Le Sens du toucher de Christian Prigent

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Autour du mazzocchio : l’envahissement diluvien cadré par les architectures, ou, structurés en avant-plan par les lances guerrières et défait, au fond, par quelques courses de bêtes chassées vers le dehors du cadre, le chaos informe, la confusion des batailles – imprenable par les figures 2. Soit tout ce qui surgit entre forme et informe, fini et infini, mesure et démesure, convulsion centrale et fuite périphérique, clôture et béance. Uccello expose l’espace équivoque de la peinture comme théâtre de cette opération, champ de bataille de la peinture, déluge de la peinture dans la peinture. Je n’avais pas tout vu, dans les Anacoluthes. Car voici qu’un oiseau est sorti de la toile ou s’est posé sur elle. Clic. La photo est faite. L’oiseau me dit : « regarde la peinture te regarder ». Posé sur les formes informes évoquées ci-dessus, l’oiseau (un petit passereau) est peint en trompe-l'œil, à échelle réelle. Comme pour une étude documentaire – ou comme les raisins d’Appelle (qui, si l’on en croit Pline, leurraient les… oiseaux). Avec, en tout cas, un savoir-faire qui serait celui du peintre « animalier 3 ». Il est radicalisé comme figure naturaliste – comme mimésis réussie.

2. Céline : « La guerre, c’est ce qu’on ne comprenait pas. » 3. Uccello en savait un bout sur ce point, lui dont le surnom venait, dit-on, de son aptitude à peindre les oiseaux.

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