LE PREMIER SYSTÈME DE VÉLO EN LIBRE-SERVICE D’AFRIQUE. MAIS FAUTE D’ARGENT ET D’USAGERS, L’AVENIR DE MEDINA BIKE S’ANNONCE INCERTAIN. Lebna el-Hakym, présidente-directrice de Medina Bike, descend d’un 4x4, aux abords de la medina. Impliquée dans la ­protection de l’environnement, elle a lancé le premier système de vélos en libre-service d’Afrique en novembre 2016, à l’occasion de la COP22. L’objectif est de désengorger la ville grâce à un moyen de transport vert. Historiquement, Marrakech, totalement plate, est une ville de vélo. Mais avec l’arrivée des véhicules motorisés, la Ville rouge a vu son nombre de bicyclettes diminuer peu à peu, sans pour autant disparaître. Dans un pays où 1,6 million de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, le vélo reste un des moyens de transport les moins coûteux. Et certainement pas le plus sûr. Pédaler dans la vieille ville, entre la place Jemaa el-Fna et la mosquée Koutoubia, vire au numéro d’équilibriste, entre les queues de poisson des voitures et les zigzags des motos. Lorsque la signalisation tricolore est au rouge, le décompte du feu se transforme en starter. Partir en tête, devant tous TENUE CORRECTE EXIGÉE

Chaque employé de Medina Bike est prié de respecter un « dress code », sous peine de se voir refuser le paiement de sa journée de travail.

les autres, est gage de sérénité. La circulation ressemble à une course de Formule 1. « Pour l’instant, nous n’avons pas encore eu d’accident », déclare Lebna el-Hakym. Un bilan en partie dû aux efforts fournis par la municipalité. De la palmeraie à la Menara, en passant par les grandes avenues, les rares pistes cyclables rendent le parcours à bicyclette plus agréable. Mais il faut tout de même partager ces espaces avec les scooters, sans oublier les voitures qui les utilisent comme places de stationnement. UN ABONNEMENT PROHIBITIF

C’est moins le danger que les habitudes des Marrakchis qui freinent le développement des vélos en libre-service. Le concept de partage de vélo reste novateur. « Tout un travail d’éducation reste à faire, explique Coline Grueau, responsable marketing de l’entreprise. Mais la moitié des 8 000 abonnés sont des Marocains. Cela témoigne d’un certain intérêt. » Au lancement de Medina Bike, sans doute sous l’effet COP22, 4 500 abonnements ont été vendus en trois jours. Le soufflet est rapidement retombé avec seulement 3 500 abonnements en plus depuis novembre dernier. Un nombre ­décevant pour une ville accueillant 2 millions de touristes et qui compte près de 1 million d’habitants. Lebna el-Hakym garde espoir et continue à croire au potentiel de la Ville rouge. « Nous voulons atteindre la trentaine de stations Innova

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d’ici 2018, contre douze aujourd’hui », projette-t-elle. Mais un problème de taille subsiste : le coût. Pour une journée à vélo, il faut débourser 50 dirhams (4,60 euros), plus cher et moins confortable qu’une course de taxi dans la ville. À l’année, l’abonnement s’élève à 500 dirhams (45 euros). Le paiement peut s’effectuer auprès des « ambassadeurs », nom donné aux employés de la société, aux abords des stations, mais aussi sur Internet. Selon les usagers, la note est trop salée. Pourtant, il est impossible pour Medina Bike de baisser ses prix si elle veut être rentable. Au lancement du projet, le budget s’élevait à un peu plus de 800 000 euros. La majorité a été subventionnée. L’Onudi, la branche pour le développement industriel des ­Nations unies, s’est investie à hauteur de 300 000 euros. Le ministère de l’Environnement et le Fond pour l’environnement mondial (FEM) ont également financé le projet. La start-up française Smoove fournit les 300 vélos marrakchis. La ville offre l’emplacement des stations pour une durée de deux ans. Mais, passé ce délai, Medina Bike devra payer. Un coût qui s’annonce conséquent. En l’état actuel, l’entreprise ne pourrait y faire face. En attendant de trouver des solutions, ­Lebna el-Hakym repart à bord de son 4x4. Un moyen de transport pas très vert pour promouvoir des vélos. MARTIN ESPOSITO ET MAXIME TALDIR


La faute à des critères inadaptés au Maroc, à un manque d’intérêt des clients et à une complexité administrative, le label Clef verte peine à se développer et à séduire.

CLEF VERTE, LABEL AU BOIS DORMANT

LES ÉTABLISSEMENTS HÔTELIERS LABELLISÉS CLEF VERTE ONT DOUBLÉ EN 2016. MAIS LEUR SUCCÈS N’EST PAS AU RENDEZ-VOUS. LA FAUTE À UN MANQUE DE COHÉRENCE ET DE COMMUNICATION.

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iad Marhbabikoum ? « Par ici, par ici. » Une femme au français approximatif interpelle les touristes en quête d’un lieu de séjour. Cinq minutes de marche plus tard, dans les rues étroites de la medina, se faufilant entre les motocycles, les clients arrivent devant une petite porte en bois encastrée dans un mur ocre. Sur celle-ci, en haut à gauche, une plaque verte et bleue atteste de la labellisation Clef verte. Ce label international vise à ­récompenser les hôtels, les villages ­vacances ou encore les maisons d’hôtes qui ont entrepris une démarche en lien avec le développement durable. À l’entrée du riad Marhbabikoum, des messages de sensibilisation sont gravés sur des panneaux en bois : « Limiter chauffage, climatisation, électricité et eau ».

Dans les toilettes, une pancarte indique aux clients que l’eau doit être utilisée parcimonieusement. La gérante française, Véronique Naciri, explique, thé à la main, que la prochaine étape sera la récupération de l’eau de pluie. Le tourisme occupe une place importante dans l’économie marocaine. En 2015, il ­représentait 6,5 % du produit intérieur brut

Certains n’ont aucune idée de ce que représente l’hôtellerie et ce que signifie clef verte. » NICOLAS TOITOT, EX-CONTRÔLEUR CLEF VERTE

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selon le Haut commissariat au plan, une administration basée à Casablanca. Depuis quelques années, le royaume se tourne vers l’écologie. Et le tourisme suit le mouvement. L’apparition du label Clef verte, il y a neuf ans, prouve cet engagement. La ­Fondation Mohammed-VI pour la ­protection de l’environnement s’occupe de la gestion et du développement de ce label international. Il compte une centaine de critères qui diffèrent légèrement selon la nature de l’établissement. Cela va de la formation des employés à la gestion de l’eau et de l’énergie, en passant par celle des déchets ou encore la prise en compte des achats responsables. D’une structure à l’autre, les démarches écologiques n’ont pas la même ampleur. Au cœur de la medina, le riad Le Rihani dispose de deux panneaux solaires pour


TOURISME

Marcellin Robine/EPJT.

UNE QUESTION DE CONVICTION

Sur les 1 520 établissements d’hébergement touristique recensés par le président de l’Association des maisons d’hôtes de Marrakech, Christian Le Bour, seuls 34 sont ­labellisés Clef verte. Soit tout juste un peu plus de 2 %. Beaucoup de propriétaires n’ont pas connaissance de ce label. D’autres ne voient que les lourdeurs imposées pour l’obtenir. Son potentiel ne semble donc pas totalement exploité. « La Clef verte, c’est surtout une contrainte administrative », souligne Véronique Naciri. Tous les ans, il faut remplir un nouveau dossier pour garder la labellisation. Ce qui implique de détailler les mesures mises en œuvre par l’établissement afin de répondre aux critères. Il faut y joindre des pièces justificatives telles que des photographies ou encore des rapports de consommation énergétique. Le peu d’établissements qui se sont lancés dans cette aventure l’ont fait, avant tout, par conviction. La motivation pécuniaire n’est pas suffisant. Selon plusieurs gérants, les clients choisissent leur établissement de vacances principalement en fonction du prix et de l’emplacement. La labellisation ne constitue pas un critère de choix pour les touristes. Ils sont d’ailleurs rarement au courant de la démarche de l’hôtelier. Mais quand ils en prennent connaissance, le ­label plaît. Cette clientèle est principalement étrangère. Tout comme une grande partie des gérants des structures labellisées. Légalement, ces établissements devraient être contrôlés régulièrement pour pouvoir renouveler leur label. Cependant, au riad Le Rihani, labellisé en 2012, la gérante belge, Cécile ­Degreve-Hamaide, s’étonne de n’avoir reçu aucun contrôle au cours de ces deux dernières années. Elle suppose qu’elle n’est pas la priorité, ayant reçu l’appellation de longue date. C’est également le cas de Christian Le Bour, directeur du riad Al Rimal, situé près de la place Jemaa elFna, cœur historique et touristique de la ville de Marrakech. L’homme affirme n’avoir été inspecté qu’à une seule reprise en huit années d’activité. Des appels d’offre sont pourtant lancés pour recruter des contrôleurs. Mais, s’il y a un problème de quantité, il y a aussi un pro-

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LE CHIFFRE

C’est le nombre de structures Clef verte au Maroc. elles sont 34 à Marrakech, et plus de 2 500 à travers le monde. ce label est né en 1994 au Danemark et s’est implanté à partir de 2002 dans le royaume chérifien.

blème de qualité. « Certains n’ont aucune idée de ce quereprésente l’hôtellerie et de ce que signifiela Clef verte », regrette Nicolas Toitot, lui-même ancien contrôleur. Avant chaque inspection, les établissements passent un audit. Nicolas Toitot aide et conseille les structures qui déposent une demande. Il peine parfois à trouver les comptes rendus qui l’aideraient à mieux orienter les gérants. Cependant, même lorsque les établissements sont inspectés, les propriétaires trouvent des combines pour déroger à certaines règles. « Lors de mon passage, je suis tombé sur un employé qui arrosait le jardin en plein après-midi sous le soleil. Quand il m’a vu arriver, il s’est justifié en disant qu’il n’arrosait normalement jamais à ces heures-là », se souvient en souriant Nicolas Toitot. LA CLIENTÈLE SE FAIT ATTENDRE

Cette négligence quant aux critères peut entraîner la perte du label. « Il existe une charte qui oblige les établissements à rendre leurs plaques si leur labellisation n’est pas renouvelée, atteste Loubna Chaouni, gestionnaire de programme à la Fondation Mohammed-VI et responsable

Parmi les critères requis, les économies d’eau sont prises en compte pour obtenir le label.

