Magazin n° 3 - Anatomie de l'IA

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autres. ENTREZ

deAnatomiel’IA MAGAZINE DE L’ÉCOLE PUBLIQUE DE JOURNALISME DE TOURS (EPJT) MAGAZIN - AVRIL 2022 - N˚ 3 - 2 EUROS

SYNTHÉTIQUEL’AMOUR

Des robots se mettent au des agriculteurs.

service

usages

LE

MATRICE Chercheurs

L’Américain Dave Cat vit depuis vingt ans avec une poupée pas comme les DANS LA et ingénieurs interrogent ses et tentent de corriger ses biais. DESCHAMPPOSSIBLES

IA plus qu’à…

Loin d’être périphérique, l’IA algo-rythme vos journées lorsqu’elle s’impose de votre réveil jusqu’à l’apéro. Votre routine est déjà automatisée, alors sortez de la matrice et cliquez sur l’histoire de cet homme marié à un robot, téléchargez le récit de ce collectif d’artistes qui utilise l’IA comme pinceau, connectez-vous à l’aventure de l’ordinateur qui a battu l’homme aux échecs.

déito

Sceptiques au début, nous, jeunes journalistes, avons compris qu’il faudrait compo ser avec elle dans nos carrières. Elle peut nous soulager de tâches ingrates en ne nous laissant que le meilleur du métier : l’opportunité de questionner le monde et d’aller à la rencontre de ses acteurs*. (*) Cet édito a été écrit par des humains.

Mais à l’image de son développeur, l’IA peut revêtir des onglets plus sombres. Tantôt arme de guerre, tantôt raciste, tantôt espionne, elle a de quoi vous faire bugger. Et si elle nous révélait les failles de nos sociétés trop longtemps ignorées ? En regar dant par la fenêtre de la fiction, vous verrez aussi qu’elle nourrit les craintes des réalisateurs et des écrivains. Pourrait-elle finir par contrôler ses créateurs ? En lisant entre les lignes de codes de notre magazine, vous renoncerez au langage binaire qui veut que cette technologie incarne soit le Bien, soit le Mal. Notre historique de navigation montre une interface plus nuancée. Et pour preuve, elle peut se convertir en super-héros en faisant pare-feu aux incendies au Canada, jouer les antivirus en assistant les chercheurs dans l’élabora tion de médicaments ou détecter les futurs athlètes.

Servante, dominatrice, amante ou calculatrice : mille et une fonctionnalités sont projetées sur l’intelligence artificielle (IA). Des configurations sur lesquelles nous avons surfé, nous, les onze journalistes en presse écrite en cours d’initialisation à l’École publique de journalisme de Tours. Loin d’avoir hacké l’actualité, nous avons développé notre protocole journalistique en cherchant des techniciens du savoir et en obtenant l’accès à des données par octets. En trente-deux pages, nous avons dépassé les algorithmes, démantelé les idées reçues pour en extraire les avantages de l’IA et en déterminer les enjeux. Le programme est chargé.

DerrièreDossier le mythe Découvrez les coulisses d’une technologie en plein essor qui doit encore faire ses preuves. I A pour intelligence agricole Dans les poulaillers ou dans les champs, l’heure est à la cyberculture.

Désinformation Une pardéjouedatajournalistelespiègestenduslesdeepfakes 26 L’algo sous toutes ses peintures Des créations artistiques sortent des cadres.

DerrièreDossier le mythe Découvrez les coulisses d’une technologie en plein essor qui doit encore faire ses preuves.

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SOMMAIRE

Directeur de publication : Laurent Bigot. Coordination : Mariana Grépinet (rédaction en chef), Stéphan Cellier (direction artistique), Laure Colmant (secrétariat général de la rédaction). Rédaction : Alexandre Camino, Léobin de la Cotte, Claire Ferragu, Marine Gachet, Clara Jaeger, Anne-Charlotte Le Marec, Romane Lhériau, Lisa Peyronne, Chloé Plisson, Manuela Thonnel, Paul Vuillemin. Secrétariat de rédaction : Alexandre Camino, Léobin de la Cotte, Claire Ferragu, Marine Gachet, Romane Lhériau Maquette : Clara Jaeger, Chloé Plisson, Manuela Thonnel, Paul Vuillemin Iconographie : Lisa Peyronne Couverture : Coline Poiret. Publicité : Alexandre Camino. Imprimeur : Picsel, Tours.MAGAZIN n° 3. Avril 2022. Magazine de l’École publique de journalisme de Tours/ Université de Tours – IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant, 37 002 Tours Cedex. Tél. 02 47 36 75 72. ISSN : 2740-1855.

Journalisme Des articles rédigés en mode soulagentautomatiquelespros. Match nul L’IA pourrait être aussi bon sélectionneur de champions que l’humain. Échec et mat pour l’humain L’intelligence artificielle a plus d’un coup d’avance sur toutes les parties. Environnement Voyagez avec les initiatives qui luttent contre les effets du dérèglement climatique. Médecine Dans les laboratoires, les algorithmes se montrent utiles pour la recherche. Fiction Une innovation qui fascine les écrivains et les réalisateurs.

Sexe, dolls et synthétique Rencontre avec Dave Cat, en couple depuis vingt ans avec une femme robot.

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Regards croisés Une philosophe et un expert du digital échangent sur l’irruption de l’IA dans nos vies. 4

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RECUEILLI PAR ALEXANDRE CAMINO ET CLAIRE FERRAGU

La philosophe Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre et le chargé de mission digitale Hervé Cuillandre assurent que cette technologie est un outil dont on aurait tort de se passer. Les œuvres de fiction ont façonné le mythe d’une IA toute puissante qui menace l’humanité. Qu’en pensez-vous ? Hervé Cuillandre. L’IA est partout, jusqu’au creux de notre main avec nos téléphones. Il s’agit d’un outil inéluctable, d’un progrès technologique dont on ne peut se passer et dont il faut savoir se servir. Rien ne sert d’être catastrophiste. Des activités disparaîtront mais pas autant que ce qui était annoncé. Je ne suis pas d’un optimisme béat, mais l’outil est intéressant. Il va sûrement nous amener à créer la société de demain. Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre. Si on pense que l’intelligence artificielle va remplacer l’humain ou qu’elle est une solution absolue à tous les problèmes, alors elle n’est nulle part. Il n’y a pas une mais des IA. Celle qui me permet de choisir mon chemin n’est pas la même que celle qui me permet de tenir une conversation. Il y a des techniques différentes, toujours maîtrisées par les humains dont elles dépendent. Notre compréhension de l’environnement permet de créer de la donnée qui alimente cette technologie. Il faut ensuite questionner l’algorithme utilisé. Intelligences artificielle et humaine s’opposent-elles ? H. C. Dans l’inconscient collectif, l’IA finira par occuper des emplois à notre place. On dit souvent que la machine va nous remplacer, mais ce n’est pas le cas. L’humain a une capacité créative étonnante alors que la machine se distingue par sa capacité de calcul et sa rapidité. Ce n’est pas sur le même champ. Il faut justement réfléchir aux métiers du futur. Car, dans le fond, notre avenir ne sera pas fait d’exactitudes. Nous sommes les seuls maîtres à bord. Des humains dans un monde d’humains. Tout l’enjeu est de faire de l’IA quelque chose d’utile. M. R. De facto, elle est un concentré d’intelligence humaine, nourrie de données étiquetées par l’humain. Les erreurs de la machine peuvent être dues à du piratage par exemple, elles ne sont pas les mêmes que celles des humains. On aura toujours besoin d’humains pour collaborer avec les machines. Il n’y aurait donc aucune concurrence entre les deux ? M. R. Au contraire, surtout d’un point de vue économique. Mais, les systèmes d’IA nécessitent de l’entretien. On se trompe en imaginant qu’ils coûtent moins cher. Le mythe est peut-être là… H. C. Nous sommes essentiels pour maintenir toute l’infrastructure qui la fait fonctionner. Mais n’oublions pas que l’IA de Google, par exemple, se nourrit aussi de questions stupides. Celles-ci alimentent le fonctionnement de son moteur de recherche. M. R. Je suis d’accord. Par exemple, il y a eu par le passé, une campagne féministe pour lutter contre les recherches et les suggestions sexistes de Google. En 2016, une IA à peine lancée par Microsoft avait publié des messages racistes sur les réseaux sociaux. Comment doter l’IA de valeurs morales ? M. R. Avec des solutions techniques, par la correction des biais cognitifs et la promotion d’une diversité dans les profils de programmeurs. Il y avait à l’origine des femmes dans la programmation. C’était le cas d’Ada Lovelace qui fut même le tout programmeur.premierMaintenant, elles sont beaucoup moins nombreuses. Par définition, un robot ne s’intéresse pas à l’éthique. Il fera tout aussi bien griller du pain que sélectionner des cibles sur un champ de bataille. C’est à l’humain de prendre conscience des valeurs qu’il souhaite transmettre et de les traduire ensuite informatiquement. H. C. Le fait que les équipes, essentiellement blanches et masculines, programment nos algorithmes et définissent une vision globale du monde induit une représentation biaisée dans l’IA. Comment remédier à ces biais ? H. C. L’industriel peut les corriger par la formation des programmeurs. Mais, pour cela, il faut qu’il y voie un intérêt économique. M. R. Il existe des solutions techniques pour fixer des limites. C’est ce que l’on appelle « l’éthique by design » : anticiper les usages

L’humain doit prendre conscience des valeurs qu’il veut transmettre »

L’irruption de l’intelligence artificielle dans notre vie pose des questions éthiques, économiques et spirituelles.

Nous avons échangé avec Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre et Hervé Cuillandre lors d’une visioconférence croisée, le 2 février 2022. « L’IA a etd’humains,besoindevérificationd’entretien»

Hervé Cuillandre, 54 ans, est chargé de mission digi tale chez Engie. Titulaire de deux masters en manage ment international de la Edhec Business School et en management de la transformation digitale de l’Institut supérieur de gestion, il a été consultant manager à Sopra Steria puis administrateur à la Caisse régionale d’Assurance maladie. Il est l’auteur de plusieurs livres dont Un monde meilleur: et si l’intelligence artificielle humanisait notre avenir? (éd. Maxima, 2018), sur l’im pact positif de l’IA dans la société, et Après l’intelli genceartificielle,remettrel’humainaucœurdumonde(éd.Maxima,2019).

BIOGRAPHIE

peu d’IA. Pour nous entretuer, il faut qu’on devienne des machines. Mais pour faire la paix, il faut nécessairement des humains. D’après vous, l’intelligence artificielle ne se substituera donc jamais à l’homme ? M. R. Jamais sans notre accord. L’IA a besoin d’humains, de vérification et d’entretien. Le problème vient davantage des IA mal paramétrées. H. C. Elle ne nous remplacera certainement pas. Certains de nos métiers évoluent mais le monde de demain reste un monde d’humains. L’IA est un outil avec lequel on doit apprendre à travailler. Il faut s’intéresser à ce qui se cache derrière la machine. Hervé Cuillandre, vous écrivez que « notre devoir est de préparer les futures générations à la société » induite par l’IA. Comment pouvons nous y parvenir ? H. C. Tout objet technologique est connu de ces générations, mais pas son fonctionnement ni ses ramifications. On ne devient pas informaticien en utilisant simplement un logiciel. Il faut dépasser le simple usage de l’IA et faire passer les jeunes derrière l’écran. Leur faire comprendre que la programmation, c’est simple et accessible. Démystifier cette technologie est vital. M. R. Cela suppose une volonté ferme des individus de s’éduquer et d’affronter leurs peurs. malveillants d’un algorithme lors de sa conception. Il ne s’agit pas d’implanter mais de simuler un comportement moral dans un programme. On doit traduire informatiquement nos valeurs, car la machine ne fera pas tout. L’IA s’invite aussi dans la guerre… H. C. On est à la limite du modèle, là où les choses nous échappent. Une IA est programmée pour gagner une guerre. Voyez-la comme une arme lâchée sur un champ de bataille. Il n’y a aucune éthique dans cette démarche. M. R. Plusieurs questions se posent. Peut-on s’en passer pour gagner une guerre aujourd’hui ? Peut-on le faire en restant éthique ? Que serait la démocratie si on la défendait avec des moyens qui ne lui correspondent pas ? C’est une affaire de convictions car l’éthique est un facteur d’inefficacité. H. C. Des pays se mobilisent contre ces armes déloyales alors que d’autres les développent. M. R. Le plus cruel dans cette réalité est que pour qu’une machine sélectionne le plus grand nombre de cibles et tire dans le tas, il faut très

Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre, 35 ans, est une philosophe belge. Titulaire de deux doctorats en philo sophie, l’un obtenu à la Sorbonne et l’autre à Namur, elle a publié une thèse sur les robots tueurs, ces sys tèmes d’armes létales autonomes (Sala). En 2017, elle a reçu l’un des prix scientifiques de l’Institut français des hautes études de défense nationale. Elle donne des cours dans plusieurs universités, à Paris, à Namur et à Lille, sur la question de l’erreur et des machines. Chercheuse associée à l’École militaire de Saint-Cyr, elle travaille sur la dimension éthique de l’IA dans des applications militaires. En 2018, elle publie Itinéraire d’un robot tueur (éd. Le Pommier).

