On disait de Pascal Leclercq et Paul Mahoux

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ON DISAIT Poèmes de

Pascal Leclercq Illustrations de

Paul Mahoux

le farfadet bleu

CADEX ÉDITIONS



On disait


Pascal LECLERCQ habite à Liège, en Belgique. Poète, il a publié quelques livres empreints d’une étrange liberté aux éditions La Dragonne. Il a écrit des pastiches de polar édités au Québec (la série Marzi et Outchj, éditions Coups de tête) et traduit de l’italien le poète Andrea Inglese et le romancier Alessandro de Roma. Il aime nouer des dialogues au hasard de rencontres vitales, avec un artiste plasticien, un architecte, une styliste… L’amitié qui le lie à Paul Mahoux est déjà riche de quelques belles pages — les deux compères refont ainsi le monde, à grands traits de crayon et de poèmes, dans une sorte de compagnonnage au long cours. Pour la jeunesse, il a publié Des garous et des loups, dans la collection du « Farfadet bleu ».

Paul MAHOUX est né à Kabgayi (Rwanda) en 1959. Il est peintre et enseigne l’illustration à l’École Supérieure des Arts de la Ville de Liège. Il expose depuis le début des années 80 à Liège, Gand, Bruxelles, Knokke, Montréal (galeries, foires, espaces publics). Depuis le milieu des années 90, il peint des journaux « surmodelés », en référence à ces peuplades de Nouvelle-Guinée qui décoraient les crânes aussi bien de leurs ennemis que ceux de leurs proches parents. Il les a exposés à Liège, Bruxelles, Paris, Southampton, Valencia, Marseille, Nancy et Dakar.


Pascal Leclercq

ON DISAIT Illustrations

Paul Mahoux

le farfadet bleu

CADEX ÉDITIONS

2013


Pascal Leclercq a bénéficié du soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour l’écriture de On disait.


On disait que j’écrivais un poème pour Lola



On disait qu’il y avait un kangourou tout roux avec une poche et dans la poche un autre kangourou tout roux ? oui, un kangourou tout roux avec une poche et dans la poche un autre kangourou tout roux ? oui, un kangourou tout roux avec une poche ? oui, un kangourou avec une poche et dans la poche un autre kangourou tout roux ? oui, un kangourou tout roux avec une poche ? oui, un kangourou avec une poche et dans la poche ? dans la poche, rien du tout… pas de kangourou tout roux ? pas de poche ? et dans la poche, pas d’autre kangourou ? non, rien de rien, quatre kangourous, c’est tout !

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On disait que j’étais un garçon que j’étais un garçon avec un lit dedans que j’étais un garçon avec un lit avec une chambre dedans que j’étais un garçon avec un lit avec une chambre avec une maison dedans que j’étais un garçon avec un lit avec une chambre avec une maison avec une forêt dedans que j’étais un garçon avec un lit avec une chambre avec une maison avec une forêt avec une île dedans que j’étais un garçon avec un lit avec une chambre avec une maison avec une forêt avec une île avec un océan dedans on disait que ce garçon avec un lit avec une chambre avec une maison avec une forêt avec une île avec un océan dedans avait très mal au ventre… et ça se comprend !

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On disait qu’il était tard et que mes yeux avaient grandi on disait qu’il était tard et que mes mains avaient poussé on disait qu’il était tard et que mon cœur avait pris feu on disait qu’il était tard et que mes pieds avaient pris froid on disait qu’il était tard et que mes cheveux étaient gris on disait qu’il était tard et que je n’avais plus rien à dire on disait qu’il était tard et que tu me disais que ce n’était pas grave qu’il n’était pas trop tard qu’il n’est jamais trop tard et que tout allait s’arranger.

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On disait qu’on était des chats, qu’on avait le poil noir et soyeux, qu’on marchait sur des coussinets, qu’on regardait le foot à la télé, avec l’air paresseux pour ne pas se faire prendre.

On disait qu’on sentait le monde avec nos moustaches, qu’on déplaçait les choses d’un coup de patte, qu’on voyait dans le noir passer des monstres violets, qu’on ne disait rien pour ne pas se faire prendre.


On disait qu’on s’était mis au lait, qu’on savait miauler, qu’on mangeait des croquettes et du pâté, qu’on ronronnait quand on nous caressait.

Pour finir on disait que ce n’était pas vrai qu’on n’était pas vraiment des chats et qu’on offrait des lunettes à ceux qui s’étaient laissés prendre.