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de l’attribution de la Clef verte au Maroc. Mais nous continuons à les soutenir pour qu’ils puissent l’obtenir l’année suivante. » Nicolas Toitot nuance : « Je connais des riads dans la medina qui affichent toujours la marque alors qu’ils n’ont été Clef verte qu’une seule fois. » Sur les douze derniers mois, 137 structures ont demandé le label. Un intérêt qui ­découle de la COP22 selon Loubna Chaouni. Mais les retombées de l’appellation ne sont pas celles escomptées si l’on en croit la stagnation des réservations dans ces hôtels. Certains établissements n’indiquent même pas avoir obtenu le label, bien que cela fasse partie des critères. Pour Nicolas Toitot, il faudrait que « l’obtention du label soit mentionnée dans les guides touristiques ». Par rapport à ses voisins du continent africain, le Maroc demeure toutefois une ­figure de proue du tourisme durable, puisqu’il est l’un des rares pays, avec la Tunisie, l’Égypte et le Kenya, à proposer un tel label. Le bon développement de celui-ci passe également par une sensibilisation de la population à l’environnement. C’est le point de vue de Nicolas Toitot qui trouve le Maroc un peu freestyle concernant les réglementations. « Il faudrait faire une vraie marque marocaine et non un copier-coller de ce qui se fait ailleurs dans le monde. » Une autre gérante fait remarquer que, si l’accent est mis sur le tri, plutôt bien fait jusqu’ici, des infrastructures marrakchies manquent encore à l’appel. Les efforts sont réels mais tombent dans le vide. Ce qui donne la sensation d’un label malencontreusement déconnecté de la réalité. NAÏLA DERROISNÉ, LUCIE MARTIN

ET MARCELLIN ROBINE

Lucie Martin/EPJT.

chauffer l’eau. À l’extérieur de la vieille ville, un complexe d’une autre envergure, l’hôtel Le Naoura Barrière, affiche cinq étoiles. Dans le bureau d’Olivier Fuchs, son responsable technique chargé du dossier Clef verte, des cartons remplis d’ampoules LED n’attendent qu’une chose : remplacer les 3 000 spots de l’hôtel. En 2014, Le Naoura Barrière est également devenu le premier établissement de la ville à utiliser la biomasse. Une chaufferie à base de la combustion de grignons d’olives doit alimenter en eau chaude les douches, les lavabos et la piscine de l’hôtel.


DÉBATS DES EAUX

Simon Abraham/EPJT

DANS TOUTE SON HISTOIRE, MARRAKECH A ÉTÉ CONFRONTÉ À UNE DIFFICILE GESTION DE L’EAU. CETTE RESSOURCE EST VECTRICE DE TENSIONS ENCORE AUJOURD’HUI.


DOSSIER

UNE VAGUE DE CONTESTATION

L’accès à l’eau engendre encore des tensions et demeure un facteur de discrimination sociale. Car les fontaines se font de plus en plus rares à Marrakech, le service public ayant décidé de les fermer pour rationaliser les ressources. De ces coupures régulières, naissent des mouvements de protestation. Le 14 mai 2008, une rébellion d’envergure s’organise chez les internes de la cité universitaire. Privés d’eau potable pendant deux mois, les étudiants défilent dans les rues et réclament de meilleures conditions de vie. Ils sont cueillis par les forces de l’ordre à coups de matraques. Plusieurs ­dizaines d’entre eux passent la nuit au poste. Les vendeurs d’eau refont alors surface dans les couloirs des facultés. Certains jeunes emportent même leurs propres ­bidons pour se doucher. Presque dix ans plus tard, l’approvisionnement en eau ­potable reste une question centrale pour les dizaines de milliers de Marrakchis qui ne sont toujours pas raccordés au réseaude la ville. Aujourd’hui, un partenariat public-privé gère la distribution de l’eau à Marrakech, alors que les autres villes marocaines ont privatisé leur service. C’est la Radeema, une régie autonome, qui en est chargée depuis 1964. Malgré un élargissement et une modernisation du réseau, il y a encore 40 % de déperditions lors du transport dans les canalisations. Les inégalités persistent et l’eau est toujours source de tensions. Si le Maroc n’a pas été atteint par le Printemps arabe en 2011, il a Pour pallier la disparition progressive des fontaines publiques, les habitants s’entraident pour avoir accès à l’eau.

Manon Vautier-Chollet/EPJT

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arrakech, un lundi aprèsmidi du mois de mai. Le thermomètre affiche 38 °C à l’ombre, et plus de 40 au soleil. Au cœur de la medina, les enfants sortent de l’école. Les commerçants guettent les prochains clients et les touristes flânent dans les souks. Beaucoup tiennent une bouteille d’eau à la main, indispensable sous cette chaleur. Dans le quartier populaire el-Moukef, se trouve l’une des fontaines toujours en fonctionnement, avec sa faïence jaune, rouge et verte. Autour d’elle, des marchands vendent des fruits et des légumes. L’air est chaud et l’odeur de pourriture de déchets difficile à supporter. Une dame d’une cinquantaine d’années arrive pour laver son linge, suivie d’un homme venu remplir deux grandes bouteilles. Un peu plus tard, des vendeurs viennent nettoyer à grandes eaux leurs ­casiers vides. Anas, lui, vient tout simplement étancher sa soif. La vingtaine, il est herboriste au coin de la rue et connaît bien les gens du quartier. Il boit à grandes gorgées puis va serrer plusieurs mains.

Dans le quartier populaire el-Mokef, la fontaine est un lieu de passage pour les habitants.

connu son Mouvement du 20 février de la gaspillage en proposant, à la place, un accès même année. Parmi les revendications : la direct, mais payant, à l’eau potable dans les baisse du prix des factures d’eau et d’élec- maisons. En moyenne, pour une famille tricité. Un an plus tard, la situation dégé- composée de quatre à cinq personnes, la nère à Sidi Youssef Ben Ali. D’abord en jan- consommation mensuelle reviendrait entre vier, puis en mars et en décembre. 90 et 120 dirhams (soit entre 8 et 11 euros). L’exaspération est alors à son ­paroxysme. Sachant que le salaire de base dépasse tout Des milliers de manifestants expriment juste la barre des 2 300 dirhams (soit 210 leur mécontentement par des jets de pierre. euros), la facture pèserait alors trop lourd Dix personnes écopent d’une peine de pri- dans le panier des ménages. son ferme. Finalement, la Radeema cède aux menaces en accordant des facilités de CULTURE DE L’ENTRAIDE paiement. Des branchements sociaux sont Latifa est propriétaire d’un riad dans le seccréés dans les immeubles. teur de Kaat Benhaid, au nord de la medi« Dieu a créé l’eau tous les êtres vivants. » na. Près de chez elle, le compteur du foyer Le verset 45 de la d’une famille nombreuse sourate 24 du Coran et très pauvre demeure est là pour rappeler bloqué, faute d’argent. LE CHIFFRE son caractère sacré Matin, midi et soir, la pour les musulmère vient chercher de C’est la quantité mans. Le libre accès l’eau avec des bidons et d’eau disponible, à l’eau potable est des seaux. Et Latifa en mètres un principe fonda­d’expliquer : « Je ne lui cubes, par an et par habitant mental de l’islam. fais pas payer. C’est dans au Maroc, selon l’Agence Comme pour les notre culture de s’entraifrançaise de développement. autres cultes, cette der. Personne ne ferme la Une donnée qui se situe ressource n’apparporte devant elle. Il y a en dessous du seuil de pénurie. tient à personne. Le beaucoup de solidarité. » En comparaison, les ressources droit de chafa, ou de Dans le quartier Azbezd, de la France sont presque quatre la soif, donne à chajuste à côté du souk, une fois supérieures (2 800 mètres cun « la possibilité fontaine est encastrée cubes par habitant). de se désaltérer et dans le mur d’une rue. de faire boire ses Un enfant d’une dizaine animaux ». L’objectif d’années vient remplir est d’arriver à une distribution égalitaire. deux bouteilles et repart d’un pas pressé. Un principe de bien commun qui se ressent Pendant ce temps, Mohammed, un habitué au cœur de la medina. Les habitants du des lieux, témoigne : « Même pour remplir quartier de Sidi Ayoub ont vu leur fontaine leur théière, les habitants se servent à cette se tarir il y a six ans. La ville espère éviter le source. » L’eau fait partie intégrante de l’ac-

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DOSSIER

Simon Bolle/EPJT

Le musée de l’eau de Marrakech retrace la relation historique entre la Ville rouge et l’or bleu.

tivité de Marrakech. « Il y a une véritable trace patrimoniale dans le centre-ville », apprécie Patrick Manac’h, directeur de la Maison de la photographie, qui organisait, jusqu’en avril 2017, une exposition sur les techniques hydrauliques d’antan. À sa fondation en 1071 par les Almoravides, la ville, située dans la plaine du Haouz, est une oasis. Un travail colossal a été nécessaire pour mobiliser les eaux abondantes de la région. Elle est principalement desservie par quatorze bassins versants drainés par les oueds – rivières – provenant de l’Atlas, la chaîne de montagnes voisine. En permanence, les Marrakchis surveillent de près les sommets. Jawaad est berbère et comme ses ancêtres, il se sert des sommets comme d’un indicateur. « S’il y a de la neige, nous aurons de l’eau. Sinon, nous savons que la saison sera difficile. » Une incertitude renforcée par la baisse du niveau de la nappe phréatique. Celle du Haouz, trop sollicitée, a diminué d’une vingtaine de mètres sur les trois dernières décennies. Au point qu’une situation de stress hydrique est prévue d’ici à 2020. C’est-à-dire que la demande va dépasser le potentiel. « Il y a une forme de laisser-faire de la part du gouvernement qui ne peut pas procéder autrement, indique Thierry Ruf, géographe, membre de l’Institut de ­recherche pour le développement à Montpellier, rattaché à l’université Cadi Ayyad de Marrakech. Il ne faut pas mentir aux

gens. » Comme le suggérait ironiquement Théodore Steeg, homme politique français, résident général au Maroc de 1925 à 1929 : « Au Maroc, gouverner c’est pleuvoir. »

gauche marocaine, Paul Pascon, y voyait le symbole de « l’Homme nouveau ». Si les khettaras ont peu à peu disparu de la ville, elles ont été conservées dans les zones rurales. Ici, l’eau est utilisée collectivement VILLE ROUGE ET OR BLEU et ce partage prime sur les comportements Le passé hydraulique du pays est pourtant individuels que l’on retrouve partout en riche. Les communautés berbères ont laissé ­agglomération. en héritage plusieurs milliers de kilomètres À eux seuls, les guerrabas, ou porteurs de khettaras, des galeries souterraines d’eau, incarnent l’évolution sociétale sur de conduisant l’eau depuis la montagne. Jusqu’à la question hydraulique. Sur la place Jemaa ce que la France instaure son protectorat au el-Fna, impossible de ne pas remarquer Maroc, de 1912 à 1956. Tout le réseau est leur présence tant l’exotisme de leur tenue alors nationalisé. Les systèmes anciens sont se distingue dans la masse. Chapeau multiabandonnés au lendemain de la Seconde colore vissé sur la tête et coupelles d’eau Guerre mondiale. « Il y a eu une volonté de suspendues à leur longue tunique rouge et verte, ces hommes, la plupart assez âgés, attendent les touristes avec un large sourire. Et ce, depuis plusieurs décennies. C’est l’une des spécificités historiques de ce haut-lieu marrakchi. Pour autant, leur fonction se dissout au fil du temps. D’abord considérés comme un point de ravitaillement, les THIERRY RUF, CHERCHEUR GÉOGRAPHE guerrabas sont aujourd’hui à sec. Leurs gourdes ne sont plus gommer la période coloniale, de rompre qu’un simple élément de décor. Plutôt que avec l’ancien temps », précise le géographe. de se rafraîchir, les passants préfèrent S’ensuit au cours des années soixante une prendre la pose avec ces personnages qui phase de construction de barrages impulsée en tirent désormais leur seule source de par Hassan II. L’eau prend alors une valeur ­rémunération. L’avenir de la profession est politique. L’ancien sociologue et leader de la en danger. Dans les pages du quotidien

« Il y a une forme de laisser-faire de la part du gouvernement. »

