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Le télétravail : protégera-t-il nos foyers et nos droits?
Le télétravail : Protégera-t-il
NOS FOYERS ET NOS DROITS?
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Par Matthias Sturm // Doctorant en éducation, Université Simon Fraser
Depuis le début de la pandémie, le télétravail est au centre d’une lutte culturelle d’importance nationale. Mais le télétravail existe depuis un certain temps. Le terme telework a été inventé par Jack Nilles en 1973. On parle de télétravail si on « déplace le travail vers le travailleur au lieu de l’inverse1 ». Il s’agit de tout travail au dehors des lieux des entreprises à cause de la COVID, surtout à la maison. De plus, ce n’est pas la première fois qu’une technologie change nos vies si profondément. Il n’y a pas si longtemps, la télévision est entrée dans nos foyers, a changé la disposition des meubles et est restée pour de bon. Aujourd’hui, le télétravail perturbe nos vies quotidiennes de la même façon et plus encore. Comment nos foyers et nos droits seront-ils affectés par les changements causés par le télétravail? Nous avons déjà créé des espaces de bureau là où il n’y en avait pas. Pour plusieurs, la table de cuisine est devenue un endroit de travail et de formation.
ALLER DROIT AU TRAVAIL
D’une part, des télétravailleurs et télétravailleuses (74 %) affirment que leur gestionnaire a établi des attentes claires concernant le télétravail. L’un des défis est lié au stress, surtout chez les femmes (38 % ont signalé une hausse de leur niveau de stress, par rapport à 29 % des hommes). Dans le cas des télétravailleurs et télétravailleuses qui ont des enfants à la maison, 16 % affirment trouver difficile d’équilibrer le travail et les responsabilités parentales2. Mais « l’usage des outils de télétravail, bien que menaçant pour l’équilibre vie professionnelle/vie privée est apprécié car il facilite le travail en équipe et la collaboration3 ».
D’autre part, l’automatisation est le résultat d’une tentative d’atténuer les taux élevés de la COVID parmi les travailleurs et travailleuses d’usine. « Malgré certains des avantages incontestables de l’automatisation, la simple adoption d’une approche axée sur la technologie visant à remplacer toutes les opérations manuelles par des robots n’est pas une solution viable… Le paradoxe de l’automatisation, également connu sous le nom de paradoxe de la technologie, se produit lorsque l’introduction d’un système automatisé va alourdir, et non réduire, la charge de travail et les responsabilités de l’opérateur humain4 ». Des compétences spécifiques, la supervision et des interventions sont souvent nécessaires.
UN BIAIS SYSTÉMIQUE
Ces jours-ci, on lit régulièrement que le virus n’agit pas d’une manière discriminatoire parce qu’il ne fait pas la distinction entre une personne et une autre. Mais le virus se sert du biais systémique qui profite aux plus privilégiés parce que ceux qui sont moins privilégiés sont plus susceptibles de le contracter. Les inégalités sociales peuvent se manifester de plusieurs manières malgré l’augmentation du télétravail pendant la pandémie, en particulier chez les gens des centres d’alphabétisation et de formation de base (AFB) qui peuvent être plus touchés que d’autres. Par exemple, les travailleurs et travailleuses essentiels et à faible revenu sont plus exposés au risque du virus et plusieurs ont perdu leurs emplois dans des secteurs limités à cause des restrictions du confinement ou d’insolvabilité. De plus, le clivage culturel et racial fait des ravages chez les travailleurs et travailleuses qui exercent un travail précaire.
Les travailleurs et travailleuses à faible revenu pourraient être les plus affectés. Ce sont « les gens qui gagnent bien leur vie [comme] des cadres, des professionnels ou encore des gestionnaires, qui peuvent travailler de la maison. Par contre, les plus petits salariés, qui travaillent souvent dans des magasins ou des usines, peuvent difficilement faire du télétravail5 ». Les sondages qui nous renseignent sur les taux d’acceptation élevés du télétravail ne sont peut-être pas fiables à cause de la représentation inégale de ceux qui ont des défis d’accès numérique et ne peuvent remplir les sondages qui se font de plus en plus en ligne.
TOUT DROIT – À LA FORMATION!
Selon Statistique Canada, seulement quelque 40 % des Canadiens et Canadiennes occupent des emplois pouvant être exercés à domicile et le fait d’occuper un tel emploi « réduit la probabilité de subir un arrêt de travail et diminue donc l’incertitude du revenu6 ». Les personnes apprenantes des centres d’AFB vivent souvent des situations précaires, dans des espaces restreints. C’est à dire qu’ils doivent partager l’accès limité aux outils et connexions numériques avec d’autres membres de la famille, quelquefois des familles multigénérationnelles. Si la pandémie est en train de changer nos espaces, moyens, et manières au travail, la formation des adultes devrait aussi se servir davantage de la prestation mixte et à distance.
