European Identities and Transcultural Exchange. Studies in Art History
This book is the first volume of an international scholarly series that aims to investigate the shaping and reshaping of European identities, taking into account the migration of knowledge, ideas, ways of life, and artistic expression and technique. This dynamic approach is based on the concept of mutual cultural exchange; it includes the interactions between local traditions and imported models, between artistic methods and crafts, and the complex processes of assimilation and resistance. The series will probe the political, social, religious and cultural backgrounds of works of art and the artistic self-representation of rulers, governments and religious institutions. Such an interdisciplinary perspective is intended to take hold of the intellectual and artistic energies stemming from cultural affinities and incompatibilities. Last but not least, the series aims to offer accessible exemplary and methodically sound interpretations of artistic forms and creative processes.
Founded on a PhD thesis supervised by the École Pratique des Hautes Études, PSL, Paris, and the University of Verona, the present volume, Bernard Palissy. Artisan des réformes entre art, science et foi, by Juliette Ferdinand engages immediately with this issue. It deals with the French Huguenot potter, hydraulic engineer and naturalist Bernard Palissy (1510–1589) and provides a new interpretation of his “rustic ware” in the context of the Protestant Reformation, divided by the main fields of his activity: artistic practice; natural sciences; and religious belief. The final part of the volume provides a catalogue of his more significant works, mainly pottery decorated with images of fish, crustaceans, reptiles, frogs and plants, inspired by the marshes of his native Saintonge and characterized by coloured lead glazes. The book demonstrates how these creations reflect the contemporary debates pursued by Reformed theologians around the representation of the sacred and the functions of art. But it also depicts the fundamental role of Palissy’s defence of craftsmanship and empirical knowledge vis-à-vis the theoretical culture of the universities and academies of the time.
Palissy’s writings clearly show the influence of the Swiss missionaries of Jean Calvin preaching in the Saintonge; they also reveal affinities with Erasmus’ thought, while the iconography of his ceramics is close to that of German artists from
Nuremberg. His whole output is a distinctive example of the migration and blending of artistic trends and ideas from France, Italy, Switzerland and Northern Europe. Palissy’s European outlook produced an original oeuvre that can be considered a translation of religious concepts into entirely new forms of artistic expression. Although the artist never hid his Protestant beliefs, powerful patrons – such as the Queen Mother Catherine de’ Medici and Anne de Montmorency, the Constable of France – gave him protection and commissioned him to create gardens and grottoes. Juliette Ferdinand deepens our understanding of Palissy’s rustiques figulines, which the artist himself in his Recepte véritable described as expressions of a return to nature, a common topic in this period. The relationship between his theory and practice becomes a key to better understanding the artist’s creative processes. The identification of his sources and reflection on their spiritual significance, based on a new interpretation of biblical citations, brings to light both Palissy’s religious ideals and his personal aesthetics. While his strong personality remained a source of fascination for later periods, his rustic pottery catered to the 16th-century culture of collecting curiosities. The discovery of a close relationship between art, technical expertise, spirituality and science in Palissy’s work leads to a new interpretation of his oeuvre, one stressing the interaction between the spiritual exigencies of a reformed artist and his vision of a reformed French society.
On account of her close reading of the interconnections between art, science and written theory in the time of Palissy, Juliette Ferdinand’s work can be considered a substantial contribution to the study of transcultural exchange and the renewal of typologies and artistic features in the Early Modern period.
Sabine Frommel and Eckhard Leuschner
February 2019
Préambule
L’encre de ces pages a donné forme aux réflexions élaborées pendant les années du doctorat, grâce aux échanges avec plusieurs interlocuteurs que je voudrais ici remercier. Mes directeurs de thèse, tout d’abord, Sabine Frommel et Bernard Aikema, en qui j’ai toujours trouvé une oreille attentive et des conseils méthodologiques précieux. Amitié et reconnaissance vont également à Rosanna Gorris, grâce à qui j’ai pu élargir mon horizon historico-artistique par des connaissances en littérature française de la Renaissance et des milieux réformés.
La thèse a été enrichie par les suggestions et les remarques du jury de soutenance. Je tiens ainsi à remercier Hervé Brunon, Antonio Clericuzio, Philippe Morel et Giuseppe Olmi qui, grâce à leur savoir interdisciplinaire, ont permis de compléter mon raisonnement.