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DOSSIER

SENSIBILISATION AUX ENJEUX DE L’EAU

quée, des seaux sont utilisés pour ne pas laisser les robinets couler à flot. Le gâchis est ainsi limité, et une quantité considérable d’eau économisée. Une prise de conscience se fait jour depuis la mort du roi Hassan II, en 1999. Le changement de régime s’est ­accompagné d’un renouvellement de la ­société. L’entrée dans le troisième millénaire a accéléré la démocratisation. Il y a eu une reconstruction politique et sociale avec, à la clé, bon nombre d’avancées ­positives. « Tout une génération a ­apporté sa propre approche environnementale, ­remarque Thierry Ruf. Plutôt qu’une révolution, il y a eu l’apparition d’une nouvelle culture et d’une relativisation des problèmes. » Ouvert début mai, le musée MohammedVI pour la civilisation de l’eau serait l’aboutissement de ce processus. Le choix de son appellation montre le désir d’allier ces deux termes à l’histoire du pays. Réparti sur trois étages et en dix thématiques, ce lieu est présenté comme « un Les guerrabas ne hommage au génie vendent plus d’eau. Ils marocain dans la se contentent de poser gestion de l’eau ». Il avec les touristes. mêle les aspects pédagogiques et ludiques, histoire de convenir à tout le monde, des enfants aux experts. « C’est le passage obligé pour comprendre Marrakech », se ­félicite son directeur, Youssef Mouhyi. L’innovation est de mise, les ­sujets sensibles un peu moins. La trace des esclaves, notamment utilisés pour entretenir les khettaras, est occultée. Sa proximité avec la palmeraie interroge aussi sur le public visé, même si le tarif de l’entrée est divisé par deux pour les Marocains. De même, déléguer la gestion du musée à une société privée, Couleurs Com, remet en cause son objectivité. « Il faut être réaliste. Nous voyons mal des fonctionnaires en assurer l’activité. L’État a tout intérêt à amoindrir les coûts », se défend Jaafar Kansoussi, chercheur et conseiller au ministère des Habous et des Affaires religieuses, auquel est rattaché le musée. Simon Abraham/EPJT

Retour dans les ruelles étroites de la ­medina. À l’ombre, l’imposante fontaine Sidi Ben ­Sliman, ornée d’une mosaïque verte, est peu fréquentée. Un badaud s’arrête pour se ­désaltérer, puis s’en va. Si l’eau potable ­arrive désormais dans la plupart des ­habitations,

Situé au cœur de la medina, le Jardin secret est un musée privé, bâti sur un riad datant de 1570. On peut y admirer d’anciennes canalisations.

Simon Abraham/EPJT

francophone L’Économiste on peut lire : « Le caractère sacré de l’emploi tend à s’effacer au profit des nouvelles règles de la ­société. Autrefois, sa fonction d’étancher la soif était respectée. Aujourd’hui, les gens hésitent à boire les uns après les autres. […] Tout naturellement, le guerrab se raréfie autant que l’eau dans le royaume. » En l’espace d’un demi-siècle, la population de Marrakech a triplé. Cette pression de l’urbanisation a des conséquences sur la consommation d’eau. De même, les touristes en utilisent cinq fois plus, sur une année, que les Marrakchis. Mais cette gestion ne se pose pas seulement dans l’agglomération. Au-delà des remparts du centre-ville, 90 % des ressources hydriques sont destinées à l’agriculture et à l’irrigation. Les ­précipitations sont en baisse de 20 % ces dernières années. Autre problème : les réserves d’eau. Comme ils ne bénéficient pas d’un système d’assainissement satisfaisant, les locataires stockent tout dans des puisards, sous les maisons, ce qui empêche l’eau de s’écouler correctement. Avec ce que cela comporte de risque sanitaire.

cela n’empêche pas les Marrakchis de s’y ­arrêter. Arroser les sols, laver son scooter, nettoyer son vélo… La gratuité des fontaines incite à des usages excessifs, non par négligence, plutôt par tradition. Les différents gestes de prévention ne sont pas tous entrés dans les mœurs. Le propriétaire d’un magasin se justifie : « Nous sommes obligés d’humidifier le sol toute la journée, pour que la poussière et la chaleur ne rendent pas l’air irrespirable. » Concernant les ablutions, une par prière, soit cinq par jour, les croyants utilisent le plus souvent une cruche, quand ils sont chez eux. À la mos-

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LA VISITE Huit ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Lauro Milan pour devenir propriétaire d’un riad de près de 4 000 mètres carrés, dont la construction remonte à 1570, au cœurde la medina. Cet entrepreneur italien, installé à Marrakech depuis une vingtaine d’années,a dû débourser plus de 2 millions d’euros pour répondre aux attentes des 130 héritiers de ce palais. En nettoyant les lieux tombés en ruines, lui et son équipe ont retrouvé toutes les canalisations ancestrales. Une reconversion en musée est alors apparue évidente à leurs yeux. « Nous avons essayé de sauvegarder l’identité du site là où cela était possible », rapporte Lauro Milan. Le Jardin secret a finalement ouvert ses portes au public en mars 2016. Il est séparé en deux parties, l’une exotique, l’autre islamique. « Nous avions envie de révéler les capacités du monde arabe dans la gestion de l’eau, en préservant une ambiance historique et humaine. »

Même s’il n’a pas été inauguré à temps, le musée s’inscrit dans le cadre de la COP22 organisée à Marrakech en novembre 2016. Le 13 du même mois, tout près de là, environ 3 000 personnes participaient à la marche internationnale pour le climat. Une jeune femme, Amina Terrass, se livrait dans les colonnes du Monde : « Nous sommes contre la récupération de la cause du climat par les pollueurs et par les régimes, comme le Maroc, qui refusent la justice sociale. » Derrière l’ambiance ­pacifique et musicale, les manifestants ­tenaient à exprimer leur amertume. Encore et toujours. SIMON BOLLE, LÉNAÏG LE VAILLANT ET MANON VAUTIER-CHOLLET


REPORTAGE

L’EAU ET PURE EST L’EAU

Photos : Simon Bolle/EPJT

Lit quos as eaque sitatiorem quam et et magnatur? Qui dero quaepel igenimi litatur am harum dunt id mos ma sed ut aliciaspero vendige nihictem doles volor sin con enducii sciusdae maio.

DES STATIONS D’ÉPURATION ONT ÉTÉ CRÉÉES RÉCEMMENT POUR PRÉSERVER UN BIEN PRÉCIEUX AU MAROC : L’EAU. NOMBREUX SONT LES GOLFS ET LES CHAMPS À ÊTRE AUJOURD’HUI IRRIGUÉS GRÂCE AUX EAUX USÉES. RÉSULTAT : DES SOLS MOINS POLLUÉS ET DES MARRAKCHIS EN MEILLEURE SANTÉ.

C

haque jour, elle traite vert nommés seguias ont permis aux agri16 mètres cubes d’eaux usées : culteurs de la vallée d’utiliser de l’eau nonla micro station d’épuration a traitée. Celle-ci était riche en fertilisants et été imaginée par Tawfik en engrais naturels pour l’irrigation des ­el-Moussaoui, jeune docto- terres. Mais la production agricole, plus rant à l’Université Cadi Ayyad de Mar- importante qu’ailleurs, avait des consérakech. Cette initiative à petite échelle est quences néfastes sur la santé des Marraken service depuis 2016 à la faculté de chis. Les citoyens qui mangeaient les fruits sciences juridiques, économiques et et légumes produits dans la vallée tom­sociales de la ville. L’eau est réutilisée pour baient plus souvent malades. Au fil des anirriguer un demi-hectare d’arbres, de fleurs nées, les autorités ont pris conscience des et de gazon de l’université. L’expérience est risques sanitaires et environnementaux. En vouée à essaimer ailleurs dans la ville. 2011, la Régie autonome des distributions Pour ce projet, Tawfik el-Moussaoui, a de l’eau et de l’électricité de Marrakech ­récemment remporté le prix du Mediterra- (Radeema) et l’État ont donc construit la nean Water Heroes qui récompense la meilleure innovation autour de la réutilisation des ressources hydriques. Il a mis au point ce système qui dépollue Chaque jour, l’eau, sans pour autant amoindrir 100 000 mètres ses propriétés fertilisantes. Cette cubes d’eaux invention pourrait répondre aux usées polluaient les eaux attentes de certains agriculteurs de la région, notamment dans la valsouterraines, dégradaient lée du Tensift, qui englobe une l’environnement et augmentaient partie de l’Atlas dont Marrakech les risques de maladies. fait partie. THIERRY RUF, GÉOGRAPHE Jusqu’aux années deux mille dix, des canaux d’irrigation à ciel ouInnova

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station d’épuration des eaux usées (Step) au nord de Marrakech. Mais les agriculteurs de cette vallée ont perdu au change : ils doivent à présent irriguer leurs terres avec les eaux traitées de cette station, beaucoup moins chargées en fertilisants. « Certes, cela amoindrit leur production et l’eau traitée est plus chère. Mais sa qualité est meilleure », pointe Thierry Ruf, géographe et spécialiste del’irrigation. Certains agriculteurs sont donc réticents face à ce projet. « Ils ne se projettent pas assez vers l’avenir, estime Tawfik el-Moussaoui. Ils s’intéressent principalement à leurs profits à court terme, car ils vivent au jour le jour, c’est normal. » Jusqu’à la fin des années deux mille, les eaux usées étaient déversées dans les oueds [cours d’eau], dans la palmeraie et vers d’autres terres agricoles, sans le moindre traitement. « Chaque jour, 100 000 mètres cubes d’eaux usées venaient polluer les eaux souterraines, dégrader l’environ­ nement et augmenter les risques de maladies liées à l’eau publique », explique Thierry Ruf. Pour Tawfik el-Moussaoui le constat est alarmant : « Nous prévoyons des difficultés d’approvisionnement en eau d’ici 2030 pour la ville de Marrakech. C’est pour cela


DOSSIER Tawfik el-Moussaoui, doctorant, a imaginé en 2016 une station d’épuration à Marrakech.