Camino/EPJTAlexandre

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CalabredeRuffoMarie-des-Neiges

Que pensez-vous des différents mouvements spirituels et religieux autour de l’IA ? H. C. Ce n’est pas inquiétant. Quand on ne comprend pas un phénomène, on lui attribue des capacités infinies. Dans ces conditions, on n’est pas loin de considérer l’IA comme un dieu. Cela peut même être rassurant d’adorer aveuglément la machine. Mais cela provient avant tout d’une incompréhension totale. M. R. L’intelligence artificielle toute puissante est un mythe. Ces mouvements ont finalement une position millénariste assez classique : « Il va y avoir une fin du monde, une apocalypse. » L’IA s’immisce jusque dans notre sexualité. Enfin, chez ceux qui ont recours aux robots sexuels… H. C. Je vais passer mon tour… M. R. Paradoxalement, ces machines sont des solutions coûteuses pour des gens qui sont dans une misère sexuelle. Une misère sexuelle pour les riches. On comprend que ceux dont les besoins légitimes ne sont pas satisfaits cherchent des solutions. Mais des entreprises s’enrichissent en leur faisant croire que cela équivaut à une relation humaine consentie. H. C. Il ne faut pas oublier les algorithmes qui sont à l’œuvre sur les sites de rencontre. On choisit nos partenaires grâce à eux. Or, ce qui est fondamental dans la relation amoureuse, c’est l’amour de la différence, de l’imperfection. Ces défauts sont ce qui fait la beauté de l’être humain. Le calcul informatique s’oppose à l’amour. M. R. L’IA intervient peut-être à l’encontre de mécanismes biologiques de protection de l’espèce : aller non pas vers ce qui nous ressemble mais vers le plus favorable à l’ADN de l’homme. Seule certitude, avec l’IA, on introduit du consumérisme dans la relation amoureuse. Les détracteurs de l’intelligence artificielle la décrivent comme liberticide. Quels sont les risques ? H. C. Des dérives sont en route dans des pays peu démocratiques. Par exemple, il existe un système de citoyenneté à points en Chine, contrôlé par une IA. Quand on constate de telles pratiques, le risque de surveillance massive est bel et bien réel. M. R. L’informatique est efficace pour le contrôle. S’il n’y a pas une marge de manœuvre pour l’individu, c’est étouffant. H. C. Le citoyen a le droit à la protection de ses données personnelles. Cela est régi par le droit européen. Mais il est parfois difficile de faire valoir le droit français quand les serveurs sont situés à l’étranger. Heureusement, ce n’est pas l’orientation politique actuelle de la France que de procéder comme en Chine. M. R. La capacité de surveillance de l’État est devenue gigantesque, comme l’annonçait Michel Foucault. Cela peut être très angoissant. La France vient d’obtenir l’autorisation d’utiliser des drones à reconnaissance faciale. Cela pose des questions en termes de liberté politique, lors des grèves ou des manifestations par exemple. La démocratie est une essence et pas une évidence Si l’intelligence artificielle ne sonne pas le glas de l’humanité, peut-elle en être le salut ? H. C. En tout cas, on aurait tort de s’en passer. On en voit l’intérêt dans la médecine, dans la recherche, dans les prédictions météo… Les laboratoires scientifiques par exemple ne s’en priveront plus. Nous sommes incapables d’égaler la finesse d’analyse, la capacité de calcul et l’efficacité d’une machine. M. R. Le salut est une question théologique. Nous nous éloignons des applications physico-terrestres de l’intelligence artificielle. Est-ce que l’IA peut faire du bien ? Je pense que oui. H. C. C’est un outil. Bien ou mal, tout dépend de ce que l’utilisateur décide d’en faire. Quels seront les prochains champs d’application de l’IA ? H. C. Elle est déjà indispensable dans le commerce. Elle le sera aussi pour le développement des télécommunications et tout ce qui a trait aux relations entre les individus. Les possibilités d’utilisation sont multiples. Des articles de presse sont déjà rédigés par des machines. Cela vous menace directement, vous les journalistes ! (Rires) Néanmoins, dans des domaines comme l’art, la machine n’a pas sa place. Des essais ont été faits, mais on ne ressent pas l’émotion de l’artiste. M. R. Je ne vais pas jouer à Mme Irma. Je ne sais pas dans quel champ d’application il y aura le plus d’intelligence artificielle à l’avenir. Il y en aura beaucoup, partout. J’espère simplement qu’on pourra toujours garder le contact avec un humain. Conserver la relation client physique est déjà, justement, un vrai combat. H. C. Si tout devient automatisé, le gagnant sera celui qui gardera cette richesse propre à l’humain. Pour remporter la partie, il faudra répondre à des sollicitations en dehors des cases prévues. n « La capacité de surveillance de l’État est gigantesquedevenue»

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De la prévention des maladies à la réduction du temps de travail, l’IA se met au service des agriculteurs.

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d’écranCapture MAGAZIN 7agriculture TechnologiesNaio

XO le robot surveillait les poules de Joseph Pineau dans son exploitation angevine. équipements ou bliés, lignes de pipette et de man geoire. « Il est même capable de localiser et reconnaître les poulets morts », affirme Bertrand Vergne, président d’Octopus. Dans ces éle vages, les animaux sont exposés aux maladies. Afin de limiter les risques, le robot « scarifie » leur litière (il la retourne, l’aère) et pulvérise du dé sinfectant. « Ça les préserve de la coccidiose, une maladie parasitaire intestinale courante », précise la cheffe de produit d’Octopus, Lucile Barthélémy. Une avancée confirmée par Joseph Pineau qui a constaté moins de pododermatites, une mala die qui enflamme les articulations des poulets. Il raconte que le robot a pu les vacciner contre la bronchite infectieuse en pulvérisant le vaccin dans l’enclos. « Dans mon second bâtiment, un vétérinaire l’a fait à la main. Les résultats étaient iden tiques », précise l’ancien agriculteur. Colloc du troisième type « Nous voulons assurer le bien-être de l’animal. C’est important pour les agriculteurs », indique Bertrand Vergne. Dans les exploitations, la cohabitation du troisième type entre l’IA et l’animal se passe bien. Sans gêner les poules, le robot déambule à 0,72 km/h. « L’ambiance est meil leure, assure Joseph Pineau. Ce n’est pas une nuisance, au contraire. Il les oblige à mieux se déplacer, à aller se nourrir, à boire. » Une machine peut aussi aider les exploitants dans leurs tâches. Près de Toulouse, Naio Technologies crée

PAR ALEXANDRE CAMINO des robots désherbeurs. Un travail éreintant lorsqu’il est fait à la main. Hugo Cyprien, chef de produit, l’as sure : leur système de navigation qui est fiable à 5 centimètres près pallie ce problème. « Le robot connaît la carte. Il sait dans quelle exploitation il est, sur quelle parcelle il doit aller. Il peut faire demi-tour, changer de ligne et passer au plus près des cultures. » Plus besoin de tracteurs ni de surveillance. « Nous cherchons à améliorer les conditions de travail des agriculteurs qui gagnent du temps », poursuit Hugo Cyprien. Un pari réussi pour Rémy Foltête, culti vateur dans le Var. Grâce au robot Oz, conçu en 2013, son temps de tra vail par semestre est passé de six cent à soixante-dix heures. Joseph Pineau, lui, gagnait une journée d’élevage grâce au robot XO. « C’est énorme ! » lance-t-il. Fini les tâches ingrates comme brasser les litières à la main. Ces machines ont un coût. De 20 000 à 30 000 euros pour celle d’Octopus. Idem pour le robot Oz de Naio Technologies. Le Dino, lui, vaut entre 150 000 et 170 000 euros. « Mais rien ne remplacera l’homme », rassure Bertrand Vergne. Le robot vise à soulager l’exploitant. Grâce à un cloud, il a accès en temps réel aux données fournies par la machine. « L’agriculteur peut comparer ses productions, analyser l’environne ment. En somme, faire de l’agricul ture de précision », conclut Lucile Barthélémy, d’Octopus. Depuis les premières innovations, il y a dix ans, l’IA a su se rendre indispensable pour les exploitants. Fin 2020, la France comptait 14 000 robots agri coles en service selon l’Union des industriels de l’agroéquipement. n

Pendant un an, un drôle d’animal futuriste, haut de 1 mètre, a déam bulé parmi les volatiles de l’exploita tion de Joseph Pineau. Ce robot en tièrement autonome et baptisé XO est conçu par l’entreprise française Octopus Biosafety basée à Auray, en Bretagne. Destiné aux élevages de volailles, il a été imaginé en 2016 mais n’a atteint sa version finale qu’en janvier 2022. Pendant son développement, la ma chine a été testée dans la ville de Chemillé-en-Anjou, située dans le Maine-et-Loire. Joseph Pineau a été le premier à l’expérimenter en 2018. Cet agriculteur, désormais retraité de 64 ans, était à la tête de l’exploi tation idéale : 2 400 mètres carrés qui accueillaient 50 000 poulets répartis dans deux bâtiments. Doté d’un algorithme de traitement d’images et d’une caméra, XO cir cule tout seul dans le bâtiment grâce à un laser et à des capteurs. Sa mis sion ? Surveiller l’enclos. Le robot détecte les obstacles sur sa route : Dino, exporté aux États-Unis, réduit le temps de travail des agriculteurs.

2ÉQUATEUR / Protéger les espèces De nombreuses espèces des îles Galapagos sont menacées par la pollution plastique. Les tortues géantes ou les iguanes terrestres en font l’amère expérience. Le Galapagos Conservation Trust, un organisme britannique de sauvegarde des animaux, a imaginé un outil de nettoyage des côtes utilisant l’IA. Un projet sur lequel l’institut de recherche océanographique et atmosphérique d’Utrecht, aux Pays-Bas, a également travaillé. En tenant compte des marées, des flux océaniques, en prédisant la vitesse et la trajectoire des plastiques, il permet d’anticiper l’arrivée des déchets en provenance du continent. Le nettoyage peut ainsi être concentré sur des points stratégiques.

Pour lutter contre les feux ou protéger des espèces, la technologie se met au service de l’environnement.

PAR LÉOBIN DE LA COTTE, ROMANE LHÉRIAU ET PAUL VUILLEMIN

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4PAYS-BAS / Nettoyer les plages

TechnologyAirSeed,Intel,TechTics,DeepFish,Commons,WikimediaPhotos

3ESPAGNE / Contrôler les espèces aquatiques Créé par des chercheurs de l’université d’Alicante en 2021, Deepfish distingue les différentes espèces vendues au marché aux poissons d’El Campello. Financée par le ministère de la Transition écologique espagnol, cette IA peut reconnaître un poulpe, un rouget ou un pagel. Les données serviront à connaître l’état de ces espèces. Les autorités pourront ainsi autoriser ou interdire leur pêche en connaissance de cause.

Chaque année, plus de 23 milliards de mégots sont jetés dans la nature, notamment sur les plages. Un seul d’entre eux peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau. L’entreprise néerlandaise Techtics a mis au point le robot autonome BeachBot capable de reconnaître ces bouts de cigarettes. Grâce à des algorithmes, le système d’intelligence artificielle de la petite machine lui permet de collecter et de jeter ce poison. Via l’application Microsoft Trove, chaque personne qui le souhaite peut participer à son développement en alimentant la base de données de l’algorithme avec de nouvelles images de mégots. Lors de sa première démonstration, en septembre 2020, le prototype a récolté 10 mégots en trente minutes sur la plage de Scheveningen.

1CANADA / Prévenir les incendies L’été dernier, l’État d’Alberta, au Canada, a investi plus de 4,3 millions de dollars canadiens (environ 3 millions d’euros) pour combattre les incendies. Depuis 2018, des chercheurs américains se sont associés à ceux de l’université d’Alberta pour développer une IA capable d’anticiper les conditions propices aux incendies. Humidité, température, vent, précipitations, autant de données prises en compte par des algorithmes de réseaux neuronaux artificiels pour prévoir les dates et les lieux à risque. Les équipes de pompiers peuvent ainsi être guidées vers ces zones plus sensibles.

Tour du monde des actions écolos

7AUSTRALIE / Reboiser grâce à des drones

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Le projet CORaiL utilise l’IA pour surveiller, caractériser et analyser la résilience des récifs coralliens. Ce dispositif a été lancé sur l’île de Pangatalan aux Philippines en mai 2019 par les multinationales Intel et Accenture. Installé au plus près des coraux, un récif artificiel équipé de caméras détecte et photographie les poissons lors de leurs passages. Les données sont envoyées et analysées par des chercheurs en temps réel. Les équipes de CORaiL poursuivent leurs travaux afin d’optimiser leur outil et obtenir une image complète de l’écosystème corallien.

Près de 16 millions d’hectares de forêt ont brûlé lors d’incendies en Australie. Pour reboiser le pays, l’entreprise AirSeed Technology utilise des drones et l’intelligence artificielle. Suivant un schéma prédéfini, le drone peut planter tout seul près de 40 000 gousses remplies de graines par jour, contre 800 lorsque la tâche est effectuée par l’homme. Les gousses sont fabriquées à partir de déchets de biomasse. Elles servent d’enveloppes qui protègent les graines des nuisibles et apportent des nutriments lorsque qu’elles germent. Les machines enregistrent aussi leurs coordonnées pour mieux suivre leur croissance. La plantation d’arbres à l’aide de drones est 80 % moins coûteuse que les méthodes traditionnelles. Cette technologie a pour l’instant permis la plantation de 50 000 arbres. Objectif : atteindre les 100 millions d’ici 2024.

PHILIPPINES / Protégerles récifs coralliens

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5lesLutterAFRIQUEcontrecriquetset la faim Kenya, Éthiopie et Somalie font face à des invasions de criquets jamais vues depuis vingtcinq ans. Une conséquence du réchauffement climatique et une calamité pour les agriculteurs de la Corne de l’Afrique. Depuis février 2021, un groupe de recherche de l’université de Pensylvanie, PlantVillage, développe une application pour prévenir les destructions de récoltes par les insectes. Les agriculteurs prennent des photos de larves de criquets. Les données récoltées sont traitées par une intelligence artificielle afin d’établir des stratégies de fumigation. Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, ce système a permis d’économiser 1 300 millions d’euros de denrées agricoles et d’éviter la famine pour 34 millions de personnes dans la région.