Je voudrais aussi remercier les professeurs, les collègues, les conservateurs de musée et les bibliothécaires qui ont eu la gentillesse de me rencontrer pour m’orienter dans les recherches. Ma pensée va en particulier à Jean-Robert Armogathe, Thierry Crépin-Leblond, Florike Egmond, Max Engammare, Guillaume Fonkenell, Violaine Giacomotto-Charra, Frank Lestringant, Myriam Marrache-Gouraud, Olivier Millet, Alessandro Pastore, Laurence Tilliard, Jacqueline Vons.
J’ai dû laisser en suspens certaines invitations à développer mon propos, notamment en ce qui concerne les liens entre Palissy et le paracelsisme, ses affinités avec la pensée grecque, la dimension philosophique des microcosmes représentés dans les rustiques, ou bien encore la notion de jeu présente dans le jardin. Ayant pris acte de ces propositions, je les ai citées en note lorsqu’il n’était pas possible de les approfondir au sein de cet ouvrage. Consciente de ces imperfections, je les considère comme autant de pistes qui permettront, je l’espère, de poursuivre les recherches sur Bernard Palissy, son entourage et le milieu complexe qui a vu naître son art.
En filigrane de ce livre se dessine la présence de mes proches que je remercie, mon mari Damiano, mes enfants Adèle et Livio, mais aussi bien sûr mes parents Chantal et Jean-Yves, supporters et correcteurs avisés.
Introduction
Je say que toute folie accoutusmee est prinse comme par loy et vertu, mais a ce je ne m’arreste, et ne veux aucunement estre imitateur de mes predecesseurs es choses spirituelles et temporelles, sinon en ce qu’ils auront bien fait selon l’ordonnance de Dieu.1
Céramiste à la cour de Catherine de Médicis, inventeur des « rustiques figulines » et pionnier en matière de géologie, Bernard Palissy fut également une figure notable de la Réforme en France. Au moment le plus critique de la première guerre de religion, il n’hésita pas à risquer sa vie pour défendre ses convictions hétérodoxes, déclarant ouvertement sa foi dans des pages imprégnées de références aux Saintes Écritures. Cet engagement profond et cette démonstration d’intégrité morale sont à l’origine d’un véritable « mythe Palissy2 », forgé au fil des siècles par une littérature davantage intéressée par la personnalité de l’artiste huguenot, à contre-courant de la pensée dominante, que par ses œuvres figuratives. Cette vision persiste encore aujourd’hui, bien qu’en réalité, comme l’illustre la citation placée en incipit de notre étude, le désir de réforme qui émane de l’œuvre palisséenne soit plus complexe, puisqu’il ne concerne pas uniquement la religion, mais la société entière, coupable à ses yeux de confondre folie et vertu, même dans les pratiques les plus courantes, comme l’agriculture.
Lorsqu’il affirme ne vouloir « aucunement estre imitateur de [s]es predecesseurs es choses temporelles, sinon en ce qu’ils auront bien fait selon l’ordonnance de Dieu3 », il introduit dans son œuvre une dimension éthique inédite. Cette affirmation prélude au projet de jardin qui prend forme dans les pages de la Recepte véritable, un texte écrit sous forme de dialogue et publié en 1563 – peu après la pre-
1 Cf. Recepte véritable, in O. C., p. 108.
2 Expression employée lors du colloque dédié à l’artiste, Bernard Palissy, mythe et réalité, Saintes, Musée de l’Échevinage et salle des Jacobins, mai-septembre 1990 ; Niort, Musée du Donjon, octobre-novembre 1990 ; Agen, Musée des beaux-arts, décembre 1990-janvier 1991 ; Saintes, Musée de Saintes, 1990.
3 Cf. Recepte véritable, in O. C., p. 108.
mière guerre de religion – dans lequel Palissy aborde les sujets les plus variés, de l’art à la philosophie naturelle. Traduisant une critique d’ordre moral, cette déclaration est la réponse à une objection très pratique avancée par l’un des protagonistes du dialogue à propos du choix topographique du jardin. La violente indignation envers une société où il lui semble que « tout ordre soit la plus grand part perverti4 » sous-tend de fait l’ensemble de la Recepte, et la citation citée en exergue est emblématique du lien étroit entre sa conception de l’activité artistique et sa vision critique du monde qui l’entoure.