nombre peut paraître très important dans « Nous devons expliquer aux Marrakchis une ville de 230 kilomètres carrés. Un comment fonctionne ce système. Le traitegreen a besoin de plus de 1 million de mètre ment des eaux usées est indispensable », cube d’eau par an. Continuer à prélever explique Tawfik el-Moussaoui, qui travaille cette ressource dans la nappe phréatique également avec le Centre national d’études augmenterait le déficit hydrique de la et de recherche sur l’eau et l’energie (Cne­région. Selon Adil Daoudi, chef du départe- ree) et collabore avec la Radeema. Il n’est ment planification à la Radeema, interrogé donc pas rare de voir débarquer des écodans une interview liers sur le site de la ­accordée au Point, seutation d’épuration. LE CHIFFRE ­s« Nous lement deux golfs foncles sensibilisons tionnent encore en exC’est la taille, en à la réutilisation et au ploitant l’eau de la hectares, de la traitement des eaux nappe phréatique. Pour station d’épuration usées », poursuit-il. eux, le refus de passer des eaux usées Avec ces solutions, l’asaux eaux traitées est (Step) de Marrakech. Située au sainissement de l’eau au une question de prix. nord de la ville, en bordure Maroc s’améliore. Mais Aujourd’hui pomper du oued Tensift, elle est à ce jour une fois traité, le prél’eau de la nappe phréala plus grande Step du Maroc, cieux liquide n’est pas tique coûte deux fois et l’une des plus importantes du encore potable. Une moins cher que d’utilicontinent africain. ­limite peu importante, ser des eaux épurées. puisque selon Thierry Mais tous les autres Ruf, la Ville rouge golfs de la ville se sont tournés vers la solu- consomme 800 millions de mètres cubes tion plus durable : utiliser les eaux usées et d’eau par an. Les trois quarts servent à l’agriretraitées de la Step de Marrakech. Les culture et un petit quart part aux industries. eaux sont acheminées par un système de Seulement 5 %, soit 40 millions de mètres pompage, dans un réseau de conduits longs cubes, servent pour les usages quotidiens de 80 kilomètres. des Marrakchis : pour la vaisselle, les abluLes golfs ne sont pas les seuls à bénéficier tions et étancher leur soif. Pour que l’eau dedes eaux traitées par la station d’épuration vienne potable, les types de traitements doide la ville. Elles irrigent également plusieurs vent être plus avancés, pour éviter tout grands espaces agricoles de la région. Les risque de contamination par des germes paagriculteurs peuvent à présent travailler thogènes ou d’autres éléments toxiques. dans de meilleures conditions sanitaires. Traiter l’eau : un bon début. Prochaine étape : Un avantage pour eux comme pour leurs la rendre potable dès la sortie de la station consommateurs. Mais la station d’épura- d’épuration. Mais d’ici là, de l’eau usée aura tion seule ne suffit pas. Elle doit s’accompa- coulé sous les ponts. gner d’une sensibilisation de la population. SIMON ABRAHAM ET CORENTIN DIONET

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que l’alternative de la réutilisation des eaux usées est très prometteuse. » Or, elle n’est pas suffisamment développée pour empêcher les Marrakchis de pomper dans leurs nappes phréatiques. Les initiatives se multiplient. À l’image de la station d’épuration construite par la Radeema. Une enveloppe de 1,23 milliard de ­dirhams (soit un peu plus de 113 millions d’euros) a été nécessaire. Un investissement important pour la protection de la santé des citoyens, de l’environnement et la préservation des ressources. Avec une superficie de 17 hectares, la station est la plus ­importante du Maroc. Elle peut épurer jusqu’à 33 millions de mètres cubes d’eau par an, qu’elle soit domestique ou industrielle. En 2016, 95 % de l’eau passée dans ses bassins a été traité, selon Le Point. « Son objectif est de restructurer le réseau des eaux usées de Marrakech, en empêchant que celles-ci soient reversées dans la nature sans aucun traitement », assure Hans Grootaerd, le directeur de la Step de Marrakech. DES GOLFS PLUS ÉCOLOGIQUES

Les eaux traitées sont acheminées par des conduits venant de toute la ville. « Elles passent ensuite par cinq phases d’épuration », explique Hans Grootaerd. Les ­déchets volumineux, comme le plastique ou les copeaux de bois, sont récupérés. Ils sont ensuite transformés pour permettre d’alimenter la Step en énergie à hauteur de 52 %. Les particules étrangères sont, elles, éliminées. L’eau est filtrée, dépolluée, puis décantée. Une partie est déversée dans le proche oued Tensift, l’autre est redirigée vers des seguias. Grâce à un système de pompage, cette eau traitée irrigue notamment la majorité des nombreux golfs de la ville. Ces moteurs du tourisme à Marrakech fleurissent un peu partout dans les environs de la Ville rouge depuis 2010. Le site golf-marrakech.fr en dénombre ­aujourd’hui dix. Mais d’autres sont en construction et en projet. Dans une région qui connaît un fort stress hydrique, le

Cette mini-station d’épuration imaginée en 2016 par Tawfik el-Moussaoui, permet de traiter 16 m3 d’eau par jour. Soit l’équivalent de 16 000 bouteilles d’eau.

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L’ENTRETIEN

« CETTE VILLE

EST PLUS OUVERTE »

MARRAKECH ET L’ÉCOLOGIE… OÙ EN EST LA VILLE ROUGE SIX MOIS APRÈS LA COP22 ? OUIDAD TEBBAA, SPÉCIALISTE EN TOURISME ET EN PATRIMOINE, SE CONFIE SUR UNE VILLE QU’ELLE CONNAÎT BIEN. Comment évoluent le Maroc et Marrakech par rapport au développement durable ?

Martin Esposito/EPJT

Le regard porté sur ces questions a fondamentalement changé. Lors de la COP7, qui s’est déroulée à Marrakech en 2001, je ne pense pas que la question environnementale était essentielle pour le Maroc. C’était une question réservée aux pays riches. Nous, nous estimions avoir d’autres problèmes tels que la santé ou l’éducation. Aujourd’hui, elle est devenue vitale, sans exagération. Les autorités ont fait de l’environnement l’un des enjeux majeurs en matière de développement. Ces vingt dernières années, nous avons connu d’énormes progrès, y compris à Marrakech. Cette ville n’a pas réglé toutes les inégalités sociales, mais elle est plus propre. Elle préserve davantage son patrimoine. Et elle est plus ouverte. Sur quels points le Maroc doit-il accentuer ses efforts ?

Je pense qu’il faut davantage se tourner vers la population elle-même. Il faut savoir que près de la moitié de la population est ­analphabète [en réalité, 32 % de Marocains sont analphabètes, NDLR]. Ces personnes vulnérables sont déjà dans l’économie de l’eau. Elle leur coûte si cher qu’elles régulent d’elles-mêmes leur ­consommation. Il faut donc se concentrer sur les classes moyennes et aisées qui ne se sentent pas concernées par la durabilité. Le Maroc doit aussi règlementer l’utilisation des ressources naturelles par les particuliers. Nous creusons des puits sans autorisation, en toute impunité, que ce soit pour un petit jardin en ville ou pour l’agriculture. Il y a un travail de contraintes, de réglementations et d’amendes à mener mais aussi un travail de sensibilisation en commençant par les enfants à l’école. Qui sont les principaux acteurs de la transition écologique ?

Plusieurs institutions sont mobilisées. Nous avons un département ministériel chargé de

L’agriculture traditionnelle, durable, avec des économies d’eau, est à nouveau évoquée. »

BIO Ouidad Tebbaa est professeure à l’université de lettres et sciences humaines Cadi Ayyad de Marrakech, coordinatrice des formations tourisme et patrimoine et membre de la chaire Unesco en paysage et environnement. Elle a activement participé à l’inscription au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco de la place JemaaEl-Fna en 2008.

l­’environnement, rattaché au ministère de l’Énergie. Le ministère du Tourisme est aussi impliqué. Le ministère de l’Agriculture a également lancé des programmes innovants pour le Maroc, dans le cadre du pilier 2 du plan Maroc Vert. Ces deux ministères, ceux du Tourisme et de l’Agriculture, se croisent d’ailleurs sur certaines thématiques. Pour une fois, l’agriculture est abordée différemment. L’agriculture traditionnelle, durable, avec des économies d’eau, est à nouveau évoquée. Le Maroc a mis en place une politique offensive avec des moyens pour promouvoir cela. Dans le plan Maroc Vert par exemple, il y a une approche transsectorielle pour développer et valoriser les arrièrepays, via une politique de patrimonialisation où l’on met en avant des savoir-faire. Tout cela sans oublier la société civile qui s’engage dans ces problématiques, notamment à travers la création d’associations.

Concrètement, pouvons-nous parler d’économie verte à Marrakech ?

Il faut reconnaître qu’elle est encore minoritaire, mais elle émerge et ce grâce au tourisme, car les hôtels et les golfs n’ont pas le choix. Imaginez : vous avez un superbe golf, les touristes viennent, voient tout cet arrosage et se disent : « Ce n’est pas possible, le Maroc a traversé des périodes de sécheresse incroyable, avec des paysans qui n’avaient pratiquement plus rien. Et il y a ces golfs où tout est vert, c’est scandaleux. » Mais il faut ­comprendre que c’est aussi du business. Une réflexion s’est donc imposée d’elle-même, petit à petit. Une station d’épuration a été construite ; aujourd’hui, l’eau est recyclée. Les choses se sont amorcées comme cela. À quoi ressemblera Marrakech dans cinq ans ?

Le discours tenu pendant la COP22 était d’être la première ville verte d’Afrique. Pourtant, beaucoup de progrès restent à réaliser pour y parvenir. Je rêve d’un tramway à Marrakech. Je rêve qu’on roule davantage à vélo sans avoir le sentiment qu’on peut y laisser sa peau. La COP va nous obliger à faire des choses. Le pays a pris des engagements internationaux qu’il va être obligé de tenir. Avec  cette COP, le Maroc anticipe sur ce qu’il doit devenir : un acteur du développement durable.

RECUEILLI PAR THÉO CAUBEL ET CYRIELLE JARDIN

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ÉNERGIE

L’HOMME AUX FOYERS

ABDELATI EST CHAUFFEUR D’EAU DANS LE HAMMAM MASMOUDI AU CŒUR DE LA NOUVELLE VILLE. LA COMBUSTION DU BOIS A ÉTÉ REMPLACÉE PAR CELLE DES GRIGNONS D’OLIVES. UN CHANGEMENT QUI A COMPLÈTEMENT TRANSFORMÉ SON QUOTIDIEN.

De ses mains légèrement maculées de cendres, Abdelati Aït Jilali ramone le four flambant neuf. Il est moul el-farnatchi, c’est-à-dire chauffeur d’eau de hammam. Sur son front, dissimulé par une casquette, perlent quelques gouttes de sueur. ­Accoudé à l’une des chaudières couleur carmin, il reprend son souffle. Le rouge contraste avec son bleu de travail et le noir de ses chaussures de randonnée. Face à ces engins de 5 mètres de haut, qu’il appelle ses « collègues », l’homme de 29 ans paraît frêle. Une odeur d’olive et de fumée chatouille les narines. Il y a deux ans, Mehdi Khaldoun, le propriétaire du hammam Masmoudi, situé dans les quartiers huppés de Marrakech, l’a transformé en un lieu plus respectueux de l’environnement. Oublié le bois, ce sont ­désormais des grignons d’olive (peau, pulpe, petits morceaux de noyaux) qui sont utilisés comme combustible. Un changement considérable pour Abdelati qui manipulait du bois à longueur de temps. Les cendres grises, l’odeur méphitique de la ­fumée et le poids du bois lui restent encore en tête et dans les bras. « Pendant cinq ans, j’ai passé toutes mes journées à mettre du bois dans la chaudière. Il faisait chaud, trop chaud. La température atteignait facilement les 40 degrés. J’avais des problèmes de

Martin Esposito/EPJT

Près de 10 tonnes de grignons d’olive dorment dans l’entrepôt où travaille Abdelati.

respiration. Mes poumons étaient ­compressés », ­explique-t-il les mains sur la poitrine. Désormais, il travaille dans un ­environnement frais, d’une vingtaine de ­degrés, bien loin de l’ambiance d’un hammam beldi, c’est-à-dire traditionnel, où l’air est irrespirable. Housseine Idrissi, ­le plombier, a constaté le changement : « Abdelati n’est plus sous ­tension. Il travaille plus ­calmement. Tout paraît plus facile à exécuter. » Pour le chauffeur d’eau, l’adaptation s’est faite assez rapidement. « J’ai eu une formation d’une semaine pour assimiler le nouveau système. On m’a expliqué comment régler les niveaux des nouvelles machines et comment gérer les quantités de grignons. Finalement, c’est comme si j’avais changé de travail », raconte-t-il en relevant son masque. UN SALAIRE DE MISÈRE

