Camille David Foenkinos, Charlotte, Gallimard, 2014, 220 pages
Un roman haletant Charlotte Salomon, fille d'une famille juive, née en avril 1917 et morte en 1943 à Auschwitz est une artiste plasticienne et peintre. Entre ces deux dates, une existence courte, intense, dramatique. Le destin de Charlotte Salomon est marqué, qu'elle le veuille ou non, par la mort, ces suicides qui se sont succédés au sein de sa famille, comme une épidémie incontrôlable, inexpliquée. Sa mère meurt, son père est absent et Charlotte se renferme. Sa vie est jalonnée de douleurs, de violences, à partir du moment où les nazis arrivent à la tête de l'Allemagne : humiliations, interdictions en tous genre. C'est un miracle qu'un professeur des Beaux Arts à Berlin, touché par les promesses qu'il devine chez l'artiste en devenir parvienne à obtenir son admission alors que l'école est interdite aux Juifs. Oui, sur sa route, Charlotte fait aussi d'heureuses rencontres, de celles qui aident, qui réconfortent, qui inspirent ou qui révèlent. Grâce à ces femmes et ces hommes, elle parviendra à finaliser le projet qui lui tient à cœur, celui qu'elle qualifie comme étant "toute sa vie". Entre 1940 et 1942, réfugiée dans le sud de la France, Charlotte écrit, dessine et peint l'histoire de sa famille. Une œuvre lumineuse, un tel contraste avec les horreurs du quotidien. En 1943, elle fut dénoncée, arrêtée, déportée à l'âge de 26 ans, enceinte de quatre mois. Avant de partir, elle confia ses toiles à son médecin en lui disant :"c'est toute ma vie", elles sont conservées aujourd'hui à Amsterdam. J'ai lu ce roman d'une traite. Le style, à la ligne après chaque phrase (certaines lignes ne forment d'ailleurs pas vraiment une phrase au sens strict : sujet, verbe, complément), permet de souffler mais aussi se lit plus vite. C'était d'ailleurs la volonté de l'auteur - qui a longtemps souhaité écrire sur Charlotte Salomon sans jamais savoir quelle forme adopter - d'écrire de cette manière hachée, qui lui permettait ainsi de ne pas « étouffer » et de reprendre son souffle pour parler d'elle. Mais , rapidement ces vers assez courts dont la lecture est souvent hachée, se transforment en course d'une personne poursuivie et essoufflée. En fait, cette artiste est devenue son obsession. L'écrivain a enquêté, interrogé des descendants de témoins de sa vie, visité les lieux qu'elle a fréquentés, de Berlin au sud de la France. Bien sûr, son destin est triste (plusieurs de ses ascendants se sont suicidés) et tragique (elle est morte jeune et enceinte, gazée dans un camp de concentration), mais l'auteur ne rentre pas tant que ça dans les détails historiques ou morbides. Je suis ravie d'avoir découvert l'existence de Charlotte Salomon dont je n'avais jamais entendu parler auparavant et de partager sa trop courte existence le temps de 221 pages. J'ai été très sensible à la manière dont David Foenkinos évoque le désespoir qui s'empare des femmes Salomon les poussant à mettre fin à leurs jours tellement leurs souffrances sont insupportables. J'ai particulièrement apprécié tout passage ayant trait à la vie à Berlin avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. L'horreur de la montée du nazisme est parfaitement rendue, de même que l'incrédulité des Juifs ne pouvant pas imaginer le triste sort qui leur sera pourtant malheureusement réservé. Un seul bémol, un tout petit, celui qui m'a fait passer à un cheveux du coup de cœur. Les quelques interventions de l'auteur en tant que "personnage enquêteur" au sein de l'histoire qui pour moi sont parfois venues casser mon rythme. Je les ai regrettées, vraiment. Mais cela n'empêche pas ce court roman d'être un grand roman qui ne laissera personne de marbre.