Le choix consistant à utiliser le terme « réforme » au pluriel dans notre titre entend souligner les diverses facettes de ce concept apparues lors de l’analyse de l’œuvre palisséenne et concernant tant la composante plastique que les écrits.
Notre intérêt pour l’œuvre de Bernard Palissy remonte à la visite de l’exposition dédiée à Giuseppe Arcimboldo au Kunsthistorisches Museum de Vienne en 2007–2008, où les commissaires de l’exposition avaient sélectionné deux de ses céramiques rustiques – une aiguière conservée au Louvre (cat. I), et un plat de Österreichisches Museum fur Angewandte Kunst de Vienne5 (tableau 1) –, pour illustrer le jeu de mimésis entre « œuvre d’art » et « œuvre de nature » tant apprécié dans les Kunst-und-Wunderkammern du XVIe siècle. Cet objet suscita en nous une certaine perplexité et plusieurs interrogations : pourquoi ces objets remportèrent-ils un tel succès à l’époque, bien que leur iconographie fût dédiée à des animaux rarement représentés dans les œuvres d’art ? L’intention était-elle de surpasser les illustrations scientifiques – qui fleurissaient alors dans les traités contemporains – grâce à l’usage de la tridimensionnalité et à l’emploi virtuose de l’émail ? Ou bien encore, s’agissant d’un auteur protestant, le choix d’un naturalisme extrême était-il inspiré par le débat religieux autour de l’image sacrée et du rôle de l’art, soulevé par les doctrines protestantes ? Cette dernière question est devenue la ligne directrice de notre réflexion, qui propose de reconsidérer les « rustiques figulines » – c’est- à-dire la vaisselle naturaliste –, les grottes et le jardin inventés par le céramiste à la lumière de son adhésion déclarée au protestantisme.
Cette approche s’inscrit dans la lignée de plusieurs études publiées au cours des dernières décennies à propos de l’impact de la Réforme dans l’art allemand et hollandais des XVIe et XVIIe siècles. Des analyses à caractère historico-artistique se sont penchées sur le rôle de l’image dans le culte – par exemple, celles de Hans Belting ou David Freedberg6 – et l’influence de la Réforme sur l’art, des thèmes à l’origine d’importantes études, comme celles de Martin Warnke et Margarete Stirm sur
4 Cf. Idem, p. 108–109.
5 Traditionnellement attribué à Bernard Palissy, il porte le numéro d’inventaire KE 3694.
6 Cf. Belting 1990 ; Freedberg 1989.
l’iconoclasme7. Plus récemment, Joseph Leo Koerner a enquêté sur l’impact de la pensée luthérienne sur la peinture ; David Hotchkiss Price, sur l’art d’Albrecht Dürer en lien avec l’humanisme et la Réforme ; John Walford, sur l’art de Jacob van Ruisdael ; et en ce qui concerne les études françaises, un cycle de conférences du Louvre dirigé par Roland Recht a été dédié aux artistes allemands et flamands face à la Réforme8.
Par ailleurs, les recherches menées dans le domaine théologique se sont concentrées sur le statut conféré à l’art par la pensée réformée, un sujet qui a donné lieu à d’utiles contributions, tel le volume dirigé par Sergiusz Michalski à propos des effets de la Réforme sur la conception de l’image en Europe, et celles de Christopher Richard Joby et de Paul Corby Finney sur le calvinisme et l’art en particulier9. En 2009, le 500e anniversaire de la naissance de Jean Calvin a inspiré l’exposition berlinoise Calvinismus, consacrée à l’impact du calvinisme sur la culture figurative européenne. Comme il ressort de ces quelques titres, loin d’être exhaustifs, les études traitant du rapport entre l’art visuel et la Réforme concernent principalement la sphère germanique et anglosaxonne.