Cette transition vers un hammam du futur a « changé [sa] vie » mais ses journées restent toujours aussi longues et remplies. Dès 7 heures, il nettoie les chaudières et les ­alimente en continu. C’est environ 60 kilos de grignons d’olive par heure qui sont ­déversés dans les fours, jusqu’à 21 heures. Le tout pour un salaire mensuel de 180 euros (le salaire moyen marocain est d’enviInnova

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ron 235 euros), avec seulement deux jours de congé par mois. Pour arrondir ses fins de mois, le Marrakchi recycle les cendres. Il les laisse poser, encore chaudes dans un bac au fond de l’entrepôt. Les habitants du quartier viennent y chauffer leur tanjia, un plat traditionnel marocain. Abdelati leur demande de 10 à 15 dirhams (de 1 à 1,50 euro) par cuisson. S’il se sent fier de faire un métier ­pratiquement unique (il y a seulement cinq hammams durables au Maroc), Abdelati ne l’a pas choisi : « Je n’ai pas trouvé mieux. » Il a quitté l’école à 15 ans, comme beaucoup de Marocains issus des milieux populaires. Il a ensuite accumulé les petits boulots dans le bâtiment. C’est un peu par hasard qu’il se retrouve aujourd’hui « maître du feu ». Il admet qu’il exerce ce métier seulement pour subvenir aux besoins de ses parents avec qui il vit. Tout en ­jetant des grignons d’olive, il rêve, le sourire aux lèvres, d’une autre vie, en France, aux ­côtés de ses frères qui vivent à Lille. « Je veux aller à Line », confie-t-il le verbe un peu maladroit. Pour l’heure, il laisse derrière lui sa tenue de travail et quitte l’entrepôt, se rend au bain public pour retirer les traces de cendres de son visage et de ses mains hâlées.

PHILIPPINE DAVID ET MARY SOHIER


Plusieurs sourates du Coran indiquent que gaspiller est interdit. Selon les interprétations, cela peut encourager à l’écologie.

LE PRÊCHE DURABLE

DANS UN PAYS OÙ PLUS DE 95 % DES HABITANTS SONT MUSULMANS, LES INTERPRÉTATIONS DU CORAN PERMETTENT DE SENSIBILISER AU RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT. L’ÉCOLOGIE ENTRE DANS LES MOSQUÉES EN VUE DE LES RENDRE PLUS ÉCONOMES EN ÉNERGIE.

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epuis neuf siècles, il se dresse en face de la place Jemaa el-Fna. Du haut de ses 69 mètres, le minaret de la mosquée Koutoubia domine Marrakech. Il est devenu l’un des symboles de la ville. En ce lundi de mai, la température atteint pratiquement les 40 °C. Ce qui n’empêche pas les touristes de défiler sur le parvis en dalles beiges, appareil photo à la main. Le regard de quelques-uns s’arrête sur un petit affichage lumineux, installé près de l’imposante porte d’entrée en bois clouté. Il ­indique, en temps réel, l’énergie produite par les panneaux photovoltaïques, situés sur le toit de la mosquée, et les émissions de CO2 évitées. Comme une centaine d’autres au Maroc, la mosquée Koutoubia est dite « verte ». Le projet – mené par le ministère des Habous et des affaires islamiques, l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique, la société allemande GIZ et la société d’investissements énergétiques – mûrit dans les esprits depuis 2014 au Maroc. Il a été annoncé pendant la COP22, en novembre 2016. Panneaux solaires sur les toits, ampoules LED dans les salles de prières, chauffe-eau solaire pour fournir l’eau aux fidèles pour les ablutions entre autres in-

KOUTOUBIA

Cette mosquée verte, créée en 1120, mesure 69 mètres de haut. Grâce à ses formes et ses couleurs, la Koutoubia est devenue le monument religieux le plus célèbre de Marrakech.

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novations…, l’objectif est simple, mais ambitieux : réduire de 40 % la consommation d’énergie de l’ensemble des mosquées du pays. La société française Engie (anciennement EDF) a remporté l’appel d’offre, en 2016, pour réhabiliter, dans un premier temps, 64 mosquées. Les plus ­visitées : Koutoubia, à Marrakech, et Assounna, à Rabat, sont pilotes sur ce projet. D’ici 2019, le royaume souhaite rénover 600 des 50 000 mosquées que compte le pays. Pour Ali Amar, cofondateur du site d’information en ligne Le Desk, « c’est un plan de communication, qui n’est pas vraiment utile. Les mosquées n’ont pas un grand impact sur l’environnement ». Pourtant, selon le ministère marocain, elles consommeraient en moyenne 6,15 kW/h par jour, soit l’équivalent de 190 réfrigérateurs branchés toute une année. Un changement des mentalités est nécessaire pour faire passer le Maroc au vert. L’initiative dépasse donc le simple côté matériel. Pour les musulmans, la religion est un véritable moyen de sensibilisation aux questions environnementales. Chaque semaine, ce sont environ 5 millions de pratiquants qui se déplacent à la mosquée pour écouter le prêche du vendredi. Un rendez-vous où les fidèles prient et écou-


ÉNERGIE La Koutoubia est l’une des premières mosquées vertes du Maroc, avec ses panneaux solaires installés sur son toit.

Photos : Mathilde Errard/EPJT

Chaque vendredi, les fidèles viennent écouter le prêche le plus important de la semaine. L’écologie y est parfois abordée.

tent le discours de l’imam, avant de se ­retrouver en famille autour d’un repas. L’occasion de débattre des sujets évoqués pendant la prière. Lors de la COP22, l’environnement s’est imposé dans les discussions. Des ateliers de sensibilisation à l’écologie ont été ­organisés pour les imams, en marge de l’événement. « Le but était de leur donner des clés, pour qu’ils trouvent par eux-mêmes des arguments sur l’environnement dans le Coran, explique Rémy Pigaglio, correspondant pour La Croix au Maroc. Celui-ci a pu assister à l’une des sessions organisées à Marrakech. « L’écologie n’est pas un thème classique. Ces formations ont poussé les imams à évoquer ce sujet dans leurs prêches. » « DIEU N’AIME PAS LES GASPILLEURS »

La relation entre l’environnement et l’islam ne date pas de la COP22. « L’évènement a servi de rappel, estime Manar, 21 ans, qui discute avec quelques amies à l’ombre de l’imposante mosquée Koutoubia. Cela nous a permis de rectifier certaines mauvaises habitudes et cela nous a encouragé à faire plus ­attention. » Mais pour Malika, 35 ans, qui se promène non loin avec son mari, l’événement n’était pas nécessaire pour respecter l’environnement : « Tout est écrit dans le Coran ! » Plusieurs sourates du texte saint peuvent en effet être interprétées en faveur d’une préservation de la planète : « Les gaspilleurs sont les frères des diables », met en garde l’une d’entre elles. « Il [Dieu] n’aime pas les gaspilleurs », prévient une autre. Une mise en garde qui est également valable pour ce qui concerne l’usage de l’eau. Cette dernière est une ressource précieuse qu’il faut protéger. Pourtant, elle est souvent sujette à une utilisation excessive, notamment lors des ablutions, cette étape de purification, réalisée avant les cinq prières de la journée, qui consiste à se passer de l’eau sur les mains, les cheveux et les pieds.

Au pied de la mosquée, un panneau indique sa consommation en énergie et les émissions de CO2 évitées depuis qu’elle est labellisée verte.

LE CHIFFRE

600

mosquées doivent être rénovées d’ici 2019 parmi les 50 000 que compte le royaume du Maroc.

Il n’est pas rare d’apercevoir quelques commerçants dans les étroites ruelles du souk s’asperger la tête. « Pour chaque ablution, nous utilisons, à mon avis, l’équivalent d’une bouteille d’eau par personne », ­estime Youssef, 25 ans, artisan zelligier (qui fabrique des carreaux de ciment). Il a étudié la finance islamique et est également passé par l’école coranique (medersa, en arabe). Une fois par mois, il se rend dans une petite mosquée de la vallée de l’Ourika, à une quarantaine de kilomètres au sud de Marrakech. Il y donne bénévolement une formation islamique à une vingtaine de personnes et aborde tous les thèmes évoqués dans le Coran. Dont l’environnement. Le jeune homme explique comment réaliser ses ablutions tout en économisant l’eau et insiste sur l’importance de trier les déchets et de ne pas les j­eter dans la rue. Si la protection de l’environnement semble faire partie intégrante de la religion (selon certaines ­interprétations), tous les pratiquants n’ont pas ­encore conscience des problèmes environnementaux actuels. À l’image du public de Youssef, principalement âgé et issu du monde rural. Pour le ­Marrakchi, les personnes âgées représentent une cible importante pour faire évoluer les mentalités. « Cette génération est sabs doute la plus difficile à convaincre, mais elle est plus respectée dans la ­société marocaine, constate-t-il. Donc, si nous réussissons à faire passer le message auprès des anciens, ils le transmetteront à leurs petits-enfants et à tout leur ­entourage. » MATHILDE ERRARD ET MANON VAUTIER-CHOLLET

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TRAVAIL

POTERIES ET TANNERIES

BOSSER À EN PERDRE LA SANTÉ DANS LES RUES ÉTROITES DE MARRAKECH, IMPOSSIBLE DE MANQUER LES CÉLÈBRES TANNERIES ET POTERIES MAROCAINES. DEUX ACTIVITÉS QUI RESTENT POLLUANTES ET RISQUÉES POUR LES TRAVAILLEURS. DES INITIATIVES SONT MENÉES POUR CONVERTIR CES MÉTIERS TRADITIONNELS AU VERT, MAIS ELLES SE CONFRONTENT À DES RÉTICENCES.