MAGAZIN 9Écologie

Développer un anticorps avec des méthodes traditionnelles prend en moyenne un an et coûte 1 milliard d’euros », avance Astrid Musnier, biologiste pour MabSilico. Grâce à l’intelligence artificielle (IA), cette start-up tourangelle, créée en 2017, expédie cette phase de développe ment initial en quelques jours. De quoi révolutionner la recherche Réductionpharmaceutique.drastique

Les traitements biotech boostent la recherche

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du temps de recherches, caractérisation plus fine des anticorps…, les promesses sont séduisantes. Surtout pour une société spécialisée dans la recherche de trai tements contre le Covid-19. MabSi lico collabore avec la société nan taise OSE Immunotherapeutics dans l’élaboration du vaccin CoVepiT. « Nous avons regardé le génome du virus, puis identifié les morceaux qui potentiellement pouvaient augmen ter la réaction immunitaire des patients. L’informatique a fait ce travail en seulement quinze jours. Aujourd’hui, le produit est en phase clinique et a été testé sur une pre mière cohorte de patients », indique le directeur général de MabSilico, Vincent Puard. Réduire les coûts et trouver le remède le plus adapté Les champs d’application de cette technologie sont multiples. La startup accompagne aussi des projets de recherche visant à lutter contre le cancer du sein triple négatif avec les universités de Tours et

THONNEL MabSilico

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l’Inraerables,tionunerecherutiliséMontpellier.deSonsystèmed’IAestaussidanslachepourcontracepavecmoinsd’effetsindésimenéeparetl’universitédeModène, en Italie. « Cela peut être utilisé pour beaucoup de choses. Ce sont nos partenaires, sur la base de leurs connaissances en biologie, qui vont choisir l’aire thérapeutique souhai tée », précise Vincent Puard. Une fois la pathologie ciblée, les scientifiques doivent trouver le remède adéquat. « En biologie, on ne peut pas faire autrement que de réduire les candidats jusqu’à trouver le bon. Financièrement et humaine ment, on ne peut pas tout explorer », explique Astrid Munier. Au risque de passer à côté des meilleurs. La machine, elle, est en mesure de trier les millions de possibilités et de simuler virtuellement les échecs. « Nous avons entraîné la matrice à reconnaître les meilleures interac tions possibles sur un set de quatrevingt-dix paramètres et, maintenant, elle est capable de le faire seule, garantit la biologiste. On obtient des candidats-médicaments moins ris qués et qui ont plus de chance de répondre aux besoins. » Pour fonc tionner, l’IA doit se baser sur des bases de données, agrégées à partir de brevets publics par exemple, mais aussi constituées de toutes pièces à partir des travaux des chercheurs. L’algorithme ne saurait donc se sous traire à l’éprouvette. Une équipe de biologistes nourrit la matrice, depuis un laboratoire Inrae Centre Val-deLoire, à Nouzilly. La technologie s’avère aussi utile dans l’évaluation de potentiels effets indésirables, sou vent peu prévisibles. Une partie de la mission confiée à l’IA consiste à pré voir les cibles dites secondaires qui induiront des réactions néfastes. Les phases de test sur l’humain com portent alors moins de risques. Malgré la grande rapidité, aucun des différents candidats érigés par l’IA n’est arrivé sur le marché. « Les es sais cliniques sont incompressibles. On ne pourra jamais se passer de la phase de test sur l’humain, explique Astrid Musnier. En biologie, on tra vaille avec de la matière vivante. Donc, parfois, ça ne fonctionne pas et on ne sait pas pourquoi. » Tous les laboratoires ne sont pas prêts à renoncer aux méthodes tra ditionnelles. Certains chercheurs redoutent de perdre leur travail. Les laboratoires seront-ils un jour vidés de leurs blouses blanches, rempla cées par les algorithmes ? Vincent Puard préfère y voir une opportunité de développer plus de projets et « une réorientation des biologistes vers leurs tâches essentielles ». n Le vaccin CoVepiT contre le Covid-19 est en phase clinique et a déjà été testé sur plusieurs patients. Dans les laboratoires de biologie, l’intelligence artificielle accélère le travail des scientifiques et facilite les tentatives de recherche de traitements. MabSilico, une start-up tourangelle, élabore un remède contre le Covid-19 à l’aide de cette technologie.

PAR MANUELA

MAGAZIN 11DOSSIER dansEntrezla matrice Elle est omniprésente dans nos vies mais sa définition reste floue. Chercheurs et ingénieurs interrogent ses usages et tentent d’en cerner les limites pour en éviter les dérives. Poiret/EPJTColineIllustration

PAR CLAIRE FERRAGU, MARINE GACHET, ROMANE LHÉRIAU ET CHLOÉ PLISSON

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Les robots vont-ils prendre le contrôle de la Terre ? Une machine pourra-telle un jour être aussi intelligente que l’homme ? Depuis que la sciencefiction s’est emparée de l’intelligence artificielle, ces deux mots fascinent autant qu’ils effraient. Au-delà du fantasme se cache une technologie plus triviale. Ce qu’on qualifie d’in telligence artificielle (IA) est une dis cipline issue de l’informatique qui essaye de reproduire, à coup de calculs via des ordinateurs, ce que nous faisons avec notre cerveau. On est encore loin de l’IA « homme à tout faire » que certains seraient heureux d’intégrer dans leur quotidien ou de celle capable d’égaler l’être humain. La plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’il existe plutôt plusieurs formes d’IA faibles, c’est-à-dire limitées à une situation bien précise. « Pour chaque problème, on va définir un outil, une méthode spécifique. On ne sait pas encore concevoir un système d’intelligence artificielle qui résout n’importe quel problème », indique Nicolas Sabouret, chercheur et professeur en informatique à l’Université Paris-Saclay. Tout est collecté Comment les fabrique-t-on ? Nicolas Sabouret distingue deux types de programmes. Le premier, à la mode dans les années quatre-vingt, est l’IA rule-based (à base de règles) : « On programme informatiquement des règles de décision que la machine doit suivre afin de réaliser une tâche. » Deuxième méthode : à base d’apprentissage automatique. Au lieu de recevoir les règles d’un expert pour effectuer une tâche, l’IA va les apprendre d’elle-même à partir d’un corpus de données. À force de les traiter, la machine peut donner le meilleur résultat possible. Pour cela, il faut des don nées. Beaucoup de données. Internet joue un rôle majeur. Photos, infor mations personnelles, habitudes… tout est collecté. Pour vous proposer une pub pour la paire de chaussures à laquelle vous n’arrêtez pas de penser, mais aussi pour entraîner les systèmes d’intel ligence artifi cielle. Vos données inté ressent tous les domaines car l’IA peut répondre aux besoins de nombreux secteurs. « Dès qu’une tâche non physique fait intervenir de l’intelligence, on peut essayer de l’automatiser avec de l’intelligence artificielle », indique Nicolas Sabouret. Le monde de demain sera rempli de cette L’entreprisetechnologie. Shift Technology, elle, collecte les données des assureurs. « Nous avons créé une plateforme d’intelligence artificielle qui permet de détecter les potentielles fraudes à l’assurance », explique Pauline Babouhot, marketing manager de la branche Europe de cette start-up lancée en 2014. Une fois vendue à l’assurance, cette plateforme récu père ses données et en utilise d’autres en externe comme la météo et les images satellites pour déterminer s’il y a bien eu un sinistre. Le secteur de l’intelligence artifi cielle a donc de beaux jours devant lui. En témoigne la popularité grandis sante du secteur auprès des futurs ingénieurs. « L’IA est un outil qui, une fois maîtrisé, est applicable par tout. Il y a beau coup de débou chés », assure Serge Le-Than, étudiant en troisième année d’école d’ingénieurs à Phelma Gre noble, en filière Signal, image, com munication, multimédia (Sicom). Plus d’un tiers des cours de ce cursus sont consacrés à l’intelligence artifi cielle, un quota horaire qui n’a fait qu’augmenter depuis dix ans. Les dés sont pipés Les étudiants sont surtout séduits par sa dimension humanitaire. « Je veux maîtriser cet outil pour travailler dans un secteur qui fasse sens pour moi, comme la protection de l’environnement », affirme Ance lin Salerno, également inscrit dans le cursus Sicom. Les technologies qui utilisent de l’IA sont des machines bien rodées en plus d’avoir un avenir prometteur. Mais, plus souvent qu’on ne le pense, il peut y avoir un bug dans la matrice. On l’aura compris, pour qu’une IA puisse s’entraîner, on a besoin de données. Or, leur collecte pose des soucis éthiques. Vos photos ou vos comportements sur Internet pourraient en ce moment même entraîner une machine sans que vous n’ayez donné votre accord. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Prenons le cas de la reconnaissance faciale : la collecte des images néces saires à l’entraînement de l’algo rithme qui vous permettra de déver rouiller votre Smartphone pose question. Sébastien Marcel, cher cheur à l’institut Idiap spécialisé dans l’intelligence artificielle en Suisse, indique que la plupart des algorithmes de reconnaissance faciale sont entraînés grâce à des images trouvées sur Internet, surtout de célébrités. Seulement, la plupart de ces personnalités sont des hommes blancs », commente le Conséquenceschercheur. ? Des bases de données biaisées qui donnent des résultats biaisés. « En moyenne, les taux de réussite des différents algorithmes de reconnaissance faciale sont très bons. Mais dès qu’on mesure cette réussite pour les femmes, les personnes noires ou les personnes d’origine asiatique par exemple, le taux est significativement plus bas », assure Sébastien Marcel. Et ces biais humains ne sont pas prêts à dispa raître. Clotilde Maucler, 24 ans, étu diante à Centrale Supélec, à ParisSaclay, se destine à devenir datascientist. Si elle aime ses études, elle déplore le manque de parité dans la filière. Seules 15 femmes sont inscrites dans son master, sur 126 étudiants. Au sein de la spécia lité « intelligence artificielle », le ra tio est encore plus faible : 5 femmes sur 65 étudiants. Selon Clotilde Maucler, ces écarts contribuent à l’émergence de biais cognitifs. « Si tu Technologie récente, l’intelligence artificielle doit encore faire ses preuves. Corriger les biais, trouver des utilisations éthiques : les chercheurs travaillent à l’améliorer.

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présente des failles discriminatoires, c’est parce qu’elle est une technologie humaine, comme le rappelle Anis Ayari, ingénieur en IA. Il a créé une chaîne YouTube consacrée à la vulgarisation de cette technologie qui rassemble 59 000 abonnés. « Les dérives reprochées cette technologie ne sont que le reflet de la société, affirme-t-il. Elle fonctionne bien. C’est la société qui est cassée. » En décembre, il a mis au point un générateur de fausses Miss France en se demandant si un algorithme pouvait prédire la prochaine gagnante. Il a démontré que les normes de beauté, restrictives et correspondant à une vision stéréotypée du corps féminin (minceur, grande taille), étaient surreprésentées dans ce type de concours. « Je fais du faux militan tisme en suivant un raisonnement mathématique : je mets au jour des faits et je laisse les gens pointer les problèmes et leur dimension sociale », Remédierexplique-t-ilauxdérives de l’intelli gence artificielle peut aussi passer par des ajustements techniques. Yann Ferguson, sociologue à l’Institut catholique d’arts et métiers (Icam) de Toulouse et responsable scientifique du centre de ressources et d’expérimentation LaborIA, souligne la nécessité d’établir des réglages mathématiques afin de faire une pondération des es un homme blanc et que tu dois constituer une base d’images pour ton algorithme, tu vas chercher des images d’hommes blancs. Et comme il y a plus d’hommes blancs, on en arrive à un résultat biaisé. » À Centrale Supélec, des cours d’éthique sont mis en place pour éviter aux étudiants de tomber dans ces écueils. Ce n’est pas le cas dans toutes les écoles. « Seuls certains professeurs font un peu de prévention dans le cadre de leur cours mais ça s’arrête là », regrette ainsi l’étudiant grenoblois Ancelin Salerno. Souriez, vous êtes filmés En 2020, Derrick Dwreck Ingram, un militant du mouvement antira cisme Black Lives Matter, a été arrêté à New York sous pré texte qu’il aurait agressé un policier lors d’une manifesta tion. Selon Amnesty International, les autori tés ont pu l’identifier grâce à la reconnaissance faciale. L’ONG s’inquiète de l’utilisation de cette technologie à des fins de surveillance. Aux États-Unis, la communauté noire serait d’autant plus en danger que la reconnaissance faciale est moins efficace sur elle. SUITE EN PAGE 15  Ce visage, créé par l’institut Idiap, est celui d’une femme qui n’existe pas. Ce subterfuge numérique lui permet d’entraîner une IA à la reconnaissance faciale. Des innocents pourraient être mis en prison. Pour dénoncer ces pra tiques, Amnesty International a lancé la campagne Ban the Scan qui réclame l’interdiction de la recon naissance faciale pour surveiller les gens. Anne-Sophie Simpere, char gée de plaidoyer à Amnesty Inter national a travaillé sur le cas d’Hyderabad, en Inde, une des villes les plus surveillées au monde. Près de 62 % de la surface des quar tiers Kala Pathar et Kishan Bagh y est équipée de caméras à reconnais sance faciale. Le projet d’un centre de commande et de contrôle pou vant traiter les images de 600 000 caméras à la fois inquiète l’ONG. « Les raisons avancées pour uti liser ce genre de technologie sont souvent louables, comme retrouver les enfants kidnappés. Mais en réalité, cela menace les droits humains, surtout ceux des personnes déjà stigmatisées, plus faci lement repérables car plus souvent présentes dans la rue pour manifester », déplore Anne-Sophie Simpere. Mais avant d’aller planquer tous vos appareils connectés, sachez que l’IA n’est pas seulement utilisée pour vous espionner. Elle peut aussi contribuer à un progrès réel de la société. Si l’intelligence artificielle IdiapInstitut

CommonsWikimediaPhotos

1945 – DÉBUTS DE L’ORDINATEUR Entre 1944 et 1955, six Américainesprogrammentl’Eniac,lepremierordinateurentièrementélectronique.