En France, l’essor du calvinisme a fait l’objet de nombreuses publications à caractère historiographique ; pour citer seulement certaines des plus récentes, rappelons les études sur les guerres de religion de Philip Benedict, Denis Crouzet, Olivier Christin, Janine Garrisson, Arlette Jouanna et, dans un domaine plus spécifiquement littéraire, les ouvrages d’Olivier Millet10. En revanche, l’influence de la réforme calviniste sur l’art français n’a jamais constitué un axe de recherche très poussé, malgré la parution de plusieurs titres sur ce thème – notamment les travaux de Jérôme Cottin et de Catharine Randall, et plus récemment le colloque tenu en 2011 à Lyon sur « Le calvinisme et les arts de la Renaissance à nos jours11 ».
Le contraste entre la profusion d’études sur le rôle de la Réforme dans l’art hollandais et allemand et la carence visible d’analyses concernant la diffusion du calvinisme chez les artistes français protestants ou proches du courant de la pensée réformée s’explique par plusieurs facteurs, à commencer par la conviction profondément ancrée que Jean Calvin était un fervent « ennemi des arts12 ». S’y ajoute l’idée dominante selon laquelle les protestants français, constituant une nette mi-
17 Cf. Warnke 1973 ; Stirm 1977.
18 Cf. Koerner 2004 ; Hotchkiss Price 2003 ; Walford 1991 ; Recht 2002.
19 Cf. Michalski 1993 ; Joby 2007 ; Finney 1999.
10 Cf. Benedict 2002, 2007, 2011 ; Crouzet 2008 ; Christin 1991, 1999 ; Astoul, Chareyre, Garrisson 2013 ; Jouanna 1998, 2007 ; Millet 2008, 2010.
11 Cf. Cottin 2008, 2011 ; Randall 1999 ; Colloque dirigé par Yves Krumenacker, dont les actes ont été publiés en 2011 dans la revue « Chrétiens et sociétés ». Cf. Krumenacker 2011.
12 Cf. Doumergues 1899, p. 324.
Tableaux
Tableau 1 Attribué à Bernard Palissy ou au « Maître du Griffon », bassin rustique, terre cuite émaillée, 53 × 40 cm, 2e moitié du XVIe s., Österreichisches Museum für Angewandte Kunst, Vienne (Inv. KE 3694), (from Ferino Pagden 2007, V. 12, p. 203).
Tableau 2 Bernard Palissy et son atelier, Armoiries de Catherine de Médicis, terre cuite émaillée, 14,5 × 16 cm, 1570–1590, Musée du Louvre, Paris (Inv. EN 1989-24).
Tableau 3 Bernard Palissy, Fragment de corne d’abondance et ruban, terre cuite émaillée, 14,5 × 16 cm, 1570–1590, Musée national de la Renaissance, Écouen (Inv. OA2487).
Tableau 4 Lukas Cranach, Retable de Wittenberg, huile sur bois, 1547, Stadtkirche Sankt Marien, Wittenberg.
Tableau 5 Attribué à Simone Moschino, Ogre, basalt, vers 1547, Sacro Bosco, Bomarzo.
Tableau 6 Bernardo Buontalenti, Grotte de Cupidon, 1577 environ, Villa Demidoff, Pratolino.
Tableau 8 Anonyme, Grotte, 1548–1558, Bastie d’Urfé, SaintÉtienne le Molard, détail.
Tableau 7 Cristoforo Sorte, Grotte, 1580, Castello, Thiene.
Cat. I. (a et b) Aiguière rustique
N° inv. : MR 2337
Technique : terre cuite émaillée
Dimensions : 19,2 cm
Datation : 2e moitié du XVIe siècle
Lieu de conservation : Paris, Musée du Louvre
Provenance : Collection Durand, n° 2337
Bibliographie : Delange et Sauzay 1862, pl. 11 ; Tainturier 1863, n° 27, p. 78 ; Migeon 1901, n° 120 ; Clément de Ris 1875, n° H. 58, p. 44 ; Amico 1996, Fig. 77 et 78, pp. 90–91 ; Crépin Leblond 1997, n° 66, Perrin 1998, n° 3, p. 259.