L

e ballet incessant des voitures, des mobylettes et des camions fait voler la poussière sur la route menant à Essaouira. Un grand panneau vert pomme ­signale « Visitez le complexe des potiers ». Le village de Saâda, situé à 5 kilomètres du centre de Marrakech, s’impose comme une véritable attraction touristique. Aujour­ d’hui, femmes et enfants circulent à pied ou à vélo sur les allées pavées. Vingt ans plus tôt, peu de monde aurait osé s’y aventurer. Une épaisse fumée noire s’échappait alors des fours à bois et rendait l’air irrespirable. Les artisans étaient les premières victimes de cette pollution. À l’époque, le Centre de développement de la région de Tensift (CDRT), une organisation non gouverne­

mentale, a enquêté sur la santé des artisans. Des radiologues ont détecté de graves pro­ blèmes respiratoires. « Ils inhalaient tous les jours les particules de fumée », se sou­ vient Ahmed Chehbouni, président de l’ONG. Les ouvriers, eux, ne se rendaient pas compte du danger. « C’était normal pour nous de travailler dans ces conditions, raconte Mohamed Ouchahed, ­patron d’un petit atelier de poterie. Je n’ai jamais été malade. Si on le devenait, tant pis. Si on restait en bonne santé, tant mieux. » Dans un rayon de 10 kilomètres, la fumée touchait aussi riverains et agriculteurs. « Elle posait un problème pour la sécurité aéronautique. L’aéroport n’est pas bien loin », explique Ahmed Chehbouni. La pol­ lution atmosphérique n’était pas le seul

Abdallah Oaâdi, employé dans une poterie durable, est exposé à la fumée des ateliers qui utilisent des fours à bois tous les jours.

problème. Les potiers utilisaient jusqu’à 40 000 tonnes de bois par an, contribuant largement à la déforestation. Initialement au cœur de la Ville rouge, ils ont été déplacés vers Saâda. « Avec l’expan­ sion urbaine, le village des potiers a fini par refaire partie de l’agglomération de Mar­ rakech dans les années deux mille, se remé­ more Ahmed Chehbouni. Le gouverneur a alors décidé de les expulser encore plus loin. C’en était trop. » Pour lui, il était ­impossible de délocaliser une seconde fois les potiers. En 2002, il prend les choses en main et conçoit un four à gaz, bien moins polluant. Celui-ci permet de mieux gérer la température et d’obtenir des produits plus solides. Avec les anciens fours, les artisans enregistraient 40 % de pertes. Mais, à 6 000 euros, un four à gaz coûte bien trop cher pour un artisan. UNE SOLUTION QUI DIVISE

Léna Soudre/EPJT

L’ONG fait alors appel au ministère de l’Agriculture, concerné par ce dossier car les particules tombent sur les exploitations agricoles aux alentours. Un terrain d’en­ tente est trouvé avec le Crédit agricole ma­ rocain. La banque s’engage à accorder des prêts aux potiers pour l’achat d’un four à gaz et à leur garantir des taux d’emprunt très bas. Depuis, les fours ont trouvé leur place dans le village. Mohamed Ouchahed a été l’un des pre­ miers à s’en équiper. Il est installé au fond d’une pièce sombre où sont empilés pots, assiettes de couleur ocre et vases métalli­ sés. Une forte odeur de gaz prend à la gorge dès l’entrée. Potier depuis quarante-sept ans, il a suivi toutes les évolutions du Innova

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Laura Bannier/EPJT

Depuis plusieurs années, des tanneurs traditionnels utilisent des produits chimiques. Une pratique risquée pour eux et dangereuse pour l’environnement.

­ étier. « Aujourd’hui, les produits sont m bien finalisés. Le gaz coûte cinq fois moins cher que le bois. Avant, je devais travailler la nuit pour que mon activité soit rentable. Désormais, j’ai davantage de temps libre pour profiter de ma famille », se réjouit-il. Ahmed Chehbouni reste fier de ce succès : « Il y a eu une entrée inattendue de la femme dans le métier. Les ouvriers sont moins pauvres et travaillent dans un envi­ ronnement plus sain. » UN SYSTÈME D’ÉGOUTS VIEILLISSANT

« Les fabricants de briques, eux, ont refusé nos fours car notre ONG ne faisait pas par­ tie du monde de l’artisanat », confie Ahmed Chehbouni, encore amer. C’est un véritable conflit corporatiste. « Ce qui entrave le pro­ grès, ce n’est pas l’argent, ce sont les menta­ lités. » Certains artisans utilisent donc tou­ jours des fours à bois, pourtant interdits. Il suffit de monter sur les toits pour voir une épaisse fumée noire s’échapper de plusieurs ateliers. Selon Mohamed Ouchahed, 45 % les utilisent encore en cachette. Mais les autorités semblent adopter la politique de l’autruche. « Lors de la COP22, une déléga­ tion nous a rendu visite. Elle a demandé à ce qu’ils soient éteints », confie son fils. Du côté de l’industrie du cuir, c’est une toute autre histoire. Abdeljalil Slayssi, tan­ neur depuis trente-cinq ans, ouvre la porte de son atelier implanté dans le quartier Dar Dbagh, à l’est de Marrakech. Ici, pas de bas­ sin à ciel ouvert. Sa tannerie industrielle est une petite bâtisse de quatre étages, coincée dans une ruelle étroite et sinueuse. À l’inté­ rieur, seules quelques ampoules blanches éclairent cet atelier exigu. L’homme, hype­ ractif, se faufile parmi les machines.

Chimiste de formation, il apporte son ­expertise à l’Association des tanneries mo­ dernes et fabricants de cuir de Marrakech. Ensemble, ils élaborent un projet pour ­déplacer la production de 28 tanneries dans la zone industrielle de Chichaoua, à 90 kilomètres de Marrakech. Cette déloca­ lisation leur permettrait d’avoir une activité industrielle plus propre. À sa petite échelle, Abdeljalil Slayssi fait en sorte que les déchets solides ne bouchent pas les égouts, grâce à des grilles qui ne laissent passer que les liquides. Mais ça ne suffit pas. « Tout le monde ne fait pas cet effort, se résigne-t-il. De toute manière, même si chacun faisait en sorte de bien filtrer l’évacuation de ses eaux, c’est tout le système d’égouts qu’il faudrait adapter à notre activité. » Dans un quartier ancien comme celui de la medina, de tels travaux sont impensables. « À Chichaoua, nous serions implantés

4,5

LE CHIFFRE

C’est en pourcentage l’augmentation du chiffre d’affaires de l’artisanat en 2015. Une progression record. Mais la productivité reste inégale selon les villes. Casablanca occupe la première place alors que Marrakech se situe en dessous de la moyenne urbaine.

dans une zone industrielle moderne. Nous aurions notre propre station d’épuration », argumente Abdeljalil Slayssi. Faute de ­financement, le projet n’aboutit pas. L’État a pourtant mis en place un plan, Vision 2015 pour le développement de l’artisanat marocain, qui soutient la mise à niveau des tanneries traditionnelles. OBJECTIF : QUITTER MARAKECH

« L’État préfère les aider car, grâce à leur ­authenticité, elles sont des attractions tou­ ristiques », s’indigne Abdeljalil Slayssi. Mais lui ne peut pas s’en passer. « Le tannage ­naturel n’obéit pas à toutes les attentes des clients. Par exemple, la résistance à la ­déchirure est moins bonne », explique-t-il. Détenteur d’une licence en chimie et ­diplômé de l’Institut national de cuivre et de textile de Fès, il connaît les risques pour l’environnement et la santé mieux que qui­ conque. Prévention, gants, matériels de chimie adaptés… Il protège correctement ses ouvriers face aux dangers du sulfate de sodium et de chrome. Quitter Marrakech pour Chichaoua permettrait à chaque ou­ vrier de bénéficier des mêmes protections. Malgré tous ces avantages, les parlemen­ taires font barrage, privilégiant l’activité traditionnelle. « L’industrie ne les intéresse pas. Pour eux, ça pose trop de problèmes. Ils préfèrent investir pour améliorer l’image du tourisme », explique le tanneur. Pour­ tant, le gouverneur de Chichaoua et le ­ministère de l’Artisanat se sont prononcés en faveur du projet. Abdeljalil Slayssi reste optimiste. Son dernier espoir pour faire bouger les lignes : déposer le dossier direc­ tement dans les mains du roi du Maroc. MATHILDE ERRARD ET LÉNA SOUDRE

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TRAVAIL

Espaces détente, salle de jeux, babyfoot, ­toboggans, les géants de Silicon Valley ne lésinent pas sur les moyens pour que leurs ­cerveaux se sentent comme à la maison.

LA RICHESSE AU BOUT DES DOIGTS

AU SEIN DE LA COOPÉRATIVE AL-KAWTAR, DES FEMMES HANDICAPÉES FABRIQUENT À LA MAIN DES PRODUITS TEXTILES. UNE MANIÈRE DE S’ÉMANCIPER ÉCONOMIQUEMENT MAIS AUSSI SOCIALEMENT.

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A

u cœur de la medina, un passage couvert débouche sur une boutique et un petit atelier. Intrigués, quelques touristes s’engouffrent jusqu’au bout pour y découvrir un établissement blanc paré de baies vitrées. Inscrit sur une pancarte à l’entrée du passage, un mot arabe : Al-Kawtar, nom féminin qui ­représente l’abondance dans le Coran. Dans les pièces autour du patio central, éclairées par la lumière naturelle, sont ­exposés d’innombrables produits textiles, tous plus colorés les uns que les autres. Ils sont entièrement confectionnés par des femmes handicapées et mis en vente dans la boutique qui jouxte l’atelier. Les bracelets et autres grigris sont posés sur une table. Les draps sont rangés dans des placards et les tapis multicolores jonchent le sol. Les vêtements traditionnels pour hommes, femmes et enfants sont accrochés sur des cintres. Tous sont réalisés dans la pièce ­adjacente, également accessible aux clients.

Philippine David/EPJT

TRAVAIL

Cet atelier est agencé comme un diwan, ces salons typiques marocains. Installées sur les canapés, des femmes cousent tout en sirotant un thé à la menthe et en dégustant des pâtisseries. Au dessus de leurs têtes, sur des étagères, boutons et tissus sont rangés dans des paniers en osier. Les sourires éclairent leur teint hâlé. Des voiles unis ou bariolés entourent leur ­visage, elles se fondent dans le ­décor coloré. Au premier abord, leurs infirmités n’interpellent pas mais peu à peu, les difficultés de chacune se remarquent. UN LIEU DE RENCONTRE ET DE VIE

Toutes ont un handicap moteur. Certaines ont des problèmes d’articulations, d’autres se ­déplacent en fauteuil roulant. Mises à l’écart de la société, elles ont intégré la ­coopérative dans l’espoir de gagner de ­l’argent, tout en cultivant leurs savoir-faire artisanaux. À l’origine, Al-Kawtar était une association non lucrative qui aidait les ­handicapées. En 2006, elle s’est ­transformée Innova

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en coopérative. Depuis, le but est de faire du profit. Les treize femmes qui y ­travaillent actuellement sont pratiquement toutes ­issues de l’association originelle. C’est le cas de Naima qui a du mal à marcher sans aide. Elle est installée au fond du canapé, dans un coin de l’atelier, près d’une table où ­travaillent deux autres femmes en fauteuil roulant. Avec du fil bleu ciel, elle coud des motifs sur une djellaba. Si elle est ici, c’est uniquement pour gagner de l’argent et subvenir à ses besoins. Naima a pris son envol du foyer familial pour ­intégrer Al-Kawtar, mais elle s’y sent seule, loin de ses parents. L’intérêt des coopératives ne réside pas ­seulement dans l’apport financier. Zohra, 48 ans, dont les muscles sont crispés depuis qu’elle a contracté une forte fièvre à l’âge de 5 mois, pense qu’Al-Kawtar est avant tout un soutien moral. Elle s’y raccroche pour échapper à la solitude. « J’ai mal aux articulations quand je couds. Mais je suis contente d’être ici. Les échanges avec les


Philippine David/EPJT

Photos : Philippine David/EPJT

Philippine David/EPJT

Menées par Saida (ci-contre), elles sont treize femmes à se retrouver quotidiennement à la coopérative Al-Kawtar pour ­confectionner des tapis, des djellabas, des bracelets et même des houses de téléphones mobiles.

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autres femmes sont importants », expliquet-elle en dévoilant ses mains recroquevillées.Cette entraide réconforte celles qui se ­sentent mal, loin de leur famille. Une fois hors de la coopérative, les jugements sont parfois durs à encaisser. C’est le cas de Naima. Elle se sent discriminée, elle qui se trouve pourtant autonome comme les autres. D’autant plus au sein du groupe. Naima confie : « À part ce métier, je n’ai rien. » Aucune d’entre elles n’a fondé de ­famille ; toutes sont célibataires. Les coopératives sont des refuges pour les femmes, valides comme handicapées, ­exclues du développement économique ou enterrées dans une routine familiale. Dans une société marocaine très corsetée et ­patriarcale, les coopératives les aident à trouver leur place. En 2015, selon l’Office du développement de la coopération, il y avait plus de 2 200 coopératives de femmes au Maroc, pour la plupart agricoles et ­artisanales. Dans certaines d’entre elles,


TRAVAIL FEMMES LIBÉRÉES

Pour fuir la solitude, Zohra vient chercher un peu de chaleur humaine auprès de ses « sœurs ».

