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Interview Bart Prince
from #3 Mai 2019
interview
Né à Albuquerque au Nouveau Mexique, Bart Prince est l’un des architectes étatsuniens contemporains les plus importants. Connu pour son style organique très particulier, il s’intéresse à l’architecture depuis ses 7 ans et intervient principalement dans le sud des Etats-Unis. Certains de ses plans se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C. Prince a travaillé avec Bruce Goff de 1968 à 1982 et est l’un des porte-flambeaux de l’architecture organique prônée par Frank Lloyd Wright. Il nous reçoit en exclusivité dans sa maison et studio d’Albuquerque.
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l’atelier de l’architecture
B.P : Je l’ai conçu de la même manière que je conçois tout. Je commence sans préconception. Je veux connaitre tout ce que je peux du site, du climat, des choses aux alentours et je sais que j’en ai besoin pour mon programme. Au début, je commence juste à penser; pas de dessin. Si je dois avoir un studio, où doit-il être sur le site ? Je ne sais pas encore ce que la forme sera mais je sais surtout où je veux que les pièces soient. Les espaces privés comme les chambres, où est-ce que je veux les placer ? Je commence strictement à penser ces choses-là et imaginer si la structure, qui n’est pas encore définie, doit être basse ou élevée. Je commence par des choses générales, la conception peut ainsi commencer et croître de là. Je travaille de l’intérieur vers l’extérieur. Le travail démarre par les espaces individuels. J’y pense en premier lieu, un par un, et à comment ils seront reliés entre eux. A ce moment-là, je ne sais toujours pas quelle sera la forme, ni quels seront les matériaux. Sur le site, il faut pouvoir se dire qu’ici il y aura la chambre, et là-bas un autre espace. Ensuite, je commence à sculpter les espaces : de l’intérieur vers l’extérieur. L’extérieur n’est pas la préconception d’une forme. Il devient ce qu’il doit être par le résultat de ce qui se passe à l’intérieur. Les choses commencent à prendre forme. Vient la structure, qui intervient assez tôt parce que l’architecture est structure. Voilà comment la conception avance.
B.P : Je ne pense pas qu’aucun matériau ne soit inapproprié pour quelque chose. On ne sait jamais ce qu’il en sera tant qu’on n’en a pas besoin. Je ne pense pas qu’il y ait des matériaux nobles et d’autres qui ont des rendus moins intéressants ou qui soient pauvres. *rire* Les architectes doivent se rendre compte que nous avons une énorme palette de choses. Il faut savoir ce qu’on veut faire, savoir comment on veut le faire et trouver le meilleur matériau pour y répondre. Il faut y aller sans préjugés. Le matériau qui correspond à l’architecte, correspond au constructeur. Ils sont tous là. C’est ce qu’on en fait qui compte. Oui cette maison bouge, mais ça n’a pas de signification tant que vous n’avez pas pris de photos. Les espaces bougent continuellement. Quand vous prenez une photo et que vous bougez un peu afin d’en prendre une autre, les clichés sont totalement différents. Je pense que c’est ce que l’architecture doit faire ; il doit y avoir de la vie dedans. Ça ne doit pas être quelque chose de statique avec un avant et un arrière. La plupart des architectes diront le contraire. Il doit y avoir un peu plus de mystère. C’est comme la musique, une superbe symphonie par exemple. On peut l’écouter plusieurs fois et entendre quelque chose de neuf à chaque fois. C’est la même chose avec l’architecture. On y gagne toujours.
vision sur l’archi
B.P : Bien ! Le mot organique est appliqué à certaines personnes par les autres, parce que les écrivains ou les historiens ont besoin de catégoriser les choses. Donc ils ont besoin d’avoir une catégorie. Peu importe le nom qu’ils ont envie de lui donner, l’idée de l’organique a plus à voir avec la manière dont un organisme croit et dans plusieurs cas, les gens pensent spécifiquement à Frank Lloyd Wright qui clamait ce mot. C’est un peu faux pour tout le monde mais ça a une meilleure signification avec lui. L’idée qu’un bâtiment croît, soit un organisme, qu’il soit comme une graine qui pousse. Chaque partie a une relation avec l’autre pour faire sens. L’organique, ce n’est pas un style; mais plutôt une manière de penser, une manière de travailler.
B.P : La signature c’est de recommencer encore et encore. À chaque fois que je rencontre un nouveau client ou commence un nouveau projet, je veux l’approcher comme si je n’avais jamais rien fait auparavant. Littéralement, ce n’est pas possible de faire cela parce qu’on a toujours des sentiments à propos des choses. On amène toujours avec soi ce qu’on a déjà fait à chaque fois. Le travail de Wright est très reconnaissable parce qu’il y a le style Wright. Dans mon cas, les gens reconnaissent généralement mon travail quand ils disent qu’ils n’ont jamais vu cela auparavant. La plupart du temps, c’est différent et les gens voient que ça répond différemment aux problèmes. “Ça doit être Bart Prince, parce que ça ne ressemble à rien d’autre” se disent souvent les gens. Je n’essaye pas de créer un style ou de fairela même chose encore et encore. Les écrivains ou les historiens disent souvent “ il utilise ça là, et ça ici. Il y a un cercle ici…etc”. Mais on travaille tous avec la géométrie et des matériaux. L’espace qu’on conçoit, la lumière qui rentre dans le bâtiment et les mouvements changent d’un projet à l’autre.