On disait qu’on marchait sur les mains, qu’on comptait sur les doigts de pied, qu’on s’accoudait sur les genoux, qu’on s’agenouillait sur les coudes, qu’on voyait par le nez, qu’on dormait les yeux ouverts, qu’on mangeait par le ventre, qu’on respirait par les cheveux, qu’on prenait des bains de sable, qu’on buvait des verres vides, qu’on rigolait la bouche fermée, qu’on courait sans bouger les jambes, qu’on était propre sans jamais se laver, qu’on dormait nu dans le frigo, qu’on avait un vélo aux roues carrées et que maintenant, là, maintenant, on était très très fatigué.

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On disait que c’était avant la buée sur les vitres, que c’était avant la neige sur les trottoirs, que c’était avant les crêpes qu’on enroule et avant les histoires du soir. On disait que c’était avant la toute première planche du lit, que c’était avant la toute première brique de la maison, que c’était avant le tout premier pavé de la rue, que c’était avant la toute première pierre de la ville.


On disait que c’était avant le pays, avant le continent, avant les océans, que c’était avant la poussière et que c’était même avant l’univers.

On disait que c’était il y a très longtemps, qu’on n’était même pas nés.



On disait que tu vendais du pain et que j’en achetais. On disait que je rentrais chez moi pour le manger, que je le coupais en tranches et qu’il n’avait pas mal. On disait que je mettais dedans du jambon, du fromage et de la mayonnaise. On disait que j’avais très faim et que j’étais très content avec mon sandwich dans les mains que j’étais impatient d’y mordre que je salivais beaucoup, que j’ouvrais grand la bouche. On disait que tu entrais en courant dans la cuisine et que tu t’écriais : « Arrête ! T’as oublié de me payer ! »

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On disait que j’avais perdu mon nom et que je le cherchais partout, et qu’il n’était pas sous l’oreiller, qu’il n’était pas dans le four à pizza, qu’il n’était pas entre les lames du plancher, qu’il n’était pas caché dans un trou de souris. On disait que je voulais crier après lui, mais que j’avais perdu le nom de mon nom et que je le cherchais partout, et qu’il n’était pas dans mon nez, qu’il n’était pas dans la cour, qu’il n’était pas dans le tiroir aux souvenirs qu’il n’était pas caché dans un trou de soulier. On disait que j’étais désespéré d’avoir perdu ce nom que tu m’avais donné. Alors on disait que pour me consoler tu m’appelais et que je me jetais à ton cou en m’écriant : « Merci ! Tu l’as retrouvé ! »

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On disait que j’avais avalé ma langue, avec du sirop d’érable ou de la crème brûlée. On disait que ça n’était pas très bon, une langue, mais que voilà, une fois avalée, on n’y pouvait plus rien. On disait que je me promenais dans la maison, sans rien dire. On disait que je jouais en silence, que je mangeais en silence, que je souriais en silence, que je descendais les escaliers en silence, que j’étais le roi du silence. On disait que tu m’observais longtemps, longtemps puis que tu t’écriais : « Et alors quoi, tu ne dis rien ? Aurais-tu avalé ta langue, avec du sirop d’érable ou de la crème brûlée ? »

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On disait que je marchais sur le sable de côté on disait que je marchais sur le sable de côté et que le sable était chaud on disait que je marchais sur le sable de côté et que le sable était chaud et que j’avais pour ami un crabe on disait que je marchais sur le sable de côté et que le sable était chaud et que j’avais pour ami un crabe qui marchait de côté on disait qu’on creusait un trou dans le sable chaud, qu’on disparaissait dans le trou dans le sable chaud, qu’on recouvrait le trou dans le sable chaud de sable chaud et qu’on restait là, en silence, tous les deux, à écouter la mer monter.

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Et si jamais



Et si jamais tu partais en Écosse cueillir des trèfles à quatre feuilles, enfiler des kilts à carreaux souffler dans une cornemuse ou hanter des manoirs, cachée sous un drap blanc. Et si jamais tu allais manger des anguilles sur la rive d’un lac brumeux avec le monstre du Loch Ness.

Et si jamais tu sautais dans le premier train, t’embarquais dans la première malle, attrapais sur le port le premier autocar pour Edimbourg ou Glasgow. Et si jamais tu décidais de passer la Manche à la nage…

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M’enverrais-tu une carte postale pour me raconter les kilts à carreaux, les manoirs, les cornemuses, les monstres du Loch Ness, le train, la malle, les autocars, les draps blancs, ou me ferais-tu parvenir un trèfle à quatre feuilles me souhaitant bonne chance et bon voyage pour que je te rejoigne à Édimbourg, Glasgow, en Écosse, à la nage ?