L’attribution de cette aiguière du Louvre à Palissy s’appuie sur l’analyse stylistique –haute qualité des couleurs de l’émail et finesse du moulage –, et sur l’analyse scientifique, qui a permis une datation à la seconde moitié du XVIe siècle. La précision dans la définition des animaux et des coquillages est sans égal parmi les œuvres des imitateurs successifs comme le Maître du Griffon1. Cet objet présente un fond bleu
1 Cf. Perrin 1998, pp. 241–249.
Cat. I Bernard Palissy, Aiguière rustique, terre cuite émaillée, 1556–1590, Musée du Louvre, Paris.
décoré de coquillages blancs, d’une grenouille dont la bouche fait office de versoir et d’une écrevisse en guise de couvercle. Le rendu minutieux des animaux, et la rareté de la typologie de cet objet dans la production palisséenne en fait un exemplaire unique et précieux. Les écailles et la carapace de l’écrevisse reproduisent à la perfection le grain et la texture naturels du crustacé. La forme de l’aiguière zoomorphe est proche des nombreux projets graphiques qui nous sont parvenus, œuvres de peintres ou d’architectes travaillant pour les cours, comme Giulio Romano en Italie (fig. 46 et 48) mais aussi Augustin Hirschvogel ou Albrecht Dürer en Allemagne, Hans Vredeman de Vries dans les Flandres2, et en France Jacques Androuet du Cerceau, dont Palissy pouvait connaître les dessins3. Les projets de vaisselle constituaient l’occasion pour ces artistes de donner libre cours à leur imagination, ornant leurs objets de créatures hybrides, qui font souvent penser aux décorations à grotesques4. Palissy se détache cependant de tels modèles raffinés en inventant des objets où est exhibée une nature « brute ». Outre le moulage d’après nature, cette recherche de naturalisme est présente par exemple dans la disposition des coquillages, qui ne semble pas suivre d’ordre symétrique mais imiter le caractère aléatoire des éléments naturels, comme les rochers observés au bord de la mer. Cette aiguière illustre bien qu’il ne s’agit pas pour Palissy de proposer des créatures monstrueuses aux formes élaborées, mais bien des spécimens réels, ce qui constitue une différence majeure avec l’orfèvrerie de cour.
Si l’on considère l’ensemble de l’œuvre du céramiste, en particulier le passage de la Recepte véritable qui décrit un jardin où certains « cabinets » revêtent également la fonction de salle à manger, on peut émettre l’hypothèse que cette aiguière était destinée à faire partie du service d’une grotte ou autre architecture de jardin, dont elle partage parfaitement l’iconographie rustique. Toutefois, il s’agit bien d’un objet d’apparat, sans fonction utilitaire, puisque son couvercle, inamovible, en empêche tout usage.
2 Le naturalisme de l’orfèvrerie allemande entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle a été l’objet des analyses d’Ernst Kris. Cf. Kris 1926 [2005]. Sur Vredeman de Vries voir Heuer 2010, Lombaerde 2005.
3 Certains modèles sont conservés au sein d’un recueil de 156 planches intitulé Vases, coupes, trophées, petits temples, conservé à l’Ensba. Sur les dessins de Jacques Androuet du Cerceau voir Fuhring 2010.
4 Sur les grotesques, voir Chastel 1980 et Morel 1997.
s’agit d’une typologie rare dans la production palisséenne, mais fréquente dans l’orfèvrerie et la céramique du XVIe siècle. Comme l’ensemble de sa production de vaisselle, il s’agit d’un objet destiné à l’ornement, impossible à utiliser. Le style, la technique et la composition sont similaires aux fragments retrouvés lors des fouilles des Tuileries. Le médium est une terre blanche qui contient de l’oxyde d’aluminium, la même utilisée dans les fragments des Tuileries. Cette terre extrêmement blanche est probablement la « terre du Poitou » à laquelle Palissy fait allusion dans ses Discours Admirables ; c’est elle qui donne leur couleur blanche aux coquillages, qui de fait ne sont pas couverts d’émail coloré mais seulement d’un vernis transparent. L’objet est décoré avec des coquillages et des serpents associés à la vaisselle palisséenne, en particulier le plat du Musée des beaux-arts de Lyon (cat. IV), la plaque conservée au Musée national de la Renaissance (cat. XV) et le moulage d’une vipère brune conservé à Sèvres (N° inv. MNC8326–2). Les deux côtés présentent deux décorations distinctes, ornées de coquillages et de serpents moulés d’après nature, sur un fond qui imite des herbes marines et de l’eau. Un vernis transparent, ainsi que des vernis colorés avec des oxydes de métaux, ont été appliqués sur la céramique cuite, conférant à l’ensemble une brillance qui augmente le réalisme de la décoration. La partie inférieure de cette gourde est caractérisée par un vernis ocrebrun tacheté de noir, que l’on retrouve fréquemment chez Palissy. La faune est très semblable à celle du plat rustique du Louvre, considéré autographe (cat. III) : les coquillages sont ceux que l’on trouve communément sur la côte Atlantique, comme les bivalves (coques, arcidés, pétoncles, palourdes). On observe aussi des escargots de mer et une couleuvre à collier. Palissy a très probablement réalisé cette gourde de pèlerin alors qu’il travaillait à Saintes, et maîtrisait déjà la technique du moulage et de l’émail, entre 1556 et 1567.