Il n’y a pas de concurrence entre nous, nous apprenons les unes des autres » ZOHRA, UNE DES FEMMES QUI TRAVAILLE À LA COOPÉRATIVE

il est possible d’apprendre à lire et à écrire pour mieux s’intégrer dans le monde du travail. Même si la majorité des femmes ­savait déjà coudre, Al-Kawtar propose des cours de perfectionnement. Elles échangent aussi leurs compétences entre elles car chacune a sa spécialisation, dans laquelle elle s’épanouit. « Il n’y a pas de concurrence entre nous, nous apprenons les unes des autres », explique Zohra en

­ ésignant ses points de tricot. Elles ­sont d fières de proposer des produits de qualité. La coopérative cherche ainsi à se distinguer des souks, situés à deux pas des locaux. Pour Saida, son ­métier est une fierté : « Nous ­participons à la pérennisation de l’artisanat, nous contribuons à donner une bonne image des ­produits marocains ». La jeune femme est bossue mais cet handicap ne se voit quasiment pas. C’est avec ­entrain, dynamisme et fierté qu’elle vadrouille entre les étalages pour montrer tous ses produits aux clients. Mais travailler à la coopérative n’est pas si simple : le salaire est très faible, voir ­inexistant en période creuse. Pour autant, Saida ne désespère pas, elle avoue que la coopérative traverse une période financière très ­complexe. Al-Kawtar a du mal à ­écouler son stock de produits. « Les Marocains n’ont pas l’habitude d’aller acheter dans les coopératives », regrette-t-elle. Les artisanes sont dans ­l’incertitude et ne Innova

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Au Maroc, certaines femmes au foyer ne demandent qu’à sortir de chez elles. Elles passent souvent leurs journées dans leur maison et s’isolent du monde extérieur. Située dans la medina, la fondation Dar-Bellarj œuvre pour la préservation du patrimoine. Elle a trouvé des solutions pour aider les femmes. Sa responsable, Maha Elmadi, a ouvert en 2009 des ateliers à leur destination. « L’État œuvre pour le développement social, mais les femmes peuvent avoir l’impression d’en être exclues. Elles se sentent aussi en décalage avec la nouvelle génération et avec le monde actuel. Dar-Bellarj leur donne un espace de valorisation et d’échanges », explique-t-elle. Alphabétisation, théâtre, chant, tout est fait pour leur permettre de s’exprimer et de développer leur personnalité. Au total, 96 femmes prennent part à ces ateliers. Elles arrivent de tous horizons. Selon Maha Elmadi, elles viennent pour le simple plaisir de passer du temps ensemble. Les ateliers n’ont pas d’intérêt financier pour elles. En revanche, ils permettent de développer des compétences, telle que la couture. Comme dans les coopératives, les rencontres et les échanges sont très importants. À l’image des neuf femmes qui se réunissent tous les jeudis pour entonner le samâ, un chant traditionnel marocain. L’une d’entre elles, Rachida, confie : « C’est mieux de venir là que de rester chez moi. À la maison, je reste devant la télévision, ça n’a pas de sens. » Elles chantent et dansent ensemble pendant plusieurs heures, toujours le sourire aux lèvres.

s­ avent pas de quoi ­demain sera fait. Mais elles restent, toutes ensemble, malgré tout. Entre « sœurs », comme elles s’appellent. UN REPÈRE EN DANGER

L’État a fourni des ordinateurs et un bureau à la coopérative dans le cadre de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Mais la survie d’Al-Kawtar est compromise : la coopérative n’arrive plus à payer le loyer de ses locaux. Pour le ­moment, la production est stoppée. Les surplus de vêtements, de draps, de ­tissus et d’accessoires ­s’entassent dans les nombreux placards de la boutique. Les femmes ­attendent une réponse de l’État à qui elles ont fait une demande de subvention. C’est leur dernière chance. Elles ­l’admettent, elles n’ont nulle part ailleurs où aller. Chacune d’entre elles préfère ­gagner un ­salaire de misère, que de ­retourner à la solitude. PHILIPPINE DAVID ET CYRIELLE JARDIN


ÉDUCATION

CULTIVER SANS SE PLANTER DANS LA PLAINE DU HAOUZ, OMAR HAJJI, AGRICULTEUR, INITIE DES AMATEURS AUX TECHNIQUES PLUS RESPECTEUSES DE L’ENVIRONNEMENT.VISITE DE SON EXPLOITATION. peu moins élevé mais reste conscéquent au vue de leur budget : 5 800 dirhams (530 euros). Les stagiaires de la semaine sont logés et nourris. Mais la défense de l’environnement a-t-elle un prix ? UNE AMBIANCE DÉCONTRACTÉE

Face à la pollution des écosystèmes, ­l’épuisement des ressources naturelles et aux inégalités sociales, tous cherchent à trouver une alternative dans un système qui, selon eux, court à sa perte. Pour ­atteindre ce but, Omar Hajji guide le groupe, ­appuyé par ­Ismail el-Hamzaoui, un ancien stagiaire devenu depuis formateur. Chaque journée commence avec des cours théoriques : climat, étude de terrain, agriculture, construction ou création d’entreprises, tout y passe. Stylo en main, tableau à sa droite, Ismail ­déroule son cours à l’aide de schémas. Les ­stagiaires sont détendus. Certains sont confortablement installés sur les canapés marocains ; d’autres préfèrent rester sur une chaise, papier et stylo à portée de main. Les questions fusent : « À quoi servent les plans cadastraux ? » « Pourquoi est-il utile

Depuis 2015 Omar Hajji organise des stages autour d’une culture respectueuses de l’humain et de la terre.

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d’étudier les mouvements du soleil ? » Omar, qui écoute le cours avec autant d’intérêt que les ­stagiaires, partage son expérience : « Toutes les variétés ne sont pas adaptées au climat marocain. Par exemple, dans mes premiers mois à la ferme, j’avais importé de la luzerne des États-Unis. Mais elle est morte pendant la sécheresse. » Omar a toujours une solution qui livre de bon cœur. « Du coup, j’ai planté une espèce marocaine, plus résistante à la chaleur et qui offre de meilleurs rendements. » Marrakesh Organics propose aussi un enseignement pratique, qui met les ­stagiaires directement en situation. ­Première étape : la visite des plantations de blé, situées juste à côté d’un champ d’orge, ­récolté récemment. Dans une démarche d’agriculture durable, Omar n’a pas choisi son blé au ­hasard. Pendant trois ans, il a cherché le type de graine adapté à son ­terrain. Sa ­patience et ses recherches ont été payantes, car ses plantations, bien blondes et ­d’environ 1,50 mètre, contrastent avec celles du champ mitoyen, situé derrière une haie ­végétale. Le voisin, lui, a utilisé une espèce canadienne, répandue dans la

Martin Esposito/EPJT

M

arrakesh Organics. La pancarte en lettres jaunes sur fond vert accueille les visiteurs courageux. Car le lieu est perdu dans la plaine du Haouz, sur la route de l’Ourika, non loin du nuage ­grisâtre de pollution qui plane au-dessus de Marrakech. Il n’y a pas d’adresse. Une seule indication : prendre le chemin en terre au kilomètre 25. Le ­portail s’ouvre sur une bâtisse en pierre aux ­couleurs ocres avec, en guise de paysage, des parcelles à perte de vue. Ici, l’ambiance est décontractée, comme en témoigne l’attitude d’Omar Hajji, thé à la main, pieds nus et le sourire aux lèvres. Il a hérité de la ferme d’oliviers de son ­grand-père en 2014. Il l’a alors adaptée aux ­principes de la permaculture. Concrètement, la permaculture, c’est créer un ­écosystème agricole autosuffisant, qui n’a pas besoin d’ajouts ­extérieurs. On laisse faire la nature. Un mode de vie qui s’appuie sur le respect de la terre, de l’humain et sur la ­redistribution des surplus. En plus de l’aspect environnemental, c’est un mode de vie ­axé sur le social et la spiritualité. Des valeurs qu’Omar a fait siennes au fil de ses voyages et qu’il transmet aujourd’hui. En ce mois de mai, une formation de douze jours réunit sept hommes et deux femmes, originaires du Maroc et de France. Tous veulent prendre soin de la terre et de l’humain en adoptant une philosophie durable et respectueuse de l’environnement. C’est le cas d’Oidiaa Gadi, une ­chiropraticienne venue de Saint-Étienne, qui souhaite créer sa ferme : « J’ai toujours été très attirée par la ­spiritualité et les sciences. Mais la ­permaculture va encore plus loin. » Elle est venue chez Omar ­Hajji pour se former. « Maintenant, j’ai ­besoin de conseils pour agencer ma future ferme et apprendre plus de techniques ­agricoles. » Mais cette formation a un coût. Les étrangers, doivent débourser pas moins de 7 200 dirhams (658 euros) pour participer au stage. Pour les Marocains, le prix est un


Martin Esposito/EPJT

Théo Caubel/EPJT

Omar Hajji a hérité de la ferme de son grand-père en 2014. ­ Le maître mot, ici : laisser faire la ­nature.

Pour le groupe, ce stage est l’occasion d’échanger à propos des différentes pratiques durables.

région, qui souffre de la sécheresse, à en croire sa ­petite taille – moins de 1 mètre – et son aspect brûlé. « Une erreur à éviter », d’après le formateur. Pour voir les terrains, il faut faire un peu d’escalade. Les stagiaires ­montent sur le toit de la maison et ­découvrent avec émerveillement, à ­l’horizon, les monts enneigés de ­l’Ourika. Les oliviers en contrebas attirent leur ­attention. « ­Pourquoi les as-tu conservés ? », interroge l’un d’eux. « Pour leur ­multifonction », répond Omar. Les fruits et légumes, plantés au ­niveau des racines des oliviers, sont ­protégés des rayons du soleil. Le ­système d’ombre, traditionnel des plantations en orasis, est d’ailleurs l’une des techniques apprises lors du stage. Les grands arbres isolent les plus petits du ­soleil et les ­déchets des uns ­deviennent les nutriments des autres. De retour sur la terre ferme, le goutte-àgoutte intrigue les stagiaires. « Pourquoi un tel choix ? » se demande un apprenti ­permacultivateur. Seul élément fabriqué

par l’homme, le système d’irrigation ­transporte l’eau qui arrive du réservoir, à quelques mètres de là. Elle est un élément déterminant en permaculture, surtout à Marrakech. Chaque goutte doit être conservée. De la construction de ­tranchées pour faire circuler les eaux pluviales au paillage utilisé pour éviter l’évaporation, la conception du terrain doit être ­mûrement réfléchie par le groupe des permacultivateurs en herbe. « CRÉER MA PROPRE FERME »