Et si jamais tu éteignais dehors avant de rentrer bien au chaud dans ta maison. Et si jamais j’étais justement en chemin pour venir t’embrasser et que je me retrouvais seul dans le noir de la ville, dans le noir de la rue sur le noir du trottoir.

Et si jamais je voulais rebrousser chemin mais qu’après avoir fait trois tours sur moi-même je n’étais plus capable de savoir où était le devant où était le derrière où était le côté et puis l’autre côté.


Et si jamais je m’asseyais par terre, le cœur battant la chamade, l’aiguille de ma boussole affolée…

Pointerais-tu le nez dehors, inquiète de ne pas me voir arriver, illuminerais-tu d’un coup la ville noire, la rue noire et le trottoir noir, le ciel, le sol et les murs de côté, avant de lâcher en riant : « Pardon, je ne l’ai pas fait exprès… »


Et si jamais mes yeux fondaient rien qu’en regardant le soleil, et qu’après ça je marchais bras tendus dans la rue sans trouver mon chemin.

Et si jamais mes bras tombaient, puis mes avant-bras, puis mes coudes et que je me cognais partout sans yeux pour voir, sans bras, sans mains pour sentir mon chemin. 38


Et si jamais au milieu d’un carrefour, une voiture orange me fonçait droit dessus et que je perdais mes pieds et mes jambes, incapable de continuer mon chemin.

Et si jamais je restais là, sans yeux, sans bras, sans jambes, sans plus pouvoir bouger au milieu d’un carrefour, j’aurais vraiment l’air malin, là, tout seul, sur le chemin, tu vois ? 39




Et si jamais le temps s’arrêtait de courir et qu’il s’asseyait sur un banc dans le jardin pour s’accorder un repos mérité. Et si jamais il débouchait une bouteille de jus de pomme cerise, pour écouter les peupliers chanter.

Et si jamais tout le jardin avec lui s’arrêtait et s’asseyait sur le banc pour s’accorder un repos mérité et que les courges ne grossissaient plus et que les fleurs ne s’épanouissaient plus et que les merles ne grignotaient plus les fraises qui ne rougissaient plus et que les peupliers finalement se taisaient. 42


C’est sûr, tu sortirais fâchée de ta maison et t’écrierais : « Ben voyons, Temps, que fais-tu ? Crois-tu le moment bien choisi ? Ne vois-tu pas que c’est l’été et que chacun voudrait vivre sa vie ? Reprends ta course, je t’en prie, et laisse-moi ton jus de pomme cerise j’aimerais écouter les peupliers chanter. » 43


Et si jamais la pluie se mettait à tomber si fort qu’aucun toit ne pourrait résister. Et si jamais les tuiles étaient pleines de trous, les carrosseries des autos pleines de trous, le haut des abribus criblé de trous et les parapluies des vieilles dames aussi. Et si jamais on devait enfiler un chapeau de métal pour sortir des maisons aux toits troués, ou brandir par-dessus la tête un bouclier de bois, le couvercle puant de la poubelle. Et si jamais la pluie enfin trouait les boucliers, les chapeaux, les couvercles puants de la poubelle, et qu’à la fin, tout à la fin, on devait lever haut les mains pour protéger son crâne, et que la pluie, encore et toujours elle, ne cessait de tomber perforant tout sur son passage. Alors, alors, alors… se pourrait-il qu’on ait un jour les mains trouées ?

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Achevé d’imprimer en septembre 2013 sur les presses de In-Octo à Salasc (Languedoc-Roussillon). Dépôt légal : 3e trimestre 2013. © Cadex Éditions, 2013

ISBN 978-2-913388-84-0



Qui n’a pas joué au fameux " On disait " ? Mine de rien, ce mécanisme de l'imaginaire permet aux enfants de mieux comprendre le monde qui les entoure et de s'y intégrer. Tout devient possible avec ces jeux de rôle : on est chat, crabe, on est propre sans jamais se laver, on n’est même pas né… Pascal Leclercq et Paul Mahoux nous livrent ici des poèmes et des illustrations gigognes, anaphoriques, légers et profonds à la fois. Avec eux le monde s’ouvre en grand ! Pour lecteurs à partir de 5 ans et jusqu’à plus que centenaires.

ISBN 978-2-913388-84-0 Prix : 9 €

9 782913 388840


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