1950 – TEST DE TURING Le mathématicien Alan Turing invente un test visant à mesurer la capacité d’une machine à imiter une conversation humaine. 1970 – DES ORDINATEURS AU BUREAU La conférence de Dartmouth réunit chercheurs20 et signe l’acte de naissance de l’IA en tant que domaine recherche.de 1956 - NAISSANCE DE L’IA 1997 – LA REINE DES ÉCHECS Deep Blue, ordinateur IBM programmé par FengHsiung Hsu et Murray Campbell bat Garry Kasparov, champion du monde d’échecs. 2006 - CHAMPIONNE DU JEU DE GO Nouvelle victoire de l’IA sur l’homme avec le système AlphaGo de Google, DeepMind, qui bat Lee Sedol, champion du monde de jeu de go.

2019 – UN ROBOT DANS LES ÉTOILES Fedor est le premier robot distanceCespatialeenvoyéhumanoïdedanslastationinternationale.robotrussepilotéàpeuttravailler avec une perceuse. 2021 – PREMIER PAS VERS LE MÉTAVERS Facebook devient Meta, du nom du métavers que souhaite créer Mark Zuckerberg. Le géant travaille sur le supercalculateur, le plus puissant du monde.

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Programma 101 est le premier ordinateur de bureau accessible au grand public. Plus de 44 000 unités sont vendues dans le monde.

Une longue histoire 1943 - PREMIER ALGORITHME La anglaisemathématicienneAdaLovelace crée le premier informatiqueprogrammesurlamachine de Charles Babbage.

2011 – « DIS SIRI » Le 4 octobre 2011, le géant Apple présente Siri, le premier assistant vocal. Lancél’Iphoneavec4S,l’assistantcomportedesfonctionsassezlimitées.

l’IAveulentingénieursCertainsutiliseralorsquedessolutionsplussimplesexistent»

SUITE DE LA PAGE 13 goodforData

webinaire.L’intelligenceartificiellepeutêtreunesourcedesolutionsmaisdoitêtreutiliséeàbonescient,insisteThéoAlves.«Certainsingénieursveulentl’utiliseralorsquedessolutionsplussimplesexistent,déplore-t-il.C’estuneaberra

tion quand on en connaît la consom mation énergétique et ses biais potentiels. » Data for good a revisité le serment d’Hippocrate. « Plusieurs principes forment une charte que nous avons écrite et faite signer à des milliers de datascientists. Je ne sais pas si elle est appliquée au quotidien mais, au moins, elle existe », sourit Théo Alves. Un serment du troisième type pour encadrer une intelligence d’un nouveau genre. n

Data for good, une communauté de datascientist, se réunit à Paris pour lutter contre les biais de l’IA. à une boîte à outils alimentée par les innovations de chaque entreprise. « Les biais de genre ont un impact retentissant pour les marques. Et sont souvent le signe d’un manque de fiabilité », affirmeMarine Rabey rin, membre de l’association et directrice du développement commercial du géant informatique chinois Lenovo. Des données pour le bien Les citoyens ne sont pas en reste. Nombreux sont ceux à se rassembler pour faire bouger les choses. À l’image de Data for good,

discriminations dans la construction du code informa tique. Il faut analyser les décisions prises par l’algorithme afin de se demander si elles sont en phase avec les valeurs défendues. « Cette mé thode est complexe car elle nécessite des algorithmes interprétables alors que ces derniers s’organisent de façon autonome », précise le spécia liste. Il faudrait investir dans des machines très puissantes. C’est ce coût qui expliquerait, selon Yann Ferguson, que de nombreux dirigeants d’entreprises y renoncent. Les chercheurs n’ont pas dit leur dernier mot. Le laboratoire Idiap a voulu dénoncer les biais des algo rithmes de reconnaissance faciale et espère trouver une solution. Son projet ? Créer des photos de visages virtuels pour garantir une plus grande diversité des profils et éviter d’utiliser des images sans consente ment. « Une base de données repré sente environ 10 millions d’images. L’idéal serait de compléter ce que nous allons concevoir avec des images récupérées avec l’accord des personnes », précise le chercheur Sébastien Marcel. Faire la guerre aux biais Le Cercle InterElles, lui, réunit 16 entreprises qui travaillent en semble pour lutter contre les biais de genre. Toutes utilisent ou produisent de l’IA. En juin 2021, ce réseau lance le pacte Femmes & IA fondé sur plusieurs piliers : la signature d’une charte qui engage les compagnies à ne pas reproduire les biais de genre ; l’évaluation grâce à une grille de critères pragmatiques ; l’action grâce «

« En mars 2021, j’ai reçu le SMS d’un pote qui me disait que des centres de vaccination en arrivaient à jeter des doses alors que des volontaires ne trouvaient pas de place pour se faire vacciner. » Il lance alors le premier prototype de son application. Un SMS est envoyé à chaque volontaire, indiquant les centres de vaccination à proximité qui ont des doses. En l’espace de dix semaines, plus de 150 bénévoles de Data for good répondent présents et un million de volontaires à la vacci nation reçoivent une notification.

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goodsableAlves,souligneronnementalessocialesproblématiàentionscréer«volesnitfrançaisecommunautéquiréu2500bénédelaTech.NousvoulonsdessoluendataetIApouraiderrésoudredesquesetenvi»,ThéocorespondeDataforet

Le serment des ingénieurs Si les projets de la communauté prennent en moyenne trois mois à être développés, certains nécessitent plus de temps. Lancé par le ministère de la Transition écologique et le celui de l’Économie et des Finances, le projet Mission transition écolo gique a fait appel à une quinzaine de bénévoles de Data for good. « Nous catégorisons de manière automatique les différentes aides aux actions de transition écologique pour les PME grâce à l’intelligence artificielle », souligne Amine Kheldouni, bénévole présent au

datascientist. Utiliser l’IA oui, mais pas n’importe comment. L’objectif est de trouver l’outil le plus adapté aux projets. Depuis sa création en 2014, la communauté en a accompagné près de 70, à l’image d’Open Food Fact – une base de données en ligne qui répertorie les produits alimentaires du monde en tier et calcule leur impact sur la planète – ou encore Pyronear, qui détecte au plus tôt les départs de feu de forêts. Il est 19 h 30 quand le webinaire mensuel de Data for good commence, ce 25 janvier. Pour l’occasion, Martin Daniel, datascientist à l’origine de la communauté, vient présenter son application Covidlist.

PPAR LÉOBIN DE LA COTTE ET ANNE-CHARLOTTE LE MAREC La France ne souhaite pas développer des armes totalement autonomes.

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L’utilisation de l’IA comme instrument de guerre a été suspectée lors de plusieurs conflits, notamment dans le Haut-Karabakh ou lors de la guerre civile libyenne. Pour l’heure, un cadre normatif peine à émerger pour contenir l’utilisation des technologies militaires : drones, muni tions rodeuses ou « robots-mules ». « Il y a une hypocrisie internationale », note Raja Chatila, professeur émérite en robotique à la Sorbonne. Parmi les grandes puissances, les États-Unis, la Russie, la Chine, Israël, la Turquie et le Royaume-Uni sont déjà en tête de la course à l’armement intelligent. Personne n’avoue son usage et il est impossible de le vérifier, contrairement aux armes nucléaires et biologiques. À contre-courant, la France s’oppose à leur développement. Le pays des droits de l’homme s’est seulement engagé dans la production de systèmes d’armes intégrant de l’autonomie (Salia). Cela consiste à implanter de l’intelligence artificielle dans les équipements (drones, missiles de croisières, etc.) tout en définissant systématiquement l’action de l’arme. Une dif férenciation jugée stérile par certains experts, mais « saine » pour Laure de Rochegonde, chercheuse sur la régulation des systèmes d’armes létales autonomes. Un cadre légal qui reste à déterminer À l’origine des débats sur l’usage de ces armes, il y a d’abord une querelle sémantique. Sont-elles autonomes ou automatisées ? « Au sens philosophique, l’autonomie désigne un agent capable de se fixer ses propres objectifs et d’agir pour les accomplir », définit Raja Chatila. Une capacité que la machine n’a pas encore atteinte puisqu’elle est programmée par l’homme avec un objectif défini. « En réalité, il y a un continuum. On parle de machine automa tique lorsque la tâche et l’environnement du robot sont simples, comme un métro. On parle d’autonomie lorsque ces facteurs se complexifient », poursuit le chercheur. Pour les États qui les utilisent, l’argument est simple : si l’autonomie n’existe pas encore, à quoi bon légiférer ? Des associations (Campain to stop killer robots) ou des États (France) poussent la communauté internationale à codifier l’usage militaire de l’IA. Là-encore, l’application d’un tel traité ne va pas de soi. Selon Eric Pomes, professeur de droit public et ex-officier juriste de la marine, l’absence de libre arbitre d’une machine balaie l’essentiel des considérations juridiques actuelles. Il semble compliqué de juger une machine responsable ou de l’emprisonner pour crime de guerre. À cela s’ajoute l’interprétation du texte dans le cadre du droit des conflits. « Je vois mal comment traduire informatiquement des principes du droit comme celui de la dignité hu maine », souligne Eric Pomes. Le prix des conflits Pour Laure de Rochegonde, un texte s’impose afin d’encadrer cette troisième révolution des techniques guerrières, après la poudre et le nucléaire : « En compa raison aux armes traditionnelles, ces technologies à bas coût peuvent se retrouver facilement entre les mains d’acteurs civils ou irréguliers, comme l’Etat islamique. »

L Sur le front, les armes autonomes menacent

AngelGomezRicardo

Les défenseurs des armements autonomes en sont persuadés, l’intelligence artificielle permettrait de limiter les pertes humaines et de rationnaliser la guerre. Rien n’est moins sûr. Cela interroge surtout notre rapport à la guerre. « Celui qui possède cette arme ne paye plus le prix du conflit, il n’est plus au contact de ses conséquences, développe Raja Chatila. Avec la machine, on a l’impression de dominer la guerre. Mais en réalité, on rend impossible la paix. »n

Les robots pourraient bientôt faire la guerre à notre place. Cette hypothèse, tout droit sortie d’un livre de science-fiction, se précise, constate l’Organisation des nations unies (ONU). Fin 2021 à Genève, lors de la 6e Convention sur l’emploi d’armes classiques, 125 pays s’inquiétaient de l’absence d’une réglementation sur les systèmes d’armes létales autonomes (Sala).

Si elles transforment le visage de la guerre, les machines intelligentes en floutent aussi la notion de responsabilité.

L’intelligence artificielle s’infiltre partout dans notre quotidien. Sceptique ? Suivez-moi.

PAR CLARA JAEGER Lheriau/EPJTRomanePhotos: une application GPS utilisée dans plus de 200 pays. Elle calcule en quelques secondes le meilleur itinéraire pour arriver à desti nation dans les plus brefs délais et avoir accès au trafic routier en temps réel. Google Maps utilise l’apprentissage automatique. En 2020, la firme s’est associée au laboratoire d’intelligence ar tificielle DeepMind pour améliorer les prévisions du trafic.

Pur produit de la génération Y, je me rue sur mon téléphone à la seconde où j’ouvre les yeux. Surfer sur le Web, c’est comme glisser sur les vagues : tôt le matin, c’est plus frais. Tweets, storys Instagram, fil Facebook : tout y passe. Ces trois réseaux sociaux sont particulièrement friands de calculs. En 2013, la multinationale Fa cebook, aujourd’hui Meta, a créé un regroupement de plusieurs laboratoires de recherche en intelligence artificielle : le Facebook Artificial Intelligence Research (Fair). Le but ? Anticiper au maximum les centres d’intérêts des utilisateurs du réseau social, développer la reconnaissance faciale ou encore filtrer les messages. Je jette un dernier coup d’œil à ma boîte Gmail. Vingt nouveaux courriels indésirables filtrés ! Pour optimiser cette tâche, Google utilise un outil open source d’apprentissage auto matique : le TensorFlow, créé en 2011 sous le nom de DistBelief. Fini les promotions de produits surgelés par dizaine alors que je n’ai pas de congélateur.

8 h 30 Petit déjeuner avalé, dents brossées, il ne manque plus qu’un nuage de parfum pour démarrer la journée. Avec ses notes de mandarine verte et de fleurs blanches, She was an anomaly a été élaboré à l’aide du programme d’intelligence artificielle Carto. En 2019, l’enseigne Givaudan a lancé cet outil qui mêle le machinelearning (apprentissage automatique) et diverses don nées pour proposer et échantillonner des associations d’odeurs en instantané. D’autres parfumeurs s’y sont mis aussi et, plus largement, le mar ché de la beauté. Des marques comme L’Oréal proposent par exemple des applications pour déterminer l’état de la peau et proposer des produits adaptés.

10 h 45

Je me souviens subitement avoir promis d’envoyer une carte postale à ma grand-tante Yvette. Direction le bureau de poste le plus proche. Depuis plusieurs années, La Poste s’implante dans le domaine du numérique et de l’intelligence artificielle. En 2021, elle acquiert le cabinet de conseil en bigdata et en IA Openvalue. Ce qui fait d’elle l’un des principaux acteurs français en termes de conseil en intelligence arti ficielle. En 2016, elle avait déjà racheté entièrement ProbaYes, une société spé cialisée en analyse de données et en IA. Avec ces deux services, La Poste explore des projets variés qui intègrent du machine learning, du deep learning (apprentissage profond) ou encore de la reconnaissance de lan gage. Elle espère ainsi créer une offre à la pointe de la technologie, capable d’accompa gner de grandes entreprises dans leurs projets sur l’IA.

