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Briser le silence FR
Dans La Poupée de Monsieur Silence, édité par les iconoclastes de chez Frémok, la dessinatrice Goele Dewanckel et l’écrivaine Caroline Lamarche font retentir une fable moderne depuis une prison dorée où règne le silence. — KURT SNOEKX
GOELE DEWANCKEL & CAROLINE LAMARCHE: LA POUPÉE DE MONSIEUR SILENCE Frémok, 56 p., €19 Expo: 22/6 (18.00: rencontre avec les auteurs) > 1/9, Peinture Fraîche
À quel point sommes-nous capables d’endurer la folie, le bruit et le brouhaha ? Jusqu’où le monde extérieur peut-il s’imposer à nous avant de saturer ? Et à quel point l’effet contraire peut-il être assourdissant : lorsque le silence ne peut être brisé ? Ces questions sont à l’origine d’un joyau à la fois luxuriant et épuré, un livre à l’écoute des battements irréguliers des cœurs débordants et fatigués, épris et perdus. De ce qui nous lie et finit par nous étouffer. Dans La Poupée de Monsieur Silence, l’écrivaine Caroline Lamarche et la dessinatrice Goele Dewanckel viennent enrichir le fonds florissant des Bruxellois de chez Frémok. Une petite, mais ô combien précieuse, fable qui prolifère, se fige, bouillonne et s’apaise simultanément. « Je me suis identifié à cette histoire imaginée par Caroline en 2013, elle a tout de suite enflammé mon imagination », explique Goele Dewanckel. Ensemble, elles ont construit une histoire belle et éternelle, en accord avec son temps. Au cœur de cet univers intemporel et merveilleux, vivent Monsieur Silence
et sa bien-aimée Poupée (anonyme). Dans le turbulent trop plein du monde, Monsieur Silence mène une vie importante. Il est, le seul, « chargé de donner du silence aux gens pressés, aux familles survoltées, aux gens qui n’entendent plus les oiseaux, à ceux qui vont peut-être mourir, et même parfois aux animaux ». Alors que le monde hurle en couleurs vives, Poupée mène une vie presque transparente en bleu clair. Lentement, elle se fane. L’amour de sa vie n’est presque jamais à la maison, et lorsqu’il y est, « il ne lui parle jamais », « ne joue jamais avec elle ». La rupture est aussi soudaine qu’inévitable. Poupée s’ouvre au monde, part à la recherche « du bruit du monde, du monde du bruit, du monde sonore, du monde de l’autre bord ».
AU PAYS DES MERVEILLES C’est dans cette rencontre, et l’émerveillant qui l’accompagne, que culmine La Poupée de Monsieur Silence. La discrète Poupée en blanc et bleu et la végétation somptueuse qui l’attend dehors se fondent dans des scènes qui
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respirent la joie de dessiner. « J’ai une grande fascination pour la faune et la flore », explique Goele Dewanckel. « La nature peut se montrer douce et à la fois oppressante et dangereuse comme les grosses nervures des feuilles qui battent la chamade ». Et c’est pareil pour le silence. « J’ai besoin de m’isoler pour pouvoir travailler. Mais dans le village français de 110 habitants où j’habite en partie, ça peut devenir pesant. C’est pour cela que je suis contente de vivre à Gand aussi (en tant qu’enseignante à la LUCA School of Art, NDLR) ». C’est peut-être dans cet entre-deux que La Poupée de Monsieur Silence trouve sa place. Lorsque Poupée sort de sa cage dorée, elle croise des traces humaines, des rencontres fugaces que Monsieur Silence a laissées derrière lui. Ces bribes lui offrent ce qu’elle n’a pas connu d’intimité. Telle une mosaïque, nous recomposons l’autre et nous-même. L’être humain qui se décompose dans les rumeurs parle de nombreuses voix. Ce sont des bruits qui créent la vie, entre les silences à choyer.
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