Cat. III Bernard Palissy, Hanap (Aiguière rustique), terre cuite émaillée, 2e moitié du XVIe s., Musée du Louvre, Paris.
Cat. III. Hanap (Aiguière rustique)
N° inv. : R. 217
Technique : terre cuite émaillée
Dimensions : H. 26 cm ; diam. 18 cm
Datation : 2e moitié du XVIe siècle
Lieu de conservation : Paris, Musée du Louvre
Provenance : Donation de la Baronne Salomon de Rothschild en 1922.
Bibliographie : Dreyfus 1924, p. 325–332, ill. p. 326 ; Guth 1953, p. 52–57, ill. p. 326 ; Perrin 1998 p. 257, n° 2.
Attribuée à Palissy par I. Perrin, l’aiguière présente une décoration de coquillages blancs sur fond bleu, superposés et moulés avec une grande précision. L’émail en revanche n’atteint pas une qualité très élevée : les teintes sont peu uniformes et on observe de nombreuses coulures de couleur. Perrin a souligné la réalisation problématique de l’anse, close dans la partie inférieure avec un coquillage et dont l’inté-
affirme d’autre part que « s’il fut aux Tuileries une grotte de céramique de Bernard Palissy, il n’en subsiste rien parmi le matériel à notre disposition42 ». L’observation de ces pièces renforce encore une fois l’idée d’un art entièrement dédié à l’imitation parfaite et illusionniste de la nature, caractéristique essentielle de l’œuvre de Palissy, mais elle pose également des questions quant à la réalisation effective de la grotte des Tuileries.
42 Cf. Idem, p. 193.
Cat. XIII Atelier de Bernard Palissy, Cuillère à manche en forme de terme, terre cuite émaillée, terres mêlées, 2e moitié du XVIe siècle, Écouen, Musée national de la Renaissance.
Cat. XIII. Cuillère à manche hermaïque
N° inv. : EP 1896
Technique : terre cuite émaillée, terres mêlées
Dimensions : H. 0,145 m. ; l. 4 cm
Datation : XVIe siècle
Lieu de conservation : Écouen, Musée national de la Renaissance
Provenance : Fouilles des Tuileries
Cet objet fait partie d’un ensemble de cuillères retrouvées durant les fouilles des Tuileries (tableau 8). Il correspond à la production typique de la culture de cour de l’Europe Renaissance, lors de laquelle la vaisselle changea profondément de rôle et d’aspect, jusqu’à devenir de véritables chefs d’œuvres d’orfèvrerie pour la réalisation desquels on utilisait métaux prisés et pierres précieuses, transformant leur rôle utilitaire en instrument d’ostentation de richesse et de pouvoir. Au sein de cette production de très haute qualité les couverts à manche anthropomorphe étaient particulièrement appréciés. Ils reproduisaient en petit format les mêmes sujets ornementaux – termes ou caryatides – que l’architecture monumentale, avec une référence particulière aux modèles italiens des XVe et XVIe siècle, et comptent de nombreux exemplaires dans toute l’Europe (fig. 17).
Ces objets raffinés conjuguent dans le cas de Palissy deux intentions artistiques remarquables : l’imitation illusionniste des pierres dures – marbre ou jaspe – qui l’ont rendu célèbre, et l’imitation d’éléments architecturaux typiques des grottes projetées et/ou réalisées par lui. Ces cuillères constituent un intéressant exemple de transmission des formes d’un médium artistique à l’autre ; dans ce cas le pas-