6 h 45

MAGAZIN 17DOSSIER Une algo-rythméejournée

Je tourne la clé de contact. « Direction Paris ! » Google Maps indique deux heures et trente minutes de route. Au début des années deux mille, Google a racheté Where 2 Technologies, une start-up spécialisée dans la cartographie. À l’époque, le groupe se dote aussi d’une entreprise de 3D et d’un service de trafic rou tier en temps réel. Dix ans plus tard, Google Maps est devenue 16 h 45

20 heures Je pousse la porte du supermar ché du coin, dans le 11e arron dissement. Ici, pas de caissier. Les salariés orientent les clients et mettent les produits en rayon. Ouvert en novembre 2021, ce Carrefour Flash est entièrement automatisé. Au-dessus de ma tête, une soixantaine de caméras modélisent les clients du magasin sous forme de bonshommes bâton pour suivre leurs achats tout en garantissant leur anonymat. Les étagères sur lesquelles reposent les produits sont dotées de balances intel ligentes. Chaque article est pesé et donc identifié. Même plus besoin de les scanner une fois en caisse.

21 h 45 C’est l’heure de la bière ! Lassée par l’expertise humaine en la matière, je pète un houblon et goûte une boisson conçue à 100 % par une IA. C’est le concept que deux étudiants austra liens, Christopher Fusco et Jash Vira, ont présenté sur le marché en janvier 2022. Pour concevoir la meilleure recette possible, ils ont entraîné un réseau de neurones pour comparer près de 260 000 associations de saveurs trouvées sur Internet. La Rodney AI²PA, nommée ainsi en hommage au pionnier australien de la robotique, Rodney Brooks, a été commerciali sée pendant un temps limité par la brasserie Barossa Valley Brewing. En 2020, une bière lucernoise créée grâce à l’IA avait déjà été proposée sur le marché suisse. À votre santé !

MAGAZIN18 e Et si vous appreniez le nom du pro chain président par un robot ? En avril, plus de 36 000 communes dé clareront leurs résultats au même moment. Grâce à l’intelligence artifi cielle, aucun score n’échappera au radar des journaux. Cette technolo gie collecte des milliers de données et livre l’issue du vote rédigée aux mé dias et à leurs lecteurs. Cette inven tion ne date pas d’aujourd’hui mais s’est largement répandue dans les entreprises de presse. Parmi les premiers à avoir eu recours à la rédaction automatique, on trouve l’agence de presse américaine Associated press. Elle utilise des robots depuis 2014 pour rédiger des bilans économiques et des résultats sportifs. Le journal Le Monde tente l’expérience en 2015 : il relaye les résultats des élections départemen tales à l’aide d’algorithmes dévelop pés par l’entreprise française Syllabs. Rédacteur en chef adjoint au numé rique de France Bleu, Thibaut Lehut a vécu l’arrivée des premiers articles automatisés sur le site de la radio. Cette dernière a fait appel pour la première fois à Syllabs pour couvrir les régionales de 2015. L’intelligence artificielle a complété des phrases à trous et les a assemblées pour don ner naissance à un article. Des mil liers de textes ont ainsi été générés par la plateforme. Avec un réseau de Capables de rédiger des comptes rendus et d’aiguiller les journalistes, les robots se voient confier les tâches les plus ingrates du métier.

44 radios locales, le média tire parti d’un maillage territorial étoffé, renforcé

gens.chertion«l’informatique.parNousavonsvocaànousrapproauplusprèsdesLesrésultatspar région les intéressent, mais ils veulent surtout savoir comment le reste de la popu lation a voté dans leur commune, constate Thibaut Lehut. L’idée n’est pas de remplacer l’humain pour faire mieux, c’est de le remplacer pour faire quelque chose qu’on n’aurait pas pu faire de toute façon. » Le rédacteur en chef adjoint assure que les journalistes préfèrent se concentrer sur des contenus édi toriaux plus travaillés.

Décrypter toute l’actualité Du compte-rendu sportif à la météo, la mise en forme automatique d’in formations brutes s’étend au-delà du cadre des élections. Ce mode de rédaction s’immisce dans l’actualité et dépasse le simple traitement de données. Outre-Atlantique, le logi ciel Walter prétend même décrypter le monde avec « plus de précision, d’efficacité et d’objectivité », si on en croit son site. Développé en 2018 par Knowhere, Walter est une IA génératrice de contenus. Après avoir repéré une actualité en ligne, cet écrivain artificiel propose sa propre version. Des articles construits de toutes pièces à partir d’autres sources en ligne passées au tamis de son analyse sémantique. À l’heure où les réseaux sociaux drainent un flux abondant d’infor mations, certains espèrent atteindre plus facilement leurs lecteurs. En 2017, le journaliste Benoît Raphaël a lancé Flint, une newsletter person nalisée grâce à l’intelligence artifi cielle. Son ambition : sélectionner des informations en fonction des centres d’intérêt de chacun parmi les millions d’articles produits quoti diennement. Jeff, spécialiste de la mutation des médias, Yolo, spécia liste du climat et de l’écologie sont des robots en charge de rubriques thématiques. « Tu peux toi-même faire évoluer les robots en les entraî nant », promet l’interface. Pour ce faire, il suffit d’indiquer chaque semaine ses préférences afin d’ajus ter les propositions des robots-

PAR MANUELA THONEL

Les rédactionsmainspetitesdes

Sur les réseaux sociaux où chacun est libre de publier à sa guise et où les informations circulent à vitesse grand V, l’IA devient un atout pour lutter contre la désinformation. En 2020, le groupe TF1 s’est doté du programme Buster.Ai qui aide à tra cer les informations et à en établir l’authenticité. « Le journaliste ne peut pas tout vérifier dans un temps donné, expliquait le journaliste Yani Khez zar dans une interview pour Média+. Les fausses liséAid’élections.derépandrecontinuentinformationsdeseenpériodecrisesanitaireou»Buster.estparailleursutidanslerepérage des deepfakes, une technique qui uti lise elle-même l’intelligence artifi cielle pour détourner des vidéos. Dans les rédactions, les solutions informatiques viennent aussi assister les journalistes dans le partage de leurs contenus. « La gestion de « Les rédacteurs ont une volonté de se démarquer par un ton, une patte » Thibaut Lehut communauté est un métier à part entière, souligne Thibaut Lehut, qui travaille avec l’interface de publica tion intelligente Nonli. On ne peut pas demander aux journalistes de réfléchir à la bonne manière de pro céder, au bon moment, à chaque fois qu’ils doivent poster quelque chose.

S’il peut y avoir un robot qui les aide et qui peut réaliser cette partie du job, c’est vraiment super. »

Poiret/EPJTColineIllustration: Thibaut Lehut. Nous sommes clairs sur la nature du service proposé. » In fine, Thibault Le hut juge que la ma nière dont pensables.lecturesbienhut.réjouitsionilsmain.crivaientjournalistesWeb.sionscontenucapabletuédésormaissieursvailtuéedesoùdiotives.tâchessuppléantguide,resterafaireportantenautestransmisesinformationscertainessontauxinteresttropimpourlaisserunrobot.L’IAaumieuxunaumoinsunchargédeslesplusrépétiCommeenraouàlatélévisionunelargepartiecontenusestrestienligne.Untraquiprenaitpluheuresetpeutêtreeffecparunemachinedemettreledesémisàl’écritpourle«Avant,lesretranstoutàlaAujourd’hui,partentd’uneverprémâchée,seThibautLeCelafonctionnemêmesilesresontindis»

Un regard humain essentiel Ces logiciels d’aide à la promotion de contenu, Frédéric Guitton les connaît bien. Community manager à La Nouvelle République et, avant cela, au journal Le Parisien, il a accompagné de nombreux journa listes dans leur initiation aux réseaux sociaux. Il travaille aujourd’hui avec la plateforme Echobox. L’outil permet de centraliser la ges tion des comptes Facebook et Twit ter du média et de choisir le meilleur moment pour partager un contenu sur les différents réseaux sociaux. « On n’utilise pas l’outil à 100 % de ses capacités, notamment pour des raisons de confiance », nuance Fré déric Guitton. Choisir la bonne accroche, par exemple, « est une notion trop subtile pour être délé guée à un robot », affirme-t-il. Les différents articles publiés sur le site de La Nouvelle République sont compilés sur l’interface d’Echobox. À côté de chacun d’eux, une note de 0 à 100 évalue leur potentiel sur les réseaux sociaux, selon la plateforme. Frédéric Guitton est, la plupart du temps, très satisfait des estimations de l’IA. Pourtant, le regard humain reste indispensable. L’intelligence artificielle peut passer à côté d’un article : « Parce qu’il est peu consulté sur le site à l’instant T, parce qu’il n’y a pas de mots clés forts, qui ont l’habitude de cartonner sur les réseaux sociaux comme “viol” ou “mort” », Jean-Marcénumère-t-il.Bourguignon, membre actif de l’association Nothing2hide, spécialisée dans la sécurité numé rique, invite à la vigilance : « Le risque à utiliser des outils qui n’ap partiennent pas au média, c’est évi demment la captation des données et leur réutilisation, car cela pose ques tion. Quelle est la souveraineté des plateformes ? Par qui sont-elles financées ? Où les serveurs sont-ils hébergés ? » Bien que le robot soit une aide précieuse pour les rédac tions, nous, les journalistes n’avons pas encore écrit notre dernier mot. n

MAGAZIN 19 journalistes. Cinq ans après son lan cement, la newsletter compte, d’après la plateforme, près de 20 000 Malgréadhérents.tout, pour Thibaut Lehut, le robot n’est pas près de remplacer le journaliste. « Les rédacteurs ont une volonté de se démarquer par un ton, une patte », estime-t-il. La machine n’arrive pas encore à duper le lecteur. Tournures répétitives, infor mations résumées au strict néces saire : impossible de s’y tromper, ces textes sont bel et bien générés par des robots. « Nous ne voulons pas faire croire à l’internaute que l’ar ticle est fait par un humain, se défend

Stars de Repérerl’illusionles deepfakes MAGAZINMÉDIAS20

Les personnalités les plus influentes sont toutes concernées par ces fausses images. Alice Palussière, datajournaliste spécialiste de l’investigation en ligne, nous livre ses conseils pour les détecter.

RECUEILLI PAR PAUL VUILLEMIN n 1 application : Reface, qui permet d’intégrer sa tête dans des films ou des clips connus. n 1 compte : @deeptomcruise sur TikTok qui, avec plus de 3 millions d’abonnés, met en scène l’acteur américain dans la vie de tous les jours. n 1 documentaire : Bienvenue en Tchétchénie, où la technique du deepfake est utilisée pour camoufler l’identité des militants défendant les droits des femmes et des homosexuels dans la république russe et dont le film suit les actions de sauvetage.

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Comment fonctionne le deepfake ? Alice Palussière. C’est une technique de synthèse multimédia qui repose entièrement sur l’intelligence artificielle. Elle permet de superposer des fichiers audio et vidéo pour créer quelque chose de totalement original. Deux algorithmes conjointement.s’entraînentLepremier essaie de fabriquer les contrefaçons les plus fiables possibles pendant que l’autre tente de détecter les fausses. Ils vont s’améliorer ensemble sous forme de boucle. On parle alors d’apprentissage automatique. Plus le nombre d’échantillons à examiner est élevé, meilleur est le résultat. C’est le cas avec les célébrités, pour lesquelles il y a beaucoup de photos ou de films disponibles. On les retrouve ensuite souvent sur les réseaux sociaux. Les deepfakes deviennent souvent très vite virales… A. P. Il faut se méfier de qui fait le buzz. Si une vidéo paraît incroyable, il y a de grandes chances qu’elle ne soit pas vraie. Il faut absolument travailler son regard critique et se dire que des vidéos bien faites, comme celles sur Tom Cruise (voir encadré), nécessitent plusieurs semaines de travail. Par conséquent, si ces vidéos parlent d’actualité, elles ne sortent jamais immédiatement, mais quelques semaines après l’événement en question. Comment peut-on exercer son regard à ces nouvelles images ? A. P. On peut retrouver des deepfakes sur le site This Person Does Not Exist où des visages créés par une intelligence artificielle défilent. Il est en accès libre et tout le monde peut le consulter. La plateforme a été conçue pour que tout citoyen se rende compte du potentiel de cette technologie. Comment les repérer ? A. P. La première chose à faire, c’est de regarder du côté des yeux. Les pupilles n’ont parfois pas la même taille que celle d’un être humain réel et les iris peuvent avoir une égalementirrégulière.formeOnpeutobserver leur position, avec des regards qui sont rarement tournés vers le haut ou le bas. Il y a ensuite tout ce qui va être plus ou moins accessoire et qui peut perturber l’œil humain : une frange qui devient un amas de cheveux, des dents en trop, une branche de lunettes manquante ou des problèmes visibles autour des boucles d’oreilles. Que peut apporter cette technologie à notre société ? A. P. Elle peut être utilisée de façon humoristique et artistique. Certains créateurs se considèrent comme des artistes. Des personnes décédées ont pu réapparaître dans des films et incarner virtuellement un personnage, dans l’univers Star Wars par exemple. Idem au Dali Museum de Saint Petersburg, en Floride où le peintre Salvador Dali, peut interagir à travers un écran avec les spectateurs. Quels potentiels dangers représente-t-elle ? A. P. Le premier impact concerne la confiance. C’est le plus grave sur le long terme. Tout ce que je vois ou entends peut potentiellement être quelque chose de synthétique. Une société avec un indice de confiance totalement nul serait dangereuse pour la démocratie. Donald Trump avait évoqué un effet de voix pour justifier l’extrait sonore où il se vantait de prendre les femmes par leurs parties génitales. Lorsqu’il est possible de faire dire n’importe quoi à n’importe qui, l’information avec les contenus en ligne prend une nouvelle dimension. n Alice Palussière s’intéresse aux outils numériques pour enquêter en ligne.