Pendant la visite, Oidaa Gadi n’hésite pas à questionner un autre stagiaire, Taha Lazaq, 32 ans, sur la ­gestion des eaux. ­Arrivé à Marrakesh ­Organics quelques jours plus tôt il a déjà ­participé à des cours plus théoriques sur différents modes d’agriculture durable. Il souhaite désormais ­passer à la vitesse ­supérieure. « Omar m’aide à créer mon ­business-plan pour créer ma propre ferme. Ce ne sera pas pour ma consommation personnelle, mais pour vendre mes ­produits. » Innova

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Les pas du groupe foulent le gravier du chemin qui mène à une bâtisse couleur ocre, au fond de la propriété d’Omar Hajji. C’est la fin de la visite. Les stagiaires ­pénètrent dans la salle principale, aux murs de chaux ­supportés par des poutres en bois d’eucalyptus. « Nous avons construit cette maison en deux semaines au cours d’un stage, se ­félicite Omar. Et bientôt, ce sera la boutique de la ferme. Inch’allah. » Un tapis marron est étendu sur le sol rouge. La fraîcheur ­ambiante surprend : c’est un choc ­thermique par rapport aux 40 °C ­extérieurs. C’est l’heure du thé. Un moment propice pour les stagiaires de se connaître ­davantage et de partager leur ­expérience. Nezha Benaidy vient d’hériter d’un terrain à Casablanca. Elle se présente comme une écologiste née, mais avoue ne pas s’y connaître en permaculture. Elle profite de ce moment pour faire part de ses doutes : « J’ai 55 ans, je veux avoir mon petit potager, mes légumes. C’est ma retraite à moi. Mais je suis un peu perdue devant la quantité d’informations. » Yacine Fethi est un stagiaire plus ­expérimenté. Il rassure sa partenaire : « Moi, quand j’ai commencé la permaculture, j’étais un ovni. Aujourd’hui, tu as la chance d’avoir des formations et des conseils sur Internet. » Communiquer avec bienveillance, s’intéresser à l’être plus qu’à l’avoir, c’est aussi cela la permaculture. Car ici, tout se jardine, y compris l’homme. THÉO CAUBEL, MARY SOHIER

ET MAXIME TALDIR


ÉDUCATION

« SORTIR DE NOTRE BULLE »

« L’APRÈS-COP22 », PROJET INITIÉ PAR L’INSTITUT FRANÇAIS DU MAROC, A PERMIS AUX ÉLÈVES DU LYCÉE EL-MAGHREB EL-ARABI DE DEVENIR DES ACTEURS ÉCOLOGIQUES. ILS NOUS LIVRENT LEURS IMPRESSIONS.

RECUEILLI PAR THÉO CAUBEL, CORENTIN DIONET ET SALOMÉ MESDESIRS

« PLUS CONSCIENT DES ENJEUX » JIHANE AMMAOUI, 17 ANS

« Nous avions déjà été sensibilisés à la question environnementale durant nos cours de communication en français, lors de tables rondes. D’autres professeurs, comme ceux d’histoire-géographie et de SVT, ont consacré des leçons en fin d’année à ces notions. Le problème, c’est que c’était très théorique et que nous manquions de pratique. Grâce aux différentes excursions auxquelles nous avons participées, que ce soit dans la réserve des gazelles dorcas de Bouacila ou à travers le circuit vert du parc national de Tamadot, nous sommes devenus plus conscients des enjeux. »

« SENSIBILISER NOTRE ENTOURAGE »

« UN LIEU SANS DÉCHETS » SAÂD LAGRARI, 17 ANS

HAJAR SABIR, 17 ANS

« Nous avons parcouru le circuit vert de Tamadot, près d’Asni. Nous avons appris que ce n’était pas impossible d’avoir un lieu sans déchets. Désormais, à chaque fois que nous voulons jeter quelque chose, nous nous rappelons que cela peut mettre en danger l’endroit où nous nous trouvons. »

« Le projet L’Après-COP22 nous a permis d’être très impliqués dans l’écologie. Nous ne comptons pas rester enfermés dans la biodiversité, nous allons essayer d’aborder d’autres projets, comme le tri et le recyclage des déchets. Nous sommes la génération de demain, qui va sensibiliser celles à venir : de notre entourage, de nos petits frères et de nos enfants. »

« PROTÉGER LE PATRIMOINE RÉGIONAL »

RAJA LARHZIL, 17 ANS

« Nous avons visité la réserve des gazelles dorcas, créée par le Haut Commissariat aux eaux et forêt du Maroc pour protéger ce patrimoine régional très précieux. D’après le responsable, la réserve comptait au départ une dizaine de gazelles. Aujourd’hui, elles sont trois cents. Mais cela reste une espèce menacée par le braconnage. Leurs têtes et leurs peaux sont mises à prix. Nous avons aussi constaté une grande différence entre le terrain de la réserve et celui juste à côté. Dans le premier, il y avait de la vie et des plantes, alors que le second était désertique à cause du manque de biodiversité. »

« CONCILIER DÉVELOPPEMENT ET ÉCOLOGIE » INSAF BAGHOR, 17 ANS

« C’est un peu difficile de concilier développement et écologie. Si nous voulons protéger l’environnement, il faut être un pays un peu moins développé. Par rapport à la COP22 et aux entretiens que j’ai lus après, je me suis rendu compte que la majorité des Marocains n’est pas consciente que la nature est en danger. Tout ce qui leur importe, c’est d’être au niveau des pays industriels, comme les États-Unis. Donc nous devons changer nos mentalités, nous avons besoin de sortir de notre bulle et de découvrir en réalité les menaces qui pèsent sur notre environnement. Nous, étudiants, nous essayons de transmettre tout ce que nous avons appris durant nos excursions à nos parents. Mais ils doivent le voir par eux-mêmes car ce que nous leur disons reste théorique. »

Innova

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CONDITION ANIMALE

COMME DES BÊTES

AU MAROC, DE NOMBREUX ANIMAUX SONT ABANDONNÉS, MALTRAITÉS, OU DONNÉS EN SPECTACLE AUX TOURISTES. DES ACTEURS LOCAUX ET DES EXPATRIÉS LEUR VIENNENT EN AIDE.

Colin Mourlevat/EPJT

« Il n’y a parfois pas assez de nourriture pour nous, alors pour les animaux c’est pire », explique Fatima Meguitif. Cette Marocaine emmène aujourd’hui son chat ­malade à la Société protectrice des animaux et de la nature (Spana) pour une consultation ­vétérinaire gratuite. Cette structure s’occupe des animaux de compagnie, mais aussi des ânes et des chevaux de calèches. Omniprésentes à Marrakech, les 148 voitures sont empruntées ­par les touristes qui visitent la ville. Un arrêté ­municipal permanent datant de 1935 fixe les modalités de contrôle des attelages. En 1988, la gestion des 600 chevaux attelés a été confiée à la Spana. Chaque année, trois visites de contrôle ont lieu. Si tout est en ordre, un bracelet avec un numéro d’identification est fixé sur la jambe ­antérieure gauche du cheval. Une puce électronique est aussi placée au niveau de l’encolure. Sans ces formalités, il est interdit aux cochers de circuler dans les rues de la Ville rouge. Tous les animaux n’ont pas la chance de passer une visite vétérinaire. Les ânes de la medina, par exemple, sont souvent en piteux état. « C’est l’outil de travail de certains Marrakchis, mais ils n’en prennent pas soin », s’indigne Helga Heidrich, une ­Allemande expatriée à Marrakech. Elle a ouvert il y a deux ans un refuge de 7 hectares à 30 kilomètres de la ville touristique.

Prendre une photo avec un animal, place Jemaa el-Fna, un rituel pour les touristes. De nombreux Marrakchis vivent de cette activité.

UN TEXTE FONDATEUR

La Cites ou Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées ­d’extinction a été signée par le Maroc en 1975. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international d’animaux ne menace pas la survie des espèces.

UNE TORTUE DANS UN PAQUET DE CIGARETTES

Ce dernier est en voie d’extinction. Mais les autorités tolèrent tout de même sa présence, dans une cage ou enchaînés à son maître. Même chose pour les tortues et les lézards fouette-queue, entassés dans des caisses. Deux espèces que les visiteurs peuvent se procurer en échange de 300 à 500 dirhams (environ 30 à 50 euros). « Pour le transport par ­avion, il suffit de mettre la tortue dans un paquet de cigarettes vide », confie un vendeur. Cette pratique est répandue au Maghreb, mais reste illégale. Said Ameziane, assure combattre ce trafic : « Nous agissons sur place, en identifiant les singes avec une puce. Mais aussi contre le trafic international, à l’aide d’un accord mis en place avec les douanes lors de la COP22. » Malgré cette volonté affichée par les autorités, les abus perdurent. Chaque jour, serpents et singes finissent sur les photos des touristes. Les tortues parfois dans leur valise. Quant à l’envers du décor, ils repartent souvent sans le connaître.

LAURA BANNIER ET COLIN MOURLEVAT

Les autorités marrakchies oscillent entre respect des animaux et promotion du folklore de la place Jemaa el-Fna.

Laura Bannier/EPJT

CHATS, CHIENS ET DROMADAIRE

Lors de la COP22, Helga raconte avoir vu des ­centaines de chiens errants être emmenés en dehors de Marrakech pour être abattus. À son échelle, elle recueille des animaux blessés, abandonnés ou maltraités. Et la liste de ses pensionnaires est longue : des dizaines de chats, des centaines de chiens, une trentaine d’ânes, quatre singes, cinq tortues, un ­dromadaire… Tous reçoivent une attention particulière. Les adoptions d’animaux domestiques sont rares dans le refuge et bien qu’interdites à la vente, les ­espèces sauvages sont toujours recherchées. Les tortues d’Helga ne sont pas proposées à ses ­visiteurs. Ce qui n’a pas empêché des inconnus de les voler. « Avant j’en avais vingt, mais plusieurs ont disparu et ont peut-être été emmenées à la place Jemaa elFna pour être vendues », soupire la quinquagénaire. Pourtant, une loi marocaine de 2011, relative à la protection des espèces ­sauvages et au contrôle de leur commerce, interdit la vente d’animaux classés. Connue pour ses spectacles ­traditionnels, la place la plus visitée de la ville ­bénéficie d’une dérogation liée à son classement au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2001. « C’est un

s­ ymbole de Marrakech. Nous ne pouvons pas y toucher sans provoquer le mécontentement des commerçants et des touristes », explique Said Ameziane, directeur régional du Haut commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la déforestation. Partout sur la place Jemaa el-Fna, il est possible de se faire photographier avec un serpent ou un singe magot.

Innova

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ENQUÊTE LE BUSINESS DES DÉCHETS

PENDANT QUE LA MUNICIPALITÉ RÉHABILITE L’ANCIENNE DÉCHARGE ET CONSTRUIT UN NOUVEAU CENTRE DE TRI, LES ENTREPRISES ET LES ARTISTES INVESTISSENT LE MARCHÉ DU RECYCLAGE.

LA VILLE ROUGE VIDE SON SAC

INTERDITS DEPUIS PRÈS D’UN AN, LES SACS PLASTIQUES SONT ENCORE DISTRIBUÉS ILLÉGALEMENT. UN SECTEUR INFORMEL A ÉMERGÉ POUR SATISFAIRE LA DEMANDE.

MARRAKECH

LE GRAND MÉNAGE RETROUVEZ CE DOSSIER MULTIMÉDIA SUR NOTRE SITE GRÂCE AU QRCODE OU EN SUIVANT LE LIEN  : EPJT.FR/STORYSLIDER/ MARRAKECH-LE-GRAND-MENAGE/


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