Novénaire de l'attente

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CLÉMENT PANSAERS NOVÉNAIRE DE L’ATTENTE


A toi, fils, ce cantique de tes neuf lunes pleines. 1916—1917


I Ce soir, le feu gazouille… Le sourd bourdon de bruits lointains contre la fenêtre agonise en sourdine. — Bruits de moulins, moulant le blé humain. Je t’aime, conçu, non incarné. Et tant qui meurent sans amour! Voici que l’homme adore la mort. — O la beauté de la vie forgiaque! — En rangs serrés, ivres d’agonie, Comme une tempête — ils se lèvent, tourbillonnent dans la mort.

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Et chaque moment de la vie est beau — Et la liberté luxuriante. Mais l’homme n’aime plus le sourire de la joie. Ignorant la fraîcheur de l’air libre — Sa rudesse adore le râle. Venez — imposteurs de la vérité! Que je vous montre le sacrifice sublime de votre être… La haine est une vertu? Oh, vous, qui toujours recherchez la haine — préférez l’esclavage à la liberté — le mensonge à la vérité! Frères! Haïssez — en grands vertueux — les vices de vos subconsciences et ceux de vos viscères — Mais — aimez follement vos frères Comme le Soleil adore la Terre! Chair juvénile — conçue — non incarnée — dérobée encore en ta demeure… Fais toi, un jour, la guerre au néant, mais la paix à la vie! Que toujours ton œil exprime la joie — tes lèvres un sourire — ta langue l’affabilité.

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L’instinct est unique loi — L’habitude fol esclavage. Que tes pieds aiment caresser les routes sans fin de la Terre — Qu’en ton sang bouille l’ardeur de vie et d’être — Que les nerfs de tes doigts vibrent de bienveillance. Ton sommeil est d’espoir — Que ta vie soit fraternité. Que ta quiétude soit — pareille à une balise en mer — au centre de la sombre inquiétude. Et brûle en holocauste la tristesse terrible du désespoir humain. Répands la douceur autour de la vengeance Carillonne l’inébranlabilité. Edifie — Bel architecte — sur la zone neutre ta bonne auberge de confraternité. Les soucis ont creusé sous mes cils — sur mon front la vieillesse, l’impuissance prématurées… Greffe-toi — Héros de l’insouciance — — de la joie l’exalté — sur la déchéance la luxure de l’exubérance!

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Je te donne des yeux Que ton regard, toujours, rayonne la lumière fervente. Sois lâche devant la violence. Echange la vérité à la mensongère démence. Vois — Mais dédaigneux des mystères — passe outre devant ce que tes yeux n’arrivent à comprendre. Sois juste devant toi-même. J’ignore encore si — par le sexe — tu seras mâle ou femelle. Toujours — sois mâle de sincérité probe aux hommes de bonne volonté Sois libre — Et que ton amour — sans prostitution — de la liberté soit plénier! Sur le flux et le reflux d’un cauchemar calamiteux j’assiste aux catastrophes concentriques. Mais à l’heure de la déhiscence, — tu ne prendras pas la rage car tu te sentiras une belle œuvre d’art très rare — aux qualités merveilleuses. Et tu domineras la Terre — Comme moi ce jourd’hui, au centre de cet horizon de neige.

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Tous les peuples sont en guerre — tous les peuples chrétiens à patrie… Où est le peuple éparpillé par le monde — les sans-patrie à la patrie déserte — pour remettre la paix entre les peuples! Sois — ni chrétien — ni citoyen d’une patrie jamais à la tâche du lâche — mais sans souillure de haine comme Israël sur Terre! Christ Cet autre de Judée un jour d’exaltation — comme ton père — a dit : Je suis dieu. Sois — toi — le grand exalté qui se couronne de son moi et crie au monde Je suis homme!

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II La Terre est impassible — Le Ciel est diaphane, Le champ de mon intuition est ensoleillé comme la campagne couverte de neige. Ciel et Terre sont gonflés de vie vigoureuse, Et le ventre farfadet des hommes — le cerveau de l’humanité — sont vides horriblement. Comme le Soleil d’hiver — qui dore la neige — murmure des merveilles de Printemps! Les chants gelés chantent une ode. Ouvert comme une bouche — le Ciel est chaud et fume. Le Soleil module des O extatiques — Les arbres ondulent des A magnifiques — Ma marche est une danse — que mon pas cadence. Tout autour de moi chante A… Et je psalmodie Alleluia! Alleluia pour toi — Conçu non incarné — Afin que tu apportes l’abondance de joies excrémentielles et animiques. Voici que je te fais des avances — Je réchauffe tes élans.