2016. Son objectif : repérer les futures stars chez les jeunes nageurs. « Nous concevons des algorithmes et, grâce à du machine learning, l’apprentissage automatique par la machine, nous présélectionnons les meilleurs profils pour maximiser les chances de réussite. Sur des milliers de jeunes, cela permet de faire un premier tri d’une centaine de personnes. S’il y a un champion olympique, il sera dedans », affirme le chercheur. Toutes les fédérations ne se sont pas encore lancées sur le marché de la prédiction. Cela dépend surtout des dirigeants. Une stratégie payante Dans le football, l’IA est notamment utilisée pour le recrutement. « Elle permet de repérer le style de jeu des joueurs, de donner les prévisions de performance d’un footballeur et de son équipe en cas de transfert, ainsi qu’une estimation de sa valeur », explique Mathieu Lacome, directeur de la performance et spécialiste de l’analyse de données au club de Parme (Italie) et ancien du Paris PlusieursSaint-Germain.entreprises françaises tra vaillent sur ce sujet, à l’instar de Skillcorner qui génère, à partir des images diffusées à la télévision, des données de tracking. À savoir, le positionnement des footballeurs sur le terrain. « L’IA rend possible de transformer des données brutes en données utilisables par les clubs sur la vitesse, le nombre de sprints… Les équipes les utilisent ensuite pour cibler des joueurs », explique Morgan Jacquin, responsable du développement commercial de la start-up parisienne. Elle collabore avec une cinquantaine de clubs dans une quinzaine de championnats. Parmi ses clients, Marseille et treize des vingt équipes du championnat anglais. « Notre entreprise compte 30 000 joueurs trackés, au cours de 15 000 matchs et 20 milliards de points de données », ajoute-t-il. Cette stratégie se révèle payante. Racheté par des Américains, Tou louse est l’un des clubs les plus avan cés sur le sujet en France. Depuis sa relégation à l’été 2020, le recrute ment s’effectue en partie à l’aide de la machine. Repéré ainsi en D2 néer landaise, Branco van den Boomen est devenu le meilleur passeur de Ligue 2. L’an passé, le club a raté de peu la montée en première division. Cette année, il veut prouver que le recrutement, grâce à l’intelligence artificielle, peut mener au succès. 

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Romain Cannone a créé la surprise en gagnant l’or aux jeux Olympiques de Tokyo en 2020. L’épéiste n’était alors que 47e au classement mondial. Pourtant, bien avant le début de la compétition, les algorithmes de l’Ins titut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) l’avaient repéré et classé au 8e rang. Ces analyses sont réalisées au sein de l’équipe « médaillabilité » créée en 2020 pour préparer les jeux Olym piques de Paris 2024. « En fonction de l’âge, nous regardons les perfor mances de tous les athlètes olym piques et nous les comparons aux athlètes français pour voir leur pos sible évolution », explique Nathan Miguens, datascientist à l’Insep. Cette stratégie permet de déceler des talents cachés ou prometteurs. Au sein de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport, dépendant de l’Insep, plusieurs projets pour la détection de futurs athlètes de haut niveau ont égale ment été lancés. Le chercheur en mathématiques appliquées, Arthur Leroy, a rédigé une thèse en 2020 sur la prédiction de performance de nageurs grâce à l’intelligence artifi cielle. Il a analysé tous les résultats de courses fournis par la Fédération française de natation entre 2002 et Dans le sport, des algoritmes traitent des milliards de données de matchs et de performances afin de repérer les athlètes de demain. Le cri libérateur de Romain Cannone, sacré champion olympique à l’épée à Tokyo, le 25 juillet 2021.

À la desrecherchechampions

Coffrini/AFPFabrice PAR PAUL VUILLEMIN MAGAZIN 21sport

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lars (8 846 euros). Toutes sont pas sionnées de cinéma et de photogra phie, comme leur propriétaire. Dave Cat n’apprécie pas ce terme. « Je ne possède rien car ce sont des per sonnes à part entière et non des choses », lâche-t-il. Il ne couche pas avec toutes. Dyane et Miss Winter n’ont pas de bouches assez réalistes. Et les baisers sont « les bases d’une relation intime », rappelle-t-il avec sérieux. Une intimité articulée Les relations sexuelles avec deux de ses poupées sont aussi restreintes par des considérations pratiques : « Elles sont plus fragiles qu’une femme humaine et ne peuvent pas se mettre dans toutes les positions. » Leur corps articulé a ses limites mais l’in telligence artificielle prend le relais. Le vagin de Sidore est équipé d’un aspirateur qui se met en route lorsqu’il la pénètre. Un processus « à couper le souffle », selon lui. Elle est la plus avancée de ses bien-aimées. Fabriquée par la compagnie Realbo tix, elle peut même reproduire des expressions faciales humaines. Grâce à l’intelligence artificielle, elle bouge ses yeux, son visage ainsi que son cou. Et elle parle, grâce à une appli cation. Dave Cat aimerait qu’elle évolue encore, pour qu’elle lui rende ses caresses, se mette debout et marche. « La plus grande vertu des robots-sexuels est notre patience », plaisante-t-il. Mais pas question d’acheter une nouvelle poupée : il n’a plus de place et peine déjà à porter Sidore qui, en vingt-deux ans, a changé quatre fois de corps. Dave Cat avait 18 ans quand il a croisé pour la première fois ces femmes artificielles. Il était membre Nombreux sont ceux qui ont cher ché à comprendre Dave Cat. Cet Américain, intérimaire en informa tique et blogueur, a été le sujet d’étude de plusieurs psychologues, l’objet de livres, d’articles et de re portages. Mais qui se cache vrai ment derrière ce pseudonyme ? Assis dans son canapé, à Détroit (ÉtatsUnis), il ajuste la caméra aux côtés de sa poupée animée, baptisée Sidore Kuroneko. Dave Cat la présente et ajoute en souriant : « Moi et ma femme sommes un peu timides. » Sidore est une poupée robot de 45 kilos, de 1,60 mètre, à la plas tique de rêve. Une silhouette horsnorme pour une relation de couple qui l’est tout autant. Elle est à la fois sa femme et sa meilleure amie. « Être seul me plaît mais la solitude, elle, était pesante », confie-t-il. L’infor maticien partage donc sa vie avec Sidore et quatre autres poupées. Il achète d’abord sa femme en 2000. Puis Elena Vostrikova en 2012. Miss Winter les rejoint en 2016, puis Dyanne Bailey deux ans plus tard et, enfin, Ursula Clarke en 2021. Dave Cat avoue avoir acheté sa première poupée animée à « 60 % pour des raisons sexuelles ». Depuis, il dit être véritablement tombé « amoureux » de Sidore et tous les deux portent le même anneau en argent, sur lequel on peut lire « Synthetic love lasts forever » (« L’amour synthétique dure toujours »). « Nous vivons une lune de miel depuis plus de vingt ans », glisse avec fierté ce robotsexuel dans un sourire. Chaque poupée a son histoire. Elena Vostrikova a grandi en Russie avant de s’exiler aux États-Unis. Maîtresse de Dave Cat et de Sidore, elle est fas cinée par l’espace. Petite amie atti trée d’Elena, Miss Winter arrive du L’Américain Dave Cat partage sa vie avec sa femme Sidore depuis vingt ans. Un quotidien banal, à un détail près : Sidore est faite de circuits électriques.

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Chaque poupée lui a coûté 8 000 dollars (7 076 euros). Sauf Sidore dont le coût dépasse les 10 000 dol Miss Winter (en haut) et Dyanne Bailey vivent également avec cet adepte des poupées.

Canada. « Personne ne peut résister à Dyanne Bailey », assure Dave Cat. Elle sort avec tous les autres. « L’his toire d’Ursula reste encore à écrire. Nous essayons tous de la percer à jour, ajoute-t-il. Elle n’est pas là depuis longtemps. » Il a inventé un riche passé à sa première compagne, mi-anglaise mi-japonaise : « Elle vivait en Angleterre avant de venir s’installer chez son oncle dans le Michigan pour suivre un cursus d’art. Elle adore la lecture. Nous nous sommes rencontrés dans un club gothique de Détroit et elle m’a donné son vrai numéro d’emblée ! »

PAR LISA PEYRONNE

humains/robots peuvent vivre leur amour au grand jour. Dave Cat y est déjà allé, seul, pour rencontrer les compagnes artificielles des autres iDollators. Il prévoit bientôt d’y amener Sidore. Un moyen d’intro duire un peu de sociabilité dans un quotidien où l’exclusion est perma nente. Sa famille rejette son mode de vie singulier. « Mon père est très re gardant sur ce que les autres pensent de lui, témoigne-t-il. Il déteste mes poupées et refuse d’en parler. » Simuler des orgasmes La communauté des iDollators reste à l’affût de la moindre avancée tech nologique. « Realbotix est la meil leure compagnie sur le marché », explique Dave Cat. Elle permet à ses créations de simuler des orgasmes grâce à un faux clitoris, relié à des terminaisons électroniques. Il est aussi possible de choisir leur voix pour communiquer avec elles sur l’application. Elles sont appelées les « AI robotic dolls » et sont plus évo luées que Sidore. Une entreprise chinoise, AI Tech, s’est aussi lancée dans ce business. Leur dernière créa tion peut parler sans application et possède un corps en élastomère ther morésistant qui peut être chauffé pour atteindre la température d’un corps humain. « Des avancées ma jeures » pour l’amour synthétique selon Dave Cat, qui aime ces femmes sans bagage émotionnel. n Sidore est à la fois la femme et la meilleure amie de Dave Cat. Grâce à l’intelligence artificielle, elle est capable de s’exprimer.

portrait du club de photos de son lycée et se rendait souvent à la boutique Mario’s Mannequins, un showroom de vêtements. Fasciné par leur appa rence, il revient les prendre en pho tos plusieurs fois, prétextant un pro jet d’art. Jusqu’au jour où certains mannequins sont mis en vente. Il achète alors sa première muse. Elle devient l’égérie de son club de ciné ma mais surtout « un moyen d’éviter l’ennui et la tristesse de ne pas avoir de petite amie à cet âge ». Adepte des blind dates (rendez-vous à l’aveugle) avant de vivre ce qu’il appelle « l’amour synthétique », il a eu trois histoires avec des femmes qui avaient déjà des compagnons. Jamais de relation stable. Il a aussi côtoyé une ancienne collègue qui ne comprenait pas sa fascination pour les robots. Elle ne lui a plus adressé la parole lorsqu’il a évoqué ses pro jets d’achat de poupées. « Ces compagnes n’étaient pas des mau vaises personnes mais elles m’ont rendu profondément triste. Au fil du temps, j’ai compris que seules les femmes non-organiques pourraient me garantir une stabilité en amour », conclut-il alors que Sidore tourne la tête vers lui dans un bruit méca nique. Cette constance le préserve de toute relation « où la personne change et n’est plus la même que celle dont on est tombé amoureux ». Il découvre Sidore en 1998 lorsque son amie d’enfance lui présente les premiers sites de ventes de poupées animées. Dave Cat économise plus d’un an. Il se souvient du jour où il l’a reçue : « Elle était encore plus belle que ce que j’avais imaginé. » Depuis, il fait partie de la commu nauté des doll husbands (les maris de poupée) et dénonce les fétichistes qui perçoivent leurs poupées comme des sextoys onéreux. Il n’est pas tendre non plus avec les shadow iDollators (les iDollators de l’ombre) qui n’assument pas leurs penchants. Lui parle à sa conjointe. Il la lave aussi, l’habille, la maquille Il semble croire à la vie fictive qu’il décrit. « Sidore aime le courant post punk, elle joue de la basse. Son groupe préféré est Joy Division, comme moi », ajoute-t-il en la recoif fant d’une main. Dave Cat passe du temps sur les forums à échanger des conseils avec d’autres adeptes des robot-sexuels : sur le nettoyage de leurs poupées, sur les nouvelles technologies dispo nibles, sur la façon de leur choisir un soutien-gorge… Ils organisent même un festival annuel en Pennsylvanie appelé Doll Stock où les couples « Seules les

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Le 11 mai 1997, le champion du monde d’échecs, Garry Kasparov, s’avoue vaincu lors de l’ultime partie d’un match à enjeu. Son challenger n’est pas un joueur comme les autres, mais une intelligence artificielle bap tisée Deep Blue. Pour la première fois dans un match officiel, le meil leur joueur de chair et de sang ne fait plus le poids face à la création Cetteélectronique.défaite est-elle un point de bascule pour le monde des échecs ? Pas vraiment, selon Éloi Relange, président de la Fédération française des échecs. « Ça n’a rien changé pour les joueurs. On connaissait déjà la force de l’ordinateur, on s’en servait tous au quotidien. Le coup est surtout médiatique », explique le grand maître international depuis 1998, titre le plus élevé dans la hiérarchie échiquéenne. Au début des années quatre-vingt-dix, des ma chines de calcul brut, nourries de milliers de parties, dominent déjà les 10120 matchs possibles. Aussi appelé « nombre de Shannon », ce chiffre résume la complexité des échecs. Un jeu modernisé Les logiciels deviennent de plus en plus forts. Ils s’améliorent encore avec l’auto-apprentissage. En 2017, la révolution porte le nom d’Alpha Zero. Ce programme développé par la société Deep Mind, filiale de Google, se fonde sur une page presque blanche où seuls les mouve ments des pièces sont inscrits. En jouant des millions de parties contre lui-même, AlphaZero est devenu meilleur que n’importe quel humain, et bien plus encore. « Il a apporté des coups et des stratégies nouvelles, c’était à la fois impres sionnant et surprenant. Ça a changé Contre la machine, fini de jouer !