Selon Randstad, entreprise de services en ressources humaines, les 15 emplois les plus recherchés en 2021 au Canada sont : adjoint administratif, infirmier autorisé, développeur de logiciel, représentant du service à la clientèle, journalier, marchandiseur de biens de consommation, associé aux ventes, chargé de projet, comptable, conducteur, soudeur, gestionnaire aux
2 ADP Canada. « Les Canadiens ont des sentiments mitigés concernant le télétravail durant la crise de la COVID-19 », [En ligne], le 13 mai 2020. [https://www.adp.ca/fr-ca/ressources/articles-et-perspectives/articles/c/les-canadiens-ont-des-sentiments-mitiges-concernant-le-teletravail-durant-la-crise-de-la-covid-19.aspx]. 3 BARTH Isabelle, Daria PLOTKINA et Delphine THEURELLE-STEIN. « Comment le confinement transforme les « soft skills » », La Conversation, [En ligne], le 23 avril 2020. [https://theconversation.com/comment-le-confinement-transforme-les-soft-skills-118495]. 4 BIONDI, Francesco. « COVID-19 has fuelled automation - but human involvement is still essential », La Conversation, [En ligne], le 7 février 2020. [https://theconversation.com/covid-19-hasfuelled-automation-but-human-involvement-is-still-essential-153715]. (Disponible en anglais) 5 BEAUDOIN, Danielle. « Quand le télétravail rime avec désastre et bombe à retardement, 25 octobre 2020 », Radio-Canada INFO, [En ligne], le 25 octobre 2020. [https://ici.radio-canada.ca/ nouvelle/1743199/emploi-pandemie-productivite-hausse-inegalites-nicholas-bloom]. 6 MESSACAR Derek, René MORISSETTE et Zechuan DENG. « Inégalités en matière de faisabilité du travail à domicile pendant et après la COVID-19 », Statistique Canada, [En ligne], le 23 juin 2020. [https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00029-fra.htm].
ressources humaines, commis aux comptes fournisseurs et aux comptes clients, ingénieur électricien, et conseiller financier7. La plupart des études au Québec démontrent qu’au moins la moitié des entreprises veulent continuer le télétravail à mi-temps après la fin de la pandémie8 .
Ces développements présentent des occasions aux centres d’AFB de se servir des technologies et de la formation en ligne quand cela est possible. Les approches d’apprentissage mixtes offrent des opportunités d’intégrer la demande de nouvelles compétences, mais peuvent également atténuer les effets du manque d’accès numérique. Pour la prestation de programmes en ligne mixtes, il est conseillé de s’appuyer sur le principe de Trucano selon lequel « la meilleure technologie est celle que vous avez déjà, que vous savez utiliser et que vous pouvez vous permettre9 ». Les outils virtuels ont un autre avantage parce qu’ils permettent d’apprendre chez soi. Dans les petites communautés, les personnes apprenantes peuvent se rencontrer virtuellement sans le stigmate d’être identifiées comme des gens qui cherchent l’aide des centres d’AFB. En plus, ils peuvent participer au travail en groupe sans vidéo et en utilisant un pseudonyme10 .
Quelques formateurs et formatrices ont travaillé à domicile pendant la pandémie. Beaucoup ont travaillé sans relâche à développer de nouvelles approches pour l’enseignement à distance. La prestation de programmes mixtes pourrait non seulement inclure l’apprentissage en ligne, mais aussi le soutien aux personnes apprenantes en dehors du lieu des centres d’AFB après la pandémie, comme le concept de télétravail l’a d’abord postulé. t
7 Randstad. « Les 15 emplois les plus en demande en 2021 au Canada », [En ligne] [https://www.randstad.ca/fr/emplois-en-demande/15-emplois-en-demande/]. (Consulté Février 2021). 8 LEDUC, Denis. « Après la COVID, le télétravail à temps partiel », Ici Bas-Saint-Laurent, [En ligne] le 8 septembre 2020. [https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1731628/teletravail-avenir-telus-rimouski-pme-travail-maison-bureau]. 9 TRUCANO, Michael. « 10 principles to consider when introducing ICTs into remote, low-income educational environments », World Bank Blogs, [En ligne] le 8 juillet 2013. [https://blogs.worldbank.org/edutech/10-principles-consider-when-introducing-icts-remote-low-income-educational-environments]. (Disponible en anglais) 10 PORTER Paul et Matthias STURM. « Combler les grands fossés : L’apprentissage flexible et à distance dans la formation de base des adultes», Rapport de recherche pour le programme d’Alphabétisation et Formation de base (AFB) de l’Ontario, [En ligne] 2006. [http://www.bdaa.ca/biblio/recherche/fosses/fosses.pdf].