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Ne découvre jamais le mal. — Ne perds point tes illusions. Le mystère est le doute — qu’il te faille la certitude infaillible — à toute croyance mordorée. L’invisible n’existe pas — amène au délire. Arrive, toi, à l’équilibre. La cécité naît du mystère — la certitude de la vue. La fatalité n’existe qu’aux faibles — les forts ont la volonté. L’espoir et le désespoir sont refoulés aux pôles de la réalité. Au zénith trône, inébranlable, ton émotion spontanée. Et ta sérénité lumineuse baignera tous les êtres, toutes les choses. Comme la lumière du jour, baigne toute la Terre! Je suis dans la maison — le moine solitaire — — au cœur du cloître silencieux — — à l’ombre de la forêt de pierres — et s’agenouille, se recueille avant la prière le pouce en croix sur les lèvres. Ta mère monte l’escalier… Ainsi tu es en haut — et moi, je suis en bas. — Jouant au jouet avec le jeune griffon qui me roule par terre comme un bonhomme de bois — Je suis en bas… Et au-dessus de la rampe, je te vois… Un rayon de soleil filtre par le lanterneau. Une lumière prismatique mouille le torse de ta mère.

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— Le tablier écarlate moule sa gorge et sa ceinture. Je vois une figure de verrière… Un enfant Jésus au vitrail d’un cloître. — Du campanile voisin perle un rire d’airain — O gosse! Tu m’accordes, déjà, un vibrant sourire!… Sur la route je suis le passant dans l’attente… Comme ces jeunes épouses sur le seuil de leur porte — Au coucher et à l’aurore — A la fraîcheur du soir — elles baignent l’ardeur de leurs flancs en détresse. — Derrière la porte, vide de sommeil, le lit est gonflé du martyre de la paresse. Et chaque matin — malheureuses comme de vieilles femmes au retour critique de l’âge brûlant au Soleil le sillon sous les yeux et le creux de la gorge — Elles soulagent leur veuvage. Un sourire jaune — dans le bleu silence du coteau — brille au visage de mon habitacle. Sur les genoux de la sapinière — à l’ombre verte de son sein qui monte et descend sur un rythme de paix et de silence — sommeille ma maison.

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Les murs transparents sont montés de silence — et portent — en calme majesté — le dais — faîtage ondulant qui module la paix. La porte, toujours, est ouverte — invite le passant. J’y suis comme en une salle d’attente et toute la maison t’attend… Comme une gargouille de cathédrale ornant le bras du fauteuil, le chat, ronronnant, file la patience… Sois Attendu avec impatience dans ma demeure le bienvenu! Chaque matin — sous ma fenêtre — passe un brun paquet de loques usagées… Les voisins la trouvent fort laide — l’évitent — l’appellent sorcière. Elle délaisse la grande route et volontiers, fait un détour pour prendre — chaque jour — le sentier qui serpente sous ma fenêtre et me dire le bonjour. — Elle est vieille, vieille femme et je l’aime — (de graves vérités se lisent au front de la vieillesse) — tel un profil éphémère entrevu par hasard — qu’on se souhaite comme maîtresse.

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Le visage cherche le ventre — le ventre vide — où le corps se replie sur lui-même. Ses pas se traînent derrière son ombre; son dos porte le Soleil. — Sa maison est faite de glaise la toiture de paille et de mousse. — Elle a l’épiderme tanné et l’âge de sa vieille chaumière. Elle est belle comme un enfant dans les langes. Pareille au nouveau-né, elle se perd dans ses franges. Ses lèvres sucent et elle a perdu ses seins. Sa langue cherche aux gencives la place de ses dents. Elle parle sans articuler et sa voix est celle du nouvel enfanté, qui appelle sa maman. Comme un précieux bibelot une dalle sous un porche d’église les caresses l’ont usée. Reste le dernier frivole, le vent, qui joue dans les plis de sa robe la chatouille au mollet — pendant que ses doigts enfilent le temps. Ses joues sont des feuilles de parchemin que les rides illuminent de fabuleuses lettrines.

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O toi, qui te prépares ton entrée dans la vie Que l’Oméga de cette vieille figurine ton Alpha contienne l’essence. Afin que toute ta vie soit une vérité belle et saine, voici ta marraine!

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