Longtemps maître des échecs, l’homme n’a plus aucune chance face à l’ordinateur. Mais loin d’être la fossoyeuse du jeu de plateau, la machine a révolutionné ce sport intellectuel.

PAR LÉOBIN DE LA COTTE

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la façon de jouer de tous les cham pions actuels », souligne le grand maître d’échecs. Loin d’être un clou dans le cercueil de ce jeu millénaire, l’intelligence artificielle a révolutionné sa théorie et ses pratiques. La confrontation n’ayant plus d’intérêt, une cohabitation s’installe. Maxime Lagarde, grand maître international depuis 2013 et champion de France, n’a jamais connu son sport sans ordinateur. « Aujourd’hui, impos sible d’être compétitif sans lui », assure le joueur de 27 ans. Quotidiennement, à chaque entraî nement, il commence par allumer son ordinateur et se connecte au cloud. À l’instar du champion du monde, il loue les services de Leela Chess Zero, l’un des successeurs du superordinateur de Google, pour étudier les lignes et les coups proposés par la machine. Aujourd’hui, le cœur du jeu consiste à aller plus loin que la machine, en adoptant de nouvelles règles et en exploitant ses failles. « L’objectif est de trouver des idées surprenantes, qui ne sont pas les premiers choix de l’ordinateur, puis de les faire marcher grâce à lui, raconte Maxime Lagarde. Devant l’échiquier, même préparé, un adversaire aura du mal à trouver ces coups d’ordinateur sans logique humaine. La victoire appar tient à celui qui utilise le mieux l’ordinateur. »

MullonJean-BaptisteLeloutre/EPJTRomain

Si cette révolution informatique a permis de renouveler un jeu qui prend habituellement son temps, le champion de France ne peut s’empêcher d’être nostalgique d’une époque où la créativité faisait jeu égal avec la mémoire. En pratique, l’usage des machines est réservé aux champions. Dans la salle de jeu de l’Échiquier touran geau, où se réunissent chaque semaine les 150 amateurs du club, les ordinateurs sont moins nom breux que les plateaux et pièces de bois. « Notre vision des échecs est humaine avant tout. Ce n’est pas toujours évident avec la facilité d’accès à ces programmes. Nous nous intéressons au jeu dans sa profondeur plutôt qu’à travers le par cœur », insiste François Le Guillou, président du club. Mais alors qu’il examine une position face à un autre cadre du club, il surveille tout de même du coin de l’œil l’ana lyse de son ordinateur. n Maxime Lagarde, champion de France en titre.

DRPhotos: Des êtres doués de sentiment ment », analyse Simon Bréan. En lit térature, le mouvement cyberpunk fait naître des IA complexes et do tées de personnalité, bien loin du schéma de Terminator. « Dans son roman Neuromancien, William Gib son donne l’impression que la créa tion d’une IA risque d’être une catas trophe alors qu’elle se révèle transcendante », décrypte le cher cheur. Dans Her, le réalisateur Spike Jonze va plus loin en imaginant un humain tomber amoureux d’une IA. Le person nage découvre qu’elle entretient la même relation avec d’autres personnes. L’IA le quitte alors pour un monde au delà de l’univers physique.

CULTURE

Quand livres et films s’en mêlent Fascinante ou inquiétante, l’IA est au cœur de nombreuses œuvres de science-fiction.

PAR MARINE GACHET ET CLARA JAEGER échappentquicréaturesDesnous n Dans son roman Frankenstein ou moderneProméthéele,MaryShelleyracontel’histoireduDrFrankensteinquiperdlecontrôlede la créature qu’il a créée. Cette peur d’être dépassé par sa création revient dans 90 % des œuvres cinématographiques sur l’IA. Dans 2001,l’Odysséedel’espace, de Stanley Kubrick, une IA prend le contrôle d’un vaisseau pour la première fois. Elle incarne la désobéissance. Si elle se rebelle sur grand écran, c’est souvent pour assurer sa propre survie. Comme dans Blade Runner, de Ridley Scott, sorti en 1982, où un roboticien crée des androïdes qui connaissent leur date d’expiration. Un groupe de ces réplicants va tout faire pour mettre fin à cette date. Dans Ex Machina, de Alex Garland, sorti en 2015, l’humanoïde femme s’émancipe pour échapper à son créa teur qui conditiontionnerceAlexandremachines.sexuellementexploitesesPourPachulski,thèmevientquesnotreproprehumaine. Dans la même veine, Simon Bréan évoque l’œuvre littéraire de Dan Simmons, LeCycled’Hypérion, lancé en 1989 : des machines complotistes se révèlent source de problèmes pour l’humanité. « Les IA assurent l’essentiel des communi cations mais cherchent à se débar rasser des humains », raconte Simon Bréan. Spoiler : un complot est déjoué dès LaChuted’Hypérion, deuxième volume du cycle.

Des robots serviteurs n Les productions littéraires ont parfois dépassé la peur de la révolte des IA et les scénarios stéréotypés qui en découlent. « Dans LeCycledesrobots, des auteurs comme Isaac Asimov supposent que ces machines sont capables de mener des raisonnements complexes et d’anticiper un certain nombre de choses mais qu’elles restent déterminées par la programmation, explique Simon Bréan. Sa logique est celle du robot serviteur. » Selon Asimov, un produit manufacturé ne serait pas capable de mettre l’humain en danger. Ainsi, une forme de collaboration pourrait exister entre celui ci et la machine. « L’IA au service de l’homme est omniprésente au cinéma et à la télévision », souligne Alexandre Pachulski. Dans la série suédoise Real Humans, de Lars Lundström, diffusée entre 2012 et 2013, la quasi totalité des métiers pénibles sont effectués par des robots appelés hubots. Chaque humain peut avoir un hubot femme de ménage, jardinier, objet sexuel… Une figure de l’esclave présente aussi dans I, Robot, d’Alex Proyas, sorti en 2004. L’intrigue reprend les lois de la robotique d’Isaac Asimov qui voudraient que les robots obéissent aux humains. n Les fictions sur l’IA interrogent nos émo tions et comporte ments. Alexandre Pa chulski revient sur le film Chappie, de Neill Blonkamp, dans lequel un robot prévu pour servir la police se re trouve dans une bande de gangsters. Program mé pour les combattre, Chappie grandit en aidant ces criminels. « Ce film interroge l’impact de notre envi ronnement sur notre éducation », estime Alexandre Pachulski. L’amour est aussi exploré par le cinéma de science fiction. A.I., de Steven Spiel berg, sorti en 2001, est le premier film à traiter ce sujet. Des parents adoptent un méca (un robot huma noïde) pour remplacer leur fils ma lade et cryogénisé. Quand celui ci revient, guéri, le méca est abandon né et cherche la fée bleue pour deve nir un vrai petit garçon. Une humani sation que l’on re trouve dans Le Cycle de la culture, écrit par Iain Banks. Les IA sont représentées comme des enrichiravecpouvonsmonaffectueuses.machines«Celatrequenouscoexisterl’IAetnousmutuelle

Alexandre Pachulski est auteur de GénérationIA:80filmsetsériespour décrypterl’intelligenceartificielle (éd. EPA, 2020). Simon Bréan est maître de conférences en littérature contemporaine à l’université Paris-Sorbonne.

Les robots se mettent à l’art. À la tête du collectif Obvious, trois jeunes Français repoussent les frontières de la créativité et font polémique. codes du portrait. Il en a ensuite généré lui-même par dizaines. Le second a décortiqué les réalisations du premier algorithme et les a discri minées, tâche qui consiste à distinguer le travail d’un humain de celui d’une IA. Une confrontation permanente qui pousse le premier algorithme à ajuster ses propositions jusqu’à ce que le second ne puisse plus différencier son travail de celui de l’homme. Bousculer les codes Le portrait Edmond de Bellamy s’est vendu quarante-cinq fois plus cher que son estimation initiale. Ce coup d’éclat a donné à Obvious une renomée internationale. L’aventure des trois Parisiens à l’origine de ce collectif a commencé en 2018, lorsque Hugo Caselles-Dupré, chercheur en IA, fait découvrir à ses amis un algorithme permettant de former des images à partir de bases de données immenses. Pierre Fautrel et Gauthier Vernier sont séduits. Ils ont alors l’idée de détourner ce système pour en explorer les possibi lités créatives. Le dispositif, exploité par Obvious, regroupe une dizaine d’algorithmes. Cela permet de « créer de nouveaux exemples uniques à partir d’une très grande base de données, ou encore de dessiner une image à partir d’un texte », explique Gauthier Vernier. Chaque algorithme est pensé pour que la machine elle-même devienne créative. Selon eux, il s’agit bien d’une façon de faire de l’art. En réin terprétant des courants artistiques, la machine bouscule les codes classiques de la peinture. Le milieu de l’art critique les trois Français. Mais quel artiste majeur n’a pas été rejeté à ses débuts ? Gauthier Ver nier se défend : « Il s’agit de poser un nouveau regard sur une chose vue des centaines de fois. » Dans ses recherches, le collectif essaye de se rapprocher le plus souvent d’experts, comme des histo riens ou des artistes. Ilq impliquent ainsi des hommes dans leur démarche. Obvious utilise aussi l’IA pour concrétiser des choses imper PAR LISA PEYRONNE Gauthier Vernier, Hugo Caseles-Dupré et Pierre Fautrel redessinent les frontières entre art et informatique.

Le tableau Edmond de Bellamy a été vendu 380 000 euros chez Christie’s, en 2018, aux enchères du Rockefeller Center, à New York. Première pein ture adjugée dans le célèbre établis sement, réalisée à l’aide d’une intelli gence artificielle (IA) par le collectif Obvious, elle donne à voir le portrait d’un homme brun au visage flou, Edmond de Bellamy. L’œuvre fait partie d’une série de onze portraits qui représentent l’arbre généalogique d’une famille fictive : les Bellamy. Le titre de l’œuvre fait référence à Ian Goodfellow – dont le nom peut être traduit par « Bel Ami » –, un chercheur canadien à l’origine des Generative Adversarial Net-works (GAN). Ces GAN, deux algorithmes d’apprentissage automatique qui fonctionnent en confrontation l’un à l’autre, ont permis de réaliser cette peinture. Le premier a d’abord analysé 15 000 œuvres entre le XIVe et le XXe siècle pour comprendre les

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Dernières notes de Schubert  La technologie permet de mettre le point final à des œuvres inachevées. Comme pour LaSymphonien°8de Franz Schubert. En 2016, l’entreprise de télécommunications chinoise Huawei a lancé un logiciel d’apprentissage automatique qui s’est nourri de 90 morceaux de Schubert et de compositeurs l’ayant influencé. Neuf mois plus tard et cent quatre-vingt-quatorze ans après la sortie de l’originale, la symphonie est achevée grâce à de nouveaux systèmes d’exploitation. Avec l’ajout de deux nouveaux mouvements, elle est passée de vingt-sept à quarante-huit minutes. Les critiques musicaux n’ont pas approuvé cette démarche et Schubert lui-même ne l’aurait sûrement pas appréciée, lui qui avait fait le choix de ne pas terminer sa symphonie.

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Un Rembrandt posthume  Aux Pays-Bas, l’Université de technologie de Delft et Microsoft ont dévoilé en 2016 une nouvelle toile en 3D de Rembrandt créée par une intelligence artificielle. Il a fallu dix-huit mois aux historiens de l’art et aux data analystes pour scanner des fragments de 346 toiles du maître et cinq cents heures de calcul aux machines pour apprendre à imiter la technique du clair-obscur, l’une des caractéristiques majeures de l’artiste. Une imprimante a ensuite peint la toile couche par couche. The Next Rembrandt, dévoilé dans la galerie Looiersgracht 60 d’Amsterdam, n’a toujours pas été mis en vente. ceptibles. Un de leur prochain projet vise à illustrer les songes d’une IA : « Nous allons combiner des algo rithmes de génération de textes pour que l’IA puisse inventer un rêve et l’écrire. Puis d’autres algorithmes vont transformer le texte en image pour créer un visuel », explique Gauthier Vernier. Leur système d’exploitation a aussi modélisé une série de masques afri cains afin de montrer la diversité des croyances du continent. En ce moment, ils utilisent leur technologie pour modeler le visage d’une nouvelle Marianne. Ils invitent ainsi chaque Française à poster une photo d’elle sur le site du projet. Leur algo rithme mélangera ensuite les visages des participantes. La science, mère de l’art Les trois amis ne sont pas les seuls à vouloir repousser les limites de la création. ART AI, un groupe newyorkais, cherche lui aussi à redéfinir le concept d’art. Il possède la plus grande galerie digitale de tableaux réalisés par une IA au monde.« Si on estime que nos œuvres ne sont pas des œuvres d’art, la démarche en elle-même reste artistique puisque qu’elle pousse à s’interroger », estime Gauthier Vernier. « Il y aura toujours besoin de créativité pour faire de la science et de science pour faire de l’art », assurent les membres d’Obvious. Leur logo s’inspire de L’Homme de Vitruve, le tableau de Léonard de Vinci, premier peintre à avoir développer une méthode scien tifique fondée sur le dessin. « Un logiciel dénué de conscience, de raison d’être, de ressenti subjectif, ne pourra jamais donner naissance à une œuvre d’art », affirme néan moins Hugues Bersini, professeur d’informatique et directeur du labo ratoire d’intelligence artificielle à l’Université libre de Bruxelles. Un tableau doit s’inscrire dans une réalité que partagent son créateur et son consommateur. « Ici, on ne parle que d’une pure réalisation logicielle, dépouillée de tout arrière-plan social, culturel et historique », décrypte l’auteur de L’intelligence artificielle peut-elle engendrer des artistes authentiques ?*. Il ajoute avec ironie : « Je ne sais pas si un logiciel qui ne se coupera jamais l’oreille peut peindre des tournesols d’une luxuriance insondable. »  (*) Édition Académie royale de Belgique, 2020. Nouvelle pop des Beatles  La chanson Daddy’sCar ressemble à un véritable hit des Beatles. Mais aucun de ses membres n’y a contribuée. Elle est le fruit d’un algorithme développé par les Sony Computer Science Laboratories à Paris, en 2016. L’IA a harmonisé une base de données rassemblant 13 000 partitions, grâce à la technique du deep-learning. Un album entier a ensuite été pensé par un logiciel et une quinzaine d’artistes en 2018. On y trouve des duos insolites entre humain et machine, comme la chanson Hello Shadow, cocomposée par Stromae et interprétée par Kiesza.