l’étudiant choisi
B.P : Je suis né et j’ai grandi ici et j’admire beaucoup les amérindiens de cette région : les indiens Taos et les indiens Pueblos. Ils vivaient avec la région et ils interagissaient avec. Mais les anglo-saxons qui sont venus il y a longtemps n’ont pas compris et ont essayé de copier les indiens *rire*. J’apprécie la démarche des anglo-saxons, mais je n’aime pas l’idée de copier, du pastiche. Je ne veux pas faire ce que les amérindiens ont fait, mais le comprendre afin de répondre à mon époque de la même manière. Cela prend du temps lorsque l’on débute. J’ai commencé en faisant des maquettes et des conceptions autour de mes 7 ans. Mes parents étaient vraiment inquiets parce qu’ils voulaient que je sois docteur. Je ne sais pas pourquoi mais l’architecture est quelque chose qui était en moi. Cela est important pour vous, étudiants. Si vous le faites pour l’argent, ou parce que vos parents vous y forcent, ce sont de mauvaises raisons. Il faut aimer ce que l’on fait pour produire mieux. Un ami architecte me disait à chaque fois que je le voyais, “c’est un petit projet que j’ai fait, ce n’est pas une grande affaire” une autre fois, il se plaignait “ c’est juste des bureaux cette fois…”. Il ne réalisait pas que chacun de ces projets étaient une opportunité pour lui. Les clients ne me laissent pas faire ce que je veux. Je leur présente les projets comme la solution à leurs problèmes et ils sont enthousiastes de l’idée que je propose. Je pense que les étudiants doivent comprendre cela et apprendre à être sûr de leurs idées puis savoir que leurs idées comptent. Il y a des professeurs qui disent aux étudiants que tout a déjà été fait, et qu’il n’y a rien de nouveau dans le monde, et qu’on ne peut rien faire de neuf. C’est faux.
B.P : J’ai construit pour la première fois au lycée. Je ne montre ces bâtiments à personne mais ils sont ici à Albuquerque. Je pense qu’ils étaient superbes pour l’époque. J’avais 16 ans. Dans ce cas, il y avait un client qui voulait une maison. J’étais très enthousiaste à l’idée de la faire. Je n’étais pas trop inquiet. Je me suis dit “je vais concevoir une maison”. Je voulais déjà que ce soit différent de tout autre chose. Vous savez, certains architectes pensent que le client est leur ennemi et qu’on les empêche de faire les choses. Les clients viennent à moi pour des raisons ; pas parce qu’ils ont envie de me donner du travail, mais parce qu’ils ont un problème qui doit être résolu.
Je ne parle jamais de formes avec les clients, ou d’espaces ou d’interprétations d’espaces, ou du futur de l’architecture ou des choses dans le genre *rire*. On parle de ce qu’ils veulent faire. Et le fait qu’ils viennent à moi signifie déjà qu’ils cherchent quelque chose. Tout ce qu’ils disent est important. J’entends souvent des architectes dire qu’ils ont ignoré ceci ou cela. Je me rappelle d’un client qui était inquiet pour son chat. “Où est-ce que mon chat dormira ?”. Beaucoup d’architectes diront juste “ne me parle pas de ça”. La première chose que j’ai montré à ce client pendant notre rencontre était où son chat resterait. Il était très content de cela. Ça a l’air de quelque chose d’insignifiant mais il faut découvrir ce qui est important pour les gens et aller au-delà de cela.
B.P : J’étais étudiant à Arizona State University. J’étais intéressé par les travaux de Frank Lloyd Wright quand j’étais vraiment jeune. Un jour, Bruce Goff m’a dit qu’autour de ses 12 ans, il avait découvert le travail de Frank Lloyd Wright et qu’à cette découverte, il était exalté et déprimé à la fois. Exalté, parce que c’était la plus belle des choses qu’il ait vu. Déprimé parce qu’il sentait que tout ce qu’il aimait avait déjà été fait et qu’il n’y avait plus rien pour lui. C’était la même chose que j’ai ressenti quand j’ai vu le travail de Goff. J’ai très vite réalisé que le travail de Goff était puissant mais le danger était de le copier. J’ai réalisé qu’il fallait que j’apprenne de lui mais aussi trouver mon propre chemin. Quand j’ai rencontré Bruce Goff, j’ai appris qu’il était un bon ami de Frank Lloyd Wright. Mais le travail de Goff, n’était pas une imitation de Wright, c’est ça la grande leçon que j’ai retenu avec lui. J’étais aussi sur mon chemin. C’est ainsi qu’il a découvert mes maquettes et s’est rendu compte qu’il y avait quelqu’un qui cherchait à faire son propre travail, quelqu’un capable d’être influencé par Wright tout en faisant son propre travail. C’est l’une des choses les plus compliquées à faire mais c’est vraiment important pour les étudiants. Il faut tout regarder et tout prendre. Musique, sculpture, danse, poésie...etc. puis les digérer pour qu’ils deviennent une part de soi. Chaque chose que l’on fait s’inspire de tout cela sans en être une copie. Ça devient une partie de toi et tout ce que tu crées devient complètement unique. Voilà ce qui est important.
le mot de la fin
B.P : Espace ! Espace ! Quand on parle de double hauteur, c’est le mot qui me vient en premier. Espace. Bruce Goff a vécu dans la Price Tower de Frank Lloyd Wright dans l’Oklahoma. Il était l’un des tout premier à déménager dans ces appartements. Les espaces étaient très confinés et minuscules parce que Wright voulait rendre la tour longue donc il a fait des espaces très petits en plan. Goff vivait dans l’une de ces unités autour de 1966. Un jour un étudiant est venu à l’intérieur et il a jeté ses mains vers le haut en criant “Espace ! Magnifique espace !” et Goff a dit “où ?” *rire*. C’est ce qui me vient quand je pense au mot double hauteur. Espace !
photographies, interview assurée, propos receuillis et traduits par Larry Tchogninou