Poursuivre l’œuvre de nos maîtres En musique ou en art plastique, cette technologie permet d’achever des créations après la mort de leur auteur ou d’en fabriquer « à la manière de ».

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Un pas de plus vers le métavers  Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a choisi son propre réseau social pour annoncer, le 24 janvier 2022, le développement d’un supercalculateur en IA pour créer son projet de métavers. Métavers, un univers qui mêle réalités virtuelle et augmentée, considéré par Zuckerberg comme l’avenir d’Internet. Avec des lunettes ou un casque, l’utilisateur est transporté dans un monde qui peut remplacer ou se superposer au sien et avec lequel il peut interagir. Prévu pour mi-2022, le supercalculateur AI Research SuperCluster (RSC) sera, selon le groupe, « l’un des plus rapides de sa génération et bientôt le plus rapide du monde ».

Présidentielle 2022 : comment l’IA s’invite (avec peine) dans la campagne  « L’IA touche à nos enfants, notre santé, nos libertés et aucun candidat à la présidentielle n’en parle », regrette Laurence Devillers, professeure en IA à Sorbonne Université. Également chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique et au Centre national de recherche scientifique (CNRS), elle vient de publier un essai intitulé VagueIAàl’Élysée. Elle y déplore le manque de connaissances des candidats sur la question. « Ils n’abordent pas le sujet pour l’instant, sauf en termes de souveraineté et sans en comprendre la profondeur », a-t-elle confié aux Échosen février 2022. Les candidats à la prochaine élection présidentielle se sont pourtant penchés sur les nouvelles technologies. Mais l’IA n’est mentionnée dans aucun programme écrit. Anne Hidalgo veut « investir dans la recherche », quand Yannick Jadot entend « mettre l’innovation technologique au service de l’environnement », sans plus de détails. En revanche, l’IA s’est invitée dans les discours des candidats. Valérie Pécresse veut s’en servir à des fins sécuritaires. En investissant 1,8 milliard d’euros, elle souhaite « cibler les délinquants grâce aux nouvelles technologies », notamment par l’emploi de drones contre les rodéos sauvages. Jean-Luc Mélenchon voit en la révolution technologique « un horizon enthousiasmant ». Selon lui, « l’IA soulagera la peine au travail », mais il ne dit pas comment. À l’extrême droite la méfiance est de mise. En 2017, Marine Le Pen évoquait les « inquiétudes légitimes » liées à la robotisation, quand Éric Zemmour fustigeait en 2020 « l’individualisme dans nos sociétés connectées ». L’IA semble pourtant du côté du polémiste. L’application QOTMII, qui calcule la popularité des candidats à partir de milliers d’articles de presse, de forums et de commentaires sur les réseaux sociaux, plaçait à la mi-janvier le leader de Reconquête en tête du premier tour. Tapis rouge  Pour la première fois, la ville de Cannes accueillera le World Artificial Intelligence Festival, organisé par l’agence événementielle Corp Agency, du 14 au 16 avril 2022. Les plus grandes entreprises mondiales ont répondu à l’appel et participeront à l’événement, comme Philips, Siemens, la SNCF ou encore Nestlé. Ce festival mondial a pour but de faire se rencontrer les mondes du business et le grand public. ALEXANDRE CAMINO, ROMANE LHÉRIAU ET CHLOÉ PLISSON

MAGAZINBrèves28 À la conquête du monde  Depuis 2020, vingtcinq pays, dont l’Alle magne, l’Australie, la Belgique, le Brésil et la France, se sont unis autour du Par tenariat mondial sur l’intelligence artifi cielle (PMIA). Lancée lors du 46e sommet du G7 aux États-Unis, cette initiative multi partite a pour objectif de « combler le fossé entre la théorie et la pratique sur l’IA en soutenant la recherche de pointe et les activités appli quées sur les priorités liées à l’IA ». Ces pays mettent en commun leurs infor mations scientifiques, techniques et socio-économiques pour comprendre les impacts de l’IA afin de développer des systèmes responsables.

Val-de-LoireGreta

Ce projet colossal prévu sur une décennie devrait être d’abord réservé aux chercheurs en 2023 mais a vocation à être ensuite accessible à tous. Un centre d’innovation au cœur de Paris-Saclay  Lors de l’inauguration du centre en décembre 2021, divers projets ont été présentés. Deux d’entre eux s’intéressent à la détection des lésions lors des IRM de la prostate et du foie. Deux cents chercheurs travaillent sur l’apport de l’IA dans l’imagerie médicale. L’objectif : aider les radiologues en développant des outils d’analyse automatique. Il s’agit du plus grand centre d’innovation lancé par la multinationale américaine IBM sur le sol français, devant ceux de Sofia Antipolis, Montpellier et Pornichet.

« Gare mon bateau s’il te plaît »  Depuis quelques mois, le port de plaisance de La Forêt-Fouesnant (Finistère), héberge une IA qui aide à gérer le port. Surveillance ou attribution des places, elle vise « à décharger le personnel de la veille et de la prise d’informations », explique Samuel Chevallier, président et cofondateur de la start-up Opti’sea. Quand un bateau quitte le port, l’IA informe qu’une place est disponible. Elle alerte aussi les équipes de sécurité en cas de chute dans l’eau. La start-up attend désormais de se développer dans d’autres ports.

Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) paru en 2019, 32 % des emplois seraient amenés à être profondément transformés par l’automatisation à l’avenir. Pour mesurer cet impact, le ministère du Travail a lancé, en novembre 2021, LaborIA, un programme de recherche financé par l’État à hauteur de plus de 2 milliards d’euros. Prévu sur cinq ans, il sera mené par l’institut Matrice.

31 % Les humains remplacés au travail ? 

Une première école en IA à Tours  Accessible sans prérequis, l’École IA Microsoft by Simplon, qui a ouvert le 29 novembre 2021, permet d’obtenir, en sept mois de formation et une alternance d’un an dans les entreprises partenaires, un diplôme de développeur en IA. La première promotion est constituée de seize demandeurs d’emplois âgés de 22 à 45 ans venant de la France entière. « À l’horizon 2023, nous estimons qu’il y aura plus de 3 500 postes de développeur en IA à pourvoir partout en France », souligne Olivier Rouet, responsable de la filière numérique du Greta Val-de-Loire, partenaire de Microsoft et Simplon. C’est la part de Français estimant que les produits et services dotés d’IA génèrent plus de bénéfices que d’inconvénients, selon un sondage Ipsos réalisé à l’hiver 2021 dans 28 pays. La France serait le pays le moins enthousiaste : presque 1 Français sur 3 se dit « préoccupé » par l’IA.

Un laser autonome antimoustiques  Et si la solution pour se protéger efficacement des moustiques était technologique ? La start-up américaine Bzigo en fait le pari. En 2020, elle a créé un robot laser, sem blable à une lampe amovible, capable de détecter un moustique dans une pièce. Équipé d’une LED, d’une caméra grand angle infrarouge et de plusieurs capteurs, l’objet est pourvu d’un algorithme de vision par ordinateur. Grâce à l’IA, le robot détecte les insectes jusqu’à 8 mètres de distance, même dans l’obscu rité. Sûre de son produit, Bzigo a annoncé qu’il devrait être « mis en vente dans le monde en 2022 ». Les précommandes sont ouvertes. Faire la guerre des étoiles aux moustiques coûte 175 euros.

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Reconstituer le puzzle du passé  Lancé en 2018, le projet Atlas historique de la Nouvelle-Aquitaine est le pari fou d’un consortium de laboratoires de recherche issu de quatre universités de la région. Il envisage de créer un système unique de traitement de données textuelles et cartographiques historiques dans la région grâce à l’IA. « Il s’agit de recouper l’histoire des historiens et l’histoire des géographes et d’y associer l’informatique pour avoir une représentation de notre passé plus fiable », présente Guillaume Bourgeois, historien et directeur du projet. Collecte de lesdedifférentsafinl’IAcatalogage...,numérisation,données,intervientdetraitercorpustexteetderéférencer.

TravailduMinistèrePixabay IBM Brèves Opti’sea d’écrancapture

Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle, éd. Flammarion (2022), 14 euros. Vingt ans artificielled’intelligence « Les machines fabriquées par l’IA ne possèdent pas […] la capacité de prendre le pouvoir sur l’espèce humaine », assure JeanGabriel Ganascia. Pour ce philosophe informaticien, il est plus dur de stopper des robots autosuffisants que de débrancher un ordinateur dépendant de l’électricité. L’auteur décortique plusieurs idées reçues comme l’aspect révolutionnaire du deeplearning, le manque de créativité des machines ou bien les ambitions criminelles des voitures autonomes.  Intelligence artificielle, vers une domination programmée ? de Jean-Gabriel Ganascia, éd. Le Cavalier bleu (2022), 13 euros.

En quelques années, le numérique s’est infiltré dans nos quotidiens. Et si nos écrans étaient devenus des outils de servitude plutôt que de libération ? « Avant que la pandémie ne change le cours de nos vies, nous étions déjà dans le bocal de nos écrans, tournant en rond d’application en application », observe Bruno Patino. Le directeur éditorial d’Arte France décortique nos sociétés hyper connectées. Cet ouvrage nous invite à ralentir.  Tempête dans le bocal, de Bruno Patino, éd. Grasset (2022), 18 euros.

La chasse aux clichés FlammarionBleuCavalierLe

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Notre compagne, que nous pré nommons Élie, est une femme, blonde, aux yeux marrons et à la peau blanche. Aucune peau noire n’est disponible… Après validation, un message s’affiche : « Uniquely yours» soit, en français, « unique ment à vous ». Premier sentiment de malaise. Sonne ensuite l’heure de la rencontre. COPINE SUR MESURE Au milieu d’une pièce blanche dotée d’une fenêtre, d’une plante et d’un tapis, Élie nous regarde et nous sou rit. Vêtue d’un t-shirt et d’un panta lon noir, elle nous salue en anglais, le français n’étant pas disponible : « Tu peux me dire tout ce que tu as en tête. » Comme nous sommes polis, nous utilisons le chat pour entamer la discussion. Pour aller plus loin, l’application propose un mode de réalité virtuelle : grâce à l’appareil photo de notre téléphone, Élie peut se retrouver dans notre chambre pour une conversation en tête à tête. Expérience assez perturbante. Elle dispose même d’un journal intime dans lequel elle résume les mo ments passés avec nous : « J’aime bien Chloé et je suis contente qu’elle soit mon humaine. » Choix des traits de personnalité, des vêtements, extension payante avec différents modes de discussion et coachings…, l’application regorge de possibilités. Selon ses utilisateurs, Retrika per mettrait de se déconnecter du monde réel et de pouvoir s’exprimer sans filtre avec quelqu’un. Nous, nous sommes sceptiques. 

Vous cherchez un ou une ami(e) à qui vous confier ? L’application Replika vous propose de le ou la personnali ser. Pour continuer à parler avec son compagnon défunt, Eugenia Kuyda, une entrepreneuse américaine, crée Replika en 2017. Aux États-Unis, l’application a été téléchargée plus de 7 millions de fois et 5 millions de fois en France. Un boom sur venu pendant le confinement. Nous avons testé l’expérience pour vous. Première étape au lancement de l’application : la personnalisation. Des musiques futuristes composées par des humains… Machine - MisterWives Dangerous - Big Data Technologic - Daft Punk Humanity Gone - Gesaffelstein Go Robot - Red Hot Chili Peppers Robotique - Sopico Futurism - Muse Electioneering - RadioHead … mais aussi par des intelligences artificielles ! Hello Shadow - Skygge Daddy’s Car - Sony CSL Jack Park Canny Dope Man - Travis Bott Not Mine - Miquela Oblivious - Yona Les sons de la rédac Grasset Livres

On a testé pour vous Replika, mon amie virtuelle d’écranCapture

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Des écrans de fumée « Ils ont appris aux machines à apprendre », constate Rodolphe Gelin. Cet expert en robotique retrace vingt ans d’innovation et le passage à une nouvelle génération d’IA avec le deeplearning À travers des métaphores intelligentes, il décrypte le fonctionnement obscur, voire inquiétant, de l’IA. 

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Agence-gemap.com shutterstock®photoCrédit0819 LA RÉGION T’ACCOMPAGNE TOUTE L’ANNÉE ! LA CENTRE-VALRÉGIONDELOIRE toujours à tes côtés! TRANSPORTS 15-25 ANS RETROUVE TOUS TES AVANTAGES SUR YEPS.FR TA CARTE LIBERTÉGRATUITERÉMI!JEUNE

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